Questionnaire du Pr. Regourd (10/50)

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Questionnaire du Pr. Regourd (10/50)

Serge Regourd
Professeur émérite de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole

Art. 149.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Le droit administratif est le droit applicable aux activités d’intérêt général, assurées par les personnes publiques ou leurs délégataires. Il s’agit donc toujours d’un droit spécial, dérogatoire au droit ordinaire régissant les activités privées.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Le propre de toutes les espèces vivantes, et des activités humaines en particulier, est d’évoluer en fonction de conditions sociales, économiques, culturelles, techniques… Le droit administratif intègre lui-même ces évolutions qui ne sauraient cependant aboutir à une dénaturation. Á cet égard, l’ancien se poursuit dans le nouveau, selon une logique archéologique.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

Dans l’ordre politico-social, la France s’est historiquement signalée par une diversité de singularités, d’exceptions, générant une identification en forme d’exception française, elle-même reflet « d’une certaine idée de la France ». Le service public correspond à cet égard, à une conceptualisation intellectuelle et juridico- politique qui a nécessairement trouvé des traductions dans le droit administratif dès lors que la notion de service public a elle-même constitué un critère déterminant du droit administratif.

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

Au risque de rester dans un classicisme suranné, sinon archaïque, je pense que le service public, dans ses déclinaisons organique et matérielle, reste la principale notion de synthèse du droit administratif. Les restrictions du périmètre du service public ne sauraient, à cet égard, rester sans effet sur celui du droit administratif.

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

Je crains, hélas, que par-delà les promesses des Lumières, nombre de connaissances ne puissent, dans le temps présent, être mises « à la portée de tous ». La question en cause renvoie à une interpellation proprement politique, et à des enjeux d’éducation populaire sur la connaissance des institutions publiques. La crise de la représentation politique contemporaine, et le malaise démocratique qui en découle, ne paraissent guère constituer un contexte favorable.

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Le droit administratif est, vraisemblablement, menacé d’être globalisé. Mais cette globalisation, quelles que soient ses formes, pourrait signifier dénaturation, et à terme, disparition. Il conviendrait néanmoins de s’entendre sur la signification plus spécifique en ce domaine de la notion de globalisation.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Le droit administratif reste encore, logiquement, pour une part substantielle, prétorien. Il ne peut en être différemment. Certes, il ne paraît plus possible de considérer aujourd’hui, pour reprendre le titre d’un article de doctrine sur le sujet, que la jurisprudence constitue encore « une source abusive » de ce droit. Mais le droit peut-il être autre chose qu’une science de l’interprétation ? Toute interprétation ne participe -t-elle pas d’une forme de détermination du contenu des normes ? La genèse du droit administratif a eu la vertu de rendre visible un processus herméneutique qui concerne, selon des degrés différents, l’ensemble de la fonction juridictionnelle.

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

Tout dépend évidemment des pistes généalogiques à privilégier ? Faut-il chercher les éléments de paternité dans la jurisprudence administrative ou dans la doctrine ? Si l’on privilégie la doctrine, et sous peine ici encore, d’un manque flagrant d’originalité, je retiendrai les deux figures opposées mais complémentaires

  • des Doyens Duguit
  • et Hauriou. Que serait le droit administratif sans les références au service public et à la puissance publique ?

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

Toujours le risque du défaut d’originalité :

  • impossible de contourner l’arrêt Blanco du Tribunal des conflits en 1873 et son attendu selon lequel la question en cause « ne peut être régie par les principes qui sont établis par le code civil ». Décision pionnière dans la génétique du droit administratif. Il convient alors, dialectiquement, de s’interroger sur la survenance d’une éventuelle rupture dans la chaîne génétique ainsi engendrée.
  • De manière moins convenue, je retiendrai alors la fâcheuse décision Société Million et Marais de 1997, opérant une bifurcation épistémologique en forme de soumission du droit administratif au droit de la concurrence.

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

Il conviendrait de s’entendre de manière préliminaire sur la notion même de norme. En adoptant une conception large de celle-ci,

  • la norme d’intérêt général paraît constituer la norme cardinale. Sa portée dépasse le seul périmètre du droit administratif comme en atteste l’usage désormais systématique et incontrôlé opéré par le Conseil constitutionnel.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Ce serait un singe. Si proche et parfois insaisissable…

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Du contrat social de Rousseau.

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

La liberté guidant le peuple de Delacroix.

Vous pouvez citer cet article comme suit :

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 149.

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À propos de l’auteur

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Le JDA (Journal du Droit Administratif) en ligne a été (re)fondé en 2015 à Toulouse. Son ancêtre le "premier" JDA avait été créé en 1853 par les professeurs Adolphe Chauveau & Anselme Batbie. Depuis septembre 2019, le JDA "nouveau" possède un comité de rédaction dirigé par le professeur Mathieu Touzeil-Divina et composé à ses côtés du Dr. Mathias Amilhat ainsi que de M. Adrien Pech.

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