Errance animale et co-errance du droit

ParJDA

Errance animale et co-errance du droit

Art. 370.

Cet article fait partie intégrante du dossier n°08 du JDA :
L’animal & le droit administratif
… mis à la portée de tout le monde

par M. Loïc Peyen
Maître de conférences en droit public
Université Toulouse 1 Capitole – IEJUC (EA 1919)

Renvoyant aux (in)certitudes de l’homme dans ses rapports avec ce qui n’est pas humain, l’errance animale donne à voir un droit administratif en manque de cohérence lorsqu’il la saisit.

Il faut dire que le sujet n’est pas simple à appréhender. D’une part, au-delà de son nom, il a une très forte imprégnation anthropocentrique dans la mesure où il s’agit d’un concept construit par l’homme au regard de lui-même et de ses intérêts : l’errance animale désigne un état de l’animal dans les sociétés humaines. D’autre part, « l’errance animale » peut paraître comme une curiosité vis-à-vis de l’ordre naturel du monde car « errer », qui renvoie à l’action d’aller sans but clair, de se mouvoir sans direction précise[1], est un comportement on ne peut plus normal pour l’animal dans la nature : allant et venant au gré de ses besoins et des circonstances, il est par définition libre. De ce fait, l’errance animale, qui est résolument une construction sociale appréhendant une situation hélas bien réelle, renvoie moins à l’animal « sauvage » qu’à l’animal se trouvant dans les sociétés humaines.

Il est regrettable que le sujet ne soit pas défini en droit positif, notamment en droit administratif, alors même qu’il ne lui est pas inconnu. En effet, le code rural et de la pêche maritime, pour l’essentiel, s’intéresse aux animaux qui errent dans les sociétés humaines lato sensu sans détenteur ou maître apparent (v. spéc. ses art. L. 211-20 et s.). Il est question des espèces et animaux domestiques– notion dont la teneur est précisée par l’arrêté du 11 août 2006 fixant la liste des espèces, races ou variétés d’animaux domestiques[2] – ainsi que des animaux ou espèces sauvages, id est qui n’ont pas été sous le contrôle de l’homme, que ces derniers soient entièrement libres ou apprivoisés ou tenus en captivités : en somme, le concept peut s’appliquer à tous les animaux sans distinction. Il existe cependant une différence entre « l’errance » simple et « l’état de divagation » (v. par ex. c. rur. et de la pêche maritime, L. 211-24) : là où la première est une qualification générale et englobante, le second renvoie davantage à la situation des animaux ayant a priori un maître (c’est-à-dire les animaux domestiques et les animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivités) mais qui ne se trouvent pas sous la surveillance effective de ce dernier (c. rur. et de la pêche maritime, art. L. 211-23)[3]. Ceci permet de comprendre l’interdiction « de laisser divaguer les animaux domestiques et les animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité » (c. rur. et de la pêche maritime, art. L. 211-19-1), qui a des destinataires précis (les « maîtres »), là où une interdiction de laisser errer les animaux serait plus incantatoire – à moins qu’elle ne s’adresse aux pouvoirs publics eux-mêmes (v. infra). Quoi qu’il en soit, il ne sera pas ici distingué entre ces deux situations, formellement distinctes, l’errance animale pouvant globalement embrasser toutes les hypothèses, notamment celles dans lesquelles un animal vagabonde sans détenteur ou maître apparent[4].

Ce sujet est d’importance pour plusieurs raisons. D’abord, d’un point de vue quantitatif, plusieurs centaines de milliers d’animaux errent en France aujourd’hui ; aussi, si en dépit de cette estimation l’appréhension de la problématique est relativement discrète au niveau national[5] – l’essentiel des actions étant menées au niveau local –, certains territoires sont plus affectés que d’autres, comme celui de La Réunion où 73 000 chiens errants ont été recensés pour l’année 2018[6], dont 43000 sans propriétaire. Ensuite, d’un point de vue plus « qualitatif », ces animaux sont à l’origine de bon nombre de problèmes, de nature et d’intensité différentes : sécurité publique (risque d’attaques, accidents de la route, etc.), salubrité publique (transmission de maladies, etc.), atteinte aux activités économiques (tourisme, atteinte aux biens et aux élevages, etc.), atteinte à l’environnement (prédation d’espèces, etc.), etc. Enfin, le sujet est d’une importance philosophique et juridique significative en ce qu’il interroge sur la place qu’il convient d’accorder à l’animal dans la société et sur la responsabilité de l’homme à cet égard : en effet, au-delà des conséquences pour l’homme et ses intérêts (notamment), c’est bien pour ces « êtres vivants doués de sensibilité » (c. civ., art. 515-14 ; c. rur. et de la pêche maritime, art. L. 214-1) que la situation est la plus délétère, ainsi que le montre par exemple l’obligation règlementaire d’euthanasier sans délai les animaux errants ou en état de divagation lorsqu’ils sont en état de « misère physiologique » dans les départements et régions d’outre-mer (c. rur. et de la pêche maritime, art. R. 271-9).

Ce phénomène aux causes multiples – l’animal étant un « bien de consommation », il se retrouve souvent « libre » en raison des agissements des propriétaires (permissivité, négligence, abandon, etc.), ce qui alimente le cycle de l’errance animale, déjà traversé par des dynamiques propres (de reproduction d’animaux, par exemple) – n’est pas inconnu au droit administratif. Or, il s’avère que ce dernier ne s’intéresse que très partiellement de la problématique, au point de se demander s’il l’appréhende réellement.

En effet, du point de vue des pouvoirs publics, la question de l’errance animale est saisie au travers de deux approches : négative, au vu des troubles à l’ordre public qu’elle peut engendrer (I), et positive, lorsqu’il s’agit de résorber le phénomène en lui-même (II).

I. L’appréhension négative de l’errance animale

L’errance animale est de lege lata essentiellement saisie parce qu’elle est possiblement source de troubles à l’ordre public ; cela explique les diverses mesures existantes en la matière, dont certaines sont spécifiquement relatives à la divagation animale.

En effet, le législateur a instauré une interdiction générale, issue de l’ordonnance n° 2006-1224 du 5 octobre 2006 prise pour l’application du II de l’article 71 de la loi n° 2006-11 du 5 janvier 2006 d’orientation agricole[7], et inscrite aujourd’hui à l’article L. 211-19-1 du code rural et de la pêche maritime, aux termes de laquelle : « il est interdit de laisser divaguer les animaux domestiques et les animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité ». Il s’agit là de responsabiliser les maîtres afin d’agir à la source sur l’errance animale. De la même façon, les maires disposent d’un pouvoir de police spéciale pour prendre « toutes dispositions propres à empêcher la divagation des chiens et chats » (c. rur. et de la pêche maritime, art. L. 211-22), qui sont des animaux auquel le droit actuel accorde une importance particulière.

Cela ne signifie pas pour autant que l’attention du législateur se focalise exclusivement sur ces derniers : les maires peuvent agir plus largement en mobilisant leurs pouvoirs de police générale (CGCT, art. L. 2212-2) car ils doivent « assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques », ce qui implique notamment « d’obvier ou de remédier aux évènements fâcheux qui pourraient être occasionnés par la divagation des animaux malfaisants ou féroces »[8]. Partant, dès le moment où l’errance animale est susceptible de troubler l’ordre public, l’intervention du maire, voire du représentant de l’État dans le département (CGCT, art. L. 2215-1) se justifie. Pareillement, dans les départements et régions d’outre-mer, « lorsque des chiens ou des chats non identifiés, trouvés errants ou en état de divagation, sont susceptibles de provoquer des accidents ou de présenter un danger pour les personnes ou les animaux, le maire ou, à défaut, le préfet, ordonne leur capture immédiate et leur conduite à la fourrière ou dans des lieux adaptés, désignés par le préfet pour les recevoir » (c. rur. et de la pêche maritime, art. R. 271-9). En revanche, si l’errance pourrait être considérée per se comme une situation de maltraitance animale, le maire ne saurait agir sur ce seul motif car « les mauvais traitements envers les animaux ne relèvent ni du bon ordre ni de la sécurité ou de la salubrité publiques »[9].

De façon assez classique, la responsabilité de la commune peut être engagée quand l’autorité de police n’a pas agi[10] ou, du moins, pas suffisamment, notamment lorsqu’elle n’a pas accompli les démarches pour assurer le respect effectif des mesures adoptées sur le territoire communal[11]. Pour cela, elle doit avoir été en mesure d’intervenir au vu des circonstances[12]. Dès lors, le maire peut aller jusqu’à ordonner l’euthanasie des animaux concernés si nécessaire[13] et même prescrire leur abatage immédiat en cas de danger[14]. Dans tous les cas, l’autorité de police doit respecter l’exigence de proportionnalité qui s’impose à elle : elle ne peut obliger les détenteurs de chiens circulant dans certaines zones déterminées de prendre toute disposition pour permettre l’identification génétique de ces animaux, surtout lorsqu’est envisagé le fichage des propriétaires[15].

Côté administré, le non-respect des obligations est sanctionné par une amende prévue pour les contraventions de 1ère classe (c. pén., art. R. 610-5), qui peut s’élever au plus à 38 euros (c. pén., art. 131-13), ce qui est assez peu dissuasif. Cependant, dans le cas où l’animal en question est susceptible de présenter un danger pour les personnes, l’amende prévue est celle des contraventions de 2e classe (c. pén., art. R. 622-2), soit 150 euros au plus (c. pén., art. 131-13, précité).

De façon plus spécifique, et toujours en lien avec l’ordre public, l’errance animale peut être une question de salubrité publique et entraîner l’intervention de plusieurs autorités étatiques, nationales (CSP, art. L. 1311-1) ou locales (CSP, art. L. 1311-2). En témoignent plusieurs règlements sanitaires départementaux, comme celui de Haute-Garonne[16], qui, reproduisant le règlement sanitaire départemental type[17], prévoient la chose suivante : « Il est interdit de jeter ou de déposer des graines ou nourriture en tous lieux publics pour y attirer les animaux errants, sauvages ou redevenus tels, notamment les chats ou les pigeons ; la même interdiction est applicable aux voies privées, cours ou autres parties d’un immeuble lorsque cette pratique risque de constituer une gêne pour le voisinage ou d’attirer les rongeurs. Toutes mesures doivent être prises si la pullulation de ces animaux est susceptible de causer une nuisance ou un risque de contamination de l’homme par une maladie transmissible » (art. 120)[18].

Enfin, d’une approche plus environnementale, parce que l’errance animale peut être délétère pour l’environnement, les directeurs de parcs nationaux exercent dans le cœur des parcs les compétences attribuées au maire, ce qui comprend non seulement « la police de destruction des animaux non domestiques prévue aux articles L. 427-4 et L. 427-7 [du code de l’environnement] » mais aussi, de façon plus essentielle, « la police des chiens et chats errants prévue à l’article L. 211-22 du code rural et de la pêche maritime » (c. env., art. L. 331-10).

Il ressort de tous ces éléments que l’errance animale n’est pas, sur ces fondements, un problème en soi. Même si le maire peut, sur la base de l’article L. 211-22 du code rural et de la pêche maritime, adopter des mesures pour limiter l’errance des chiens et des chats, l’essentiel de ces pouvoirs ne concerne que la protection de l’ordre public. La doctrine administrative en atteste en imposant au maire, sur la base de ces articles L. 2212-2 du CGCT et L. 211-22 du code rural et de la pêche maritime, « la prévention des troubles causés par des animaux errants dans sa commune »[19]. La jurisprudence elle-même avait déjà, dans un fameux arrêt, relevé le but de service public de ces missions[20]. Dès lors, puisque dans une certaine mesure « le droit administratif ne s’intéresse à l’animal qu’à travers les activités humaines »[21], il est plus simple actuellement de lutter contre l’errance animale en se référant à l’ordre public qu’en la dénonçant pour elle-même. La protection des animaux et de leur bien-être, dans le cadre de l’errance animale, ne peut alors se faire de façon satisfaisante qu’à la condition de les considérer comme un risque pour l’ordre public, ce qui implique non de les voir comme des victimes, mais comme des « suspects ». Cela dit, encore faut-il les mesures adoptées soient favorables à leur sort.

II. L’appréhension positive de l’errance animale

L’appréhension « positive » de l’errance animale renvoie à la façon dont le phénomène est résorbé et, en d’autres termes, sur l’action a posteriori des autorités publiques, lorsque les animaux se trouvent déjà en situation d’errements.

Les maires disposent essentiellement d’un « pouvoir de capture » consistant à permettre la capture des animaux errants et leur reconduite dans un « lieu de dépôt » qu’il aura désigné, qu’il s’agisse d’une fourrière ou non ; cela vaut notamment pour les animaux errants qui sont trouvés pacageant dans certains lieux (c. rur. et de la pêche maritime, art. L. 211-20), pour les animaux d’espèces sauvages apprivoisés ou tenus en captivités trouvés errants et qui sont saisis sur le territoire de la commune (c. rur. et de la pêche maritime, art. L. 211-21) ainsi que pour les chiens et chats (c. rur. et de la pêche maritime, art. L. 211-22).

La mise en œuvre de ce pouvoir de capture peut se faire par différents biais : soit par les agents de la police municipale, ces derniers étant chargés d’assurer l’exécution des arrêtés de police du maire (CSI, art. L. 511-1[22]) ; soit, en cas de danger, par les agents des services d’incendie et de secours, chargés de la protection des personnes, des biens et de l’environnement (CGCT, art. L. 1424-2[23]) ; soit, après sollicitation du préfet, par les agents de la police nationale ou de la gendarmerie nationale (v. respectivement CSI, art. L. 411-1 et art. L. 421-1 et s.) ; soit par des entités privées chargées des activités de fourrière municipale[24] ; soit, enfin, par les propriétaires, locataires, fermiers ou métayers dans les propriétés dont ils ont l’usage (c. rur., art. L. 211-21).

Plusieurs obligations s’imposent alors à la commune. D’abord, elles doivent avoir à disposition une fourrière communale ou, le cas échéant, une fourrière établie sur le territoire d’une autre commune, avec l’accord de cette commune (c. rur. et de la pêche maritime, art. L. 211-24), ce qui peut se faire par l’intermédiaire d’une intercommunalité[25]. Le juge administratif y voit un « service public communal obligatoire »[26] dont l’externalisation est possible[27]. Ensuite, la population doit être informée « des modalités selon lesquelles les animaux mentionnés aux articles L. 211-21 et L. 211-22, trouvés errants ou en état de divagation sur le territoire de la commune, sont pris en charge » (c. rur. et de la pêche maritime, art. R. 211-12). Ainsi, dès le moment où aucun lieu de dépôt n’est identifié par le maire, les mesures qu’il adopte peuvent être regardées « comme dénuées de véritable caractère exécutoire et [n’avoir], par suite, aucun effet sur la persistance de la divagation de ces animaux » [28], ce qui peut engager la responsabilité de la commune. Ces obligations ne sont donc pas à prendre à la légère, d’autant que l’installation de ces structures est facilitée du point de vue du droit de l’urbanisme : même si elles sont des installations classées pour la protection de l’environnement soumises à déclaration ou enregistrement selon le nombre d’animaux qu’elles contiennent, elles peuvent être considérées comme étant liées à l’agriculture et à l’élevage, ce qui autorise leur implantation dans les zones N et A des plans locaux d’urbanisme[29].

Une fois les animaux errants capturés, toute une procédure s’enclenche (c. rur. et de la pêche maritime, art. L. 211-25 et L. 211-26). L’identification de l’animal et du propriétaire, qui devra s’acquitter des frais engagés pour récupérer son animal (c. rur. et de la pêche maritime, art. L. 211-24 et L. 211-26), est importante : si cela n’est pas possible, l’animal est considéré comme abandonné et devient la propriété du gestionnaire qui peut soit le garder en fourrière, soit le céder à titre gratuit à des fondations ou à des associations de protection des animaux disposant d’un refuge, qui sont seules habilitées à proposer les animaux à l’adoption à un nouveau propriétaire, soit le faire euthanasier. Il est à noter que les maîtres ne sauraient demander la restitution de l’animal si, en l’absence de démarche d’identification, ce dernier a été retrouvé et réapproprié par quelqu’un d’autre[30].

Cela dit, ces obligations et ces procédures imposées par le législateur sont tardives : elles n’interviennent qu’une fois l’animal capturé. Pour le dire autrement, elle est totalement indépendante du recueil de ces animaux qui n’est aucunement imposé aux pouvoirs publics, hormis les cas où la protection de l’ordre public l’exige. Si le circuit de prise en charge de l’animal est bien établi – et quelles que soient les critiques qui pourraient lui être adressées –, c’est précisément l’intégration dans ce circuit qui est problématique. L’appréhension positive de l’errance animale – pour elle-même, donc – est conséquemment extrêmement pauvre au niveau juridique.

Il convient toutefois de signaler qu’une spécificité existe à l’article L. 211-27 du code rural et de la pêche maritime, aussi connu sous le nom de dispositif « chats libres » : dans les département indemnes de rage ou, sur dérogation, dans certaines communes se trouvant sur un département infecté, le maire peut faire procéder, de son initiative ou sur demande d’une association de protection des animaux, à la capture de chats « non identifiés, sans propriétaire ou sans détenteur, vivant en groupe dans des lieux publics de la commune, afin de faire procéder à leur stérilisation et à leur identification [au nom de la commune ou de ladite association, qui deviennent de fait responsables de ces animaux] préalablement à leur relâcher dans ses mêmes lieux »[31]. Ce système présente plusieurs avantages : il permet de ne pas encombrer les fourrières puis les refuges, d’assurer un suivi sanitaire des animaux tout en assurant leur protection et aussi d’éviter la recolonisation des sites par de nouveaux félins) [32]. Néanmoins, cette disposition interpelle. Outre le fait qu’il est compliqué de savoir quels sont les animaux réellement non identifiés avant leur capture – même si la pratique associative peut aider à surmonter cette (petite) difficulté – il peut être curieux que la collectivité communale assume seule la responsabilité – notamment financière[33] – de ces animaux errants, même si cela assure une prise en charge minimale de ces animaux. En effet, leur prolifération résultant la plupart des cas d’(in)actions de propriétaires indélicats, un tel dispositif revient à faire peser sur la collectivité les conséquences d’acte d’autrui, même s’il est possible de s’interroger sur la possibilité de solutions alternatives. Surtout, le fait qu’est prévu le relâcher des chats dans ces lieux est très discutable : même stérilisés, ces animaux, parce qu’ils sont des prédateurs, constituent volens nolens un danger pour l’environnement[34]. De fait, une telle disposition place les communes dans une position inconfortable : agissant pour la cause animale (notamment), elles doivent adopter un comportement possiblement délétère pour l’environnement. Là, parce que la considération animale heurte de plein fouet la considération environnementale, il est permis de s’interroger sur la compatibilité de cette disposition avec les dispositions constitutionnelles – et législatives – de protection de l’environnement, notamment celles résultant des articles 2 et 3 de la Charte de l’environnement.

En tout état de cause, il peut être surprenant qu’il n’y ait pas de plan national d’action contre l’errance animale, en dépit des revendications des associations de protection des animaux. Quelques plans locaux existent, comme le plan de lutte contre l’errance animale adopté le 3 février 2017 par le préfet de La Réunion. La Convention-cadre relative au plan de lutte contre l’errance animale sur le territoire de La Réunion qui le formalise lie l’État et plusieurs intercommunalités – donc, des collectivités locales – ainsi que le Groupe d’Étude Vétérinaire sur l’Errance des Carnivores à La Réunion, et a, en substance, un objet simple : les collectivités agissent, l’État soutient (finance). Mais, là encore, les acteurs de la société civile ne sont pas pleinement satisfaits.

En fait, l’imperfection de ce cadre juridique s’explique par la volonté de ne faire intervenir les pouvoirs publics que dans un deuxième temps, après la responsabilisation des acteurs privés[35]. La priorité est ostensiblement d’agir sur « les causes du phénomène, c’est-à-dire sur les abandons et les reproductions incontrôlées »[36]. Il en résulte que l’errance animale n’est pas appréhendée sous toutes ses facettes et que bon nombre de voies ne sont pas explorées par les pouvoirs publics, qui avancent à tâtons et ne veulent pas se saisir pleinement du sujet. En définitive, l’homme ne paraît pas encore être le meilleur ami de l’animal…

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), Dir. Pech / Poirot-Mazères
/ Touzeil-Divina & Amilhat ;
L’animal & le droit administratif ; 2021 ; Art. 370.


[1] Dictionnaire Larousse (disponible en ligne : www.larousse.fr), entrée « errer ».

[2] JORF n° 233 du 7 octobre 2006, texte n° 45.

[3] Pour quelques exemples d’application de la qualification au bétail, v. CE, 10 avril 1996, n° 128674 ; CE, 25 juillet 2007, Ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement, n° 293882.

[4] Il est à noter que certains considèrent que le code « n’établit pas de distinction entre l’état d’errance et l’état de divagation », puisqu’« un animal errant, n’ayant pas de propriétaire ou de maître apparent, est forcément en état de divagation » (M. Bahouala, « Les pouvoirs de police du maire en matière d’animaux errants et d’animaux dangereux », AJCT, mars 2020, p. 121-121, spéc. p. 121-122). Si le propos n’est pas nécessairement faux, il est discutable au vu de la lettre du code qui opère une distinction formelle – et non forcément matérielle – ; en revanche, il peut être vrai selon la lecture retenue de « l’état de divagation », selon qu’elle retienne le sens commun ou le sens « textuel » de l’expression.

[5] Il n’y a, par exemple, aucun plan de lutte au niveau national, la problématique n’apparaissant qu’au détour d’autres sujets, à l’instar du Plan d’actions pour lutter contre l’abandon des animaux de compagnie (v. le volet n° 2, à propos de la stérilisation des animaux errants) ou des aides mises en place pour la prise en charge des animaux abandonnés (v. le site du Ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance, https://www.economie.gouv.fr/plan-de-relance/profils/particuliers/soutien-animaux-abandonnes-fin-de-vie?xtor=ES-39-%5bBI_210_20210316%5d-20210316-%5bhttps://www.economie.gouv.fr/plan-de-relance/profils/particuliers/soutien-animaux-abandonnes-fin-de-vie).

[6] V. la très intéressante étude s’intéressant à l’île : EPLEFPA-CFPPA de Saint-Paul, L’errance des carnivores domestiques à La Réunion, 2017-2018, 2018, p. 96. Sur le sujet, v. aussi Rép. Min. n° 04971, JO S, 17 mai 2018, p. 2319 ; Rép. Min. n° 21807, JO AN, 5 novembre 2019, p. 9791.

[7] JORF n° 232 du 6 octobre 2006, texte n° 32.

[8] P. Combeau, « Le maire face aux animaux dangereux », RSDA, n° 1-2, 2019, p. 57-66.

[9] CAA Nancy, 15 novembre 2010, n° 09NC01433 : AJDA 2011. 1446, note F. Nicoud.

[10] TA Bastia, 3 mai 1985, Marchetti

[11] V. arrêt Ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement, précité.

[12] Absence de responsabilité de la commune lorsque le maire n’a pas été averti de la présence de chiens errants dans la ville et n’a donc pas commis de faute : CE, 16 octobre 1987, n° 58465.

[13] CAA Bordeaux, 20 mars 2010, Min. de l’Intérieur, de l’Outre-mer et des collectivités territoriales, n° 09BX00439 : AJDA 2010. 2100, note Vié. V. aussi c. rur. et de la pêche maritime, art. L. 211-11 et L. 211-20, L. 211-21.

[14] À propos de la lutte contre la rage, et sur le fondement de l’ancien article 232-4 du code rural (actuel art. L. 223-13) : CE, Ass., 7 octobre 1977, n° 05064.

[15] CAA Marseille, ord., 30 novembre 2016, n° 16MA03774 : AJCT 2017, 223, obs. Bahouala.

[16] Adopté par arrêté du 23 février 1979, complété en dernier lieu le 24 mai 2006.

[17] Circulaire du 9 août 1978 relative à la révision du règlement sanitaire départemental type, JORF du 15 septembre 1978, n° complémentaire (art. 120).

[18] Cette disposition n’est pas particulièrement originale dans la mesure où elle est issue de la circulaire du 9 août 1978 relative à la révision du règlement sanitaire départemental type, JORF du 15 septembre 1978, n° complémentaire (art. 120).

[19] Rép. Min. n° 56681, JO AN, 17 mai 2005, p. 5133.

[20] CE, 4 mars 1910, Thérond, n° 29373 : GAJA, n° 19.

[21] H. Pauliat, « Les animaux et le droit administratif », Pouvoirs, n° 131, 2009/4, p. 57-72, spéc. p. 72.

[22] V. aussi l’arrêté du 17 septembre 2004 fixant les conditions techniques d’utilisation des projecteurs hypodermiques par les agents de police municipale pour la capture des animaux dangereux ou errants, JORF n° 223 du 24 septembre 2004, texte n° 18.

[23] V. aussi l’art. 46 de la loi n° 2004-811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile, JORF n° 190 du 17 août 2004, texte n° 3.

[24] Rép. Min. n° 56681, op. cit. ; Rép. Min. n° 52929, JO AN, 19 mars 2001, p. 1702.

[25] Rép. Min. n° 02617, JO S, 25 juin 2009, p. 1608.

[26] CE, 13 juillet 2012, Commune d’Aix-en-Provence, n° 358512.

[27] V. aussi arrêt Thérond précité.

[28] À propos de l’article L. 211-1 du code rural, avec lequel l’analogie n’est pas impossible : CAA Marseille, 19 juin 2006, M. Jean X, n° 05MA00681.

[29] CE, 1er octobre 1993, Ville d’Albi, n° 88842.

[30] Cass., Civ. 2e, 15 avril 1999, n° 97-17-420.

[31] Il est à noter que la proposition de loi n° 3661 visant à renforcer la lutte contre la maltraitance animale, actuellement en discussion, entend accroitre la stérilisation des chats errants en la rendant automatique (art. 4) ; Rapport sur la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la maltraitance animale (n° 3661 rectifié), AN, n° 3791, 20 janvier 2021, p. 25-26.

[32] Sur ce point, v. la Rép. Min. n° 15954, JO AN, 19 mars 2019, p. 2593 ou encore la Rép. Min. n° 20690, JO AN, 15 octobre 2019, p. 8730.

[33] Rép. Min. n° 14375, JO S, 13 août 2020, p. 3593.

[34] V. sous l’angle juridique F. Lemaire, « La protection des animaux à La Réunion. L’exemple du choix cornélien entre les chats et les pétrels », RSDA, n° 2, 2016, p. 249-275.

[35] Sur ces points, les Rép. Min. n° 15954 et n° 20690 précitées.

[36] Rép. Min. n° 13241, JO S, 30 janvier 2020, p. 541.


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