Archive mensuelle 2 mai 2017

ParJDA

Questionnaire de Mme Crouzatier-Durand (32/50)

Florence Crouzatier-Durand
Maître de conférences à l’Université Toulouse I Capitole

Art. 171.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Comme l’a souligné Prosper Weil, si nous sommes aujourd’hui accoutumés à voir l’Etat soumis au contrôle juridictionnel, nous en oublions parfois que l’existence même d’un droit administratif relève du miracle, l’Etat lui-même acceptant de se considérer comme lié par le droit. Le droit administratif découle précisément de ce miracle et peut être défini comme l’ensemble des droits et obligations de l’Administration. Autrement dit, le droit administratif est le droit de l’action publique, laquelle se caractérise toujours par l’intérêt général. Une action publique visant à satisfaire les besoins essentiels de la population par l’existence de services publics et s’attachant au maintien de l’ordre public dans le respect des libertés fondamentales. Le droit administratif est, pour ces raisons, au cœur des questions de société relatives tant aux rapports entre le pouvoir et le citoyen, qu’à la conception des libertés publiques, leur mise en œuvre et leurs limites, ou encore aux questions de responsabilité.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Si le droit administratif d’hier était un droit presque exclusivement jurisprudentiel, celui de demain serait davantage un droit émanant du législateur et des instances juridictionnelles internationales. Pour autant, le rôle fondamental du juge administratif français demeure et sa mission de contrôle du principe de légalité est constante. L’évolution du droit administratif relève de l’effet du temps sur le droit et de l’adaptation de celui-ci aux évolutions de la société. Car le droit administratif, dans son essence même, demeure au cœur de la vie de tout citoyen, de tout administré ; hier, aujourd’hui et demain. Ainsi en témoigne la vie d’Agnès, qui lorsqu’elle était petite fille fut renversée par le wagonnet d’une manufacture des tabacs et dont l’enfance est par la suite celle de tous les enfants de la commune de Néris-les-Bains où ses parents ont déménagé. Lorsqu’ils périssent dans un bombardement pendant la 1ère guerre mondiale, elle est recueillie par ses oncles : d’abord, le Sieur Heyriès, longtemps dessinateur de 2ème classe du génie avant d’être révoqué, et ensuite elle a pu étudier auprès de son oncle René Benjamin, conférencier contesté. Auprès de tous deux, elle apprit la chance de vivre dans un état de droit, l’incitant à poursuivre ses études dans une faculté de droit, où elle comprit le rôle du juge administratif. Elle aime lire, familière de la librairie Maspero, elle aime aller au cinéma où elle vit Le feu dans la peau, elle déteste cependant les spectacles de lancer de nain organisé dans la commune de Morsang-sur-Orge. Elle a payé ses études en travaillant en tant que contractuelle dans un kiosque à journaux, avec une amie de son oncle la Dame Trompier-Gravier, et pour la société du Journal l’Aurore. Elle passe finalement un concours pour travailler dans des organismes d’assurance telles que la Caisse primaire Aide et protection ou encore la Caisse de Meurthe-et-Moselle. Blessée par la chute d’un bloc de granit porphyroïde des Vosges, elle prend sa retraite anticipée au cours de laquelle elle participe activement à des actions caritatives, dans l’accueil des réfugiés avec Monsieur Bertin, bénévole pour le GISTI, mais également dans des associations d’aide aux détenus. C’est là qu’elle rencontre son âme sœur Pascal Marie, incarcéré à la prison de Fleury-Mérogis, très ami avec Philippe Hardouin, ancien timonier sur un navire de guerre. Dès sa sortie de prison, elle déménage dans une petite maison à proximité de l’allée des Alyscamps en Arles où elle vit des jours heureux jusqu’à sa mort. Ses dernières volontés furent respectées par les autorités municipales funéraires puisqu’elle est enterrée aux côtés de son amie de toujours, Madame Duvignères.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

Le droit administratif français se caractérise par l’équilibre institué entre les notions de puissance publique et de service public. Si l’école du service public a fait du service public la notion centrale du droit administratif et du droit public, cette école de pensée a fait l’objet de nombreuses critiques. L’école de la puissance publique a proposé une vision différente, elle a notamment relativisé la place du service public. Pour Hauriou, la puissance de l’Etat constitue la pierre angulaire du droit public. Il convient néanmoins de reconnaître que la puissance publique vise la satisfaction de l’intérêt général, qui demeure la raison d’être de l’ensemble des services publics.

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

L’intérêt général est à la fois un moteur et un critère du droit administratif. Comme l’a souligné le Conseil d’Etat lui-même dans le rapport public consacré à cette question en 1999, « L’intérêt général se situe, depuis plus de deux cents ans, au cœur de la pensée politique et juridique française, en tant que finalité ultime de l’action publique ». L’intérêt général occupe une place centrale dans l’ensemble du droit public tel qu’il est mis en œuvre par les pouvoirs législatif et réglementaire, mais aussi par le Conseil d’Etat et par le Conseil constitutionnel ; il est incontestablement la pierre angulaire du droit administratif.

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

Ce droit est mis en œuvre quotidiennement, sur l’ensemble du territoire, pour l’ensemble des citoyens et par eux ; cette seule prise de conscience pourrait et devrait permettre au droit administratif d’être à la portée de tout le monde. Au-delà, la gratuité des procédures, la facilité d’accès au juge administratif, l’amélioration de la lisibilité et de la visibilité des textes, sont d’autres aspects d’un droit administratif susceptible d’être à la portée de tous.

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Non, bien que l’influence d’autres droits soit une réalité.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Non, le législateur a largement investi le champ du droit administratif comme l’illustre le Code des relations entre le public et l’administration entré en vigueur le 1er janvier 2016.

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

  • Prosper Weil pour sa démonstration si juste selon laquelle le droit administratif relève du miracle.
  • René Chapus pour son précis si précieux pour l’étudiante que je fus.
  • Jean-Pierre Théron, mon maître, et à ce titre le plus important de ces « pères ».

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

  • L’arrêt « Blanco » pour avoir admis la responsabilité de l’Etat selon des règles propres et devant un juge spécial.
  • L’arrêt « Commune de Morsang-sur-Orge » pour avoir complété et précisé la notion d’ordre public.
  • L’arrêt « Ternon » pour avoir repensé les conditions du retrait d’un acte administratif unilatéral créateur de droit.

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

La Constitution et son préambule entretiennent avec le droit administratif des liens particuliers, étroits et très importants. En 1954, le Doyen Vedel avait présenté les bases constitutionnelles du droit administratif, cinquante ans plus tard la reconnaissance de la question prioritaire de constitutionnalité a confirmé ce mouvement.

La loi, source fondamentale et incontestée de la légalité administrative.

La circulaire parce qu’elle établit le lien entre le politique et l’administratif ; elle est le document qui informe sur les orientations politiques, les activités de service public, les actions administratives ou encore le comportement des agents publics.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Le chat agile et souple, doué d’un grand sens de l’équilibre.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Le Petit Prince, intemporel.

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Maman, l’araignée de Louise Bourgeois, expression de la protection maternelle et, de manière quelque peu ambivalente, de la force et de la puissance supérieure et dominatrice.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 171.

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Questionnaire de Me Lantero (31/50)

Caroline Lantero
Avocate
Maître de conférences à l’Université d’Auvergne

Art. 170.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

L’auto-régulation d’une administration qui ne peut – par essence –  pas mal faire, et accepte de se soumettre à son (propre) droit.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Non, même s’il est difficile de ne pas voir le droit de l’UE et de la CEDH comme des catalyseurs d’évolution.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

  • Le fait même qu’il existe en tant que droit (privilégié) de l’administration ;
  •  Sa juridiction

#LexistencePrécèdeLessence

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

L’intérêt général : notion indéfinissable mais belle vitrine à défaut d’en être toujours le moteur, pour ne pas dire le critère

#PointRivero

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

Lorsque les spécialistes sortent de leur zone de confort (amphi, prétoire, revues), diffusent et échangent sur des supports originaux #Twitter #Blogs

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Globalisé par la multiplication/stratification des sources ? Un peu. Par l’ « anglo-saxonnisation » des procédures ? Pas encore.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Oui, mais la loi est trop bavarde et le juge sur-réagit parfois pour dire quand même quelque chose #PointPortalis

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

Il est tellement impossible de trancher que le contentieux administratif l’emportera ici sur le droit administratif : Edouard Laferrière.

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

  • Une seule (pour l’emphase) : Benjamin 1933, malmenée depuis (Soupe aux cochons, Morsang, Dieudonné) et retrouvée en 2016 (Burkini).

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

  • La loi des 16 et 24 août 1790
  • La Constitution
  • La CEDH

#ChronologieNestPasHiérarchie

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

(…)

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

(…)

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

(…)

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 170.

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Questionnaire du Pr. Iannello (30/50)

Carlo Iannello
Professeur à l’Université de la Campania (Naples)
Directeur adjoint du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public

Art. 169.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Le droit administratif est le droit qui pose les normes fondamentales de l’organisation administrative et de l’exercice de la fonction publique, qui règle les tâches administratives et établit ses contenus, dans le but de garantir les intérêts publics. Si ce droit se présente comme un droit de la puissance publique, il faut lui reconnaitre une fonction « révolutionnaire », parce que dès que ce droit a réglé la puissance qui se prétendait souveraine, il l’a transformée en une autre chose. La puissance publique est en effet ainsi devenue contrôlable par les administrés à travers le paramètre même de l’intérêt public indiqué par la loi.

Le droit administratif est donc le droit qui a transformé un pouvoir autoritaire en un pouvoir rationnel et libéral-démocratique, qui trouve ses limites dans les droits et les libertés des citoyens. Le droit administratif est, donc, en même temps, le droit du pouvoir et le droit de la protection des droits et des libertés des citoyens. Un droit qui a dans son code génétique une fonction aussi complexe qu’essentielle pour une société libérale et démocratique : la conciliation entre l’autorité et les libertés des citoyens.

2 – Qu’est-ce qui fait la singularité du droit administratif de votre pays ?

Le droit administratif italien a été beaucoup influencé par le droit administratif français. Il a donc suivi cette tradition, du dualisme juridictionnel au rôle reconnu au juge administratif dans l’élaboration des principes généraux, à la centralisation de l’administration étatique.

Cependant, il s’est souvent éloigné de cette tradition, et l’action publique a perdu sa cohérence centralisatrice déjà pendant la période libérale, en devenant de plus en plus pluraliste, dans le cadre d’une société fragmentée qui n’a presque jamais permis à l’Etat (à part l’exception des première 15 années après l’unité) de ressembler à la construction doctrinale des maitres du droit public du siècle XIX, moins que jamais pendant la période fasciste. Le fascisme, loin de rétablir la cohérence et la rationalité du pouvoir étatique, a fini pour l’affaiblir ultérieurement, en substituant l’Etat avec le parti fasciste (une association de droit privé) et la chambre représentative avec la « Camera dei fasci e delle corporazioni », donc avec un chambre corporatiste, où s’exprimaient les intérêts particuliers. Rien de plus loin de l’idée de représentation de la Nation.

Le pluralisme structurel de la société italienne c’est manifesté également dans le cadre de l’Assemblé Constituante, qui a réalisé un Etat sociale et fortement pluraliste, perméables aux intérêts sociaux et, ce qui plus est, a donné à la république une organisation régionale.

Cela a contribué à caractériser ce droit comme un droit non étatique et multi niveau, même avant l’irruption du droit européen et du droit de la globalisation. Ce qui a continué également à accentuer le processus de fragmentation de l’action publique, qui a ainsi perdu toute trace de son initiale cohérence centraliste. L’élargissement des pouvoirs locaux avec la réforme du titre V de la Constitution a ultérieurement accentué ce trait. La constitutionnalisation du principe de subsidiarité, enfin, dont la portée juridique est très controversée, a associé le citoyen à l’administration dans l’accomplissement des tâches d’intérêt général. L’art. 118, dernier alinéa de la Constitution, introduit en 2001, a attribué aux citoyens, individuellement ou en tant que membres d’une association, le droit d’agir pour « l’exercice de toute activité d’intérêt général, sur la base du principe de subsidiarité ».

3 – Peut-on le caractériser par un critère ou une notion juridique ?

Par la façon dont est né le juge administratif en Italie, le droit administratif s’est formé autour de la notion « d’intérêt légitime ». L’Etat unitaire avait adopté en 1865 un modèle moniste, en reconnaissant seulement au juge judiciaire la fonction de protéger les « droits civils et politiques » des citoyens. Cependant le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation à partir de 1877 (quand elle devint juge de la juridiction) rendaient impossible les actions contentieuses contre les actes qui étaient considérés comme des manifestations de la puissance publique (par exemple, contre un acte d’expropriation le particulier n’avait pas de protection judicaire). La protection offerte aux particuliers était donc limitée aux seuls actes de gestion de l’administration.

Le juge administratif n’a alors été matérialisé que plus de trente ans après, en 1889, pour combler ce vide intolérable de protection des « intérêts » des administrés qui n’étaient pas protégés par le juge judicaire. C’est pour cette raison que dans le droit administratif italien l’ « intérêt légitime » a occupé une place centrale.

Cette notion est devenue le critère de répartition de la compétence entre juges administratif et judicaire, qui protège les « droits ». Cette notion « d’intérêt légitime », qui a été développée par la jurisprudence (administrative et de la Cour de Cassation, en tant que juge des juridictions). Enfin, cette notion a reçu une consécration constitutionnelle en 1948, par les articles 24, 103 et 113 de la Constitution. Il s’agit d’une situation juridique qui a la même force que le droit subjectif.

Pour autant, donner une définition, précise et synthétique, de cet « intérêt légitime » est très difficile. Il s’agit d’une situation juridique dont jouissent les particuliers à l’égard de l’administration publique qui agit en force des prérogatives spéciales et, en concret, il est représenté par tout ce qui s’interpose entre le pouvoir (et l’acte) de l’administration et les intérêts substantiels de l’administré. C’est justement cet exercice concret du pouvoir administratif, qui interfère avec les intérêts des particuliers, qui transforme leurs intérêts substantiels dans des « intérêts légitimes ». Cette situation juridique permet à l’administré de conditionner l’action administrative et, qui plus est, de recourir au juge pour obtenir l’annulation d’un acte admiratif qui lui concerne directement.

L’importance de cette notion, en tant que critère de répartition de la juridiction, a diminué au cours des dernières années, à cause d’une récente tendance d’élargir la juridiction administrative, dans certains domaines, à la fois aux droits et aux intérêts, mais elle n’a pas perdu son importance et caractérise encore aujourd’hui notre droit administratif.

4 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) les « pères » les plus importants de ce droit administratif ?

  • Si l’on parle du droit administratif italien on doit nommer tout d’abord Vittorio Emanuele Orlando (1860-1952) et son école de droit public, qui a eu la mérite de fonder la science du droit administratif et de contribuer à l’édification de l’Etat italien et de son administration vouée à l’intérêt général (ou à la réalisation de l’intérêt public, pour le dire à l’italienne), avec un engagement non seulement sur le plan scientifique (auteur, entre autre, du Primo trattato completo di diritto amministrativo), mais aussi politique (il a été, entre outre, chef du gouvernement).
  • Cependant, cette œuvre de construction de la doctrine publiciste n’aurait pas été possible sans celle de Silvio Spaventa (1822-1893). Il n’est pas proprement un auteur, car il a surtout été un politicien libéral engagé dans la bataille pour l’unification italienne. Mais la trace de ses batailles, politiques et juridiques au même temps, est encore présente dans l’ordre juridique italien. Bien que Silvio Spaventa soit normalement cité dans tous les manuels de droit administratif, son œuvre est anormalement sous-évalué en Italie. Silvio Spaventa, pourtant, a posé les bases de deux piliers du droit administratif italien. Il s’est battu pour la création de la IVe section du conseil d’Etat en formation juridictionnelle (dont il a été le premier Président, lors de son institution en 1889). Une loi de 1865 avait effectivement supprimé le contentieux administratif et gardé la seule juridiction du juge judicaire. Pour garantir la justice dans l’administration et la protection des citoyens contre les abus des administrations, Spaventa a conduit une importante bataille politique (les manuels de droit administratif rappellent son discours concernant La giustizia nell’amministrazione prononcé en 1880 à l’assemblée constitutionnelle de Bergamo, publié dans la Gazzetta provinciale di Bergamo, dans lequel il a affirmé une idée moderne et très actuelle de justice « dans » l’administration : « la libertà oggi deve cercarsi non tanto nella costituzione e nelle leggi politiche, quanto nell’amministrazione e nelle leggi amministrative»). La réalisation de la IVe section du Conseil d’Etat en fonction juridictionnelle, et donc de la juridiction administrative italienne elle-même, est bien ainsi l’œuvre de Spaventa. En outre, on doit rappeler sa bataille pour la nationalisation des chemins de fer, souvent oubliée, conduite dans le siège du gouvernement d’Italie en tant que ministre des travaux publics entre le 1874 et le 1876. Bataille qui fut la cause de la chute du gouvernement libéral qui avait réalisé l’unification italienne. Dans les rapports, écrits par lui-même et présentés par le Gouvernement au Parlement en mars 1876 (« Lo Stato e le ferrovie » & « Sul riscatto ed esercizio delle ferrovie italiane »), à l’occasion de la discussion concernant la nationalisation des chemins de fer, Spaventa a affirmé l’idée de service public en Italie et la responsabilité de l’Etat dans la fourniture de ces services. En particulier, il a soutenu la nécessité de la réserve étatique des activités d’entreprise, comme celle des chemins de fers, indispensables pour la satisfaction des intérêts sociaux des citoyens ; il a énoncé, dans ses écrits et dans ses discours, les lois du service public, comme l’égalité, la continuité, l’adaptation aux besoins de l’usager. Bien qu’il ait perdu cette bataille sur le plan politique, ces idées se sont affirmées sur le plan juridique au cours des décennies suivants et elles démurent vivantes sur le plan culturel, encore plus actuelles aujourd’hui, dans une période caractérisée par la généralisation de l’économie de marché qui est en train de provoquer une profonde révision de l’idée étatique en tant qu’institution sociale consacrée à l’actuation des intérêt sociaux.
  • Bien que l’ouvre de Santi Romano (1875 – 1947), avec sa théorie institutionnelle et de la pluralité des ordres juridiques ait eu un gros succès sur le plan non seulement italien mais européen, et qu’elle soit aujourd’hui, dans un monde globalisé, encore plus actuelle qu’avant, le juriste qui est réussi à émanciper la culture juridique italienne du positivisme juridique et de son corollaire, c’est-à-dire le formalisme, a été sans aucun doute son élève Massimo Severo Giannini (1915-2000). Il a relié le droit aux facteurs historiques et sociales, soutenant que dans l’interprétation des normes il ne faut pas utiliser seulement les donnés de droit positif, mais il faut également donner espace à le réalité, à la vie, aux aspect sociaux. Cela a permis de reconsidérer la science même du droit administratif, non plus entendue comme une doctrine formaliste qui s’occupe exclusivement de l’acte administrative et de sa théorie (réduite, comme l’a écrit Alessandro Pajno, actuel Président du Conseil d’Etat, à une « technologie de l’acte administratif»), mais comme une science qui sert à comprendre et à garantir le développement de la société. Il a donc contribué à expliquer la transformation de l’Etat, devenu pluraliste et social, non plus en termes de puissance et de personne juridique. Il a ainsi connecté les études juridiques à la sociologie et à la politologie (comme observé par Sabino Cassese, le plus grand juriste italien contemporain, dont Giannini a été l’élève). Ses ouvres (notamment celles concernant l’interprétation de l’acte administratif et le pouvoir discrétionnaire) ont poussé l’administration et les juges à occuper une place de plus en plus importante dans la vie de l’ordre juridique et de se faire interprètes des intérêts sociaux émergeants au sein de la société, intérêts auxquels le législateur ne réussît pas à répondre. Il comprit que la notion d’intérêt public, cristallisé dans la loi, n’était pas capable de représenter une convenable limitation de l’action de l’administration, car les intérêts publics sont plusieurs et ils sont normalement en conflit entre eux. L’essence du pouvoir discrétionnaire de l’administration publique était donc, d’après Giannini, celle de concilier ces intérêts entre eux et avec les intérêts des particuliers. En autre, Massimo Severo Gannini a été un théorique du pluralisme du droit administratif. En tant que président de la commission qui a eu la tâche de préparer les décrets pour l’actuation du transfert des compétences aux régions, il a guidé ce processus d’actuation du régionalisme italien, qui a posé les bases d’un droit administratif non plus exclusivement étatique.

5 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) les normes les plus importantes de ce droit administratif ?

La loi sur la procédure administrative de 1990 et la loi de réforme du procès administratif de 2010 assument une importance centrale parmi les sources de droit administratif.

La première loi a été approuvée à la suite d’un important débat doctrinale concernant la nécessité de régler la procédure administrative, qui n’avait jamais eu une réglementation organique, et qui se fondait surtout sur les principes élaborés par le juge administratif.

La loi n. 241 de 1990 est née des travaux d’une commission gouvernementale dont le président a été un des pères du droit administratif, Mario Nigro, qui avait compris que l’élargissement des tâches administratives et du pouvoir discrétionnaire de l’administration publique, dans un cadre de complexité sociale croissante, imposaient la réglementation de la participation des particuliers à la procédure administrative. Cela non seulement dans le but d’approfondir l’enquête / l’examen / l’instruction de la procédure mais aussi pour assurer à l’action de l’administration un consensus sociale davantage nécessaire pour la réalisation d’intervention complexes (comme les ouvrages publics, par exemple, qui ne peuvent plus s’imposer aux administrés à travers le seul exercice de l’autorité). Cette loi à donc offert des outils à l’administration publique pour s’ouvrir à la dimension sociale et pour rendre perméable l’exercice du pouvoir par la concrète dynamiques des intérêts, dans la mesure où l’exercice du pouvoir passe à travers une procédure où peuvent participer non seulement les administrés « directement » intéressés à l’acte administratif, mais aussi les associations qui protègent des intérêts collectifs.

La loi concernant le procès administratif complète la modernisation du droit administratif déclenchée par la loi de 1990. Comme la nouvelle procédure à donnée à l’administration des outils pour mieux évaluer les intérêts substantiels des citoyens, ainsi la réforme du procès administratif (d.lgs. 104 de 2010) a permis au juge de satisfaire plus efficacement les intérêts substantiels des particuliers compromis par l’action administrative. Tout d’abord la codification, en elle-même, a fourni aux citoyens un cadre organique de règles, en éliminant les incertitudes. En outre, l’ouverture du procès à la prouve par témoins rend ce procès plus perméable aux faits et donc aux besoins sociaux. Enfin, la possibilité de prendre des mesures d’urgence atypiques, permet au juge de mieux protéger les intérêts substantiels de l’administré.

Donc un outil qui va dans la direction de la garantie de l’effectivité de la protection juridictionnelle et qui contribue encore plus à faire du juge admiratif un interprète efficace de la demande de justice des citoyens.

6 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) les décisions juridictionnelles les plus importantes de ce droit administratif ?

L’édifice du droit administratif a été réalisé par la jurisprudence administrative en ce qui concerne à la fois le droit administratif substantiel et celui procédural. L’effort de rationalisation du juge administratif s’est avéré fondamental dans la construction de ce droit ainsi que dans le maintien de sa cohérence. On n’exagère pas si l’on affirme que le droit administratif coïncide avec la jurisprudence du juge administratif, surtout avec celle du Conseil d’Etat, dont l’interprétation est, en principe, fidèlement respecté par les juges de première instance. Les plus importantes constructions juridiques ont été élaborés par cette jurisprudence, qui a aussi construit les principes de ce droit, auxquels est reconnu une force juridique supérieure à la loi.

Cependant, la question du repart de compétence entre juge judiciaire et juge administratif a eu une importance préliminaire dans la construction du droit administratif, car elle a contribué à définir le volume de l’édifice (donc l’espace de ce droit). Cette jurisprudence à intéressé non seulement le Conseil d’Etat, mais aussi la Cour de Cassation, dans sa fonction de juge de la juridiction et, en 2004, la Cour Constitutionnelle.

La question de la compétence du juge administratif a été controversée depuis toujours, car la loi de 1889 disposait que le recours au juge admiratif pouvait être présenté par qui avait un «intérêt».

Il était donc difficile à comprendre quand il y avait la compétence du juge administratif et, surtout, si l’existence d’un droit excluait cette juridiction. Il y a eu une longue période de conflit entre Conseil d’Etat et Cassation, la quelle avait tendance à exclure la juridiction du juge administratif dans le cas où elle considérait que l’acte administratif, expression de la puissance publique, affectait tout de même un droit subjectif (provocant ainsi une substantielle irresponsabilité des actes du pouvoir exécutif).

Le conseil d’Etat, dans l’arrêt de 1930, quand le président était Santi Romano, à éclairci que sa compétence devait être affirmée sur la base de deux paramètres : en rapport à ce qui demande le particulier (petitum), c’est-à-dire dans le cas où il demande l’annulation d’un acte administratif, mais aussi, en même temps, quand la nature de la situation juridique que le particulier fait valoir était un intérêt légitime.

La Cour de Cassation en 1949 a complété ce cadre dans la mesure où elle a éclairci que les actes de l’administration publique, expression de la puissance publique, ont comme effet celui de transformer les droits des particuliers, affectés par l’action de l’administration, en « intérêts légitimes ». Par conséquence, le juge judicaire pourrait juger d’un acte administratif seulement dans la mesure où l’administration publique a agi sans avoir aucun pouvoir, donc au même titre d’un particulier.

Dans un but de simplification, au cours des derniers décennies le législateur a fait un large usage de la possibilité, prévue par la constituions, d’attribuer au juge administrative une compétence étendue, en même temps, aux droits et aux intérêts, dans certaines matières où ces situations juridiques sont inextricablement liées.

En 1998 et en 2000 ce type de compétence du juge administratif avait eu une grande extension. Pour simplifier les questions liées à la juridiction et pour mieux garantir l’effectivité de la protection juridictionnelle des blocs de matières, comme les services publics, ont été attribués au juge administratif.

En 2004 (arrêt n. 204), la Cour constitutionnelle a annulé partiellement une telle extension de compétence du juge administratif. Selon la Cour, la Constitution républicaine a prévu la règle de l’attribution de la compétence concernant les droits au juge judicaire et celle concernant les intérêts au juge administratif. Si la possibilité de déroger à ce critère de repart est une exception, cet exception doit être limitée aux cas où les droits et les intérêts sont étroitement liées, et non pas à des blocs de matières génériquement liés aux intérêts public. Seulement dans le premier cas cette extension est une garantie de l’effectivité de protection juridictionnelle. L’extension de la compétence du juge administratif aux compétences concernant tous « les services publics », ne trouve donc pas de justification sur le plan constitutionnelle, car cette attribution (services publics) est tellement large qui perd sa concession avec les situations juridiques où droits et intérêts sont étroitement liés. La Cour a donc reformulé la disposition, en précisant quand, dans le domaine des services publics, il y a la compétence du juge administratif.

7 – Existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain » ?

Certainement il y a un droit administratif traditionnel, lié à l’expérience de l’Etat libéral, centralisateur et hiérarchisé. Cependant, il existe (mais il a toujours existé) un droit administratif en transformation. Une transformation qui a permis au droit administratif de se confronter aux nouvelles exigences sociales de sociétés davantage complexes pour y donner des réponses efficaces.

Avec la pluralisation des centres de décision, au-dessous et au-dessus de l’Etat, le droit administratif s’est éloigné de son centre unique de référence (l’Etat), mais cette fragmentation de la personne étatique n’a pas provoqué la fin du droit administratif. Au contraire, ce droit a eu la fonction d’étendre ses principes fondamentaux, nés pour guider l’action publique étatique, à l’ensemble des organisations publiques ultra étatiques ou infra étatiques, en contribuent ainsi à garantir la cohérence de leur action et, en définitive, leur même légitimation.

Les principes du droit administratif et, avec eux, le droit administratif lui-même, ont donc dépassés la crise du leur créateur, l’Etat, et se sont affirmés en tant que principes généraux de l’action publique infra et ultra étatique.

Cependant, il y a des indices dans le droit positif qui font entrevoir une tendance de régression vers un droit administratif des origines, caractérisé par des traits autoritaires. Un droit conçu pour le pouvoir, non plus pour la limitation du pouvoir.

Plusieurs sont les indices de cette tendance : l’idée que le droit commun reconduirait les particuliers et administration sur une position d’égalité (l’art. 1 de la loi concernant la procédure administrative de 1990, reformulé en 2005 : « La pubblica amministrazione, nell’adozione di atti di natura non autoritativa, agisce secondo le norme di diritto privato salvo che la legge disponga diversamente ») ; l’idée que les règles administratives, lourdes, ralentissent l’efficacité de l’action publique (au nom de la simplification, on a drastiquement réduit les contrôles de légitimité et on a approuvé un corps de règles dérogatoires par rapport au droit administratif traditionnel, pour garantir la vitesse de la procédure) ; l’idée que l’intervention publique directe doit être empêchée pour assurer l’application généralisé de la loi du marché. Le même débat concernant l’abolition du juge administratif lui-même, considéré comme obstacle à l’efficacité de l’action administrative, se relie à cette tendance.

Tout cela contribue à donner une marge de liberté plus ample au pouvoir politique et à l’entreprise, en mettant en péril non tant le droit administratif en soi, mais plutôt sa fonction de conciliation entre autorité et liberté.

La résistance de cette branche du droit aux forces visant à l’homologuer, en compromettant ainsi sa spécialité, est quand même forte et trouve sa source dans la force normative des principes de ce droit et son gardien dans le juge administratif. Comme le juge administratif a édifié le droit administratif à travers sa jurisprudence, aujourd’hui c’est sur ce juge qui pèse la tâche de reconduire dans un système rationnel et cohérent les récentes réformes administratives, qui sont guidées par une fausse idée de simplification (au moins en Italie); une tendance qui va dans une direction qui éloigne de droit de son code génétique (qui a toujours été celui de limiter concrètement le pouvoir) ; code génétique dont le juge administratif est, désormais, le vrai gardien.

8 – Dans l’affirmative, comment les distinguer ?

Si l’on entend le droit administratif de demain celui exprimé par la perspective pessimiste ci-dessous citée, la distinction est simple. Le droit administratif qu’est en train de se développer est un droit administratif qui marche vers l’affaiblissement de sa spécialité et de sa vocation à la réalisation de l’intérêt général.

9 – Le droit administratif reste-t-il un droit national ou son avenir réside-t-il à l’inverse dans sa « globalisation » / son « européanisation » ?

Le droit administratif est un produit de l’Etat moderne. L’européisation du droit administratif, si a entamé les compétences de l’Etat comme décideur politique, n’a cependant pas affaibli celles de l’administration, qui reste l’exécuteur principal de ce droit supranational. Le droit administratif européen devient ainsi un droit mis en œuvre par l’Etat, les Régions et les communes dans le cadre d’un procès d’hybridation.

Les compétences des administrations étatiques et infra étatiques se sont élargies à la suite du droit européen. Le droit administratif italien s’est donc intégré avec celui européen, en gardant un rôle central en tant que cadre de principes de l’action publique, principes qui trouvent leur légitimation dans la constitution républicaine. Si le droit européen éloigne le droit administratif de l’Etat, ne l’éloigne pas de ses principes et de sa fonction.

Un discours diffèrent concerne le droit de la globalisation économique, processus dans le quel jouent de façon importante les Etats et l’Union européenne, qui ne sont pas cependant les seuls acteurs. La globalisation des marchés est un est un phénomène économique antagoniste aux Etats, qui vise à soumettre les Etats à ces propres fins en faisant des Etats les agents du droit du marché, qui doivent mettre a disposition leur puissance pour l’actuation de finalités qui les dépassent. La globalisation économique produit un droit radical, qui ne doit garantir que l’application d’un seul principe (la concurrence) et servir un intérêt abstrait (neutre). Ce processus met en péril à la fois fonction et principes du droit administratif et des Constitutions nationales. Considérant la vitesse des changements actuels, l’ambiguïté du processus, et le fait qu’il s’agit d’un processus récent, pour l’instant c’est plus convenable suspendre le jugement, car ce nouveau droit est en formation et transformation rapide. On verra donc si cette transformation, qui est sous nos yeux, redonnerait leur place aux intérêts sociaux et à l’intérêt général. Comme l’a dit Zygmunt Bauman à propos de la condition humaine, on peut dire pour le droit de la globalisation: « Suspendu entre le ‘non plus’ et le ‘pas encore’, [ce droit] est le [droit] de l’indéchiffrable, de l’interrègne ».

10 – Quelle place pour le droit administratif dans la société contemporaine ?

La place du droit administratif dans la société contemporaine s’est accrue avec l’élargissement des domaines administrés. Dans une société où tous les aspects de la vie (individuelle et sociale) sont règlementés, où il a une sorte de pan-juridisme, où le droit s’occupe de tout de la protection de l’environnement jusqu’aux aspects plus intime de la vie individuelle, affectant l’entier catalogue des droits fondamentaux, la place du droit administratif est encore plus important qu’hier.

Plus augmente l’exigence de réglementation, plus augment l’extension du pouvoir, plus augmente la nécessité d’un un droit voué à la conciliation entre autorité et liberté.

Aujourd’hui on comprend encore mieux le rôle fondamental joué par le droit administratif. Si la conciliation entre autorité et liberté est une prérogative des constituions, le droit administratif représente cependant le terrain le plus important où se déroule cette confrontation, où ce conflit s’aperçois dans sa dimension réelle. Le droit administratif c’est donc le lieu où s’exprime continûment la globalité des intérêts individuels : de la liberté du commerce jusqu’à la protection de la vie privée ; de la protection de l’environnement à la sureté, de l’instruction jusqu’à de la santé. Ce droit spécial, détaché de l’Etat s’encre aux pouvoirs, en assurant toujours la même fonction: celle de soumettre l’action du pouvoir au droit au fin protéger les droits et les libertés des citoyens qui trouvent leur concrétisation dans la vie social.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Un « ircocervo », car il a toujours été traversé par des tensions contradictoires, donc il a une double nature (autorité et liberté).

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Le chevalier qui n’existe pas (I. Calvino), si l’on pense aux tensions actuelles qui essaient de vider le droit administratif de sa substance sociale (biens et services publics) pour n’en utiliser que l’armure (la puissance publique).

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Ce serait un tableau de Picasso de la période cubiste, car ces tableaux rendent très bien la dimension du mouvement, donc de la transformation continue, ce qui représente une constante du droit administratif.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 169.

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Questionnaire du Pr. Houle (29/50)

France Houle
Professeur de droit à l’Université de Montréal

Art. 168.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

En droit québécois, le droit administratif suit la tradition de common law et non celle de droit civil. En effet, au Québec, le droit privé est de tradition civiliste ; le droit public, de tradition de common law britannique (et non américaine). Donc, en common law britannique, le droit administratif s’intéresse principalement au contrôle judiciaire des actes de l’administration et aussi au processus réglementaire. Au Québec, la tradition britannique s’est enrichie de la tradition continentale en ce que plusieurs de nos professeurs ont fait leur doctorat en France.

2 – Qu’est ce qui fait la singularité du droit administratif de votre pays ? 

Voir réponse question 1.

3 – Peut-on le caractériser par un critère ou une notion juridique ?

J’en doute.

4 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) les « pères » les plus importants de ce droit administratif ?

  • René Dussault
  • David Mullan

5 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) les normes les plus importantes de ce droit administratif ?

  • Le principe de déférence
  • Les normes de contrôle
  • L’équité procédurale

6 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) les décisions juridictionnelles les plus importantes de ce droit administratif ?

Pour ce qui est du contrôle judiciaire, les décisions de la Cour suprême du Canada :

  • C.U.P.E. v. N.B. Liquor Corporation, [1979] 2 S.C.R. 227
  • Dunsmuirv. New Brunswick, [2008] 1 S.C.R. 190

7 – Existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain » ?

Hier : Droit administratif local ; demain, droit administratif global.

8 – Dans l’affirmative, comment les distinguer ?  

Au Canada et au Québec, le droit administratif local s’intéresse principalement au droit national; le droit administratif est en construction et s’intéresse notamment aux institutions supranationales et leurs normativités.

9 – Le droit administratif reste-t-il un droit national ou son avenir réside-t-il à l’inverse dans sa « globalisation » / son « européanisation » ?

Pour le moment, encore largement un droit national au Canada ; la prise en compte du droit international ou supranational en droit national reste encore très marginal.

10 – Quelle place pour le droit administratif dans la société contemporaine ?

Très importante. Difficile d’envisager un retour en arrière ou un démantèlement de l’État administratif. D’ailleurs, l’École de Chicago a tenté le virage vers la dérèglementation, mais les résultats –du moins au Canada- sont plutôt modestes. Le Canada reste un État social-démocrate et dont la social-démocratie est plus développée que chez nos voisins américains, mais moins que chez nos amis européens.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Au Canada et au Québec, un caméléon.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Un livre de poésie de Guillaume Apollinaire – surréel.

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Les horloges molles de Dali – tout aussi surréel.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04: « 50 nuances de Droit Administratif » (dir. Touzeil-Divina); Art. 168.

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Questionnaire du Pr. Franch-Saguer (28/50)

Marta Franch-Saguer
Professeur à l’Université autonome de Barcelone

Art. 167.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Une possible définition du droit administratif serait la suivante : branche du droit public, le droit administratif est constitué de l’ensemble des règles qui s’appliquent à l’administration. Ces règles sont dérogatoires au droit privé en raison de l’objet même du droit administratif, qui est la défense de l’intérêt public.

A partir de cette définition, on peut inclure dans le droit administratif tout ce qui se réfère à l’organisation du secteur public, à ses activités (fourniture de services publics, police…), à ses relations avec les citoyens et autres personnes publiques ou privées, ainsi que le contrôle de ses actions, qu’elles soient administratives ou judiciaires.

Les particularités de ce droit supposent la création d’un système normatif, ayant certaines caractéristiques, techniques et principes propres qui le différencient des autres branches du droit.

De plus, il se caractérise comme un droit statutaire puisque dans une partie de la relation il y a toujours une administration publique avec des prérogatives de puissance publique, mais qui reste à tout moment soumise à la loi et de manière plus générale à l’ordre juridique dans son ensemble.

2 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif de votre pays ?

Les singularités les plus importantes sont :

La grande diversité des secteurs et spécialités qu’il contient. Le droit administratif est un droit qui comprend de multiples “droits administratifs”.

Un droit en évolution tant pour des raisons internes (lois de transparence, d’administration électronique…) qu’en raison de phénomènes de globalisation et d’européanisation.

L’article 2 de la Constitution espagnole dispose : « La Constitution a pour fondement l’unité indissoluble de la Nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols. Elle reconnaît et garantit le droit à l’autonomie des nationalités et des régions qui la composent et la solidarité entre elles ». La distribution des compétences entre l’Etat et les Communautés autonomes est garantie par la Constitution espagnole dans ton titre VIII. Cette distribution des compétences marque notre droit public puisqu’il se réparti entre le niveau étatique, le niveau autonome ou le niveau local qui détient la compétence. L’article 137 de la Constitution dispose que : « L’État, dans son organisation territoriale, se compose de communes, de provinces et des Communautés autonomes qui se constitueront. Toutes ces entités jouissent d’autonomie pour la gestion de leurs intérêts respectifs ».

Un droit administratif marqué par l’autonomie des communes et des provinces pour la gestion de leurs intérêts selon ce qui est établi dans la Constitution. L’article 140 dispose : « La Constitution garantit l’autonomie des communes. Celles-ci auront la pleine personnalité juridique. Leur gouvernement et leur administration incombent à leurs conseils municipaux respectifs, formés par les maires et les conseillers. Les conseillers seront élus par les habitants de la commune au suffrage universel, égal, libre, direct et secret, sous la forme établie par la loi. Les maires seront élus par les conseillers ou par les habitants inscrits. La loi déterminera les conditions dans lesquelles il conviendra d’établir le régime du conseil ouvert ».

Notre droit administratif se créé et se construit à travers des normes (lois ou règlements) et la jurisprudence créé les principes généraux qui interprètent, dirigent et structurent le droit administratif. En droit espagnol, la jurisprudence n’est pas une source directe de création de droit mais une source d’interprétation du droit.

C’est un droit protecteur et de privilèges. Il faut souligner en particulier que la régulation de la procédure administrative se trouve dans une loi spécifique. Il s’agit de la Loi n° 39-2015, du 1er octobre 2015, relative à la Procédure Administrative de droit commun des administrations publiques.

3 – Peut-on le caractériser par un critère ou une notion juridique ?

Puissance publique et limites.

Le droit administratif est basé sur un déséquilibre de pouvoir, qui se traduit par l’attribution, par l’ordre juridique, de prérogatives de puissance publique aux personnes publiques. Mais ce déséquilibre se trouve en même temps compensé par un ensemble de garanties qui limite et canalise le pouvoir : la procédure administrative, les finalités qui la justifie, le contrôle administratif et judiciaire, la responsabilité administrative, la garantie patrimoniale – notamment l’indemnisation et la responsabilité administrative – les différents versants du principe de légalité (principe de légalité, soumission à la loi et à l’ensemble de l’ordre juridique…)

4 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) les « pères » les plus importants de ce droit administratif ?

Le Professeur Eduardo García de Enterría (1923-2013)

Juriste espagnol du XXème siècle, il a joué un rôle essentiel dans la création et la formation du Droit public en Espagne. Il a été avocat au Conseil d’Etat ainsi que professeur d’Université depuis 1957 à Valladolid et, ultérieurement, à l’Université Complutense de Madrid en 1962.  Sa grande contribution au droit administratif espagnol et international se retrouve particulièrement dans « Cours de Droit Administratif », en deux volumes, en collaboration avec Tomás Ramón Fernández ainsi que dans ses nombreuses publications, puisqu’il a publié plus de trente livres.

Il faut plus particulièrement citer :

  • Révolution Française et Administration contemporaine (« Revolución Francesa y Administración contemporánea »)
  • La langue des droits (« La lengua de los derechos »)
  • La lutte contre les immunités du Pouvoir dans le Droit Administratif (« La lucha contra las inmunidades del Poder en el Derecho administrativo »)
  • La responsabilité patrimoniale de l’Etat-législateur dans le Droit espagnol (« La responsabilidad patrimonial del Estado legislador en el Derecho español »)
  • Démocratie, juges et contrôle de l’Administration (« Democracia, jueces y control de la Administración »)
  • La Constitution comme norme et le Tribunal Constitutionnel (« La Constitución como norma y el Tribunal Constitucional »)

Il a aussi reçu plusieurs prix :Prix Prince d’Asturies de Sciences Sociales (1984), Alexis de Tocqueville de l’Institut Européen d’Administration (1999) et le Prix International Menéndez Pelayo (2006). Enfin, il a reçu le titre de Docteur honoris causa, remis par diverses Universités espagnoles, européennes et d’Amérique Latine.

Prof. Jesus Leguina  (1941- 2016)

Il a d’abord exercé à la chaire de San Sebastian, où il en fut aussi le Doyen. Il poursuivit par la suite à l’Université de Alcalá de Henares.Il a été le directeur de thèses en doctorat d’importants juristes espagnols, tous dédiés à la vie universitaire dans les diverses Universités espagnoles.On relève parmi eux: Luis Ortega, Miguel Sánchez Morón, Carmen Chinchilla, Iñaki Agirreazkuenaga   Martín Razquin, Diego Vera, Eva Desdentado, Ximena Lazo y  Edorta Cobreros, notamment. Il est élu magistrat du Conseil Général du Pouvoir Judiciaire et il fut aussi Magistrat au Tribunal Constitutionnel (de février 1986 à juillet 1992).  En 1992, il reprend son activité universitaire et occupe la chaire de Droit Administratif.  En 1994 il est élu Conseiller de la Banque d’Espagne, poste qu’il occupa jusqu’à 2000. Ultérieurement, il exerça un second mandat de 2004 à 2010. En 2006, le titre de Docteur Honoris Causa lui est remis par l’Université de Castilla-La Mancha.

Il convient de citer parmi ses diverses œuvres :

  • La responsabilité civile de l’Administration publique, 1970 (La responsabilidad civil de la Administración Pública)
  • Dépenses publiques et manquements aux contrats d’œuvres éducatives, 1978 (Gasto público e incumplimiento de contratos de obras educativas)
  • Ecrits sur les autonomies territoriales, 1984 (Escritos sobre autonomías territoriales)
  • Nouvelle règle du régime juridique des Administrations publiques, 1993 (Nueva Ley de régimen jurídico de las Administraciones Públicas)
  • Action administrative et développement rural, 1994 (Acción administrativa y desarrollo rural)
  • La réforme de la Loi de la juridiction contentieuse-administrative, 1995 (La reforma de la Ley de la jurisdicción contencioso-administrativa)

Prof. Luciano Parejo

Professeur de Droit Administratif de l’Université de La Laguna (1983) et d’Alcalá de Henares (1989) et, depuis 1990, de l’Université Carlos III de Madrid. Il a été Doyen de la faculté des Sciences Sociales et Juridiques de l’Université Carlos III de Madrid, Secrétaire Général et Vice-recteur du corps-enseignant et des Services et Vice-recteur de Coordination. Il a été également Recteur de l’Université International Menéndez Pelayo en 2005 et 2006 et nommé Recteur Honoraire en 2008. Directeur Général de l’Institut de l’Administration Locale (1983-1985) ; Secrétaire Adjoint des Ministères d’Administration Territoriale (1985-1986), et des Administrations publiques  (1986-1987) ; Président de l’Institut National d’Administration Publique (1987-1989).Il a été honoré du titre de Docteur Honoris Causa attribué par plusieurs universités : l’Université de Tucumán (Argentine), l’Université Catholique de Tachira (Venezuela) et l’Université de Valparaiso (Chili).

Il faut citer, parmi ses œuvres récentes :

  • Transformation et réforme du droit administratif en Espagne. Edité par INAP (Institut d’Administration Publique), Editorial Derecho Global. Madrid 2012 («Transformación y ¿reforma? del Derecho Administrativo en España»)
  • La Discipline Urbanistique, 2e Edition, Editorial Iustel, 2012 (“La Disciplina Urbanística”)
  • Le Concept de Droit Administratif, Ed. Jurídica Venezolana y Universidad Externado de Colombia, 2ª ed. Actualizada, Bogotá 2009, 594 p. (“El concepto del Derecho Administrativo»)
  • Commentaires du Texte Refondé de la Loi du Sol Real Decreto Legislativo 2/2008, du 20 juin, en collaboration avec G. Roger Fernández, Ed. Iustel, Madrid, 2009 («Comentarios al Texto Refundido de la Ley de Suelo»)
  • Loi de la juridiction contentieuse-administrative. Ed. Tirant lo Blanch, Valencia 2008 (“Ley de la jurisdicción contencioso-administrativa”)

5 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) les normes les plus importantes de ce droit administratif ?

  • Loi 39/2015 du 1er octobre, sur la Procédure Administrative commune des Administrations Publiques. Cette loi encadre la procédure administrative générale que doivent suivre toutes les Administrations espagnoles lorsqu’elles exercent leur pouvoir administratif. Elle établit les étapes, qui peuvent être précisées par d’autres normes. Elle régule la procédure administrative, le régime juridique des actes administratifs, les différents contrôles de l’Administration (notamment les recours administratifs), les procédures de sanction et de responsabilité administrative. La grande nouveauté est que la Loi prévoit un fonctionnement entièrement électronique, qui, selon le Préambule, permet de mieux servir “ les principes d’efficacité et d’efficience, en économisant des coûts aux citoyens et aux entreprises, et renforce les garanties des intéressés”. Cette loi renforce, avec les autres lois de transparence adoptées par l’Etat et la Catalogne, le principe de bonne administration. En effet, l’enregistrement des documents et des actions menées dans un dossier électronique facilite le respect des obligations de transparence, puisque cela permet d’offrir aux intéressés une information ponctuelle, souple et actualisée.La loi introduit, dans le titre VI, la régulation sur l’initiative législative et le pouvoir normatif des Administrations Publiques. Sont retranscrits dans la loi les principes que doit respecter l’Administration dans l’exercice de son pouvoir, rendant ainsi effectifs les droits constitutionnels en la matière.
  • La loi 40/2015 du 1er octobre, du Régime Juridique du Secteur Public. Cette loi encadre, comme son nom l’indique, le régime juridique des Administrations Publiques ainsi que celui du secteur public institutionnel.Elle présente la réforme de l’organisation et du fonctionnement du secteur public et régule ad intra le fonctionnement interne de chaque Administration et des relations entre elles.Son article 2 énumère tout ce que comprend le concept de secteur public. Celui-ci est formé par: l’Administration Générale de l’Etat, les Administrations des Communautés Autonomes, les Entités qui intègrent l’Administration Locale et le secteur public institutionnel.Le secteur public institutionnel est formé par: a) tous les organismes publics et entités de droit public liées ou dépendantes des Administrations publiques ; b) Les entités de droit privé liées ou dépendantes des Administrations Publiques qui sont soumises au respect de ce que prévoit les normes de la Loi qui se réfèrent spécifiquement à celles-ci, en particulier aux principes prévus dans l’article 3, et, dans tous les cas, lorsqu’ils exercent les pouvoirs administratifs ; c) Les Universités publiques qui se régissent par leur propre loi spéciale ainsi que par les prévisions de la présente loi. Cette législation régule le régime juridique administratif, applicable à toutes les Administrations Publiques ainsi que le régime juridique spécifique de l’Administration Générale de l’Etat. Enfin, la Loi régule les relations internes entre les Administrations, instaurant les principes généraux des actions administratives et les relations entre les différentes personnes publiques.
  • Décret Royal Législatif 3/2011, du 14 novembre, par lequel est adopté le texte refondé de la Loi des Contrats du Secteur public. Par ce Décret Royal, ont été réunies en un texte unique toutes les modifications introduites à la Loi 30/2007, du 30 octobre par diverses lois modificatives qui ont donné une nouvelle rédaction à certains concepts ou qui ont introduit de nouvelles dispositions.
  • La Loi 30/2007, qui transpose la Directive 2004/18/CE du Parlement Européen et du Conseil, du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services. La Directive 2014//24/UE du Parlement Européen, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE. De plus, l’Union Européenne a adopté une autre Directive 2014/23/UE du Parlement Européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur l’attribution de contrats de concession. Elles n’ont pas encore été transposées en droit espagnol. Depuis le 16 mars 2017, le Congrès discute du Projet de Loi des Contrats du Secteur Public, par lequel sont transposées dans l’ordre juridique espagnol les Directives du Parlement Européen et du Conseil 2014/23/UE et 2014/24/UE, du 26 février 2014.

6 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) les décisions juridictionnelles les plus importantes de ce droit administratif ?

En Espagne, c’est très difficile de choisir des décisions juridictionnelles qui déterminent la ligne jurisprudentielle. La raison, comme on déjà dit, c’est que la Constitution, la loi, les règlements priment sur la jurisprudence qui n’a que pour fonction de compléter l’ordonnancement juridique.

  • Le Tribunal Constitutionnel (Ley Orgánica 2/1979, de 3 de octubre del Tribunal Constitucional, LOTC ) est l’interprète suprême de la Constitution, grâce à différents mécanismes prévus dans l’art 2 LOTC.
  • Le recours d’Amparo protège contre les violations des droits fondamentaux et des libertés publiques (article 14 a 29 de la Constitution). L’Amparo constitutionnel a pour seul objectif le rétablissement, la protection des droits et libertés selon l’article 41.
  • On ne peut pas oublier le rôle déterminant que joue la jurisprudence du Tribunal de justice de l’Union Européenne dans l’interprétation des normes qui sont de manière directe ou indirecte déterminés par le droit européen.

7 – Existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain » ?

Je crois que oui. Le droit administratif d’hier c’était un droit administratif « obscur » qui tournait sur l’Administration elle-même et, quelques fois, en défense des intérêts propres de l’Administration.

8 – Dans l’affirmative, comment les distinguer ?

Aujourd’hui l’intérêt public et la forme de sa détermination devient le centre du droit public. Cette détermination qui devient chaque fois plus transparente et pourtant plus proche des citoyens qui peuvent connaitre et contrôler le processus à travers lequel l’administration décide.  Le dossier, « l’expédient » administratif doit être connu pour le citoyen et comme ça connaitre les vraies motivations de la décision administrative.

Le droit « d’hier » était un droit de contrôle préalable, avec des mécanismes d’autorisation, permission… ou même de silence négatif.  Le droit d’aujourd’hui, influencé par le droit européen est devenu un droit de contrôle a posteriori. Le droit européen repose sur l’élimination des obstacles injustifiés et disproportionnés pour l’accès et l’exercice d’une activité administratives et de services mais il laisse au régulateur la détermination des besoins proportionnés pour pouvoir exercer l’activité et aux entrepreneurs de services la responsabilité de les accomplir pour pouvoir commencer son activité. L’Administration doit se convertir dans le droit administratif « d’aujourd‘hui » :  une Administration qui exerce un contrôle a posteriori.

Le droit Administratif devient et encore deviendra dans le futur immédiat un droit plus efficient, plus claire, plus accessible, et surtout comportera une modernisation de l’organisation administrative, qui devra être plus au service du citoyen et moins au service de l’Administration et moins au service seulement des grands acteurs économiques.

9 – Le droit administratif reste-t-il un droit national ou son avenir réside-t-il à l’inverse dans sa « globalisation » / son « européanisation » ?

Non, le droit administratif ne reste plus un droit national fermé même s’il y a toujours des structures, techniques, sources qui sont tout à fait propres et qu’appartiennent à l’idiosyncrasie de chaque pays. Mais le droit international surtout en matière économique (secteurs économiques et contrats) à travers les grandes institutions (comme le FMI, la Banques Mondiale, le BID, )  ou des organismes internationales ( OMC, OCDE…) imposent des règles Dans le cas de l’Europe, le droit primaire et le droit dérivé ont transformé notre manière de faire, de comprendre et d’appliquer le droit. Les Règlements, les directives, avec quelques fois notre lente transposition, et les arrêts de la CJUE ne nous permettent plus d’appliquer et d’interpréter notre droit sans devoir aller vers une conception plus large du droit.

Cette influence, soit européenne soit plus internationale, suppose aussi que les droits internes soient transformés par ces nouveaux principes et règles qui inspirent et structurent nos droits administratifs.

10 – Quelle place pour le droit administratif dans la société contemporaine ?

Une place très importante de régulateur et d’arbitre d’une activité économique qui ne se tient pas seulement avec les règles des marchés. La dernière crise financière nous a montré l’importance de la régulation, des autorités indépendantes, du contrôle de l’Administration…. La libéralisation des marchés nous a fait prendre conscience qu’il faut une intervention publique pour que le marché fonctionne. L’organisation de l’Administration doit aussi être une partie importante dans l’avenir du droit administratif. Il faut construire une Administration au service de l’intérêt public qui réponde aux besoins de la société et pas une Administration qui trouve son but à accomplir les volontés des hauts fonctionnaires de l’Administration. Il faut redéfinir qu’elle sorte d’employés de l’Administration nous souhaitons : des fonctionnaires ? des employés soumis au code du travail ? La réponse est très importante parce qu’on aura une Administration plus ou moins objective, plus au moins au service du pouvoir.   En l’Espagne, il y a des changements dans beaucoup d’emplois dans les services publics qui sont passés d’emplois occupés par des fonctionnaires à des emplois occupés par des différents sortes de contrat de travail. Les contrats publics avec ses principes (publicité, transparence, concurrence, égalité, non-discrimination) seront dans le noyau de tout sorte d’emploi des fonds publiques. L’extension subjective et objective des contrats publics sera un des grands sujets du droit administratif contemporain et futur. Et finalement et toujours la détermination de l’intérêt public et sa recherche que finalement est la raison et le but de la puissance publique.

 

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04: « 50 nuances de Droit Administratif », (dir. Touzeil-Divina); Art. 167.

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Questionnaire du Pr. Ciaudo (27/50)

Alexandre Ciaudo
Professeur de droit public à l’Université de Bourgogne-Franche-Comté

Art. 166.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Le droit régissant l’organisation et le fonctionnement de l’activité administrative.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

A mon sens, le droit administratif s’inscrit dans la continuité de l’action de l’Etat et des personnes publiques. Il n’y a donc pas un droit administratif d’hier et un droit administratif de demain. Le droit administratif évolue avec l’activité administrative qu’il est censé régir.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

La singularité du droit administratif réside dans le fait qu’il est façonné et en permanence remodelé par le Conseil d’Etat. La dualité fonctionnelle du Conseil d’Etat français, à la fois conseil de Gouvernement et juge administratif suprême, chargé donc de donner son avis sur les textes de lois et de décrets, mais également de contrôler la légalité de l’action administrative, constitue la spécificité du droit administratif français. Elle résulte ainsi non seulement de la conception spécifique française de la séparation des pouvoirs, mais également du choix du constituant d’avoir conservé une institution napoléonienne.

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

Je dirais que le moteur du droit administratif est la légalité et que la route suivie est la sécurité juridique.

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

A mon sens, il ne le peut pas. Comme l’a parfaitement démontré Guy Braibant (G. Braibant , « Du simple au complexe : Quarante ans de droit administratif (1953 – 1993) », EDCE, 1993, p. 409), le droit administratif est par essence complexe compte tenu de son objet. Les règles du droit administratif peuvent donc être vulgarisées pour être mises à la portée de tout le monde, mais ce faisant, elles perdraient de leur rigueur et de leur sens.

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Sans doute, mais il ne s’agit pas d’une fatalité. L’activité administrative elle-même ne pouvant plus être exécutée de manière autocentrée, le droit qui la régit subit les influences extérieures. Il s’enrichit et s’inspire d’exemples étrangers. Le dialogue des juges en est un parfait exemple.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Oui. Et il le restera certainement. La preuve en est que la multiplication des codifications récentes consiste souvent à codifier des jurisprudences du Conseil d’Etat (V. par exemple le récent code des relations entre le public et l’administration). L’activité administrative ne cesse d’évoluer et le juge administratif reste amené à l’envisager avant le législateur ou le pouvoir réglementaire.

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

  • Léon Duguit;
  • Maurice Hauriou ;
  • Edouard Laferrière.

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

  • L’arrêt du Conseil d’Etat du 21 juin 1895 « Cames» (responsabilité sans faute) ;
  • L’arrêt du Conseil d’Etat du 13 décembre 1889 « Cadot » (fin de la théorie du ministre-juge) ;
  • L’arrêt du Conseil d’Etat du 17 février 1950 « Ministre de l’agriculture contre Dame Lamotte» (soumission par principe des actes administratifs à la légalité).

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

  • Les décrets ;
  • Les lois ;
  • Les directives communautaires.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Un caméléon.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

La Bible (Ancien Testament)

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Les colonnes de Buren.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04: « 5à nuances de Droit Administratif » (dir. Touzeil-Divina); art. 166.

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Questionnaire de M. Barrué-Belou (26/50)

Rémi Barrué-Belou
Maître de conférences à l’Université de la Réunion

Art. 165.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Le droit administratif est le droit de la puissance publique, dépassant le droit commun par une volonté de faire prévaloir l’intérêt général sur les intérêts particuliers. L’intérêt général étant relatif et contingent, le droit administratif est un droit évolutif qui se construit principalement par la jurisprudence de l’ordre juridictionnel administratif.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

L’évolution des règles et du régime s’appliquant au droit administratif permettent d’établir le constat d’une intégration de logiques privatistes et commerciales (rentabilité, réduction des risques pour les co-contractants privés, insertion de clauses propres au contrat de droit privé). Ainsi, si l’on devait qualifier un « droit administratif d’hier », il serait possible de le qualifier du droit de la puissance publique et de l’exorbitance alors que le « droit administratif de demain » semble pouvoir davantage être qualifié de droit mixte.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

Pas de réponse

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

Pas de réponse

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

Comme toute discipline scientifique, son accès ne peut résulter que de l’explication, l’information et l’apprentissage (tout relatif soit-il).

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Seul un juge peut condamner. Le sort du droit administratif sera celui que nous (citoyens, gouvernants, législateur et enseignants-chercheurs) souhaiteront lui donner. Le droit commercial, qui est l’une des matières juridiques les plus anciennement internationalisé, n’a pas vraiment fait l’objet d’une globalisation, à l’heure actuelle. Le droit administratif étant le droit de la puissance publique et donc manifestant la souveraineté d’un État, il ne fera pas rapidement l’objet d’une globalisation.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Si certains pans du droit administratif sont encore fortement marqués par la touche prétorienne, l’influence de l’Union européenne est de plus en plus prégnante (le droit de la commande publique en est un exemple évident).

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

  • Gerando
  • Foucart
  • Duguit

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

  • Blanco,
  • Terrier,
  • Société Arcelor et autres.

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

Davantage que des normes, je verrais deux idées fondamentales : la prévalence de l’intérêt général, l’exorbitance du droit commun.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

L’être humain, tant par sa capacité évolutive suivant les époques que par son choix de valoriser l’intérêt général en raison de sa vie au sein d’une société.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Ainsi parlait Zarathoustra, car il caractérise l’Homme qui doit dépasser Dieu et devenir un surhomme, notamment par l’association.

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Le droit administratif serait davantage un musée d’art contemporain car il intégrerait perpétuellement de nouvelles œuvres.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04: « 50 nuances de Droit Administratif » (dir. Touzeil-Divina); Art. 165.

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Questionnaire du Pr. Aubin (25/50)

Emmanuel Aubin
Professeur agrégé à l’Université de Poitiers

Art.164.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Le droit administratif est, avant tout, le droit du fonctionnement de l’Etat ; il a pour objet de rendre possible la poursuite de missions d’intérêt général avec des moyens publics, dans le cadre d’actes imposés et non négociés (à l’exception des contrats administratifs qui restent toutefois singuliers à l’aune du consensualisme propre au droit des obligations) et par l’intermédiaire de travailleurs qui sont dans une situation légale et réglementaire et doivent respecter des obligations inhérentes à l’activité de service public, laquelle implique de servir l’intérêt général sans se servir ou s’asservir.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Le droit administratif d’hier a posé les jalons des grands principes du procès administratif et comblé les carences ou l’absence de normes écrites qui l’ont progressivement rattrapé. Essentiellement protecteur des prérogatives de l’administratif, le droit administratif devient de plus en plus protecteur des administrés et des agents publics. Afin de ne pas être débordé par l’insécurité juridique inhérente à l’inflation normative, le droit administratif de demain sera marqué par la révolution de l’open data ; il sera un droit administratif moins secret, plus ouvert, plus pédagogique également ; Le droit administratif laisse également une place plus importante à la contractualisation dans ses différentes branches (action publique, fonction publique, droit des collectivités territoriales).

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

La singularité du droit administratif tient à la place de l’acte unilatéral, le consensualisme demeurant l’exception malgré un développement de la contractualisation. L’activité publique reste et sera toujours soumise au respect de principes et de valeurs qui sont propres au droit administratif car ce dernier s’inscrit clairement comme l’ont montré les travaux de la doctrine depuis Duguit dans une perspective holiste.

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

Rivero avait magistralement démontré que la guerre des critères ne devait pas avoir lieu mais, aujourd’hui, le contexte montre que la puissance publique devient de nouveau l’un des critères d’application ou à tout le moins un moteur essentiel du droit administratif.

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

Le droit administratif peut gagner en pédagogie avec des arrêts qui seraient plus compréhensibles. Un premier pas purement formel a été franchi avec la numérotation des considérants qui confère une plus grande lisibilité aux décisions et au syllogisme juridique appliqué par le juge. Le recours au droit souple permet également de vulgariser le droit administratif en rappelant dans des documents non normatifs (comme les chartes) les exigences juridiques (textuelles et jurisprudentielles) parfois complexes s’appliquant à l’action administrative. Comment ne pas mentionner, également, la recréation du JDA et sa dématérialisation ?

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Comme l’ont montré les travaux précurseurs du professeur Auby, la question est désormais derrière nous ; le droit administratif est d’ores et déjà globalisé depuis que la révolution Nicolo a permis au juge administratif de neutraliser l’application de la loi en faisant primer des normes européennes et internationales sur des dispositions législatives incompatibles. Il n’en demeure pas moins que la tendance à la rationalité managériale et à la création de pôles a sans doute pour effet de globaliser les enjeux juridiques au cœur des décisions des acteurs publics. En outre, le droit venu d’ailleurs a contribué à enrichir les sources du droit administratif qui est sans doute devenu plus pragmatique au contact de la globalisation juridique.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Si le droit administratif a été rattrapé par les textes, il n’en demeure pas moins que, chaque année, le juge administratif suprême rend plusieurs milliers de décisions qui contribuent à façonner des politiques jurisprudentielles dont les décideurs publics ne peuvent faire l’économie pour agir utilement et faire reposer leurs décisions sur une certaine sécurité juridique. Toutefois, il serait réducteur d’assimiler le droit administratif au seul contentieux car, comme le souligne le professeur Truchet, le droit administratif est, avant tout, un « art de la décision ».

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

  • Laferrière a joué un rôle décisif en identifiant clairement la structure du contentieux administratif et en mettant en évidente la dimension prétorienne du droit administratif.
  • Duguit a contribué à inscrire le droit administratif dans une dimension holiste incarnée par la notion de service public.
  • De son côté, Hauriou a mis en évidence le rôle essentiel de la puissance publique dans le fonctionnement des personnes morales de droit public soumises au droit administratif.

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

Partant du postulat du grand processualiste Motuloski (« Le droit n’atteint sa plénitude que lorsqu’il se réalise), les grands arrêts du droit administratif sont ceux qui ont permis aux administrations et aux fonctionnaires et usagers de voir le juge administratif exercer pleinement et efficacement son office. Sous ce rapport, le premier grand arrêt (CE, 29 mars 1901, Casanova) est celui qui est à l’origine d’une politique d’ouverture du prétoire du juge administratif. Le deuxième plus grand arrêt pourrait être la décision Association AC ! du 11 mai 2004 par laquelle le juge de l’excès de pouvoir a intégré une dimension très réaliste dans son office en rendant possible la neutralisation, dans des conditions clairement précisées, de l’effet rétroactif d’une annulation contentieuse.  Le troisième grand arrêt est la décision Danthony de décembre 2011 (qui concernait du reste une Université) dans laquelle le Conseil d’Etat fait œuvre de pragmatisme en permettant au juge de sauver de la censure une décision dont l’illégalité externe n’a pas exercé d’influence décisive sur la prise de décision ni privé le requérant d’une garantie substantielle.

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

  • Le principe d’égalité est une norme essentielle au cœur des grandes branches du droit administratif et trouve à s’appliquer notamment à travers une autre norme essentielle (la non-discrimination) qui génère des obligations de faire et de ne pas faire pour les acteurs du droit administratif.
  • La neutralité est une norme importante qui permet au droit administratif de revêtir une dimension axiologique qui singularise nettement l’action administrative ( et son contrôle) de l’activité au sein du secteur marchand.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Le droit administratif serait une petite souris qui se glisserait sous la table des délibérations afin de rendre possible une meilleure compréhension de certaines décisions réservées parfois aux seuls initiés.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Ne jugez pas d’André Gide qui explore les ressorts psychologiques d’affaires déconcertantes pour la justice

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

La bataille de San Romano de Paolo Uccello peinte sur trois tableau car les relations juridiques sont souvent triangulaires en droit administratif.

 Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 164.

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Questionnaire de M. Duranthon (35/50)

Arnaud Duranthon
Maitre de conférence en droit public à l’Université de Strasbourg
Membre du Comité scientifique & de rédaction du JDA

Art. 173

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Le doute est, dit-on souvent avec raison, le moteur de la recherche scientifique. Je dois donc assumer que, s’agissant de cette définition, j’entretiens de très grands doutes tant il est vrai que la plupart des critères qui ont été proposés (service public, puissance publique, gestion administrative etc…) paraissent avoir, dans le même temps, de belles capacités mais aussi de réelles lacunes. J’en suis donc venu à penser que, plutôt que de procéder manière déductive au moyen de critères stipulatifs qui, quoique consacrés par la jurisprudence, le sont toujours avec d’infinies nuances, d’irrésistibles doutes et de nombreuses variations et hésitations, il convient de tenter de définir le droit administratif de manière inductive. L’histoire et la théorie du doit constituent, de ce point de vue, un secours précieux. J’ai en effet le sentiment que ce n’est qu’au regard d’une posture assise sur une conception concevant le droit comme une unité que l’on peut en saisir la complexité intrinsèque. De ce point de vue, le droit administratif n’est rien d’autre qu’un outil visant à transcrire, sur le plan administratif, les effets de la souveraineté de l’État dans son rapport avec les individus et dans la réalisation de son projet social – que l’on qualifie d’intérêt général. Les contours du droit administratif évoluent dès lors au gré des flux et reflux des conceptions de la souveraineté, en épousant les nuances et les subtilités. Il n’est dès lors plus de « crises » du droit administratif, mais simplement des ajustements liés à l’évolution de la conception du rôle de l’État et de son rapport avec la société.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

« Le passé m’oblige, le présent me guérit, je me fous de l’avenir », écrit Sylvain Tesson dans son dernier livre, Sur les chemins noirs. Je crois que l’on peut adapter cette citation au droit administratif. Vouloir dresser des barrières entre plusieurs périodes, un « avant » et un « après » constitue à mon sens un véritable écueil. Un tel effort est en effet condamné à tracer des frontières au milieu d’un territoire plus subtil que ce que le résultat tracé pourrait laisser penser. Les frontières sont toujours brutales et ne laissent, sur la carte, rien paraître de leur inévitable porosité. C’est pourquoi il me semble qu’il faille plutôt concevoir le droit administratif dans son continuum et qu’il faille comprendre chacun de ses objets de manière diachronique. Le passé sert alors à éclairer sa formation, des évolutions, ses difficultés. Le présent permet de pourvoir à la stabilité juridique nécessaire et constitue l’état positif du droit. Le futur, quant à lui, reste indéterminé et si l’on s’efforce toujours de le prévoir, de le dessiner, il reste rare que l’œuvre produite ressemble au dessin – et au dessein – que l’on s’en faisait. Il ne reste alors qu’à partir du principe que la guérison du présent et le soin accordé au présent tel que conçu au regard du passé suffit au travail du juriste.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

Je serais tenté de dire que c’est son processus constitutif qui donne au droit administratif toute sa singularité. Constitué en dehors de toute « raison » générale, produit autopoïétique fait de strates diverses qui s’accumulent au gré du temps, se recouvrent en laissant parfois paraître à la surface d’anciennes couches, il constitue un produit vivant passionnant qui s’éloigne des prétentions rationalistes selon lesquelles d’autres systèmes se sont agencés… et selon lesquelles certains tenants des logiques de la performance et du rationalisme morbide s’efforcent aujourd’hui de vouloir l’enfermer, notamment dans ses versants en rapport avec les questions institutionnelles.

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

Je ne crois pas au caractère absolu d’un critère en droit administratif. Je reste cependant convaincu que le service public en constitue le cœur et s’en présente un peu comme le phare que l’on peut garder à l’œil pour évoluer. La filiation de cette notion avec l’intérêt général permet en effet de garder un cap, même si celui-ci est incertain du fait de l’indétermination qui anime ce dernier !

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

En cessant de le considérer comme une matière simplement technique faite de problèmes à résoudre, mais en le concevant comme un système général qui n’est rien d’autre que le produit d’une société tentant de s’organiser et d’organiser le pouvoir. Il faut probablement pour cela admettre que si les catégories techniciennes sont indispensables à la résolution des litiges qui se présentent au juge, la compréhension et la présentation du droit administratif ne se limitent pas à elles. Il faut donc, au-delà de la description, vouloir comprendre le droit administratif, c’est à dire le situer dans l’inextricable sac de nœuds que constitue généralement le droit. Il faut pour cela prendre la hauteur nécessaire. Un parfait exemple de ceci se situe dans le maquis contractuel existant en France. On peut s’en tenir à présenter les différentes formes contractuelles existantes en présentant leurs délicats régimes. C’est un effort indispensable, mais qui doit nécessairement être complété par un autre, consistant à comprendre, par la généalogie des notions, les moteurs de leur apparition. Le régime n’est alors plus une fin en soi, il est la conséquence d’un mouvement plus profond qui le rend compréhensible et facilite son apprentissage.

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Il faudrait pour cela admettre la globalisation comme une condamnation ! Condamné, le droit administratif l’est simplement par sa nature à devoir épouser les formes d’une société qui, par définition évoluent et qu’il n’a pas vocation à transformer ou à guider. Son office s’arrête à celui d’une digue qui s’efforce que le fleuve puisse poursuivre son cours, parfois calme, parfois impétueux, au sein d’un cadre qui en garantisse néanmoins l’équilibre. Quant à la globalisation, s’il est certain que des notions aient vocation à se transformer au contact d’autres réalités, cette transformation peut s’effectuer selon diverses nuances qui ne condamnent pas le droit à une pure uniformité, mais s’assure simplement de la communicabilité entre plusieurs objets appelés à vivre ensemble.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Le droit administratif reste prétorien dans ses fondements, et ce n’est pas un problème en soi. S’il est indiscutablement rogné, de toutes parts, par des normes d’origine législatives, celles-ci ne me paraissent pas avoir toujours brillé par leur réussite. L’exemple récent de la transformation du régime des décisions implicites en témoigne avec force. Je crois que l’on retrouve ici le problème central de cette prétention de la rationalité qui, niant les équilibres subtils autour desquels s’est agencé le droit administratif du fait de son mode prétorien de formation, s’efforce de vouloir dompter la bête par quelques coups de fouets. S’il ne s’agit pas de prétendre au conservatisme, qui est un repère de faiblesse, il s’agit cependant d’avancer qu’une évolution n’est jamais garantie que par sa progressivité, qui seule la rend acceptable.

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

Si par pères on entend ceux qui aident à rendre la vie compréhensible en donnant des points de repère, alors je dirais :

  • Maurice Hauriou
  • Léon Michoud
  • Charles Eisenmann

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

Le trio Feutry/Terrier/Thérond, a donné corps à une vision unitaire de l’administration qui me tient à cœur. L’arrêt Blanco, évidemment : pas pour la raison qu’on lui donne d’habitude (l’arrêt Rothschild l’avait par exemple largement devancé), mais pour ce qu’il a donné comme assise à la responsabilité administrative en lieu et place de la conception sur la liquidation des dettes de l’État. Le feu arrêt Peyrot, pour ce qu’il laissait comme place à la complexité et pour la voie qu’il permet de tracer entre deux conceptions du droit administratif : l’une ouverte à la complexité des situations et recherchant l’essence (le sens ?), l’autre attachée à le réduire à une simple technique et à faire dépendre le régime juridique d’un objet de catégories réductrices… et donc forcément contestables.

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

L’article L2212-2 du CGCT, pour le corps qu’il donne à la police administrative en laissant subtilement ouvertes les voies d’une évolution de la notion et de son adaptation aux circonstances et aux besoins ; la loi communale de 1884, à l’origine de la clause de compétence générale communale, objet juridique passionnant ; la loi du 11 juillet 1979 et la loi du 12 avril 2000, pour ce qu’elles ont apporté à la redéfinition des rapports entre la puissance publique et les administrés.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Si le droit administratif était un animal, il serait un lombric. Nourri par un humus dont il est l’indispensable agent de l’entretien, de l’aération et de la structure, il est hermaphrodite et peut donc se développer spontanément, sans secours extérieur. Il est enfin capable de se régénérer même lorsqu’il est coupé, montrant sa grande capacité d’adaptation spontanée.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Si le droit administratif était un livre, il serait celui dont on ne sait jamais vraiment quand il a commencé, ni quand et s’il s’arrêtera un jour.

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Si le droit administratif était un œuvre d’art, il serait un tableau de Pierre Soulages. De loin, il apparaît comme un bloc, quelque chose de brut, d’uniforme mais à mesure qu’on l’observe, on ne peut que se perdre dans ses nuances, qui offrent une matière infinie à l’exploration.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 173.

 

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