Les modèles mathématiques en droit de l’environnement : un outil sans mode d’emploi ?

ParJDA

Les modèles mathématiques en droit de l’environnement : un outil sans mode d’emploi ?

Art. 358.

par M. Max Gemberling
Doctorant en droit public, ATER, Université du Mans

Hawking craignait les IA. Il pensait « qu’en suivant la règle qu’elle s’est fixé de construire un modèle mathématique, la science s’avère incapable d’expliquer pourquoi il devrait exister un Univers conforme à ce mode » (Le Monde, disponible sur le site https://www.dicocitations.com/citation.php?mot=unifiee, consulté le 26 juin 2021). Le modèle mathématique ne doit pas lier l’autorité compétente pour prendre la décision finale, même si son utilité reste évidente dans un domaine habité par l’incertitude. En droit de l’environnement, le lien de causalité entre l’émission polluante et l’application du principe de précaution n’est pas toujours démontrable. Il est alors présumé par le biais des modèles. Le CE affirme que le principe de précaution peut s’appliquer « à une hypothèse suffisamment plausible », résultant de l’utilisation d’un modèle.  (Recueil Lebon, Recueil des décisions du Conseil d’Etat, « Application du principe de précaution à une hypothèse suffisamment plausible », CE, 25 février 2019, n° 410170).

Dans l’affaire du 25 février 2019, le CE devait statuer sur la constitutionnalité de deux décrets adoptés en 2017. Ces actes administratifs autorisaient certaines entreprises à extraire du sable et du gravier du domaine public maritime. L’association « le peuple des dunes des Pays de la Loire » a intenté un recours pour excès de pouvoir. L’association estimait que ces autorisations d’extraction violent le principe de précaution en favorisant l’érosion de la biodiversité. Ce cadre est l’occasion pour le CE de rappeler à la fois l’utilité du modèle pour l’environnement et le contrôle restreint qu’en fait le juge administratif. En l’espèce, la première utilisation du modèle détermine si l’incertitude permet d’appliquer la précaution. Cette utilisation va permettre d’appliquer des mesures de protection de la biodiversité et un suivi périodique par des applications ultérieures du modèle. Ces dernières permettent de s’assurer du respect de la précaution tout au long de la durée de vie du décret d’autorisation. La haute juridiction conclut en affirmant tout d’abord que le principe de précaution n’est pas violé en raison des mesures prises pour faire face au risque d’érosion, et, par conséquent que l’application fréquente du modèle suffit. Le CE rappelle toutefois implicitement son rôle en refusant de se faire scientifique puisqu’il ne contrôle que l’existence et l’indépendance de la modélisation.

La modélisation est la création d’une structure qui sert de référence à la reproduction.  Elle décrit le fonctionnement d’un système.  Qu’il s’agisse de la modélisation, du modèle ou du système, que nous aborderons comme des synonymes, ces concepts suivent une ligne directrice schématisée par certains auteurs. Ainsi, la théorie de la modélisation se définit comme le « processus d’élaboration d’une réponse à un problème de modélisation » (Hankeln Corinna et Hersant Magali, « Processus de modélisation et processus de problématisation en mathématique à la fin du lycée, une étude de cas dans une perspective de didactique comparée », Education et didactique, 2020/3 (Vol. 14), pages 39 à 67). Pour ces auteurs, la modélisation comprendrait donc deux étapes : 1° Un problème qu’il faut identifier et 2° une solution qu’il faut proposer.

Pour prendre un exemple puisé dans le droit de l’environnement, le problème de la modélisation peut résider dans la nécessité de faire respecter certaines valeurs-limites de polluants atmosphérique. Cette problématisation conduira ensuite à se poser la question des modalités de calcul des émissions polluantes et de l’adaptabilité de l’outil destiné à l’effectuer. Cet outil représente donc la solution pour faire face au problème lié au calcul des émissions polluantes, afin de faire respecter le droit de l’environnement.

Ces auteurs précisent toutefois que la modélisation ne se limite pas à ses deux composantes. Elle implique de surcroît une confrontation entre la situation réelle et l’application théorique du modèle. Le résultat doit être systématiquement confronté à la réalité du terrain. En effet, l’interprétation des résultats obtenus grâce au modèle va dépendre des circonstances. Par exemple, les résultats de l’étude d’impact seront interprétés de façon plus restrictive si l’entreprise est située dans une zone sensible, telle qu’un site Natura 2000. Ces résultats dépendront également de la présence de zones déjà polluées, impliquant alors de relativiser les résultats positifs obtenus. Au contraire, la présence d’éléments de nature à réduire en aval la pollution devrait permettre d’atténuer les éventuels résultats négatifs obtenus.

En conclusion, la modélisation représente une solution adaptée et circonstanciée qui doit permettre de résoudre un problème.

Dans le domaine environnemental, cette modélisation sert également de pilotage à l’intervention économique des entreprises et à l’intervention plus globale de l’Etat pour prendre en compte les exigences liées aux performances environnementales.La réglementation liée à ces modèles peut tout d’abord être partielle et ne s’appliquer qu’à une ou plusieurs entreprises déterminées.  Par exemple, un modèle mathématique a déterminé en 2006 quel était l’impact environnemental du rejet d’hydrocarbures dans l’eau. Il concernait 13 raffineries du groupe Total (Stéphane André, Bernard Roy« Evaluation de la performance environnementale de sites industriels : démarche de concertation pour la mise en place d’un outil d’aide multicritère à la décision » in ffhal-00133761, 2007).  La réglementation liée aux modèles peut également être globale et s’appliquer à l’égard de toutes les entreprises. Par exemple, la directive IED (Directive n° 2010/75/UE du 24 novembre 2011 relative aux émissions industrielles) fixe des limites de polluants à ne pas dépasser. (Ministère de la transition écologique et solidaire « les émissions polluantes », 18 juillet 2019, disponible à l’adresse https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/emissions-industrielles, consultée le 26 juin 2021). Les administrations nationales et les entreprises doivent donc calculer par le biais de modèles la teneur en polluants des émissions générées par leurs activités.

En droit de l’environnement, le modèle se transforme en une composante du système qui permet de l’appliquer. Le système d’ensemble se compose de l’intégralité des mécanismes juridiques, partiels ou globaux, qui ont pour objet la préservation de l’environnement. Le modèle se transforme ainsi en un outil d’aide à la décision qui intervient à tous les stades de la vie de l’entreprise. Tout d’abord, le modèle va servir de référence au préfet pour autoriser l’installation de l’exploitant. Ensuite, comme le rappelle d’ailleurs la décision du 25 février 2019, il guide l’exploitant pour un fonctionnement respectueux des droits environnementaux. Cet outil est essentiel car il permet d’assurer l’efficacité d’un système qui, sans la modélisation, ne peut pas fonctionner.

Si leur utilisation est essentielle, elle n’est pas sans risque. David forest rappelait dans son article « Les algorithmes, une bombe à retardement » les travaux de Cathy o’neil mettant en garde contre les algorithmes. C’est ainsi que cet auteur mentionne « l’utilisation de modèles mathématiques biaisés camouflant les préjugés humains sous la technologie. Ce qu’elle dénommeADM(armes de destruction mathématiques) sont des boîtes noires qui combinent opacité, traitement à grande échelle et nocivité » (Forest David, « les algorithmes, une bombe à retardement ? »,Dalloz IP/IT, 2019, p. 408). Arnaud Sée rappelle que l’utilisation des algorithmes est seulement la résultante d’un choix politique subjectif qui cache le risque que « ceux qui maîtrisent le code informatique deviennent les véritables décideurs ». (Sée Arnaud, « la régulation des algorithmes : un nouveau modèle de globalisation », RFDA, 2019, p. 830).

Dans le domaine environnemental, ces modèles doivent être indépendants de l’entreprise afin d’éviter le sacrifice de l’environnement sur l’autel du développement économique. La rémunération de l’expert par l’industriel pose le constat de l’absence d’équilibre entre l’intérêt économique de l’industriel et l’intérêt environnemental de la société. Une indépendance parfaite dans sa conception resterait cependant insuffisante. Le nombre phénoménal de modèles et leur diversité illustrent l’existence d’un système illisible. L’autorité administrative ne dispose en effet d’aucune compétence lui permettant de contrôler efficacement le modèle, alors même qu’il s’agit d’une étape essentielle dans la mise en fonctionnement de l’entreprise polluante. L’existence d’un modèle déficient risque en effet de passer sous silence les dommages environnementaux générés par l’activité industrielle.

Ces modélisations sont « in fine » essentielles pour que le système juridique fonctionne. Pour éviter leur corruption, ils doivent être indépendants de l’entreprise contrôlée. De surcroît, ces modèles sont nombreux et illisibles. Ils ne permettent pas à l’administration de contrôler efficacement les entreprises qui commandent ces modèles.

Même si les modèles existent et sont utiles (I), leur cadre juridique est insuffisant et doit être construit (II).

(I)   L’UTILITE DES MODELES EN DROIT DE L’ENVIRONNEMENT

Dans la décision « le peuple des Dunes des Pays de la Loire » (CE, 6ème et 5ème chambre réunie, 25 février 2019, n°410170), le CE admet que l’utilisation de la modélisation est utile et conforme au droit de l’environnement. Pour Claudine Schmidt-Lainé et Alain Pavé, il existe quatre types de modèles : 1° le modèle cognitif destiné à être réfuté ou validé par la communauté scientifique, 2° le modèle normatif, qui, relié à la mise en application d’une norme, doit coller à la réalité, 3° le modèle participatif qui peut être modifié avec le concours de ses utilisateurs. Enfin, 4° le modèle d’aide à la décision facilite la tâche des entreprises sans qu’il soit nécessairement relié à une norme juridique. (Schmidt-Lainé et Alain Pave, « Environnement : modélisation et modèles pour comprendre, agir ou décider dans un contexte interdisciplinaire », in Natures, sciences, et sociétés, 2002, disponible à l’adresse https://www.nss-journal.org/articles/nss/pdf/2002/02/nss200210sp5.pdf?fbclid=IwAR2rrWjAaxFa__TGIG5yDDweWYyOZvYV jljVE1j61u6UtFdwI7lV2YBdFbo, consultée le 26 juin 2021). Au sein de cette dernière catégorie se rangent les modèles préparatoires. Ces derniers sont des outils d’aide à la décision qui n’impactent pas nécessairement la décision finale prise par l’autorité administrative.

Ces modèles peuvent être classés en deux groupes :

Tandis que certains anticipent la concentration ou le périmètre de rejet des molécules polluantes en fonction d’une quantité théorique de polluants émis, d’autres extrapolent les mesures réelles de concentrations effectuées à un endroit déterminé.

Parmi les modèles d’anticipation, il est possible de citer le modèle de volume SWAT « Soil and Water Assessment Tool ». Ce modèle est notamment utilisé aux Etats-Unis pour anticiper la pollution agricole. Il permet de « simuler les effets des pratiques agricoles sur les émissions azotées et le transfert de pesticides vers les masses d’eau ». (Jordy Salmon-Monviola. « Modélisation agro-hydrologique spatialement distribuée pour évaluer les impacts des changements climatique et agricole sur la qualité de l’eau ». Science des sols. Agrocampus Ouest, 2017. Français. ffNNT: 2017NSARD081ff. fftel-01662412f). En France, il est utilisé pour « évaluer les risques de pollution diffuse par l’azote d’origine agricole dans deux bassins versants des pays de la Loire ». (Bureau d’études industrielles, Energie renouvelable et Environnement, Présentation du modèle SWAT, disponible à l’adresse http://hmf.enseeiht.fr/travaux/bei/beiere/content/2012-g05/presentation-du-modele-swat, consultée le 26 juin 2021).

Pour la plupart, à l’image du modèle SWAT, ces modèles d’anticipation sont des modèles cognitifs qui aident à la décision administrative. En ce sens, ils ne correspondent pas nécessairement à la réalité et seront parfois réfutés par la communauté scientifique même si leur utilité est avérée. Ainsi, comme le rappelle le Professeur Laurent, à propos du même modèle, l’anticipation est une représentation simplifiée de la réalité. Elle doit être mise en œuvre avec « certaines precautions concernant la qualité des données entrées, le réalisme de certains processus représentés dans le modèle, la méthodologie et l’interprétation des résultats ». (Laurent François, « Agriculture et pollution de l’eau: modélisation des processus et analyse des dynamiques territoriales », s. Sciences de l’environnement. Université du Maine, 2012. fftel-00773259, page 158).

Parmi les modèles d’extrapolation, il est possible de citer le modèle Chimère. Ce modèle permet de calculer de façon précise la trajectoire de certains polluants, tels que l’ozone, dans l’air.  L’objet de Chimère est donc de calculer la teneur en concentration des substances chimiques présentes dans l’atmosphère afin d’en limiter l’impact sur l’environnement et la santé humaine. Le logiciel Chimère est en libre disposition. Il s’agit donc d’un mécanisme de contrôle tout à fait transparent (Laboratoire de météorologie dynamique, « Chimère », 2020, disponible à l’adresse https://www.lmd.polytechnique.fr/chimere/, consultée le 26 juin 2021). Si ces modèles semblent plus fiables que les modèles d’anticipation, en ce sens qu’ils ne se basent pas sur une simulation, il s’agit également de modèles d’aide à la décision.

Si certains de ces modèles semblent adaptés au droit de l’environnement, d’autres sont trop flexibles ou pas suffisamment pour servir d’outils à la disposition des préfectures. Ainsi, le modèle cognitif ne peut pas guider la décision préfectorale. Il n’est pas nécessairement relié à l’application d’une norme et sert simplement à faire évoluer la connaissance. Le modèle d’aide à la décision ne peut pas non plus fonder la décision préfectorale. Il s’agit d’un modèle performatif qui ne représente pas systématiquement la consécration d’une norme juridique. De surcroît, ce modèle est parfois propre à la stratégie économique d’une entreprise.

En droit des installations classées, les modèles qui présentent un intérêt pour les services préfectoraux sont normatifs, en ce sens qu’ils permettent au préfet d’appliquer le cadre légal. Les modèles participatifs sont moins intéressants en ce sens qu’ils peuvent être modifiés par les entreprises. Dans cette hypothèse, le modèle est préparatoire car il ne lie pas la décision préfectorale.

Pour les modèles normatifs, le contrôle administratif est primordial. Il permet à l’administration ou au juge d’annuler un modèle qui n’est pas représentatif du cadre légal ou qui n’est pas impartial. Ainsi, le juge administratif a récemment enjoint à une entreprise demanderesse d’une autorisation à l’installation d’une ICPE de revoir une modélisation jugée insuffisante par l’autorité environnementale (TA de Paris, 23 février 2018, « Région île de France », n° 1619643, 1620386, 1620420, 1620619). En l’espèce, la ville de Paris avait initié un projet d’aménagement de la rive droite de la Seine. Selon la juridiction administrative, le champ d’application du modèle n’est pas correctement pensé. Il ne prend pas en compte tous les impacts que le projet est susceptible d’avoir sur la qualité de l’air.  (En l’espèce, la modélisation se limite à calculer la pollution de l’air « sur une bande de 100 mètres de part et d’autre du projet », ce qui est insuffisant). Cette décision présente un intérêt évident pour un éventuel contrôle de l’indépendance du modèle. En effet, la juridiction se réfère à l’avis rendu par l’autorité environnementale pour montrer l’insuffisance du modèle compris dans l’étude d’impact. Or, l’autorité environnementale doit être dotée d’une autonomie fonctionnelle vis-à-vis de l’autorité décisionnaire. (Maître Marie Pierre, « La saga de l’autorité environnementale », Bulletin du droit de l’environnement industriel n° 80, 1er avril 2019). Ainsi, la dépendance comme l’insuffisance du modèle pourraient être sanctionnées ultérieurement par un organe indépendant de l’autorité décisionnaire. Il est toutefois dommage que l’avis rendu par l’autorité environnementale ne lie pas la décision du maître d’ouvrage (Site internet de la DREAL Centre-Val de Loire, « solicitation de l’autorité environnementale », 13 juin 2017, disponible à l’adresse http://www.centre-val-de-loire.developpement-durable.gouv.fr/sollicitation-de-l-avis-de-l-autorite-a1783.html#sommaire_1, consultée le 03/07/2020)   

Cet avis conforme serait d’autant plus intéressant que le modèle, en tant qu’acte préparatoire, peut faire l’objet d’un contrôle par la voie de l’exception d’illégalité. (CE, 6ème et 1ère SSR, 6 avril 2016, n°395916).

Si ces modèles sont utiles, leur cadre juridique est insuffisant et doit être construit (II)

(II) UN CADRE JURIDIQUE INSUFFISANT

Les modèles doivent respecter un cadre légal.

Ce cadre existe notamment au niveau européen. Ainsi, plusieurs directives européennes ont fixé des seuils de concentration à ne pas dépasser.

La directive 2008/50/CE concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur en Europe fixe des seuils limites dans l’atmosphère pour l’Anhydride sulfureux, le dioxyde d’azote, l’oxyde d’azote, le monoxyde de carbone, le benzène, les particules fines, le plomb, l’ozone, le NO et le NO2. La directive de 2004-107-CE concernant l’arsenic, le cadmium, le mercure, le nickel et les hydrocarbures aromatiques polycycliques dans l’air ambiant fixe des valeurs cibles pour l’atmosphère concernant l’arsenic, le cadmium, le mercure, le nickel et les hydrocarbures aromatiques polycycliques.

La directive 2000/60/CE ((articles 2, 29) et article 4 IV)) du 23 octobre 2000 enjoint aux Etats membres de l’UE de réduire les substances dangereuses présentes dans les eaux de la communauté. La directive 76/464/CEE, du 4 mai 1976 (article 5) laisse aux autorités nationales la tâche de fixer des seuils de concentration de substances polluantes dans l’eau. Aux fins d’application de cette directive, un arrêté n° DEVO1001032A du 25 janvier 2010 (pour prendre un exemple) fixe des seuils de concentration de polluants qui permettent de jauger de la qualité environnementale de l’eau. Enfin, des taux de concentration, déterminés au cas par cas par l’administration, imposent une obligation de dépollution des sols contaminés pour certaines substances telles que le plomb (Almeras Clotilde et autres, « sites potentiellement contaminés par le plomb, retours d’expériences et recommandations : réflexion autour d’un niveau de concentration dans les sols au-delà duquel il est nécessaire de dépolluer » in site internet du ministère des affaires sociales et de la santé, 1er mars 2014, p. 64 à 66», disponible à l’adresse https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_sites_pollues_plomb.pdf, consultée le 26 juin 2021).

Des taux sont donc fixés pour certaines molécules dangereuses. Les paramètres intégrés dans les modèles doivent correspondre aux molécules qualifiées de dangereuses par le droit de l’UE, que ce soit pour l’eau, la terre ou l’air. Dans la pratique des entreprises, certains modèles ne respectent pas le cadre normatif. Certaines entreprises ne calculent pas le taux de concentration des molécules dans l’air. Certains modèles ne prennent en compte que certaines des substances inscrites dans la nomenclature européenne.

Le préfet ne doit pas uniquement se baser sur un modèle pour prendre sa décision, dès lors qu’il est incomplet au regard du cadre normatif. Le préfet ne doit pas non plus se baser uniquement sur un modèle, dès lors qu’il est n’est pas rédigé de façon indépendante. A ce titre, il est regrettable que le CE, dans sa décision « le peuple des dunes des pays de la Loire » du 25 février 2019 n’ait pas fait de l’indépendance du modèle une condition de sa légalité, même s’il a rappelé qu’il s’agit d’un moyen de légitimer sa création. Cette circonstance est d’autant plus regrettable que le modèle, comme tout acte préparatoire, ne fait pas grief. (Les avis émis par des autorités avant la saisine de l’administration, y compris s’il s’agit d’avis conformes, sont des actes qui ne font pas grief. CE, SA Laboratoires Goupil, n° 83292, in François Julien-Laferrière, « la recevabilité des recours », in pratique du contentieux administratif, dossier 220, juin 2018). La modélisation ne peut donc pas faire l’objet par elle-même d’un recours pour excès de pouvoir.  Le modèle dépendant ou incomplet peut être contesté par la voie de l’exception d’illégalité, à l’occasion d’un recours dirigé contre la décision préfectorale prise en application du modèle. De surcroît, une action directe serait superficielle. Elle inciterait simplement le juge à combiner les deux moyens à l’occasion d’une même instance pour statuer à la fois sur le modèle et sur la décision préfectorale. Seule l’évolution vers une décision prise par le modèle mathématique justifierait une action directe, en raison de l’absence de décision préfectorale. Le modèle indépendant et complet est donc une arme qui guide la décision préfectorale. Il permet au préfet d’enclencher ses pouvoirs de police au titre des installations classées sous le contrôle du juge administratif, dès lors que le modèle est normatif et qu’il aide de manière indépendante à la décision préfectorale.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ;
Chronique administrative ; Art. 358.

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À propos de l’auteur

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