Art. 398.
La présente contribution est extraite du 9e dossier du JDA
ainsi que de l’ouvrage
40 regards sur 40 ans de décentralisation(s).
L’extrait publié ci-dessous est à découvrir
– en intégralité –
dans l’ouvrage précité (Editions l’Epitoge).
Jean-Marie Crouzatier
Professeur émérite, Université Toulouse Capitole, Imh
Pourquoi, depuis 1982, les lois de décentralisation successives n’ont-elles jamais concerné la santé publique qui reste une compétence régalienne ?
La pandémie de la Covid-19 a pourtant dévoilé l’incapacité de l’État sanitaire à anticiper les événements et à prendre les bonnes décisions, en l’absence d’un dialogue avec les acteurs de terrain, notamment les élus locaux. Chacun a pu le constater tant lors des injonctions contradictoires concernant le port du masque, que pour les tergiversations sur les tests, les épisodes de confinement, le traçage des cas contacts ou la vaccination[1]. Car la prise de décision s’effectue en amont, sans consultation des collectivités territoriales, sur le fondement d’avis d’experts[2], dans l’opacité d’un Conseil de défense. La pandémie a ainsi mis en évidence l’étatisation excessive du système, qui a atteint son paroxysme en 2021, alors que la territorialisation de la santé est pourtant initiée dans certains textes.
Les initiatives du pouvoir central suscitent les critiques des élus locaux lorsque ce dernier utilise la réquisition en avril 2019 pour s’approprier des masques commandés à l’étranger par le département des Bouches-du-Rhône et la région Bourgogne-Franche-Comté. D’autres cas de réquisition ont suivi, qui furent moins médiatisés[3], toujours justifiées par l’intérêt national, sans que les territoires soient pris en compte dans la mise en œuvre de la politique nationale. Autre reproche : à la fin du premier confinement, puis en mars 2021, les maires ont été priés de rouvrir les écoles en mettant en place des protocoles sanitaires pas toujours adaptés à la structure des bâtiments. Ces derniers ont fait valoir qu’ils sont pénalement responsables en cas d’accident, alors que la décision leur échappe. En décembre 2020, le retard pris par la France en matière de vaccination expose une nouvelle fois les divergences entre l’État et les communes : alors que le gouvernement refuse dans un premier temps la mise en place de centres de vaccination, de nombreux maires décident de mettre à disposition des salles et commandent le matériel médical nécessaire, interpellant les Ars pour disposer de doses de vaccins. Le gouvernement sera obligé de revenir sur sa position.
Par-delà les controverses, des propositions sont émises pour renforcer la coordination entre les collectivités territoriales et l’État. En mai 2020, tirant les premiers enseignements du rôle joué par les collectivités territoriales pour faire face à la crise, certains conseillers régionaux[4] regrettent que la loi du 7 août 2015 « Nouvelle Organisation Territoriale de la République » écarte la compétence santé des pouvoirs des régions, rappellent que la plupart d’entre elles ont déjà développé des actions sanitaires et demandent qu’elles soient davantage associées.
Certains projets vont plus loin. Dans une tribune publiée en mai 2021[5], l’Institut Santé, centre de recherche, appelle à une simplification du système de santé. En lieu et place des multiples découpages territoriaux spécifiques à chaque secteur (Groupements Hospitaliers de Territoire, Communautés professionnelles Territoriales de Santé…), illisibles pour les citoyens et inutilement compliqués pour les professionnels de santé, les signataires proposent la création de bassins de vie sanitaires regroupant 150 000 personnes en moyenne. Ainsi, sur un seul territoire de santé accessible à tous, doté de missions de santé publique et de soins clairement définis, un service public territorial de santé serait assuré par l’ensemble des acteurs publics et privés tout en associant les collectivités territoriales.
Initié pour répondre aux revendications des personnels de santé, le « Ségur de la santé » devait prendre en compte les demandes des collectivités territoriales. Or, en matière de décentralisation, la négociation du « Ségur de la santé » a débouché sur des propositions anodines. Les conclusions dégagées dans le document final[6] ne remettent pas en cause la centralisation du système de santé[7].
Un rapide historique permet de comprendre cette incapacité à décentraliser le système français de santé : si certaines compétences sanitaires ont été décentralisées au début du vingtième siècle (I), l’État central a rapidement repris la main (II) tant les conditions d’une décentralisation du système de santé semblent impossible à réunir (III).
I. Les 120 ans d’une décentralisation inachevée
S’il est, en matière de décentralisation, un anniversaire qui mérite d’être célébré en 2022, c’est bien celui de la loi du 15 février 1902 relative à la protection de la santé publique qui instaure une décentralisation des responsabilités de l’État en matière de santé. Dans le prolongement de la grande loi municipale de 1884, codifiée à l’article L 2212-2 du Code général des collectivités territoriales[8], elle comporte l’obligation pour les autorités décentralisées (les maires) et déconcentrées (les préfets) d’édicter des règlements sanitaires municipaux et départementaux.
L’article 1er de la loi précise les attributions des maires : « Le maire est tenu, afin de protéger la santé publique, de déterminer […] : 1° les précautions à prendre […] pour prévenir ou faire cesser les maladies transmissibles, spécialement les mesures de désinfection […] ; 2° les prescriptions destinées à assurer la salubrité des maisons et de leurs dépendances […]. » La lutte contre le logement insalubre avait déjà fait l’objet d’une loi en 1850. Quant à la désinfection, elle est l’une des priorités de ces bureaux municipaux d’hygiène dans le but de réduire la mortalité. La vaccination est également l’une des missions qui peut être confiée aux bureaux municipaux d’hygiène.
Jusqu’à la première guerre mondiale, la santé publique est donc confiée aux collectivités locales ; les communes sont chargées de la police sanitaire et la plupart des hôpitaux publics ont alors le statut d’établissement public communal.
Cependant, le bilan de l’application de la loi est contrasté : la généralisation des bureaux municipaux d’hygiène dans les villes de plus de 20 000 habitants a été fortement dépendante du contexte local. Les personnes impliquées à la fois dans la santé (médecins) et dans la vie politique locale (élus municipaux) ont joué un rôle décisif dans la mise en place d’un tel service, indépendamment de la législation nationale. Un rapport de l’Igas en 2004 indique que quatre-vingts ans après cette première loi de santé publique, seulement une commune de plus de 20.000 habitants sur deux a créé un bureau municipal d’hygiène, dont seule une centaine fonctionne effectivement[9]. Le rapport relève une « grande diversité en qualité et en quantité d’activités ».
Après la première guerre mondiale, s’amorcent un mouvement de centralisation et une progressive prise en charge directe, par l’État lui-même, des responsabilités dans le domaine de la santé publique. Puis, durant les années 1960, les affaires sanitaires font l’objet d’un processus de déconcentration : en 1964, les Ddass sont placées sous l’autorité des préfets ; en 1977 les Drass sous l’autorité du préfet de région. Leur mission : déployer au niveau territorial les politiques sanitaires élaborées par l’administration centrale. Les collectivités territoriales sont exclues du processus. Ce mouvement n’est pas démenti par la loi de décentralisation du 2 mars 1982. La loi du 22 juillet 1983 remplacera même les bureaux municipaux d’hygiène par des services communaux d’hygiène et de santé (Schs) dont le nombre est définitivement fixé en 1985 et limité à 208, c’est-à-dire au nombre de bureaux municipaux d’hygiène déjà existants.
Tout au plus les lois de décentralisation prévoient-elles un transfert de compétence en matière sociale et médico-sociale au département (Pmi, aide sociale à l’enfance, personnes âgées…). Mais les collectivités territoriales ne reçoivent pas de compétence sanitaire. Raison invoquée : la crainte de voir émerger des inégalités d’accès au système de santé entre les territoires.
Ainsi, les municipalités ont été progressivement dépouillées de leurs missions spécifiques en santé hormis les missions de salubrité et d’hygiène publique assurées, sous le contrôle de l’État, par les Services communaux d’hygiène et de santé. Aujourd’hui, le maintien de l’engagement des villes dans le domaine du soin avec, notamment les centres de santé municipaux, et/ou dans celui de la promotion de la santé, qui est permis par les textes, repose principalement sur la volonté et l’investissement d’un nombre limité de municipalités[10].
Reste aux communes qui le souhaitent la possibilité de s’inscrire dans un contrat local de santé prévu dans la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (loi Hpst) : « La mise en œuvre du projet régional de santé peut faire l’objet de contrats locaux de santé conclus par l’agence, notamment avec les collectivités territoriales et leurs groupements, portant sur la promotion de la santé, la prévention, les politiques de soins et l’accompagnement médico-social ». Le contrat local sert de support à la mise en œuvre du projet régional de santé ; mais il n’est pas une reconnaissance des initiatives des communes, même si des représentants des communes peuvent être présents au cours de l’élaboration du projet, par l’intermédiaire des instances de l’Ars.
II. La territorialisation du système de santé
La suite du présente article est à découvrir
dans l’ouvrage 40 regards sur 40 ans de décentralisation(s)
(Toulouse, Editions L’Epitoge ; 2 mars 2022).
Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2022 ; Dossier 09 – 40 ans de décentralisation(s) ;
dir. F. Crouzatier-Durand & M. Touzeil-Divina ; Art. 398.
[1] Pitcho B., « Fébrilité́, incertitudes et hésitations au temps du Covid-19 », Revue générale de droit médical, 2020, n°75, p. 27 et s.
[2] Pontier J-M., « Expertise scientifique et décision politique dans la lutte contre l’épidémie de Covid-19 », Revue générale de droit médical, 2020, n°76, p. 43 et s.
[3] Petit J., « Les réquisitions de personnes, biens et services dans la crise de la Covid-19 », Revue générale de droit médical, 2020, n°76, p. 61 et s.
[4] Roger V. & Spiri J., « Santé : la nécessaire décentralisation »,L’Opinion, 14 mai 2020.
[5] « L’appel des 50 pour une décentralisation de la santé », Le Point, 20 mai 2021.
[6] Ministère des solidarités et de la santé, « Ségur de la santé, les conclusions », Dossier de presse, juillet 2020.
[7] Sous des intitulés ambitieux, les mesures 10, 30, 32 et 33 contiennent des engagements modestes pour « associer » les élus aux instances de décision régionales.
[8] « La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique. Elle comprend notamment… le soin de prévenir par des précautions convenables et de faire cesser… les accidents et les fléaux calamiteux… tels que… les maladies épidémiques ou contagieuses, de pourvoir d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours ».
[9] Rapport de l’inspection générale des affaires sociales n°2004 – 146, octobre 2004, « Évaluation des actions confiées par l’État aux services communaux d’hygiène et de santé ».
[10] Bourgueil Y., « L’action locale en santé : rapprocher soins et santé et clarifier les rôles institutionnels », Sciences sociales et santé, 2017, n°1, p. 97 et s.
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