Archive mensuelle 17 avril 2016

ParJDA

Appel à contribution(s) – Dossier n°02 – Les relations entre le public & l’administration

Art. 61.

2ème appel à contribution(s)
du Journal du Droit Administratif :

« Les relations entre le public & l’administration
mises à la portée de tout le monde »

Numéro sous la direction de Sébastien Saunier,
Florence CrouzatierDurand & Delphine Espagno

Rédaction en chef : Mathieu Touzeil-Divina

Retrouvez le présent appel
au format PDF en cliquant ICI

Depuis le 1er janvier 2016 est entré en vigueur l’essentiel du Code des Relations entre le Public et l’Administration (Crpa) édicté par l’ordonnance n°2015-1341 et le décret n°1342 du 23 octobre 2015. Présenté comme la lex generalis du droit des relations entre le public et les administrés, citoyens et usagers, il codifie une grande partie des textes applicables jusque-là à la relation administrative. Il a pour objectif de rassembler les « règles générales » c’est-à-dire les règles transversales régissant les personnes physiques et morales avec l’administration.

Un code de ce type était attendu depuis une vingtaine d’années après les tentatives inabouties de 1996 et 2004. Sollicité par la doctrine depuis plusieurs décennies, le droit français avait accumulé un retard considérable au regard de la plupart des pays occidentaux déjà dotés parfois depuis plusieurs décennies d’une loi de procédure administrative (EU, Allemagne, Espagne, etc.).

Certes, le législateur avait adopté depuis la fin des années 1970 d’importants textes (la loi du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public, la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public, la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (dite Dcra), l’ordonnance du 08 décembre 2005 relative aux échanges électroniques, la loi du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit organisant les consultations ouvertes sus Internet, la loi du 12 novembre 2013 sur le silence vaut acceptation, etc.).

Cependant, la multiplicité des lois et décrets rendait la matière peu accessible, particulièrement pour les principaux intéressés, les citoyens. En outre, aux textes législatifs et réglementaires, s’ajoutaient la source jurisprudentielle (largement dominante) ainsi que les sources constitutionnelles, internationales et européennes du droit de la procédure applicable aux relations entre l’administration et les citoyens, dans un contexte profondément renouvelé par le numérique, le développement des droits fondamentaux et la prise en compte du droit comparé, ce qui invitait à refondre la matière, par certains aspects, obsolète ainsi qu’à renforcer le dialogue entre l’administration et les citoyens.

Pour son deuxième appel à contributions, le Journal du droit administratif (Jda) a donc décidé de prendre pour objet de réflexion(s) la / les question(s) de la / des relation(s) administrative(s) et de porter un regard complet sur le Code des Relations entre le Public et l’Administration, dans une optique pédagogique. En effet, le Jda (remis à jour en 2016) est conçu comme une rencontre et un dialogue permanent entre tous les acteurs du droit administratif à propos du droit administratif : depuis l’administrateur jusqu’à l’administré citoyen en passant par l’Université et la Magistrature. L’administré, précisément, joue un rôle important au cœur du Jda puisque c’est pour lui qu’est mis en œuvre notre média et c’est avec lui qu’il s’accomplira. Autrefois, du reste, c’est en 1853, déjà, à la Faculté de Droit de Toulouse (Haute-Garonne), que les professeurs Chauveau & Batbie créèrent la première mouture du Journal du droit administratif avec pour sous-titre cette indication « mis à la portée de tout le monde ». Voilà pourquoi après un premier dossier consacré à l’état d’urgence « mis à la portée de tout le monde », le Jda vous propose aujourd’hui et ce, selon quatre axes un dossier intitulé :

« Les relations entre le public & l’administration
mises à la portée de tout le monde »

1. La relation administration – administrés saisie par le Crpa  

Le premier axe du dossier est à dimension générique. Il vise à resituer la contribution et les limites du code des relations entre le public et l’administration au sein des concepts fondamentaux du droit des relations administration-administrés. Les contributions peuvent se décliner, par exemple, autour des interrogations et thèmes suivants :

– Le code des relations entre le public et l’administration dans l’histoire de la relation administrative

– La méthode de codification et de rédaction du code

– Le choix des termes et de l’intitulé du code (public, citoyens, administrés, usagers, etc.)

– L’influence du droit constitutionnel

– L’influence des sources européennes

– Le droit international et la relation administrative

– Le droit comparé comme source du code

– Le plan du code

– Le champ d’application du code

– Le code et le numérique

2. Analyse de la réglementation

Le deuxième axe vise à analyser la réglementation édictée par le code, et ce, selon une optique pédagogique, tout en suivant sa structuration afin d’en faciliter la compréhension par les lecteurs du Jda.

─ Dispositions préliminaires
─ Les échanges avec l’administration

♦ Les demandes du public et leur traitement

♦ Le droit de présenter des observations avant l’intervention de certaines décisions

♦ L’association du public aux décisions prises par l’administration

– Principes généraux

– Consultations ouvertes sur Internet

– Les commissions administratives à caractère consultatif

– Les enquêtes publiques

– Participation du public aux décisions locales
─ Les actes unilatéraux pris par l’administration

♦ Motivation et signature des actes administratifs

♦ L’entrée en vigueur des actes administratifs

♦ Les décisions implicites

♦ La sortie de vigueur des actes administratifs
─ L’accès aux documents administratifs et la réutilisation des informations publiques
─ Le règlement des différends avec l’administration
─ Les lacunes du code

3. Applications

Le troisième axe s’intéresse aux applications des règles générales analysées précédemment dans les différents champs de l’action publique, ainsi par exemple, du :

─ Droit des collectivités territoriales

─ Droit de l’urbanisme

─ Droit de l’environnement

─ Droit de l’éducation

─ Droit de la culture

─ Droit public économique et des affaires

─ Droit de l’aménagement et du territoire

─ Droit fiscal, etc.

Plus généralement, les contributions peuvent s’interroger sur les modalités d’articulation du droit général de la procédure administrative et des droits spéciaux ?

 

4. La relation entre l’administration et les administrés
vu de et par l’étranger

Les apports du droit comparé constituent une source d’enrichissements pour apprécier le cas français et forment le quatrième axe du dossier. Le rapprochement entre les législations comparables et l’expérience française est pédagogiquement intéressante. Elle permet en effet d’analyser les modes de relations entre l’administration et les citoyens, les spécificités de chaque Etat dans l’approche de la relation administrative. Elle peut faire ou ne pas faire émerger des particularités administratives dans le rapport entre administration et administré.

Ces propositions n’excluent ni des propositions supplémentaires spontanées ni des contributions multiples sur le même sujet (ce qui développera les points de vues).

Calendrier retenu & conditions de l’appel à contribution(s) :

Toute personne désirant participer au présent dossier du Jda devra envoyer sa proposition de contribution (un résumé de quelques lignes)
avant le 15 mai 2016
et ce, à l’adresse dédiée : appel@j-d-a.fr.

Les auteur(e)s seront informé(e)s de la recevabilité de leur proposition,
ou des contre-propositions éventuelles au 31 mai 2016 au plus tard.

Les articles retenus devront ensuite être envoyés au 1er juillet 2016
pour une mise en ligne au 15 juillet 2016.

 

Style attendu des propositions :

Les propositions devront comprendre :

─ Une proposition de titre et au moins trois mots-clefs référentiels

─ Une photographie de / des auteur(e)(s)

─ Une présentation de(s) auteur(e)s indiquant ses nom, prénom(s), titres & fonctions.

Normes de rédaction :

Sans perdre de vue l’optique pédagogique du Jda, il est demandé aux contributeurs de bien vouloir respecter les consignes suivantes :

─  Contribution d’une à deux page(s) (format word ou autre / A4) environ)

─ Police unique dans tout le corps du texte (Times New Roman au plus simple – 12)

─  Avec les subdivisions suivantes I. II. III. etc. ; puis A. B. etc. ; puis au besoin §1, § 2. etc.

─ Attention : Les notes de bas de page ne sont pas admises

─ Les références s’écrivent dans le texte au format habituel.

 

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ParJDA

AG du 06 avril 2016

Art. 60.
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Chers élus, Chers Maîtres, Chers collègues, Chers étudiants,

Notre dernière réunion du Journal du Droit Administratif  a eu lieu le 06 avril 2016 en salle dite Maurice Hauriou (Anciennes Facultés de l’Université Toulouse 1 Capitole).

Etaient présentes et représentées quinze personnes, toutes intéressées par le Journal du Droit Administratif (Jda) et membres issus de l’Université de Toulouse 1 Capitole, de Sciences Po Toulouse, du Barreau ainsi que du Tribunal Administratif de Toulouse (au moins un représentant de chaque institution ou représenté pour le Barreau). La réunion s’est organisée autour des points suivants d’annonces et de discussions :

  • Questionnaire(s) / Interview(s) :

Comme prévu lors de nos dernières réunions, des questionnaires (interviews) ont été adressés à des maîtres du droit administratif (français et étranger). Leurs réponses seront publiées au fil des prochains mois.

JDA : de 1853 à 2016

  • Site Internet

Le professeur Touzeil-Divina  a présenté aux membres de l’assistance tous les articles, toutes les pages et chroniques du (futur) site Internet du Jda. Plus d’une cinquantaine de contributions ont été préparées et mises en ligne et notre média peut se réjouir de ce que – déjà – plus de soixante contributeurs ont répondu à son appel.

L’assistance se réjouit de ses bonnes nouvelles et découvre avec enthousiasme les différentes pages et articles publiés. Le pr. Kalfleche s’interroge sur la façon de citer les articles et contributions du Jda. Le pr. Touzeil-Divina rappelle tout d’abord qu’une demande d’Issn (International Standard Serial Number) est actuellement en cours d’examen et remercie son collègue pour sa judicieuse remarque. Il propose en conséquence, à la manière du Jda originel (celui de 1853) de numéroter toutes les contributions (de façon chronologique) du Journal et ce, afin, effectivement de pouvoir citer plus aisément les articles actuels et futurs. Il est décidé d’agir en ce sens quitte à proposer par suite une autre modalité matérielle (de citation et / ou d’indexation). Chaque article – pour l’heure – sera numéroté et à sa fin on lira par exemple : « Vous pouvez citer cet article comme suit : Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Art. 01 »  avec une mention supplémentaire pour les chroniques et les dossiers.

  • Mise en ligne !

A 19h00, comme annoncé sur le site Internet et les réseaux sociaux (page facebook et compte twitter), les membres présents du Jda ont officialisé l’ouverture au public du site

http://www.journal-du-droit-administratif.fr/ .

Une vive émotion était palpable dans l’assistance heureuse de participer à la recréation, en 2016, du premier média (toulousain puis national) spécialisé en droit administratif et fondé – à Toulouse déjà – en 1853 par MM. Chauveau & Batbie.Le pr. Touzeil-Divina est heureux de présenter aux membres assemblés le compte twitter dédié du Jda (@JournalduDA) qui a réussi – avant même l’ouverture du site Internet – à faire un peu de « bruit(s) » (pour ne pas dire de buzz) à propos de son arrivée.

  • Deuxième & troisième « dossiers »

Les prochains dossiers du Jda sont en cours.

Le deuxième, programmé pour juillet ou septembre 2016 portera sur « les relations entre administration(s) & administré(s) » selon la proposition qu’en avait faite le professeur Saunier. Le thème a déjà été acté et l’assemblée confirme en confier la direction au professeur Saunier ainsi qu’à mesdames Crouzatier-Durand & Espagno (tous ayant accepté cette mission).

Ils seront matériellement assistés du pr. Touzeil-Divina et de M. Orlandini.Les porteurs du deuxième dossier s’engagent à présenter puis à faire diffuser un appel à contribution(s) d’ici le 15 avril.

Le professeur Touzeil-Divina rappelle également l’existence en projet(s) d’un troisième dossier du Jda programmé pour décembre 2016 et portant sur la laïcité ; ce dossier se fera en partenariat avec un nouveau média interdisciplinaire (les Cahiers de la LCD (Lutte Contre les Discriminations)). Un appel à contributions a déjà été proposé en ce sens (cf.précédent compte-rendu). Il s’agira d’organiser de façon mutualisée un dossier sur cette question (dans ses rapports – nous concernant – avec le droit administratif notamment).

L’assemblée se réjouit de ces projets.

  • Jurisprudence(s)

Il est présenté à l’assemblée le premier « triptyque toulousain prétorien » comprenant :

  • Des conclusions d’un rapporteur public
  • Un jugement du Tribunal Administratif de Toulouse
  • Un commentaire court d’un universitaire.

Ce premier triptyque a été conçu à partir d’une affaire en matière de fonctions publiques. Un autre dossier est en cours en matière d’urbanisme.

L’assemblée propose de multiplier cet exercice en partenariat étroit avec le Tribunal Administratif de Toulouse. Deux ou trois triptyques sont en ce sens en préparation(s).

En outre, plusieurs notes de jurisprudence et autres commentaires sont en cours et quelques-unes sont déjà en ligne.

Il est enfin rappelé qu’une première chronique (en droit des collectivités) est également déjà en ligne grâce au très beau travail de l’équipe d’administrateurs territoriaux sous la direction de M. Pascal Touhari.

  • Prochaine séance

Pour la réunion prochaine, il est proposé :

  • de nous donner rendez-vous le jeudi 12 mai 2016 à 18.30 (salle à préciser) ;
  • que chacun vienne avec une ou des proposition(s) de jurisprudence(s) à retenir comme étant « LA » jurisprudence du début d’année 2016 (Conseil d’Etat, Tribunal des Conflits et Tribunal Administratif de Toulouse) ;

Le présent compte rendu a été dressé et rédigé le 07 avril 2016.

Pr. Mathieu Touzeil-Divina

Le soleil étant encore présent à la fin de la réunion, quelques membres ont accepté de poser autour du buste du doyen Hauriou afin de marquer l’événement et la journée de recréation du Journal du Droit Administratif (Jda). Tous les membres n’y figurent pas (certains s’étant déjà éclipsé).

recréation du JDA - 06 avril 2016

Le présent compte-rendu
est en ligne au format PDF
en cliquant ICI

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; Art. 60.

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Du Ballet !

Art. 61.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; Art. 61.

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TA de Toulouse, conclusions DUBOIS sur la requête n°1203445 (audience du 21 janvier 2016)

Art. 59.

Un commentaire de la présente décision & de ses conclusions se trouve en ligne ici.

N°1203445 – Mme Nanette GLUSHAK

Audience du 21 janvier 2016

Lecture du 18 février 2016

Rapporteur : C. Kanté

Rapporteur public : D. Dubois

fr-tls

CONCLUSIONS

Née aux Etats-Unis en 1951, Mme Nanette Glushak, dont le prénom renvoie inévitablement à l’une des plus belles chansons de la comédie musicale américaine, Tea for two, a appris l’art de la danse à la prestigieuse School of American Ballet, fondée en janvier 1934 à New York par George Balanchine et Lincoln Kirstein. A l’âge de seize ans à peine, elle rejoint la troupe du New York City Ballet sur l’invitation de George Balanchine. En 1970, elle devient membre de l’American Ballet Theatre, autre compagnie new-yorkaise, plus ancienne, et non moins célèbre, où Mme Glushak est promue soliste en 1972. Elle danse les rôles principaux des plus grandes œuvres du répertoire : Le Lac des Cygnes, La Bayadère,[1] La Belle au bois dormant,[2] Don Quichotte[3], La Fille mal gardée,[4] Giselle,[5] Coppélia,[6] La Sylphide.[7]

A partir de 1983, elle co-dirige le Fort Worth Ballet, situé au Texas, et dirige également l’école attachée à cette compagnie, avec son époux, Michel Rahn, danseur issu de l’Opéra de Lyon.

Puis, à partir de 1987, Nanette Glushak remonte le répertoire de Balanchine, qui est décédé quatre ans plus tôt à New York, ainsi que le répertoire classique, et est invitée en tant que professeur dans de nombreuses compagnies étrangères, parmi lesquelles le Royal Ballet d’Angleterre, le Ballet du Deutsche Opera de Berlin, le Ballet de la Scala de Milan mais également des compagnies françaises, telles que le Ballet National de Marseille, le Ballet de l’Opéra de Lyon, et le Ballet du Grand Théâtre de Bordeaux.

En 1989, elle est engagée comme directrice artistique du Scottish Ballet à Glasgow, puis elle est recrutée par la commune de Toulouse comme directrice de la danse et chorégraphe du ballet du Théâtre du Capitole en septembre 1994, par le biais d’un contrat à durée déterminée régi par le décret n°88-145 du 15 février 1988 relatif aux agents non-titulaires de la fonction publique territoriale. Notons au passage que son époux, M. Rahn, est alors également recruté comme maître de ballet.

Vous le savez, le ballet, au même titre que le théâtre et l’orchestre du Capitole sont directement gérés, en régie, par la ville de Toulouse, et leur activité constitue un service public administratif, ainsi que l’a jugé au moins deux fois le Tribunal des Conflits avant qu’il ne simplifie grandement la jurisprudence en la matière par l’arrêt Berkani (cf. à propos de deux danseuses du ballet : TC, 15 janvier 1979, Dames Le Cachey & Guiguère et autres c/ Ville de Toulouse, n°2106, en A sur ce point[8], ccl. Morisot ; TC, 22 novembre 1993, Martinucci c/ Ville de Toulouse, n°2879, en A sur ce point[9]).

Précisons toutefois, en passant, que le contrat par lequel une collectivité publique gérant un service public administratif et agissant en qualité d’entrepreneur de spectacle vivant, engage un artiste du spectacle en vue de sa participation à un tel spectacle, est présumé être un contrat de travail soumis aux dispositions du code du travail (cf. TC, 6 juin 2011, Mme Bussière-Meyer c/ Communauté de l’agglomération belfortaine, n°3792, en A sur ce point[10] ; TC, 17 juin 2013, Mme Olteanu c/ Ville de Saint-Etienne, n°3910[11]).

Le contrat de Mme Glushak répondait quant à lui à un besoin permanent et a été régulièrement renouvelé, de sorte qu’il a été transformé en contrat à durée indéterminée, le 14 décembre 2005, avec effet rétroactif à la date du 27 juillet 2005, conformément à l’article 15-II de la loi n°2005-843 du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique. Pour rappel, ces dispositions imposaient aux employeurs publics la transformation d’un contrat à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée lorsqu’au 1er juin 2004 ou au plus tard au terme du contrat en cours, soit le 31 août 2005 s’agissant de Mme Glushak, l’agent non-titulaire concerné était âgé d’au moins cinquante ans, était en fonction, justifiait d’une durée de services effectifs au moins égale à six ans au cours des huit dernières années, et assuraient, notamment, des fonctions pour lesquelles il n’existe pas de cadres d’emploi de fonctionnaire.

            Toutefois, lors de la séance du conseil municipal du 21 janvier 2011, le maire de Toulouse a annoncé la nomination de M. Kader Belarbi, ancien danseur étoile de l’Opéra de Paris, comme directeur de la danse du Théâtre du Capitole en remplacement de Mme Glushak. Un premier contrat ayant été signé le 12 janvier 2011, M. Belarbi a pris ses fonctions dès le 1er février 2011. Ce n’est qu’un an plus tard que le maire de Toulouse a convoqué Mme Glushak pour un entretien préalable à son licenciement, et l’a ensuite licenciée par décision du 13 février 2012.

Par la présente requête, Mme Glushak vous demande d’annuler cette décision et de condamner la commune de Toulouse à lui verser une indemnité de 180.000 euros en réparation de ses préjudices financiers et moraux.

*****

L’administration peut toujours licencier un agent non-titulaire pour des motifs tirés de l’intérêt du service. C’est là la principale question posée par ce litige, d’autant plus délicate en l’espèce que les activités artistiques telles que celles qui peuvent être confiées à un directeur de la danse, chorégraphe, sont intimement liées, non pas à la personnalité, mais à la personne même, de celui qui occupe ces fonctions. La ville de Toulouse a recruté Mme Glushak, non seulement en raison de ses compétences techniques et pédagogiques dans le domaine de la danse, mais également, du moins peut-on légitimement le penser, en raison de sa notoriété et de son influence dans ce milieu artistique. Pour autant, le contrat de Mme Glushak n’était pas un emploi discrétionnaire, qui aurait permis à son employeur de la révoquer ad nutum, c’est-à-dire, rappelons l’étymologie, sur un signe de tête. La requérante n’était donc pas placée dans une situation comparable à celle des fonctionnaires territoriaux occupant des emplois de cabinet, ou encore des emplois fonctionnels, qui sont strictement et limitativement énumérés par les textes.

C’est pourquoi il nous paraît opportun de rappeler dans quels cas un employeur public peut se séparer d’un agent contractuel de droit commun, conformément à l’intérêt du service.

La première hypothèse qui vient immédiatement à l’esprit, mais qui ne correspond pas au cas qui nous occupe aujourd’hui, est celle de la suppression de l’emploi, notamment pour des raisons budgétaires (cf. par ex. pour la suppression de 15 postes de danseurs de l’opéra de Marseille : CE, 13 octobre 1997, Gardi, n°161957).

Le second motif de licenciement dans l’intérêt du service tient à la réorganisation de celui-ci. A titre d’exemple, le maire de Pantin avait pu licencier un professeur de musique du conservatoire municipal en raison de la réorientation des cours d’esthétique et de théâtre musical assurés par l’intéressé, compte tenu d’une réorganisation qui avait pour objet, d’une part, de permettre l’exécution d’œuvres musicales dans le cours d’esthétique en confiant ce cours à un professeur instrumentiste, et d’autre part, d’assurer la formation de chanteurs comédiens dans le cours de théâtre musical en confiant ce cours à un professionnel du théâtre. Le Conseil d’Etat, qui a noté qu’il ne lui appartenait pas d’apprécier l’opportunité de cette réorganisation, a simplement constaté qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier, que l’agent concerné, qui n’était pas instrumentiste, ait possédé les qualifications désormais demandées par la commune (cf. CE, 17 janvier 1986, Tapie, n°52628).[12]

Troisième possibilité qui a fait l’objet d’un arrêt topique : l’employeur public peut mettre fin à la relation contractuelle en cas d’inadaptation de l’artiste aux besoins du service public culturel, sans que celui-ci n’ait connu de changement particulier d’organisation. Ainsi, à propos d’un danseur soliste à l’opéra de Lyon qui n’était plus choisi par les chorégraphes invités depuis quatre ans (au motif, justement, d’une prétendue incapacité à adopter une forme d’expression contemporaine de la danse)[13], danseur qui n’avait participé depuis trois ans qu’à une seule tournée en qualité de remplaçant au cours de laquelle il n’avait pas dansé et qui n’avait, depuis lors, été sélectionné pour aucune création, le Conseil d’Etat a jugé que ces faits ne caractérisaient pas une insuffisance professionnelle mais une inadaptation aux besoins du théâtre, pouvant le cas échéant justifier le non renouvellement du contrat à durée déterminée qui liait le danseur à l’opéra de Lyon lors de ses échéances (cf. CE, 29 juillet 1994, Ville de Lyon, n°133701, en B sur ce point).

Enfin, les motifs d’éviction peuvent résulter plus classiquement d’une faute disciplinaire ou d’une insuffisance professionnelle imputable à l’agent concerné. Il s’agit là de motifs qui, s’ils ne sont pas directement tirés de l’intérêt du service, ne lui sont pas, bien évidemment, étrangers, selon la formule de la jurisprudence (cf. CE, 13 mars 1968, Commune de Malaussène, n°68999, en A sur cette question[14] ; CE, 12 mars 1975, Ville de Pau, n°91151, en A sur ce point[15]).

*****

            En l’espèce, la décision attaquée du 13 février 2012 est motivée par la circonstance que Mme Glushak n’aurait pas su s’adapter aux nouveaux objectifs fixés par le directeur artistique du théâtre du Capitole dans le cadre du changement de projet culturel de la ville de Toulouse depuis 2008, à savoir l’introduction d’une modernité dans le ballet du Capitole, impliquant une nouvelle direction artistique se traduisant par l’ouverture du répertoire à des chorégraphes contemporains, et par des partenariats avec l’environnement local dans le domaine de la danse, croisements des genres et des styles par le biais de cours publics, de performances, etc.

Puis, le maire de Toulouse a reproché à Mme Glushak de ne pas avoir souhaité engager sa troupe de ballet vers un répertoire autre que néoclassique, de s’être opposée à toutes les ouvertures du ballet sur l’environnement local, d’où une mauvaise implication des danseurs lors des différentes éditions de la manifestation « Osons danser » et de la lecture-démonstration avec l’association de danse hip-hop le CACDU.

Le maire reprochait également à la requérante une perte de notoriété du Ballet du Capitole, qui s’est traduite par une diminution des propositions de tournées nationales et internationales.

Enfin, le maire a estimé que le fait pour Mme Glushak de mener des missions régulières comme maîtresse de ballet auprès d’autres troupes en France et à l’étranger n’était pas compatible avec l’investissement requis par ses fonctions toulousaines.

*****

D’emblée, nous vous proposerons d’écarter ce motif tiré de l’incompatibilité des fonctions de Mme Glushak comme maîtresse de ballet accréditée auprès du Banlanchine Trust avec ses fonctions de directrice de la danse du Théâtre du Capitole. Car s’il est vrai que l’article 25 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires oblige les fonctionnaires et les agents non titulaires de droit public à consacrer l’intégralité de leur activité professionnelle aux tâches qui leur sont confiées et ne peuvent, en principe, exercer à titre professionnel une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit, les mêmes dispositions prévoient que les agents publics peuvent être autorisés à exercer à titre accessoire, une activité, qu’elle soit ou non lucrative, auprès d’une personne ou d’un organisme public ou privé, dès lors que cette activité est compatible avec les fonctions qui leur sont confiées et n’affecte pas leur exercice.

En particulier, le décret n°2007-658 du 2 mai 2007 relatif au cumul d’activités, notamment, des agents non-titulaires de droit public, prévoit, parmi les activités accessoires susceptibles d’être autorisées l’enseignement et la formation, ainsi que les activités à caractère sportif ou culturel.

En l’espèce, le contrat conclu avec Mme Glushak prévoyait expressément que l’intéressée pourrait exercer des activités extérieures à celles du Théâtre du Capitole après autorisation du directeur artistique. Par suite, si les absences régulières de Mme Glushak liées à ses fonctions de répétitrice du Balanchine Trust nuisaient à l’intérêt du service, il suffisait au directeur artistique d’y mettre fin conformément aux termes du contrat, sans qu’il fût pour autant besoin de la licencier. D’ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’antérieurement à l’annonce de la nomination de M. Belarbi, la ville de Toulouse ait fait un quelconque reproche à Mme Glushak sur ce sujet et ait entendu remettre en cause ses activités accessoires.

Le deuxième motif qui nous paraît également fragile est tiré de la perte de notoriété du ballet, ainsi qu’en attesterait la diminution des propositions de tournées nationales et internationales de la part de Mme Glushak.

Tout d’abord, il n’est pas contesté que Mme Glushak a satisfait aux exigences de la nouvelle municipalité de doubler le nombre de représentations du ballet en trois saisons, et de proposer pour chaque saison, six programmes au lieu de quatre. Dans le même temps, Mme Glushak explique très logiquement la diminution des tournées en 2009 et en 2010 par cette augmentation concomitante de l’activité du ballet, mais également par une diminution du budget alloué au Ballet. Toutefois, sans entrer dans le détail de ces explications qui sont contestées par le défendeur, il vous suffira de jeter un œil sur le récapitulatif des tournées du Ballet du Capitole produit par la requérante, pour constater que le nombre des tournées entre 1998 et 2010 a été très variable d’une année sur l’autre. Ainsi, en 1998 comme en 2010, le Ballet ne s’est produit qu’une seule fois, en province, et une seule fois en 2011, à Pampelune, contre 5 fois en 2009, et 24 fois en 2008, notamment à Catane en Sicile. En moyenne, sur la période, le nombre de représentations en tournées est de 9 par an, et le nombre de localités visitées par le Ballet est de sept par an. Par suite, compte tenu à la fois du rythme aléatoire des tournées et du nombre très important de tournées en 2008, avec 15 localités visitées, il ne nous semble pas que le seul nombre de tournées en 2009, 2010 et 2011 fasse la démonstration d’une perte de notoriété du Ballet du Capitole.

Surtout, Mme Glushak était chargée, aux termes de son contrat, du fonctionnement et de la programmation du Ballet du Capitole, « sous l’autorité et avec l’accord du directeur artistique ». Ainsi, il n’est pas allégué par le défendeur que la nouvelle municipalité aurait fixé à Mme Glushak un objectif chiffré de tournées à atteindre, ni même que la direction artistique aurait demandé à l’intéressée de prévoir davantage de tournées pour 2009 et 2010, et que Mme Glushak aurait été incapable de réaliser cet objectif faute pour le Ballet du Capitole et, indirectement, de sa chorégraphe et directrice, d’être suffisamment côtés sur le marché, si vous nous permettez l’expression, mais c’est bien de cela qu’il s’agit.

 Restent alors en débat les deux motifs tirés d’une part, d’une divergence esthétique quant aux choix de programmation, d’autre part, d’un refus de Mme Glushak de faire coopérer le Ballet du Capitole avec des acteurs locaux.

Au soutien de cette décision, vous disposez de deux attestations, non datées, du directeur artistique du théâtre du Capitole, qui indiquent, pour la première, que Mme Glushak n’a pas su s’adapter à la volonté d’élargissement du projet artistique du Ballet du Capitole à d’autres esthétiques que le ballet académique et la danse néoclassique, pour la seconde, que l’intéressée n’a pas souhaité établir des passerelles avec d’autres institutions ou associations toulousaines intervenant dans le domaine de la danse.

Toutefois, dans le premier cas, le défendeur ne produit aucun autre document susceptible d’établir que des directives précises auraient été données à Mme Glushak pour encadrer son pouvoir de proposition sur l’esthétique des spectacles à programmer.

Certes, la commune de Toulouse tente bien de vous convaincre que la nouvelle municipalité issue des urnes en 2008 a souhaité imprimer sa marque dans le domaine culturel en bâtissant un nouveau projet fondé sur quatre objectifs : donner l’envie de culture à tous les Toulousains, miser sur l’avenir et l’innovation culturelle, inscrire la culture au centre du développement urbain durable et imaginer la culture ensemble.

Toutefois, il s’agit d’un document aux termes très généraux, dont il n’est aucunement démontré qu’il a fait l’objet d’une déclinaison concrète au sein du Ballet du Capitole. Rappelons, là encore, que s’il incombait à Mme Glushak d’être force de proposition, le choix définitif de la programmation incombait au directeur artistique. Ainsi, la commune de Toulouse reproche à Mme Glushak, en dépit des demandes en ce sens de M. Chambert, directeur artistique, de ne pas avoir souhaité programmer le ballet Les forains, qui a été créé pour la première fois en 1945 par le chorégraphe Roland Petit, sur une musique du compositeur bordelais Henri Sauguet, ou encore de ne pas avoir souhaité collaborer avec tel ou tel chorégraphe contemporain : Angelin Preljocaj, Jean-Claude Gallotta, Inbal Pinto, Pina Bausch, etc, mais également des chorégraphes toulousains, comme Pierre Rigal, Aurélien Bory ou Heddy Maalem.

Mais de deux choses l’une : soit ces demandes ont fait l’objet de directives précises de la part du directeur artistique, et dans ce cas, Mme Glushak a refusé de s’y conformer, ce qui ne révèle pas une inaptitude de sa part à l’évolution du service culturel, mais un refus d’obéissance passible d’une faute disciplinaire, ce qui n’est aucunement allégué. Soit, et c’est plutôt ce que nous déduisons à la lecture des pièces du dossier, il s’agissait plutôt de recommandations informelles de la part du directeur artistique, et Mme Glushak a purement et simplement continué, pour les années 2008 à 2010, de proposer une programmation avec l’autonomie que lui conféraient, non seulement les termes de son contrat, mais également une ancienneté dans le poste de près de quinze ans, avec la circonstance non-contestée que la programmation proposée par Mme Glushak rencontrait l’adhésion d’un public toulousain important, ainsi que le notait M. Chambert lui-même dans l’une des attestations.

Vous noterez en passant que le défendeur ne produit aucune fiche d’évaluation qui formaliserait des objectifs que l’autorité territoriale aurait assignés à Mme Glushak dans le cadre de son activité professionnelle.

En conséquence, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme Glushak aurait été incapable d’aborder d’autres esthétiques que l’esthétique classique ou néo-classique et de modifier la programmation du Ballet du Capitole en vue de l’ouvrir à la danse dite contemporaine, si une demande formelle de la part de son employeur lui avait été faite en ce sens.

S’agissant du dernier motif, de coloration disciplinaire, tiré de ce que Mme Glushak aurait fait preuve d’une forte résistance à l’égard du second axe d’évolution que la nouvelle municipalité aurait décidé, la requérante ne conteste pas qu’il lui avait été demandé d’associer le ballet du Capitole à des acteurs locaux évoluant notamment dans le hip-hop ou la danse moderne en vue de réaliser des projets communs.

La commune fait ainsi état du désintérêt de la requérante pour la mise en place du projet « Place de la Danse » en juin 2011, événement auquel elle n’aurait pas assisté. Vous noterez toutefois qu’à cette date, M. Belarbi était déjà directeur de la danse « désigné » depuis presque six mois, de sorte que l’absence de Mme Glushak est aisément compréhensible, et ne saurait justifier une sanction telle qu’une exclusion définitive du service.

Le défendeur fait également valoir que Mme Glushak n’a jamais pris l’initiative d’associer le Ballet du Capitole à des actions de sensibilisation conduites par le Théâtre du Capitole dans les quartiers défavorisés, ou d’avoir limité une rencontre artistique organisée le 23 mars 2010 entre les danseurs du Ballet et ceux de la compagnie de hip-hop du centre d’art chorégraphique des danses urbaines à deux présentations successives en lieu et place d’un spectacle commun.

Toutefois, là encore, il ne ressort pas des pièces du dossier que des instructions précises avaient été données à Mme Glushak en ce sens.

Enfin, si le maire de Toulouse reprochait également à Mme Glushak la mauvaise implication des danseurs lors des différentes éditions de la manifestation « Osons danser », la requérante soutient sans être contestée en défense que ce projet avait été mis en place par M. Belarbi dès le début, soit en janvier 2010, et que Mme Glushak n’avait pas même été informée de la participation de certains des danseurs du Ballet à ces actions, de sorte que ceux-ci ont été effectivement indisponibles pour l’une des représentations de ce spectacle.

En conséquence, il ne nous semble pas que la commune de Toulouse établisse que l’éviction de Mme Glushak au profit de M. Belarbi aurait été justifiée par des motifs tirés de l’intérêt du service, et vous annulerez la décision attaquée.

*****

Vous le savez, en vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu’il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l’illégalité commise présente, compte tenu de l’importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l’encontre de l’intéressé, un lien direct de causalité. Pour l’évaluation du montant de l’indemnité due, doit être prise en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l’intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l’exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser les frais, charges ou contraintes liés à l’exercice effectif des fonctions. Enfin, vous devez déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations que l’agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d’éviction (cf. CE, 6 décembre 2013, Commune d’Ajaccio, n°365155, en A sur ce point).

Or en l’espèce, si Mme Glushak vous demande de condamner son ancien employeur à lui verser la somme de 80.000 euros au titre de la diminution de ses revenus, elle n’établit ni le montant des allocations de retour à l’emploi qu’elle aurait perçues, le cas échéant, ni surtout, que son licenciement ne lui a pas permis d’exercer ses activités artistiques, notamment au titre du Balanchine Trust, beaucoup plus librement qu’elle ne pouvait le faire lorsqu’elle était liée au Ballet du Capitole, et donc de manière bien plus lucrative. En bref, la requérante n’établit aucunement la réalité de ce préjudice financier.

En revanche, s’agissant du préjudice moral, que Mme Glushak évalue à 100.000 euros, il est difficilement contestable, eu égard à la durée indéterminée du contrat dont Mme Glushak était bénéficiaire, compte tenu également de son ancienneté lors de son licenciement et de son âge, mais aussi et surtout, compte tenu de la nature de ses fonctions. Ainsi, au regard d’une décision du Conseil d’Etat qui a octroyé, en tant que juge du fond, une indemnité de 300.000 francs, soit plus de 45.000 euros, à raison du préjudice moral et professionnel occasionné à un musicien de l’orchestre philarmonique des Pays-de-Loire, irrégulièrement évincé de son contrat à durée indéterminée après vingt ans de bons et loyaux services, nous vous proposons de limiter l’indemnisation de Mme Glushak, qui n’a invoqué qu’un préjudice moral, à la somme de 20.000 euros (cf. CE 8 novembre 2000, Thévenet, n°200835, en A mais pas sur ce point[16] ; cf. également : CE, 26 juin 1989, Ville d’Aix-en-Provence, n°99763[17] : 1.500 euros pour une directrice de crèche en CDI depuis deux ans).

*****

Par ces motifs, nous concluons :

  • A l’annulation de la décision de licenciement de Mme Glushak en date du 13 février 2012 ;
  • A ce que vous condamniez la commune de Toulouse à verser à Mme Glushak la somme de 20.000 euros en réparation de son préjudice moral ;
  • Au rejet du surplus des conclusions indemnitaires ;
  • Et dans les circonstances de l’espèce, à ce que soit mise à la charge de la commune de Toulouse la somme de 1.200 euros au titre des frais exposés par la requérante et non compris dans les dépens.

 Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; Art. 59.

[1] Ballet chorégraphié par Marius Petipa sur une musique de Léon Minkus, créé en 1877 au Théâtre du Bolchoï de Saint-Pétersbourg.

[2] Ballet chorégraphié par Petipa sur une musique de Tchaïkovski, créé en 1890 au Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg.

[3] Ballet chorégraphié par Petipa sur une musique de Minkus, créé en 1869 au Théâtre du Bolchoï de Saint-Pétersbourg.

[4] Ballet créé en 1789 par Jean Bercher, dit Dauberval, au Grand Théâtre de Bordeaux.

[5] Ballet créé en 1841 à l’Académie royale de musique (actuellement l’Opéra de Paris), chorégraphié par Jean Coralli & Jules Perrot, sur une musique d’Adolphe Adam.

[6] Ballet d’Arthur Saint-Léon, sur une musique de Léo Delibes, créé en 1870 à l’Opéra de Paris.

[7] Ballet créé en 1832 par Filippo Taglioni à l’Opéra de Paris, sur un livret d’Adolphe Nourrit et une musique de Jean Schneitzhoeffer.

[8] « CONSIDERANT QUE MME LE CACHEY ET MME GUIGUERE, QUI AVAIENT ETE ENGAGEES PAR LA VILLE DE TOULOUSE EN QUALITE DE DANSEUSES DU CORPS DE BALLET DU THEATRE MUNICIPAL DU CAPITOLE SUIVANT CONTRATS SUCCESSIVEMENT PASSES POUR CHAQUE SAISON LYRIQUE DE 1972 A 1977, ONT ATTRAIT LADITE VILLE DEVANT LE CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE TOULOUSE EN VUE D’OBTENIR PAIEMENT DE DIVERSES INDEMNITES POUR LICENCIEMENT ET RUPTURE ABUSIVE DE LEURS CONTRATS DE TRAVAIL ; QUE M. FEGELE, ENGAGE PAR LA MEME COLLECTIVITE PUBLIQUE SUIVANT CONTRAT DU 10 JUILLET 1974 EN QUALITE DE MUSICIEN DE L’ORCHESTRE REGIONAL DU CAPITOLE, A SAISI LA MEME JURIDICTION D’UNE DEMANDE EN PAIEMENT D’UN RAPPEL DE SALAIRES ; CONS. QUE LA VILLE DE TOULOUSE QUI, PAR L’ORGANISATION ET LA GESTION DU THEATRE MUNICIPAL ET DE L’ORCHESTRE REGIONAL DU CAPITOLE, ASSUME UNE MISSION DE SERVICE PUBLIC, LA REMPLIT DANS DES CONDITIONS EXCLUSIVES DE TOUT CARACTERE INDUSTRIEL OU COMMERCIAL ; QUE LE PERSONNEL ARTISTIQUE ENGAGE PAR ELLE POUR ASSURER LES ACTIVITES DE CES THEATRES ET ORCHESTRE PARTICIPE DIRECTEMENT A L’EXECUTION DUDIT SERVICE PUBLIC ; QUE, DES LORS, LES LITIGES CONCERNANT L’EXECUTION OU LA RUPTURE DES CONTRATS PASSES ENTRE LA VILLE DE TOULOUSE, MME LE CACHEY ET MME GUIGUERE ET M. FEGELE SONT DE LA COMPETENCE DES TRIBUNAUX ADMINISTRATIFS ; (CONFIRMATION DE L’ARRETE DE CONFLIT). »

[9] « Est administratif le contrat passé entre une ville, qui assure la mission de service public consistant en l’organisation et la gestion du théâtre municipal, et les artistes, quels que soient le nombre de leurs représentations et leur mode de rémunération. »

[10] « 1) Il résulte des dispositions spécifiques des articles L. 620-9 et L. 762-1 du code du travail et 1-1 de l’ordonnance n° 45-2339 du 13 octobre 1945 relative aux spectacles que le contrat par lequel une collectivité publique gérant un service public administratif et agissant en qualité d’entrepreneur de spectacle vivant engage un artiste du spectacle en vue de sa participation à un tel spectacle, est présumé être un contrat de travail soumis aux dispositions du code du travail. / 2) Si, par l’organisation et la gestion d’un festival, la communauté d’agglomération a assumé une mission de service public et l’a remplie dans des conditions exclusives de tout caractère industriel ou commercial, les contrats par lesquels elle s’est assurée, comme entrepreneur de spectacles vivants, de la participation d’un musicien à des concerts, sans que cette participation puisse être regardée comme constituant soit une obligation de service hebdomadaire incombant à celui-ci en application du statut particulier de son cadre d’emplois, soit l’accessoire nécessaire d’une telle obligation, dès lors que ces concerts n’avaient pas pour objet de lui permettre, avec ses élèves, de pratiquer la musique en public pour valoriser l’enseignement dispensé, entrent dans le champ des dispositions précitées. Par suite, le litige relatif au montant des salaires réclamés au titre de l’exécution de ces contrats relève de la compétence du juge judiciaire. »

[11] « Considérant que si, par l’intermédiaire de son orchestre symphonique, la commune de Saint-Etienne assume une mission de service public et la remplit dans des conditions exclusives de tout caractère industriel ou commercial, les contrats par lesquels elle s’est assurée en qualité d’entrepreneur de spectacles vivants la participation de Mme Olteanu à des concerts, en tant que violoniste, entrent dans le champ des dispositions ci-dessus rappelées ; que, dès lors, le litige relatif aux obligations de l’employeur découlant de tels contrats relève de la compétence du juge judiciaire ; »

[12] « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que M. X…, professeur non titulaire au conservatoire municipal de musique de Pantin, a été licencié par décision du 1er juillet 1982 du maire de Pantin en raison de la réorientation des cours d’esthétique et de théâtre musical assurés par l’intéressé ; que cette réorganisation avait pour objet de permettre l’exécution d’oeuvres musicales dans le cours d’esthétique en confiant ce cours à un professeur instrumentiste et d’assurer la formation de chanteurs comédiens dans le cours de théâtre musical en confiant ce cours à un professionnel du théâtre ; qu’il n’appartient pas au juge administratif d’apprécier l’opportunité de cette réorganisation ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier, que M. X…, qui n’est pas instrumentiste, ait possédé les qualifications désormais demandées par la commune, qu’il ait été remplacé pour le cours d’esthétique par un professeur non instrumentiste, ou qu’il ait été licencié en raison de sa participation aux mouvements de grève qui ont précédé la réorganisation du conservatoire pour des motifs étrangers à l’intérêt du service ; que, par suite, M. X… n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du maire de Pantin prononçant son licenciement. »

[13] Cf. CAA Lyon, 28 avril 2000, n°96LY01864, en A.

[14] « Secrétaire de mairie stagiaire, licenciée pour insuffisance professionnelle, soutenant qu’elle a été en réalité licenciée pour des motifs politiques. La requérante qui s’est vu interdire l’accès de son bureau depuis le renouvellement de la municipalité, et dont le mari a été également licencié par le nouveau maire, doit être regardée, en l’absence de contestation de ces faits par la commune, comme ayant été en réalité licenciée pour des motifs étrangers à   l’intérêt du service. Confirmation du jugement ayant annulé l’arrêté de licenciement. »

[15] « Appel formé par une commune contre un jugement annulant le licenciement d’un agent municipal. La commune avait invoqué devant le tribunal administratif un ensemble de griefs précis, sur lesquels l’intéressé avait fourni des justifications circonstanciées et convaincantes. Elle n’a opposé à celles-ci aucun argument, se bornant à affirmer que le licenciement serait intervenu, en vertu du pouvoir discrétionnaire du maire, pour insuffisance professionnelle.   La décision ayant été prise en réalité pour des motifs étrangers à l’intérêt du service, rejet de la requête. »

[16] «   Considérant que la délibération du comité du syndicat mixte prévoyant la  suppression progressive des emplois à temps incomplet au sein de  l’orchestre, en application de laquelle a été prise la décision de  licencier M. THEVENET, a été annulée par le juge administratif pour un  motif tiré du vice de la procédure précédant l’adoption de la délibération  annulée, qui résultait du défaut de consultation du comité technique  paritaire ; que, par ailleurs, M. THEVENET a perçu une indemnité de  licenciement équivalant à un an de traitement qui constitue la réparation  normale de la rupture d’un contrat à durée indéterminée ; que toutefois,  il est en droit de prétendre à la réparation du préjudice financier,  professionnel et moral que lui a causé la faute résultant de  l’irrégularité de la délibération dont procède la décision de le  licencier ; que si M. THEVENET est fondé à invoquer l’existence d’un  préjudice financier, il ne peut pas pour autant prétendre, en l’absence de  service fait, au versement de sa rémunération pendant la période qu’il  invoque ; que l’intéressé, compte tenu des liens existant entre l’exercice  des fonctions de professeur de musique et celles de musicien, est  également fondé à invoquer le préjudice professionnel que lui a causé son  éviction de l’orchestre ; que l’intéressé enfin, compte tenu de sa  réputation de musicien, est fondé à invoquer le préjudice moral que lui a  causé cette même éviction ; / Considérant qu’il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par  M. THEVENET à raison de son licenciement en fixant l’indemnité qui lui est  due, en sus de l’indemnitéde licenciement de 160 722,78 F qu’il a perçue,  à 300 000 F, tous intérêts compris ; que, dans cette mesure, le syndicat  mixte est fondé à demander la réformation du jugement attaqué tandis que  la requête de M. THEVENET doit être rejetée ; »

[17] «   Considérant, enfin que le tribunal administratif n’a pas fait une  évaluation exagérée du préjudice moral que la mesure de licenciement a  causé à Mme Biètry, en condamnant, pour ce chef de préjudice, la VILLE  D’AIX-EN-PROVENCE à verser à l’intéressée une indemnité de 10 000 F ; »

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ParJDA

TA de Toulouse, 18 février 2016, Mme GLUSHAK

Art. 58.

Un commentaire de la présente décision & de ses conclusions se trouve en ligne ici.

Publication réalisée avec l’autorisation & le soutien du TA de Toulouse.
Publication non anonymisée avec l’accord de la partie intéressée et de son conseil.

fr-tls

REPUBLIQUE FRANCAISE – AU NOM du PEUPLE FRANCAIS

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE TOULOUSE

5ème chambre – présidence de Mme CARTHE MAZERES

1203445

Mme Kanté – Rapporteur

M. Dubois – Rapporteur public

Audience du 21 janvier 2016

Lecture du 18 février 2016

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 26 juillet 2012, le 7 septembre 2012, le 18 juillet 2014, le 30 juillet 2014 et le 26 novembre 2015, Mme Nanette Glushak, représentée par Me Thalamas demande au tribunal :

1°) d’annuler la décision en date du 13 février 2012 par laquelle le maire de Toulouse a procédé à son licenciement dans l’intérêt du service ;

2°) de condamner la commune de Toulouse à lui verser la somme de 180 000 euros en indemnisation de ses préjudices financier et moral, assortie des intérêts moratoires ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Toulouse la somme de 5 000 euros en application de l’article L. 761‑1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

– la décision attaquée est entachée d’un vice d’incompétence ;

– elle n’est pas suffisamment motivée ;

– son licenciement dans l’intérêt du service n’est pas justifié ; aucun élément ne vient étayer la référence à une nouvelle politique culturelle, la seule modification tangible relative au Ballet du Capitole étant le doublement en trois saisons du nombre de ses représentations avec invitation lui étant faite de proposer chaque saison six programmes différents au lieu de quatre ;

– la matérialité des faits n’est pas établie ; les arguments selon lesquels elle aurait opposé des réticences à appréhender, d’une part, l’ouverture du répertoire à des chorégraphes contemporains et d’autre part, le développement de partenariats culturels avec l’environnement local ne correspond à aucune réalité ; le Ballet du Capitole a présenté, sous sa direction, en plus du répertoire classique, pas moins de douze chorégraphes contemporains ainsi que de nombreuses reprises de leurs œuvres ; le Ballet du Capitole a participé, sous sa direction, à des projets de partenariat culturels avec les auteurs locaux de la danse, que ce soit les différentes éditions de la manifestation « Osons danser » ou le spectacle commun avec l’association de danse hip-hop CACDU ; toutes ses propositions dans le choix du répertoire, des chorégraphes et des évènements culturels doivent être approuvées et validées par la direction artistique du Théâtre du Capitole, seule autorité décisionnaire ; elle n’a pas été sollicitée au regard de ce qui serait une nouvelle politique culturelle pour ce qui concerne les responsabilités dont elle avait la charge, les attestations produites par le défendeur étant mensongères ; aucun élément objectif ne vient apporter la preuve de sa responsabilité dans la perte de notoriété du Ballet du Capitole qui se traduirait depuis quelques saisons par une diminution des tournées nationales ; cette diminution coïncide avec l’augmentation de l’activité du Ballet qui, sous l’impulsion de la direction artistique, a multiplié par deux le nombre de représentations faites à Toulouse en trois saisons, obligeant le ballet du Capitole à refuser des tournées ; ses activités extérieures en sa qualité de maîtresse de ballet accréditée du George Balanchine Trust qui l’ont conduite à effectuer des missions auprès d’autres troupes, autorisées par son contrat et qui ne sont pas nouvelles, n’ont jamais porté préjudice à l’activité du Ballet demeurée sa priorité ; elle a, à l’instar de M. Belarbi, une culture fondamentale de la danse très proche de celle de ce dernier, faite d’exigences envers le répertoire classique et d’ouvertures à d’autres univers esthétiques ;

– elle est entachée d’erreur manifeste d’appréciation ;

– l’obligation de reclassement a été méconnue.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 27 décembre 2013 et le 24 avril 2015, la commune de Toulouse conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de Mme Glushak de la somme de 2 000 euros en application de l’article L. 761‑1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– la loi n°84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;

– la loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique ;

– le code général des collectivités territoriales ;

– le décret n°88-145 du 15 février 1988 relatif aux agents non titulaires de la fonction publique territoriale ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique du 21 janvier 2016 :

– le rapport de Mme Kanté,

– les conclusions de M. Dubois, rapporteur public,

– et les observations de Me Thalamas, représentant Mme Glushak, et de Me Kaczmarczyk, représentant la commune de Toulouse.

  1. Considérant que Mme Glushak a été recrutée par la ville de Toulouse, en qualité d’agent non titulaire, en contrat à durée déterminée à compter du 1erseptembre 1994, pour occuper l’emploi de directrice de la danse au Théâtre du Capitole et assumer ainsi la charge de la direction de la programmation du ballet au théâtre ; que son contrat, après avoir été renouvelé, à plusieurs reprises, a été reconduit sous la forme d’un contrat à durée indéterminée, par l’effet de la loi n°2005-843 du 26 juillet 2005 à compter du 27 juillet 2005 ; que Mme Glushak occupe parallèlement à ses fonctions celles de maîtresse de ballet certifiée par le Balanchine Trust ; qu’estimant que Mme Glushak n’adhérait pas au projet de modernisation du ballet, que la ville dit avoir initié depuis 2008, et plus largement à la volonté de rendre ladite institution accessible à un public plus varié, la commune de Toulouse a, par courriers des 16 et 27 janvier 2012, convoqué Mme Glushak à un entretien préalable en vue de son licenciement dans l’intérêt du service au motif qu’elle n’avait pas su s’adapter aux nouvelles orientations fixées par la direction artistique du Théâtre du Capitole ; que par décision du 13 février 2012, la commune de Toulouse lui a officiellement notifié son licenciement ; que le 26 mars 2012, Mme Glushak a formé un recours gracieux à l’encontre de cette décision et a sollicité l’indemnisation des préjudices subis du fait de son licenciement ; que par courriers des 4 avril et 11 mai 2012, la commune de Toulouse a demandé à Mme Glushak de préciser ses demandes quant aux préjudices invoqués ; que Mme Glushak a précisé sa demande dans son courrier du 20 juin 2012 ; qu’en l’absence de réponse à sa demande, Mme Glushak demande, par la présente requête, l’annulation de la décision prononçant son licenciement ainsi que l’indemnisation des préjudices qu’elle estime avoir subis du fait de son licenciement illégal ;

Sur les conclusions à fin d’annulation :

  1. Considérant qu’aux termes de l’article 3 de la loi n°84-53 du 26 janvier 1984 susvisée : « Les collectivités et établissements mentionnés à l’article 2 ne peuvent recruter des agents non titulaires pour occuper des emplois permanents que pour assurer le remplacement momentané de fonctionnaires autorisés à exercer leurs fonctions à temps partiel ou indisponibles en raison d’un congé de maladie, d’un congé de maternité, d’un congé parental ou d’un congé de présence parentale, ou de l’accomplissement du service civil ou national, du rappel ou du maintien sous les drapeaux, de leur participation à des activités dans le cadre de l’une des réserves mentionnées à l’article 74, ou pour faire face temporairement et pour une durée maximale d’un an à la vacance d’un emploi qui ne peut être immédiatement pourvu dans les conditions prévues par la présente loi. (…) Par dérogation au principe énoncé à l’article 3 du titre Ier du statut général, des emplois permanents peuvent être occupés par des agents contractuels dans les cas suivants : 1° Lorsqu’il n’existe pas de cadre d’emplois de fonctionnaires susceptibles d’assurer les fonctions correspondantes ; 2° Pour les emplois du niveau de la catégorie A, lorsque la nature des fonctions ou les besoins des services le justifient. » ; qu’aux termes de l’article 40 du décret n°88-145 du 15 février 1988 susvisé : « L’agent non titulaire engagé pour une durée déterminée ne peut être licencié par l’autorité territoriale avant le terme de son engagement qu’après un préavis qui lui est notifié dans les délais prévus à l’article 39. Toutefois, aucun préavis n’est nécessaire en cas de licenciement prononcé soit en matière disciplinaire, soit pour inaptitude physique, soit à la suite d’un congé sans traitement d’une durée égale ou supérieure à un mois, soit au cours ou à l’expiration d’une période d’essai. Les mêmes règles sont applicables à tout licenciement d’agent non titulaire engagé pour une durée indéterminée. »; qu’aux termes de l’article 42 de ce même décret : « Le licenciement ne peut intervenir qu’à l’issue d’un entretien préalable. La décision de licenciement est notifiée à l’intéressé par une lettre recommandée avec demande d’avis de réception. Cette lettre précise le ou les motifs du licenciement et la date à laquelle celui-ci doit intervenir compte tenu des droits à congés annuels restant à courir et de la durée du préavis. » ;
  1. Considérant que pour prononcer le licenciement de Mme Glushak, la commune de Toulouse s’est fondée sur les circonstances que l’intéressée n’avait pas su s’adapter aux nouveaux objectifs fixés par le directeur artistique du Théâtre du Capitole dans le cadre du changement de projet culturel de la ville de Toulouse depuis 2008, à savoir l’introduction d’une modernité dans le Ballet du Capitole, impliquant une nouvelle direction artistique se traduisant par l’ouverture du répertoire à des chorégraphes contemporains, pour des créations basées sur une nouvelle esthétique, mais aussi par des partenariats avec l’environnement local dans le domaine de la danse, croisements des genres et des styles par le biais de cours publics, de performances, qu’elle n’avait pas été à même de prendre en compte ces orientations nouvelles et s’y était montrée réticente, que malgré les nombreux échanges avec le directeur artistique du Théâtre du Capitole, elle n’avait pas souhaité engager sa troupe de ballet vers un répertoire autre que néo-classique et s’est ainsi opposée à toutes les ouvertures du Ballet sur l’environnement local, provoquant dès lors une mauvaise implication des danseurs lors des différentes éditions de la manifestation « Osons danser » et de la lecture-démonstration avec l’association de danse hip‑hop le CACDU et que ces réticences ont été de nature à entraver la mise en œuvre du nouveau projet culturel, à compromettre l’insertion du Ballet du Capitole dans son environnement et à nuire à son rayonnement dans les réseaux de diffusion de la danse, aux plans national et international ; qu’elle s’est également fondée sur la perte de notoriété du Ballet du Capitole se traduisant depuis quelques saisons, par une diminution des propositions de tournées nationales et internationales jusqu’à arriver depuis deux saisons, exception faite d’une représentation à Pampelune en mai 2011, à une absence de spectacles hors de Toulouse et sur la circonstance que sa qualité de maîtresse de ballet accréditée par Balanchine Trust qui la conduit à des missions régulières auprès d’autres troupes de ballet en France et à l’étranger n’est pas compatible avec l’investissement requis à Toulouse pour conduire le projet artistique du Ballet, lequel nécessite une présence effective et constante du directeur de la danse à Toulouse afin d’en incarner le projet et d’en assurer la traduction artistique, notamment par les liens avec les acteurs locaux ;
  1. Considérant que la ville de Toulouse fait valoir qu’elle s’est orientée dans un nouveau projet culturel, à compter de 2008 ; que toutefois, la brochure qu’elle produit intitulée « Projet culturel pour Toulouse 2009/2014 », ainsi que les attestations de M. Chambert, directeur artistique du théâtre du Capitole, lesquelles ne sont pas datées, sont insuffisantes à démontrer la réorientation des projets artistiques du Ballet du Capitole, selon les deux grands axes d’évolution décrits par ces seuls courriers ; qu’il n’est pas davantage établi que Mme Glushak ait été informée de ces nouvelles orientations ; que s’il est fait grief à Mme Glushak de s’être montrée réticente à appréhender des nouveaux univers esthétiques et à nouer des partenariats culturels avec d’autres acteurs locaux de la danse et notamment de ne pas avoir souhaité engager sa troupe de ballet dans un répertoire autre que néoclassique, cette circonstance n’est établie par aucune des pièces du dossier ; que s’il est constant que Mme Glushak a ainsi refusé de programmer le ballet « Les forains » de Roland Petit, elle en justifie par des motifs économiques en période de crise, en 2008, dont la réalité n’est pas contestable ; que, de surcroît, il ressort des pièces du dossier qu’au cours des 18 années à la tête du ballet Capitole, 13 ballets contemporains ont été mises en œuvre sous son autorité, notamment Angelin Prejlocag, inscrit au répertoire dès 1994, nonobstant la circonstance que les chorégraphes auxquels Mme Glushak a fait appel, MM. Nacho Duato et Mauricio Wainrot, chorégraphes contemporains mondialement connus, appartiendraient à la seule et même esthétique néo-classique et auraient déjà eu l’occasion de présenter chacun un de leur ballet au Théâtre du Capitole ; que s’agissant du projet « Hip-Hop », Mme Glushak convient que les danseurs du théâtre n’étant pas entraînés à cette technique de danse en sorte qu’il convenait d’être attentif à la manière de les solliciter ; qu’il est constant cependant que cette action a été mise en œuvre, en collaboration avec M. Djouri, au centre du projet, et menée avec succès ainsi que le soutient la requérante, même s’il n’y a pas eu de spectacle commun, ce qui n’est pas contesté ; que si le cours de danse sur la place du Capitole, n’a pas eu lieu, ce projet n’a fait l’objet d’aucune opposition de principe de la part de l’intéressée, laquelle, en tout état de cause, n’en avait pas été informée ; que la ville de Toulouse reconnaît, par ailleurs, que la diffusion des ballets du Capitole, nationale et internationale, a été satisfaisante jusqu’en 2008 ; qu’il n’est pas établi que la perte de notoriété se traduisant depuis plusieurs saisons, par une diminution des propositions de tournées nationales et internationales jusqu’à arriver depuis deux saison à une absence de spectacles hors de Toulouse, à l’exception d’une représentation de la Symphonie Ecossaise et du Sacre du printemps soit imputable à l’intéressée ; qu’il ressort, en outre, des pièces du dossier et notamment de la liste des représentations extérieures de 1998 à 2000 produite par l’intéressée que plusieurs spectacles ont été organisés pendant cette période en France et à l’étranger, à son initiative ; que la ville de Toulouse n’a pu enfin considérer que la qualité de maîtresse de Ballet accréditée par le Balanchine Trust, de Mme Glushak, laquelle a permis, au demeurant, à la ville d’avoir un accès privilégié au répertoire balanchinien, n’était pas compatible avec sa présence effective et constante en tant que directrice de danse de Toulouse, alors qu’elle était prévue par son contrat de recrutement dès l’origine ; qu’ainsi, les motifs avancés par la commune pour justifier la cessation des fonctions de l’intéressée et tirés notamment de la réorganisation du service et de l’inaptitude de Mme Glushak à s’adapter aux évolutions en cours ne sont pas fondés ; que de tels motifs dont il n’est ainsi pas établi qu’ils aient été pris dans l’intérêt du service et dans un souci de bonne administration n’étaient pas de nature à justifier qu’il soit mis fin aux fonctions de Mme Glushak ; que, par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner ses autre moyens, Mme Glushak est fondée à demander, l’annulation de la décision en date du 13 février 2012 par laquelle le maire de Toulouse a procédé à son licenciement dans l’intérêt du service ;

Sur les conclusions aux fins d’indemnisation :

  1. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, en procédant au licenciement de Mme Glushak dans l’intérêt du service, la ville de Toulouse a commis une illégalité constitutive d’une faute de nature à engager sa responsabilité à l’égard de la requérante ; qu’ainsi la requérante est fondée à demander la réparation des préjudices subis ; que, toutefois, en l’absence de précisions au dossier sur les revenus perçus par Mme Glushak depuis la date de son licenciement irrégulier, son préjudice financier ne peut être regardé comme établi ; qu’en tout état de cause, Mme Glushak ne démontre pas que l’impossibilité de retrouver un poste équivalent à celui qu’elle occupait avant son licenciement, dont elle se prévaut, ait un lien de causalité direct avec la rupture anticipée de son contrat alors que la ville de Toulouse fait valoir, à bon droit, que la difficulté de retrouver un emploi similaire ne résulte pas du licenciement mais de la spécificité de l’emploi en cause ; qu’il suit de là que le préjudice allégué ne revêt pas un caractère certain et que la demande de Mme Glushak ne peut sur ce point qu’être écartée ; qu’il résulte en revanche de l’instruction que celle-ci a subi, du fait de ce licenciement, un préjudice moral, dont il sera fait une juste appréciation, dans les circonstances de l’espèce, et compte tenu des particularités de la fonction de directeur de la danse, en en fixant la réparation à 20 000 euros ;

Sur les intérêts :

  1. Considérant que Mme Glushak a droit aux intérêts au taux légal correspondant à l’indemnité de 20 000 euros à compter du 30 mars 2012, date de réception de sa demande préalable par la commune de Toulouse ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761‑1 du code de justice administrative :

  1. Considérant que les dispositions de l’article L. 761‑1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme Glushak, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la commune de Toulouse demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la commune de Toulouse une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par Mme Glushak et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : La décision en date du 13 février 2012 par laquelle le maire de Toulouse a procédé au licenciement de Mme Glushak dans l’intérêt du service est annulée.

Article 2 : La commune de Toulouse est condamnée à verser à Mme Glushak la somme de 20 000 euros en indemnisation du préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter du 30 mars 2012.

Article 3 : La commune de Toulouse est condamnée à verser la somme de 1 200 euros à Mme Glushak en application de l’article L. 761‑1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à Mme Nanette Glushak et à la commune de Toulouse.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; Art. 58.

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ParJDA

Commentaire : CE, 10 février 2016, Fédération nationale des mines et de l’énergie – CGT

par Cédric GROULIER,
Maître de conférences en droit public
Institut d’études politiques de Toulouse – LaSSP EA 4175

Commentaire de
CE, 10 février 2016, Fédération nationale des mines et de l’énergie – Confédération générale du travail (FNME-CGT),
req. n° 383756

Art. 16. La décision rendue par le Conseil d’Etat le 10 février 2016, sur requête de la Fédération nationale des mines et de l’énergie – Confédération générale du travail (FNME-CGT), vient de donner l’occasion à la Haute juridiction de préciser les implications du principe à valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité du droit dans le champ particulier de la normalisation.

Celle-ci, régie par le décret n° 2009-697 du 16 juin 2009, consiste en l’édiction de normes techniques, définies comme des « documents de référence élaborés de manière consensuelle par toutes les parties intéressées, portant sur des règles, des caractéristiques, des recommandations ou des exemples de bonnes pratiques, relatives à des produits, à des services, à des méthodes, à des processus ou à des organisations » (art. 1er). Incarnant la pratique de la co-réglementation, la normalisation repose sur des dispositifs de droit souple (v. Conseil d’Etat, « Le droit souple », Etude annuelle 2013, Paris, EDCE n° 64, La Documentation française, 2013, pp. 41-42), sauf à ce que certaines normes jusqu’alors d’application volontaire, se voient dotées d’une portée obligatoire sur décision de l’autorité administrative. L’article 17 du décret de 2009 prévoit en effet que  « les normes sont d’application volontaire » mais qu’elles « peuvent être rendues d’application obligatoire par arrêté signé du ministre chargé de l’industrie et du ou des ministres intéressés ». Telle est précisément l’hypothèse qui a amené le Conseil d’Etat à se prononcer, en l’occurrence dans le domaine de la protection des travailleurs contre les risques électriques.

Cette dernière repose en effet sur deux dispositifs normatifs, qu’il faut au préalable rappeler.

D’une part, les opérations effectuées sur des installations électriques ou dans leur voisinage donnent lieu à l’adoption de normes homologuées par l’Association française de normalisation (Afnor), d’application volontaire, dont les références sont publiées au Journal officiel par arrêté conjoint des ministres chargés du travail et de l’agriculture (art. R.4544-3 du Code du travail). Le contenu de ces normes est accessible auprès de l’Afnor, à titre onéreux. C’est sur ce fondement qu’a été adopté l’arrêté du 26 avril 2012, concernant la norme référencée NF C 18-510 homologuée le 21 décembre 2012.

Pour leur part, les opérations réalisées sur les ouvrages de distribution d’énergie électrique sont régis par la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d’énergie, codifiée en 2011 dans le Code de l’énergie. Sur le fondement de cette loi, a été adopté le décret n° 82-167 du 16 février 1982 relatif aux mesures particulières destinées à assurer la sécurité des travailleurs contre les dangers d’origine électrique lors des travaux de construction, d’exploitation et d’entretien des ouvrages de distribution d’énergie électrique. Son article 4 impose aux employeurs de se « conformer aux prescriptions d’un ou de plusieurs recueils d’instructions générales de sécurité d’ordre électrique correspondant aux travaux à effectuer et à leur mode d’exécution », recueils devant être approuvés par arrêté conjoint du ministre chargé de l’énergie électrique et du ministre chargé du travail. Un arrêté du 17 janvier 1989 avait ainsi approuvé la publication du recueil d’instructions générales UTE C 18-510, éditée par l’Union technique de l’électricité (UTE), un organisme de normalisation créé en 1907, dont les activités de normalisation ont été transférées à l’Afnor à partir du 1er janvier 2014. Un nouvel arrêté du 19 juin 2014, modifiant celui de 1989, tire notamment les conséquences de ce transfert, et prévoit que « le recueil d’instructions générales de sécurité cité à l’article 4 du décret [de 1982] est le recueil UTE C 18-510-1 issu de la norme NF C 18-510 ». Pour le dire autrement, l’arrêté de 2014 a pour effet de rendre d’application obligatoire, s’agissant des opérations réalisées sur les ouvrages de distribution d’énergie électrique, la norme NF C-18-510.

C’est contre cet arrêté de 2014 que la Fédération a formé un recours en annulation, soulevant deux moyens à l’appui de sa requête.

Le premier tenait à un vice d’incompétence. Selon la Fédération, l’arrêté, signé par les ministres chargés du travail et de l’énergie conformément au décret de 1982, aurait également dû l’être par le ministre chargé de l’industrie, en application des dispositions du décret de 2009 sur la normalisation. Le Conseil d’Etat écarte ce moyen, en application du principe Lex specialis derogat legi generali : « les dispositions de l’article 4 du décret du 16 février 1982, en prévoyant la compétence conjointe du ministre chargé de l’énergie électrique et du ministre chargé du travail, dérogent, sur ce point, aux dispositions du deuxième alinéa de l’article 17 du décret du 16 juin 2009 qui prévoient, outre la compétence des ministres intéressés, celle du ministre chargé de l’industrie ». La logique dérogatoire trouve à jouer dans la mesure où sont en cause deux décrets en Conseil d’Etat, d’autorité égale ; au contraire, dans deux décisions antérieures, la Haute juridiction avait annulé les dispositions d’arrêtés qui n’avaient pas été signés par le ministre de l’industrie ainsi que l’impose le décret de 2009 (CE, 20 novembre 2013, SARL Tekimmo, n° 354752, concl. F. Aladjidi ; CE, 29 janvier 2014, Fédération des entreprises du recyclage, n° 363299, concl. X. de Lesquen).

Le second moyen soulevé par la fédération requérante a conduit le Conseil d’Etat à annuler l’arrêté de 2014. Il tenait à la méconnaissance de l’alinéa 3 de l’article 17 du décret de 2009, qui dispose que  « les normes rendues d’application obligatoire sont consultables gratuitement sur le site internet de l’Association française de normalisation ». Le Conseil écarte ici toute dérogation : le décret de 1982 ne présente en effet aucune disposition spéciale permettant de s’affranchir des prescriptions générales du décret de 2009. Les autorités administratives ne peuvent donc pas rendre obligatoire une norme sans que son accès soit gratuit. En ce sens, le juge confirme une solution retenue dans sa décision SARL Tekimmo (préc.), mais ajoute, en forme d’incise et à l’invitation du rapporteur public, M. Rémi Decout-Paolini, que c’est « dans le respect de l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité de la règle de droit » que l’alinéa 3 de l’article 17 impose la gratuité de l’accès aux normes rendues obligatoires.

Cette précision, qui fait l’intérêt de la décision commentée, appelle plusieurs remarques, tant sur le fondement et la portée contentieuse de l’obligation de gratuité d’accès ainsi confirmée (1), que sur ses implications au regard du concept de droit souple (2).

1. L’obligation de garantir la consultation gratuite
des normes rendues obligatoires

Un fondement renforcé. La référence faite par le juge administratif à l’objectif à valeur constitutionnelle dégagé par le Conseil constitutionnel en 1999 (décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999, Loi portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l’adoption de la partie législative de certains codes), n’est pas en soi une première. Depuis sa décision d’Assemblée du 24 mars 2006, KPMG (n° 288460 ; RFDA 2006, p. 463, concl. Y. Aguila), le Conseil d’Etat en sanctionne le respect, tant par le législateur que par le pouvoir réglementaire. Cependant, le juge administratif comme le Conseil constitutionnel invoquent plus généralement l’objectif dans sa dimension intelligibilité, qui proscrit comme on le sait les dispositions insuffisamment précises et les formules équivoques. Même l’entreprise de codification, à l’occasion de laquelle le Conseil constitutionnel avait consacré l’objectif en 1999, est du reste souvent rapportée à l’exigence d’intelligibilité de la loi (v. not. Catherine Bergeal, « Apports et limites de la codification à la portée de la loi : les enseignements de la pratique française », in Courrier juridique des finances et de l’industrie, numéro spécial « La légistique ou l’art de rédiger le droit », juin 2008, p. 35 et s.), alors que codifier est aussi, et peut-être avant tout, une question d’accès pratique au droit. L’intérêt de la décision commentée tient en tout état de cause au fait que c’est bien l’accessibilité de la règle de droit qui se trouve sanctionnée, à travers la question de la gratuité de sa consultation – d’ailleurs, la décision du Conseil se réfère à cette seule accessibilité, en tronquant si l’on puit dire l’objectif à valeur constitutionnel.

Le Conseil d’Etat fait ainsi écho à la solution récemment dégagée par le Conseil constitutionnel, à propos de la dématérialisation du Journal officiel. Selon la Haute instance, « dès lors que le Journal officiel de la République française est mis à la disposition du public sous forme électronique de manière permanente et gratuite, le législateur organique pouvait, sans méconnaître ni le principe d’égalité devant la loi, ni l’objectif d’accessibilité de la loi ni aucune autre exigence constitutionnelle, prévoir [une publication] exclusivement par voie électronique » (décision n° 2015-724 DC du 17 décembre 2015, Loi organique portant dématérialisation du Journal officiel de la République française, cons. 5). Laissant dans l’implicite l’exigence de permanence, et ne se référant pas non plus au principe d’égalité devant la loi, le Conseil d’Etat reprend à son compte l’exigence de gratuité en en faisant une conséquence de l’objectif d’accessibilité de la règle de droit.

En l’espèce, la référence à l’objectif à valeur constitutionnelle vient renforcer l’autorité du décret de 2009, car le juge ne fait pas de l’objectif le fondement direct de l’illégalité de l’arrêté attaqué. Le  raisonnement du juge repose en première intention sur l’argument d’une absence de dérogation : les dispositions du décret de 1982, sur la base desquelles a été adopté l’arrêté litigieux, « ne peuvent […] être regardées comme ayant pour objet ou pour effet de déroger aux dispositions du troisième alinéa de cet article qui prévoit, dans le respect de l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité de la règle de droit, que les normes dont l’application est rendue obligatoire doivent être consultables gratuitement ». Le Conseil fait donc primer l’obligation réglementaire, en soulignant seulement – mais nullement sans intérêt – qu’elle respecte l’objectif à valeur constitutionnelle. Il est dès lors permis de penser qu’une disposition réglementaire qui ne respecterait pas ce dernier encourrait la censure, sur un fondement bien plus assuré que l’incertain « principe selon lequel les administrés doivent accéder gratuitement aux textes réglementaires » qui avait pu être évoqué antérieurement dans des circonstances semblables (v. CE, 23 octobre 2013, Association France nature environnement, n° 340550 ; CE, 14 novembre 2014, Société Yprema et a., n° 356205).

Une portée clarifiée. Par ailleurs, la décision du Conseil clarifie la jurisprudence s’agissant des conséquences attachées à l’impossibilité de consulter gratuitement des normes techniques rendues obligatoires. Selon le juge, « en rendant ainsi obligatoire une norme dont l’accessibilité libre et gratuite n’était pas garantie, l’arrêté du 19 juin 2014 a méconnu les dispositions du troisième alinéa de l’article 17 du décret du 16 juin 2009 ». L’acte imposant l’application d’une norme est donc entaché d’illégalité, ce qui vient confirmer la solution retenue par le Conseil d’Etat dans sa décision SARL Tekimmo (préc.). Cette position signifie que s’impose une obligation de gratuité d’accès, et que celle-ci ne saurait être une simple conséquence de la décision de rendre la norme obligatoire : elle en constitue une condition de légalité. Le lien établi entre cette gratuité et l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité du droit commande cette solution qui condamne toute sanction en termes d’inopposabilité de la norme en cause. Dans les deux espèces mentionnées précédemment (France nature environnement et Société Yprema et a.), le Conseil d’Etat avait en effet jugé que le défaut d’accessibilité gratuite à des normes rendues obligatoires était « susceptible de rendre inopposables les normes en cause », mais demeurait « sans incidence sur la légalité de l’arrêté » en imposant l’application. Comme l’indique le rapporteur public, cette solution semblait s’expliquer par « une habilitation législative particulière permettant de déroger à l’ensemble des prescriptions du décret de 2009 » ; désormais, on peut se demander dans quelle mesure les implications nouvelles tirées de l’objectif à valeur constitutionnelle en matière d’accessibilité de la norme pourraient remettre en cause une telle solution…

Sous réserve de ces interrogations, on peut donc considérer que la décision rapportée opère une utile clarification jurisprudentielle. Son intérêt réside sans doute aussi dans le fait qu’elle se trouve à l’articulation du droit dur et du droit souple, et suscite des interrogations quant aux  modalités d’accès à ce dernier.

2. Un accès aux normes de droit souple
particulièrement hétérogène

Une obligation de gratuité limitée au droit dur. Les faits ayant conduit à la décision du Conseil d’Etat mettent en évidence combien droit dur et droit souple s’imbriquent plus qu’ils ne s’opposent. L’idée de « durcissement » de la norme technique rend compte d’une porosité évidente. En l’occurrence, la norme rendue obligatoire – sous la forme du « recueil d’instructions générales » prévu par l’article 4 du décret de 1982 concernant les ouvrages de distribution électrique – n’est autre que la norme NF C 18-510, dont les dispositions spécifiques aux installations électriques continuent d’ailleurs d’être d’application volontaire et de relever du droit souple. Le Conseil l’exprime clairement : les auteurs de l’arrêté de 2014 « ont ainsi imposé le respect par les employeurs de la norme NF C 18-510 […] que les prescriptions du recueil UTE C 18-510-1 d’instructions de sécurité électrique pour les ouvrages […] reprennent purement et simplement ».

Une partie des dispositions de la norme change donc de statut juridique, et c’est précisément du fait de ce nouveau statut qu’est imposée la gratuité de consultation, en application de l’article 17 alinéa 3 du décret de 2009. C’est bien, du reste, en ce sens que le rapporteur public proposait au Conseil d’« indiquer avec la plus grande netteté dans [sa] décision que la transformation du droit souple en droit dur implique nécessairement une exigence de gratuité » [nous soulignons]. La porosité entre droit dur et droit souple trouve donc ses limites. La norme rendue obligatoire a formellement cessé de relever du droit souple et s’appliquent à elle les règles relatives à l’accessibilité du droit dur : les dispositions particulières du décret de 2009, mais aussi les implications de l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité de la règle de droit.

Ce raisonnement binaire présente l’intérêt de poser une solution relativement simple, à laquelle le juge n’aurait pu aboutir en admettant que le décret de 1982 puisse sur ce point déroger à celui de 2009. Le cas échéant, on peut penser que l’objectif à valeur constitutionnelle aurait tout de même pu s’imposer au décret de 1982 et garantir l’unité des modalités d’accès aux normes techniques rendues obligatoires. Simplicité et unité, deux caractéristiques qui contribuent  à la qualité du droit envisagée au prisme de son accessibilité, mais dont, par contraste, on ne peut que déplorer l’absence s’agissant de l’accès au droit souple.

Au-delà du désordre, l’incertitude en matière d’accès au droit souple. Nul objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité n’y impose la gratuité, puisque de tels objectifs constituent des normes constitutionnelles de référence opposables aux seules dispositions du droit dur. C’est ce qu’exprime d’une certaine manière la formule « d’accessibilité et d’intelligibilité de la règle de droit » – le droit souple, lui, n’articule pas des règles… En outre, les fondements de cet objectif (art. 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen) tissent un ensemble d’exigences qui n’ont de sens qu’au regard de ce qui oblige. Comment concevoir la garantie des droits (art. 16), ou les bornes à la liberté (art. 4), à propos de normes dont la portée seulement facultative empêche l’affirmation de prérogatives juridiquement protégées ? De même, affirmer que « Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas » (art. 5) n’a guère de sens lorsque la norme n’a pas pour effet de distinguer le licite de l’illicite. Au contraire, le droit souple semble même pouvoir se soustraire à de telles exigences : si un dispositif d’accès payant au droit dur semble proscrit par l’égalité devant la loi (art. 6), et difficilement admissible au vu de l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité de la règle de droit, il est bien admis en matière de normalisation technique, dont le modèle économique repose précisément sur le caractère onéreux de la consultation des normes homologuées.

Le manque d’unité du droit souple ne favorise pas non plus l’évidence des solutions. En dépit de l’effort de définition fourni par le Conseil d’Etat dans son étude de 2013, le droit souple reste identifié par défaut, en négatif du droit dur. En effet, s’ils cherchent à modifier ou orienter les comportements, s’ils bénéficient d’un certain degré de formalisation et de structuration, les instruments de droit souple ne créent pas par eux-mêmes de droits et d’obligations (Conseil d’Etat, Le droit souple, op. cit., p. 61 et s.). La conséquence en est une évidente hétérogénéité des instruments rattachés au droit souple, et du régime qui leur est associé. Quoi de commun entre des normes techniques – tantôt consultables à titre onéreux, tantôt gratuitement accessibles parce que rendues obligatoires et donc extraites du droit souple – et les instructions et circulaires ministérielles qui, bien que relevant du droit souple, font l’objet d’une publication obligatoire (et gratuite) en vertu du décret n° 2008-1281 du 8 décembre 2008 ? Ce simple exemple montre combien la gratuité d’accès au droit souple n’est ni la règle, ni une simple exception, et qu’elle ne saurait a priori constituer une obligation. Si l’on ajoute à cela les dénominations parfois trompeuses que certains actes reçoivent – recommandations, chartes, codes…, qui ne correspondent pas toujours clairement à leur filiation au droit dur ou au droit souple ni au régime de publicité qui s’en suit, l’incertitude devient la règle.

Et pour finir en clair-obscur, rappelons simplement que le Conseil d’Etat lui-même, dans son étude consacrée au droit souple, attirait l’attention sur les risques inhérents à l’accès payant en matière de normalisation : « il convient de veiller à ce que l’Afnor, dans le cadre de sa mission de service public, pratique des tarifs suffisamment modérés pour que les normes restent accessibles à l’ensemble des acteurs concernés » (« Le droit souple », op. cit., p. 170). Peut-on en déduire, dès lors, que les modalités de la tarification de l’accès aux normes techniques pourraient donner prise à l’invocation d’une rupture d’égalité, voire, d’une méconnaissance de l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité du droit ? Une telle irruption dans le champ du droit souple, fort incertaine d’ailleurs, ne simplifierait rien.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; Art. 16.

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1er avril 2016 : pas de plaisanterie pour le droit de la commande publique (& publication d’actes de colloque)

par Lucie SOURZAT,
ATER en Droit public – Université Toulouse 1 Capitole

Art. 17. La transposition complète en droit français des directives marchés et concessions du 26 février 2014 voit enfin le jour.

En effet après l’adoption l’été dernier de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics suivie de l’ordonnance n°2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux concessions et de son décret d’application n°2016-86 en date du 1er février 2016, le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics vient enfin de paraître au Journal Officiel du 27 mars 2016.

L’objectif de simplification et de rationalisation de la commande publique est cette fois-ci bien en marche.

Le Code des marchés publics et la foule de textes réglementant les différents instruments de la commande publique poussent, quant à eux, leur dernier souffle au profit d’un seul et même Code de la commande publique au sein duquel devraient être unifiées toutes les dispositions allant encadrer la passation et l’exécution non seulement des marchés publics mais encore des contrats de concessions. Avec l’entrée en vigueur de ces nouvelles règles au 1er avril 2016 pour les contrats pour lesquels une consultation est engagée ou un avis d’appel public à la concurrence ou un avis de concession est envoyé à la publication à compter de cette date, la commande publique fait ainsi l’objet d’une rénovation complète, voire même d’une véritable « révolution ». Désormais la satisfaction des besoins de la personne publique ne pourra s’effectuer qu’à l’aide deux instruments alternatifs : le marché public ou le contrat de concession.

Alors que la notion de « convention de délégation de service public », dont la concession de service public constituait l’archétype par excellence, occupait une place centrale en droit interne, cette dernière voit ses contours désormais modifiés au profit de la notion plus large de « contrat de concession » pouvant avoir pour objet aussi bien l’exécution de services, que de travaux ou encore qui pourra « consister à déléguer la gestion d’un service public ».

Par ailleurs alors que le critère du « risque », essentiel à la définition de la concession de service public ou de travaux, ne transparaissait ni dans la loi MURCEF du 11 décembre 2001, ni dans l’ordonnance du 15 juillet 2009 relative aux concessions de travaux, l’article 5 de l’ordonnance du 29 janvier 2016 remédie à cela en prévoyant clairement que « les contrats de concession sont les contrats conclus par écrit, par lesquels une ou plusieurs autorités concédantes (…) confient l’exécution de travaux ou la gestion d’un service à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l’exploitation de l’ouvrage ou du service, en contrepartie soit du droit d’exploiter l’ouvrage ou le service qui fait l’objet du contrat, soit de ce droit assorti d’un prix ». Plus précisément, le concessionnaire devra subir une « une réelle exposition aux aléas du marché ». Autrement dit, lors de la conclusion de la convention, le concessionnaire ne devra pas être en mesure d’avoir la certitude de pouvoir amortir « les investissements ou les coûts qu’il a supportés, liés à l’exploitation de l’ouvrage ou du service ». Reste à savoir comment la réalité de cette exposition aux aléas liés à l’offre, à la demande ou aux deux pourra être sérieusement évaluée. En effet « la subjectivisation » (S. BRACONNIER,  « Nouvelles directives et partenariats public-privé : plaidoyer pour une consolidation », RDI, 2015, pp. 8 s.) du critère portant sur l’aléa lié à l’offre – cette dernière dépendant de la seule volonté des parties à la convention – apparaît comme un facteur d’insécurité juridique source de risques de requalifications des contrats de concession concernés en marchés publics.

En ce qui concerne les marchés publics, l’une des principales nouveautés concerne l’ancien contrat de partenariat devenu, avec la réforme, « marché de partenariat ».

Après avoir fêté ses dix ans en 2014, ce contrat singulier, ayant la particularité de confier une mission globale au partenaire de la personne publique, disparaît en laissant la place à un nouveau type de marché public : le marché de partenariat.

À la suite d’un rapport critique des sénateurs Jean-Pierre SUEUR et Hugues PORTELLI fait au nom de la commission des lois et rendu public le 16 juillet 2014 (J.-P. SUEUR et H. PORTELLI, « Les contrats de partenariat : des bombes à retardement ? », Rapport d’information n° 733, Commission des Lois du Sénat, 16 juill. 2014) un certain nombre de spécialistes praticiens et universitaires, juristes, économistes, financiers et architectes, se sont intéressés à la question de l’avenir de cet outil controversé de la commande publique à l’occasion d’un colloque intitulé « Le contrat de partenariat, dix ans après : quel avenir ? » ayant eu lieu au sein de l’Université Toulouse I Capitole les 25 et 26 septembre 2014. Un an après la publication en février 2015 d’un rapport public annuel de la Cour des comptes dénonçant les risques financiers générés par ce contrat sur les collectivités territoriales (C. comptes, Rapp. public annuel, Les partenariats public-privé des collectivités territoriales : des risques à maîtriser, févr. 2015), les remarques – à charge mais aussi à décharge – des intervenants au colloque précité ont donné lieu à un ouvrage collectif paru en février 2016 aux éditions Bruylant et renommé « Du contrat de partenariat au marché de partenariat » (Colloque IDETCOM, Le contrat de partenariat : dix ans après, quel avenir ? , 25 et 26 sept. 2014, publié aux éditions Bruylant Du contrat de partenariat au marché de partenariat, févr. 2016). Les différentes contributions à cet ouvrage, prenant en considération les modifications issues de la réforme, s’articulent autour de deux grands axes portant non seulement sur la question du financement externalisé des projets menés par le biais de ce type de contrat, mais encore sur le caractère dérogatoire du contrat de partenariat devenu depuis marché de partenariat.

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Reste désormais à analyser attentivement la manière dont cette réforme de la commande publique sera accueillie par les praticiens et si l’objectif de simplification, dont la réalité est déjà remise en cause par une partie de la doctrine, sera effectivement satisfait.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; Art. 17.

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Etat d’urgence & juge administratif

par Mme Mélina ELSHOUD,
Doctorante contractuelle en droit public à l’Université du Maine, Themis-Um

Etat d’urgence & juge administratif

Art. 48. En principe, le rôle joué par le juge administratif sous l’état d’urgence est essentiel.

En principe, le juge administratif est LE juge de l’état d’urgence  (et cela explique sans doute la médiatisation qui a entouré son action depuis novembre dernier) ;

– c’est lui qu’il faut saisir pour contester la déclaration d’entrée ou de sortie, dans l’état d’urgence par le Président de la République ;

– c’est lui qu’il faut saisir pour contester toute mesure de police administrative prise sur le fondement de l’état d’urgence : assignations à résidence, perquisitions administratives, réglementation de la circulation des personnes et des véhicules, fermeture provisoire de lieux publics, etc.

Ainsi, alors qu’en temps normal, le droit commun prévoit qu’un certain nombre des mesures citées ci-dessus, doivent systématiquement être autorisées par le juge judiciaire a priori (donc avant leur mise en œuvre), en situation d’état d’urgence, ces mêmes mesures n’ont pas à faire l’objet de ce premier contrôle, et ne pourront donc être contrôlées pour la 1ère fois qu’a posteriori (après leur mise en œuvre) par le juge administratif.

Le rôle que doit jouer le juge administratif, sous l’état d’urgence, est donc essentiel ; il est un organe de contrôle d’un grand nombre d’actions menées par l’Administration pendant cette période exceptionnelle. Il doit en contrôler la légalité et la conventionnalité (c’est à dire vérifier que l’Etat agit dans le respect de la Loi et des engagements internationaux) ; il doit en favoriser le contrôle de constitutionnalité en renvoyant, si un justiciable le demande, une QPC au Conseil constitutionnel.

Ce rôle, en pratique, a-t-il jusqu’ici vraiment été rempli ?

Si l’on reprend les positions exprimées par les universitaires, les journalistes, les citoyens, les experts européens depuis novembre dernier et jusqu’à aujourd’hui, elles sont très « contrastées ». On a pu lire d’un côté qu’il n’y avait aucune raison de douter de l’efficacité du contrôle du juge administratif (voir par exemple, l’avis de la Commission de Venise sur le projet de loi constitutionnelle français du 10 février 2016 (§74) et d’un autre que « l’état d’urgence montre la vraie nature du juge administratif » (c’est l’intitulé de la tribune d’un universitaire) c’est à dire un juge essentiellement protecteur de l’Administration, qui n’empêche jamais son action et dont les justiciables ne peuvent rien attendre. Alors qu’en est-il ?

Si on analyse l’ensemble des décisions (un peu plus d’une centaine) rendues par les juges administratifs depuis novembre (des tribunaux administratifs au Conseil d’Etat), nous pouvons faire plusieurs constats :

Le 1er constat c’est que le juge administratif a rencontré de vraies difficultés à exercer sa mission. On peut citer plusieurs sources de difficultés.

– 1. La rareté de la situation d’état d’urgence. En effet, le juge administratif français n’est, comme personne, un habitué de cette situation. L’état d’urgence ayant été déclaré cinq fois depuis 1955, rares sont les juridictions qui ont eu à connaître de décisions prises dans ce cadre. Le juge administratif n’est donc pas habitué de ce contrôle juridictionnel.

– 2. La situation d’état d’urgence est une situation délicate et le contrôle de certaines de ses mesures l’est tout autant. D’abord, la décision de déclarer l’état d’urgence, relève, sans doute plus qu’aucune autre, de l’opportunité politique. On demande au juge de se prononcer sur des éléments très difficiles à appréhender : confirmer ou infirmer l’existence d’un « péril imminent » ou d’une « calamité publique » n’a rien d’aisé (les débats parlementaires le démontrent) ; alors, bien que le juge administratif se reconnaisse compétent pour contrôler la légalité de la déclaration de l’état d’urgence (cet acte administratif ne fait donc pas partie de la catégorie des actes de gouvernement non susceptibles de recours), son contrôle sur elle reste indéniablement restreint.

Quant à lui, le contrôle des mesures de police administrative est également compliqué, notamment parce que l’état d’urgence de 2015 et 2016 a une particularité par rapport aux expériences passées : il est en relation avec le terrorisme. Or, la traque terroriste est intimement liée au travail d’investigation des services de renseignement et au secret qui l’entoure. Concrètement, la difficulté posée au juge administratif est la suivante : l’une des rares pièces, faisant preuve de la « menace » d’un individu, et soumise au débat contradictoire, est ce que l’on appelle « la note blanche ». La note blanche c’est une feuille, souvent type A4 et format Word, non datée et non signée, qui fait état de tous les éléments de fait qui « prouvent », selon l’Administration, qu’un individu représente une menace pour la sécurité et l’ordre publics, et justifie ainsi son assignation à résidence. Malgré les critiques et l’interdiction de leur usage par une circulaire de 2004 (dont la valeur juridique est faible), le juge administratif admet qu’elles constituent un moyen de preuve, parce que c’est souvent le seul qu’il a. En l’occurrence, le Conseil d’Etat a confirmé dans ses décisions du 11 décembre 2015, « qu’aucune disposition législative ni aucun principe ne s’oppose à ce que les faits relatés par les ‘notes blanches’ produites par le ministre, qui ont été versées au débat contradictoire et ne sont pas sérieusement contestées par le requérant, soient susceptibles d’être pris en considération par le juge administratif ».

3. Il y a un cadre juridique nouveau. La loi du 20 novembre 2015 a modifié le régime des assignations à résidence tel qu’on le connaissait : pour appréhender des menaces devenues plus diffuses (objectif préventif), l’assignation à résidence peut concerner, non plus toute personne « dont l’activité s’avère dangereuse pour la sécurité et l’ordre publics » mais toute personne pour laquelle « il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ». Le juge administratif a donc dû s’adapter à un nouveau cadre juridique volontairement peu précis. Cela a posé une question d’interprétation : les dispositions modifiées de la loi permettent elles de prononcer une assignation à résidence pour des motifs d’ordre public étrangers à ceux ayant justifié l’état d’urgence ? En clair, pouvait-on utiliser l’état d’urgence déclaré pour les attaques terroristes pour assigner à résidence des militants écologistes et éviter qu’ils ne troublent la COP 21 ?

– 4. La demande de dérogation à la CEDH. Enfin, l’information par le Président de la République au Secrétaire général du Conseil de l’Europe de la susceptibilité par la France de déroger à la Convention européenne des droits de l’Homme a pu susciter le désarroi du juge administratif, qui, depuis 1989, contrôle son respect par les actes administratifs français. Devait-il, le temps de l’état d’urgence, mettre cette source de contrôle de côté ?

Tous ces éléments cumulés ont, selon nous, constitué un contexte complexe qui a favorisé le malaise d’un juge administratif, conscient du rôle qu’il doit jouer dans l’équilibre entre liberté et sécurité, mais plein d’incertitudes sur la façon de remplir ce rôle. Ce malaise on peut en donner trois illustrations :

  1. Ce « malaise » du juge administratif, on le sent dès les premières décisions rendues sur des affaires d’assignation à résidence à propos de militants écologistes susceptibles de troubler la tenue de la COP 21. Comme nous l’avons dit, du fait de la modification de la loi, la question était de savoir si les assignations à résidence devaient avoir un lien direct avec le terrorisme, ou si elles pouvaient être prononcées à l’encontre de personnes dont le comportement constitue une menace à l’ordre public sans pourtant constituer une menace terroriste. La question se posait pour la 1ère fois devant les tribunaux de Rennes, Melun et Cergy-Pontoise, saisis en référé-liberté. Incertains de la réponse à y apporter (le Conseil d’Etat ne s’étant pas prononcé sur l’interprétation à en donner), 2 tribunaux sur 3, pour 6 des 7 affaires, ont préféré rejeter les recours en référé en faisant valoir qu’ils ne remplissaient pas la condition d’urgence ; cette solution leur permettait de « botter en touche », trier l’affaire sans répondre au fond. Sans doute, les juges administratifs ont-t-ils commis ici une vraie faute car en refusant de reconnaître l’urgence de la situation des intéressés, ils retiraient toute son effectivité au référé-liberté. Le 11 décembre, saisi en appel, le Conseil d’Etat affirma son « profond désaccord » avec ce qu’il a considéré comme une « grosse erreur de droit » des tribunaux de 1ère instance (voir les conclusions du rapporteur public Xavier Domino). Ainsi, il semble qu’il y ait réellement eu un temps de paralysie des premiers juges administratifs autour de la question : « Qu’est ce qu’on doit faire ? Qu’est ce qu’on attend de nous ? Et quelle responsabilité aurons-nous à porter si les mesures qu’on annule conduisent à un nouvel attentat ? ».
  1. Ce « malaise », on le sent dans les tribunes anonymes publiées sur Internet par des juges administratifs, de façon individuelle ou collective, peu avant la prorogation de l’état d’urgence de février. On a pu y lire toutes les insatisfactions des juges dont le pouvoir paraissait soit limité (par des mesures telle la dérogation faite à la CEDH) soit pas suffisamment renforcé, notamment par « les sept ordonnances rendues le 11 décembre 2015 par le Conseil d’Etat ». Même si d’habitude, écrivent-ils, « les positions du Conseil d’Etat font jurisprudence », les juges administratifs « de base » ont considéré que cette fois la cour suprême n’avait pas garanti l’effectivité de leur contrôle (notamment en n’encadrant pas davantage l’utilisation des « notes blanches »). « Nous nous retrouvons, juges administratifs, dotés d’une responsabilité accrue sans avoir véritablement les moyens de l’assumer. » (voir la tribune publiée sur Médiapart le 29 décembre 2015) et malheureusement, « la suspicion souvent infondée de complaisance du juge administratif envers l’Etat ne pourra que se voir renforcée» (voir la tribune publiée sur le Blog Droit administratif le 5 janvier 2016).
  1. Ce « malaise », il nous semble enfin être confirmé par une pratique tout à fait exceptionnelle dans les décisions qui ont été rendues sous l’état d’urgence : il s’agit de l’anonymisation des membres de la juridiction. Ainsi, les noms des juges en charge de l’affaire (rapporteur et rapporteur public) n’apparaissent plus (ils sont remplacés par un espace blanc ou des points) et ce, quand bien même, les noms du requérant et de son avocat restent visibles. Cette pratique donne l’impression que le juge administratif n’ose pas porter la responsabilité des conséquences du rejet ou de l’annulation (Cf. en ce sens le témoignage de M. le Magistrat Arnaud Kiecken).

A l’analyse du reste des décisions, le 2nd constat que l’on peut faire, c’est que ces difficultés ont au fil des semaines diminué, le juge administratif ayant réaffirmé sa place et davantage « borné » l’action de l’Administration.

  1. Une reconsidération de l’office du juge. Quoi qu’on puisse en dire par ailleurs, les décisions du 11 décembre 2015 rendues par le Conseil d’Etat, ont eu le mérite d’inviter les juges administratifs en général à reconsidérer leur office. Elles créent d’abord une présomption d’urgence pour les contentieux concernant les assignations à résidence (évitant le rejet des recours sur ce point à l’avenir). En outre, elles ont invité le juge à reconsidérer la portée de son contrôle en REP : jusqu’alors il exerçait seulement un « contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation » (depuis 1985), désormais il doit exercer un contrôle plus approfondi, c’est le cas du contrôle « normal » des mesures (attention, le contrôle est évidemment plus restreint en procédure de référé : cf. la contribution de M. le pr. Stéphane Mouton). Au considérant n°16, est ainsi évoqué «  l’entier contrôle du juge de l’excès de pouvoir », ce qui corrobore les conclusions du rapporteur public : « Il nous semble important que votre décision envoie le signal clair, tant à l’égard de l’administration, des citoyens que des juges, que le contrôle exercé par le juge administratif sur les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence n’aura rien d’un contrôle au rabais, et que l’état de droit ne cède pas face à l’état d’urgence ». Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 22 décembre 2015 confirma « que le juge administratif est chargé de s’assurer que cette mesure est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu’elle poursuit » (considérant 12). Un magistrat administratif l’admet : « On est en quelque sorte passé d’un extrême à l’autre » (Cf. en ce sens le témoignage de M. la magistrat Arnaud Kiecken).
  1. Un contrôle renforcé en pratique. Parmi les jugements rendus les semaines suivantes, on relève les premières suspensions par les TA et le Conseil d’Etat. Bien que la cour suprême n’ait pas davantage encadré le recours aux notes blanches dès décembre, en pratique les juges administratifs en ont affiné le contrôle : suppléments d’instruction, enquêtes à la barre (R. 623-1 CJA), débats lors de l’audience publique sont largement utilisés pour obtenir des preuves supplémentaires à même de valider ou d’invalider le contenu de ces « notes ». Le 15 janvier 2016, le TA de Cergy considère que les « contraintes liées à l’activité des services de renseignement » ne sauraient suffire à exonérer l’Etat d’étayer une note blanche. Le 22 janvier 2016, le Conseil d’Etat suspend pour la 1ère fois en appel une assignation faute « d’élément suffisamment circonstancié ».

S’il semble clair que « les services de renseignement […] ne se lèvent pas le matin pour écrire des fausses notes blanches  » (ce sont les propos tenus par Mme Léglise, sous-directrice du conseil juridique et du contentieux de la place Beauvau), le contrôle juridictionnel a pu mettre en évidence que l’Etat avait commis des erreurs ou confusions : ainsi, une communication téléphonique en haut parleur n’aurait pas due être confondue avec une prise de photographies du domicile d’une personnalité protégée, et le projet professionnel d’être instructeur en boxe thaï n’aurait pas du prouvé que l’intéressé se soit livré à une activité d’entrainement de jeunes convertis dans la pratique des arts martiaux.

Selon les statistiques fournies par le Conseil d’Etat, 106 mesures de police administrative avaient été examinées au 25 février 2016 : dans 16% des cas, il y a eu suspension partielle ou totale (17 mesures), dans 65% des cas, il y a eu rejet (69 mesures) et dans 19% des cas (20) il y a eu abrogation de la mesure par le ministère de l’Intérieur avant que le juge ne statue.

Ce dernier chiffre nous conduit au 3e constat : Que le juge administratif ait amélioré son contrôle ces quatre derniers mois n’est pas suffisant tant qu’un certain nombre de mesures restent hors de son champ d’action.

Parmi les mesures qui restent hors du contrôle juridictionnel :

– il y a ces assignations à résidence que l’Etat prononce, et applique, puis abroge (parfois seulement quelques heures) avant leur examen par le juge administratif, forçant ce dernier à prononcer un non-lieu à statuer : il n’y a plus d’acte donc il n’y a pas de contrôle possible ;

– il y a, de la même manière, les assignations à résidence qui, aux alentours du 26 février, ont disparu du fait de la prolongation de l’état d’urgence. C’est une nouveauté de la loi de 2015 : toute mesure doit être renouvelée explicitement, et ne perdure pas pour le seul motif que l’état d’urgence est prolongé. Cette mesure a l’avantage d’obliger l’Etat à réétudier les situations individuelles, mais elle a l’inconvénient de forcer le juge à prononcer de nouveau des non lieu à statuer quand le recours a été introduit moins de 48 heures avant la prolongation ; plusieurs décisions du Conseil d’Etat rendues aux alentours du 26 février le prouvent ;

– enfin, et c’est là, le plus grand problème : les perquisitions administratives, qui forment la très large majorité des mesures de police administrative prises sous l’état d’urgence ne peuvent de facto  faire l’objet d’un contrôle juridictionnel a posteriori, car compte tenu de leur brièveté, elles ne peuvent pas décemment être contrôlées par le juge administratif.  Il reste à l’intéressé la possibilité d’exercer un recours indemnitaire, long et très incertain. Environ 1% des perquisitions qui ont eu lieu depuis novembre ont fait pour le moment l’objet de ce type de recours. (Sur les perquisitions administratives, cf. la contribution de Maître Benjamin Francos).

Ces éléments nous conduisent à penser que si le juge administratif est conscient des attentes qui s’expriment à son encontre, il ne faut décemment pas tout attendre de lui.

A propos des mesures que le juge administratif ne peut actuellement pas contrôler, il faudrait rétablir un contrôle a priori. Il y a une nécessité de reposer la question de la compétence du juge judiciaire : il a son rôle à jouer dans cette situation exceptionnelle, et il faut déterminer avec précisions dans quelle mesure (cf. la contribution de Mme la députée Marietta Karamanli).

A propos des mesures qu’il contrôle déjà, il faut se rappeler que le juge administratif n’est garant des libertés qu’à la condition que le Législateur les ai protégées avant lui. Autrement dit, son contrôle s’exerce au prisme de la loi et de son esprit. Et lorsque l’esprit de la loi est favorable à la sécurité plutôt qu’aux libertés, jusqu’où peut s’exercer son contrôle ?  Qu’on ait été en accord ou en désaccord avec la position du Conseil d’Etat quand il a confirmé les assignations à résidence des militants écologistes, il faut souligner qu’il a été conforme à l’esprit de la loi de 2015 qui cherchait à embrasser une menace devenue plus diffuse. C’est d’ailleurs ce qui fait dire à certains que, rien ne permet de penser que, s’il avait été compétent, le juge judiciaire aurait abouti à d’autres interprétations et d’autres conclusions.

Nous ne pensons donc pas qu’il n’y ait que les optimistes pour croire que le juge administratif peut garantir les libertés fondamentales. Il le fait depuis de nombreuses années, en France, et partout en Europe, en Méditerranée. En Grèce, il y a bientôt 50 ans, à l’époque de ce qu’on appelle la « Dictature des colonels », le gouvernement a nié, sous couvert d’ « urgence », le Droit, tous ceux qu’il protège et tous ceux qui le protègent. En 1968, il a suspendu la disposition constitutionnelle garantissant l’inamovibilité des juges pour révoquer en trois jours 30 magistrats et c’est le Conseil d’Etat grec, qui a, le 24 juin 1969, courageusement, déclaré cette révocation illégale, et c’est son Président qui a courageusement refusé d’en démissionner malgré les pressions. Cet exemple confirme encore ce que nous venons d’écrire : le juge administratif est un allié de l’Etat de droit, mais il ne peut l’assurer seul.

En France, aujourd’hui, ne reprochons donc au juge administratif que ce qui tient de sa responsabilité. Et souhaitons, comme lui, que face à la menace permanente, on ait recours à des instruments pérennes. L’état d’urgence prolongé maintient pour le moment dans une situation très inconfortable le juge administratif et l’équilibre qu’il défend.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 48.

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Editorial : L’état d’urgence mis à la portée de tout le monde !

Art. 21. Après les attentats terroristes qui ont ensanglanté Paris en faisant cent trente morts et plus de quatre cents blessés, la France vit – pour la sixième fois sous la Vème République – sous le régime – déclaré par le gouvernement – de l’état d’urgence et ce, depuis le 14 novembre 2015. Cet état exceptionnel a même été prolongé jusqu’au 26 mai 2016. Après les attentats qui ont frappé Bruxelles le 22 mars 2016 avec trente-deux morts et plus de trois cents blessés et dont les auteurs sont manifestement liés avec les attentats de Paris, il n’est pas impossible que l’état d’urgence soit même à nouveau prolongé d’autant que la France organise, en juin 2016, l’Euro de football.

Pour protéger la Nation contre la menace terroriste, l’« état de guerre », invoqué par le président Hollande, a permis de mettre en œuvre un dispositif exceptionnel renforçant – notamment – les pouvoirs des autorités administratives. L’état d’urgence donne en effet à l’administration des pouvoirs exceptionnels lui permettant de limiter certains droits et libertés afin de faciliter les actions nécessaires à la résolution de la crise qui frappe le pays. L’attribution de tels pouvoirs à l’administration peut alors rassurer les citoyens mais elle peut aussi inquiéter. Ce double sentiment – contradictoire – s’est exprimé et s’exprime encore aujourd’hui. Faut-il alors se féliciter de la prolongation de l’état d’urgence au nom d’un principe de sécurité ou s’en inquiéter au nom des libertés ?

Pour tenter de permettre à chacun(e) de se faire sa propre opinion, le Journal du Droit Administratif vous propose en ligne – et en accès libre – son premier « dossier mis à la portée de tout le monde » renouant ainsi – au passage – avec une tradition d’explication(s) et d’implication(s) citoyennes (et pour certains de nos contributeurs parfois même militantes) comme l’avait initiée les deux fondateurs de ce premier Journal et média consacré à l’étude et à le mise en avant du droit administratif : les toulousains praticiens et théoriciens du droit public : Adolphe Chauveau & Anselme Batbie.

Périodiquement et au moins à deux reprises par année civile, le Journal du Droit Administratif s’est effectivement donné pour mission et pour ambition de présenter – sur son site Internet dans un premier temps – deux dossiers d’actualité(s) marquant le droit administratif (notamment et pour l’instant principalement français). Le choix d’un premier dossier inaugural sur l’état d’urgence s’est alors imposé aux membres de nos comité de soutien et comité scientifique et de rédaction comme une évidence.

Les textes ici rassemblés par les pr. Andriantsimbazovina & Touzeil-Divina ainsi que par Mme Julia Schmitz & Maître Francos ont tous été sélectionnés après un appel à publication(s). Ils témoignent – par l’ensemble ainsi créé – de la diversité des approches possibles du sujet étudié.

Ainsi, le lecteur trouvera-t-il des explications sur l’état d’urgence vu sous différents angles : juridique, historique, comparé. Il y lira aussi des développements intéressant le fonctionnement même de l’état d’urgence au cœur de l’administration ainsi que des témoignages sur les répercussions de l’état d’urgence sur la vie professionnelle de différents acteurs du droit administratif, de la ou même des magistrature(s), de l’Université ou encore de la société civile.

Notre « dossier spécial » comporte ainsi des points de vue parfois très différents mais c’est ce qui en fait sa richesse. Les auteurs ont tous cherché à être le plus pédagogique possible en quittant parfois les canons académiques habituels pour servir l’objectif du Journal du Droit Administratif : tenter de se mettre « à la portée de tout le monde ».

En outre, fidèle à ses comités et à ses objectifs initiaux de fondation (en 1853) et de refondation (en 2015), notre Journal n’est pas constitué que d’universitaires spécialisés en droit public. Bien au contraire, il rassemble, outre des enseignants-chercheurs en droit public (droit administratif, droit constitutionnel, droits comparés, sociologie du Droit & sciences politiques, etc.), des administrateurs (sous-préfet, directeurs d’administrations publiques à l’instar d’une Université), des magistrats (judiciaire et administratif), des avocats ainsi – ce qui est très rare sur ces questions sensibles – que le point de vue d’une députée, représentante de la Nation.

Concrètement, ce sont ici et ainsi plus de trente contributeurs qui ont répondu à notre appel. Qu’ils en soient tous et toutes très chaleureusement remercié(e)s.

La tâche n’était pourtant pas évidente car la déclaration de l’état d’urgence, et sa prorogation, a provoqué un emballement à la fois normatif (adoption d’une nouvelle loi de lutte contre le terrorisme le 22 mars 2016 ; soumission au Parlement d’un nouveau projet de loi renforçant la lutte contre le terrorisme le 03 février 2016 et d’un projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation visant à inscrire dans la constitution l’état d’urgence et la déchéance de nationalité le 23 décembre 2015, retiré par le gouvernement le 30 mars 2016), mais aussi médiatique (pétitions, réunions, manifestations) et juridictionnel (le juge administratif a été saisi à de multiples reprises par des requêtes visant à contester les mesures prises sous l’état d’urgence).

Cette situation exceptionnelle a également provoqué un débat politique et citoyen de grande ampleur auquel le Journal du Droit Administratif se devait de prendre part en raison, d’une part, de l’impact de l’état d’urgence sur le droit administratif, et d’autre part, des paradoxes qu’il soulève, invitant ainsi à la réflexion collective.

L’état d’urgence est en effet un « régime civil de crise » conférant aux autorités administratives des pouvoirs renforcés. Créé dans le contexte particulier de la guerre d’Algérie par la loi  n° 55-385 du 3 avril 1955, ce régime permet au gouvernement de mettre en œuvre des pouvoirs exceptionnels « en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public ». Il met ainsi en évidence les principaux fondements du droit administratif que sont l’ordre public (et notamment la sécurité publique) ainsi que la puissance publique au détriment – peut-être – de la notion – pourtant cardinale – de service public.

Le régime de l’état d’urgence soulève par ailleurs de nombreux questionnements relatifs aux enjeux et au fonctionnement de notre Etat de droit. L’état d’urgence désigne en effet une situation exceptionnelle par rapport à l’exercice normal des pouvoirs publics (l’exception caractérisant à la fois la situation visée et le pouvoir à mettre en œuvre). A priori, l’état d’urgence est un état d’exception destiné à prendre fin rapidement. Toutefois, ceci soulève une contradiction car si le terme d’état, stare implique la stabilité et la durée, celui d’urgence, urgens, implique l’instabilité et le provisoire. Cela nous invite conséquemment à réfléchir sur la conciliation possible entre l’état d’urgence et l’Etat de droit qui suppose un fonctionnement normal, régulier et durable des pouvoirs.

Cette contradiction est encore aggravée par l’idée d’un état d’urgence qui deviendrait « permanent ». L’état d’urgence déclaré le 14 novembre 2015 a été prorogé par deux lois successives (Loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions; Loi n° 2016-162 du 19 février 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence) jusqu’au 26 mai 2016 et sur l’ensemble du territoire national. C’est la première fois qu’il est déclaré pour une durée si longue et sur un périmètre aussi étendu. Or si l’état d’urgence est en principe une mesure exceptionnelle, un dispositif de crise transitoire, ne peut-on considérer qu’il devient progressivement dans les démocraties modernes, un « paradigme de gouvernement » qui tend à se pérenniser, l’exception devenant la règle? (Georgio Agamben, Homo sacer. L’Etat d’exception, Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 2003, p. 19).

Autre paradoxe, l’état d’urgence, comme tout régime d’exception, est fondé sur l’idée de nécessité. Il suppose la protection de la démocratie et des libertés par une nécessaire atteinte à celles-ci, opposant alors liberté et sécurité.

Face à ces nombreuses questions, ce premier dossier spécial du Journal du Droit Administratif vise à expliquer ce qu’est véritablement l’état d’urgence, en présentant son contexte historique d’élaboration et de mise en œuvre (Rémi Barrué-Belou, Jacques Viguier) et sa spécificité (Florence Crouzatier, Olivier Pluen, Mathieu Touzeil-Divina), en le confrontant également au droit international (Vasiliki Saranti) pour comprendre le point de vue de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (Joël Andriantsimbazovina) et des organisations internationales (Valère Ndior) ainsi que quelques exemples étrangers comparés (Giacomo Roma).

Il y s’agit également de comprendre le régime de l’état d’urgence et ses conséquences sur les pouvoirs décentralisés (Nicolas Kada), sur le pouvoir préfectoral (Benjamin Francos), sur les autorités de police (Loïc Peyen), sur la liberté de manifester (Marie-Pierre Cauchard), sur le fonctionnement des établissements scolaires (Geneviève Koubi), ainsi que de mesurer la finalité psychique d’un tel régime d’exception (Géraldine Aïdan).

Ce dossier est également l’occasion de donner le point de vue des acteurs politiques et des représentants élus de la Nation (Marietta Karamanli, députée de la Sarthe), de la justice (Arnaud Kiecken, Magistrat au tribunal administratif de Cergy-Pontoise ; Marie Leclair, Déléguée Régionale Adjointe, Syndicat de la Magistrature ; Claire Dujardin, Observatoire de l’état d’urgence ; François Fournié, Substitut du procureur de la République, TGI de Charleville-Mézières), de l’administration (Jean-Charles Jobart, Sous-préfet d’Ambert) et de l’Université (Bruno Sire, Président de l’Université Toulouse I Capitole ; Hugues Kenfack, Doyen de la Faculté de droit ; Serge Slama, Université Paris Ouest-Nanterre) qui vivent au quotidien et / ou ont vécu le régime de l’état d’urgence.

Les modalités de contrôle sont ensuite examinés, qu’ils soient de nature parlementaire (Julia Schmitz), juridictionnelle (Stéphane Mouton ; Mélina Elshoud), ou bien exercés par les Autorités Administratives Indépendantes (Xavier Bioy) ou encore par la société civile (Julia Schmitz).

Enfin, ce dossier invite à s’interroger sur les enjeux de l’état d’urgence dans notre Etat de droit, en questionnant la pertinence de sa constitutionnalisation ainsi que son efficacité (Wanda Mastor, Xavier Magnon, Marie-Laure Basilien-Gainche).

Notre premier dossier n’apporte évidemment pas toutes les réponses à l’ensemble des différentes questions que pose l’état d’urgence. Les opinions qui y sont émises peuvent aussi ne pas être partagées de tous nos lecteurs. Toutefois, si par ces contributions, le Journal du Droit Administratif arrive à apporter des éclairages, s’il suscite la discussion et la réflexion, il aura atteint son but.

Pour le Journal du droit administratif

Pr. Joel Andriantsimbazovina
Me Benjamin Francos
Dr. Julia Schmitz
& Pr. Mathieu Touzeil-Divina

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 21.

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ParJDA

Un siècle avant « l’état » légal « d’urgence » : l’exception permanente ?

par M. le pr. Mathieu TOUZEIL-DIVINA,
Professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou
Directeur du Journal du Droit Administratif

Un siècle avant « l’état » légal « d’urgence » :
l’exception permanente ?
Rappel(s) à partir des articles du
« premier » Journal du droit administratif

Art. 22. Ce court texte n’a pas vocation à présenter de manière exhaustive l’état des libertés publiques confrontées à la puissance publique sous le Second Empire. Une thèse n’y suffirait peut-être même pas. Ce « billet » introductif au premier dossier sur l’état d’urgence du Journal du Droit Administratif n’a effectivement que deux humbles ambitions : d’abord, rappeler au citoyen contemporain que s’il est bon, normal (au sens de rationnel et logique) et peut-être même légitime de s’offusquer d’une crainte que nos libertés soient trop atteintes sinon brimées par la mise en œuvre d’un état d’exception comme l’état d’urgence, cet état exceptionnel qui vient interroger les limites de l’Etat de Droit a été – pendant longtemps – l’état jugé normal du droit administratif français privilégiant ainsi la puissance publique et non les droits et libertés de ses citoyens.

Par suite, cette note essaiera de mettre en avant quelques exemples concrets de cet « état » que l’on qualifierait aujourd’hui aisément « d’exceptionnel permanent » du Second Empire à travers quelques exemples tirés des premières pages du Journal du droit administratif de 1853 et des premières années suivantes.

Le Second Empire : exception permanente
à l’Etat de Droit aujourd’hui promu.
Quand la police était la règle…

L’intitulé précédent est en soi un anachronisme ici bien assumé. Il n’a pour objectif que de tenter de comparer ce qui ne l’est presque pas tellement les périodes et les droits publics correspondants sont différents. En effet, avec un œil contemporain nourri des notions de défense et de garantie des droits et libertés, abreuvé d’ « Etat de Droit » et de protections juridictionnelles, la mise en œuvre d’un état d’urgence tel qu’issu de la Loi (examinée dans le présent dossier) du 03 avril 1955 effraie. Elle laisse à penser et à craindre qu’au cœur du couple « Libertés & Sécurité » bien connu des spécialistes du droit administratif, c’est la sécurité et la puissance publique à sa tête qui vont triompher au détriment des droits des citoyens administrés. Autrement dit, avant la belle et célèbre formule du commissaire du gouvernement Corneille (conclusions sur CE, Sect., 10 août 1917, Baldy, Rec., p. 638) selon lequel la liberté doit toujours être la règle et la restriction de police matérialiser l’exception, notre droit administratif – particulièrement sous les deux Empires (et au moins aux débuts du Second) a davantage enraciné le Droit et les droits de l’administration publique dans une vision au profit de laquelle l’état légal précédant « l’Etat de Droit » était un « droit de police » et ce, dans la grande tradition directement inspirée et héritée de l’Ancien Régime.

En 1850, ainsi, on s’étonnait presque plus encore d’une mise en avant de libertés garanties que des pouvoirs exorbitants de police entre les mains de l’administration publique et des juges qui la servaient plus qu’ils ne l’encadraient.

Malgré la déclaration des droits de 1789, la police était la règle et la liberté l’exception.

Les premiers auteurs que l’on peut qualifier d’administrativistes (c’est-à-dire de spécialistes du droit administratif) du 19ème siècle témoignent d’ailleurs parfaitement de cet état d’esprit, plus d’un siècle avant la Loi de 1955. Lorsqu’ils ne sont pas explicitement (à l’instar de Vivien de Goubert (1799-1854) ou encore de Trolley (1808-1869) que nous avons pu qualifier de « minarchistes pro gouvernants » (Cf. Touzeil-Divina Mathieu, La doctrine publiciste – 1800-1880 ; Paris, La Mémoire du Droit ; 2009) des promoteurs directs des pouvoirs de police de la puissance publique, ils sont a minima comme Chauveau (1802-1868) à Toulouse et Macarel (1790-1851) à Paris, des analystes du droit administratif peu offusqués par l’exorbitance – qui paraîtrait aujourd’hui exceptionnelle mais qui ne l’était pas à l’époque – qui se matérialisait.

Un telle époque – heureusement révolue – nous semblerait comparable à un état d’urgence permanent et doit donc – croyons-nous – être conservée à l’esprit précisément car nous ne sommes plus sous le Second Empire et que ce qui paraissait alors justifiable, ne l’est peut-être plus ou en tout cas doit être appréhendé différemment à la lumière de l’Etat de Droit.

Rappelons alors – cependant – que quelques auteurs (dès la Monarchie de Juillet) ont été attentifs aux droits et libertés – en construction et en garantie croissante – des citoyens français. Ce sont les auteurs que nous avons identifiés sous l’appellation de « libéraux citoyens » (Cf. notre étude précitée : La doctrine publiciste – 1800-1880 ; Paris, La Mémoire du Droit ; 2009) et qui revendiquaient les libertés auxquelles on portait selon eux trop atteinte plutôt que les pouvoirs de police.

Parmi ces hommes, on citera les noms d’Aucoc (1828-1910), de Batbie (1828-1887) de Laferrière (1798-1861) (Firmin, le père d’Edouard) ou encore de celui qui a initié, selon nous, un tel mouvement : le doyen Emile-Victor-Masséna Foucart (1799-1860).

Les manifestations de l’exception permanente…
… au fil des premières pages
du Journal du droit administratif

Il est alors intéressant de constater que les premières livraisons du Journal du droit administratif (dès 1853) vont précisément consacrer deux des acceptions possibles du droit administratif du Second Empire : une vision pro police (sic) et plus classique incarnée par Chauveau et l’autre, plus libérale à la recherche des droits et libertés des citoyens, que portait Batbie.

Il nous a par suite semblé intéressant de publier sous ces lignes quelques extraits de quelques-uns des articles publiés en 1853, 1854 et 1855 (soit un siècle avant la Loi du 03 avril 1955) au Journal du droit administratif et tenant à la police et aux libertés. On se rendra peut-être ainsi compte par quelques éléments concrets de ce que l’état d’urgence actuellement en vigueur au 03 avril 2016 n’aurait pas étonné un administrativiste du 19ème siècle qui se réveillerait à notre époque. Ce qui nous semblerait une dangereuse exception permanente (avec ce risque à raison décrié d’une banalisation contemporaine de l’urgence) aurait semblé être une application « normale » de l’Etat de droit alors en formation(s).

Art. 37 du Journal du droit administratif (1853, p. 274 et s.)

Dans l’une des premières livraisons du Journal du droit administratif, le lecteur est témoin d’une petite révolution administrative en termes de police(s) : la « suppression du ministère de la police générale ». Comme le rappelle M. Houte (Cf. « Surveiller tout sans rien administrer ; l’éphémère ministère de la Police générale (janvier 1852-juin 1853) » in Histoire, économie & société ; 2015 / n°02 ; p. 126 et s.), la réintroduction – sous le Second Empire – d’un tel ministère spécial (qui n’a été effectif qu’en 1852-1853) « illustre la tentation policière du Second Empire. En confiant cette institution au préfet de police du coup d’état, Maupas, Louis-Napoléon Bonaparte veut renforcer le contrôle des populations et la surveillance des opinions. Mais les archives privées de Maupas montrent la fragilité d’un ministère au périmètre mal défini et au personnel inadapté, qui se heurte, de plus, à de fortes résistances et à des rivalités administratives ». Le Journal du droit administratif relève alors la suppression de ce ministère en prenant soin de toucher le moins possible au fond mais en effleurant seulement les aspects formels de réorganisations institutionnelles. On y sent alors très sensiblement la « patte » d’un Chauveau qui introduit le changement opéré par ces mots de glorification des pouvoirs de police et du ministère consacré de l’Intérieur :

« La police est liée d’une manière tellement inséparable à la politique d’un pays, que la division des attributions a dû être plus d’une fois la source de tiraillements. Le ministre de l’Intérieur est plus spécialement chargé que tout autre de ses collègues de représenter la pensée politique du gouvernement. Sa marche pouvait plus d’une fois être contrariée par la direction donnée à la police dans un ministère indépendant du sien. C’était là une lutte analogue à celle qui s’était produite dans les départements entre les inspecteurs généraux et les préfets ».

Art. 85 du Journal du droit administratif (1854, p. 179 et s.)

Il nous a également semblé intéressant de reproduire ici in extenso un extrait d’un article du Journal du droit administratif relatif aux dangers des almanachs (sic) et de toutes les publications non contrôlées qui pourraient insidieusement venir troubler l’ordre public.

image1

Il est heureux de constater, en 2016, que la situation n’est heureusement plus la même.

Art. 126 du Journal du droit administratif (1855, p. 30 et s.)

Cet article fait état des conséquences de l’utilisation – programmée massive – de la photographie au profit des droits de police. En l’occurrence, le Journal du droit administratif met en avant les avantages que procurerait l’emploi de daguerréotypes pour signaler et ficher les « libérés en surveillance » qui seraient ainsi bien plus aisément décrits et signalés et donc portés à la connaissance de tous. L’objectif proposé était alors (conformément aux vœux et aux premiers calculs d’un inspecteur général honoraire des prisons, « ami du Journal du droit administratif » (M. Louis-Mathurin Moreau-Christophe (1799-1881)) de photographier les « plus dangereux » des « condamnés (…) annuellement libérés » (sic) afin de faire circuler – pour le bien de leur surveillance et la sécurité publique – leurs portraits.

« Si l’on considère l’importance d’un signalement précis, non seulement en ce qui concerne les condamnés libérés, mais encore tous les criminels que la société est intéressée à surveiller de près, on sera forcé de convenir que la dépense serait bien modique ».

Autant dire que la vidéosurveillance et les caméras si elles avaient existé à l’époque n’auraient pas empêché les promoteurs du droit administratif du 19ème siècle de s’y déclarer a priori très favorables !

 Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 22.

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