par Loïc DEMEESTER,
doctorant, Université Toulouse 1 Capitole, IEJUC.
Art. 194. Le transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes a fait couler beaucoup d’encre. Ce projet a retenu l’attention des citoyens français mais aussi des juristes. Cette affaire représente une aventure politico-juridique pleine de rebondissements.
Outre l’aspect politique du projet, le transfert de l’aéroport est un concentré de questions juridiques des plus intéressantes : expropriation, urbanisme, droit de l’environnement, question prioritaire de constitutionnalité, relation entre le public et l’Administration, aide d’État et droit de l’Union européenne, et bien d’autres questions encore. Cet écrit n’a pas l’ambition de traiter chacune de ces questions, ni même de proposer des réponses mais plutôt de présenter synthétiquement quelques points du contentieux tenant au projet Notre-Dame-des-Landes. Deux éléments nous semblent particulièrement révélateurs des tensions entre juridique et politique concernant le projet de Notre-Dame-des-Landes : le contentieux de la déclaration d’utilité publique (I) et la procédure de consultation des populations concernées par ce projet (II)
I. Une déclaration d’utilité publique controversée.
Pour faire échec à la construction de l’aéroport du Grand Ouest – Notre-Dame-des-Landes, les opposants à la réalisation du projet ont notamment décidé d’attaquer la déclaration d’utilité publique. Malgré l’échec de la demande d’abrogation (A) et de la question prioritaire de constitutionnalité, cette controverse juridique permet d’amener une réflexion sur la théorie du bilan cout-avantage (B).
A. La tentative d’abrogation de la déclaration d’utilité publique.
Pour comprendre la suite des développements il est important de revenir sur la nature même du projet et celle de la déclaration d’utilité publique.
L’aéroport de Nantes-Atlantique relève de la compétence de l’État[1], et en tant que tel la compétence pour déclarer d’utilité publique les travaux nécessaires à son transfert appartient donc elle aussi à l’Etat.
En application du code de l’expropriation[2] et en raison de son importance, l’utilité du projet d’aéroport Grand-Ouest – Notre Dame des Landes a été déclaré par décret du Premier Ministre pris en Conseil d’Etat.
La déclaration d’utilité publique est le préalable à toute procédure d’expropriation et par conséquent, elle est le préalable au projet de travaux publics permettant la construction du nouvel aérodrome. La logique des opposants au projet est de faire disparaître la déclaration d’utilité publique ce qui entraînerait la disparition du document préalable au projet, et par voie de conséquence l’impossibilité pour l’État de commencer la réalisation des travaux.
Les requérants ont demandé au Premier Ministre d’abroger la déclaration d’utilité publique. Par silence gardé, le Premier Ministre a implicitement rejeté leur demande. Les requérants regroupés sous la forme d’un collectif décident de former un recours en excès de pouvoir contre le rejet du Premier Ministre de la demande. À l’occasion de ce recours, le « collectif des élus qui doutent de la pertinence de l’aéroport de Notre Dame des Landes » soulève également une question prioritaire de constitutionnalité sur l’interprétation jurisprudentielle d’une disposition du code de l’expropriation. Le Conseil d’État s’est prononcé le 17 octobre 2013 sur ces requêtes[3]. Dans cet arrêt, il rejette le recours en tenant une interprétation stricte de la notion de changement de circonstances de fait ou de droit.
La déclaration d’utilité publique est un acte non règlementaire, non créateur de droit. L’administration est dans l’obligation de procéder à l’abrogation si par un changement de circonstances de fait ou de droit postérieur à la déclaration, l’opération en question a perdu son caractère d’utilité publique ou n’est pas susceptible d’être légalement réalisée[4]. Cette règle est reprise par l’arrêt cité, et permet au Conseil d’État de rejeter tour a tour les moyens du collectif pour débouter la demande.
L’argumentaire du collectif s’articule autour de deux moyens principaux : un moyen économique et un moyen environnemental.
Le collectif estime que la soumission du secteur aérien au système européen d’échanges de quotas d’émission à effet de serre ainsi que la fluctuation importante du prix du carburant entraîneraient une augmentation du cout de l’opération justifiant la prise en compte d’un changement de circonstance. En réponse, le Conseil d’État se livre à une analyse économique poussée pour en déduire que ces changements n’auront qu’une faible influence sur le coût global de l’opération ; par conséquent, ces changements ne suffisent pas en eux-mêmes à justifier un changement de circonstances conduisant à la remise en cause de l’utilité publique du projet. Cette analyse convaincante n’étonne guère. Cependant, le rejet des moyens tenant à la protection de l’environnement surprend.
Le collectif requérant avance différentes dispositions[5] concernant notamment la protection des espaces agricoles et la protection de l’eau. Le Conseil rejette ces moyens pour deux motifs. Le premier tient à ce qu’une partie des dispositions évoquées n’ont pas de portée normative, ce qui est le cas de la loi de programmation par exemple.
Le second tient à ce que les éléments apportés par les requérants ne suffisent pas à établir un changement de droit applicable ou ne sont que de faible influence sur la légalité du projet[6].
Le Conseil d’État ne rejette pas totalement la possibilité d’une atteinte à l’environnement, il considère cependant qu’en l’état les éléments apportés ne suffisent pas à priver le projet de son utilité publique.
B. Les limites de la théorie bilan coût-avantage.
À l’occasion de ce recours, le collectif forme une question prioritaire de constitutionnalité. Les élus estiment que l’interprétation jurisprudentielle qui est faite du I de l’article L. 11-1 du code de l’expropriation[7] est contraire à l’article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen. Le Conseil d’État, dans une jurisprudence constante, considère que l’article L. 11-1 du code de l’expropriation n’impose pas au juge administratif de rechercher s’il existe des solutions alternatives permettant d’atteindre les objectifs poursuivis dans des conditions économiques et sociales plus avantageuses.
Le Conseil d’État rappelle que « tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition »[8]. Ensuite, le Conseil rappelle le raisonnement opéré dans son contrôle des déclarations d’utilité publique. Premièrement, il cherche si l’opération répond bien à une opération d’intérêt général. Puis il recherche si l’expropriant ne dispose pas d’autres moyens que l’expropriation pour réaliser l’opération, par exemple en utilisant son propre patrimoine. Enfin, il opère une analyse afin de déterminer si les atteintes à la propriété privée protégée par l’article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen et le coût financier et social de l’opération ne sont pas excessifs au vu de l’intérêt présenté.
Cette méthode – la théorie du bilan coût-avantage – est considérée par le Conseil d’État comme en adéquation avec l’esprit du code de l’expropriation. Nous ne pouvons nier que cette théorie présente un intérêt certain pour la protection de la propriété privée mais ne présente-t-elle pas certaines limites quant à l’utilité publique ? La question posée au Conseil d’État était de savoir si le juge administratif, dans son contrôle de la déclaration d’utilité publique, devait rechercher la meilleure alternative. Le juge administratif s’est toujours refusé à comparer les solutions possibles. Dans son contrôle de la légalité des déclarations d’utilité publique, il opère un contrôle intrinsèque – c’est à dire – qu’il n’applique la théorie du bilan coût-avantage qu’à la déclaration en elle-même. La question soulevée, même si celle-ci n’est pas transmise au Conseil constitutionnel, permet de relancer le débat sur un possible contrôle extrinsèque des déclarations d’utilité publique. Cette idée développée par le Professeur Bertrand Seiller consiste à amplifier l’appareil de référence dans ce type de contrôle. Cela donnerait la possibilité au juge administratif de comparer les diverses alternatives au projet afin d’en retenir la meilleure. Il ne s’agirait pas d’un contrôle d’opportunité mais d’un contrôle de légalité entre plusieurs décisions administratives possibles. Le juge administratif aurait donc la possibilité d’établir qu’une solution est plus « légale » qu’une autre ce qui permettrait d’introduire de la proportionnalité et ainsi d’enrichir considérablement la théorie du bilan coût-avantage[9]. De plus, à la lecture de l’arrêt et de la méthode employée par le Conseil d’État, l’environnement apparaît comme le grand absent. Le Conseil d’État ne se réfère explicitement qu’aux inconvénients économiques et sociaux. Avec le contrôle de la légalité intrinsèque, les inconvénients environnementaux sont souvent considérés secondaires face aux intérêts économiques des projets faisant l’objet d’une déclaration d’utilité publique, d’autant plus si ce projet est d’intérêt national[10]. Le contrôle extrinsèque permettrait de tenir compte dans une plus large mesure de l’environnement dans l’appréciation de la légalité de la déclaration d’utilité publique. Il conduirait l’administration à ne retenir que la meilleure solution pour la conduite de ses projets et ainsi l’efficience (économique, sociale et environnementale) deviendrait une norme de l’action administrative. Malheureusement, le Conseil d’Etat refuse ce type de contrôle et se restreint à un contrôle intrinsèque la légalité de la déclaration d’utilité publique du 9 février 2008[11].
Si la déclaration d’utilité publique a fait l’objet de nombreux recours, ce n’est pas la seule étape du projet de transfert de l’aéroport à avoir suscité quelques controverses.
II. Une consultation contestée.
La réalisation de cet aéroport a déchainé les passions. Outre les nombreuses contestations juridiques, de nombreuses manifestations politiques et citoyennes se sont déroulées afin de faire connaître leur désaccord avec le transfert. Face à cette opposition, les représentants de l’État ont voulu légitimer leur projet en procédant à la consultation des citoyens. Cette dernière a suscité elle aussi des contestations (A) et elle montre les limites de la démocratie environnementale en France (B).
A. Le contentieux de la procédure de consultation.
Politiquement, la consultation du public sur un sujet aussi clivant est une bonne logique. Juridiquement, cette consultation est plus difficile à mettre en œuvre.
L’exécutif français voulait mettre en place un référendum local au sujet du transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes. La Constitution française prévoit des mécanismes de référendum bien connus des juristes. L’article 11 et l’article 89 envisagent la possibilité par l’exécutif d’organiser des référendums sur certaines matières. Cependant, dans le cadre de ces articles, l’ensemble du peuple français est appelé à se prononcer. Il est donc impossible pour l’exécutif français de mettre en place un référendum local sans se placer hors du droit et contrevenir au principe de libre administration des collectivités territoriales[12].
Néanmoins, le referendum local existe dans l’ordre juridique français. L’article 72-1 de la constitution dispose que « les projets de délibération ou d’acte relevant de la compétence d’une collectivité territoriale peuvent, à son initiative, être soumis, par la voie du référendum, à la décision des électeurs de cette collectivité ». Pourtant, ce processus ne peut pas s’appliquer en l’espèce. Le projet de l’aéroport n’est pas de la compétence des collectivités territoriales, comme il a été mentionné précédemment. Suite à un décret de 2005, l’aéroport de Nantes Atlantique est resté de la compétence de l’Etat. De plus, le referendum est souhaité par le gouvernement et n’est pas à l’initiative de la collectivité territoriale. La voie référendaire doit donc être écartée par manque de fondement juridique.
Le gouvernement a eu recours à la création d’une nouvelle procédure de consultation. Le 21 avril 2016 est créée par ordonnance[13] une procédure permettant une consultation locale sur tout projet d’infrastructure ou d’équipement susceptible d’avoir un impact sur l’environnement et dont la réalisation est soumise à autorisation de l’Etat.
La création d’une nouvelle procédure de consultation aussi précise, à une époque où il est nécessaire de légitimer ce projet apparaît comme une « procédure taillée sur mesure pour notre Dame des Landes »[14].
Malgré l’adéquation de la nature du projet avec la nouvelle procédure, la consultation n’échappe pas au contentieux.
Les 3 et 17 juin 2016 a été introduite auprès du Conseil d’État une requête de l’association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport de Notre Dame-des-Landes demandant la suspension et l’annulation du décret organisant la consultation publique devant avoir lieu le 26 juin 2017[15].
La principale critique qui a été formulée à l’égard de cette consultation est le périmètre géographique retenu. La consultation ne concerne que les électeurs de Loire Atlantique, mais la construction de l’aéroport du Grand Ouest est financée par 22 collectivités territoriales. Les requérants auraient souhaité accroître le champ de consultation afin de donner une véritable représentativité à la réponse obtenue. Cependant, l’ordonnance créant la procédure prévoit que le périmètre de consultation est défini par le territoire couvert par l’enquête publique. Dans le cas présent l’enquête publique de 2006 n’a couvert que le territoire de la Loire Atlantique. Le Conseil d’État n’a eu d’autre choix que de rejeter le moyen.
Cet arrêt permet également de mettre en lumière les limites de la démocratie environnementale en France et, même si cette procédure de consultation est nouvelle, elle ne concourt pas au renouveau de la participation du public aux décisions administratives.
B. Les limites de la démocratie environnementale en France.
Tout d’abord, cette consultation est présentée comme une alternative au référendum. Néanmoins, celle-ci ne peut absolument pas remplacer, ce sont là deux mécanismes très différents. La consultation n’a pas d’effet décisionnel, elle ne sert comme son nom l’indique qu’à recueillir une opinion d’une certaine population à un moment donné.
Par ailleurs, l’arrêt rendu le 20 juin 2016 souligne malgré lui le manque d’association du public au processus décisionnel. Le Conseil d’Etat estime que la consultation ne doit pas nécessairement intervenir avant la délivrance des autorisations nécessaires au projet[16] rejetant ainsi l’argumentaire du requérant. S’il est vrai que d’un point de vue de la stricte légalité de la consultation, la position du Conseil d’État est pertinente, le message envoyé est fort : l’avis des populations concernées n’est pas pris en compte dans l’élaboration du projet. Pour preuve, la consultation s’opère 8 ans après la déclaration d’utilité publique. La consultation n’est alors pas une procédure de participation du public mais une procédure de confirmation du projet de la part du public. Le résultat de la consultation n’a aucune influence juridique sur le processus décisionnel.
Enfin, la consultation ne portait que sur le projet gouvernemental. Le Conseil d’État le souligne à juste titre : « le gouvernement n’a ni décidé, ni manifesté la volonté de modifier ce projet, ni annoncé une consultation des électeurs portant sur un projet distinct »[17]. Une fois de plus, le Conseil ne peut que rejeter le moyen selon lequel la consultation serait illégale car les termes de la consultation seraient ambigus. Les électeurs ont eu à se prononcer sur le transfert de l’aéroport et non sur les modalités de ce transfert. Aucun débat public ne s’est tenu pour présenter les projets alternatifs.
Si la légalité ne peut pas être mise en cause, l’arrêt du 20 juin 2016 permet de s’interroger sur la portée d’une telle consultation et plus généralement sur nos procédures de participation en matière de décisions environnementales.
Cette consultation n’a pas apaisé les tensions comme elle aspirait à le faire. Un nouveau volet s’ouvre dans la saga politico-juridique du projet d’aéroport. Le 1er juin 2017, trois médiateurs ont été désignés pour trouver une solution satisfaisante pour toutes les parties aux projets dans une période de 6 mois. L’affaire Notre-Dame-des-Landes se poursuit.
Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique administrative 06 ; Art. 194
[1] Décret n°2005-1070 du 24 août 2005 fixant la liste des aérodromes civils appartenant à l’État exclus du transfert aux collectivités territoriales ou à leurs groupements.
[2] Art. L. 121-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.
[3] CE, 17 octobre 2013, Collectif des élus qui doutent de la pertinence de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, n˙358633.
[4] CE, 26 février 1996, Association Une Basse-Loire sans nucléaire, n˙142893.
[5] Loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement ; loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche ; Art. L. 212-1 du code de l’environnement.
[6] CE, 17 octobre 2013, Collectif des élus qui doutent de la pertinence de l’aéroport Notre Dame des Landes, n˙358633, considérant 10 à 14.
[7] Aujourd’hui : art. L.1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.
[8] Cons. Const., 6 octobre 2010, n˙2010-39 QPC.
[9] B. Seiller, “Pour un contrôle de la légalité extrinsèque des déclarations d’utilité publique”, AJDA, 2003, 1472.
[10] CAA Nantes, 14 novembre 2016, n˙15NT02847 : concernant l’impact du projet sur une faible masse d’eau.
[11] R. Hostiou, « La notion d’utilité publique à l’épreuve du contentieux de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes », AJDA, 2013, 2550.
[12] R. Brett, “Un référendum local sur l’aéroport du Grand Ouest : une ambition politique à l’épreuve de la réalité juridique”, Energie, Environnement, Infrastructures, n˙4, Avril 2016, comm. 34.
[13] Ordonnance n˙2016-488 du 21 avril 2016 relative à la consultation locale sur les projets susceptibles d’avoir une incidence sur l’environnement.
[14] B. Delaunay, “Une procédure taillée sur mesure pour Notre-Dame-des-Landes ?”, AJDA n˙27/2016, 1515.
[15] Décret n˙2016-503 du 23 avril 2016 relatif à la consultation des électeurs des communes de la Loire-Atlantique sur le projet de transfert de l’aéroport de Nantes Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes.
[16] CE, 20 juin 2016, Association intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et autres, n˙400364, 400365, considérant 6.
[17] CE, 20 juin 2016, Association intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et autres, n˙400364, 400365, considérant 7.
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