Les apports de la loi « Sapin II » au droit de la commande publique

ParJDA

Les apports de la loi « Sapin II » au droit de la commande publique

par Mme Anne-Claire GRANDJEAN
Docteur en droit public de l’Université Lille 2
Déléguée du Défenseur des droits

Art. 213. La loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin II », et publiée au Journal officiel de la République française n° 287 du 10 décembre 2016 contient des dispositions intéressant directement le droit de la commande publique.

La création de l’Agence française anticorruption (art. 1), la mise en place d’un régime de protection des lanceurs d’alerte (art. 6), l’autorisation faite au Gouvernement de procéder, par ordonnance, à l’adoption de la partie législative du code de la commande publique (art. 38), la modification de certaines dispositions de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics (art. 39) et la ratification de l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession (art. 40) apparaissent comme les mesures notables de la loi « Sapin II » en matière de commande publique.

Ce bref rappel permet de comprendre que le texte a vocation à moderniser le droit pénal de la commande publique (I) et à modifier et organiser le droit commun de la commande publique (II).

I) La modernisation du droit pénal de la commande publique

La modernisation du droit pénal de la commande publique a lieu grâce à la création de l’Agence française anticorruption (A) et à la consécration d’un régime général du lanceur d’alerte (B).

A. L’Agence française anti-corruption, service national d’aide à la prévention et à la détection de délits commis notamment dans le cadre de la commande publique

La loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, dite loi « Sapin I », avait créé le Service central de prévention de la corruption (SCPC), anciennement placé auprès du Garde des sceaux, qui avait été mis en place pour centraliser les informations nécessaires à la détection et à la prévention des faits de corruption active ou passive, de trafic d’influence commis par des personnes exerçant une fonction publique ou par des particuliers, de concussion, de prise illégale d’intérêts ou d’atteinte à la liberté et à l’égalité des candidats dans les marchés publics. A cet égard, l’entité établissait un rapport annuel de nature à présenter et analyser les données statistiques relatives aux condamnations pour manquements à la probité ainsi que les jurisprudences en la matière. Ce rapport émettait également des propositions permettant d’améliorer la prévention des délits entrant dans le champ de compétence du service.

L’article 1er de la loi « Sapin II » crée l’Agence française anticorruption en lieu et place du SCPC afin, notamment, de mettre en conformité le droit interne avec les exigences internationales (convention des Nations-Unies contre la corruption du 31 octobre 2003).

Statutairement, l’Agence française anticorruption est un service à compétence nationale placé auprès du ministre de la justice et du ministre chargé du budget. Cette entité est chargée d’aider les autorités compétentes à prévenir et détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme. Dès lors, il faut remarquer que le champ de compétence matérielle de l’agence est plus large que celui du SCPC.

En vertu de l’article 3 de la loi « Sapin II », l’Agence a pour mission de participer à la coordination administrative, de centraliser et de diffuser les informations permettant d’aider à prévenir et à détecter les délits susmentionnées. A cet égard, le décret n° 2017-329 du 14 mars 2017 relatif à l’Agence française anticorruption précise qu’elle est en charge de l’élaboration d’un plan national pluriannuel de lutte contre les délits susmentionnés. En outre, l’Agence élabore des recommandations et assure des formations et des actions de sensibilisation destinées à aider les personnes morales de droit public et de droit privé à prévenir et à détecter les délits ressortant de son champ de compétence. Elle contrôle par ailleurs, de sa propre initiative, la qualité et l’efficacité des procédures mises en œuvre pour prévenir et détecter les faits.

L’Agence s’assure enfin de la mise en œuvre, sous le contrôle du procureur de la République, des programmes de mise en conformité que les personnes morales doivent respecter, dans le cadre d’une condamnation au titre de l’article 131-39-2 du code pénal ou, sur demande du Premier ministre, d’une décision prise dans le cadre de la loi n° 68-678 du 26 juillet 1968. L’agence dispose de moyens d’actions tels que l’élaboration d’un rapport annuel rendu public et le signalement d’infractions au procureur de la République.

B. La consécration bienvenue d’un régime général de protection du lanceur d’alerte

Depuis 2001, les textes relatifs au lanceur d’alerte se succédaient dans des domaines variés mais sans logique d’ensemble. L’article 6 remédie à cette lacune juridique et consacre une définition générale du lanceur d’alerte comme étant « une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ». Cette disposition est louable et permet désormais de normaliser les conditions juridiques de l’existence du lanceur d’alerte. La bonne foi, élément central, devient une condition de réalisation de l’alerte tout comme le désintéressement ce qui exclut que le lanceur d’alerte puisse être animé par des considérations pécuniaires.

La procédure du signalement de l’alerte est prévue à l’article 8 de la loi « Sapin II » qui contraint à porter à la connaissance du supérieur hiérarchique les faits puis, en cas d’absence de réaction dans un délai raisonnable, aux autorités judiciaire, administrative et aux ordres professionnels. En dernier lieu, le signalement peut être rendu public. Le Défenseur des droits peut également être saisi pour orienter le lanceur d’alerte vers les organismes compétents pour recevoir le signalement.

Un régime juridique de protection du lanceur d’alerte est également instauré. Ainsi, l’article 9 contraint à la confidentialité de l’auteur de l’alerte et pénalise la divulgation des éléments relatifs à son identité de 30 000 euros d’amende et de deux ans d’emprisonnement. En outre, la loi protège le lanceur d’alerte contre une pratique discriminatoire lors d’une embauche.

En dehors du droit pénal de la commande publique, le droit commun fait également l’objet de modifications plus résiduelles.

II) L’organisation et la modification du droit commun de la commande publique

La loi « Sapin II » modifie, à la marge, l’ordonnance relative aux marchés publics (A) et autorise le Gouvernement à adopter la partie législative du code de la commande publique (B).

A. La réécriture résiduelle et la ratification de l’ordonnance relative aux marchés publics

L’article 39 de la loi « Sapin II » a ratifié l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics. Quelques modifications ont cependant été apportées au texte.

Ainsi, il faut noter la suppression de la possibilité, prévue à l’article 32 de l’ordonnance, de présenter des offres variables en fonction du nombre de lots susceptibles d’être obtenus. En outre, la loi « Sapin II » abroge l’article 40 de l’ordonnance susmentionnée qui prévoyait la nécessité, pour les marchés au-dessus de 100 millions d’euros hors taxe, d’une évaluation préalable à la procédure de passation, de nature à comparer les modes de réalisation du projet. Les marchés de partenariat restent toutefois soumis à cette obligation par le biais de la modification de l’article 74 de l’ordonnance.

L’article 45 de l’ordonnance est également modifié. A cet égard, la loi « Sapin II » assouplit les modalités de preuves de ce que les candidats ne se trouvent pas dans une situation d’interdiction de soumissionner liée à une condamnation pénale, à une violation des règles relatives au travail illégal ou à une sanction pénale accessoire liée à l’exclusion des marchés publics. Désormais, une simple déclaration sur l’honneur suffit.

La loi « Sapin II » modifie par ailleurs l’article 52 de l’ordonnance en prévoyant que l’attribution est possible sur la base d’un critère unique mais renvoie à un décret les conditions d’application. L’article 62 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics n’a toutefois pas été modifié. Il précise que le prix ou le coût peuvent constituer, sous conditions, un critère unique.

L’article 53 de l’ordonnance a été modifié afin de permettre à l’acheteur de mettre en œuvre tout moyen dans la détection des offres anormalement basses mais les modalités de mise en œuvre de cette action demeurent encore floues.

Enfin, l’article 89 de l’ordonnance prévoit, suite à la loi « Sapin II », l’indemnisation des dépenses faites par le titulaire d’un marché de partenariat après l’annulation, résolution ou résiliation du contrat sur recours d’un tiers.

 B. L’autorisation donnée au Gouvernement de procéder à l’adoption des dispositions législatives du code de la commande publique

L’article 38 de la loi « Sapin II » autorise le Gouvernement à procéder, par ordonnance, à la codification de la commande publique dans un délai de vingt-quatre mois. L’élaboration de la partie législative du code de la commande publique s’inscrit dans la perspective de simplification du droit de la commande publique prévue par les directives européennes de 2014.

Comme l’explique l’étude d’impact, la codification devrait permettre de compiler les textes épars, notamment la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée, l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics et ses décrets d’application ainsi que l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession (d’ailleurs ratifiée par l’article 40 de la loi « Sapin II »).

Demandée par un groupe de travail à l’Assemblée nationale en 1994, puis par le Conseil d’Etat en 1995, l’habilitation de procéder à la codification avait effectivement été donnée au Gouvernement en 2004 (art. 84 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit). Toutefois, le projet avait été abandonné en 2006. En 2008, le Conseil d’Etat soulignait encore sa nécessité à des fins de simplicité et de lisibilité. En 2009, l’article 33 de la loi n° 2009-179 du 17 février 2009 pour l’accélération des programmes de construction et d’investissement publics et privés autorisait de nouveau le Gouvernement à adopter la partie législative du code de la commande publique. Toutefois, le Conseil constitutionnel avait censuré cet article comme étant un cavalier législatif (décision du 12 février 2009 n° 2009-575 DC).

L’habilitation législative issue de la loi « Sapin II » apparaît cependant dans un contexte juridique bien différent. La modernisation et l’harmonisation du droit des marchés publics et des concessions justifient désormais ce projet et le placent de façon cohérente au cœur des réformes juridiques pertinentes.

Mots-clefs : Lanceur d’alerte – Agence française anticorruption – Loi « Sapin II »

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 05 : « La réforme de la commande publique, un an après : un bilan positif ? » (dir. Hœpffner, Sourzat & Friedrich) ; Art. 213.

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À propos de l’auteur

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Le JDA (Journal du Droit Administratif) en ligne a été (re)fondé en 2015 à Toulouse. Son ancêtre le "premier" JDA avait été créé en 1853 par les professeurs Adolphe Chauveau & Anselme Batbie. Depuis septembre 2019, le JDA "nouveau" possède un comité de rédaction dirigé par le professeur Mathieu Touzeil-Divina et composé à ses côtés du Dr. Mathias Amilhat ainsi que de M. Adrien Pech.

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