Vers un nouvel acte de la décentralisation ?

ParJDA

Vers un nouvel acte de la décentralisation ?

Art. 392.

La présente contribution est extraite du 9e dossier du JDA
ainsi que de l’ouvrage
40 regards sur 40 ans de décentralisation(s).

L’extrait publié ci-dessous est à découvrir
– en intégralité –
dans l’ouvrage précité (Editions l’Epitoge).

(c) P Nin

Jean-Luc Moudenc
Maire de Toulouse et Président de Toulouse Métropole

Voilà 40 ans maintenant que furent votées les premières lois de décentralisation, sous l’égide de Gaston Defferre. À celles-ci succédèrent plusieurs autres vagues législatives en cette matière, en particulier les lois Raffarin de 2003 et 2004, puis les trois lois territoriales voulues par François Hollande en 2014-2015.

Dans un État historiquement centralisé, où se décidaient à Paris les grandes politiques structurelles d’aménagement du territoire, l’irruption du fait territorial fut un changement très important de la gouvernance des politiques publiques.

Ce qui constituait une petite révolution en 1981, fait aujourd’hui l’objet d’un large consensus. Décider les politiques publiques au niveau du terrain, au plus près de là où elles s’appliquent, donc dans la proximité avec les citoyens, a produit, dans les compétences qui avaient été confiées aux collectivités locales, des résultats bien supérieurs que si elles étaient restées dans le giron de l’État. L’approche territoriale a été légitimée car les collectivités locales ont mené des politiques publiques avec succès.

Au travers de ce principe de subsidiarité, les échelons communaux, intercommunaux, départementaux et régionaux ont incontestablement obtenu des résultats bien supérieurs aux résultats antérieurs de l’État, car ils disposent, chacun dans leurs compétences, d’une expertise territoriale, d’un vécu concret et d’un lien beaucoup plus proche avec la population.

Dans des domaines aussi variés que l’éducation, les transports, le développement économique ou la culture, elles ont démontré leur savoir-faire, tout au long de ces 40 années.

Il suffit de se remémorer ce qu’étaient les établissements scolaires avant ce transfert de compétences, d’évaluer à quel point l’offre de transports a évolué favorablement ou de mesurer l’ampleur qu’a connu le développement du secteur culturel local. La répartition des compétences a incontestablement assuré l’équilibre du développement des territoires dans notre pays et permis un développement harmonieux de régions plus périphériques.

Cette réussite, les collectivités locales l’ont construite en partenariat avec l’État et non contre lui. L’État, lui, a veillé à éviter – avec plus ou moins de succès, il faut le reconnaître – les oppositions entre les différentes strates de décision, à s’assurer à la fois de leur complémentarité et de leur volonté d’agir ensemble au service de l’intérêt général.

Par ailleurs, nombreux sont ceux qui oublient aujourd’hui que l’acte 1 de la décentralisation était aussi un acte 1 de la déconcentration des services de l’État dans les territoires.

Cette « lune de miel » entre l’État et les collectivités ne fut toutefois pas linéaire tout au long de ces 40 années et, au gré des changements législatifs, des modifications de la fiscalité ou des ajustements des blocs de compétences, l’opposition centralité/périphérie fut parfois forte.

Alors même que notre démocratie, tant nationale que locale, connaît aujourd’hui des niveaux de participation électorale de plus en plus bas, dénotant un désintérêt croissant et une compréhension des enjeux politiques de plus en plus limitée, il est essentiel de repenser les politiques territoriales.

Au travers de mon engagement local et de mes mandats, j’ai pu être, ces dernières années, acteur et témoin des évolutions, des réussites, mais aussi des échecs des politiques publiques locales, ainsi que des défis qui se posent désormais aux décideurs territoriaux.

Je vous propose d’explorer ensemble, au travers de ce texte, quelques-uns des défis qui, à mes yeux, se dressent face aux politiques territoriales depuis quelques années et d’évoquer ensuite quelques propositions de solutions.

I. Repenser la décentralisation avec le regard de l’usager

Au-delà du satisfecit que ne manquent pas de porter experts, spécialistes et élus sur les réussites de la décentralisation et le développement des compétences locales, le constat est que la lisibilité pour les habitants est beaucoup plus incertaine.

Car, si la décentralisation a effectivement permis la mise en œuvre des politiques publiques au plus proche du terrain, force est de constater qu’elle a également renforcé un mille-feuille politico-administratif dont le citoyen a bien du mal à discerner les périmètres. Nulle critique à l’endroit des citoyens : c’est bien le politique qui a créé un schéma local foisonnant d’acteurs, avec des compétences parfois partagées.

Aussi, un enjeu absolument essentiel des années à venir sera de redonner de la clarté aux politiques publiques locales, pour permettre à l’usager de s’adresser à la bonne porte pour trouver réponse à ses questions.

Si le Maire reste un interlocuteur plébiscité par ses concitoyens, il est souvent le seul politique identifié et, à ce titre, reçoit une grande part des sollicitations, indépendamment des compétences qu’il a à gérer. On le sollicite pour tout !

Arrêtons-nous un instant sur la situation des conseillers départementaux : à Toulouse, nous avons 11 cantons, qui envoient 22 conseillers siéger dans l’enceinte du Conseil Départemental. Je vous propose d’interroger n’importe quel citoyen et de lui demander s’il sait dans quel canton il réside et s’il peut citer le nom de ses élus départementaux ; vous aurez sans nul doute un chiffre de réponse positive marginal. Demandez aux citoyens de citer leurs conseillers régionaux, et vous aurez le même type de réponse.

Il ne s’agit en rien de remettre en cause de la légitimité à agir de ces collectivités, et encore moins d’émettre un jugement négatif sur l’action qu’elles mènent. Il nous faut juste admettre qu’une démocratie fonctionne d’autant mieux que les électeurs ont une bonne connaissance du cadre dans lequel ils votent, et pourquoi ils le font.

Cet exemple est particulièrement vrai dans une grande métropole, celle de Toulouse comme les autres. À l’inverse, dans des zones plus rurales, éloignées des centralités, le conseiller départemental et la collectivité départementale jouent un rôle de proximité complémentaire au maire et aux municipalités, mieux identifié des citoyens.

Afin de répondre aux enjeux de nos territoires, avec le souci de gérer efficacement les finances publiques, il faut éviter les superpositions de politiques publiques et les concurrences territoriales.

Face à ce problème, les solutions reposent sur ces trois axes : Clarification, Simplification, et Coopération.

La Clarification impose la nécessité de revoir et d’ajuster les blocs de compétences tels qu’ils sont aujourd’hui confiés à chaque type de collectivités locales. La notion de chef de file était une bonne idée des lois Raffarin ou Hollande, mais on constate que la tentation du chevauchement de compétences demeure.

On le voit, les collaborations existent souvent, mais les concurrences également. Ce n’est ni sain pour les finances publiques, ni pour l’intelligibilité de l’action publique.

Le résultat, ce sont des services publics de proximité aux compétences voisines et aux localisations parfois très proches, mais essentiellement séparées par le logo qui orne leur fronton.

Cet exemple illustre la nécessité de Simplification : Comment expliquer à nos usagers qu’ils peuvent trouver le même service, ou presque, dans deux endroits différents, gérés par deux collectivités différentes ? La notion de guichet unique devrait être développée au service des usagers et permettrait une meilleure compréhension de qui fait quoi.

Coopération, car, par-delà les découpages administratifs, il existe des bassins de vie qui correspondent à l’usage réel des habitants.

Une métropole comme celle de Toulouse exerce des fonctions de centralité importantes, qui influencent la vie des habitants dans un périmètre géographique bien supérieur à son périmètre administratif. Bien que la loi Notre ait favorisé les fusions de communes et d’intercommunalités, il reste des territoires voisins qui ont souhaité garder leur indépendance, mais qui gagneraient, dans l’intérêt de leurs habitants, à développer des coopérations avec la métropole voisine.

C’est dans cet esprit que nous avons initié des contrats de réciprocité, qui proposent des engagements respectifs entre collectivités voisines dans des domaines librement consentis. Cependant, je dois à la vérité de dire qu’à cette heure, nous n’avons pas réussi à conclure de tels contrats ici en Haute-Garonne avec des communautés de communes rurales, au nom du lien urbain-rural que je crois impératif de développer pour combattre les fractures territoriales, et malgré le désir de travailler avec nous des élus ruraux concernés. La même honnêteté me conduit à en donner l’explication : c’est le Département qui s’est interposé auprès des élus des intercommunalités rurales pour que ces signatures n’interviennent pas.

II. Accompagner la métropolisation et sortir des concurrences territoriales


La suite du présente article est à découvrir
dans l’ouvrage 40 regards sur 40 ans de décentralisation(s)
(Toulouse, Editions L’Epitoge ; 2 mars 2022).


Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2022 ; Dossier 09 – 40 ans de décentralisation(s) ;
dir. F. Crouzatier-Durand & M. Touzeil-Divina ; Art. 392.

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À propos de l’auteur

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Le JDA (Journal du Droit Administratif) en ligne a été (re)fondé en 2015 à Toulouse. Son ancêtre le "premier" JDA avait été créé en 1853 par les professeurs Adolphe Chauveau & Anselme Batbie. Depuis septembre 2019, le JDA "nouveau" possède un comité de rédaction dirigé par le professeur Mathieu Touzeil-Divina et composé à ses côtés du Dr. Mathias Amilhat ainsi que de M. Adrien Pech.