Editorial

ParJDA

Editorial

par Mme Lucie SOURZAT
Doctorante en droit public
Université Toulouse 1 Capitole – EA 785 – Institut du droit de l’espace, des territoires, de la culture et de la communication (IDETCOM)

& M. Clemmy FRIEDRICH
Docteur en droit public
Université Toulouse 1 Capitole – EA 4657 – Institut Maurice Hauriou (IMH)

avec la complicité de Mme le Professeur Hélène HOEPFFNER
Université Toulouse 1 Capitole – EA 1919 – Institut des Etudes Juridiques de l’Urbanisme, de la Construction, et de l’environnement (IEJUC)

Art. 211. Avec le recul de plus d’une année, il est possible de proposer une première appréciation de la réforme de la commande publique. Cette appréciation est encore suspendue à la formalisation d’un code de la commande publique. La codification projetée doit s’effectuer à droit constant. Elle est assez ambitieuse. Il s’agit d’une mise en ordre de tout le droit applicable à la commande publique en vue d’assurer une unité source de simplification.

La réforme a été saluée à de nombreux égards même si personne ne l’imagine hors de portée de toutes critiques. Les nombreux dossiers que lui a consacrés la doctrine en attestent du reste. Plusieurs colloques en traitent, comme celui qui s’est tenu au Conservatoire national des arts et métiers : « L’exécution des contrats administratifs » (27 et 28 avril 2017), ou bien celui à venir à l’Université de Strasbourg : « La commande publique, un levier pour l’action publique ? » (12 et 13 octobre 2017). Les praticiens se sont pareillement emparés de ce sujet : « Le juge administratif, l’avocat et la commande publique » (20 février 2017, organisé à la cour administrative d’appel de Paris).

Les attentes que les uns et les autres ont déposés dans cette réforme, la satisfaction ou les désillusions que celle-ci a suscitées en retour ne doit pas faire perdre de vue l’inflation normative qu’elle consomme. On a pu recenser près de cent cinquante décrets depuis les années 1980 (certes, de valeur inégales), une cinquantaine de lois (affectant à des divers égards ce que nous dénommons aujourd’hui le droit de la commande publique), ainsi qu’une quinzaine d’ordonnances et trois codes des marchés publics depuis les années 2000.

On ne peut qu’être saisi en relevant que les objectifs poursuivis en 2016 sont peu ou prou analogues à ceux qui ont été affectés en 2001 : simplifier le droit (incidemment en veillant à son harmonisation avec le droit communautaire) ; moderniser les procédures de passation afin d’améliorer l’efficacité de la commande publique, l’innovation et les pratiques d’achat (en vue de renforcer la sécurité juridique) en conférant une place privilégiée à la négociation. Enfin il s’agit d’ouvrir la commande publique aux Pme et d’encadrer l’exécution. En bref : rationaliser, sécuriser, optimiser, innover (cf. le colloque organisé par la Daj à Bercy le 15 avril 2016 : « La commande publique, une réforme au service de l’économie »). Indépendamment des apports positifs, la réforme suscite quelques critiques. Toutefois nous sommes loin de celles qu’avaient suscitées les codes de 2004 et 2006. Cela apparaît d’autant plus vérifiable que des ajustements (notamment de la loi Mop et de la loi sur la sous-traitance) et l’entrée en vigueur du code devraient relativiser les inquiétudes actuelles.

Les principaux apports résultent d’une harmonisation attendue avec le droit européen (la dichotomie marché/concession ; la consécration d’une définition européenne des marchés publics, etc.) grâce à la transposition des directives européennes du 26 février 2014 (directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l’attribution de contrats de concession ; directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE et la directive 2014/25/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 relative à la passation de marchés par des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux et abrogeant la directive 2004/17/CE) ne se limitant pas à un objectif concurrentiel, mais visant aussi à satisfaire des objectifs sociaux et environnementaux (voir notamment sur ce sujet L. Richer, « La concurrence concurrencée : à propos de la directive 2014/24 du 26 février 2014 », CMP 2015, n° 2, étude 2). Il a aussi été question d’abandonner une incongruité historique (l’abrogation du décret-loi donnant délégation au Gouvernement pour réglementer les marchés des collectivités territoriales) avec l’adoption de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite aussi « Loi Sapin 2 ». Autrement dit, ces apports sont d’autant plus acclamés qu’ils se faisaient désirer par la doctrine. D’autres mutations non négligeables procèdent peut-être de la réception par le droit de la pratique du sourcing et, au-delà, de l’élargissement des hypothèses où les soumissionnaires concourent à la définition de l’offre. L’achat public tend à se transformer de sorte à ce qu’il renvoie moins à une procédure unilatérale requérant l’adhésion des acteurs économiques, qu’à une association par laquelle les acheteurs publics définissent seuls leurs besoins tout en ménageant aux premiers une latitude pour soumettre des offres dont les aspects techniques correspondent au mieux aux besoins à satisfaire (c’est le versant innovation de ladite réforme).

Cette évolution est séduisante à maints égards : on nous dit qu’elle favorisera l’innovation, là où les acheteurs publics ne sont pas nécessairement habiles pour définir les caractéristiques de l’offre correspondant à leurs besoins. D’un autre côté, elle doit interroger sur la réelle capacité des acheteurs publics à être des interlocuteurs éclairés dans une relation de négociation où l’expertise n’est pas nécessairement partagée de part et d’autre.

Il n’en reste pas moins que les acheteurs publics sont d’une grande diversité : l’enjeu de la réforme de la commande publique est certainement d’offrir un cadre dans lequel chacun puisse recourir à des procédures dont la technicité soit adaptée à ses besoins, mais aussi à la compétence des agents ayant vocation à y recourir. Nul doute que, à ce point de vue, la réception de cette réforme soit contrastée.

De nombreux avis d’appel public à la concurrence récemment publiés attestent que la prégnance du code des marchés publics est encore forte. Il n’est pas rare de le voir encore visé dans certains avis d’appel public à la concurrence publiés au Boamp. Il se pourrait, en premier lieu, que la réforme n’ait pas été très bien réceptionnée par les acteurs locaux. Ainsi les ordonnances seraient-elles considérées comme de simples amendements apportés au code sans pour autant avoir eu pour effet de l’abroger. Mais l’explication pourrait aussi être « psychologique ». En effet, l’habitude de faire usage du code des marchés publics a pu nouer une relation presque « affective » à l’égard de ce dernier, si bien que certains acheteurs publics peinent à s’en détacher (éléments recueillis à partir de cas concrets traités par Me Lapuelle, avocat au barreau de Toulouse). Ainsi, un an après la réforme, une forme de sacralisation du code des marchés publics par les acteurs locaux l’emporterait encore sur les textes l’ayant pourtant abrogé.

Quant aux contrats de concession, ils suscitent de nombreuses interrogations, source d’insécurité juridique. Il en va, par exemple, de la prolongation des contrats en cours d’exécution. En effet, l’abrogation de l’article L. 1411-2 du code général des collectivités territoriales permettant de prolonger une convention de délégation de service public pour un motif d’intérêt général ou bien en cas d’investissements nouveaux inquiète les praticiens. Obligés de se référer désormais aux dispositions de l’article 55 de l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 ainsi qu’à celles de l’article 36 du décret n° 2016-86 du 1er février 2016 portant sur la modification du contrat en cours d’exécution, l’heure est aux questionnements. L’interprétation à leur donner désappointe des praticiens pour lesquels la jurisprudence n’est encore d’aucun secours. Le risque de heurter l’efficacité de la commande publique pourtant si recherchée par la réforme semble avéré à certains égards.

Enfin d’autres zones d’ombres émergent de la réforme et ce notamment de la suppression des montages contractuels complexes au profit de l’unique formule du marché de partenariat. La dite problématique se trouve être d’autant plus visible que des « petits montages » aller-retour utilisés autrefois par les collectivités territoriales sont désormais interdit sans que, compte tenu des montants en jeu, ces dernières puissent recourir au marché de partenariat.

Finalement, la simplification tant attendue générée par la réforme n’apparaît pas entièrement acquise au premier abord. Le contraire eût été surprenant. Toute réforme charrie avec elle une instabilité qui ne se dissipe qu’après ses premières années de jeunesse. Aussi le succès de la réforme de la commande publique réside-t-il autant dans sa réception par les praticiens que dans sa pérennité. Espérons que le futur code de la commande publique projetée pour 2018 saura rassurer les acteurs de la commande publique.

Cependant, la commande publique n’a jamais été un objet apprêté à la seule satisfaction des besoins des personnes publiques. Elle se complique d’autres enjeux – sociaux, économiques ou environnementaux entre autres – qui font craindre qu’elle ne subisse encore de nouvelles modifications. Dans le cadre du colloque annoncé à l’université Strasbourg, elle y est envisagée comme « un instrument de la ‘‘réforme de l’État’’ » (cf. la présentation du programme). Et si le colloque de Bercy présentait notre réforme comme « une réforme au service de l’économie », n’y aura-t-il pas de bonnes raisons de modifier prochainement le droit de la commande publique ? Rien ne serait plus faux que de présenter les auteurs de cette réforme comme des apprentis sorciers. Celant étant dit, ce droit s’offre sous de trop nombreux aspects pour conserver cette stabilité qu’on pourrait lui désirer. S’est-on seulement défini ce que l’on attendait de lui ?

Pour le Journal du droit administratif,

à Toulouse et Paris, le 10 octobre 2017.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 05 : « La réforme de la commande publique, un an après : un bilan positif ? » (dir. Hœpffner, Sourzat & Friedrich) ; Art. 211.

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À propos de l’auteur

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Le JDA (Journal du Droit Administratif) en ligne a été (re)fondé en 2015 à Toulouse. Son ancêtre le "premier" JDA avait été créé en 1853 par les professeurs Adolphe Chauveau & Anselme Batbie. Depuis septembre 2019, le JDA "nouveau" possède un comité de rédaction dirigé par le professeur Mathieu Touzeil-Divina et composé à ses côtés du Dr. Mathias Amilhat ainsi que de M. Adrien Pech.

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