art. 330.
Le Journal du Droit Administratif, fondé en 1853 à Toulouse puis refondé en ligne en 2015, propose, en partenariat avec le Laboratoire d’Analyse(s) Indépendant sur les Cultes (LAIC) – Laïcité(s), une nouvelle chronique régulière (à vocation mensuelle) placée sous la direction commune des drs. et enseignants-chercheurs Clément Benelbaz & Mathieu Touzeil-Divina.
Cet article est issu de la 1ère chronique Laïcité(s) du mois de mai 2021.
Observations communes sous
TA de Nîmes, [req. 1900022]
19 février 2021,
Association La libre pensée du Gard ;
[J2021-TA-NIMES-1900022] ;
Sainte Geneviève K., merci(s) !
Si Dieu existe (et on prendra l’hypothèse positive ou négative comme ici non discutée), il aura été singulièrement malicieux en permettant – en hommage à « la » spécialiste des circulaires devenues lignes directrices ainsi qu’aux principes d’Egalité, de neutralité et de laïcité – l’existence du présent contentieux qui mêle non seulement circulaires et principes laïques mais encore le prénom de l’intéressé sanctifié. C’est donc tout naturellement et respectueusement que les présentes observations sont dédiées au professeur Geneviève Koubi qui a su ouvrir tant de portes[1] – parfois fermées ou seulement entrouvertes – sur ces questionnements tant juridiques que républicains.
Sainte laïque Geneviève K., priez donc pour nous en acceptant cette offrande quasi-doctrinale.
Passée la dédicace, venons-en aux faits : comme dans de nombreux corps d’armes et/ou de soldats dits du feu, l’usage (sans que l’on sache toujours à quand il remonte vraiment, ce que l’on ne manquera pas, du reste, de discuter ci-après) a été pris non seulement de choisir un « saint patron » ou en l’occurrence une « sainte patronne » comme l’on choisirait, symboliquement et presque innocemment, une mascotte mais encore de vénérer et de prier ledit personnage sanctifié en y mettant une intention clairement religieuse. Qu’on songe ainsi à la sainte Barbe des sapeurs-pompiers ou, comme en l’espèce, à la sainte Geneviève de plusieurs femmes et hommes d’armes.
Une sainte Geneviève célébrée par des fonctionnaires militaires.
En l’occurrence, c’est la laïque gendarmerie du Gard (dont le siège est à Nîmes, en Occitanie, rue… sainte Geneviève !) qui a décidé d’organiser le 30 novembre 2018 une manifestation placée sous le patronage de « sa » sainte précitée[2] en offrant non seulement un traditionnel moment de convivialité (ce dont on ne saurait la blâmer) mais surtout en le faisant précéder d’un office religieux matérialisé non dans l’enceinte militaire par un aumônier institué mais dans une église, ouverte au public, de Nîmes[3] où un prêtre était chargé du culte et où l’ensemble des agents militaires était convié à participer, sur leur temps de travail et en uniformes.
Y décelant une atteinte aux principes de neutralité et de laïcité mais encore un manquement aux obligations de réserve des fonctionnaires militaires, une association (celle de la Libre pensée du Gard) a cherché – pour l’avenir plus encore que pour le passé[4] – à contester la légalité d’un tel événement dont elle s’était émue (par un recours gracieux daté du 14 novembre 2018). La requérante espérait alors obtenir trois condamnations :
- qu’il soit rappelé aux agents leur « devoir de réserve » et conséquemment que le rejet qui lui avait été implicitement matérialisé par le chef du groupement départemental de gendarmerie soit annulé ;
- que l’autorisation, délivrée par ce même chef de service à ces agents, d’assister à l’office religieux soit prohibée ;
- et que la partie condamnée en supporte les frais (art. L. 761-1 Cja).
Le rejet attendu de la première prétention.
Toutefois, ce fut en vain puisque l’association ne sera suivie sur aucun point par le juge nîmois. Par ailleurs, ainsi que le relèvent très justement les juges du fond dans leurs premiers considérants :
« Par un courrier du 14 novembre 2018 adressé au chef du groupement de gendarmerie du Gard, le président de l’association La Libre Pensée du Gard a contesté la participation des gendarmes à une cérémonie religieuse célébrée en l’honneur de sainte Geneviève et a demandé que soit rappelé aux militaires des compagnies et escadrons du ressort leur devoir de réserve, notamment en matière religieuse ».
Et, même si, « par une lettre du 23 novembre 2018, le chef du groupement de gendarmerie du Gard a » effectivement « rappelé les principes et conditions de la pratique religieuse » selon lui « au sein des forces armées », il n’a pas répondu à l’association requérante mais même si celle-ci a requis « l’annulation du rejet implicite de sa demande ainsi que de l’autorisation donnée par le chef du groupement départemental de gendarmerie du Gard aux gendarmes du Gard d’assister, pendant les heures de service et en uniforme, à la cérémonie religieuse dite de la sainte Geneviève », sur le premier point (seulement), il y avait une difficulté en matière de recevabilité contentieuse.
En effet, « eu égard à son imprécision et à son caractère purement déclaratif », la demande originelle de la requérante en date du 14 novembre 2018 et « tendant à ce que soit rappelé aux militaires des compagnies et escadrons du Gard leur devoir de réserve », n’a pas fait naître de décision implicite de rejet faisant grief. Et d’ajouter par suite qu’à « supposer que l’association requérante ait entendu demander l’annulation du courrier de réponse du 23 novembre 2018 du chef du groupement de gendarmerie du Gard, cette lettre à caractère informatif est pareillement insusceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ».
Sur ce point, il est vrai, on attendait peu du juge qu’il ouvrît grandes les portes de son prétoire pour accueillir une demande aussi peu précise. En revanche, restait à examiner la légalité même de l’autorisation de participation des gendarmes à la cérémonie du 30 novembre 2018 spécialement dans son versant religieux. Discutons-en donc.
De l’obligation de réserve & de la liberté de d’opinion (et de croyance) des agents publics.
Avant même de se jeter sous les fourches caudines des débats entre pro et ultras laïques, il convient de faire état d’une première obligation applicable à tout fonctionnaire civil ou militaire : celle d’être mesuré, réservé dans ses expressions et ce, plus particulièrement encore en service (même si cela peut aussi avoir des répercussions sur la vie personnelle, hors service, de certains agents). Cette obligation de mesure trouve sa source dans de nombreuses normes (et l’on citera ci-après celles spécialement applicables aux gendarmes) et se décline en plusieurs sous catégories d’obligations qui vont s’appliquer (ou non) selon les fonctions.
Ainsi, d’aucuns devront respecter un strict devoir de secret quand d’autre devront « seulement » faire état de discrétion professionnelle. Surtout, quand on envisage le devoir de réserve des agents publics, on met d’abord en avant leur mode d’expression plus encore que le contenu potentiellement exprimé. En effet[5], et tout énoncé normatif ou doctrinal en matière de Laïcité commence invariablement par ce rappel : les agents, même publics, ont des droits parmi lesquels non seulement celui de croire ou de ne pas croire (en ce qu’ils veulent) mais encore d’exprimer et de pratiquer tout culte de leur choix, à titre personnel, hors du service. Exceptionnellement, cela dit, quelques exceptions sont reconnues à la pratique – en service – de certains cultes et ce, en particulier lorsque les agents ou les usagers ne sont pas ou plus libres de leurs mouvements (comme en prison, dans un établissement scolaire, hospitalier ou encore militaire). Cette dérogation est explicite dès l’art. 02 de la Loi dite Briand de séparation des Eglises et de l’Etat :
« Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons ».
Toutefois, il s’agit bien (et par exception) d’une pratique cultuelle en service et dans l’établissement public. Hors cette hypothèse et en conséquence, est prohibée toute discrimination en faveur ou au détriment d’un agent du seul fait de sa croyance religieuse réelle ou présumée et ce, tant lors du recrutement[6] que lors du déroulement de sa carrière[7].
Même militaire, il est heureux que tout agent ait le droit au respect de ses opinions.
En revanche, en service, le prosélytisme religieux est prohibé aux noms des principes de Laïcité et de neutralité du service et des agents publics.
Si l’agent public est donc libre de croire et qu’il ne peut le lui être reproché ou qu’il en subisse des discriminations, en service en revanche – et à plus forte raison encore – en présence d’usagers, l’agent incarnant le service public doit traduire la stricte séparation des Eglises et de l’Etat et conséquemment ne témoigner d’aucune croyance religieuse que ce soit par ses vêtements, ses attitudes ou encore ses écrits et ses mots. Le principe dit constitutionnel[8] de Laïcité implique donc, par ricochet, une absolue neutralité religieuse des services publics ce qui comprend les lieux qui les abritent[9] ainsi que les agents qui les font vivre. Dès lors, les agents publics ne peuvent-ils faire état de leur foi.
Puisqu’ils incarnent la fonction et le service publics, ils doivent faire disparaître, en service, leur identité et leurs croyances religieuses au seul profit de l’action publique et de l’intérêt général neutres et laïques. Tout comportement prosélyte d’agent public en est conséquemment sanctionné ce qui est l’application même de l’art. 25 de la Loi statutaire du 13 juillet 1983 pour les fonctionnaires civils ou encore de l’avis CE, 03 mai 2000, Julie Marteaux [req. 217017] l’ayant inspiré. Est ainsi prohibé le fonctionnaire qui fait publiquement usage de son adresse électronique professionnelle (engageant ainsi et a minima l’image de son employeur public laïque) dans un cadre associatif religieux[10]. Il en est de même de ceux distribuant en service des écrits religieux sur supports matériels[11] ou numériques[12]. S’applique également en la matière le contentieux fourni du port – interdit – des habits sacerdotaux ou religieux par des agents publics en service ce qui est, par exemple, le cas du hidjab et ce, non seulement dans des services publics gérés par des personnes publiques[13] mais encore – même – par des personnes privées[14]. Il n’en est en revanche, heureusement, pas de même s’agissant du seul port de la barbe contrairement à ce que d’aucuns – y compris en jurisprudence – avaient estimé[15].
De l’obligation renforcée de réserve des agents militaires.
Contrairement à ce qu’une actualité récente a cru démontrer (on fait ici référence à la tribune dite des Généraux[16] émise, à l’initiative de M. Fabre-Bernadac aux côtés de nombreux militaires depuis le média Valeurs actuelles), les militaires sont spécialement soumis à une obligation renforcée de réserve. Ce n’est effectivement pas pour rien que l’armée a longtemps été surnommée de « Grande muette » : plus encore que pour les fonctionnaires civils, il est demandé aux militaires, dont les gendarmes selon l’art. L 4145-1 du Code de la Défense, de n’exprimer leurs opinions politiques comme religieuses strictement en dehors du service.
Certes, le militaire jouit au titre de l’art. L 4121-1 du Code préc. « de tous les droits et libertés reconnus aux citoyens » mais « l’exercice de certains d’entre eux est soit interdit, soit restreint ». En l’occurrence, précise l’art. L 4121-2 suivant :
« Les opinions ou croyances, notamment philosophiques, religieuses ou politiques, sont libres. Elles ne peuvent cependant être exprimées qu’en dehors du service et avec la réserve exigée par l’état militaire. Cette règle s’applique à tous les moyens d’expression. Elle ne fait pas obstacle au libre exercice des cultes dans les enceintes militaires et à bord des bâtiments de la flotte ».
Ainsi, est-il clairement spécifié :
- que les militaires dont les gendarmes se voient certes reconnaître « le droit pour tout individu de croire ce qu’il veut et de se rattacher à la religion qu’il préfère ». Et « le » spécialiste de la fonction publique militaire d’en conclure qu’effectivement[17] :
« tout militaire (…) quel que soit son grade, a droit au respect de ses opinions religieuses ou politiques et nul ne peut être puni (…) en raison de ses idées ».
- « Cependant la manifestation de ces opinions ne peut avoir lieu qu’en dehors du service, sous la condition de ne pas manquer à la réserve imposée par les fonctions » et l’auteur de citer en ce sens la célèbre décision CE, 03 mai 1950, Institutrice Jamet (req. 98284 ; Rec. 247) qu’il applique également à l’état militaire.
- Il est donc possible aux militaires de croire et même de pratiquer un culte mais ce, hors du service ou – en service – dans les espaces dédiés des « enceintes militaires » et des « bâtiments de la flotte ».
Hors ces lieux et ces moments, le gendarme – singulièrement en uniforme et en public – n’exprime pas son opinion y compris religieuse. Et si l’art. L 4121-2 que cite portant explicitement le juge nîmois précise que le culte peut être exercé « dans les enceintes militaires » cela signifie bien qu’il ne peut pas l’être collectivement et en uniforme à l’extérieur du cadre militaire : dans une église civile et religieusement consacrée.
Plus spécialement, à propos des seuls gendarmes, énonce explicitement le Code de la défense en son art. R 434-32 : « Les militaires de la gendarmerie ne peuvent exprimer des opinions ou croyances, notamment philosophiques, religieuses ou politiques qu’en dehors du service et avec la réserve exigée par l’état militaire ». Le gendarme est même qualifié à l’art. suivant de « soldat de la loi » et non de soldat de la Religion.
Aussi, en organisant elle-même un office suivi d’un moment convivialité, la gendarmerie matérialise-t-elle une atteinte à l’état militaire même mais encore à l’obligation de réserve ainsi qu’à d’autres principes qu’il s’agit maintenant d’évoquer.
Des obligations de Laïcité & de neutralité.
L’affaire en cause soulève un certain nombre d’interrogations relatives au principe constitutionnel de laïcité et de ce qu’il implique, notamment à l’égard des services publics, à travers les deux premiers articles de la loi de 1905.
Le Tribunal administratif rappelle alors que cette dernière « crée, pour les personnes publiques, des obligations », dont celle de « veiller à la neutralité des agents publics et des services publics à l’égard des cultes, en particulier en n’en reconnaissant ni n’en subventionnant aucun ». Dès lors, les juges admettent que ce sont les personnes publiques elles-mêmes qui sont les gardiennes du respect de la laïcité, et notamment de la neutralité de leurs services, mais aussi de leurs agents. De plus, il est rappelé que la Séparation implique outre le non-financement des cultes, leur non-reconnaissance[18]. Ce dernier principe vise précisément à supprimer le régime concordataire des cultes reconnus, consistant à accorder une place privilégiée et officielle à certains cultes ou à un culte en particulier. En somme, depuis 1905, toutes les convictions quelles qu’elle soient (religieuses, politiques, philosophiques) sont mises sur le même pied. Tous les cultes, passés, présents, futurs, sont considérés également, sans faveur ni défaveur. Un service public, et a fortiori ses agents, ne sauraient par conséquent montrer un attachement particulier à une conviction en particulier : la neutralité en tant qu’équidistance – on dirait même de distanciation – religieuse, serait alors nécessairement violée.
Il a été rappelé que la laïcité n’interdit aucunement à ses agents d’avoir de quelconques convictions. Ce qui leur est prohibé est l’extériorisation de ces convictions, ce qui est totalement différent. Si la croyance est libre et entière, sa manifestation peut nécessairement faire l’objet de restrictions. Ici, pour les agents, c’est l’extériorisation de toute conviction pendant le service, c’est-à-dire pendant le temps de travail, sur le lieu de travail, ou avec la tenue de travail, qui est interdite.
L’obligation de stricte neutralité impose alors que, dans l’exercice de leurs fonctions, les agents ne se livrent à aucune forme de propagande, ainsi qu’il ressort de l’arrêt Dlle Pasteau[19], le but étant évidemment de préserver le service et l’Etat, que les agents représentent et dont ils sont finalement les démembrements. Cette obligation concerne tous les services publics, et aucune dérogation ne saurait être admise, puisque le principe même de laïcité serait affecté et perdrait de sa substance.
C’est donc bien à tout agent public que s’impose ce respect de la neutralité, ainsi qu’il en fut précisé dans l’avis Julie Marteaux[20].
Désormais, les principes de laïcité et de neutralité sont non seulement associés, mais aussi assimilés[21] ; l’accent est alors mis sur une conception de la laïcité entendue comme égalité.
Est ainsi énoncée une règle stricte et claire, il n’y aurait donc aucunement besoin de tenir compte de la nature, du degré du caractère ostentatoire – ou ostensible du reste – du signe arboré, des fonctions occupées, ou des intentions de l’agent : quels que soient le statut de l’agent – titulaire ou non –, son poste, qu’il soit en contact ou non avec les usagers, le signe religieux qu’il porte, sa forme ou sa couleur, il lui est interdit de manifester ses convictions, religieuses, politiques, ou philosophiques.
Ce ne sont pas les convictions qui sont condamnées, mais bien les actes qui sont censurés :
c’est-à-dire l’extériorisation des convictions, comme le seul fait de porter un signe religieux, d’avoir des comportements prosélytes[22], voire troublant le fonctionnement normal du service (qui compromettraient par exemple la sécurité, la santé des autres agents ou des usagers, ou encore qui consisteraient à jeter le discrédit sur le service) ou, comme en l’espèce, de participer à une cérémonie religieuse[23]. C’est d’ailleurs dans ce sens que semble aller le Tribunal administratif en relevant que
« le principe de laïcité fait obstacle à ce que [les militaires de la gendarmerie] manifestent leurs croyances religieuses dans le service public ».
Pourtant, les mêmes principes, indiquent les juges, ne s’opposent pas à ce que ces mêmes agents
« soient invités et autorisés, durant le service, à assister à un office religieux dans une église, lorsque cette invitation présente un caractère facultatif et s’inscrit dans le cadre d’une manifestation annuelle, traditionnelle et festive participant à la cohésion et à la représentation de l’institution ».
De l’exception prétorienne de la manifestation « traditionnelle et festive participant à la cohésion et à la représentation de l’institution »
En l’occurrence, pour justifier ce caractère traditionnel et festif, la décision relève que la cérémonie de la Sainte Geneviève est organisée par la gendarmerie nationale « depuis de nombreuses années ». Dès lors, le fait pour les agents d’y participer ne peut « à lui seul » être regardé comme la « manifestation de convictions religieuses dans le cadre du service public ni comme relevant de l’exercice d’un culte ».
Plusieurs commentaires s’imposent : tout d’abord, on peut se demander ce qui relève alors de l’exercice d’un culte, si ce n’est de participer notamment à des cérémonies religieuses, dans un lieu de culte. La liberté de religion implique entre autres l’exercice du culte, qui consiste en la participation collective à des rites ; il s’agit pour les croyants d’entrer en communion et d’extérioriser leurs croyances. Ici d’ailleurs, la cérémonie ayant lieu dans une église, il ne faisait aucun doute sur le caractère religieux de la manifestation. Rappelons d’ailleurs que les édifices du culte catholique qui sont la propriété d’une personne publique bénéficient de l’exclusivité de l’affectation cultuelle[24] : tout usage de l’édifice pour un but autre que cultuel est conditionné par l’accord préalable du desservant[25]. En l’occurrence, tel n’était pas le cas, on était bien en présence d’une manifestation religieuse, se tenant dans un édifice religieux. Le Tribunal va cependant dans le sens totalement opposé.
Facultatif ?
Ensuite, quant au caractère facultatif de l’évènement, on ne peut que louer le fait que tel fût le cas. En effet, l’article 31 de la loi de 1905 crée le délit d’atteinte à la liberté de conscience dans l’ordre religieux en punissant ceux qui,« soit par voies de fait, violences ou menaces contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d’exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l’auront déterminé à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte, à faire partie ou à cesser de faire partie d’une association cultuelle, à contribuer ou à s’abstenir de contribuer aux frais d’un culte ».
Par cette disposition, les libertés de cultes et de conscience sont garanties : toute personne pourra exercer le culte qu’elle aura librement choisi, sans subir aucune pression. Si nul ne peut contraindre autrui à croire ou à pratiquer un culte, il est évident qu’un service public ne peut davantage le faire.
Traditionnel & festif ?
Enfin, au sujet du caractère traditionnel et festif reconnu à la célébration, on constate que les juges se sont a priori inspirés de la jurisprudence du Conseil d’Etat relative aux crèches[26]. Assurément, il peut être délicat de dissocier totalement le cultuel du culturel : une certaine répétition de rites, de traditions religieuses, font partie d’une culture, et les renier définitivement pourrait conduire à un certain appauvrissement, voire à une dénaturation de la réalité.
Mais toute la difficulté consiste alors à déterminer ce qui fait partie de la tradition : quels en sont les critères, et à partir de quand un évènement le devient[27] ?
La question s’est par exemple posée au sujet de la légalité de délibérations de collectivités territoriales accordant des subventions afin d’organiser des « Ostensions limousines ». Il avait ici été jugé que bien que les manifestations de ces traditions locales, consistant en diverses cérémonies dont la reconnaissance de reliques, associent autorités civiles, militaires, et religieuses, elles n’avaient pas pour autant perdu « leur caractère de cérémonies du culte de la religion catholique ». Dès lors, les subventions étaient contraires à l’article 2 de la loi de 1905[28].
En l’occurrence, le caractère cultuel de la manifestation avait été reconnu, et peu importe alors qu’elle ait acquis, avec le temps, une dimension traditionnelle ou populaire, et qu’elle ait également une portée économique, culturelle et touristique[29]. Le problème s’était posé en des termes identiques au sujet des sonneries de cloches : ainsi dans une affaire en 2004, un maire avait refusé de réduire les sonneries civiles ponctuant les heures ; le Tribunal administratif lui donna tort estimant qu’il n’existait aucun usage dans la commune justifiant leur emploi, même si cette pratique avait été « rétablie voici quelques années ». Il écarta en revanche toute contestation des sonneries à 12 heures et 19 heures, parce qu’elles correspondent à l’Angélus[30]. En revanche, en appel la Cour administrative annula le jugement, en estimant que ces nuisances sonores de cloches ne pouvaient être considérées comme portant atteinte à la tranquillité publique, et donc ne justifiaient aucune intervention du maire[31]. Les juges d’appel finalement furent ici en contradiction avec la jurisprudence du Conseil d’Etat[32], selon laquelle le maire peut décider des sonneries de cloches, justifiées par la tradition, ou les usages locaux (c’est-à-dire antérieurs à 1905). En l’espèce, nul usage local n’était avancé, ou alors un usage effectif, mais pas ancien.
Pour qu’un évènement devienne traditionnel, il ne suffit donc pas, comme le relèvent les juges au sujet de Sainte Geneviève, qu’il soit organisé « depuis de nombreuses années » (et on peut d’ailleurs souligner l’absence totale de précisions à ce sujet). Encore faut-il une continuité temporelle, et même que la pratique existât avant 1905 : ainsi elle deviendra culturelle.
Tel est en effet le sens et l’esprit de la loi de 1905. Ainsi, A. Briand, au sujet de l’article 28, précisait que « les emblèmes religieux déjà élevés ou apposés demeurent et sont régis par la législation actuelle. L’article ne dispose que pour l’avenir[33]». La loi souhaitait respecter le passé, et l’interdiction ne pouvait valoir que pour la postérité. Aussi le législateur entendait clairement préserver ce qui relevait du culturel, donc ce qui était antérieur à la loi. Incidemment, il l’intégrait dans le patrimoine national, ce qui revient à inclure le cultuel dans le culturel. Mais pour Briand, le cultuel, s’il est bien « une catégorie du culturel » n’en est plus désormais, à compter de la loi de Séparation, qu’un des composants parmi d’autres, car la culture laïque peut s’ouvrir à d’autres catégories.
Dans l’affaire de Sainte Geneviève, non seulement aucune précision n’est donnée sur le nombre d’années depuis lesquelles la cérémonie est organisée par le service public, mais il est, de plus, fort probable que celle-ci n’existe pas de façon continue et interrompue antérieurement à 1905. En effet, c’est par un décret du 18 mai 1962 que le Pape Jean XXIII établit Sainte Geneviève comme patronne « des gendarmes français, gardiens de l’ordre public… ».
Du port réglementé de l’uniforme.
Par ailleurs, qu’il nous soit permis ici de rappeler qu’en insistant sur l’usage et le port de l’uniforme de cérémonie à l’office religieux, la gendarmerie du Gard a clairement manifesté (ce qui n’était plus douteux) que les agents devraient ici être considérés en service et non comme des citoyens privés se rendant à un office tout aussi privé.
En effet, comme le rappelle en son préambule l’instruction[34] n°5000/GEND/DSF du 10 février 2016 relative à l’habillement des personnels militaires servant dans la gendarmerie, le port de l’uniforme est une « prérogative de l’état militaire (…) obligatoire pour l’exécution du service ». Selon l’art. 06-1 de la même norme, 6.1., il est précisé qu’en « règle générale, le personnel revêt :- l’une des tenues de soirée ou de cérémonie lors des manifestations publiques ou privées, les prises d’armes, les cérémonies civiles ou militaires ». Rien n’est évidemment en revanche mentionné à propos des cérémonies religieuses puisqu’elles doivent être privées. Il est même spécifié et rappelé dans de nombreuses notes de service et même actes réglementaires[35] que le port de l’uniforme militaires est proscrit dans toute activité ou manifestation syndicale ou politique.
En conséquence, en invitant non seulement les agents à revêtir leur uniforme mais encore celui dit de cérémonie, la gendarmerie a souligné l’importance de l’événement à ses yeux et l’a considéré non comme une activité privée mais bien comme un temps de service. Cela signifie – très simplement – qu’une administration laïque a invité ses agents à participer, en service et en uniforme, à prier Dieu et sainte Geneviève (mais qu’elle ne voit pas pour autant l’atteinte aux principes préc. de neutralité et de laïcité).
Du caractère collectif des autorisations individuelles non sollicitées d’absence.
Il a récemment été donné à l’un des co-auteurs du présent article[36] de revenir sur les autorisations d’absences de service pour motif religieux et sur leur régime juridique. Il en ressort plusieurs éléments ici importants :
- d’abord, l’autorisation est une demande nécessairement individuelle et préalable actionnée par l’agent ;
- ensuite, il s’agit d’une « bienveillance » du chef de service selon les termes employés par plusieurs lignes directrices en la matière.
En conséquence, il est impossible ici d’imaginer un seul instant que l’autorisation et l’invitation collectives de la gendarmerie adressée à ses agents est similaire aux telles autorisations. En effet, une autorisation d’absence pour motif religieux est le fruit d’une démarche individuelle. Or, dans cette affaire, c’est la gendarmerie qui a incité, même si cela est facultatif, ses agents à pratiquer un culte.
De la rupture d’égalité envers les autres cultes.
Ne pourrait-on pas alors arguer par suite de ce que les agents non catholiques (les protestants, juifs, arméniens, musulmans ou encore bouddhistes pour ne citer que les principaux cultes quantitativement pratiqués en France) se trouveraient ici placés dans une situation d’inégalité en ce que personne ne les invite à célébrer leur religion ?
De nouvelles « missions » & significations pour le service public de la Gendarmerie ?
En guise de conclusion, qu’il nous soit permis d’énoncer l’art. L. 4111-1 du Code de la défense. Il rappelle que :
« L’armée de la République est au service de la Nation. Sa mission est de préparer et d’assurer par la force des armes la défense de la patrie et des intérêts supérieurs de la Nation ».
Telle est la seule et unique mission de service public que sert la fonction publique militaire. Elle n’est pas là comme le reconnaît pourtant expressément le juge nîmois en ses considérants 07 et 08 une organisatrice d’événement religieux placé sous son commandement. C’est la Nation que l’armée sert et non la religion quelle qu’elle soit et quelles que soient les traditions historiques des corps d’armes et des fonctions publiques. Sinon, cela impliquerait que demain on puisse demander à l’armée d’organiser la bar-mitsva du petit dernier ou après-demain l’Aïd El Kébir de fin de ramadan. Si ces deux événements paraissent impensables à l’avenir, alors le premier aurait dû être interdit.
En outre, qu’il nous soit aussi autorisé d’énoncer l’étonnement qui est le nôtre à constater la multiplication des doctrines (dites autorisées ou non) qui affirment que les normes laïques ou leurs interprétations juridictionnelles ont admis l’existence d’une pluralité de significations des éléments et des symboles religieux. Ainsi, sous prétexte qu’un élément religieux donné aurait acquis, au fil des années, une autre signification supplémentaire (et non substituée), d’aucuns en tirent la conséquence que la nouvelle signification effacerait l’originelle.
Ainsi, l’argument selon lequel un individu pourrait arborer un foulard ou un turban, sans être de confession musulmane ou sikhe, avait déjà pu être avancé[37]. Or il ne saurait satisfaire, puisque la valeur des signes est connue, et un non musulman n’arborera pas un signe d’appartenance à cette religion[38]. Il serait incongru alors que l’Administration – ou le juge – se permette de demander à l’individu s’il est bien de la confession dont il porte le signe. Cela constituerait évidemment une immixtion dans l’intimité de l’individu ; l’Administration, comme les autres élèves du reste, n’ont pas à connaître la religion ni à demander des précisions, si l’appartenance est réelle ou supposée.
En ce sens également se sont exprimés celles et ceux justifiant les crèches de la nativité dans les espaces publics car les fêtes de noël seraient devenues des fêtes de fin d’année dissimulant la célébration de la naissance du Christ. Non ! Même si Noël a pris un autre sens, cette seconde signification n’a pas effacé la première. Noël est toujours, à titre premier, la célébration du Christ rédempteur et confié aux soins des hommes et des femmes de foi[39]. Oser prétendre que le sens religieux en a disparu est singulièrement et précisément faire acte de mauvaise foi. Sur cette lancée, semble pourtant se diriger un auteur estimé des co-auteurs de cette contribution[40] lorsqu’il sous-entend à mi-mots que pour certains des militaires ici concernés « assister à cet office ne constitue sans doute pas (…) la manifestation d’une conviction religieuse et ne marque pas forcément une préférence religieuse ». Très respectueusement, nous ne pouvons y souscrire car cela pourrait ensuite donner lieu à l’interprétation suivante : la messe ou encore la prière ne sont pas des matérialisations de la religion. Cette justification de la non-sanction d’une atteinte manifeste aux principes de neutralité et de laïcité au prétexte qu’une ou deux personnes seraient là par hasard, pour faire plaisir aux copains ou encore pour boire un verre à l’issue de l’office est d’une mauvaise foi particulière. Que l’on soutienne qu’un agent à titre privé puisse visiter et admirer un lieu saint sans être pratiquant s’entend mais qu’il participe activement à un office, même s’il n’y prie pas, n’ôtera pas à cet office sont éminent et originel caractère religieux.
Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ;
Chronique Laïcité(s) ; Art. 330.
[1] De l’auteur, on lira avec grand profit sa « somme » sur les circulaires ainsi que ces deux articles déterminants, selon nous, pour la compréhension du phénomène laïque en Droit : Koubi Geneviève, Les circulaires administratives ; Paris, Economica ; 2003 ; « Autorisation d’absence et liberté de conscience des fonctionnaires » in Rev. Adm. ; 1987 ; n° 236 ; p. 133 et s. ; « Le juge administratif et la liberté de religion » in Revue Française de Droit Administratif (Rfda) ; 2003 ; p. 1055 et s.
[2] Il ne s’agit plus ici du pr. Koubi mais de Genovefa dite Geneviève (de Paris) (circa 420 ; circa 500).
[3] Peut-être, comme en 2016, dans l’église de Bethléem située au bout de la rue sainte-Geneviève…
[4] L’événement eu lieu à Nîmes le 30 novembre 2018 et la requête, au fond, fut déposée le 04 janvier 2019.
[5] Qu’il soit ici permis au pr. Touzeil-Divina de reprendre un court paragraphe en cours de parution dans un article consacré aux autorisations d’absence pour motif religieux (in AJCT ; juin 2021).
[6] Est ainsi annulé le concours d’officiers de police au terme duquel le jury avait interrogé un candidat sur ses pratiques confessionnelles familiales : CE, 10 avril 2009 ; M. El Haddioui, n° 311888, Rec. 158.
[7] De jurisprudence constante, est ainsi prohibé tout refus d’évolution de carrière (comme en l’espèce la titularisation d’une institutrice suppléante) du seul fait des croyances religieuses de l’agent : CE, 03 mai 1950, Demoiselle Jamet ; req. 98284 ; Rec. 247. Plus récemment, le juge de cassation a même très étonnamment validé le fait qu’un prêtre devienne même Président d’une Université laïque ce qui n’est pourtant pas une évolution de carrière mais une élection comme administrateur (CE, 27 juin 2018, Syndicat national de l’enseignement supérieur Snesup-Fsu (req. 419595) avec obs. Touzeil-Divina in Jcp G ; 09 juillet 2018 ; n° 27, p. 07 et s.).
[8] Sur sa remise en question(s), on se permettra de renvoyer au chapitre premier de nos Dix mythes du droit public ; Paris, Lgdj ; 2019 ; p. 53 et s.
[9] Il en est ainsi de la neutralité des bâtiments et des espaces publics dans lesquels, malgré une étonnante jurisprudence permissive et créatrice du juge administratif, l’apposition d’emblèmes et de symboles religieux devrait toujours être strictement prohibée. A contrario, CE, Ass., 09 nov. 2016, Commune de Melun ; Fédération de libre pensée de Vendée ; req. 395122 & 395223 ; obs. Touzeil-Divina Mathieu, « Ceci n’est pas une crèche ! » in Jcp A n°45 ; 14 novembre 2016 ; p. 02 et s.
[10] CE, 15 oct. 2003, Odent ; req. 244428 ; Rec. 402.
[11] CE, 19 février 2009, Bouvier ; n° 311633 ; Rec. T. 813.
[12] CAA de Versailles, 30 juin 2016, C. c. Commune de Sceaux ; req. 15VE00140.
[13] En ce sens : CAA de Lyon, 27 nov. 2003, Najet Ben Abdallah ; req. 03LY0192 ou TA de Toulouse, ord., 17 avril 2009, Sabrina T. c. Université Toulouse III Paul Sabatier ; req. 091424. C’est aussi ce qu’a confirmé le juge européen des droits de l’Homme : Cedh, 26 nov. 2015, Christiane Ebrahimian c. France ; req. n°64846/11 et qu’a rappelé le Conseil d’Etat dans sa formation consultative (à la demande et sur saisine du Défenseur des droits) dans son étude datée du 19 déc. 2013 ; spéc. p. 28.
[14] Cass., Soc., 19 mars 2013, Cpam de Seine-Saint-Denis ; req. 12-11.690. La jurisprudence de la même chambre et dite Baby-Loup (du même jour ; req. 11-28.845) a même étendu cette obligation de neutralité à des organes non expressément qualifiés de services publics mais dont le règlement intérieur le permet (ce qu’a repris explicitement l’art. L 1321-2-1 du Code du travail modifié à la suite de la Loi dite El Khomri du 08 août 2016).
[15] En ce sens : CE, 12 févr. 2020, M. B. c. Centre hospitalier de Saint-Denis ; req. 418299 ; avec obs. Touzeil-Divina : « Au nez et à la barbe des juges du fond, le Conseil d’Etat rappelle (enfin) qu’en soi porter la barbe n’est ni illégal ni contraire au principe de Laïcité » in Jcp A ; 24 février 2020 ; n° 08 ; p. 03 et s.
[16] « Pour un retour de l’honneur de nos gouvernants » in Valeurs actuelles ; 21 avril 2021.
[17] Coutant Pierre, La fonction publique militaire ; Paris, Lavauzelle ; 1960 ; p. 92.
[18] Ce principe de non-reconnaissance, issu de l’article 02 de la loi de 1905, ne doit pas s’entendre comme une méconnaissance ou une négation des cultes par l’Etat. Il s’agit plutôt, selon les termes du doyen Hauriou, d’une « fiction d’ignorance légale » (Hauriou Maurice, Précis de droit administratif et de droit public, Sirey, Paris, 6e édition, 1907, p. 846). En somme, il est question de supprimer le régime des cultes reconnus, c’est-à-dire de leur donner un statut officiel.
[19] CE, 8 décembre 1948, Demoiselle Pasteau, Rec. 464 ; S., 1949, 3, p. 41, 2ème espèce, note J. Rivero ; Rdp, 1949, p. 73, note M. Waline.
[20] CE, Avis, 3 mai 2000, préc.
[21] D’ailleurs, le Conseil d’Etat fit référence au « principe de laïcité et à l’obligation de neutralité qui s’impose à tout agent public », CE, 15 octobre 2003, Odent, préc.(nous soulignons).
[22] CE, 19 février 2009, Bouvier ; Ajfp, 2009, p. 253, concl. B. Bourgeois-Machureau : le fait pour un agent public d’utiliser ses fonctions pour remettre aux usagers du service public de La Poste des imprimés à caractère religieux dans le cadre de son activité de guichetier constitue une faute.
[23] Relevons d’ailleurs que cette obligation de neutralité a été consacrée par la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie des fonctionnaires. Le nouvel article 25 de la loi du 13 juillet 1983 dispose désormais : « Dans l’exercice de ses fonctions, [le fonctionnaire] est tenu à l’obligation de neutralité (…), exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité (…) « s’abstient notamment de manifester, dans l’exercice de ses fonctions, ses opinions religieuses ». Il doit par ailleurs traiter de « façon égale toutes les personnes et respecte[r] leur liberté de conscience et leur dignité ». Par conséquent, l’ancrage de la neutralité n’est plus seulement jurisprudentiel, il est également textuel, et a reçu l’onction de la Cour européenne des droits de l’homme.
[24] Loi du 02 janvier 1907 concernant l’exercice public du culte : « A défaut d’associations cultuelles, les édifices affectés à l’exercice du culte, ainsi que les meubles les garnissant, continueront, sauf désaffectation dans les cas prévus par la loi du 9 décembre 1905, à être laissés à la disposition des fidèles et des ministres du culte pour la pratique de leur religion » ; et Loi du 13 avril 1908 modifiant les titres II et III (articles 6, 7, 9, 10, 13 et 14) de la loi du 09 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat.
[25] CE, ord., 25 août 2005, Commune de Massat, Rec. 386.
[26] En effet, depuis 2016, est à la fois reconnue à ces dernières une dimension religieuse et une dimension non religieuse, donc culturelle. Dès lors, la Haute juridiction considère que si la crèche est culturelle, en raison notamment du contexte, elle sera autorisée ; si en revanche elle est accompagnée « d’élément de prosélytisme », ou s’il n’y a pas d’usages locaux, elle sera interdite. De même, le Conseil d’Etat distingue selon les lieux : dans l’enceinte des bâtiments publics, sauf circonstances particulières, le caractère culturel sera difficilement admis. En revanche, dans d’autres emplacements publics, « eu égard au caractère festif », la crèche peut être autorisée.
[27] Voir Benelbaz Clément, « La distinction entre cultuel et culturel » in Mouannès Hiam (dir.), La territorialité de la laïcité, Actes du colloque organisé le 28 mars 2018 à l’Université Toulouse 1 Capitole, Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, coll. Actes de colloque de l’IFR, 2018, p. 83-126.
[28] TA de Limoges, 24 décembre 2009, M. Geirnaert, Ajda 2010, p. 738, concl. J. Charret, et CE, 15 février 2013, Association Grande confrérie de Saint Martial et autres, Ajda 2013, p. 375 ; Rfda, 2013, p. 375, concl. E. Cortot-Boucher, note M. Comte-Perrier ; Ajda 2013, p. 1529, note M. Le Roux ; DA, n°7, juillet 2013, comm. 53, note G. Eveillard.
[29] Voir CE, 03 décembre 1954, Sieur Rastouil, évêque de Limoges, Rec.639 ; D., 1955, J., p. 31, note, dans lequel le Conseil d’Etat admettait que des cérémonies, « consacrées par les habitudes et les traditions locales », ne perdaient pas pour autant leur caractère cultuel.
[30] TA de Lille, 15 janvier 2004, M. et Mme Duavrant, BJCL, n°7/05, p. 452, concl. J. Lepers, obs. B.P. ; Ajda, 2004, p. 778, note N. Wolff.
[31] CAA de Douai, 26 mai 2005, Commune de Férin, Jcp G 2005, II, 10127, note M.‑F. Delhoste ; DA, août-septembre 2005, p. 32, note P. Türk.
[32] CE, 9 mars 1929, abbé Dumas, Rec. 286.
[33] Briand Aristide, La séparation des Eglises et de l’Etat, rapport fait le 4 mars 1905 au nom de la commission relative à la séparation des Eglises et de l’Etat et de la dénonciation du Concordat chargée d’examiner le projet de loi et les diverses propositions de loi concernant la séparation des Eglises et de l’Etat, n°2302, Chambre des députés, annexe au procès-verbal de la deuxième séance du 4 mars 1905, Paris, E. Cornély éd., p. 334.
[34] NOR : INTJ1600160J.
[35] Dont l’arrêté MinDef/Daj du 14 décembre 2007 in Jorf n° 229 du 26 décembre 2007 (texte n° 70).
[36] Voyez supra en note 05.
[37] En ce sens, Dieu Fréderic, « Le Conseil d’Etat et la laïcité négative », Jcp A., 2008, 2070 ; ou encore Garay Alain et Tawil Emmanuel, « Tumulte autour de la laïcité », D., 2004, pp. 225-229.
[38] Sauf s’il a perdu le sens commun qui associe tout signifiant à un signifié.
[39] Selon Charles Sanders Peirce (Ecrits sur le signe, Editions du Seuil, 1978), il est possible de distinguer l’indice, l’icône et le symbole. L’indice tout d’abord est un signe immédiat, il ne représente pas une chose ou un phénomène mais les manifeste (une fumée désigne par exemple un feu). L’icône ensuite est un objet dynamique dont la qualité est reliée à son signe descriptif par une similarité qualitative ou une ressemblance. L’icône est donc pour Peirce le signe dont le signifiant a une relation de similarité avec ce qu’il représente, son référent. Par exemple, un tableau, une statue ou une photographie (pour Le Petit Robert, l’icône est un « signe qui ressemble à ce qu’il désigne, à son référent ». Il confond donc l’objet et sa représentation). Enfin, le symbole distingue l’objet et sa représentation. La relation du symbole avec l’objet qu’il représente est donc arbitraire, c’est-à-dire non causale (comme dans l’indice : par exemple la fumée est l’indice d’un feu, parce que celui-ci en est la cause), elle est aussi arbitraire parce que non analogique (comme dans l’icône) : en fait cette relation est d’ordre culturel.
Ainsi, chez les chrétiens, le symbole du Christ était l’agneau. Ils nomment le Christ comme « l’agneau de Dieu » (parole de saint Jean-Baptiste) et en plus de cela les douze apôtres se symbolisaient par douze agneaux. Mais en 692, un concile s’est réuni à Istanbul et a décidé d’utiliser la croix comme symbole chrétien à la place de l’agneau. Ainsi on voit que les symboles peuvent varier dans la même culture, au gré des choix arbitraires qui s’opèrent.
Dès lors, le crucifix est l’icône de la croix sur laquelle Jésus a été crucifié, une représentation en bois, en métal ou en ivoire etc. de la croix de la crucifixion sur laquelle est de surcroît représentée la victime crucifiée (« croix sur laquelle est figuré Jésus crucifié », selon Le Petit Robert). Quant à la crèche, elle est également un icone quand on considère qu’il s’agit de figurines placées dans un décor servant de « représentation de l’étable de Bethléem et de la Nativité » (Le Petit Robert). Il y a là une relation d’analogie, créée du reste par une intention de ressemblance de la part de leurs auteurs ou de leurs utilisateurs. Mais dans les deux cas, il est possible de parler de symboles, parce qu’arbitrairement, par une intention culturelle, on fait d’un élément particulier de la vie de Jésus le symbole de sa vie entière et de son enseignement. La relation entre le signe devenu symbolique et l’objet représenté qu’est le christianisme est ici un rapport d’inclusion : un fragment de la vie sert à désigner la vie entière (et plus encore, ce qu’elle implique religieusement). C’est ce qu’en rhétorique on appelle une synecdoque. En somme, que l’on considère le crucifix et la crèche comme des icones, ou comme des symboles, il paraît impossible de disjoindre ces deux signes de leur signifié religieux, ou pour le dire autrement de leur référent religieux. La sémiotique de Pierce est ici moins opérante que la définition de Saussure qui fait essentiellement du signe un rapport entre un signifiant et un signifié.
[40] Deliancourt Samuel, « Les gendarmes peuvent assister durant leur service à la messe de sainte Geneviève dans une église » in Jcp A ; 29 mars 2021 ; n° 13 ; p. 29 et s.
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