Les 40 ans de la décentralisation : à la recherche d’un nouveau souffle

ParJDA

Les 40 ans de la décentralisation : à la recherche d’un nouveau souffle

Art. 393.

La présente contribution est extraite du 9e dossier du JDA
ainsi que de l’ouvrage
40 regards sur 40 ans de décentralisation(s).

L’extrait publié ci-dessous est à découvrir
– en intégralité –
dans l’ouvrage précité (Editions l’Epitoge).

André Viola
Maître de conférences en droit public à l’Université Toulouse Capitole
Ancien président du Conseil départemental de l’Aude
Vice-président de la Commission nationale de la coopération décentralisée

Lorsque j’ai été contacté pour apporter ma contribution à ce travail autour de l’anniversaire des 40 ans de la décentralisation en France, je ne savais pas si les initiateurs conviaient à s’exprimer l’enseignant en droit public ou l’élu local ? Les deux m’ont-ils répondu !

Après une courte réflexion, j’ai accepté l’invitation en me disant que, puisqu’il y aurait beaucoup de juristes conviés à intervenir, j’insisterai plutôt au travers de ces quelques lignes, sur mon ressenti eu égard à la décentralisation. Ressenti en tant qu’élu local, vivant au quotidien cette décentralisation depuis maintenant 26 ans (1995 a été la date de ma première élection en tant que conseiller municipal), mais ressenti aussi et surtout, dans ce propos introductif, en tant qu’enseignant de droit public et tout particulièrement de droit des institutions territoriales et de la décentralisation.

Je suis en effet surpris, année après année, de la réaction des étudiants face à la décentralisation qui, pour eux, est un acquis, quelque chose de banal, qu’ils connaissent depuis leur naissance… Et pourtant… Privilège de l’âge, même si je n’avais que 11 ans en 1982 et que le vote des lois de décentralisation ne m’a pas du tout marqué à ce moment-là, j’ai côtoyé, lorsque j’ai fait mes premiers pas en politique, des élus qui avaient connu l’avant et l’après 1982 (ils ne sont plus très nombreux aujourd’hui) et qui m’ont vite fait prendre conscience du formidable impact des lois de décentralisation.

Ces lois de 1982 et 1983 n’étaient pas une simple évolution juridique, mais constituaient une véritable révolution politique, un souffle nouveau dont les nouvelles générations ont du mal à prendre conscience.

Cette ambition, et c’est ce que j’essaierai de démontrer au travers de mon propos, s’est essoufflée au fil du temps, faisant de cette révolution politique une simple technique juridique froide, faisant l’objet d’ajustements tout aussi techniques, ces dernières années, sans grandes ambitions.

À l’aube de l’élection présidentielle de 2022, nous verrons si la décentralisation fait à nouveau l’objet d’échanges passionnés, si la question revient au cœur du débat politique. Je l’espère, et je l’espère en souhaitant que l’on sorte de ce paradoxe, que je ne manque pas de souligner auprès de mes étudiants, de ce « je t’aime, moi non plus » entre les élus locaux et l’État. Des élus locaux qui ne cessent de critiquer l’État, trop lourd, trop présent, trop écrasant tout en ne manquant pas de le solliciter sans cesse… et un État qui ne cesse de considérer les collectivités territoriales comme de simples agents d’exécution tout en comptant sur elles en période de crise pour prendre des initiatives… Espérons que la campagne présidentielle permettra de sortir de ce jeu de rôle, de ce jeu de dupes. La décentralisation n’est pas un moyen de contourner l’État, c’est « une façon d’être de l’État » (M. Hauriou) nécessitant de trouver un juste équilibre entre le pouvoir donné aux collectivités territoriales et celui qui reste entre les mains de l’État. Et dans le souci permanent de rendre le service public le plus efficace possible pour nos concitoyens.

Nous verrons bien dans les semaines qui viennent si cet espoir d’un beau débat de fond sera exaucé. Dans l’attente, et dans le cadre de l’espace qui m’est offert, je reviendrai forcément à grands traits sur cette ambition qu’a été la décentralisation à l’origine et sur l’essoufflement qu’elle a connu au fil du temps, le projet de loi 3ds en cours de discussion au Parlement étant certainement le symptôme le plus probant de cet essoufflement.

I. Le temps des conquêtes

Les lois de décentralisation de 1982 et 1983 ont constitué une véritable révolution (A) dans le cadre de la République française indivisible qui ont bouleversé l’organisation politique, l’effet de souffle ayant perduré un peu plus d’une vingtaine d’années (B).

A La décentralisation pour changer la vie

« Changer la vie ». Tel était le slogan de campagne de F. Mitterrand en 1981, telle était son ambition.

Parmi les projets qui devaient changer la vie des français, il y avait la volonté de F. Mitterrand de décentraliser la République française. C’était une conviction profonde de celui qui allait devenir président de la République pour qui « la France a eu besoin d’un pouvoir fort et centralisé pour se faire, elle a aujourd’hui besoin d’un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire » (F. Mitterrand, 15 juillet 1981).

Il faut malgré tout souligner ce positionnement paradoxal, pour un candidat de gauche, la gauche ayant toujours été classée, historiquement, dans la tradition jacobine, centralisatrice, alors que la droite a toujours été considérée comme girondine, décentralisatrice.

Au-delà de ce paradoxe, le souhait de F. Mitterrand était bien de transférer de réels pouvoirs aux collectivités territoriales et à leurs représentants, les élus locaux. Sans bien évidemment mettre en péril l’unité nationale, comme certains le craignaient. Ses idées étaient claires, son programme précis, il n’y a qu’à se tourner vers les fameuses 110 propositions :

Proposition 54 : « Les conseils régionaux seront élus au suffrage universel et l’exécutif sera assuré par le président et le bureau. La Corse recevra un statut particulier. Un département basque sera créé. La fonction d’autorité du préfet sur l’administration locale sera supprimée. L’exécutif du département sera confié au président et au bureau du conseil général. La réforme des finances locales sera aussitôt entreprise. La tutelle de l’État sur les décisions des collectivités locales sera supprimée ».

Proposition 57 : « Les communes, départements, régions bénéficieront pour assumer leurs responsabilités d’une réelle répartition des ressources publiques entre l’État et les collectivités locales. Celles-ci auront notamment la responsabilité des décisions en matière de cadre de vie : développement prioritaire des transports en commun, aménagement des rues, services sociaux, espaces verts. Elles susciteront le développement de la vie associative, contribuant ainsi à l’animation de la ville, au rayonnement de ses activités, à l’affirmation de sa personnalité ».

Tout était dit, il ne restait plus qu’à faire voter la loi sous l’impulsion de P. Mauroy, premier ministre, et de G. Defferre, ministre de l’intérieur, qui ont parfaitement traduit ces propositions dans les textes de loi de 1982 et de 1983.

Je ne rentrerai pas dans le détail de ces lois, d’autres le feront certainement dans le cadre de cette publication. Je veux juste ici souligner qu’il y aura eu en France, pardonnez-moi la phrase un peu galvaudée, « un avant et un après 1982 » que l’on a du mal à percevoir aujourd’hui. Une véritable révolution qui partagea le pouvoir entre le centre et les collectivités territoriales. Avec des élus locaux se retrouvant avec des pouvoirs qu’ils n’avaient pas jusque-là. J’ai toujours en mémoire ce que me racontait celui qui m’a mis le pied à l’étrier en politique, J. Cambolive, ancien député, maire et conseiller général (c’était la terminologie utilisée à l’époque).

Lorsqu’il parlait de la décentralisation qu’il avait eu l’honneur de voter en 1982, il prenait l’exemple de son rôle de conseiller général. Avant 1982, c’était le préfet qui assurait l’exécutif de l’assemblée départementale, les conseillers généraux n’ayant le pouvoir que d’émettre des vœux, notamment sur les fameux PK pour point kilométrique, les conseillers généraux demandant au préfet des interventions sur la voirie de leur canton entre tel point kilométrique (PK) et tel autre… Tout l’enjeu des séances du conseil général, le département de l’Aude étant majoritairement de gauche dans un pays jusque-là gouverné par la droite, était de « faire sortir de ses gonds » le préfet par le vote de vœux contre le gouvernement et de l’amener à quitter la séance afin de rester « entre élus ». J’imagine aujourd’hui le sentiment de ces élus locaux qui, en 1983, siégeaient dans la même instance, mais avec un exécutif entre les mains d’un président qu’ils avaient choisi et avec des compétences et des pouvoirs sans commune mesure avec ceux qu’ils avaient auparavant.

Et avec ce nouveau pouvoir, de nouvelles responsabilités, bien plus importantes et qui n’ont cessé de croître au fil du temps, à tel point que l’on se demande, élection après élection, si l’on trouvera suffisamment de candidats pour assumer ces lourdes responsabilités (pour finalement constater que l’on a toujours plus de candidats que de postes à pourvoir, et c’est tant mieux ainsi).

Alors, je ne sais si la décentralisation a changé la vie des français, je le crois malgré tout, mais en tout cas elle a changé la vie des élus locaux et des préfets et ce souffle impulsé par les lois de décentralisation a duré plusieurs années, entraînant réforme sur réforme jusqu’à ce que certains ont qualifié d’acte II de la décentralisation.

B. 2003, ou l’acte II de la décentralisation ?

En effet, à la suite des lois de décentralisation de 1982, le législateur est intervenu à plusieurs occasions pour parfaire cette révolution juridique et tirer toutes les conséquences de ce changement. Il n’est pas possible ici de dresser la liste de toutes les lois qui ont été prises mais on peut citer, parmi les plus importantes et sans être exhaustif, les lois du 10/07/1982 créant les chambres régionales des comptes et du 22/07/1982 concernant les nouvelles modalités de contrôle des collectivités territoriales. D’autres lois ont précisé les compétences de chaque échelon de collectivité (loi de 1983, loi du 18/07/1985 sur l’urbanisme), le nouveau statut de la fonction publique territoriale (loi de 1984), ou encore le mode d’élection des conseils régionaux (loi du 10/07/1985, les premières élections directes régionales ayant lieu en 1986, date à laquelle les régions sont réellement devenues des collectivités territoriales à part entière).

Enfin, on peut relever l’accélération dans cette période postérieure à 1982 du mouvement intercommunal avec notamment la loi du 06/02/1992 relative à l’administration territoriale de la République et surtout la loi du 12/07/1999 qui a donné une impulsion réelle à la coopération intercommunale.

C’est donc dans les deux dernières décennies du XXe siècle que la France a connu son principal mouvement de décentralisation et une dynamique forte de réformes concernant les collectivités territoriales, mouvement que certains ont souhaité relancer au début du XXIe siècle.

En effet, le gouvernement de J-P. Raffarin, sous la présidence de J. Chirac, a souhaité lancer à nouveau une vaste réforme qu’il qualifia d’acte II de la décentralisation, dénomination que lui déniait l’opposition de gauche (nous étions alors à front renversé par rapport à 1982). Certes, la réforme de 2003 ne pouvait être du même niveau et de la même ampleur que celle de 1982 qui constituait, on l’a vu, une véritable révolution. Mais force est de constater que cette réforme de 2003 est d’une toute autre ampleur que les évolutions législatives postérieures à 1982, puisque cette nouvelle étape a nécessité une intervention au plus haut niveau juridique, à savoir la révision de la Constitution, pour pouvoir entrer en vigueur. C’est bien la preuve que cette réforme était conséquente et qu’elle méritait le titre d’acte II de la décentralisation. Là aussi, sans complètement entrer dans le détail du contenu de cette loi, il convient de souligner les nombreuses avancées qu’elle a apportées :

– inscription de « l’organisation décentralisée de la République » dans le texte de la Constitution, au même niveau que la notion d’indivisibilité de la République… ;

– reconnaissance du Sénat comme représentant des collectivités territoriales de la République, qui désormais sera saisi en premier de toutes les lois ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales ;

– reconnaissance constitutionnelle des régions, qui jusque-là n’étaient reconnues que par la loi de 1982, ainsi que de la notion d’autonomie financière des collectivités territoriales, une notion au cœur des débats entre l’État et les collectivités territoriales depuis cette date, ces dernières revendiquant désormais une autonomie fiscale plutôt que cette autonomie financière, insuffisamment protectrice des finances locales à leurs yeux ;

– consécration constitutionnelle de l’expérimentation, une souplesse très attendue, mais finalement peu utilisée par la suite du fait de conditions de mise en œuvre trop rigides ;

– mise en place du référendum local dont les élus locaux se sont finalement peu saisis ;

– ou encore création du statut de Collectivités d’Outre-Mer.

Bref, les apports de cette loi constitutionnelle de 2003 sont nombreux et importants à tel point qu’ils constituent une étape essentielle dans le développement de la décentralisation en France, l’effet de souffle de 1982 perdurant jusqu’à cette date avant de décliner, comme nous allons désormais le voir dans une seconde partie.

II. La lente perte d’ambition


La suite du présente article est à découvrir
dans l’ouvrage 40 regards sur 40 ans de décentralisation(s)
(Toulouse, Editions L’Epitoge ; 2 mars 2022).


Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2022 ; Dossier 09 – 40 ans de décentralisation(s) ;
dir. F. Crouzatier-Durand & M. Touzeil-Divina ; Art. 393.

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À propos de l’auteur

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Le JDA (Journal du Droit Administratif) en ligne a été (re)fondé en 2015 à Toulouse. Son ancêtre le "premier" JDA avait été créé en 1853 par les professeurs Adolphe Chauveau & Anselme Batbie. Depuis septembre 2019, le JDA "nouveau" possède un comité de rédaction dirigé par le professeur Mathieu Touzeil-Divina et composé à ses côtés du Dr. Mathias Amilhat ainsi que de M. Adrien Pech.