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Le citoyen administratif au Parlement, figure introuvable ?

par M. Mohesh BALNATH,
Doctorant contractuel en droit (équipe de droit public, Université Lyon-3

Art. 82. Les relations entre le public et l’administration au Parlement échappe au champ d’application du Code des relations entre le public et de l’administration (CRPA), suivant l’article L. 100-3 du code. La raison en est qu’au sein des assemblées parlementaires, il revient aux autorités d’administration du Parlement, au nom du principe d’autonomie des assemblées et en application de l’ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, d’édicter la réglementation relative à l’activité administrative.

Cette activité administrative se conçoit comme celle se détachant en substance de celle exercée par les parlementaires en application de l’article 24 de la Constitution, qui prévoit que les parlementaires participent au vote de la loi, au contrôle du Gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques. Concrètement, elle intéresse l’organisation et le fonctionnement de l’institution et prépare l’activité des parlementaires. Elle est le fait des agents des services des assemblées parlementaires et des parlementaires exerçant des fonctions administratives, soit les membres des Bureaux des assemblées.

S’il n’y a pas eu de réaction immédiate des autorités d’administration du Parlement à l’adoption du CRPA, est-ce à dire que les assemblées parlementaires sont indifférentes à la démocratie administrative ? Il est certain que l’administration parlementaire est traversée de préoccupations démocratiques (I). Pourtant, la démocratie administrative nous apparaît encore embryonnaire au sein des assemblées parlementaires (II).

La figure substantielle du citoyen administratif

Les assemblées parlementaires se sont emparées, du point de vue de leur activité administrative, des outils proclamés de la démocratie. Cette entreprise ne se comprend bien que dans la relation au destinataire de l’action administrative. Autrement dit, par souci de légitimité, l’administration parlementaire alimente l’idée d’un citoyen administratif au Parlement.

Visant la transparence de leur activité, les autorités d’administration des assemblées parlementaires ont mis en place, ou du moins prévu, un ensemble de mesures pour solliciter l’administré et le considérer acteur de la procédure administrative, davantage que simple spectateur.

A cet effet, l’administré devrait bénéficier notamment d’un accès facilité à l’information administrative au Parlement, par l’effort de publication au Journal Officiel de textes régissant le personnel des assemblées (Compte-rendu de la réunion du Bureau de l’Assemblée nationale, 18 février 2015) par exemple. De même, le recours à l’open data (Compte-rendu de la réunion du Bureau de l’Assemblée nationale, 12 novembre 2014 ; Compte-rendu de la réunion du Bureau du Sénat, 23 juin 2016) sert l’information administrative sur le Parlement, dans le cas par exemple de la publication de l’utilisation de la réserve parlementaire, qui donne lieu à des actes administratifs par le pouvoir exécutif (TA Paris, 23 avril 2013, Assoc. pour une démocratie directe, req. n° 1120921). Cette dynamique renforce l’idée d’intronisation d’un membre supplémentaire, l’administré, aux délibérations administratives au Parlement.

L’administré est associé à la définition de la politique administrative à l’occasion de procédures aménagées par les autorités d’administration du Parlement. Les nouvelles technologies contribuent à la réalisation de cet objectif, dès lors que les utilisateurs de la plateforme Twitter ont été invités, par le Président du Sénat Gérard Larcher le 12 mars 2015, à s’exprimer sur la réforme des méthodes de travail du Sénat. De telles initiatives d’implication des administrés pourraient se reproduire dans un avenir proche, étant entendu que, convaincu de la démarche réformatrice et de l’élan démocratique qui s’en dégage, le Président du Sénat a incité les parlementaires ayant conduit la réforme des méthodes de travail du Sénat à poursuivre leurs travaux et à renouveler une évaluation de l’avancement de la réforme en juin 2017 (Compte-rendu de la réunion du Bureau du Sénat, 23 juin 2016).

L’administré est désormais convié à l’exercice quotidien des tâches administratives par les services. Il est ainsi possible d’interpréter en ce sens la création de l’Institut du Sénat, chargé, outre la promotion de l’idéal de la démocratie représentative fondée sur le bicamérisme, d’inspirer, à titre subsidiaire, l’organisation et le fonctionnement du Parlement. Lors de son discours du 27 juin 2016 marquant la remise des diplômes de la première promotion, Gérard Larcher appelle à la constitution, autour d’enjeux institutionnels, d’une « famille Sénat », et assure les membres de la première promotion de l’Institut du Sénat de la considération du Parlement pour les suggestions émises par ces derniers lors de leur passage au Sénat (« une analyse critique riche dont nous, sénateurs, comptons bien nous servir pour faire évoluer nos pratiques »). A cet égard, il est remarquable de constater qu’administrés et fonctionnaires se sont côtoyés lors des activités de la première promotion de l’Institut du Sénat, le parrain de cette dernière étant un ancien directeur des Ressources Humaines et de la Formation au Sénat.

Les dispositifs évoqués, prévus par les autorités d’administration des assemblées parlementaires, démontrent l’appropriation des outils de la démocratie au Parlement. Ces dispositifs permettent d’admettre l’existence d’un citoyen administratif au Parlement, si l’on s’en tient au propos de Jean Rivero : « L’inspiration démocratique exige […] non pas la soumission passive de l’administré à une décision qui, élaborée dans le secret, s’impose à lui par la seule contrainte, bien plutôt, la recherche de l’adhésion raisonnée qui transforme le sujet en citoyen » (Droit administratif, Précis Dalloz, 9e édition, n° 524, p. 509).

Un citoyen administratif sans contours

Si la figure du citoyen administratif existe au Parlement, elle demeure déroutante en ce sens que sa singularité ne s’impose pas, eu égard aux autres formes d’activité démocratique particulièrement présentes au sein du temple revendiqué de la démocratie.

En effet, l’activité administrative au Parlement s’adresse à un destinataire dont la nature est incertaine. Là où les manifestations du phénomène démocratique propre au citoyen administratif sont circonscrites au sein d’autres administrations publiques par les termes adoptés dans le corpus de dispositions législatives et réglementaires désormais codifiées, l’administration parlementaire, faute d’explicitation du vocabulaire, entretient l’ambiguïté sur la nature du destinataire de son action.

La figure de l’usager du service public au sein des assemblées parlementaires ne pose pas de difficulté notable à cet égard ; il est une des formes, si ce n’est la principale dans une approche duguiste du droit public, que le citoyen administratif revêt. Ainsi, le parlementaire préparant son intervention prochaine dans l’hémicycle grâce au concours des services des assemblées parlementaires est un usager du service public assuré par ces derniers. De même, l’individu consultant les archives publiques des assemblées parlementaires est usager d’un service public. Tous deux sont citoyens administratifs.

Si le cœur de la figure du citoyen administratif nous est apparent, il est moins aisé d’en tracer les contours, en particulier à l’égard de celle du citoyen politique pris en tant que contribuable ou qu’électeur. Par exemple, quand le Bureau du Sénat décide le 11 mars 2015 que la liste des collaborateurs de sénateurs sera désormais publiée sur le site du Sénat, il n’est pas évident de savoir si le destinataire entendu de cette mesure est le citoyen administratif ou le citoyen politique. La correspondance entretenue par le collaborateur d’un sénateur au nom de ce dernier pourrait avoir le caractère d’un acte administratif (CE, 30 déc. 1998, Association de sauvegarde des vallées et de prévention des pollutions, req. n° 172761, Lebon 912), la liste des collaborateurs intéresserait alors le citoyen administratif. En outre, le citoyen politique verrait dans la liste des collaborateurs un moyen de s’assurer que ses représentants sont exemplaires et ne peuvent être soupçonnés de népotisme abusif.

Les contours de la figure du citoyen administratif sont incertains et il convient de ne pas expliquer ce phénomène par le seul caractère éminemment politique du droit administratif des assemblées parlementaires. Du reste, la démocratie administrative ne s’est déployée qu’à titre partiel au Parlement. En effet, les assemblées parlementaires en sont davantage à l’« administration démocratisée » qu’à la « démocratie administrative » (Jacques Chevallier, « De l’administration démocratique à la démocratie administrative », Revue française d’administration publique, 2011/1 (n° 137-138), p. 217-227), étant donné que le destinataire de l’action administrative ne bénéficie pas de l’exigibilité des droits dont il jouit en tant que citoyen administratif, en premier lieu du droit d’accès aux documents administratifs. En réalité, la démocratie administrative au Parlement est peut-être d’une toute autre nature que celle consacrée par le CRPA : l’article 7 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, loi que le CRPA codifie, n’est-il pas venu restreindre le droit d’accès aux actes d’administration du Parlement ?

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno) ; Art. 82.

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