La décision du mois d’octobre : privatisation de l’aéroport de Toulouse-Blagnac

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La décision du mois d’octobre : privatisation de l’aéroport de Toulouse-Blagnac

Art. 267.

par Mathias AMILHAT,
Maître de conférences en Droit public – Université Toulouse 1 Capitole – IEJUC

Pour le mois d’octobre, et compte tenu de son ancrage toulousain, la décision du mois est l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 9 octobre à propos de la privatisation de l’aéroport de Toulouse-Blagnac (CE, 9 oct. 2019, Ministre de l’économie et des finances c/ M. G. et a. ; SAS CASIL Europe c/ M. G. et a., n°430538 et 431689). Alors que la question de la privatisation d’Aéroports de Paris est au cœur de l’actualité, c’est donc à propos d’une autre privatisation aéroportuaire que le Conseil d’Etat a dû se prononcer.

L’ouverture du capital de la société anonyme Aéroport Toulouse-Blagnac a été autorisée par un Décret du 12 juillet 2014 sous l’impulsion d’Arnaud Montebourg, alors ministre de l’économie. Ce n’est donc pas une privatisation de l’aéroport en tant que tel qui a été autorisée mais une privatisation de la société anonyme concessionnaire. Celle-ci était alors détenue à 60% par l’Etat. Le reste du capital était détenu par la Chambre de commerce et d’industrie de Toulouse (25%), par la région, le département et la communauté urbaine (5% chacun).

L’ouverture du capital a été organisée par un avis des ministres des finances et de l’économie publié le 18 juillet 2014 (https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000029257835&categorieLien=id). La cession des parts de l’Etat a été programmée en deux temps : tout d’abord une cession de gré à gré portant sur 49,99% du capital de la société et, ensuite, une option de vente de sa participation résiduelle. Il était prévu que la deuxième étape de la vente soit réalisée un à deux ans après la première étape mais les autres actionnaires historiques ont convaincu l’Etat de repousser ce projet. Le Conseil d’Etat n’a donc eu à connaître que de la première étape de cette opération de privatisation, celle conduisant l’Etat à céder 49,99% de ses parts dans la société anonyme Aéroport Toulouse-Blagnac.

L’opération de cession a été organisée au travers d’une procédure d’appel d’offres placée sous la responsabilité de l’Agence des participations de l’Etat. Cette procédure était régie par un cahier des charges publié sur le site de cette même agence. Parmi les différentes propositions reçues, c’est finalement celle du consortium chinois Symbiose qui a été choisie, comme l’a révélé un communiqué de presse du 4 décembre 2014. Sans revenir sur les modalités de cet appel d’offres, il est néanmoins possible de relever que la Cour des comptes a considéré que les critères fixés n’étaient pas nécessairement les plus pertinents… Quoi qu’il en soit, un contrat de cession a été signé le 7 avril 2015 entre le représentant de l’Agence des participations de l’Etat – le Ministre de l’Economie Emmanuel Macron ayant donné son accord – et la société Casil Europe. Cette dernière est une société française détenue par le consortium Symbiose. Le prix de l’action a été fixé à 4163 euros par un arrêté conjoint des ministres chargés des finances et de l’économie publié le 15 avril 2015.

Deux requêtes ont été déposées devant le Conseil d’Etat par deux ensembles de requérants dont la liste se recoupe en partie (leur nombre nous invite à renvoyer à la lecture de l’arrêt sur ce point). Par la première requête, les requérants demandaient l’annulation de la décision des ministres de l’économie et des finances – rendue publique le 4 décembre 2014 – retenant le consortium Symbiose parmi les candidats au rachat. Ils demandaient également l’annulation des avis préalables à cette décision rendus par la commission des participations et des transferts, ainsi que du refus opposé par l’Agence des participations de l’Etat à leur demande de communication de ces avis. Dans la seconde requête, les requérants demandaient au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêté conjoint du 15 avril 2015, mais aussi l’autorisation donnée par le ministre de l’économie le 7 avril 2015 ainsi que tous les actes et décisions attachés à cette autorisation, dont l’acte de cession du 7 avril 2015.

Le Conseil d’Etat s’est donc prononcé sur ses requêtes dans un arrêt rendu le 27 octobre 2015. Il a tout d’abord considéré que les conclusions dirigées contre le contrat de cession devaient être « rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître ». En effet, il a relevé que le contrat en cause ne répondait pas aux critères jurisprudentiels de définition du contrat administratif et devait donc être considéré comme un contrat de droit privé. Il a également rejeté les conclusions dirigées contre le refus de communiquer les avis préalables à la décision de sélectionner le consortium Symbiose. Les requérants n’avaient pas saisi la Commission d’accès aux documents administratifs en ce sens et, cette saisine constituant un préalable obligatoire, ils ne pouvaient donc pas demander au juge administratif d’annuler le refus de communication de ces avis. Enfin, le Conseil d’Etat a rejeté les conclusions présentées contre les avis de la commission des participations et des transferts en rappelant que, lorsque de tels avis sont suivis d’une décision conforme du ministre de l’économie, ils « ne constituent pas des décisions faisant grief susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ». Pour autant, le Conseil d’Etat n’a pas rejeté tous les arguments présentés par les requérants. Il a en effet admis que le communiqué de presse du 4 décembre 2014 annonçant le nom de l’acquéreur pressenti n’avait un simple caractère informatif mais révélait la décision des ministres de retenir la proposition du consortium Symbiose. Le communiqué de presse révélait donc « une décision administrative faisant grief ». Dans la mesure où cette décision constitue « un acte détachable du contrat de droit privé de cession de la participation », le juge considère qu’il est susceptible de recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif.

Toutefois, le Conseil d’Etat a estimé que cet acte, tout comme l’arrêté du 15 avril 2015 fixant les modalités de transfert au secteur privé et l’autorisation du ministre de l’économie du 7 avril 2015 autorisant la signature du contrat, ne présentaient pas un caractère réglementaire. Il a donc considéré qu’il revenait au tribunal administratif de Paris de se prononcer sur ces actes et lui a renvoyé l’affaire sur ce point. Ce dernier a, par un jugement du 15 mars 2017, rejeté les arguments avancés par les requérants. La Cour administrative d’appel de Paris a alors été saisie et, par un arrêt du 16 avril 2019, elle a prononcé l’annulation de la décision désignant le consortium comme acquéreur, de la décision du ministre de l’économie autorisant la signature du contrat de cession et de l’arrêté du 15 avril 2015 fixant les modalités de transfert de la participation litigieuse au secteur privé. L’enjeu financier était de taille, d’autant que la société Casil Europe avait annoncé au début de l’année 2019 son intention de vendre ses actions en réalisant une plus-value d’environ 80%. Si la cession initiale était annulée, il lui était impossible de revendre ce qu’elle n’avait pas ! Le ministre de l’économie et des finances s’est donc pourvu en cassation devant le Conseil d’Etat, la société Casil Europe venant au soutien de son pourvoi.

Le Conseil d’Etat devait donc déterminer si les différents actes ayant permis la cession des actions de la société anonyme Aéroport Toulouse-Blagnac à la société Casil Europe étaient bien valables ou si, comme l’avait jugé la Cour administrative d’appel, ces actes devaient être annulés. La validité de la cession elle-même dépendait de la réponse qu’il apporterait à cette question.

Dans un premier temps, le Conseil d’Etat va revenir la question de savoir si les changements dans la composition du consortium intervenus en cours de procédure affectaient la validité des actes permettant le choix de ce dernier. Alors que la Cour administrative d’appel avait considéré que de tels changements affectaient la validité des différents actes contestés, le Conseil d’Etat invalide son raisonnement et annule l’arrêt rendu en ce sens. Il va ensuite, dans un second temps, se prononcer sur le jugement rendu par le tribunal administratif de Paris pour le valider et, ainsi, confirmer la légalité des actes ayant permis la privatisation de la société concessionnaire de l’aéroport de Toulouse.

Dans un premier temps, le Conseil d’Etat se livre donc à une appréciation extrêmement souple – pour ne pas dire surprenante – des changements dans la composition du consortium. En effet, le cahier des charges relatif à la procédure de transfert par l’Etat de ses participations dans la société anonyme Aéroport Toulouse-Blagnac prévoyait différentes étapes permettant d’aboutir au choix de l’acquéreur. Dans un premier temps, il précisait les conditions de recevabilité des candidatures permettant aux candidats d’être admis à présenter des « offres indicatives » en tant que « candidats recevables ». Dans un deuxième temps, ce cahier des charges fixait les conditions dans lesquelles les « candidats recevables » ayant déposé une « offre indicative » seraient autorisés à déposer une « offre ferme » en tant qu’« acquéreurs éventuels ». Enfin, dans un troisième et dernier temps, le cahier des charges précisait selon quelles conditions l’acquéreur serait sélectionné parmi les acquéreurs éventuels. Parmi les conditions fixées par le cahier des charges, ce dernier envisageait la possibilité que des offres conjointes soient présentées, à condition de désigner une entité chef de file représentant l’ensemble des participants. L’acquéreur finalement retenu, le consortium Symbiose, portait une telle offre conjointe. Le problème soulevé devant le Conseil d’Etat, et qui avait conduit la Cour administrative d’appel à censurer les actes contestés, est que la composition de ce consortium a évolué au cours de la procédure.

En effet, au stade du dépôt des candidatures, l’offre présentée par le consortium réunissait deux sociétés : Shandong Hi-Speed Group et Friedmann Pacific Asset Management. Cette candidature avait été déclarée recevable puis, au moment du dépôt des offres indicatives, une autre société dont la candidature avait aussi été déclarée recevable – la société SNC Lavalin – avait décidé de rejoindre le consortium. L’offre indicative du consortium réunissait donc les trois sociétés. Enfin, au moment du dépôt de l’offre ferme, la société SNC Lavalin s’est finalement retirée du consortium. L’offre finalement retenue ne réunissait donc plus que les deux sociétés qui participaient au consortium depuis le départ. Ce sont ces changements qui avaient permis à la Cour administrative d’appel de considérer que la décision du ministre de l’économie agréant l’offre ferme du consortium était illégale. La Cour a considéré que les dispositions du cahier des charges impliquaient que les membres du consortium restent les mêmes du début à la fin de la procédure. Le Conseil d’Etat prend le contrepied de cette interprétation en considérant que rien dans le cahier des charges n’imposait une identité dans la composition du consortium. Il en déduit donc que l’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel doit être annulé sur ce point.

Il est vrai que la lecture littérale des dispositions du cahier des charges ne révèle pas la nécessité que les membres du consortium soient les mêmes du début à la fin de la procédure. Pour autant, cette interprétation littérale reste surprenante. En effet, il est difficilement soutenable que le « candidat » consortium Symbiose soit la même entité que le « candidat recevable » consortium Symbiose, ou que ce dernier soit la même entité que « l’acquéreur éventuel » consortium Symbiose. La sincérité de la procédure semble avoir été mise à mal par ces changements successifs, notamment au regard du principe d’égalité de traitement entre les candidats. Certes le Conseil d’Etat souligne plus loin dans l’arrêt que les principes fondamentaux de la commande publique ne s’appliquent pas en l’espèce, il n’en demeure pas moins que le principe d’égalité dépasse le seul cadre de la commande publique et a une assise constitutionnelle…

Quoi qu’il en soit, cette interprétation littérale permet au Conseil d’Etat de censurer l’arrêt rendu en appel et de décider de régler l’affaire au fond. Il poursuit donc son raisonnement en examinant, dans un second, la régularité du jugement rendu par le tribunal administratif de Paris.

Le Conseil d’Etat commence par se prononcer sur la régularité du jugement attaqué. Il considère, sans développer son argumentation, que le tribunal administratif de Paris n’a pas porté atteinte au principe du contradictoire, ni méconnu le droit à un procès équitable et qu’il a suffisamment motivé son jugement. Il se prononce ensuite sur le bien-fondé du jugement en validant le raisonnement du tribunal administratif sur différents points. En premier lieu, il considère que les avis rendus par la commission des participations et des transferts ont été rendus de manière régulière, l’absence suivie du décès de l’un des membres de cette commission n’ayant pas empêché le respect du quorum et la constitution d’une majorité. En deuxième lieu, il confirme le raisonnement retenu pour censurer l’arrêt de la Cour administrative d’appel en validant l’appréciation littérale du tribunal administratif quant aux changements survenus en cours de procédure parmi les membres du consortium. En troisième lieu, il relève que les requérants n’établissent pas que le chef de file du consortium aurait changé en cours de procédure. En quatrième lieu, il précise que la constitution de la société Casil Europe pour acquérir les parts de l’Etat à la suite du choix du consortium comme acquéreur n’a pas vicié la procédure de cession. En cinquième lieu, il confirme que les dispositions de l’article L. 122-4vdu code de l’environnement ne s’appliquent pas à une procédure de cession telle que celle qui a eu lieu et qu’une évaluation environnementale ne s’imposait donc pas. En sixième lieu, il considère que la procédure prévue par l’Ordonnance du 20 août 2014 déroge à certaines dispositions du code du travail à propos de la consultation du comité d’entreprise lors d’une opération de privatisation et que, par conséquent, l’absence de consultation de ce comité sur le choix de l’acquéreur n’entrait pas dans l’objet de la consultation. En septième lieu, le Conseil d’Etat estime que les principes fondamentaux de la commande publique ne s’appliquaient pas en l’espèce car l’opération en cause n’entre pas dans le champ de la commande publique. Enfin, le juge administratif considère qu’en dépit de différents arguments avancés, le choix du consortium n’est pas entaché d’erreur manifeste d’appréciation.

Toutes ces raisons conduisent le Conseil d’Etat à valider le jugement rendu par le tribunal administratif de Paris et à confirmer l’opération de privatisation de la société concessionnaire de l’Aéroport Toulouse-Blagnac. La lecture des conclusions du Rapporteur public permettra probablement de mieux saisir le raisonnement retenu par le juge administratif suprême mais, pour l’heure, la lecture littérale de l’arrêt laisse le commentateur relativement dubitatif.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019 ; Art. 267.

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