Toulouse, entre la puissance publique & le service public

ParJDA

Toulouse, entre la puissance publique & le service public

Art. 302.

Pierre Delvolvé
Membre de l’Institut, Académie des Sciences morales et politiques,
Professeur émérite de l’Université Paris II Panthéon Assas

On ne peut mieux illustrer ce titre qu’en citant celui de la préface de la onzième édition (reprise dans la douzième) du Précis de droit administratif et de droit public du Doyen Maurice Hauriou (La puissance publique et le service public) et les premières lignes :

« Ce sont deux notions maîtresses du régime administratif français. Le service public est l’œuvre à réaliser par l’administration publique, la puissance publique est le moyen de réalisation ».

Se demandant laquelle des deux théories prédomine, l’auteur répond : « Tout en maintenant à la puissance publique en droit administratif le premier rôle, il faut reconnaître que le service public, bien qu’au second plan, joue encore un rôle important ».

On peut essayer de vérifier ces propositions en cherchant dans la jurisprudence du Conseil d’Etat (publiée ou mentionnée au Recueil Lebon) rendue depuis la mort du Doyen Hauriou dans des contentieux intéressant Toulouse, les solutions qui font référence soit aux deux notions soit seulement à l’une ou à l’autre.

Le couple service public – puissance publique prédomine au sujet des fédérations sportives. Ainsi, à la demande notamment de la Société Toulouse Football Club, le Conseil d’Etat (3 février 2016) constate qu’elles ont reçu « délégation » avec la « mission d’organiser, à titre exclusif, des compétitions sur le territoire national », qu’elles sont ainsi chargées « de l’exécution d’un service public administratif » « en mettant en œuvre des prérogatives de puissance publique » : dans l’exercice de ces attributions, leurs décisions sont des actes administratifs dont le contentieux appartient à la jurisprudence administrative. En revanche, dans une autre affaire toulousaine (19 décembre 1988, Mme Pascau), le Conseil d’Etat avait jugé que des décisions de fédérations sportives simplement agréées, même si elles sont « associées par le législateur à l’exécution d’un service public », ne sont des actes administratifs que si elles « procèdent d’une prérogative de puissance publique ».

Le double critère avait été utilisé aussi à propos des Safer dans une affaire jugée initialement par le Tribunal administratif de Toulouse puis portée au Conseil d’Etat (Sect.). Celui-ci, par l’arrêt Capus du 13 juillet 1968, a considéré que « le législateur a entendu leur confier, bien qu’elles revêtent une forme de droit privé, la gestion d’un service public administratif » et que leurs « décisions unilatérales individuelles s’imposant aux intéressés… constituent l’usage fait par elles d’une des prérogatives de puissance publique qu’elles détiennent et présentent le caractère d’actes administratifs ». Si, par une interprétation discutable de la volonté du législateur, le Tribunal des conflits a cru que les recours contre ces actes relèvent de la compétence des juridictions judiciaires (8 décembre 1969, Arcival, Safer de Bourgogne), cela ne retire en rien l’application aux Safer des critères du service public et de la puissance publique.

Il arrive que celui de la puissance publique joue seul, positivement ou négativement. Ainsi, les associations communales de chasse agréées son « investies de prérogatives de puissance publique » ; en dehors de leur exercice, leurs actes restent de droit privé (21 juillet 1989). La cession de la participation de l’Etat dans le capital de l’Aéroport Toulouse-Blagnac, se rapportant à un « contrat dont l’objet est étranger à l’exécution du service public aéroportuaire… et qui ne comporte aucune clause qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l’exécution du contrat, implique, dans l’intérêt général, qu’il relève du régime des contrats administratifs », reste un acte de droit privé dont le contentieux échappe à la juridiction administrative (CE, 27 octobre 2015).

Le service public seul se rencontre plus souvent, d’ailleurs moins comme critère que comme régime.

L’appartenance d’un bien au domaine public a été reconnue en raison de son affectation au service public auquel il était destiné (CE, 28 juillet 2017, Ministre de l’intérieur). Une convention d’occupation domaniale peut ne pas être une délégation de service public (ni un marché) (CE, 3 décembre 2014, Etablissement public Tisséo). Le programme de France Bleu Toulouse correspond à l’une des missions de service public (CE, 26 novembre 2012, Syndicat interprofessionnel des radios et télévisions indépendantes).

Quant au régime, la continuité du service public a été plusieurs fois reconnue comme une nécessité dans des contentieux toulousains. Ainsi un violoniste tuttiste à l’orchestre régional du Capitole de Toulouse a commis une faute « en quittant l’orchestre sans avoir obtenu l’accord de la ville, laquelle ne saurait, par ailleurs, être regardée comme ayant commis en l’espèce et compte tenu de la nécessité où elle se trouve d’assurer la continuité du service public, une faute en refusant son accord » (CE, 28 novembre 1986, Ville de Toulouse). La nécessité de « renforcer la continuité du service public » de la justice a justifié l’attribution du contentieux de la propriété intellectuelle à des juridictions spécialisées et de le retirer ainsi aux juridictions toulousaines (CE, 28 mars 2011, Ordres des avocats aux barreaux… de Toulouse). Les contraintes de continuité du service public hospitalier justifient certaines sujétions pesant sur le personnel (CE, 4 avril 2018, Syndicat Sud Santé sociaux 31).

Plus généralement, « l’administration, seule compétente pour régler l’organisation du service public, peut résilier à tout moment un contrat d’abonnement au service Publi-Télex » (CE, 23 décembre 1987). S’il s’agit de la résiliation d’une concession de service public, le concessionnaire a droit à être indemnisé du préjudice résultant du retour à la collectivité concédante des biens nécessaires à la continuité du service public qui n’ont pas encore été amortis (CE, 27 janvier 2020, Toulouse Métropole).

Enfin, même si l’expression service public ne figure pas dans l’arrêt du 23 avril 1982, Ville de Toulouse c. Mme Aragnou, c’est bien à propos d’un agent non-titulaire du service public, chargé des tâches d’encadrement et d’animation des centres de vacances et de loisirs, que le Conseil d’Etat (Sect.) a reconnu le « droit, en vertu d’un principe général du droit applicable à tout salarié…, à un minimum de rémunération qui, en l’absence de disposition plus favorable pour la catégorie de personnel à laquelle l’intéressée appartient, ne saurait être inférieur au salaire minimum de croissance ».

Ainsi le contentieux toulousain confirme la place du service public et de la puissance publique dans le régime administratif, s’agissant de la compétence administrative et du fond du droit. Le recensement effectué fait apparaître qu’au moins quantitativement le premier l’emporte sur le second – ce qui inverse la position du Doyen Hauriou.

Les solutions rendues à propos de Toulouse se retrouvent à propos de bien d’autres cas. A cet égard, on peut dire qu’elles n’ont rien de particulier pour elle. Du moins se trouvent confirmées pour Toulouse des analyses qui y ont particulièrement été développées.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2020 ;
Dossier VII, Toulouse par le Droit administratif ; Art. 302.

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À propos de l’auteur

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