Archives de catégorie Collectivités territoriales

ParJDA

Fonction publique et collectivités territoriales

par Cécile MAILLARD
Juriste assurance, SATEC

Fonction publique
& collectivités territoriales

octobre 2016 – 2ème chronique
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collectivités territoriales

Dispositions majeures issues du décret 2015-1912 du 29 décembre 2015 concernant les agents contractuels de la FPT

Art. 96. Le décret n°2015-1912 du 29 décembre 2015 est venu modifier le décret n°88-145 du 15 février 1988 pris pour l’application de l’article 136 de la loi du 26 janvier 1984 concernant le licenciement des agents contractuels. Cet article a également fait l’objet d’une modification par la loi n°2016-483 du 20 avril 2016.

Il vient notamment supprimer le vocable « agents non titulaires » le remplaçant par le terme « agents contractuels » et compléter la liste des agents soumis aux dispositions du décret n°88-145 du 15 février 1988 modifié. L’ensemble des contractuels sont donc désormais pris en compte et notamment les agents contractuels embauchés comme collaborateur d’élus ainsi que les agents recrutés pour remplacer un agent à temps partiel ou indisponibles en raison d’un congé annuel, maladie, maternité ou autre.

Par ailleurs, ce décret pose les conditions de rémunération des agents contractuels à durée indéterminée et fixe les modalités de tenue des entretiens annuels professionnels pour l’ensemble des agents contractuels détaillant au regard de quels critères la valeur professionnelle de l’agent est appréciée.

Il définit, également, le fonctionnement de la période d’essai des agents contractuels et fixe des durées dépendantes de la durée du contrat conclu. Ainsi, la durée de la période d’essai ne peut dépasser 3 semaines, pour un contrat inférieur à 6 mois, 1 mois pour les contrats inférieurs à 1 an, 2 mois, pour les contrats inférieurs à 2 ans, et 3 mois lorsque la durée du contrat est supérieur à 2 ans ou à durée indéterminée. Les modalités de licenciement au cours de la période d’essai (entretien préalable, motivation, absence d’indemnité…) qui n’étaient pas tranchées par le décret n°88-145 sont désormais précisées.

On remarquera la limitation de la prise du congé sans rémunération pour convenance personnelle aux seuls agents contractuels à durée indéterminée. En outre, la mise à disposition des contractuels à durée indéterminée ne peut excéder 3 ans bien que renouvelable dans les mêmes conditions dans la limite de 10 ans.

Ce décret prévoit que l’autorité territoriale à l’expiration du contrat doit délivrer un certificat contenant la date de recrutement de l’agent et celle de la fin de contrat ainsi que les fonctions occupées et la durée effectivement exercée quelle que soit la cause de cette expiration (licenciement, démission, terme…).

On notera l’émergence de nouvelles causes de licenciement du contractuel : outre la possibilité, pour l’administration, de licencier pour insuffisance professionnelle et faute disciplinaire, celle-ci peut licencier pour disparition du besoin ou suppression de l’emploi qui a justifié le recrutement ainsi que pour transformation du besoin ou recrutement d’un fonctionnaire, entre autre cause.

Toutefois, le décret pose des conditions d’impossibilité de reclassement du contractuel (pour certains cas) ; le respect d’un préavis (variable selon la durée du contrat) et l’obligation d’un entretien préalable au licenciement. Il prévoit également, le versement d’une indemnité dans certaines hypothèses.

Il s’agit donc d’un texte majeur qui fait écho aux difficultés rencontrées par certaines collectivités pour la dénonciation des contrats de certains agents,  à la suite de leur recrutement à durée indéterminée. Il est peut-être à déplorer que ces dispositions s’appliquent également aux contractuels dont les contrats ont un terme car cela ne fait qu’augmenter leur précarité. Toutefois, ce décret a le mérite de rendre plus claire certaines dispositions un peu floues sous l’empire du précédent décret (i.e. période d’essai).

Chronique en droit des Collectivités Territoriales

 sous la direction de M. Pascal TOUHARI
Directeur de l’administration générale, Ville de Montreuil
Chargé d’enseignements à l’Université-Paris-Est-Créteil et Sciences-Po Toulouse

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Chronique Collectivités Territoriales – n°02, Art. 96.

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ParJDA

Urbanisme et collectivités territoriales

par Vincent THIBAUD
Docteur en droit public
Juriste, Direction de l’urbanisme, Ville de Montreuil

Urbanisme
& collectivités territoriales

octobre 2016 – 2ème chronique
La présente page est issue de la chronique
collectivités territoriales

Documents d’urbanisme : avez-vous pensé à la « grenellisation » ?

Art. 95. Au 1er janvier 2017, votre PLU pourrait potentiellement être privé d’effets…

Ce sensationnalisme juridique prend pourtant sa source dans une échéance transitoire qu’avait instauré l’article 19, V., de la loi n°2010-788 portant engagement national pour l’environnement (dite aussi « Grenelle II »), amendé à droit constant par la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové du 24 mars 2014, suivant lequel donc les plans locaux d’urbanisme étaient censés intégrer les dispositions grenellisées du code de l’urbanisme, puis donc – toujours à droit constant – « ALURisées » au 1er janvier 2017 (c’est donc le cadeau de la loi ALUR).

Plus précisément à l’aune des dispositions transitoires susévoquées, les PLU approuvés/révisés après le 13 juillet 2013, et/ou dont le projet a été arrêté après le 1er juillet 2012, bénéficient d’une présomption de « grenellisation ».

Les PLU approuvé/révisés entre le 13 janvier 2011 et le 1er juillet 2013 « peuvent avoir été grenellisés » et nécessitent donc une confrontation « au cas par cas » avec les standards d’exigences liés à l’application des objectifs environnementaux.

Avant le 13 janvier 2011 et l’entrée en vigueur de ladite loi ENE ou « Grenelle II », les PLU sont présumés n’être tout simplement pas « grenello-compatibles ».

Sans refaire le balayage de ces innovations législatives, il conviendra néanmoins sur un plan pratique de rappeler que ce que l’on peut qualifier de véritable démarche de « grenellisation » des documents d’urbanisme a eu pour caractéristique de concevoir un nouveau standard de PLU, pas tant sur leur forme stricto sensu, que sur des degrés d’exigences et de contenu affectant ses différentes composantes : PADD et rapport de présentation notamment devant justifier les prescriptions des règlements mis alors en place.

Ainsi, le rapport de présentation et le projet d’aménagement et de développement durables reflètent désormais « l’expression d’un projet articulant des thématiques considérablement élargies et qui traduit l’ambition d’une politique nationale d’urbanisme appliquée à un territoire » (cf. P. SOLER-COUTEAUX, « Le plan local d’urbanisme « Grenelle » : un arbre qui cache la forêt », RDI, n°2, 2011, p.16).

Sans commenter le bien-fondé ou non de cet alourdissement des objectifs législatifs assignés aux documents locaux d’urbanisme, il n’en reste pas moins qu’un certain pragmatisme juridique voit poindre un risque, certes limité mais majeur : au 1er janvier 2017, une demande d’abrogation pure et simple du document en vigueur, dont il serait amené la démonstration qu’il n’intègre pas le Grenelle en son état d’ALUR ; à laquelle l’autorité compétente sur le plan serait nécessairement liée comme il ressort de principes généraux largement acquis en droit administratif (CE Ass., 03/02/1989, Cie Alitalia, n°74052).

La seconde catégorie de risque d’annihilation des effets juridiques des PLU pour ce motif teinté de Grenelle réside dans le contentieux des autorisations d’urbanisme, où serait soulevée là une exception d’illégalité interne non couverte par la limitation d’invocation prévue pour les motifs de procédure figurant à l’article L.600-1 du Code de l’urbanisme.

Mais la mesure du risque ne serait totalement exhaustive si elle ne devait envisager une autre réjouissance législative liée à la fois à la caducité programmée des anciens plans d’occupation des sols (POS) et au transfert « de plein droit » des PLU vers les intercommunalités consacré par la même loi ALUR.

Reprenons dès lors notre hypothèse de fin des effets juridiques d’un PLU, le vide juridique n’étant pas du monde de l’urbanisme, la législation afférente au domaine prévoit justement en principe le retour bien connu au document antérieur. Le raisonnement pourrait donc prendre sa référence dans le désormais article L.600-12 du code de l’urbanisme et la disposition suivant laquelle « l’annulation ou la déclaration d’illégalité d’un schéma de cohérence territoriale, d’un plan local d’urbanisme, d’un document d’urbanisme en tenant lieu ou d’une carte communale a pour effet de remettre en vigueur le schéma de cohérence territoriale, le plan local d’urbanisme, le document d’urbanisme en tenant lieu ou la carte communale immédiatement antérieur ». Comme donc la loi ALUR a fait en sorte que les vieux POS soient désormais définitivement sortis de l’ordonnancement juridique depuis le 1er janvier 2016 (article L.174-1 du code de l’urbanisme au sein de la codification qui a cours depuis d’ailleurs cette même date du 1er janvier 2016), un territoire affecté par une telle hypothèse devrait donc s’en référer au règlement national d’urbanisme pour l’application d’un droit des sols qui fait fort peu de cas des réalités locales et des projets urbains situés – comme son nom (règlement « national »…) l’indique d’ailleurs.

Il convient de relever que des mécanismes d’amortissement ont aussi été prévus par la législation, pour limiter l’effet de seuil que peut revêtir l’application stricte des principes liés à la « grenellisation » des documents d’urbanisme :

– si le territoire en cause n’en est encore qu’au passage d’un plan d’occupation des sols révisé en un plan local d’urbanisme, et que cette procédure de révision a été engagée avant le 31 décembre 2015, le POS est maintenu en vigueur « au plus tard le 26 mars 2017 », soit trois ans après la prise d’effet de la loi ALUR qui prévoit d’ailleurs à l’échéance le transfert du PLU à l’intercommunalité (sauf opposition exprimée dans les conditions fixées au II de l’article 136 de ladite loi du 24 mars 2014) ; et faudrait-il encore être attentif à la compatibilité du document issu de la révision avec les standards environnementaux, car les délais de rédaction s’étirent parfois de façon critique au regard des évolutions législatives constantes en la matière (voir à ce propos les réflexions dubitatives de F. BOUYSSOU, in « Les cinq crises de la planification urbaine », JCP, A., n°25, 23/06/2014, 2199) ;

– si ce territoire envisagé est du ressort d’un établissement public de coopération intercommunale ayant la compétence PLU, l’engagement d’un processus de document pleinement intercommunal (ou dit encore PLUi dans le jargon) permet de repousser l’échéance de vie des documents communaux non « grenello-compatibles », mais encore faut-il que l’adoption du PLUi soit une réalité juridiquement pleinement engagée avec un débat sur les orientations du PADD devant nécessairement avoir lieu avant le 27 mars 2017 (ce qui permet d’assurer une compétence PLUi effective en relation avec le transfert de plein droit prévu par la loi ALUR), et une approbation du PLUi à l’horizon du 1er janvier 2020 ; ce qui signifie donc que l’échéance « Grenelle » prend une « ALUR » plus modérée au 31 décembre 2019 ;

– enfin, la loi ALUR a prévu qu’en cas d’annulation contentieuse d’un PLU intervenant après le 31 décembre 2015, un éventuel POS « immédiatement antérieur » peut être remis en application et faire lui-même l’objet encore d’une révision en un nouveau PLU, ce maintien d’effets juridiques ne pouvant durer au-delà de deux ans, ce qui peut parfois être court pour refondre un document d’urbanisme (certes, une annulation peut aussi porter sur de simples motifs de procédure qui nécessitent simplement de reprendre une enquête publique). Il s’agit là d’une solution très curieuse, car rien n’est dit sur la remise en application d’un PLU antérieur non compatible avec Grenelle et ALUR, dont la caducité à compter du 1er janvier 2017 semble devoir tout de même être constatée dans l’hypothèse décrite ci-dessus et envisagée par l’article L.174-6 du code de l’urbanisme. À force de contorsions et de complexité, le droit de l’urbanisme n’en est pas à une approximation et une contradiction près…

Mais, dans tous les cas, il transparaît de l’ensemble des cas de figure précédemment décrits qu’une entreprise législative systématique, sous des majorités législatives d’ailleurs différentes, est mise en œuvre depuis la promulgation de la loi « Grenelle II ». À ce propos, la loi ALUR n’a fait que renforcer cette dynamique dans le sens de l’établissement définitif du caractère intercommunal des plans locaux d’urbanisme, échelon pertinent pour la mise en œuvre de hauts objectifs de développement durable porté par l’État pour l’ensemble des territoires. Les secousses juridiques n’en seront pas moins grandes pour certains territoires dans un moyen terme… qui ne disposaient pas encore de PLU au niveau des communes, et où la construction intercommunale n’est due qu’aux obligations du législateur de mailler le territoire d’intercommunalités avec un niveau critique de compétences dont relèvent celles en matière de documents d’urbanisme. Un « Grenelle » pour déconstruire et reconstruire à toute « ALUR » un nouvel urbanisme réglementaire, plus vraiment décentralisé, réformé (au sens de la « réforme territoriale ») assurément.

Chronique en droit des Collectivités Territoriales

 sous la direction de M. Pascal TOUHARI
Directeur de l’administration générale, Ville de Montreuil
Chargé d’enseignements à l’Université-Paris-Est-Créteil et Sciences-Po Toulouse

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Chronique Collectivités Territoriales – n°02, Art. 95.

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ParJDA

Commande publique & collectivités territoriales

par Philippe BIGOURDAN
Responsable du Service Achat et Commande Publique (SACOP), Ville de Montreuil

& Hortense TRANCART
Acheteur public

Commande publique
& collectivités territoriales

octobre 2016 – 2ème chronique
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collectivités territoriales

Les PME, grandes gagnantes de la réforme de la commande publique ?

Art. 94. A voir la déclaration aussi ambitieuse que peu réalisable d’Arnaud Montebourg visant à confier 80 % des marchés publics à des PME françaises, on devine aisément qu’en cette période pré-électorale, la bonne santé des PME va, sur le volet économique des déclarations des potentiels candidats, faire partie des sujets favoris de la course à la présidentielle. Les petites et moyennes entreprises représentent 95 % des entreprises françaises, remportent presque 60 % des marchés publics mais seulement 27 % du montant annuel de la commande publique (Rapport 2013 de l’Observatoire économique de l’achat public qui ne prend pas en compte les marchés dont le montant est inférieur à 90 000 € HT). Cela constitue une réelle problématique de développement de l’économie française. Les PME réclament à la fois de la souplesse dans le droit du travail (par exemple, sur les ruptures de contrats) et de la rigidité dans les modalités d’attribution des marchés publics (par exemple, via un mécanisme de quota).

Elles furent, à en croire le Ministère de l’Économie, au cœur du dispositif de la réforme de la commande publique. Ainsi les fédérations professionnelles ont été sollicitées pendant la phase de concertation précédent la transposition des directives européennes relatives aux marchés publics et aux concessions (Directives du 26 février 2014, 2014/24/UE  sur la passation des marchés publics et 2014/23/UE sur l’attribution de contrats de concession).

Ce n’est pas la première fois que le gouvernement tente de moduler sa réglementation en faveur des PME. Au risque de se faire annuler rapidement certaines mesures par le Conseil d’État (n° 297711, 297870, 297892, 297919, 297937, 297955, 298086, 298087, 301171, 301238, SYNDICAT EGF-BTP et autres) : le 9 juillet 2007, la Haute Juridiction estimait qu’en autorisant les pouvoirs adjudicateurs, dans le cadre des procédures d’appel d’offres restreint, de marché négocié et de dialogue compétitif, à fixer un nombre minimal de petites et moyennes entreprises admises à présenter une offre, les dispositions des articles 60, 65 et 67 du code des marchés publics conduisaient nécessairement à faire de la taille des entreprises un critère de sélection des candidatures. Or un tel critère, en ce qu’il n’est pas nécessairement lié à l’objet du marché, revêt un caractère discriminatoire et méconnaît le principe d’égal accès à la commande publique. Les dispositions du code en cause ont par conséquent été annulées.

Cette décision paraissait logique tant les directives européennes, qui constituent le socle de l’ordonnance 2015-899 du 23 juillet 2015 et du décret 2016-360 du 25 mars 2016 relatifs aux marchés publics, sont peu enclines au favoritisme local. Elles sont elles-mêmes soumises à l’Accord sur les marchés publics de l’Organisation Mondiale du Commerce qui pose le principe de non-discrimination entre les fournisseurs.

Aussi le législateur français doit-il assumer une position légèrement schizophrène : un pied dans l’Union européenne et un contexte libéral, l’autre dans un État protectionniste.

A défaut de pouvoir proposer un véritable Small Business Act, les textes nationaux qui réglementent la passation des marchés publics proposent de nombreux outils facilitant l’accès des PME aux marchés publics. Pourtant leur impact souffre en pratique de quelques limites. Quelques mois après la publication du décret marchés publics, petit tour d’horizon des dispositifs actuellement en place.

Allotissement de rigueur et offres variables selon les lots susceptibles d’être obtenus

En premier lieu, la règle de l’allotissement des prestations en familles homogènes ou corps d’état reste le principal outil d’accès des PME à la commande publique. D’abord, parce que son utilisation reste simple, ensuite par son application stricte et contrôlée par le juge. Les pouvoirs adjudicateurs soumis à l’ancien Code des marchés publics devaient s’y soumettre de manière systématique sauf dans des cas dérogatoires, les nouveaux textes l’étendent désormais à l’ensemble des acheteurs.

Toutefois cette consécration de l’allotissement s’accompagne de mesures particulières pour l’attribution de prestations alloties. Ainsi, l’article 32 de l’ordonnance permet à l’acheteur de laisser un candidat remettre des offres variables en fonction du nombre de lots obtenus. On comprend l’intention du législateur. Lorsque plusieurs lots sont attribués à un même titulaire certaines dépenses (comme les installations de chantier sur une opération de travaux) peuvent se voir mutualisées. Aussi est-il dans l’intérêt de l’acheteur de pouvoir bénéficier d’un prix plus compétitif qu’une attribution lot par lot stricto sensu.

Proposant une offre attractive si elles empochent plusieurs lots, le dispositif tendrait à favoriser les structures qui, ayant une assise conséquente et un spectre de compétences plus large, obtiendraient la majeure partie des lots d’une opération. Cela favorise considérablement les grandes entreprises qui peuvent proposer une offre plus basse financièrement. Reste que l’analyse des offres dans de telles situations ne va pas simplifier la tâche de l’acheteur qui souhaitera sans doute recourir à ce dispositif avec parcimonie.

Le texte (article 32 précité) prévoit toutefois que les « acheteurs peuvent limiter le nombre de lots pour lesquels un opérateur économique peut présenter une offre ou le nombre de lots qui peuvent être attribués à un même opérateur économique. » Cette disposition, qui est une application d’une décision du Conseil d’État (CE, 20 février 2013, req. n° 363656), vise expressément à empêcher que les plus grosses sociétés empochent la totalité des parts du gâteau. Elle permet, en ciblant bien le cadre de ce type de restrictions, de laisser un champ plus libre à la compétition entre entreprises plus modestes sur des lots moins importants ou à caractère innovant. Reste que le recours à ce dispositif doit faire face à la frilosité juridique des collectivités territoriales qui craignent toujours de porter atteinte à l’égalité d’accès à la commande publique.

Des règles plus souples et le développement de la dématérialisation

En second lieu, les assouplissements successifs des règles relatives au dépôt des candidatures et des offres va indubitablement faciliter la vie des petites structures, rarement en mesure d’avoir un service « appel d’offres » conséquent.

Le relèvement du seuil en deçà duquel aucun formalisme n’est requis tant pour l’acheteur que pour l’entreprise de 4.000 à 15.000 euros hors taxes puis à 25.000 euros HT aujourd’hui offre la possibilité aux petites et moyennes entreprises d’accéder à la commande publique plus facilement, sur simple acceptation de devis. Le rapport du sénateur Martial BOURQUIN, adopté le 8 octobre 2015, propose même d’élever ce seuil à 40 000 € HT d’ici 3 ans.

En 2016, cela passe par le quota de 10 % du montant des marchés de partenariat ou des concessions confiés à des PME ou des artisans (article 87 de l’ordonnance 2015-899 et 163 du décret 2016-360, article 35 du décret 2016-86 relatif aux concessions) mais également une ouverture des cas de régularisation des erreurs matérielles (article 59 du décret 2016-360) ou la faculté pour l’acheteur d’examiner les offres avant les candidatures, qui peuvent toujours être facilement complétées.

Le dossier de candidature, aussi lourd qu’il est peu déterminant dans une procédure de mise en concurrence (a fortiori une procédure adaptée) est la pierre d’achoppement d’une réforme qui vise à simplifier au maximum cet aspect.

Aussi les mécanismes du Marché Public Simplifié (MPS) et du Document Unique de Marché Européen (DUME) visent-ils à alléger les volumes des dossiers réponses et les formalités chronophages et coûteuses qui pouvaient être un frein à la candidature de PME. Pourtant le recours aux MPS reste encore très timide et si le DUME doit être obligatoirement accepté par les acheteurs en procédure formalisée, le document est victime … de sa propre lourdeur.

Pourtant, la dématérialisation des procédures simplifie les travaux à effectuer avant la transmission des dossiers à l’acheteur. Il s’agit d’un gain de temps tant au niveau des impressions que de la compilation de l’offre/candidature. En effet, le poids des dossiers couplé à l’impératif de délai imposé par les dates limites de réception des offres, permettent de réduire les frais liés aux envois postaux des petites entreprises. Si côté collectivités, les plate-formes de dématérialisation sont un outil largement maîtrisé depuis quelques années, côté PME, le dépôt d’une offre électronique reste encore une étape peu franchie.

Mais elles se mettent progressivement et trouvent de plus en plus d’intérêt à la dématérialisation de leur propre organisation (comme la facturation électronique). Ainsi, le tout « dématérialisé » loin de compliquer la tâche des PME qui surfent sur la tendance 2.0, leur permet de réduire les coûts et le temps liés à la production d’offres.

Du point de vue réglementaire, la facturation électronique ne devient obligatoire que pour les seules grandes entreprises (de plus de 5 000 salariés) au 1er janvier 2017. Mais le système est déjà mis en place depuis plusieurs années au sein des collectivités territoriales. Ainsi, la ville de Montreuil propose depuis fin 2015 une adresse électronique réservée à la transmission des factures par voie dématérialisée. De même, la Communauté d’Agglomération de Marne-la-Vallée Val Maubuée propose cette solution depuis 2014. Le dispositif étant en place pour les grandes entreprises, il l’est de fait également pour les PME, les obligations relatives à la facturation électronique des PME sont prévues pour 2019 (PME allant de 10 à 250 salariés) et 2020 (micro-entreprises de moins de 10 salariés). La transmission électronique diminue les délais de traitement, les coûts de gestion et permet d’attester de la date de transmission ce qui génère un gain sur le délai de paiement.

Malgré un dispositif réglementaire et législatif favorisant le paiement régulier des factures par les acheteurs et leur transmission par voie électronique, les PME souffrent de l’allongement des en cours de paiement. Devant user des mécanismes bancaires coûteux tels que cession de factures, nantissement, les marchés publics ne sont pas toujours suffisamment rentables.

Quant au régime des avances, les collectivités territoriales, elles-mêmes fort contraintes budgétairement, ne dépassent pas le minimum obligatoire auquel elles sont tenues (soit 5 % du montant du marché lorsqu’il dépasse 50 000 € HT).

Les intérêts moratoires sont peu réclamés et rarement versés d’emblée au premier jour de retard de paiement, l’indemnité forfaitaire de recouvrement de 40 euros par demande de paiement est rarement mise en œuvre.

Les PME craignant de devoir supporter les coûts de la commande publique peuvent se résigner à y participer. Si les outils existent, c’est sur leur utilisation que le bât blesse. Prenons l’exemple des offres anormalement basses : leur détection et leur rejet sont obligatoires et contrôlés avec attention par le juge. Ce procédé qui vise à limiter la concurrence déloyale qui va handicaper une petite structure n’ayant pas les moyens de faire du dumping, aboutit rarement au retrait d’une offre dont les prix sont fort bas. La tentation pour les soumissionnaires de proposer une offre trop basse pour empocher le marché est grande… Au risque d’être dans l’impasse pendant l’exécution et pousser l’acheteur à accepter un avenant en plus-value

Développement durable et PME : mi-figue, mi-raisin

Enfin, l’insertion de clauses et critères environnementaux et sociaux favorisent les PME locales (emploi de personnel défavorisé et Entreprises Adaptées, circuits courts pour les denrées alimentaires des cantines…). Mais gérer un quota d’heures d’insertion et être en mesure de fournir des produits bio-sourcés ou dotés d’un écolabel reste l’apanage de grosses entreprises. Ces dernières sont en mesure de proposer des produits « bio » à un prix compétitif, d’obtenir des labels grâce à un personnel qualifié… Les PME n’ont pas non plus toujours les ressources suffisantes pour obtenir de qualifications sociales (comme l’ISO 9001).

Chronique en droit des Collectivités Territoriales

 sous la direction de M. Pascal TOUHARI
Directeur de l’administration générale, Ville de Montreuil
Chargé d’enseignements à l’Université-Paris-Est-Créteil et Sciences-Po Toulouse

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Chronique Collectivités Territoriales – n°02, Art. 94.

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Droit administratif des collectivités territoriales

par Fatma BALEGH-BRETT,
Juriste droit public, Service Juridique (SJ), Ville de Montreuil
Chargée d’enseignements en droit public (Université Paris-Saclay)

Droit administratif
des collectivités territoriales

octobre 2016 – 2ème chronique
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collectivités territoriales

La sécurité juridique à double visage : le recours perpétuel ne l’est plus.
À propos de la décision CE n° 387763 du 13 juillet 2016, M. Czabaj

Art. 93. Si dans les années 2000 les services publics à double visage sont tombés en disgrâce auprès des juges, la notion de sécurité juridique apparaît, depuis cette même période, comme un Janus tantôt favorable aux administrés, tantôt à l’administration. Depuis la loi de finances du 13 avril 1900, aujourd’hui codifié à l’article R421-1 du Code de justice administrative (désormais CJA), le délai de recours pour excès de pouvoir est fixé à deux mois. Or, depuis un décret du 28 novembre 1983, codifié à l’article R421-5 du CJA, ce délai n’est pas opposable à l’administré en cas de notification irrégulière ou d’absence de notification des voies et délais de recours. Dans l’arrêt M. Czabaj  ici commenté, le Conseil d’État profite d’un recours pour excès de pouvoir exercé contre un arrêté de pension, 22 ans après sa concession, pour rejeter la requête comme tardive et pour poser en principe, malgré la lettre du code précité, qu’au terme d’un délai raisonnable fixé à un an sauf circonstances particulières, un recours contre une décision administrative n’est plus recevable, alors même que les voies et délais de recours ont été irrégulièrement notifiés.

En fixant de manière prétorienne ce délai raisonnable, le juge administratif s’inspire, comme le montrent les conclusions du rapporteur public Olivier Hemrard, de la loi de procédure administrative allemande et du droit de la fonction publique de l’Union européenne. Ce faisant, il neutralise par voie jurisprudentielle l’article R421-5 du CJA qui a valeur réglementaire. Cette position se justifie par le souci de mettre fin à l’effet d’aubaine d’une jurisprudence communautaire par trop favorable aux pensionnés masculins et qui ferait peser une charge excessive sur les deniers publics. Cette décision peut néanmoins faire l’objet de trois séries de remarques.

Une question de gestion administrative, d’abord. A priori, cette neutralisation partielle de la règle du recours perpétuel en cas de notification irrégulière des voies et délais de recours paraît constituer une mesure de souplesse bienvenue pour les administrations, déjà considérablement aidées par la standardisation des formules de notification de ces informations. Mais le bilan coût-avantages de cette souplesse nous semble pourtant négatif : pour mettre fin à un effet d’aubaine dans un domaine particulier – en l’espèce celui des bonifications de pension du fait de l’éducation d’enfants –, le juge semble donner une prime générale à la négligence administrative et générer une inégalité, puisqu’en matière de recours pour excès de pouvoir le ministère d’avocat – bien que non obligatoire – s’impose pour qui peut y recourir, les requérants les plus précaires se retrouvant alors seuls dans les méandres du contentieux administratif.

Une question de cohérence et d’agencement des normes, ensuite. Le Conseil d’État fait directement découler « du principe de sécurité juridique » – principe général du droit (désormais PGD) en droit interne depuis la décision KPMG de 2006 – la règle de l’interdiction des recours perpétuels d’une décision mal notifiée (considérant 5) pour en déduire, ensuite, une « règle » de délai raisonnable buttoir (considérants 5 et 6). Le Professeur Rolin en conclut donc qu’il ne s’agit que d’une règle générale de procédure a valeur supplétive pouvant par conséquent être écartée par un texte réglementaire spécial. Mais la Haute juridiction semble plutôt avoir dégagé ici une règle tellement arrimée au principe de sécurité juridique qu’il paraît en pratique difficile au pouvoir réglementaire d’y déroger, le juge ayant seulement calibré la valeur de la norme aux nécessités contentieuses de l’affaire. Si une règle générale de procédure appert dans cette décision, ce serait plutôt celle de la durée du délai (un an), qui peut évoluer au gré des espèces, le principe même d’un délai raisonnable ayant, selon nous, une valeur supérieure au règlement.

Quelque soit la valeur de la norme, cette dernière ne saurait toutefois suffire à déroger à une disposition législative qui prévoirait une règle similaire d’inopposabilité : s’il s’agit d’une simple règle générale de procédure, elle est impuissante à déroger à la loi ; et s’il s’agit d’une nouvelle déclinaison du PGD de sécurité juridique, alors le juge devra élever cette norme au rang de principe conventionnel qui viendrait, non pas comme d’ordinaire accroître le droit au recours – comme c’était le cas pour le principe posé en 1950 par l’arrêt Dame Lamotte, un des rares exemples de PGD contra legem –, mais en restreindre l’exercice. La question reste donc posée du sort de l’article L112-6 du Code des relations entre le public et l’administration (désormais CRPA), qui codifie l’article 19 de la loi dite DCRA du 12 avril 2000, et qui dispose : « Les délais de recours ne sont pas opposables à l’auteur d’une demande lorsque l’accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la réglementation. » D’où la nécessité d’une intervention du législateur pour confirmer ou infirmer cette jurisprudence et ainsi harmoniser les solutions car, si l’article R421-5 est bien neutralisé à l’heure actuelle, l’article L112-6 du CRPA ne l’est pas.

Enfin, la dernière question qui pourrait se poser est relative à l’extension probable d’une telle jurisprudence. Cette extension est susceptible de prendre deux directions : elle pourrait être personnelle, puisque la décision commentée ne concerne que les destinataires des décisions individuelles et non les tiers ; pour ces derniers la nouvelle jurisprudence serait paradoxalement profitable, car ils ne bénéficient pas, sauf textes particuliers (par exemple article R424-15, R602-2 et A424-17 du Code de l’urbanisme) de l’équivalent de l’article R421-5. Cette extension aux tiers a été proposée par le rapporteur public et rejetée par la formation de jugement. L’extension pourrait être aussi matérielle et concerner non seulement le recours pour excès de pouvoir, mais également le plein contentieux. Elle pourrait enfin concerner les recours administratifs préalables, qu’ils soient ou non obligatoires : la question se posera alors de savoir si cette exigence de délai raisonnable inclut ou non cette phase parfois précontentieuse. Mais l’extension matérielle demeurera néanmoins limitée puisque la décision commentée ne concerne pas les actes réglementaires, dont la publication est facile à prouver et contre lesquels le recours par voie d’action est en principe fermé au bout de deux mois, sachant que les recours par voie d’exception ou contre les refus d’abroger restent quant à eux possibles à tout moment.

En tout état de cause, des précisions jurisprudentielles s’imposent a minima, s’agissant d’une « règle » que le Conseil d’État a décidé d’appliquer immédiatement malgré l’atteinte effective qu’elle porte à l’exercice, sinon à la substance, du droit au recours. Mais l’on peut surtout souhaiter une intervention du législateur, qu’on peut espérer plus prompt à réagir qu’il ne l’a fait en 2015 s’agissant des délais de retrait et d’abrogation, jusqu’alors laissés, depuis 1922, à l’appréciation presque exclusive de la jurisprudence.

Chronique en droit des Collectivités Territoriales

 sous la direction de M. Pascal TOUHARI
Directeur de l’administration générale, Ville de Montreuil
Chargé d’enseignements à l’Université-Paris-Est-Créteil et Sciences-Po Toulouse

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Chronique Collectivités Territoriales – n°02, Art. 93.

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ParJDA

TA de Toulouse, conclusions DUBOIS sur la requête n°1203445 (audience du 21 janvier 2016)

Art. 59.

Un commentaire de la présente décision & de ses conclusions se trouve en ligne ici.

N°1203445 – Mme Nanette GLUSHAK

Audience du 21 janvier 2016

Lecture du 18 février 2016

Rapporteur : C. Kanté

Rapporteur public : D. Dubois

fr-tls

CONCLUSIONS

Née aux Etats-Unis en 1951, Mme Nanette Glushak, dont le prénom renvoie inévitablement à l’une des plus belles chansons de la comédie musicale américaine, Tea for two, a appris l’art de la danse à la prestigieuse School of American Ballet, fondée en janvier 1934 à New York par George Balanchine et Lincoln Kirstein. A l’âge de seize ans à peine, elle rejoint la troupe du New York City Ballet sur l’invitation de George Balanchine. En 1970, elle devient membre de l’American Ballet Theatre, autre compagnie new-yorkaise, plus ancienne, et non moins célèbre, où Mme Glushak est promue soliste en 1972. Elle danse les rôles principaux des plus grandes œuvres du répertoire : Le Lac des Cygnes, La Bayadère,[1] La Belle au bois dormant,[2] Don Quichotte[3], La Fille mal gardée,[4] Giselle,[5] Coppélia,[6] La Sylphide.[7]

A partir de 1983, elle co-dirige le Fort Worth Ballet, situé au Texas, et dirige également l’école attachée à cette compagnie, avec son époux, Michel Rahn, danseur issu de l’Opéra de Lyon.

Puis, à partir de 1987, Nanette Glushak remonte le répertoire de Balanchine, qui est décédé quatre ans plus tôt à New York, ainsi que le répertoire classique, et est invitée en tant que professeur dans de nombreuses compagnies étrangères, parmi lesquelles le Royal Ballet d’Angleterre, le Ballet du Deutsche Opera de Berlin, le Ballet de la Scala de Milan mais également des compagnies françaises, telles que le Ballet National de Marseille, le Ballet de l’Opéra de Lyon, et le Ballet du Grand Théâtre de Bordeaux.

En 1989, elle est engagée comme directrice artistique du Scottish Ballet à Glasgow, puis elle est recrutée par la commune de Toulouse comme directrice de la danse et chorégraphe du ballet du Théâtre du Capitole en septembre 1994, par le biais d’un contrat à durée déterminée régi par le décret n°88-145 du 15 février 1988 relatif aux agents non-titulaires de la fonction publique territoriale. Notons au passage que son époux, M. Rahn, est alors également recruté comme maître de ballet.

Vous le savez, le ballet, au même titre que le théâtre et l’orchestre du Capitole sont directement gérés, en régie, par la ville de Toulouse, et leur activité constitue un service public administratif, ainsi que l’a jugé au moins deux fois le Tribunal des Conflits avant qu’il ne simplifie grandement la jurisprudence en la matière par l’arrêt Berkani (cf. à propos de deux danseuses du ballet : TC, 15 janvier 1979, Dames Le Cachey & Guiguère et autres c/ Ville de Toulouse, n°2106, en A sur ce point[8], ccl. Morisot ; TC, 22 novembre 1993, Martinucci c/ Ville de Toulouse, n°2879, en A sur ce point[9]).

Précisons toutefois, en passant, que le contrat par lequel une collectivité publique gérant un service public administratif et agissant en qualité d’entrepreneur de spectacle vivant, engage un artiste du spectacle en vue de sa participation à un tel spectacle, est présumé être un contrat de travail soumis aux dispositions du code du travail (cf. TC, 6 juin 2011, Mme Bussière-Meyer c/ Communauté de l’agglomération belfortaine, n°3792, en A sur ce point[10] ; TC, 17 juin 2013, Mme Olteanu c/ Ville de Saint-Etienne, n°3910[11]).

Le contrat de Mme Glushak répondait quant à lui à un besoin permanent et a été régulièrement renouvelé, de sorte qu’il a été transformé en contrat à durée indéterminée, le 14 décembre 2005, avec effet rétroactif à la date du 27 juillet 2005, conformément à l’article 15-II de la loi n°2005-843 du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique. Pour rappel, ces dispositions imposaient aux employeurs publics la transformation d’un contrat à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée lorsqu’au 1er juin 2004 ou au plus tard au terme du contrat en cours, soit le 31 août 2005 s’agissant de Mme Glushak, l’agent non-titulaire concerné était âgé d’au moins cinquante ans, était en fonction, justifiait d’une durée de services effectifs au moins égale à six ans au cours des huit dernières années, et assuraient, notamment, des fonctions pour lesquelles il n’existe pas de cadres d’emploi de fonctionnaire.

            Toutefois, lors de la séance du conseil municipal du 21 janvier 2011, le maire de Toulouse a annoncé la nomination de M. Kader Belarbi, ancien danseur étoile de l’Opéra de Paris, comme directeur de la danse du Théâtre du Capitole en remplacement de Mme Glushak. Un premier contrat ayant été signé le 12 janvier 2011, M. Belarbi a pris ses fonctions dès le 1er février 2011. Ce n’est qu’un an plus tard que le maire de Toulouse a convoqué Mme Glushak pour un entretien préalable à son licenciement, et l’a ensuite licenciée par décision du 13 février 2012.

Par la présente requête, Mme Glushak vous demande d’annuler cette décision et de condamner la commune de Toulouse à lui verser une indemnité de 180.000 euros en réparation de ses préjudices financiers et moraux.

*****

L’administration peut toujours licencier un agent non-titulaire pour des motifs tirés de l’intérêt du service. C’est là la principale question posée par ce litige, d’autant plus délicate en l’espèce que les activités artistiques telles que celles qui peuvent être confiées à un directeur de la danse, chorégraphe, sont intimement liées, non pas à la personnalité, mais à la personne même, de celui qui occupe ces fonctions. La ville de Toulouse a recruté Mme Glushak, non seulement en raison de ses compétences techniques et pédagogiques dans le domaine de la danse, mais également, du moins peut-on légitimement le penser, en raison de sa notoriété et de son influence dans ce milieu artistique. Pour autant, le contrat de Mme Glushak n’était pas un emploi discrétionnaire, qui aurait permis à son employeur de la révoquer ad nutum, c’est-à-dire, rappelons l’étymologie, sur un signe de tête. La requérante n’était donc pas placée dans une situation comparable à celle des fonctionnaires territoriaux occupant des emplois de cabinet, ou encore des emplois fonctionnels, qui sont strictement et limitativement énumérés par les textes.

C’est pourquoi il nous paraît opportun de rappeler dans quels cas un employeur public peut se séparer d’un agent contractuel de droit commun, conformément à l’intérêt du service.

La première hypothèse qui vient immédiatement à l’esprit, mais qui ne correspond pas au cas qui nous occupe aujourd’hui, est celle de la suppression de l’emploi, notamment pour des raisons budgétaires (cf. par ex. pour la suppression de 15 postes de danseurs de l’opéra de Marseille : CE, 13 octobre 1997, Gardi, n°161957).

Le second motif de licenciement dans l’intérêt du service tient à la réorganisation de celui-ci. A titre d’exemple, le maire de Pantin avait pu licencier un professeur de musique du conservatoire municipal en raison de la réorientation des cours d’esthétique et de théâtre musical assurés par l’intéressé, compte tenu d’une réorganisation qui avait pour objet, d’une part, de permettre l’exécution d’œuvres musicales dans le cours d’esthétique en confiant ce cours à un professeur instrumentiste, et d’autre part, d’assurer la formation de chanteurs comédiens dans le cours de théâtre musical en confiant ce cours à un professionnel du théâtre. Le Conseil d’Etat, qui a noté qu’il ne lui appartenait pas d’apprécier l’opportunité de cette réorganisation, a simplement constaté qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier, que l’agent concerné, qui n’était pas instrumentiste, ait possédé les qualifications désormais demandées par la commune (cf. CE, 17 janvier 1986, Tapie, n°52628).[12]

Troisième possibilité qui a fait l’objet d’un arrêt topique : l’employeur public peut mettre fin à la relation contractuelle en cas d’inadaptation de l’artiste aux besoins du service public culturel, sans que celui-ci n’ait connu de changement particulier d’organisation. Ainsi, à propos d’un danseur soliste à l’opéra de Lyon qui n’était plus choisi par les chorégraphes invités depuis quatre ans (au motif, justement, d’une prétendue incapacité à adopter une forme d’expression contemporaine de la danse)[13], danseur qui n’avait participé depuis trois ans qu’à une seule tournée en qualité de remplaçant au cours de laquelle il n’avait pas dansé et qui n’avait, depuis lors, été sélectionné pour aucune création, le Conseil d’Etat a jugé que ces faits ne caractérisaient pas une insuffisance professionnelle mais une inadaptation aux besoins du théâtre, pouvant le cas échéant justifier le non renouvellement du contrat à durée déterminée qui liait le danseur à l’opéra de Lyon lors de ses échéances (cf. CE, 29 juillet 1994, Ville de Lyon, n°133701, en B sur ce point).

Enfin, les motifs d’éviction peuvent résulter plus classiquement d’une faute disciplinaire ou d’une insuffisance professionnelle imputable à l’agent concerné. Il s’agit là de motifs qui, s’ils ne sont pas directement tirés de l’intérêt du service, ne lui sont pas, bien évidemment, étrangers, selon la formule de la jurisprudence (cf. CE, 13 mars 1968, Commune de Malaussène, n°68999, en A sur cette question[14] ; CE, 12 mars 1975, Ville de Pau, n°91151, en A sur ce point[15]).

*****

            En l’espèce, la décision attaquée du 13 février 2012 est motivée par la circonstance que Mme Glushak n’aurait pas su s’adapter aux nouveaux objectifs fixés par le directeur artistique du théâtre du Capitole dans le cadre du changement de projet culturel de la ville de Toulouse depuis 2008, à savoir l’introduction d’une modernité dans le ballet du Capitole, impliquant une nouvelle direction artistique se traduisant par l’ouverture du répertoire à des chorégraphes contemporains, et par des partenariats avec l’environnement local dans le domaine de la danse, croisements des genres et des styles par le biais de cours publics, de performances, etc.

Puis, le maire de Toulouse a reproché à Mme Glushak de ne pas avoir souhaité engager sa troupe de ballet vers un répertoire autre que néoclassique, de s’être opposée à toutes les ouvertures du ballet sur l’environnement local, d’où une mauvaise implication des danseurs lors des différentes éditions de la manifestation « Osons danser » et de la lecture-démonstration avec l’association de danse hip-hop le CACDU.

Le maire reprochait également à la requérante une perte de notoriété du Ballet du Capitole, qui s’est traduite par une diminution des propositions de tournées nationales et internationales.

Enfin, le maire a estimé que le fait pour Mme Glushak de mener des missions régulières comme maîtresse de ballet auprès d’autres troupes en France et à l’étranger n’était pas compatible avec l’investissement requis par ses fonctions toulousaines.

*****

D’emblée, nous vous proposerons d’écarter ce motif tiré de l’incompatibilité des fonctions de Mme Glushak comme maîtresse de ballet accréditée auprès du Banlanchine Trust avec ses fonctions de directrice de la danse du Théâtre du Capitole. Car s’il est vrai que l’article 25 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires oblige les fonctionnaires et les agents non titulaires de droit public à consacrer l’intégralité de leur activité professionnelle aux tâches qui leur sont confiées et ne peuvent, en principe, exercer à titre professionnel une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit, les mêmes dispositions prévoient que les agents publics peuvent être autorisés à exercer à titre accessoire, une activité, qu’elle soit ou non lucrative, auprès d’une personne ou d’un organisme public ou privé, dès lors que cette activité est compatible avec les fonctions qui leur sont confiées et n’affecte pas leur exercice.

En particulier, le décret n°2007-658 du 2 mai 2007 relatif au cumul d’activités, notamment, des agents non-titulaires de droit public, prévoit, parmi les activités accessoires susceptibles d’être autorisées l’enseignement et la formation, ainsi que les activités à caractère sportif ou culturel.

En l’espèce, le contrat conclu avec Mme Glushak prévoyait expressément que l’intéressée pourrait exercer des activités extérieures à celles du Théâtre du Capitole après autorisation du directeur artistique. Par suite, si les absences régulières de Mme Glushak liées à ses fonctions de répétitrice du Balanchine Trust nuisaient à l’intérêt du service, il suffisait au directeur artistique d’y mettre fin conformément aux termes du contrat, sans qu’il fût pour autant besoin de la licencier. D’ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’antérieurement à l’annonce de la nomination de M. Belarbi, la ville de Toulouse ait fait un quelconque reproche à Mme Glushak sur ce sujet et ait entendu remettre en cause ses activités accessoires.

Le deuxième motif qui nous paraît également fragile est tiré de la perte de notoriété du ballet, ainsi qu’en attesterait la diminution des propositions de tournées nationales et internationales de la part de Mme Glushak.

Tout d’abord, il n’est pas contesté que Mme Glushak a satisfait aux exigences de la nouvelle municipalité de doubler le nombre de représentations du ballet en trois saisons, et de proposer pour chaque saison, six programmes au lieu de quatre. Dans le même temps, Mme Glushak explique très logiquement la diminution des tournées en 2009 et en 2010 par cette augmentation concomitante de l’activité du ballet, mais également par une diminution du budget alloué au Ballet. Toutefois, sans entrer dans le détail de ces explications qui sont contestées par le défendeur, il vous suffira de jeter un œil sur le récapitulatif des tournées du Ballet du Capitole produit par la requérante, pour constater que le nombre des tournées entre 1998 et 2010 a été très variable d’une année sur l’autre. Ainsi, en 1998 comme en 2010, le Ballet ne s’est produit qu’une seule fois, en province, et une seule fois en 2011, à Pampelune, contre 5 fois en 2009, et 24 fois en 2008, notamment à Catane en Sicile. En moyenne, sur la période, le nombre de représentations en tournées est de 9 par an, et le nombre de localités visitées par le Ballet est de sept par an. Par suite, compte tenu à la fois du rythme aléatoire des tournées et du nombre très important de tournées en 2008, avec 15 localités visitées, il ne nous semble pas que le seul nombre de tournées en 2009, 2010 et 2011 fasse la démonstration d’une perte de notoriété du Ballet du Capitole.

Surtout, Mme Glushak était chargée, aux termes de son contrat, du fonctionnement et de la programmation du Ballet du Capitole, « sous l’autorité et avec l’accord du directeur artistique ». Ainsi, il n’est pas allégué par le défendeur que la nouvelle municipalité aurait fixé à Mme Glushak un objectif chiffré de tournées à atteindre, ni même que la direction artistique aurait demandé à l’intéressée de prévoir davantage de tournées pour 2009 et 2010, et que Mme Glushak aurait été incapable de réaliser cet objectif faute pour le Ballet du Capitole et, indirectement, de sa chorégraphe et directrice, d’être suffisamment côtés sur le marché, si vous nous permettez l’expression, mais c’est bien de cela qu’il s’agit.

 Restent alors en débat les deux motifs tirés d’une part, d’une divergence esthétique quant aux choix de programmation, d’autre part, d’un refus de Mme Glushak de faire coopérer le Ballet du Capitole avec des acteurs locaux.

Au soutien de cette décision, vous disposez de deux attestations, non datées, du directeur artistique du théâtre du Capitole, qui indiquent, pour la première, que Mme Glushak n’a pas su s’adapter à la volonté d’élargissement du projet artistique du Ballet du Capitole à d’autres esthétiques que le ballet académique et la danse néoclassique, pour la seconde, que l’intéressée n’a pas souhaité établir des passerelles avec d’autres institutions ou associations toulousaines intervenant dans le domaine de la danse.

Toutefois, dans le premier cas, le défendeur ne produit aucun autre document susceptible d’établir que des directives précises auraient été données à Mme Glushak pour encadrer son pouvoir de proposition sur l’esthétique des spectacles à programmer.

Certes, la commune de Toulouse tente bien de vous convaincre que la nouvelle municipalité issue des urnes en 2008 a souhaité imprimer sa marque dans le domaine culturel en bâtissant un nouveau projet fondé sur quatre objectifs : donner l’envie de culture à tous les Toulousains, miser sur l’avenir et l’innovation culturelle, inscrire la culture au centre du développement urbain durable et imaginer la culture ensemble.

Toutefois, il s’agit d’un document aux termes très généraux, dont il n’est aucunement démontré qu’il a fait l’objet d’une déclinaison concrète au sein du Ballet du Capitole. Rappelons, là encore, que s’il incombait à Mme Glushak d’être force de proposition, le choix définitif de la programmation incombait au directeur artistique. Ainsi, la commune de Toulouse reproche à Mme Glushak, en dépit des demandes en ce sens de M. Chambert, directeur artistique, de ne pas avoir souhaité programmer le ballet Les forains, qui a été créé pour la première fois en 1945 par le chorégraphe Roland Petit, sur une musique du compositeur bordelais Henri Sauguet, ou encore de ne pas avoir souhaité collaborer avec tel ou tel chorégraphe contemporain : Angelin Preljocaj, Jean-Claude Gallotta, Inbal Pinto, Pina Bausch, etc, mais également des chorégraphes toulousains, comme Pierre Rigal, Aurélien Bory ou Heddy Maalem.

Mais de deux choses l’une : soit ces demandes ont fait l’objet de directives précises de la part du directeur artistique, et dans ce cas, Mme Glushak a refusé de s’y conformer, ce qui ne révèle pas une inaptitude de sa part à l’évolution du service culturel, mais un refus d’obéissance passible d’une faute disciplinaire, ce qui n’est aucunement allégué. Soit, et c’est plutôt ce que nous déduisons à la lecture des pièces du dossier, il s’agissait plutôt de recommandations informelles de la part du directeur artistique, et Mme Glushak a purement et simplement continué, pour les années 2008 à 2010, de proposer une programmation avec l’autonomie que lui conféraient, non seulement les termes de son contrat, mais également une ancienneté dans le poste de près de quinze ans, avec la circonstance non-contestée que la programmation proposée par Mme Glushak rencontrait l’adhésion d’un public toulousain important, ainsi que le notait M. Chambert lui-même dans l’une des attestations.

Vous noterez en passant que le défendeur ne produit aucune fiche d’évaluation qui formaliserait des objectifs que l’autorité territoriale aurait assignés à Mme Glushak dans le cadre de son activité professionnelle.

En conséquence, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme Glushak aurait été incapable d’aborder d’autres esthétiques que l’esthétique classique ou néo-classique et de modifier la programmation du Ballet du Capitole en vue de l’ouvrir à la danse dite contemporaine, si une demande formelle de la part de son employeur lui avait été faite en ce sens.

S’agissant du dernier motif, de coloration disciplinaire, tiré de ce que Mme Glushak aurait fait preuve d’une forte résistance à l’égard du second axe d’évolution que la nouvelle municipalité aurait décidé, la requérante ne conteste pas qu’il lui avait été demandé d’associer le ballet du Capitole à des acteurs locaux évoluant notamment dans le hip-hop ou la danse moderne en vue de réaliser des projets communs.

La commune fait ainsi état du désintérêt de la requérante pour la mise en place du projet « Place de la Danse » en juin 2011, événement auquel elle n’aurait pas assisté. Vous noterez toutefois qu’à cette date, M. Belarbi était déjà directeur de la danse « désigné » depuis presque six mois, de sorte que l’absence de Mme Glushak est aisément compréhensible, et ne saurait justifier une sanction telle qu’une exclusion définitive du service.

Le défendeur fait également valoir que Mme Glushak n’a jamais pris l’initiative d’associer le Ballet du Capitole à des actions de sensibilisation conduites par le Théâtre du Capitole dans les quartiers défavorisés, ou d’avoir limité une rencontre artistique organisée le 23 mars 2010 entre les danseurs du Ballet et ceux de la compagnie de hip-hop du centre d’art chorégraphique des danses urbaines à deux présentations successives en lieu et place d’un spectacle commun.

Toutefois, là encore, il ne ressort pas des pièces du dossier que des instructions précises avaient été données à Mme Glushak en ce sens.

Enfin, si le maire de Toulouse reprochait également à Mme Glushak la mauvaise implication des danseurs lors des différentes éditions de la manifestation « Osons danser », la requérante soutient sans être contestée en défense que ce projet avait été mis en place par M. Belarbi dès le début, soit en janvier 2010, et que Mme Glushak n’avait pas même été informée de la participation de certains des danseurs du Ballet à ces actions, de sorte que ceux-ci ont été effectivement indisponibles pour l’une des représentations de ce spectacle.

En conséquence, il ne nous semble pas que la commune de Toulouse établisse que l’éviction de Mme Glushak au profit de M. Belarbi aurait été justifiée par des motifs tirés de l’intérêt du service, et vous annulerez la décision attaquée.

*****

Vous le savez, en vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu’il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l’illégalité commise présente, compte tenu de l’importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l’encontre de l’intéressé, un lien direct de causalité. Pour l’évaluation du montant de l’indemnité due, doit être prise en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l’intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l’exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser les frais, charges ou contraintes liés à l’exercice effectif des fonctions. Enfin, vous devez déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations que l’agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d’éviction (cf. CE, 6 décembre 2013, Commune d’Ajaccio, n°365155, en A sur ce point).

Or en l’espèce, si Mme Glushak vous demande de condamner son ancien employeur à lui verser la somme de 80.000 euros au titre de la diminution de ses revenus, elle n’établit ni le montant des allocations de retour à l’emploi qu’elle aurait perçues, le cas échéant, ni surtout, que son licenciement ne lui a pas permis d’exercer ses activités artistiques, notamment au titre du Balanchine Trust, beaucoup plus librement qu’elle ne pouvait le faire lorsqu’elle était liée au Ballet du Capitole, et donc de manière bien plus lucrative. En bref, la requérante n’établit aucunement la réalité de ce préjudice financier.

En revanche, s’agissant du préjudice moral, que Mme Glushak évalue à 100.000 euros, il est difficilement contestable, eu égard à la durée indéterminée du contrat dont Mme Glushak était bénéficiaire, compte tenu également de son ancienneté lors de son licenciement et de son âge, mais aussi et surtout, compte tenu de la nature de ses fonctions. Ainsi, au regard d’une décision du Conseil d’Etat qui a octroyé, en tant que juge du fond, une indemnité de 300.000 francs, soit plus de 45.000 euros, à raison du préjudice moral et professionnel occasionné à un musicien de l’orchestre philarmonique des Pays-de-Loire, irrégulièrement évincé de son contrat à durée indéterminée après vingt ans de bons et loyaux services, nous vous proposons de limiter l’indemnisation de Mme Glushak, qui n’a invoqué qu’un préjudice moral, à la somme de 20.000 euros (cf. CE 8 novembre 2000, Thévenet, n°200835, en A mais pas sur ce point[16] ; cf. également : CE, 26 juin 1989, Ville d’Aix-en-Provence, n°99763[17] : 1.500 euros pour une directrice de crèche en CDI depuis deux ans).

*****

Par ces motifs, nous concluons :

  • A l’annulation de la décision de licenciement de Mme Glushak en date du 13 février 2012 ;
  • A ce que vous condamniez la commune de Toulouse à verser à Mme Glushak la somme de 20.000 euros en réparation de son préjudice moral ;
  • Au rejet du surplus des conclusions indemnitaires ;
  • Et dans les circonstances de l’espèce, à ce que soit mise à la charge de la commune de Toulouse la somme de 1.200 euros au titre des frais exposés par la requérante et non compris dans les dépens.

 Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; Art. 59.

[1] Ballet chorégraphié par Marius Petipa sur une musique de Léon Minkus, créé en 1877 au Théâtre du Bolchoï de Saint-Pétersbourg.

[2] Ballet chorégraphié par Petipa sur une musique de Tchaïkovski, créé en 1890 au Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg.

[3] Ballet chorégraphié par Petipa sur une musique de Minkus, créé en 1869 au Théâtre du Bolchoï de Saint-Pétersbourg.

[4] Ballet créé en 1789 par Jean Bercher, dit Dauberval, au Grand Théâtre de Bordeaux.

[5] Ballet créé en 1841 à l’Académie royale de musique (actuellement l’Opéra de Paris), chorégraphié par Jean Coralli & Jules Perrot, sur une musique d’Adolphe Adam.

[6] Ballet d’Arthur Saint-Léon, sur une musique de Léo Delibes, créé en 1870 à l’Opéra de Paris.

[7] Ballet créé en 1832 par Filippo Taglioni à l’Opéra de Paris, sur un livret d’Adolphe Nourrit et une musique de Jean Schneitzhoeffer.

[8] « CONSIDERANT QUE MME LE CACHEY ET MME GUIGUERE, QUI AVAIENT ETE ENGAGEES PAR LA VILLE DE TOULOUSE EN QUALITE DE DANSEUSES DU CORPS DE BALLET DU THEATRE MUNICIPAL DU CAPITOLE SUIVANT CONTRATS SUCCESSIVEMENT PASSES POUR CHAQUE SAISON LYRIQUE DE 1972 A 1977, ONT ATTRAIT LADITE VILLE DEVANT LE CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE TOULOUSE EN VUE D’OBTENIR PAIEMENT DE DIVERSES INDEMNITES POUR LICENCIEMENT ET RUPTURE ABUSIVE DE LEURS CONTRATS DE TRAVAIL ; QUE M. FEGELE, ENGAGE PAR LA MEME COLLECTIVITE PUBLIQUE SUIVANT CONTRAT DU 10 JUILLET 1974 EN QUALITE DE MUSICIEN DE L’ORCHESTRE REGIONAL DU CAPITOLE, A SAISI LA MEME JURIDICTION D’UNE DEMANDE EN PAIEMENT D’UN RAPPEL DE SALAIRES ; CONS. QUE LA VILLE DE TOULOUSE QUI, PAR L’ORGANISATION ET LA GESTION DU THEATRE MUNICIPAL ET DE L’ORCHESTRE REGIONAL DU CAPITOLE, ASSUME UNE MISSION DE SERVICE PUBLIC, LA REMPLIT DANS DES CONDITIONS EXCLUSIVES DE TOUT CARACTERE INDUSTRIEL OU COMMERCIAL ; QUE LE PERSONNEL ARTISTIQUE ENGAGE PAR ELLE POUR ASSURER LES ACTIVITES DE CES THEATRES ET ORCHESTRE PARTICIPE DIRECTEMENT A L’EXECUTION DUDIT SERVICE PUBLIC ; QUE, DES LORS, LES LITIGES CONCERNANT L’EXECUTION OU LA RUPTURE DES CONTRATS PASSES ENTRE LA VILLE DE TOULOUSE, MME LE CACHEY ET MME GUIGUERE ET M. FEGELE SONT DE LA COMPETENCE DES TRIBUNAUX ADMINISTRATIFS ; (CONFIRMATION DE L’ARRETE DE CONFLIT). »

[9] « Est administratif le contrat passé entre une ville, qui assure la mission de service public consistant en l’organisation et la gestion du théâtre municipal, et les artistes, quels que soient le nombre de leurs représentations et leur mode de rémunération. »

[10] « 1) Il résulte des dispositions spécifiques des articles L. 620-9 et L. 762-1 du code du travail et 1-1 de l’ordonnance n° 45-2339 du 13 octobre 1945 relative aux spectacles que le contrat par lequel une collectivité publique gérant un service public administratif et agissant en qualité d’entrepreneur de spectacle vivant engage un artiste du spectacle en vue de sa participation à un tel spectacle, est présumé être un contrat de travail soumis aux dispositions du code du travail. / 2) Si, par l’organisation et la gestion d’un festival, la communauté d’agglomération a assumé une mission de service public et l’a remplie dans des conditions exclusives de tout caractère industriel ou commercial, les contrats par lesquels elle s’est assurée, comme entrepreneur de spectacles vivants, de la participation d’un musicien à des concerts, sans que cette participation puisse être regardée comme constituant soit une obligation de service hebdomadaire incombant à celui-ci en application du statut particulier de son cadre d’emplois, soit l’accessoire nécessaire d’une telle obligation, dès lors que ces concerts n’avaient pas pour objet de lui permettre, avec ses élèves, de pratiquer la musique en public pour valoriser l’enseignement dispensé, entrent dans le champ des dispositions précitées. Par suite, le litige relatif au montant des salaires réclamés au titre de l’exécution de ces contrats relève de la compétence du juge judiciaire. »

[11] « Considérant que si, par l’intermédiaire de son orchestre symphonique, la commune de Saint-Etienne assume une mission de service public et la remplit dans des conditions exclusives de tout caractère industriel ou commercial, les contrats par lesquels elle s’est assurée en qualité d’entrepreneur de spectacles vivants la participation de Mme Olteanu à des concerts, en tant que violoniste, entrent dans le champ des dispositions ci-dessus rappelées ; que, dès lors, le litige relatif aux obligations de l’employeur découlant de tels contrats relève de la compétence du juge judiciaire ; »

[12] « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que M. X…, professeur non titulaire au conservatoire municipal de musique de Pantin, a été licencié par décision du 1er juillet 1982 du maire de Pantin en raison de la réorientation des cours d’esthétique et de théâtre musical assurés par l’intéressé ; que cette réorganisation avait pour objet de permettre l’exécution d’oeuvres musicales dans le cours d’esthétique en confiant ce cours à un professeur instrumentiste et d’assurer la formation de chanteurs comédiens dans le cours de théâtre musical en confiant ce cours à un professionnel du théâtre ; qu’il n’appartient pas au juge administratif d’apprécier l’opportunité de cette réorganisation ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier, que M. X…, qui n’est pas instrumentiste, ait possédé les qualifications désormais demandées par la commune, qu’il ait été remplacé pour le cours d’esthétique par un professeur non instrumentiste, ou qu’il ait été licencié en raison de sa participation aux mouvements de grève qui ont précédé la réorganisation du conservatoire pour des motifs étrangers à l’intérêt du service ; que, par suite, M. X… n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du maire de Pantin prononçant son licenciement. »

[13] Cf. CAA Lyon, 28 avril 2000, n°96LY01864, en A.

[14] « Secrétaire de mairie stagiaire, licenciée pour insuffisance professionnelle, soutenant qu’elle a été en réalité licenciée pour des motifs politiques. La requérante qui s’est vu interdire l’accès de son bureau depuis le renouvellement de la municipalité, et dont le mari a été également licencié par le nouveau maire, doit être regardée, en l’absence de contestation de ces faits par la commune, comme ayant été en réalité licenciée pour des motifs étrangers à   l’intérêt du service. Confirmation du jugement ayant annulé l’arrêté de licenciement. »

[15] « Appel formé par une commune contre un jugement annulant le licenciement d’un agent municipal. La commune avait invoqué devant le tribunal administratif un ensemble de griefs précis, sur lesquels l’intéressé avait fourni des justifications circonstanciées et convaincantes. Elle n’a opposé à celles-ci aucun argument, se bornant à affirmer que le licenciement serait intervenu, en vertu du pouvoir discrétionnaire du maire, pour insuffisance professionnelle.   La décision ayant été prise en réalité pour des motifs étrangers à l’intérêt du service, rejet de la requête. »

[16] «   Considérant que la délibération du comité du syndicat mixte prévoyant la  suppression progressive des emplois à temps incomplet au sein de  l’orchestre, en application de laquelle a été prise la décision de  licencier M. THEVENET, a été annulée par le juge administratif pour un  motif tiré du vice de la procédure précédant l’adoption de la délibération  annulée, qui résultait du défaut de consultation du comité technique  paritaire ; que, par ailleurs, M. THEVENET a perçu une indemnité de  licenciement équivalant à un an de traitement qui constitue la réparation  normale de la rupture d’un contrat à durée indéterminée ; que toutefois,  il est en droit de prétendre à la réparation du préjudice financier,  professionnel et moral que lui a causé la faute résultant de  l’irrégularité de la délibération dont procède la décision de le  licencier ; que si M. THEVENET est fondé à invoquer l’existence d’un  préjudice financier, il ne peut pas pour autant prétendre, en l’absence de  service fait, au versement de sa rémunération pendant la période qu’il  invoque ; que l’intéressé, compte tenu des liens existant entre l’exercice  des fonctions de professeur de musique et celles de musicien, est  également fondé à invoquer le préjudice professionnel que lui a causé son  éviction de l’orchestre ; que l’intéressé enfin, compte tenu de sa  réputation de musicien, est fondé à invoquer le préjudice moral que lui a  causé cette même éviction ; / Considérant qu’il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par  M. THEVENET à raison de son licenciement en fixant l’indemnité qui lui est  due, en sus de l’indemnitéde licenciement de 160 722,78 F qu’il a perçue,  à 300 000 F, tous intérêts compris ; que, dans cette mesure, le syndicat  mixte est fondé à demander la réformation du jugement attaqué tandis que  la requête de M. THEVENET doit être rejetée ; »

[17] «   Considérant, enfin que le tribunal administratif n’a pas fait une  évaluation exagérée du préjudice moral que la mesure de licenciement a  causé à Mme Biètry, en condamnant, pour ce chef de préjudice, la VILLE  D’AIX-EN-PROVENCE à verser à l’intéressée une indemnité de 10 000 F ; »

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La décentralisation de l’état d’urgence

par Nicolas KADA
Professeur de droit public
Directeur du CRJ (Université Grenoble Alpes) et du GRALE (GIS CNRS)

La décentralisation de l’état d’urgence :
les collectivités territoriales face à la menace terroriste

Art. 31. Avec la déclaration d’état d’urgence, les décisions prises par les préfets de département, qui visent à restreindre ou à interdire la circulation des personnes et des véhicules sur des parties du territoire départemental, à limiter l’accès à certains bâtiments publics, à interdire ou limiter les manifestations publiques ou encore à fermer certains lieux publics en raison des graves menaces terroristes, s’imposent aux maires des communes concernées. Ceux-ci ne peuvent ni réduire, ni modifier ces mesures de police administrative qui sont édictées, en vertu de l’état d’urgence, par les préfets sur tout ou partie du territoire de leur commune. Ils peuvent en revanche les aggraver si les circonstances locales le justifient. Les relations classiques entre Etat et collectivités territoriales s’en trouvent donc sensiblement modifiées, les enjeux liés à l’ordre public réduisant nécessairement les exigences nées de la décentralisation. Derrière les figures du préfet et du maire, c’est donc bien une recentralisation et une concentration des pouvoirs qui se dessine.

Le préfet
ou la recentralisation des pouvoirs

L’Etat en première ligne

Outre la proclamation de l’état d’urgence, l’Etat multiplie les consignes à l’attention des collectivités décentralisées et établissements publics locaux, ainsi qu’à ses propres relais préfectoraux dans les départements. Deux circulaires du 26 novembre 2015 ont ainsi exigé que soient réalisés ou actualisés très rapidement les schémas de surveillance de voie publique des écoles et des établissements et les plans particuliers de mise en sûreté (PPMS). De même, une autre des ministres de l’Education et de l’Intérieur en date du 17 décembre 2015 demandait aux préfets de préciser aux collectivités gestionnaires et aux recteurs les procédures à suivre pour solliciter des financements auprès du Fonds interministériel de prévention de la délinquance. En revanche, l’état d’urgence et les craintes d’attentat ne suffisent pas à justifier un renforcement des polices municipales. Le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale » présenté en Conseil des ministres, le 3 février 2016, n’y fait ainsi aucune référence : le projet d’un nouvel article L.432-2 du Code de la sécurité intérieure ne s’intéresse ainsi qu’au « fait pour un fonctionnaire de la police nationale ou un militaire de la gendarmerie nationale de faire un usage de son arme rendu absolument nécessaire pour faire obstacle à cette réitération ». Même si la mesure est étendue aux militaires mobilisés dans le cadre de Vigipirate et aux agents des douanes, elle ne concerne délibérément pas les policiers municipaux.

Les préfets à la manœuvre

C’est encore par voie de circulaire que le ministre de l’Intérieur a demandé aux préfets d’organiser des réunions avec les maires afin de leur expliquer les conséquences de la mise en œuvre de l’état d’urgence sur le territoire. Bernard Cazeneuve semble d’ailleurs cantonner les élus locaux à un rôle d’alerte, lorsqu’il indique par exemple que les préfets devront répondre à toutes leurs questions. L’état d’urgence permet en effet aux préfets de décider un « couvre-feu dans les secteurs exposé à des risques importants de trouble à l’ordre public et d' »établir des périmètres de protection autour des bâtiments publics et d’édifices privés qui seraient susceptibles de faire l’objet de menaces. En Ile-de-France, des mesures renforcées sont possibles : assignation à résidence, fermeture provisoire des salles de spectacle, des débits de boissons et divers lieux de réunion, interdiction de toute manifestation susceptible de représenter un risque pour les participants… L’état d’urgence a ainsi permis aux préfets d’instaurer des couvre-feux, comme dans l’Yonne en novembre 2015, à condition de motiver leur décision par des circonstances précises et de la limiter dans le temps et le lieu. Les préfets pourront en outre confier aux sous-préfets d’arrondissement une mission d’animation locale de prévention de la radicalisation. Il est enfin demandé aux préfets de renforcer l’ancrage local de dispositifs tels que les contrats de ville et une plus grande articulation avec les conseils locaux et intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLISPD), preuve supplémentaire de l’écoute attentive que l’Etat accorde aux élus locaux.

Le maire
ou la concentration des pouvoirs

Les pouvoirs de police du maire

Le fait que l’état d’urgence ait été déclaré sur tout le territoire métropolitain et en Corse fait présumer l’existence d’un risque réel d’atteinte à la sécurité publique par la menace terroriste sur l’ensemble du territoire français. De fait, ce régime exceptionnel de l’état d’urgence permet aux maires de justifier plus aisément de la légalité de leurs mesures de police administrative visant à assurer la sécurité publique sur tout ou partie du territoire de leur commune, puisque le risque de trouble à l’ordre public est caractérisé sur l’ensemble du territoire métropolitain et corse. Les risques d’attentat focalisent ainsi l’attention sur les mesures de police, y compris pour prévenir des drames ou violences qui relèvent d’une toute autre motivation : certaines municipalités s’interrogent ainsi sur le fait de savoir s’il faut davantage sécuriser les conseils municipaux, pour éviter des drames comme la tuerie de Nanterre de 2002.

De nombreuses circulaires ont également été publiées afin de renforcer la place des maires dans la prévention de la radicalisation, en particulier dans les quartiers de la politique de la ville. C’est le cas par exemple de la circulaire du 2 décembre 2015 des ministres de l’Intérieur et de la Ville. Par ailleurs, l’Assemblée nationale a adopté le 17 décembre 2015 en première lecture une proposition de loi relative à la sécurité dans les transports, qui fait l’objet d’un examen en procédure accélérée. Programmé à la suite de la tentative d’attentat dans le Thalys, ce texte a fait l’objet de nombreux amendements, notamment l’un qui permet aux policiers municipaux d’intervenir dans les réseaux de transport urbain.

De manière générale, les maires sont invités à renforcer la présence de la police municipale dans les marchés alimentaires et les manifestations populaires. Pour autant, alors que de nombreuses municipalités avaient fait le choix d’armer leur police au lendemain des attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, en janvier 2015, il ne semble pas qu’il y ait pour l’heure un fort engouement pour une telle mesure. Certes, le maire de Lyon a bien annoncé sa volonté d’armer sa police municipale et le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes a bien décidé d’équiper de portiques de sécurité tous les lycées de la nouvelle région, mais ces choix sécuritaires demeurent pour le moment relativement isolés… en dépit de quelques dérives heureusement sanctionnées.

Les dérives locales

Le tribunal administratif de Montpellier a suspendu, mardi 19 janvier 2016, l’exécution d’une délibération du 15 décembre 2015 du conseil municipal de Béziers qui avait décidé la création d’une « garde » annoncée par le maire de Béziers, Robert Ménard, dans le contexte de l’état d’urgence. Elle devait être « composée de citoyens volontaires bénévoles chargés d’assurer des gardes statiques devant les bâtiments publics et des déambulations sur la voie publique et devant alerter les forces de l’ordre en cas de troubles à l’ordre public ou de comportements délictueux ». Le juge des référés a ici appliqué une jurisprudence constante selon laquelle la police administrative constitue un service public qui, par sa nature, ne saurait être délégué (Conseil d’Etat, 17 juin 1932, ville de Castelnaudary). Le conseil municipal de Béziers ne pouvait ainsi légalement confier à des particuliers les missions de surveillance de la voie publique ou des bâtiments publics. Mais la décision du juge des référés est également intéressante en ce qu’elle se fonde sur deux autres arguments dont la qualité de « collaborateur occasionnel du service public » qui ne saurait être invoquée, selon lui, « qu’au profit des particuliers qui ont été sollicités, à titre temporaire et exceptionnel, pour exercer des missions de service public, en cas de carence ou d’insuffisance avérée des services existants ou en cas d’urgente nécessité ». L’état d’urgence ne saurait tout justifier : c’est ici l’état de droit qui le rappelle fort opportunément.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 31.

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Fonction publique & collectivités territoriales

par Cécile MAILLARD
Juriste assurance, SJ, Ville de Montreuil

Fonction publique
& collectivités territoriales

mars 2016 – 1ère chronique
La présente page est issue de la chronique
collectivités territoriales

Prise en charge du risque décès
par les collectivités

Art. 57. En vertu de l’article D.712-19 et suivants du Code de la Sécurité Sociale, issu du Décret 85-1354 du 17 décembre 1985, modifié notamment par le décret n°2015-1399 du 3 novembre 2015, un capital est versé aux ayants-droit du fonctionnaire décédé par la collectivité (ou l’Etat) qui l’emploie.

Avant le décret 2015-1399 du 3 Novembre 2015, les modalités de calcul du capital variait selon les circonstances du décès.

Lorsque le fonctionnaire décédait avant l’âge légal de départ en retraite, le capital était égal à la somme du dernier traitement indiciaire brut annuel augmenté des primes et indemnités non attachées à la fonction. Ceci excluait donc le supplément familial, l’indemnité de résidence et la nouvelle bonification. A cela, il était prévu une majoration équivalant au 300e du traitement indiciaire annuel correspondant à l’indice brut 585 pour chaque enfant du fonctionnaire décédé. Il faut préciser que les enfants nés viables dans les 300 jours du décès reçoivent exclusivement cette majoration.

Cependant, lorsque le fonctionnaire décédait après l’âge légal de départ en retraite, le capital était alors égal à trois fois le traitement indiciaire brut mensuel dans la limite minimale de 370,32 € et la limite maximale de 9 258 €.

Dans le cas particulier des accidents du travail ou à la suite d’un attentat, acte de dévouement dans l’intérêt du public ou pour sauver la vie d’une ou plusieurs personnes, le capital décès était alors versé trois année de suite à la date d’anniversaire du décès.

Quoiqu’il en soit, le capital était payé pour un tiers au conjoint survivant et pour les deux tiers entre les enfants.

Depuis le 6 novembre 2015, date d’entrée en vigueur du décret précité, le calcul du décès des fonctionnaires a été relativement simplifié puisqu’il est désormais versé un forfait aux ayants-droit du fonctionnaire décédé lequel varie selon les circonstances du décès.

Lorsque le fonctionnaire décède avant l’âge légal de départ en retraite, l’article D.712-19 du Code de la Sécurité Sociale prévoit désormais que le capital est égal à quatre fois le montant mentionné à l’article D361-1 du même code, en vigueur à la date du décès soit un total de 13 600 €. En outre, chaque enfant du fonctionnaire décédé reçoit une somme complémentaire de 823,45 €.

Lorsque le fonctionnaire décède après l’âge légal de départ en retraite, le capital est égal au montant mentionné à l’article D361-1 du Code de la Sécurité Sociale soit 3 400 €. Aucune majoration n’est due pour les enfants.

Enfin, dans le cas particulier des accidents du travail ou à la suite d’un attentat, acte de dévouement dans l’intérêt du public ou pour sauver la vie d’une ou plusieurs personnes, le calcul du capital décès se fait comme avant l’entrée en vigueur de ce décret pour les décès avant l’âge légal de départ à la retraite : il est versé trois années de suite à la date d’anniversaire du décès du fonctionnaire.

Le calcul du capital à verser en cas de décès d’un fonctionnaire a donc considérablement été simplifié et réduit au détriment des fonctionnaires qui souffrent à nouveau de la dévalorisation de leur statut et du désengagement de l’Etat de plus en plus important.

Chronique en droit des Collectivités Territoriales

 sous la direction de M. Pascal TOUHARI
Directeur de l’administration générale, Ville de Montreuil
Chargé d’enseignements à l’Université-Paris-Est-Créteil et Sciences-Po Toulouse

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Chronique Collectivités Territoriales – n°01-04, Art. 57.

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Urbanisme & collectivités territoriales

par Vincent THIBAUD
Docteur en droit public, Juriste, Direction de l’urbanisme, Ville de Montreuil

Urbanisme
& collectivités territoriales

mars 2016 – 1ère chronique
La présente page est issue de la chronique
collectivités territoriales

Intérêt à agir contre les autorisations d’urbanisme :
et si le législateur n’avait pas manqué son coup concernant la limitation des recours (pas qu’abusifs…)

Art. 56. Une référence intéressante (CE, 10/02/2016, n°387507) par laquelle le Conseil d’État développe son interprétation des termes de l’article L.600-1-2 du Code de l’urbanisme concernant l’intérêt à agir des tiers contre les autorisations d’urbanisme réformé par une ordonnance du 18 juillet 2013.

De mémoire, il n’y avait que le recensement de jugements et autres arrêts de TA ou de CAA (notamment : CAA Marseille, 20/04/2015, n°15MA00145 ; note IBANEZ, in AJDA, 2015, p.1496), et c’est la première fois sur un contrôle en cassation d’un recours au principal (pour une procédure de référé : CE, 10/06/2015, n°386215) que la Haute juridiction semble donner une interprétation relativement uniforme et stricte des termes suivant lesquels désormais « une personne autre que l’État, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager que si la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L.261-15 du code de la construction et de l’habitation [VEFA] » (voir également : CE, 27/06/2014, n°380645, et le non-renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité à propos de ces dispositions).

Le Conseil d’État confirme le caractère subjectif (ou en tout cas désormais, largement subjectivé) d’un tel intérêt à agir, alors que jusque-là, celui-ci était déterminé par une notion relativement objective de “proximité immédiate du projet”, permettant une voie contentieuse relativement ouverte et conforme à l’esprit concourant à l’accès à la justice administrative d’une façon générale. Suivant la juridiction administrative donc : « il appartient à tout requérant qui saisit le juge administratif d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, de préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien » et par suite, l’instruction de la requête commence par un examen des “écritures” et tous autres “documents [permettant de] faire apparaître clairement en quoi les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien sont susceptibles d’être directement affectées par le projet litigieux” ».

Les données factuelles de l’espèce sont encore plus éloquentes :

  • les requérants saisissent initialement le TA avec des pièces permettant tout de même d’établir le caractère mitoyen et de co-visibilité entre le projet en cause et leurs parcelles, avec un plan de situation “sommaire” (mais existant) mettant en lien la parcelle avec une façade du permis “fortement vitrée qui créera des vues”;
  • ce à quoi le Tribunal répond par une demande de régularisation devant apporter des précisions “nécessaires” quant à l’atteinte directe du projet sur les conditions “d’occupation, d’utilisation et de jouissance de leur bien”;
  • ne répondant que par une attestation de propriété (mode de régularisation classique en la matière), les requérants se voient rejeter par une ordonnance simple leur requête ;

Le Conseil d’État valide cette application faite des textes au niveau de la juridiction de 1er degré. En matière d’autorisations d’urbanisme, la Haute juridiction semble donc revenir sur une posture relativement libérale qui était la sienne concernant l’intérêt à agir et l’ouverture de la voie procédurale du recours pour excès de pouvoir en tant que contentieux objectif (la défense de la légalité au-dessus de l’intérêt particulier en quelque sorte). Il apparaît donc une subjectivisation d’ampleur du recours sur les permis de construire, alors même d’ailleurs que ledit recours ne peut pas porter au fond sur des motifs de droit privé.

L’appréciation critique de ces nouvelles règles gravite autour d’un paradoxe : si à la fois le praticien normalement constitué peut se satisfaire d’outils permettant une défense efficace contre des recours abusifs, le publiciste ne peut pleinement se satisfaire de la subjectivisation de l’acte administratif qui pourrait en découler alors même que l’autorisation d’urbanisme n’est pas un acte individuel mais à caractère réel (attaché au sol), en rapport d’ailleurs avec son objet même : une police pleinement “d’utilité publique” comme il est inscrit au fronton des articles préliminaires du Code de l’urbanisme.

Car l’on pourrait voir poindre un excès inverse sur cette subjectivisation supposée du droit de construire : comme l’autorité administrative doit désormais se vider de l’ensemble des motifs de refus qu’elle peut tenir à l’encontre d’un projet ; que si l’on va chercher plus loin, la construction irrégulière bénéficie de sécurités juridiques accrues (prescription administrative et autres restriction du champ d’application des actions en démolition) ; et si l’on va au bout de la chaîne de la logique réformatrice concernant le droit de l’urbanisme avec la promotion récente de nouvelles voies d’établissement des réglementations contenues dans les documents locaux de planification : que la règle doit désormais se mettre au service du projet et non l’inverse, alors même que la puissance publique n’a tout simplement plus les moyens (financiers du moins) d’une maîtrise efficace des sols… De là à n’être plus qu’en mesure d’envisager le permis de construire comme un acte d’enregistrement et de simple publicité administrative du projet dans un avenir de moyen terme, il est un pas que nous ne saurions franchir, quoique…

Chronique en droit des Collectivités Territoriales

 sous la direction de M. Pascal TOUHARI
Directeur de l’administration générale, Ville de Montreuil
Chargé d’enseignements à l’Université-Paris-Est-Créteil et Sciences-Po Toulouse

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Chronique Collectivités Territoriales – n°01-03, Art. 56.

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Commande publique & collectivités territoriales

par Philippe BIGOURDAN (PB)
Responsable du Service Achat et Commande Publique (SACOP), Ville de Montreuil

Nicolas HOUDART (NH)
Responsable du Service juridique (SJ), Ville de Montreuil

Hortense TRANCART (HT)
Juriste Marchés publics – Acheteur, SACOP, Ville de Montreuil

Commande publique
& collectivités territoriales

mars 2016 – 1ère chronique

Art. 55. La présente page issue de la chronique
collectivités territoriales
contient trois articles (numérotés de 01 à 03)
dont les auteurs sont PB (01), NH (02) & HT (03).

01. Code de la commande publique :
tout change mais rien ne change !

Le projet décret relatif aux marchés publics pris sur le fondement de l’ordonnance n°2005-899 du 23 juillet 2015 vise à achever les travaux de transposition des nouvelles directives européennes 2014/24/UE et 2014/15/UE sur la passation des marchés publics.

A l’instar de l’ordonnance, le décret tente d’unifier les règles juridiques de tous les contrats constituant des marchés publics au sens du droit de l’Union Européenne. Cette logique parfaitement compréhensible ne permet pas pour autant d’amoindrir les difficultés auxquelles se heurtent l’Etat qui cherche à garantir une certaine souplesse dans les procédures, à ménager les PME face au maelstrom administratif que peut représenter un contrat d’un montant de quelques dizaines de milliers d’euros tout en respectant la liberté de la concurrence et l’indispensable obligation de transparence lorsqu’une collectivité manipule de l’argent public.

La récente concertation publique effectuée sur le fondement de l’article 16 de la loi du 17 mai 2011 n°2011-525 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit fait déjà apparaître un retour à la souplesse pour les organismes actuellement soumis aux dispositions de l’ordonnance du 6 juin 2005 et pour les offices publics de l’habitat.

Plus spécifiquement, on peut d’ailleurs se poser la question des changements que va constituer la publication du décret (prévue au 1er avril) sur les pratiques des collectivités moyennes et petites. Et ce, d’autant plus que l’office du juge administratif sur le décret va aussi venir affiner, censurer ou interpréter certains de ces articles. Il est déjà sollicité sur l’ordonnance du 23 juillet 2015, saisi d’un recours en annulation au motif que la France a choisi de soumettre les prestations de service juridique au jeu concurrentiel par l’intermédiaire d’une procédure adaptée (article 42-2 de l’ordonnance) alors même que la directive laisse la possibilité de les exclure de ce champ.

De même, si on peut saluer que le sourçage soit consacré (article 3 du projet), on imagine difficilement ce qu’en pratique une telle disposition va changer pour des collectivités qui manquent avant tout de compétences dans ce domaine et ce que juridiquement un juge pénal ferait d’une mention telle que « les résultats de ce sourçage peuvent être utilisés par l’acheteur à condition qu’ils n’aient pas pour effet de fausser la concurrence et n’entraînent pas une violation des principes [fondamentaux de la commande publique] ».

On peut encore relever la paradoxale et soudaine souplesse dans la régularisation des offres. Ainsi, l’article 56 du projet permet à l’acheteur de sauver des offres dont l’erreur matérielle (absence de signature, ligne manquante dans un bordereau des prix volumineux, etc.) était susceptible de lui faire perdre une proposition compétitive. En autorisant la régularisation des offres en procédure formalisée et de manière plus simple qu’actuellement en procédure adaptée – c’est-à-dire sans être dans une phase de négociation -, la flexibilité offerte paraît cohérente. Mais le décret propose de très flous garde-fous (impossible pour une offre anormalement basse, ne doit pas modifier les caractéristiques substantielles de l’offre) et une procédure qui tend le bâton pour se faire battre (obligation de prévenir l’ensemble des candidats) dont on devine aisément la conséquence : une prudence des acheteurs qui resteront sur les pratiques précédentes, soit réservées et prudentes. Sur ce dernier point, Bercy s’est engagé à revoir sa copie à la suite de la consultation.

Plus globalement se pose la question des mesures en faveur des PME. On le sait, le décret de 2006 avait vu les dispositions des articles 60, 65 et 67 du code des marchés publics qui autorisaient le pouvoir adjudicateur à fixer un nombre minimal de petites et moyennes entreprises admises à présenter une offre se faire annulées par le Conseil d’État (décision du 9 juillet 2007 n°297711, 297870, 297892, 297919, 297937, 297955, 298086, 298087, 301171, 301238, SYNDICAT EGF-BTP et autres) en ce qu’elles conduisaient nécessairement à faire de la taille des entreprises un critère de sélection des candidatures. Aussi, le législateur se garde bien d’imposer des obligations qui auraient pour effet de porter atteinte à la concurrence, mais il durcit les conditions de recours à la sous-traitance via le contrôle du maître d’ouvrage public sur les prix des sous-traitants (article 45), renforce la détection des offres anormalement basses (article 57). Pour autant, il reste encore du chemin à faire en baissant par exemple le seuil de l’avance obligatoire ou en encadrant le recours par le pouvoir adjudicateur à la co-traitance solidaire susceptible de mettre les petites entreprises en difficulté en cas de défaillance du principal membre du groupement. Remarquons sur ce dernier point que le juge européen rappelle qu’un acheteur public ne peut pas imposer n’importe quel type de groupement pour l’exécution des prestations du marché (CJUE, 14 janvier 2016, « Ostas Celtnieks SIA », aff. C-234/14).

Au-delà du décret, les solutions se trouvent également dans les pratiques des collectivités. Peu d’entre elles maîtrisent les techniques de négociation (l’apparition de la très encadrée « procédure concurrentielle avec négociation » va-t-elle susciter l’intérêt des acheteurs ?), elles recourent avec parcimonie aux marchés publics simplifiés qui permet à une entreprise de ne fournir que le numéro de SIRET pour justifier de ses capacités (technique franco-française qui se heurte à la mise en place du DUME – voir infra – et qui donne lieu à des règlements de la consultation volumineux) et entrent difficilement dans une phase de dématérialisation. Cette modernisation de la vie publique est essentielle, mais elle intervient dans un contexte financier particulièrement lourd pour les collectivités territoriales. C’est d’ailleurs l’argument financier qui a fait renoncer à Bercy d’imposer la publication systématique d’un avis d’attribution pour toutes les marchés supérieurs à 25 000 € HT. Mesure qui permettait une plus grande visibilité sur les dépenses mais dont le coût prévisionnel de publication s’avérait conséquent.

02. Prestations juridiques
& mise en concurrence

Par ordonnance du 16 octobre 2015 (N° 393588), le juge des référés du Conseil d’Etat a rejeté la requête en référé suspension introduite par le Conseil National des Barreaux, la Conférence des Bâtonniers et l’Ordre des avocats à la Cour d’appel de Paris à l’encontre de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relatives aux marchés publics.

Si la teneur même de cette décision revêt peu d’intérêt, le rejet étant fondé sur l’absence d’urgence (l’entrée en vigueur de l’ordonnance n’interviendra pas avant le 1er avril 2016), elle est l’occasion de mettre en lumière les importants débats et controverses qui agitent la sphère juridique publique à propos de la mise en concurrence des prestations de services juridiques, dont la partie contentieuse est loin d’être close avec un REP pendant contre cette même ordonnance.

Pour mémoire, la directive européenne 2014/24/UE relative à la passation des marchés publics exclut de son champ d’application les services de représentation légale et de conseil fournis en vue d’une procédure contentieuse. Ne restent soumises à l’obligation de mise en concurrence que les prestations de conseil pur, soit en pratique une part très résiduelle des prestations juridiques effectivement commandées par les collectivités publiques. Néanmoins, l’ordonnance de transposition du 23 juillet 2015 ne reprend pas cette distinction et soumet de manière générale les prestations juridiques à une obligation de mise en concurrence, qu’elles soient ou non réservées à la profession d’avocat.

Si l’on comprend naturellement l’intérêt légitime des avocats à vouloir, au même titre que d’autres professions, que leurs services soient exonérés de mise en concurrence, ne s’agit-il pas finalement d’un débat en trompe-l’œil ?

En effet, sous l’empire des textes précédents, qui soumettaient déjà les services d’avocat à une obligation de mise en concurrence, certes allégée, force est de constater que cette obligation n’avait qu’une portée relativement réduite, les services préfectoraux du contrôle légalité et le Trésor Public n’étant pas excessivement regardants en la matière, et qu’un grand nombre de collectivités ne la respectaient pas, sans pour autant que cela génère un important contentieux.

Le fond de la problématique ne serait-il alors pas plutôt à rechercher dans l’évolution de la profession, ainsi et surtout que dans celle des besoins des collectivités en général et en matière de services juridiques en particulier ?

Côté sombre, les collectivités publiques sont actuellement confrontées pour la plupart, à des réductions budgétaires drastiques, leur imposant une nécessaire maîtrise de leurs dépenses, y-compris en matière juridique. En revanche, elles ont eu tendance à se professionnaliser en matière juridique par la création de compétences internes intégrées, ce qui a nécessairement une influence sur la nature de leurs besoins, réduisant ainsi la part d’un besoin juridique global d’essence « politique », au profit d’un besoin plus spécialisé, voire morcelé, d’essence plus « gestionnaire ». Autrement dit, pour reprendre la formule très juste du renommé Me Didier Seban : « L’avocat n’est plus seulement l’avocat du maire, mais d’abord celui de la collectivité ».

On peut tout à fait regretter une telle évolution mais il n’en reste pas moins que, suivant le fameux adage populaire, « le client est roi » et les personnes et collectivités publiques resteront libres, même en l’absence de toute obligation, de mettre en concurrence ce type de prestations. D’ailleurs, au regard des perspectives économiques et budgétaires actuelles, la tendance à une concurrence élargie s’inscrit parfaitement dans l’air du temps, ce que les avocats ont bien compris, à en juger notamment par l’évolution de leurs offres tarifaires ces dernières années…

03. Le DUME,
tout ça pour ça !

Dans une procédure de marché public, le Document Unique de Marché Européen (DUME), est un formulaire type à compléter au moment de la phase candidature. Il a pour objectif de simplifier la candidature aux marchés publics en supprimant l’obligation de fournir les certificats et attestations et en la remplaçant par une attestation sur l’honneur sous la forme d’un formulaire type. Il peut ainsi être réutilisé pour un autre marché soumissionné.

Prévu à l’article 59 de la directive 2014/24/UE publiée au Journal Officiel de l’Union Européenne (JOUE) le 6 janvier 2016, son utilisation est autorisée depuis le 26 janvier 2016 pour les procédures formalisées. Il pourra être utilisé dès l’entrée en vigueur de l’ordonnance et du décret Marchés publics c’est-à-dire au plus tard le 1er avril 2016.

Obligatoire pour les procédures formalisées, liberté est laissée aux acheteurs publics pour les procédures adaptées, qui, de plus, peuvent faire le choix français de ce que l’on appelle le Marché Public Simplifié (MPS).

Le DUME est divisé en six parties. La première recense les « Informations concernant la procédure de passation de marché et le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice ». Lorsque le formulaire est saisi en ligne, les informations sont automatiquement remplies si la procédure de consultation fait l’objet d’une publication au JOUE.

La seconde concerne les informations relatives à l’opérateur économique. La partie trois traite des motifs d’exclusion de la commande publique, au regard des éventuelles condamnations pour les délits listés à l’article 57 de la directive précitée, pour irrégularité des cotisations sociales et fiscales, pour insolvabilité, conflit d’intérêt ou encore faute professionnelle. La quatrième partie relative aux critères de sélection permet d’apprécier la satisfaction des soumissionnaires aux critères de sélection déterminés par l’acheteur public, notamment leur capacité professionnelle, technique et financière. La partie cinq dite « Réduction du nombre de candidats qualifiés » est à renseigner uniquement dans le cadre de procédures restreintes, en fonction des éléments demandés par l’acheteur public dans son avis d’appel public à la concurrence (AAPC) ou documents de la consultation. Enfin, la sixième partie relative aux déclarations finales constitue l’attestation sur l’honneur que toutes les informations fournies dans les parties II à V sont exactes et correctes et que les déclarants sont en mesure de communiquer à tout moment à l’acheteur public toutes les pièces justificatives qu’il demandera.

Bien que le DUME puisse être rempli manuellement jusqu’au 18 janvier 2018, l’intérêt réside essentiellement dans sa version électronique. En effet, cette dernière permet de pré-remplir certaines parties du document en assurant un lien avec les avis de publicité au JOUE et en rapatriant certaines données contenues dans les coffres forts électroniques ou autres services du Marché Public Simplifié. Une fois rempli le formulaire pourra être actualisé et utilisé par les soumissionnaires pour différentes consultations.

Pour autant, l’allègement des formalités côté entreprise engage les acheteurs publics à une plus grande rigueur et à un nombre accru d’opérations nécessaires à la vérification de l’exactitude des informations déclarées. Ainsi, l’acheteur public doit désormais consulter les sites internet des entreprises, les coffres-forts électroniques et si cela s’avère insuffisant, il doit d’adresser aux candidats une demande écrite.

Le DUME pourra être réutilisé par le candidat pour un autre marché si les informations contenues sont toujours d’actualité afin qu’il n’ait plus à établir un dossier complet pour chaque consultation.

Le DUME peut être fourni pour chacun des sous-traitants ce qui représente ici une véritable simplification administrative pour l’acheteur public. L’acheteur peut à tout moment de la procédure demander au candidat de fournir les documents qu’il atteste détenir. S’il s’avère que les attestations étaient fausses, le candidat peut être exclu de la procédure. Les acheteurs acceptaient à la remise de la candidature que les candidats remettent des attestations sur l’honneur. Dans le cas où le marché était attribué à un candidat, il lui était demandé de fournir les attestations et justificatifs dans le délai imparti.

Se pose alors la question de savoir si l’innovation du DUME en est vraiment une. De la même façon qu’en est-il de la compatibilité du DUME, dispositif européen, et du MPS, dispositif national, qui permet aux entreprises de candidater seulement avec leur seul numéro SIRET. Quelle est la pertinence de la coexistence de ces deux systèmes sachant que le MPS rencontre un succès important. N’y a-t-il pas là un sérieux risque de confusion des deux documents par les entreprises candidates ?

Si à compter du 18 avril 2018, le Dume ne pourra être fourni que sur support électronique, il y a fort à parier que cela provoquera sans nul doute certaines réticences de la part des entreprises peu habituées au « tout dématérialisé » à répondre aux appels d’offres.

Aussi, et au-delà du bilan qui sera effectué en avril 2017 par la Commission européenne sur la mise en œuvre du dispositif, nous pouvons dores et déjà l’affirmer, le DUME ne constituera une réelle simplification que pour l’entreprise au détriment de l’acheteur public qui devra, lui, demander à nouveau les attestations et justificatifs afin d’éviter d’attribuer le marché à une entreprise qui ne présenterait pas la solidité financière espérée. En d’autres termes, le DUME présentera pour seul véritable intérêt d’offrir un cadre légal à une pratique déjà acquise par les acheteurs.

Chronique en droit des Collectivités Territoriales

 sous la direction de M. Pascal TOUHARI
Directeur de l’administration générale, Ville de Montreuil
Chargé d’enseignements à l’Université-Paris-Est-Créteil et Sciences-Po Toulouse

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Chronique Collectivités Territoriales – n°01-02, Art. 55.

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ParJDA

Droit administratif des collectivités territoriales

par Pauline CHAPLET,
Juriste de droit public, SJ, Ville de Montreuil

Droit administratif
des collectivités territoriales

mars 2016 – 1ère chronique
La présente page est issue de la chronique
collectivités territoriales

Silence vaut acceptation :
simplification ou complexité ?

Art. 54. Depuis le 12 novembre 2015, le principe « Silence vaut acceptation » est applicable aux collectivités territoriales, en vertu de la loi n°2013-1005 du 12 novembre 2013 habilitant le gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens. Simplifier, vraiment ?

La réforme a pour but d’inverser le principe du silence gardé sur une demande pendant plus de deux mois vaut rejet. Désormais, le principe est celui selon lequel le silence de l’administration, sur une demande qui lui est adressée, vaut acceptation. Toutefois, ce principe est assorti de nombreuses exceptions, ce qui atténue la lisibilité et l’applicabilité de cette réforme.

La loi du 12 novembre 2013 prévoit quatre types de demandes entrant dans le champ de l’exception au principe :

– Lorsque la demande ne tend pas à l’adoption d’une décision présentant le caractère d’une décision individuelle (ex : demandes tendant à l’abrogation ou au retrait d’actes réglementaires).

– Lorsque la demande ne s’inscrit pas dans une procédure prévue par un texte législatif ou réglementaire ou présente le caractère d’une réclamation ou d’un recours administratif (ex : les demandes à caractère fantaisiste, les recours hiérarchiques, gracieux …).

– Si la demande présente un caractère financier, dans un objectif de protection des deniers publics.

– Dans les relations entre l’administration et ses agents, la loi ne concernant que les usagers.

Par la suite, trois décrets ont été publiés au Journal officiel du 11 novembre 2015 venant préciser d’autres exceptions et dérogations au principe du silence vaut acceptation.

Le décret n°2015-1460 du 10 novembre 2015 fixe une liste des procédures pour lesquelles le délai à l’issue duquel le silence gardé par l’administration sur une demande vaut acceptation est différent du délai de droit commun de deux mois. Par exemple, pour les permis de construire, lorsqu’il y a lieu de consulter une commission nationale, le silence gardé dans un délai de 5 mois vaut accord.

Les deux autres décrets (n°2015-1459 et n°2015-1461), prévoient des procédures d’exclusions au principe fondées sur « le respect des engagements internationaux et européens de la France, la protection de la sécurité nationale, la protection des libertés et des principes à valeur constitutionnelle et la sauvegarde de l’ordre public » ainsi que pour « des motifs tenant à l’objet de la décision ou de bonne administration ».

Force est de constater que les hypothèses dans lesquelles le pouvoir réglementaire pourra prévoir un régime de décision implicite de rejet demeurent nombreuses (ex : Autorisation d’occupation du domaine public). Dans ce type de cas aussi, des délais différents du droit commun existent.

Enfin, pour une meilleure mise en œuvre, le gouvernement a également publié un tableau, consultable sur Légifrance, des « procédures pour lesquelles le silence gardé par les collectivités territoriales sur une demande vaut accord ». Ainsi, les procédures répondant au principe seraient consignées sur une liste. Néanmoins, rien n’est dit sur son caractère ou non exhaustif. Ainsi, que devront faire les services s’ils se retrouvent face à une procédure qui ne relèvent pas des décrets précisant les exceptions ou qui n’est pas citée dans le tableau ? Il est permis d’interpréter ces demandes comme des demandes qui seront acceptées au bout de deux mois en cas de silence de l’administration en application du principe.

De même pour les usagers, ces derniers auront quelques difficultés à identifier le régime qui leur est réellement applicable.

Ce dispositif est inscrit dans le nouveau Code des relations entre le public et l’administration, entré en vigueur le 1er janvier 2016. Rien de radicalement nouveau sur le fond, mais cette codification permet à chacun de disposer en un seul texte des dispositions de nature générale et transversale applicables aux relations entre l’administration (Etat, collectivités territoriales, établissements publics, etc.) et le public (personnes physiques et morales), dans un objectif d’accessibilité.

Chronique en droit des Collectivités Territoriales

 sous la direction de M. Pascal TOUHARI
Directeur de l’administration générale, Ville de Montreuil
Chargé d’enseignements à l’Université-Paris-Est-Créteil et Sciences-Po Toulouse

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Chronique Collectivités Territoriales – n°01-1, Art. 54.

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