L’interdiction générale et absolue est morte, vive la publicité des professionnels de santé !

ParJDA

L’interdiction générale et absolue est morte, vive la publicité des professionnels de santé !

par Pauline GALLOU
Doctorante en Droit public – Université Toulouse 1 Capitole
Institut Maurice Hauriou

Art. 271.

Sous l’influence du juge européen, le Conseil d’Etat vient de condamner par deux décisions[1] l’interdiction générale de publicité à laquelle les médecins et les chirurgiens-dentistes étaient soumis jusque-là, revenant ainsi sur sa jurisprudence antérieure. Dans la perspective des évolutions réglementaires à venir, le Journal du Droit Administratif est heureux de vous annoncer d’ores et déjà un cycle de trois conférences pour le mois de mars 2020. Si la question de l’interdiction de la publicité a mis en lumière le secteur de la santé, la question sera également abordée au prisme des dispositions applicables à d’autres professions réglementées.

Dans les deux affaires jugées le 6 novembre par le Conseil d’Etat, les requérants, médecin et chirurgien-dentiste de profession, contestent la légalité des dispositions contenues dans leur Code de déontologie respectif visant à interdire toute publicité[2].  Rappelons que le code de déontologie médicale dispose que « [l]a médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce. Sont interdits tous procédés directs ou indirects de publicité et notamment tout aménagement ou signalisation donnant aux locaux une apparence commerciale »[3]. Le code de déontologie des chirurgiens-dentistes prévoit également l’interdiction de la publicité dans plusieurs dispositions[4]. Les professionnels de santé demandent au pouvoir réglementaire l’abrogation des dispositions litigieuses pour inconventionnalité.

Se heurtant au silence de l’administration, les deux professionnels ont saisi la juridiction administrative d’un recours pour excès de pouvoir contre les deux décisions implicites de rejet afin d’en obtenir l’annulation. Les requérants arguent que les dispositions en cause sont contraires au droit européen.  Le médecin soulève l’inconventionnalité de l’interdiction de publicité avec la libre prestation de service posée à l’article 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et le chirurgien-dentiste soulève en plus de cette dernière, l’inconventionnalité des dispositions françaises au regard de la directive sur le commerce électronique du 8 juin 2000[5].

Le Conseil d’Etat leur donne raison et annule la décision de rejet implicite de la ministre de la santé.

Si la question de droit soulevée dans les deux espèces n’est pas nouvelle (A) elle va certainement conduire le gouvernement à faire évoluer la réglementation (B).

A) La conventionnalité des dispositions limitant la publicité des professions médicales : une question ancienne, une réponse jurisprudentielle nouvelle

Les dispositions interdisant la publicité aux professionnels de santé ont donné lieu à une jurisprudence abondante. La vigilance portée par les juridictions ordinales au respect des devoirs de leur profession et les sanctions prononcées expliquent le nombre de décisions. Sans faire une revue exhaustive de la jurisprudence française, nous rappellerons simplement que la plus haute juridiction administrative considérait jusqu’alors que les dispositions françaises interdisant la publicité poursuivaient un objectif d’intérêt général de protection de la santé. Le juge considérait en général que la limitation des libertés qui en découlait était proportionnée à cet objectif, et donc légale au regard du droit interne mais aussi européen.

Le Conseil d’Etat avait ainsi pu considérer que les dispositions interdisant la publicité des chirurgiens-dentistes n’était pas contraire à la liberté de communication et d’information protégée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme[6]. Les règles déontologiques s’appliquant à l’ensemble de la profession, le juge leur refusait le caractère discriminatoire.

La Haute juridiction administrative avait également jugé en 2016[7] dans des conditions d’espèce similaires que les dispositions du Code de déontologie médicale (article R 4127-19 du Code de la santé publique) n’étaient pas contraires à la liberté d’établissement et à la libre prestation de service garanties par les articles 49 et 56 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne. A l’occasion de ce recours, le Conseil d’Etat avait interprété les dispositions du Code de déontologie comme ne faisant pas « obstacle ni à la mise à disposition du public par ce praticien, au-delà des indications expressément mentionnées dans le code de la santé publique telles que celles pouvant figurer dans les annuaires à destination du public ou sur les plaques présentes sur les lieux d’exercice, d’informations médicales à caractère objectif et à finalité scientifique, préventive ou pédagogique, ni à la délivrance d’informations à caractère objectif sur les modalités d’exercice, destinées à faciliter l’accès aux soins ». Le requérant avait donc été débouté de sa demande.

Peu après, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), saisie d’un renvoi préjudiciel par le juge belge, a précisé en 2017 dans un arrêt Vanderborght qu’une interdiction générale et absolue de publicité posée par une législation nationale était contraire à la libre prestation de service[8]. Quelques mois plus tard le Conseil d’Etat a relevé dans une étude sur les « Règles applicables aux professionnels de santé en matière d’information et de publicité » réalisée à la demande du Premier ministre, que la portée de cet arrêt était « susceptible de fragiliser la règlementation française »[9].

L’intuition du Conseil d’Etat a été ensuite confirmée. La CJUE ayant précisé dans une ordonnance  que « l’article 8 de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »), doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit de manière générale et absolue toute publicité des membres de la profession dentaire, en tant que celle-ci leur interdit tout recours à des procédés publicitaires de valorisation de leur personne ou de leur société sur leur site Internet »[10]. Pour la Cour européenne, la France « ne saurait interdire de manière générale et absolue toute forme de publicité en ligne aux membres de cette profession ».

L’étau s’étant resserré autour des dispositions françaises, le Conseil d’Etat fait évoluer sa jurisprudence sous la pression européenne[11].

B) Vers une probable évolution de la réglementation française : quels outils, avec quelle garantie ?

L’évolution de la réglementation française était recommandée par le Conseil d’Etat dans son étude en 2018 et souhaitée par l’Autorité de la concurrence au début de cette année[12]. Avec les récentes décisions de novembre, le pouvoir réglementaire va être contraint d’abroger les dispositions des différents codes de déontologie interdisant la publicité aux professionnels de santé.

Ainsi, les professions médicales (médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes) tout comme les auxiliaires médicaux (infirmiers, masseur-kinésithérapeute…) pourraient être concernés par une possible évolution de la réglementation sur la publicité. Cette remise à plat  permettrait de s’interroger sur les disparités qui existent entre des professionnels susceptibles d’être « concurrents ».

Il est par exemple étonnant de voir que les ostéopathes ne soient pas soumis à la même interdiction. Sans que nul ne s’en émeuve, bien au contraire tant cela semble participer d’une juste information des patients, les établissements de santé peuvent faire connaître leur offre de soins et mettre en avant leurs professionnels et leurs savoir-faire (cf. la campagne de communication du CHU de Toulouse des derniers mois « Valoriser l’innovation en capitalisant sur l’humain », ou les différents portraits de professionnels…).

Par ailleurs, dans une société où la digitalisation prend de plus en plus d’importance, il peut paraître opportun de s’interroger sur les moyens de communication qui pourraient être offerts aux professionnels de santé et à leur patientèle (prise de rendez-vous en ligne, diffusion d’informations via les plates-formes). Pour illustration, l’accès à des informations certifiées sur la qualité des soins n’est-il pas l’expression d’un besoin légitime ? N’est-il pas préférable à une notation sur un moteur de recherche ? Favoriser la communication pour éclairer le patient n’est-il pas souhaitable[13] ?

Professionnel de santé, demain tous commerçants ?

Si l’évolution semble juridiquement nécessaire, la réécriture des textes sera certainement délicate pour le pouvoir réglementaire. Celui-ci devra trouver le juste équilibre entre des professions qui continueront à se distinguer des activités commerciales tout en s’appropriant des outils de communication de notre temps. Le pouvoir réglementaire s’interrogera ainsi sur la conciliation du nouveau dispositif avec les différents principes déontologiques, ou à défaut, éthiques. Les ordres sont évidemment appelés à jouer un rôle crucial dans l’évolution de la réglementation attendue dans les prochains mois. Enfin, le juriste peut espérer que la notion de publicité soit définie ou précisée, à moins que ne lui soit préféré un autre concept moins « connoté » (promotion, communication promotionnelle, communication, information…).

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019 ; Art. 271.


[1]Conseil d’État, 4ème – 1ère chambres réunies, 06/11/2019, n°416948 ; Conseil d’État, 4ème – 1ère chambres réunies, 06/11/2019, n°420225

[2] On notera au passage que le juge réinterprète le périmètre de leur demande en annulation en la limitant au refus d’abrogation des seules dispositions portant sur la publicité (1ier Considérant)

[3] R.4127-19 du Code de la santé publique

[4]Cf. les articles R. 4127-215 et R. 4127-225 du Code de la santé publique en cause dans la seconde affaire. Le premier article dispose que « [l]a profession dentaire ne doit pas être pratiquée comme un commerce. Sont notamment interdits : 1° L’exercice de la profession dans un local auquel l’aménagement ou la signalisation donne une apparence commerciale ; 2° Toute installation dans un ensemble immobilier à caractère exclusivement commercial ; 3° Tous procédés directs ou indirects de publicité ; 4° Les manifestations spectaculaires touchant à l’art dentaire et n’ayant pas exclusivement un but scientifique ou éducatif. » Le second article dispose que «[l] le chirurgien-dentiste doit éviter dans ses écrits, propos ou conférences toute atteinte à l’honneur de la profession ou de ses membres. Sont également interdites toute publicité, toute réclame personnelle ou intéressant un tiers ou une firme quelconque. »

[5] Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur.

[6] Voir par exemple : Conseil d’État, 28 novembre 2012, Patrick K, n°357721 ; Conseil d’État, 16 avril 2008, Association française d’implantologie, n°302236

[7] Conseil d’État, 04 mai 2016, n°383548

[8] CJUE, 4 mai 2017, affaire C-339/15, Vanderborght

[9] Conseil d’Etat, « Étude relative aux règles applicables aux professionnels de santé en matière d’information et de publicité », adoptée par l’assemblée générale plénière le 3 mai 2018, p. 62 et suivantes

[10] CJUE, Ordonnance de la Cour, 23 octobre 2018, affaire C-296/18 à suite d’une demande de décision préjudicielle du Conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes de la Haute-Garonne.

[11] Les deux décisions du Conseil d’Etat sont d’ailleurs rendues au visa de la décision Vanderborght de la CJUE. La seconde décision mentionne également l’ordonnance Conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes de la Haute-Garonne.

On notera que parmi les requérants bien informés des évolutions jurisprudentielles européennes se trouve requérant médecin qui avait été débouté de sa demande en 2016 par le Conseil d’Etat. Dans ses conclusions le rapporteur public Raphaël CHAMBON écarte d’ailleurs l’application de l’autorité relative de la chose jugée permettant ainsi à la juridiction de se prononcer sur le recours déposé par ce même requérant.

[12] Autorité de la Concurrence, Décision n°19D01 du 15 janvier 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la promotion par Internet d’actes médicaux, dernier paragraphe de la décision p.3

[13] Le Conseil d’Etat s’est montré favorable à l’idée d’« enrichir l’information et poser un principe de libre communication », Conseil d’Etat, « Étude relative aux règles applicables aux professionnels de santé en matière d’information et de publicité » précitée, p.82 et suivantes.

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