L’accessibilité des/aux décisions de justice III

ParJDA

L’accessibilité des/aux décisions de justice III

Art. 277.

Le cycle sur « L’accessibilité des/aux décisions de justice » proposé par l’Association des Doctorants et Docteurs de l’Institut Maurice Hauriou (ADDIMH) et l’axe Transformation(s) du Service Public de l’Institut Maurice Hauriou (IMH) avec le soutien du Journal du Droit Administratif, s’est achevé le 20 janvier 2020 à 18 heures avec une dernière conférence consacrée au site Doctrine.fr qui a vu intervenir Monsieur le Professeur Pierre Égéa, Professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole, également avocat au Barreau de Toulouse, et Monsieur Hugo Ruggieri, Responsable juridique et Protection des données personnelles chez Doctrine.fr.

Zakia Mestari commence par évacuer la question de l’accessibilité des/aux décisions du Conseil constitutionnel qui n’a pas fait l’objet d’une conférence spécifique. Les enjeux semblent similaires à ceux des juridictions administrative et judiciaire, notamment en ce qui concerne la volonté de simplifier la rédaction des décisions depuis deux décisions QPC du 10 mai 2016. Néanmoins, le Conseil constitutionnel met, lui, à la disposition du public différents moyens pour rendre les décisions intelligibles : communiqués de presse, commentaires, etc. Se développe alors une « doctrine de l’institution » visant notamment à pallier la brieveté classique des décisions du Conseil. Pour Nicole Belloubet, la simplification de la rédaction des décisions du Conseil constitutionnel semble poser deux séries de problèmes : d’abord, celui des délais, trop courts pour produire une décision suffisamment développée, et ensuite celui de la multiplicité des destinataires. En effet, le Conseil constitutionnel s’adresse évidemment au requérant, mais aussi au Parlement, et au juge par ses réserves d’interprétation transitoires.

Anna Zachayus fait ensuite un bref résumé des deux premières conférences. Le principal point de convergence semble être celui du manque de moyens, financiers comme humains, à la disposition des juridictions qui pourraient leur permettre de mettre à disposition un ensemble documentaire qui faciliterait l’intelligibilité des décisions. Concernant l’accessibilité aux décisions, point essentiellement abordé lors de cette dernière conférence, les intervenants précédents ont semblé s’accorder sur le fait que la diffusion systématique des décisions ne permettrait pas de garantir aux justiciables une meilleure accessibilité dans la mesure où ils n’auraient pas nécessairement la possibilité de la comprendre. La décision de justice, du fait de la spécificité du vocabulaire du droit, aurait donc toujours besoin d’un « traducteur » : l’avocat.

Cette dernière conférence sur l’accessibilité des/aux décisions de justice a vu intervenir Monsieur Hugo Ruggieri, responsable juridique et protection des données personnelles chez Doctrine.fr et Monsieur le Professeur Pierre Égéa, Professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole et avocat au Barreau de Toulouse. Nous ont également fait l’honneur de leur présence Monsieur le Professeur Marc Nicod, Professeur de droit privé à l’Université Toulouse 1 Capitole, et Monsieur Jean-Charles Jobart, rapporteur public au Tribunal administratif de Toulouse.

Monsieur Hugo Ruggieri prend d’abord la parole en rappelant que les débats sur ces enjeux sont nombreux donc que les représentants de Doctrine.fr sont toujours heureux de venir débattre sur ces sujets.

Doctrine.fr est né d’un triple constat :

– d’abord, l’inflation de l’information juridique prise au sens large. Depuis le début du mandat du Président Emmanuel Macron et du Parlement qui suit, 170 lois ont été promulguées par le Président de la République. Chaque année, tous ordres confondus, 4 millions de décisions sont rendues. De 1974 à 2014, la taille du Journal officiel a doublé et le nombre de pages publiées chaque année a également doublé. De la meme manière, on a de plus en plus à écrire. Les avocats peuvent faire partie de la doctrine. La masse informationnelle juridique fait que plus personne ne peut s’y retrouver. Les professionnels font face à une quantité d’information qu’un être humain ne peut pas traiter seul. Par exemple, on n’est plus spécialisé en droit d’auteur mais de manière spécifique en contrats d’éditeurs d’artistes musicaux.

– ensuite, une difficulté d’accès qui est un peu paradoxale. Alors qu’il a de plus en plus d’information, il n’est pas plus facile d’y accéder. Doctrine.fr avait mené un sondage avec l’IFOP : 9 avocats sur 10 ont affirmé avoir eu un problème d’accès à une décision importante.

– enfin, la forme façonne le fond. La forme que prend l’information juridique va modeler la manière dont les professionnels vont mener leur travail. Exemple de la création de Westlaw aux États-Unis qui guide la manière dont tous les professionnels font des citations juridiques. De la même manière, en partant de ce constat, on peut se poser la question de savoir à quoi va ressembler l’information juridique de demain. Doctrine veut apporter une réponse en utilisant l’intelligence artificielle.

Toute l’information juridique c’est de la donnée et aujourd’hui on a des possibilités techniques qui rendent possible le traitement de cette information juridique. Cette nouvelle forme peut amener à façonner le fond de la matière. C’est là-dessus que Doctrine.fr s’est créée en 2016 avec pour but : intégrer le plus de données juridiques possible et les rendre accessible.

Le premier interlocuteur, aujourd’hui, va être le professionnel du droit, qui va traduire la décision et Doctrine.fr veut lui donner les outils. Il ne faut pas oublier le justiciable, c’est pourquoi toutes les données de Doctrine.fr sont accessibles via Google. Ils se battent pour un open data et ils travaillent sur les normes et sur le référencement, l’indexation et la réutilisation dans le cadre juridique acceptable des commentaires doctrinaux produits sur cet ensemble pour avoir une grande masse d’information juridique pour répondre aux nouveaux besoins.

Premier besoin : la recherche. Pas d’innovation depuis la création de l’outil numérique. Doctrine.fr a l’ambition d’apporter la même révolution que Google au moment où il a été créé. L’innovation de Google a été de suivre les liens entre les pages et ainsi de voir quelle page était la plus citée par les autres sur un thème particulier. Il faut donc extraire toute cette information juridique pour savoir laquelle fait autorité sur une question.

Seconde avancée : la veille. Doctrine.fr permet une aide aux documentalistes avec des veilles ciblées sur des mots-clés qui peuvent être beaucoup plus larges que simplement une notion. Les potentialités sont infinies et on peut recevoir en temps réel l’information sur n’importe quel contenu (doctrinal, législatif, jurisprudentiel, etc.).

Le Professeur Pierre Égéa répond sur la question de l’accès et en particulier sur l’accès aux informations juridiques – aux données – c’est une problématique importante qui existe depuis très longtemps. La question qui se pose est de savoir s’il doit y avoir de la transparence ou du secret. La juridiction administrative fonctionne avec Ariane depuis très longtemps mais le logiciel n’est pas accessible au public, du moins dans une version très édulcorée. L’une des raisons tient évidemment de la contradiction possible entre une décision rendue par tel tribunal administratif ou tel autre. Le risque tient de la contradiction sur un même sujet : il n’est peut-être pas bon qu’un justiciable ait connaissance de celles-ci, cela nuit à l’idée d’une certaine image de vérité de la justice.

Un paradoxe demeure : on parle beaucoup d’accès de la donnée juridique à un moment où nous sommes dans une politique générale qui tend à limiter l’accès à la justice (cf. dernière réforme du tribunal judiciaire par exemple). On ne cesse de parler de transparence, d’accès à la donnée, mais en même temps on fait l’inverse.

Sur le plan de la modification de la façon dont aujourd’hui les praticiens travaillent, la question des données est importante. C’est important parce qu’il y a là quelque chose de troublant quand un avocat forme des avocats stagiaires, qui va de pair avec la complexification du droit (multiplicité des sources, notamment). Par exemple, dans un dossier compliqué sur lequel l’avocat stagiaire va travailler, on remarque que de nos jours, la façon de travailler est de rechercher la décision qui donnera la réponse plutôt que de rechercher les principes, les exceptions, puis la jurisprudence. On ne réfléchit plus aux principes, à la problématique fondamentale en termes juridiques, mais il y a davantage un rapport au savoir immédiat. Souvent d’ailleurs, les conclusions que l’avocat signe sont en réalité le développement judiciaire d’une décision qu’il ne connaît pas parce que l’avocat stagiaire l’aura peut-être cachée.

Il y a donc une forme de déviance du travail judiciaire. Tout ce qui relève aujourd’hui de l’important travail de Doctrine.fr permet cette immédiateté au détriment d’un travail de principe, ce qui donne souvent des résultats dérangeants. De la même façon pour les juges qui travaillent sur Ariane, ils peuvent amener une décision incompréhensible parce qu’ils auront repris une décision précise alors que le droit positif a changé. Le travail est donc considérablement modifié.

Sur la question de la complexification accrue, l’avocat généraliste n’existe plus ou est démuni par rapport à la complexité du droit, il y a une spécialisation. Dans ce mouvement de spécialisation, les nouveaux outils sont fondamentaux puisqu’on peut aujourd’hui savoir les décisions, connaître la position globale du juge national sur un thème, voire un fait précis. L’open data va profondément modifier non seulement les outils de travail mais la façon même dont on a appréhendé le droit. Évidemment, les magistrats n’aiment pas le terme de prédictivité mais la façon dont on travaille de nos jours est complètement façonnée par cette classification de la connaissance et ce rapport immédiat à la source. La technologie actuelle modifie fondamentalement les méthodes de travail et notre approche de la connaissance.

Enfin, la problématique de l’accès de l’ensemble des décisions pose des problèmes lorsqu’il s’agit de décisions concernant les personnes physiques sur le plan du respect de la vie privée. Cela signifierait qu’il faudrait prévoir – si l’on va dans le sens de l’accès à toutes les décisions – que les décisions soient systématiquement anonymisées.

Anna Zachayus souligne ici le problème de la décontextualisation des décisions qui avaient déjà été débattue auparavant.

Monsieur Hugo Ruggieri rappelle que cela fait longtemps qu’on a accepté qu’on ne pouvait pas publier une décision en la décontextualisant. Même la réduction au dispositif est une identification. En plus, ce serait oublier que le droit c’est la qualification des faits donc on en a besoin pour que la décision ait un sens.

Le compromis d’aujourd’hui est intéressant et plutôt positif. En l’état des textes actuels et avec le projet de décret, il y aurait une occultation systématique du nom et du prénom, facile avec l’intelligence artificielle.  Les éditeurs juridiques publient des décisions qui proviennent de plusieurs types de sources : Légifrance (open access) + JuriCa, base de données gérée par la Cour de cassation qui comprend l’ensemble des décisions des Cours d’appel françaises. Ces décisions sont communiquées au format PDF texte non anonymisées. Une délibération de la CNIL en 2001 recommandait d’anonymiser et d’occulter tous les noms et prénoms des personnes physiques. Aucun texte n’imposait cette anonymisation, ce qu’est venu modifier le projet de loi de programmation de la justice 2019-2022, imposant à la puissance publique une anonymisation préalablement à la diffusion. Comment anonymiser ? Jusqu’à il y a peu, c’était très basique, on fonctionnait par règles de type « après ‘Monsieur’ tu mets X, si tu as déjà utilisé X tu mets Y », mais il faut prévoir les fautes d’orthographe, les abréviations, etc. Cela demande un traitement à la main. Dans ce cadre-là, dire qu’on va publier toutes les décisions en ligne, cela pose question en termes de faisabilité matérielle pour la puissance publique. L’intelligence artificielle peut le faire. L’algorithme de Doctrine.fr a 99% de réussite en anonymisant tout ce qui doit l’être et seulement ce qui doit l’être. Les magistrats ayant rendu la décision pourront faire une demande d’occultation des éléments d’identification, et les tiers pourront faire une demande de levée d’occultation. Doctrine.fr trouve cela extrêmement positif. Une fois ce processus effectué, la décision sera publiée. La CEDH, elle, fonctionne au cas par cas : demande préalable d’anonymisation avant de saisir la Cour (qui accepte ou non).

Le sujet de l’anonymisation est extrêmement intéressant et sensible. Deux condamnations de l’État pour publication de décisions non anonymisées : une sur Légifrance et une sur le site de la CADA.

Le Professeur Marc Nicod souligne ici que la manière dont les décisions sont rendues anonymes les rendent incompréhensibles, par exemple parce qu’on ne sait plus si une loi est applicable en l’espèce. Un usage raisonnable serait le bienvenu, un usage qui n’irait pas jusqu’à la disparition de tous les éléments d’identification. Des décisions fondamentales sont souvent connues par les noms des parties, ce qui pose également problème. On voit qu’il y a un tri difficile à opérer en la matière. L’idée de marge d’appréciation pour les éditeurs paraît ainsi également bienvenue.

Monsieur Jean-Charles Jobart précise que le ministère de la justice est en train de développer un logiciel d’IA pour arriver à l’anonymisation systématique de toutes les décisions de justice. Pour l’instant les résultats ne sont pas très satisfaisant mais il est en cours d’élaboration. Ariane est un très bel outil développé au sein de la juridiction administrative sur les données de la juridiction administrative et pour les besoins de la juridiction administrative. Que l’ensemble des décisions de justice soient accessibles en bloc de manière anonyme est cohérent, autant la base Ariane elle-même doit demeurer un instrument des magistrats uniquement.

Sur le fait que le manque d’accès serve à masquer des éléments de contradiction entre les juridictions, il précise qu’il ne regarde les décisions à travers une étude de cas d’espèce qu’en tout dernier recours. Cela fait partie du débat juridique dans la juridiction qui trouve naturellement des voies de régulation. Quant à l’existence des jugements contradictoires, la question revient à être : qui convainc le plus ? En soi, ces controverses entre jugements n’est pas quelque chose qui dérange. Lorsque des cours se contredisent sur un certain cas, le Conseil d’État est là aussi pour trancher le droit applicable. Il y a donc, certes, une insécurité, mais cela dérange peu puisque le juge juge en sa conscience, il n’y a pas de vérité fondamentale.

Le Professeur Mathieu Touzeil-Divina s’interroge sur l’inaccessibilité des données puisque la justice est rendue au nom du peuple français.

Monsieur Jean-Charles Jobart considère qu’il faudrait en effet que le Conseil d’État soit plus clair, mais qu’il ne l’est parfois pas justement pour pouvoir laisser une voie de sortie à certaines décisions. Mais c’est la question de la clarté même de la rédaction dans les niveaux les plus autoritaires de la juridiction. Parfois, des décisions de justice que l’on retrouve beaucoup dans la doctrine n’intéressent pas du tout le juge. Il y a une habitude à regarder dans les conclusions du rapporteur public quelle est la doctrine la plus citée mais elle reste en réalité celle de René Chapus. Ce qui fait la rançon de la gloire dans les publications universitaires ne la fait pas forcément pour les juges. Cet indice n’est pas toujours très fiable. Il faudrait savoir quelles sont les décisions les plus citées dans les conclusions du rapporteur public du Conseil d’État. Le problème est que les conclusions sont une production intellectuelle. C’est au rapporteur public d’en disposer, ce n’est pas parce qu’il est payé ou fonctionnaire que cela appartient à l’État.

Monsieur Hugo Ruggieri rappelle, sur la question des moyens, la réalisation de systèmes informatiques par le ministère de la justice. Doctrine.fr dès ses origines a conclu des partenariats de recherche avec la Cour de cassation.

La diffusion de l’information juridique a toujours été menée par des routes parallèles empruntées par le privé et le public. Le Journal officiel faisait l’objet d’une délégation de service public. Plusieurs membres de l’administration ont fini par se dire que c’était inacceptable et l’ont fait héberger sur adminet puis à l’Université de la Sarre. La graine était déjà posée et Légifrance a été créé.

À Doctrine.fr, ils espèrent que demain, l’open data des décisions de justice sera une évidence, grâce à la mise en ligne massive par certains éditeurs juridiques.

Sur ce qui fait autorité, il faut intégrer à l’algorithme de recherche des critères manuels pour mettre par exemple une préférence sur la Cour de cassation par rapport à une autre juridiction qui serait citée de la même manière.

Sur l’accès aux décisions se pose encore la question de la période transitoire, d’ici à la concrétisation de l’open data des décisions de justice. La mise en ligne des décisions de justice découle d’abord du principe de publicité de la justice. Depuis un certain temps, se développe la transparence administrative et l’open data appliquée à la donnée de l’administration. Avec ce droit vient un droit à la réutilisation. Le principe donné est celui selon lequel en droit français on doit avoir accès à tous les documents de administrations, et lorsqu’un document est rendu public, on peut librement réutiliser les données publiques qu’il contient. Doctrine est en contentieux avec le Ministère de la justice sur l’applicabilité de ces dispositions à la période transitoire jusqu’à la concrétisation de l’open data.

Sur les conclusions du rapporteur public, pourquoi ne sont-elles pas publiées avec la décision de justice alors même qu’elles font partie intégrante de la décision ?

Monsieur Jean-Charles Jobart répond que les conclusions d’un rapporteur public sont une production intellectuelle marquées de la personnalité de celui qui les rédige et c’est à lui d’en disposer.

Monsieur Hugo Ruggieri s’interroge sur le fait que le droit d’auteur devra céder face à la publicité de la justice et à l’intelligibilité de la décision.

Selon Monsieur Jean-Charles Jobart, ce n’est pas vraiment essentiel à l’intelligibilité de la décision. C’est une opinion, un point de vue extérieur à la formation de jugement. Souvent il y a des correspondances, c’est rare qu’elle soit exactement la même mais très souvent c’est très proche. Pour autant, ce n’est pas la décision de justice et ce n’est pas une personne faisant partie de la formation de jugement.

Pour Monsieur Hugo Ruggieri, si le document est susceptible d’apporter ne serait-ce qu’un éclairage ou contredire la décision, il faut le publier. L’idée est de nourrir la production juridique. Les opinions dissidentes sont courantes dans les pays voisins. La décision est plus large que son simple aspect formel, il y a les métadonnées, les autres informations, etc. Les conclusions paraissent tout de même intimement liées à la décision.

Le Professeur Marc Nicod précise que les conclusions des rapporteurs publics sont de plus en plus publiées aujourd’hui. Monsieur Jean-Charles Jobart affirme qu’elles ne le sont pas systématiquement mais qu’effectivement on les retrouve s’il s’agit de décisions A ou C. Dans les bases Ariane, les magistrats ont la chance d’avoir la majorité des conclusions des rapporteurs publics du Conseil d’État mais quand on remonte aux années 1980, parfois on tombe sur des conclusions tapées à la machine, ou des manuscrits parfois illisibles.

Le Professeur Mathieu Touzeil-Divina demande alors pourquoi les magistrats auraient besoin de voir les conclusions et pourquoi les justiciables n’en auraient pas le droit. Monsieur Jean-Charles Jobart rappelle qu’on peut en demander la communication au Conseil d’État si besoin. De plus, le juge en a besoin pour plus de facilité, c’est un outil de travail permettant par exemple de faire le point sur un régime juridique. Le Professeur Mathieu Touzeil-Divina précise que dans ce cas, cela bénéficie aux administrateurs du service public mais pas à ses usagers. Il ne s’agit pas de dire que la conclusion est la décision, mais qu’elle est claire. Le Professeur Pierre Égéa soulève un paradoxe : dire que les conclusions sont une production doctrinale implique qu’elles soient accessibles à tous théoriquement. C’est paradoxal d’exciper le droit d’auteur mais de dire que c’est accessible pour l’ensemble. Monsieur Jean-Charles Jobart rappelle qu’il existe toujours l’argument suprême de dire que les conclusions ne sont pas forcément écrites. Les avocats prennent avec beaucoup de rigueur les notes des conclusions orales des rapporteurs publics pour en capter la substance.

Anna Zachayus précise qu’on en revient ici à la différence entre l’accès pour le justiciable et l’accès pour le professionnel du droit. Les conclusions sont intéressantes pour le professionnel du droit mais pas pour le justiciable.

Se pose de manière plus spécifique la question de l’accès à Doctrine.fr.

Pour le Professeur Pierre Égéa, le développement de Doctrine.fr ou d’autres implique à terme une modification nécessaire de la façon dont les avocats vont travailler. Cela signale la fin de l’avocat unique et on connaîtrait un développement nouveau avec un marché de la connaissance juridique : c’est ceux qui auront la possibilité d’avoir accès à ce type de services qui seront les grands gagnants. Cela mènera à une refondation profonde du métier d’avocat.

Monsieur Hugo Ruggieri semble assez d’accord mais complète le propos. Évolution ne veut pas dire déperdition des pratiques, cela veut dire que les pratiques sont modifiées. Il est essentiel qu’on fasse preuve de beaucoup de pédagogie pour éviter par exemple une certaine facilité et une paresse qui amène à se concentrer sur le résultat et non sur le raisonnement. Cela est lié à l’apparition de l’outil. Il faut accompagner l’outil pour que l’évolution soit positive car, oui, évolution il y aura. Monsieur Ruggieri conclut en précisant que lorsque l’open data sera là, la question du nombre de décisions de justice dans chaque base (alors que Doctrine a aujourd’hui le plus de décisions) ne se posera plus puisque tout le monde pourra avoir accès à toute décision. Cela pose la question d’un service d’accès aux décisions du point de vue administratif, mais il semblerait que cela relève d’un moteur assez basique. La question ne se posera donc plus de la même manière quand il y aura l’open data. Le rôle de Doctrine.fr sera d’apporter « plus » de valeur aux professionnels du droit, comme n’importe quel éditeur juridique.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2020 ; Art. 277.

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À propos de l’auteur

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Le JDA (Journal du Droit Administratif) en ligne a été (re)fondé en 2015 à Toulouse. Son ancêtre le "premier" JDA avait été créé en 1853 par les professeurs Adolphe Chauveau & Anselme Batbie. Depuis septembre 2019, le JDA "nouveau" possède un comité de rédaction dirigé par le professeur Mathieu Touzeil-Divina et composé à ses côtés du Dr. Mathias Amilhat ainsi que de M. Adrien Pech.

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