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Précision et imprécisions sur la légalité des redevances pour service rendu

Art. 379.

la présente contribution est intégrée à la chronique
Transformation(s) du service public
de novembre 2021

par M. Henri Bouillon
maître de conférences de droit public
à l’Université de Franche-Comté, CRJFC (EA 3225)

Précision et imprécisions sur la légalité des redevances pour service rendu.
Note sous CE, 28 nov. 2018, SNCF réseau, n° 413839

Dans un contexte budgétaire contraint, que la pandémie du coronavirus n’aura pas contribué à améliorer, les redevances pour service rendu sont devenues une modalité essentielle de financement du service public[1]. Traditionnellement réservées au service public industriel et commercial (SPIC), les redevances prolifèrent également dans les services publics administratifs (SPA) facultatifs, dès lors que le Conseil d’État a refusé de consacrer un principe de gratuité du SPA (CE, ass., 18 juillet 1996, Société Direct Mail Promotion, n° 168702). Logiquement, la présence de plus en plus massive de telles redevances génère des contentieux nombreux quant à la légalité ou au calcul de ces redevances. La jurisprudence tant judiciaire qu’administrative est donc prolixe en la matière.

L’arrêt SNCF Réseau (CE, 28 novembre 2018, n° 413839) énonce, dans un considérant de principe inédit – et critiquable –, les conditions, maintenant classiques, que doivent respecter les redevances pour être légalement instituées.

Sur le fondement du traité conclu entre la France et le Royaume-Uni le 12 février 1986, concernant la construction et l’exploitation par des sociétés privées concessionnaires d’une liaison fixe transmanche, les gouvernements français et britannique ont fixé des règles de sûreté, qui imposent en particulier aux entreprises ferroviaires de procéder à des contrôles visant notamment à prévenir la présence de personnes non autorisées à bord des trains empruntant la liaison transmanche. Les entreprises privées exploitant les lignes de train empruntant le tunnel sous la Manche doivent ainsi se soumettre à ces règles de sécurité. Pour permettre la mise en œuvre de ces exigences, l’ancien établissement public industriel et commercial (EPIC) Réseau ferré de France (RFF) a, à partir de 2012, proposé aux entreprises ferroviaires de marchandises circulant sur le site du faisceau du tunnel de Calais-Fréthun, point de passage obligatoire pour l’ensemble des trains de marchandises empruntant le tunnel sous la Manche, une prestation dite « de sûreté », comprenant la détection de personnes non autorisées à bord des trains, la surveillance par le poste de vidéosurveillance et le gardiennage de la rame après contrôle et jusqu’au départ du train. En contrepartie de cette prestation, RFF a institué une redevance pour prestation complémentaire, dite « redevance de sûreté », introduite dans les documents de référence pour les horaires de service 2012, 2013 et 2014, année à partir de laquelle Eurotunnel a repris en charge ce service.

La Société Euro Cargo Rail a demandé au tribunal administratif de Paris d’annuler les dispositions des documents de références « Horaires de service » pour les années 2012, 2013 et 2014, adoptées par Réseau ferré de France (RFF) devenu SNCF Réseau, relatives à cette redevance de sûreté et le refus d’abroger ces dispositions. La société conteste en deuxième lieu la décision du 26 octobre 2012 par laquelle RFF a rejeté sa demande tendant à ce qu’il renonce à lui appliquer la redevance et les décisions rejetant les recours formés contre seize factures relatives à la redevance. Elle demande en troisième lieu au juge d’enjoindre à RFF de lui adresser les avoirs correspondant aux factures émises à son encontre au titre de la redevance.

Par un jugement n° 1306517/2-1 et 1402804/2-1 du 19 décembre 2014, le tribunal administratif de Paris a rejeté ces demandes. La société ayant fait appel, la Cour administrative d’appel de Paris a annulé le jugement par un arrêt n° 15PA00819 du 28 juin 2017. Faisant droit aux demandes de la société, la Cour a censuré les dispositions des documents de référence « Horaires de service » relatives à la redevance de sûreté et le refus de RFF d’abroger ces dispositions. Elle a en conséquence condamné SNCF Réseau à verser à la société Euro Cargo Rail les sommes acquittées par cette dernière au titre de la redevance de sûreté. SNCF Réseau s’est pourvu en cassation afin de voir le Conseil d’État annuler cet arrêt et régler l’affaire au fond.

Saisi de la question de la légalité des redevances instituées et de leur application à la société Euro Cargo Rail, le Conseil d’État casse et annule l’arrêt de la Cour administrative d’appel. D’une part, il considère que le litige relatif au paiement de la redevance par la société Euro Cargo Rail ne relevait pas de la compétence de la juridiction administrative ; sur ce point, le juge reprend une jurisprudence constante, qui n’appellera ici que quelques brefs rappels (I). D’autre part, le juge administratif se prononce sur la légalité de la redevance pour service rendu et casse l’arrêt d’appel pour avoir jugé que la prestation de sûreté litigieuse ne pouvait faire l’objet d’une redevance pour service rendu ; c’est sur ce second point que l’arrêt commenté présente un véritable intérêt et c’est sur lui que s’attardera davantage ce commentaire (II).

I. Le morcellement de la compétence juridictionnelle relative au contentieux des redevances perçues par un EPIC

En vertu de l’article L. 2111-9 du Code des transports, Réseau ferré de France (RFF), et après lui SNCF Réseau, était un EPIC. Le juge administratif a donc dû se prononcer sur sa compétence, avant même de trancher le litige qui lui était soumis. Dans le point 4, l’arrêt prend soin de rappeler que « lorsqu’un établissement tient de la loi la qualité d’établissement public à caractère industriel et commercial, les litiges nés de ses activités relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire, à l’exception de ceux qui sont relatifs à celles de ces activités qui, telles la réglementation, la police ou le contrôle, ressortissent par leur nature de prérogatives de puissance publique ». Une telle solution est désormais bien assise en jurisprudence (CE, 2 février 2004, Blanckeman, n° 247369 ; TC, 29 décembre 2004, Époux Blanckeman c/ Voies navigables de France, n° C3416 ; CE, 3 octobre 2018, Société Sonorbois, n° 410946). Évoquons ce principe (A), avant de l’appliquer plus spécifiquement à la question des redevances (B).

A. La répartition des compétences juridictionnelles pour les actes d’un EPIC

Le principe est qu’un EPIC est soumis au droit privé et que les litiges qui peuvent s’élever à l’occasion de ses activités relèvent de la compétence du juge judiciaire. En effet, un EPIC est en principe gestionnaire d’un SPIC, placé sous l’empire du droit privé. Soumis au droit privé, il relève aussi de la juridiction judiciaire, notamment pour les litiges qui l’opposent à ses usagers. « En raison de la nature juridique des liens existant entre les services publics industriels et commerciaux et leurs usagers, lesquels sont des liens de droit privé, les tribunaux judiciaires sont seuls compétents pour connaître de l’action formée par l’usager contre les personnes participant à l’exploitation du service » (CE, 5 novembre 2014, Syndicat d’agglomération nouvelle de la ville de Fos, n° 365591, point 2 ; TC, 3 juillet 2017, Office national des forêts et Syndicat mixte à la carte du Haut Val de Sèvre et Sud Gatine, n° C4084), y compris dans l’hypothèse où existe une chaîne contractuelle (Cass. 1e civ., 14 novembre 2019, Société Peugeot Citroën automobiles c/ SNCF Réseau, n° 18-21.664). Dès lors, « en présence d’un SPIC, le juge judiciaire sera, en vertu d’une jurisprudence constante, compétent pour entendre des recours engagés par l’usager, qu’ils aient trait à la reconnaissance de la qualité d’usager, à la fourniture de la prestation ou à la réparation d’un préjudice né du fonctionnement du service. Le lien de droit privé unissant l’usager et le gestionnaire du SPIC entraîne ainsi la constitution d’un bloc de compétence au profit du juge judiciaire. »[2]

Par exception à ce bloc de compétence néanmoins, l’EPIC sera soumis au droit public et au juge administratif lorsqu’il met en œuvre une compétence révélant la puissance publique. Pouvoir exorbitant du droit commun, la puissance publique peut selon nous se manifester de deux manières distinctes : soit par des compétences exorbitantes, c’est-à-dire par des activités que ne peuvent exercer les particuliers comme la réglementation, la police ou le contrôle (TC, 29 décembre 2004, Époux Blanckeman c/ Voies navigables de France, n° C3416) ; soit par des moyens exorbitants, des prérogatives de puissance publique, c’est-à-dire des procédés qui facilitent la mise en œuvre d’une compétence – exorbitantes ou non – et que ne possèdent normalement pas les particuliers, comme le monopole de l’activité ou le caractère exécutoire des actes unilatéraux adoptés. La puissance publique peut donc transparaître au niveau des compétences exorbitantes ou des prérogatives de puissance publique[3]. La puissance publique est présente dans les deux occurrences, mais elle n’est pas nécessairement soumise aux mêmes règles juridiques : le droit de la concurrence, par exemple, ne s’applique pas aux compétences exorbitantes, par principe hors marché puisque n’étant pas exercées par les particuliers, mais il peut s’appliquer aux prérogatives de puissance publique si celles-ci accompagnent une compétence non exorbitante et peuvent ainsi troubler l’égale concurrence[4]. L’EPIC sera ainsi soumis au juge administratif pour ses compétences exorbitantes, c’est-à-dire pour ses « activités qui sont, par nature, insusceptibles d’être qualifiées de service public à caractère industriel et commercial, car l’établissement public y fait usage […] de [la] puissance publique »[5].

Une telle grille de répartition des compétences juridictionnelles s’applique bien évidemment à la question des redevances pour service rendu.

B. La répartition des compétences juridictionnelles pour les redevances d’un EPIC

En l’espèce, le litige s’élève entre un EPIC (RFF) et l’un de ses usagers (la société Euro Cargo Rail), à propos des tarifs des redevances pour service rendu instituées et perçues par RFF.

Quant à la question du juge compétent, la situation est délicate, car il faut distinguer deux types de mesures relatives aux redevances, chacune relevant d’un ordre de juridiction distinct : la détermination réglementaire du tarif des redevances et l’application individuelle de ses tarifs aux usagers. La première mesure, par laquelle « l’administration fixe unilatéralement et de manière impersonnelle le montant ou les modalités de recouvrement d’une redevance devant lui permettre d’accomplir une mission de service public »[6], relève du juge administratif ; celui-ci sera donc compétent, notamment par voie de question préjudicielle, pour se prononcer sur la légalité de l’acte réglementaire d’organisation du service par lequel a été fixé le tarif de la redevance (Cass. com., 26 février 2002, Commune Breurey-lès-Faverney, n° 99-12.844 ; CE, 3 octobre 2003, Peyron, n° 242967). La seconde mesure, appliquant individuellement aux usagers les redevances fixées et qui est donc indétachable de la gestion du SPIC, doit être contestée devant le juge judiciaire ; dès lors qu’il y a un SPIC, « il n’appartient qu’à la juridiction judiciaire de connaître des litiges relatifs à l’assiette et au recouvrement des redevances qui sont réclamées aux usagers de ce service » (TC, 12 octobre 2015, Communauté de communes de la vallée du Lot et du vignoble, n° C4024)

Ici, le juge administratif décline donc sa compétence pour le litige relatif au paiement de la redevance par la société Euro Cargo Rail, litige individuel entre un usager et le gestionnaire du SPIC. Pour casser l’arrêt d’appel, le Conseil d’État relève en effet que la prestation de sûreté qui est la contrepartie de la redevance litigieuse « consiste à contrôler et à surveiller les installations et les trains de marchandises, notamment pour prévenir la présence éventuelle de personnes non autorisées à bord des trains devant emprunter le tunnel sous la Manche ». Or lorsque la présence de telles personnes est détectée, les agents de sécurité font appel aux forces de police compétentes, sans pouvoir exercer de contrainte envers les personnes qui refuseraient d’obtempérer (point 5). « Les agents chargés de cette mission ne disposaient pas de pouvoirs exorbitants d’arrestation, de rétention ou de verbalisation. »[7] Il en résulte que ces opérations matérielles ne manifestent pas l’exercice, par RFF, de la puissance publique et ne se détachent pas de la gestion du SPIC. Le juge administratif est donc incompétent pour se prononcer sur le litige qui s’est élevé entre la société et RFF à propos des factures adressées par l’EPIC à son usager.

Mais l’incompétence du juge administratif est limitée à ce point. Car la juridiction administrative retrouve un chef de compétence avec les actes réglementaires d’organisation du service public, que ce service soit administratif ou bien industriel et commercial (TC, 27 novembre 1952, Préfet de la Guyane, n° 01420 ; CE, 22 juillet 2009, Compagnie des bateaux-mouches, n° 298470). Détachables de la gestion (privée) du SPIC, ces actes révèlent toujours la puissance publique, car la compétence de créer, d’organiser et de supprimer un service public, qu’il soit administratif ou industriel et commercial, est une compétence exorbitante. Tel est le cas, comme l’expose l’arrêt Peyron précité, de la décision réglementaire instituant les redevances pour service rendu et fixant leur tarif, mais aussi de la décision de refus de les abroger ou de les modifier.

C’est pourquoi, dans notre arrêt, le Conseil d’État ne se déclare incompétent que pour une partie seulement des demandes et se prononce sur la légalité des redevances instituées. C’est sur ce point que sa décision possède le plus d’attrait.

II. La formalisation des principes d’institution d’une redevance pour service rendu

Contrairement à beaucoup de litiges relatifs aux redevances, ce n’est pas la question de son montant qui est ici soulevée devant le juge, cette question donnant lieu à une abondante jurisprudence (CE, ass., 16 juillet 2007, Syndicat national de défense de l’exercice libéral de la médecine à l’hôpital, n° 293229 ; CE, 26 juillet 2011, Société Air France, n° 329818 ; CE, 14 novembre 2018, Centre de détention de Joux-la-Ville, n° 418788).

La question de droit porte ici, non pas sur le tarif de la redevance, mais sur la possibilité même de l’instituer, c’est-à-dire sur la régularité du versement d’une redevance par l’usager du service public. Ce problème est en quelque sorte antérieur au calcul du montant de la redevance car, avant d’en déterminer le tarif, il faut bien que la redevance soit – légalement – instituée. Si la redevance est déclarée illégale, seule est possible l’institution d’une taxe, qui peut être applicable à l’ensemble des contribuables plutôt qu’aux seuls usagers du service (CE, 12 mars 2021, Société BPCE Lease Immo, n° 442583, point 3) ; la différence tient alors à l’autorité compétente pour l’instituer, puisque c’est alors au législateur, et non plus au pouvoir réglementaire, qu’il revient d’instaurer cette taxe, sur le fondement de l’article 34 de la Constitution et du principe du consentement à l’impôt posé à l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Or, sur ce point, le point 6 de l’arrêt commenté énonce, pour la première fois d’une façon aussi claire, un principe général : « une redevance pour service rendu peut être légalement établie à la condition, d’une part, que les opérations qu’elle est appelée à financer ne relèvent pas de missions qui incombent par nature à l’État et, d’autre part, qu’elle trouve sa contrepartie directe dans une prestation rendue au bénéfice propre d’usagers déterminés ». Sans distinguer selon que la redevance est une contrepartie d’un SPA ou d’un SPIC (ce qui doit être relevé) et en éludant (malheureusement) les cas où le législateur a permis l’institution d’une telle redevance, l’arrêt « opère une synthèse des jurisprudences relatives à la légalité des redevances pour service rendu »[8], en posant deux conditions pour qu’une redevance pour service rendu soit instituée : la première condition veut que la redevance assure le financement d’activités ne relevant pas « par nature » de l’État (A), la seconde qu’elle trouve une contrepartie directe dans la prestation dont bénéficie en propre l’usager à qui sont appliquées les redevances (B).

A. La redevance, financement d’activités ne relevant pas « par nature » de l’État

La première condition posée par notre arrêt pour qu’une redevance pour service rendu soit légale est que « les opérations qu’elle est appelée à financer ne relèvent pas de missions qui incombent par nature à l’État » (point 6). La formulation est a priori peu éclairante. Car il faudrait encore savoir ce que sont et quelles sont les « missions qui incombent par nature à l’État ». L’idée du « par nature » pose à cet égard question.

Elle n’est pas étrangère à la jurisprudence et à la doctrine administratives.

Comment ne pas citer les fameuses conclusions du commissaire du gouvernement Matter sur l’arrêt Bac d’Eloka (TC, 22 janvier 1921, Société commerciale de l’Ouest africain, n° 00706) ? Paul Matter distingue en effet les activités qui relèvent « par nature » de l’État et celles qu’il exerce seulement s’il y a à la fois carence de l’initiative privée et intérêt général : « certains services sont de la nature, de l’essence même de l’État ou de l’administration publique ; il est nécessaire que le principe de la séparation des pouvoirs en garantisse le plein exercice, et leur contentieux sera de la compétence administrative. D’autres services, au contraire, sont de nature privée, et s’ils sont entrepris par l’État, ce n’est qu’accidentellement, parce que nul particulier ne s’en est chargé, et qu’il importe de les assurer dans un intérêt général ; les contestations que soulève leur exploitation ressortissent naturellement de la juridiction de droit commun. »[9] De cette distinction, Matter déduit la distinction des SPA et des SPIC, les premiers, revenant par nature à l’État, étant soumis au droit public et au juge administratif, les seconds, que l’État ne gère que par accident, au droit privé et aux juridictions judiciaires. Il entend ainsi faire reposer la dualité des services publics sur la nature des choses. « Un service de l’État sera toujours un service de « nature publique » s’il correspond à l’exercice de ses « fonctions naturelles » ou « nécessaires ». […] L’essentiel pour P. Matter est d’affirmer qu’un service qui ne se rattache pas à la fonction naturelle de l’État ne saurait changer de nature pour cette raison qu’il est assuré par l’État dans un dessein d’intérêt général : il demeure un service de nature privée. »[10] Une telle conception est intéressante pour notre propos : elle entend en effet associer intimement le service public – celui qui est « par nature » attachée à l’État – à la puissance publique et réconcilier ainsi les deux membres de ce couple célèbre. En effet, « la thèse du service public « par nature » consiste à affirmer que toutes les activités relevant des fonctions « naturelles » de l’État sont des activités de service public assorties de prérogatives de puissance publique et sont soumises à un régime de droit public. »[11] Rapprochées de notre arrêt, les conclusions Matter font voir pourquoi la redevance pour service rendu ne peut être instituée pour les SPA obligatoires.

Tel est d’ailleurs ce qui ressort de la jurisprudence administrative. En jugeant, en l’espèce, qu’une mission revenant par nature à l’État ne peut faire l’objet d’une redevance pour service rendu, le Conseil d’État n’innove pas. Il avait déjà considéré que « l’exercice par la gendarmerie nationale des missions de surveillance et de sécurité des usagers qui par nature incombe à l’État » ne peut faire l’objet d’une redevance pour service rendu (CE, Ass., 30 octobre 1996, Wajs et Monnier, n° 136071 et 142688). De même, l’arrêt Centre de détention de Joux-la-Ville (CE, 14 novembre 2018, n° 418788) a admis que la société délégataire du réseau de téléphonie fixe d’un établissement pénitentiaire ne pouvait inclure dans le montant de la redevance demandée aux détenus les frais engagés pour contrôler les communications téléphoniques, car ce contrôle se rattache « aux missions générales de police qui, par nature, incombent à l’État. Les dépenses auxquelles elles donnent lieu, qui ne sont pas exposées dans l’intérêt direct des détenus, ne sauraient dès lors être financées par le tarif des communications téléphoniques perçu auprès des usagers en contrepartie du service qui leur est rendu ». La redevance ne pouvait donc pas couvrir le montant des dépenses de police (il s’agit ici davantage du calcul de la redevance que de la légalité de son institution, même si l’on voit la parenté étroite des deux questions). L’idée du « par nature » était donc déjà présente dans la jurisprudence administrative, également pour sanctuariser une certaine unité entre service public et puissance publique, en l’espèce pour dénier au service public manifestant la puissance publique la possibilité d’être facturé à l’usager.

Dans un cas comme dans l’autre, il ne faut toutefois pas se dissimuler l’artifice démonstratif de cette invocation de la nature des choses. « Le « par nature » coupe court à tout débat, celui-ci est rendu impossible. Ce qui est « par nature » ne se discute pas puisque nous étant imposé par une sorte de « loi » étrange qui nous est extérieure (et par là étrangère). »[12] De telle sorte que l’idée du « par nature » ne justifie rien et ne motive pas vraiment la décision du juge.

D’un point de vue pratique, il est ainsi particulièrement difficile de savoir concrètement quelle mission relève « par nature » de l’État et, donc, dans quels cas l’instauration d’une redevance pour service rendu sera illégale. Cette première condition semble donc délicate à manier. On peut simplement constater, à la lecture de l’arrêt, que le juge ne tient pas compte du caractère obligatoire ou facultatif du service public. « Cela autorise à penser que cette donnée est indifférente pour déterminer si une prestation relève ou non d’une mission incombant par nature à l’État ; autrement dit, qu’une activité de service public administratif obligatoire ne relève pas de jure d’une telle mission. »[13] Mais cette précision, sans être dénuée d’intérêt, reste tout de même peu éclairante.

Il nous semble que, à cette idée de missions « par nature », aurait pu être préférée celle de compétences exorbitantes, déjà évoquée. Nous avons défini une compétence exorbitante comme celle qui donne à son titulaire « la faculté de faire un acte qu’un particulier ne peut faire. Une compétence est une habilitation juridique à agir, c’est-à-dire à accomplir certains actes : la faculté de faire un acte juridique ou matériel – exorbitant ou non d’ailleurs – résulte d’une telle habilitation juridique. Une compétence peut ainsi permettre à son titulaire d’accomplir des actes (juridiques ou matériels) exorbitants, que ne peuvent réaliser les particuliers. Si tel est le cas, on se trouve en présence d’un pouvoir d’action juridique exorbitant et, donc, de la puissance publique. »[14] Traduction de la puissance publique, la compétence exorbitante est une notion éminemment relative : elle est celle qui, à un moment donné, permet de faire des actes étrangers à ceux qui sont au pouvoir des particuliers. Que ce qui est au pouvoir des particuliers vienne à changer et la compétence perdra son exorbitance et, en conséquence, ne véhiculera plus la puissance publique. Aussi la compétence exorbitante « ne désigne pas une compétence qui appartiendrait par nature à l’État, mais une compétence qui, à un moment donné et en un pays défini, est détenue et exercée par l’État »[15]. On voit ainsi l’opposition qui existe entre cette notion de compétence exorbitante, relative, et l’idée de mission relevant « par nature » de l’État, laquelle relève plutôt d’une motivation péremptoire que d’une démonstration juridique rigoureuse.

Notre cas d’espèce atteste, nous semble-t-il, de la pertinence de la notion de compétence exorbitante. Revenons au raisonnement du Conseil d’État. Celui-ci indique que les entreprises ferroviaires peuvent prendre directement en charge ce contrôle si elles le souhaitent, ce qui les exonère alors du paiement de la redevance pour service rendu. En conséquence, puisque les entreprises peuvent prendre elles-mêmes en charge le contrôle de sécurité en cause ou solliciter des entreprises de sécurité privée pour le réaliser, la redevance litigieuse doit être regardée comme finançant des opérations qui ne relèvent pas de missions qui incombent « par nature » à l’État (point 7). Le juge s’appuie bel et bien sur une comparaison des activités de l’État avec celles des particuliers pour établir que la mission n’est pas de celle qui relève « par nature » de l’État. Mais on voit bien qu’il suffirait d’un changement de réglementation pour que cette mission ne soit plus liée « par nature » à l’État. L’idée de nature des choses est donc inappropriée, philosophiquement pourrait-on dire, puisqu’elle exclut la contingence et induit au contraire une propriété congénitale. C’est pourquoi l’idée de compétence exorbitante, telle que nous l’avons définie, explique mieux l’analyse qu’opère le juge in concreto quant au caractère de l’activité exercée et permet surtout de la lier à la notion de puissance publique qui justifie l’application du droit public. Comme le souligne Guillaume Odinet, qui après avoir été rapporteur public sur l’affaire s’en fait commentateur, « l’expression « par nature » vis[e] moins, selon nous, à cibler le cœur immuable des missions de l’État (défense, justice, répression, ordre public, etc.) qu’à souligner le rattachement direct à l’action de la puissance publique. »[16]

Il nous semble donc que, pour établir la légalité d’une redevance, le Conseil d’État aurait pu se référer à l’idée de « compétence exorbitante » (ou à un autre terme véhiculant la même idée), plutôt qu’à celle de mission relevant « par nature » de l’État, qui ne dit pas grand-chose et répond mal à l’analyse qu’il effectue. Ce changement de terminologie aurait permis d’indiquer que la redevance pour service rendu est inenvisageable pour les activités que les particuliers ne peuvent effectuer eux-mêmes et que seule la puissance publique peut réaliser, mais qu’elle est au contraire possible pour les activités pouvant être mises en œuvre par les entreprises, comme en témoigne l’application de cette règle en l’espèce.

L’arrêt pose une deuxième condition à la création d’une redevance, qui soulève moins de difficultés théoriques.

B. La redevance, contrepartie du service rendu

La deuxième condition d’institution d’une redevance pour service rendu est que celle-ci « trouve sa contrepartie directe dans une prestation rendue au bénéfice propre d’usagers déterminés » (point 6).

Rappelons qu’une redevance se définit comme une somme « demandée à des usagers en vue de couvrir les charges d’un service public déterminé ou les frais d’entretien d’un ouvrage public, et qui trouve sa contrepartie directe dans les prestations fournies par le service ou dans l’utilisation de l’ouvrage. » (CE, ass., 21 novembre 1958, Syndicat national des transporteurs aériens (SNTA), n° 30693) La redevance comprend ainsi trois critères : 1° elle est versée par l’usager ; 2° elle permet de couvrir les charges inhérentes au service public ou à l’ouvrage public[17] ; 3° elle constitue la contrepartie de l’avantage procuré à l’usager par les prestations du service ou par l’utilisation de l’ouvrage.

Pour nous en tenir à la redevance pour service rendu (en excluant la redevance domaniale), elle apparaît comme la contrepartie d’un service : il faut qu’il y ait un service effectivement rendu à l’usager, et dont la redevance est la contrepartie, sans quoi son institution est illégale (CE, sect., 10 février 1995, Chambre syndicale du transport aérien, n° 148035) ; en l’absence de contrepartie, seule une taxe peut être instituée (CE, 5 octobre 2020, SA Le Nickel, n° 423928).

En l’espèce, la redevance est la contrepartie de prestations de contrôle, de surveillance et de gardiennage des trains de marchandises stationnés sur le site du faisceau du tunnel de Calais-Fréthun. Ce service fourni par RFF jusqu’en 2014 comprend notamment la détection de la présence éventuelle de personnes non autorisées à bord des trains. Le Conseil d’État prend soin de rappeler que, en vertu des accords internationaux avec le Royaume-Uni, ces contrôles sont obligatoires pour l’accès des trains de marchandises au tunnel sous la Manche, même si les entreprises peuvent les assurer elles-mêmes. Il en déduit que la redevance est légale, car elle trouve sa contrepartie directe dans une prestation rendue aux entreprises (usagers du service) qui veulent faire circuler des trains de marchandises dans le tunnel sous la Manche. La Cour administrative d’appel de Paris a inexactement qualifié les faits en jugeant que la prestation de sûreté litigieuse ne pouvait faire l’objet d’une redevance.

Puisque les charges supportées par l’usager doivent lui être effectivement retournées sous forme de service rendu, il ne doit pas supporter de charges qui bénéficieraient, en fin de compte, à d’autres, notamment aux contribuables : c’est la notion de contrepartie réelle du service rendu.

Traditionnellement, étaient ainsi distinguées les activités du service public ayant « essentiellement pour objet un intérêt général » (CE, sect., 22 décembre 1978, Syndicat viticole des Hautes Graves de Bordeaux, n° 97730) et celles visant d’abord l’avantage des usagers. « Si le service vise essentiellement l’intérêt général, son coût devra être supporté par la collectivité publique ; dans le cas contraire, s’il vise essentiellement l’intérêt d’une personne ou d’une entreprise, il pourra être financé par une redevance pour service rendu. »[18] La redevance doit peser sur l’usager qui va bénéficier individuellement du service qui est la contrepartie de la redevance acquittée. Dans l’arrêt Syndicat national des transporteurs aériens (CE, 13 novembre 1987, n° 57652) par exemple, il était question d’une redevance pour atténuation des nuisances phoniques imposée aux compagnies aériennes. Or, cette redevance avait « essentiellement pour objet la protection des populations riveraines ». Dès lors, malgré la nécessité d’atténuer ces nuisances pour les riverains, la redevance était irrégulièrement adoptée par le pouvoir réglementaire, car elle n’était « la contrepartie d’aucune prestation servie par l’exploitant d’aérodrome aux exploitants d’aéronefs », mais remplissant un but d’intérêt général ; elle ne pouvait être qu’une taxe et ne pouvait donc résulter que de la loi.

En disant que la redevance doit trouver sa contrepartie directe dans une prestation rendue à des « usagers déterminés », l’arrêt ne rompt pas avec la jurisprudence antérieure mais n’en épouse pas exactement les contours. Comme le souligne le rapporteur public dans ses conclusions précitées, si la redevance ne peut toujours être instituée que lorsque le service bénéficie effectivement à un usager précis, il n’est plus nécessaire de s’interroger sur le point de savoir si le service sert prioritairement l’intérêt général ou l’intérêt de l’usager. La redevance peut être légalement instituée dès lors que la « prestation [est] rendue au bénéfice propre d’usagers déterminés ». Même si la prestation sert l’intérêt général, ce qui est d’ailleurs le but de tout service public, une redevance peut être instituée si l’usager retire un bénéfice individuel de cette prestation. Il n’est plus utile de se demander quel intérêt sert prioritairement le service public, tant cette question pouvait s’avérer indécidable. La formule de notre arrêt a aussi le mérite de « souligner que la contrepartie de l’usager ne peut résider simplement dans le fait qu’il tire un bénéfice diffus, au même titre qu’un nombre indéterminé de personnes, de la satisfaction de l’intérêt général. En d’autres termes, l’usager doit trouver dans le service qui lui est rendu un bénéfice qui soit distinct de cette satisfaction de l’intérêt général et qui lui soit propre, c’est-à-dire dont il soit le consommateur individuel. »[19]

Mais cette formule présente encore l’avantage d’englober aussi bien les usagers du SPIC que ceux du SPA lorsque ceux-ci peuvent être astreints au paiement d’une redevance, notamment lorsque le SPA dont ils bénéficient est facultatif ou offre des prestations supplémentaires individualisables (CE, 19 février 1988, SARL Pore Gestion, n° 49338).

C’est pourquoi les deux critères (activité ne revenant pas par nature à l’État et individualisation du bénéficiaire du service) doivent être lus en parallèle : si le second critère paraît ouvrir de nouvelle possibilité de tarification des services publics, le premier limite cette faculté aux services d’une certaine nature.

De ce principe de liaison entre la redevance et le service rendu, il résulte – mais c’est alors la question du montant de la redevance qui se pose, non plus celle de son institution – que le montant de la redevance doit être proportionnée au service rendu (CE, ass., 16 juillet 2007, Syndicat national de défense de l’exercice libéral de la médecine à l’hôpital, n° 293229), puisque les tarifs des SPIC, « qui servent de base à la détermination des redevances demandées aux usagers en vue de couvrir les charges du service, doivent trouver leur contrepartie directe dans le service rendu aux usagers » (CE, 31 juillet 2009, Ville de Grenoble, n° 296964 ; Cass., 1e civ., 8 novembre 2017, n° 16-18.859). Il reviendra en l’espèce à la société Euro Cargo Rail de contester le montant de la redevance instituée devant le juge administratif si elle s’y croit fondée et de saisir le juge judiciaire pour contester l’application individuelle qui lui est faite de cette grille tarifaire.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017-2021 ;
chronique Transformation(s) du Service Public (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 379


[1] « Le financement du service public peut être défini comme l’opération juridique qui, sous le contrôle d’une collectivité publique, lui procure soit immédiatement des ressources en argent, soit lui procure des facilités en en atténuant les charges directes et indirectes des contraintes particulières d’intérêt général qui lui sont assignées. » (Louis Bahougne, Le financement du service public, LGDJ-Lextenso, coll. Bibliothèque de droit public, t. 289, 2015, p. 30-31)

[2] Jean Sirinelli, « Les recours des usagers contre les gestionnaires de services publics », Dr. Adm., 2012, étude 1.

[3] Henri Bouillon, Recherche sur la définition du droit public, IRJS, coll. Bibliothèque des thèses, 2018, pp. 317-324.

[4] Henri Bouillon, thèse préc., p. 322-323.

[5] Guillaume Odinet, « Clarification des conditions d’institution d’une redevance pour service rendu. Conclusions sur CE, 28 novembre 2018 », AJDA, 2019, p. 129.

[6] Sébastien Jeannard, « Redevances pour service rendu et compétences juridictionnelles », RFFP, 2012, p. 81.

[7] Guillaume Odinet, concl. précit..

[8] Romain Bony-Cisternes, « Redevance des établissements publics industriels et commerciaux : quelles conditions pour sa mise en place ? », AJCT, 2019, p. 100.

[9] Paul Matter, « Conclusions sur TC, 22 janvier 1921, Société commerciale de l’ouest africain », Les grandes conclusions de la jurisprudence administrative, Hervé de Gaudemar et David Mongoin (dir.), LGDJ-Lextenso, 2015, vol. 1, p. 659.

[10] Sandrine Garceries, L’élaboration d’une notion juridique de service public industriel et commercial. Retour sur un instrument de la mise en œuvre d’une séparation du « politique » et de l’ »économique » en droit administratif français, thèse, Cergy-Pontoise, Patrice Chrétien (dir.), 2010, p. 520 et 521.

[11] Sabine Boussard, « L’éclatement des catégories de service public et la résurgence du « service public par nature » », RFDA, 2008, n° 1, p. 43.

[12] Jean-Marie Pontier, « Présentation générale : le mystère des faits », Les faits en droit administratif, Jean-Marie Pontier et Emmanuel Roux (dir.), PUAM, 2010, p. 48.

[13] Frédéric Alhama, « Les activités de service public insusceptibles d’être tarifiées », AJDA, 2019, p. 595.

[14] Henri Bouillon, thèse préc., p. 318.

[15] Henri Bouillon, thèse préc., p. 493.

[16] Guillaume Odinet, « Ce qui est facturable et ce qui ne l’est pas », Dr. adm., 2019, n° 9, comm. 9, p. 46.

[17] « Il y a redevance, et non pas taxe, que pour autant que la somme exigée n’incorpore pas des éléments qui n’auraient pas pour objet de couvrir les charges d’un service ou les frais d’établissement et d’entretien d’un ouvrage public. » (CE, Redevances pour service rendu et redevances pour occupation du domaine public, DF, 2002, p. 18-19)

[18] Julien Mouchette, « Téléphoner en prison : le coût du contrôle des communications incombe à l’État. Note sous CE, 14 novembre 2018 », AJDA, 2019, p. 475.

[19] Guillaume Odinet, art. préc., p. 46.


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ParJDA

Actualités du service public hospitalier

Art. 378.

la présente contribution est intégrée à la chronique
Transformation(s) du service public
de novembre 2021

par M. Vincent Vioujas,
Directeur d’hôpital,
chargé d’enseignement à la Faculté de droit et de sciences politiques
d’Aix-en-Provence (AMU), chercheur associé au Centre de droit de la santé
(UMR 7268 ADES, AMU/EFS/CNRS)

Il ne saurait être question, dans le cadre de cette chronique, de revenir en détails sur la « fabuleuse histoire du service public »[1], à laquelle le JDA a déjà consacré un article approfondi[2]. Tout au plus rappellera-t-on que celle-ci est marquée par une éclipse législative – mais non jurisprudentielle, le Conseil d’État ayant continué d’utiliser l’expression pendant cette période – de quelques années. La loi HPST du 21 juillet 2009 avait, en effet, supprimé toute référence à la notion dans le code de la santé publique, avant que celle-ci n’y fasse un retour triomphal suite à la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

Mais, pour risquer une comparaison avec une pratique très en vogue dans l’univers des séries télévisées, il s’agit davantage d’un reboot, autrement dit d’une nouvelle version, que d’une recréation de l’originale[3]. Alors que la loi Boulin du 31 décembre 1970 privilégiait une approche fonctionnelle du service public hospitalier, celui-ci se définit désormais davantage par un ensemble d’obligations que par une liste de missions spécifiques. En cela, le secteur de la santé n’échappe pas au mouvement fort bien décrit et analysé par Salim Ziani dans sa thèse qui voit progressivement, sous l’influence du droit de l’Union, le service public remplacé par la référence aux obligations de service public[4].

De fait, l’article L.6112-1 du code de la santé publique dispose que le service public hospitalier exerce l’ensemble des missions dévolues aux établissements de santé, auxquelles s’ajoute uniquement l’aide médicale urgente, dans le respect des principes d’égalité d’accès et de prise en charge, de continuité, d’adaptation et de neutralité et conformément aux obligations définies à l’article L.6112-2. Ce dernier comporte ainsi une longue énumération dont émerge nettement la garantie, au bénéfice des personnes prises en charge par les établissements de santé assurant le service public hospitalier, de l’absence de facturation de dépassements des tarifs conventionnels, qui semble en constituer le principal marqueur[5].

Ce bref rappel de la notion étant fait, il est maintenant temps d’examiner, sans prétention à l’exhaustivité, plusieurs éléments d’actualité récente tenant à son régime juridique.

I. Les accommodements avec les obligations du service public hospitalier

Comme indiqué précédemment, l’approche fonctionnelle privilégiée lors de la refondation du service public hospitalier en 2016 repose sur la définition d’un « bloc d’obligations »[6] considérées comme les sujétions propres à ce dernier. Mais le service public hospitalier ainsi envisagé ne se limite aux établissements publics de santé ou aux hôpitaux des armées, qui l’assurent de manière automatique. Il est, en effet, ouvert à tous les établissements privés qui peuvent être habilités, selon des modalités détaillées à l’article L.6112-3 du code de la santé publique, lorsque ces derniers s’engagent à exercer l’ensemble de leur activité dans les conditions prévues à l’article L.6112-2 du même code. Dès lors que celles-ci imposent notamment le respect des tarifs conventionnels, l’habilitation des établissements privés lucratifs est cependant demeurée théorique. Le service public hospitalier n’englobe donc, pour l’essentiel, que les établissements publics de santé et les hôpitaux militaires (par nature) et une grande partie des établissements privés à but non lucratif (par habilitation)[7]. Néanmoins, au sein même de cet ensemble, le bloc d’obligations apparaît moins compact qu’annoncé et comporte deux fissures, récemment confortées, qui constituent autant d’accommodements avec les garanties en principe opposables aux établissements s’agissant de l’absence de dépassements d’honoraires.

La première brèche, et la plus importante, concerne l’activité libérale des praticiens hospitaliers au sein des établissements publics de santé. Sans s’arrêter longuement sur ce dispositif, rappelons simplement qu’il a accompagné la création, en 1958, du temps plein hospitalier dans l’objectif affiché de garantir l’attractivité des carrières. A ce titre, les praticiens hospitaliers, initialement à temps plein[8], sont autorisés à exercer une activité libérale, à la condition de respecter un certain nombre d’exigences, et notamment que la durée de celle-ci n’excède pas 20% de la durée de service hospitalier hebdomadaire à laquelle ils sont astreints[9]. Après une courte période de suppression suite à l’alternance de 1981, l’activité libérale a été réintroduite en 1987[10], sans avoir été remise en cause jusqu’à présent, même si son régime juridique a été modifié à plusieurs reprises afin d’en encadrer davantage la pratique. Bien que concernant un nombre limité de médecins[11], celle-ci est régulièrement critiquée, en particulier au regard de l’ampleur des dépassements d’honoraires appliqués dans ce cadre. Il faut dire que ces derniers peuvent parfois atteindre des niveaux importants, en moyenne plus élevés que dans le secteur privé[12].

Or la décision par laquelle le Conseil constitutionnel a validé les dispositions précitées de l’article L.6112-2 du code de la santé publique à l’occasion de l’examen de la loi du 26 janvier 2016 interrogeait sur la compatibilité du maintien de ces dépassements avec le nouveau cadre du service public hospitalier imposant le respect des tarifs conventionnels. Celui-ci a, en effet, jugé que les dispositions qui prévoient l’absence de facturation de dépassements d’honoraires « s’appliquent identiquement à tous les établissements de santé publics ou privés assurant le service public hospitalier et aux professionnels de santé exerçant en leur sein », écartant de la sorte l’atteinte au principe d’égalité invoquée par les parlementaires à l’origine du recours[13]. Ce faisant, il paraissait s’éloigner de l’argumentaire du gouvernement qui, dans ses observations, estimait que le droit d’exercer une activité libérale constitue « un droit personnel (…), sans rapport avec l’obligation qui s’impose aux établissements publics de santé de proposer à tout patient la possibilité de se faire soigner sans dépassement d’honoraires ».

Une partie de la doctrine en a conclu à l’impossibilité de pratiquer une activité libérale en secteur 2 (« honoraires libres »)[14]. Cette conséquence de la décision du Conseil constitutionnel, en tout point contraire aux intentions du gouvernement qui entendait, tout au plus, mieux réguler son exercice, a rapidement conduit ce dernier à réagir. A l’occasion d’une ordonnance de mise en cohérence, l’article L.6154-2 du code de la santé publique a ainsi été modifié afin de préciser que les dispositions réglementaires fixant les modalités d’exercice de cette activité peuvent, le cas échéant, déroger aux dispositions du 4° du I de l’article L.6112-2 du même code (à savoir le respect des tarifs conventionnels)[15].

Si ces nouvelles dispositions permettent de préserver la situation antérieure de certains praticiens hospitaliers en établissement public de santé, elles aboutissent néanmoins à créer une différence de situation entre ces derniers et les établissements privés qui, pour obtenir une habilitation au service public hospitalier, doivent avoir recours à des médecins conventionnés en secteur 1. Examinées par le Conseil constitutionnel à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) transmise par le Conseil d’État suite au refus d’habilitation opposé par un directeur général d’agence régionale de santé (ARS) à deux cliniques privées, elles ont néanmoins été déclarées conformes à la Constitution au prix d’un raisonnement qui peine à convaincre[16]. Accueillie fraîchement par la doctrine – le professeur Moquet-Anger observant férocement que « présidé par un ancien Premier ministre de François Mitterrand, le Conseil constitutionnel a renforcé le secteur d’activité libérale des praticiens hospitaliers que feux les abolitionnistes de 1982 avaient tant combattu »[17], – la décision du 21 juin 2019 souffre, en effet, de deux biais majeurs.

En premier lieu, afin d’écarter le grief invoqué d’une différence de traitement entre les patients des établissements publics de santé, le Conseil constitutionnel considère que, « lorsqu’ils exercent une activité libérale au sein de leur établissement, les praticiens des établissements publics de santé n’interviennent pas dans le cadre du service public hospitalier » (point 8). Or une telle affirmation s’avère, au mieux, réductrice et, le plus souvent, erronée. Le régime juridique de l’activité libérale à l’hôpital est en réalité bien plus complexe, ce qui n’est d’ailleurs pas sans soulever plusieurs difficultés[18]. Le patient n’est, en effet, placé dans une situation contractuelle de droit privé qu’à l’occasion de ses relations avec le seul médecin, ce qui ne pose pas de problème dans le cas d’une simple consultation externe. En revanche, pour les malades hospitalisés, l’exercice de l’activité libérale suppose une large mobilisation des moyens du service public hospitalier (personnel, prestations logistiques, locaux et matériel…) et son intrication avec ce dernier est donc bien plus étroite que le juge constitutionnel ne semble le penser. De même, dans l’hypothèse, fréquente eu égard à la pratique de l’activité libérale chez les chirurgiens, d’une intervention au bloc opératoire, le médecin anesthésiste, s’il n’exerce pas également dans le cadre d’une activité libérale, agit en tant que personnel hospitalier[19], au même titre que les autres professionnels (infirmiers anesthésistes, infirmiers de bloc opératoire…) qui concourent à la réalisation de l’acte. L’activité libérale ne chasse donc pas systématiquement le service public hospitalier.

En second lieu, le Conseil constitutionnel valide la différence de traitement entre établissements publics de santé et établissements privés habilités au service public hospitalier au prix d’une analyse tout aussi, voire plus, contestable. De manière classique et attendue, il commence, en effet, par rappeler que le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différente de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit. Dans le cas d’espèce, le Conseil constitutionnel identifie bien une différence de situation à l’origine de cette différence de traitement. Sur ce point, il est exact que les praticiens hospitaliers à temps plein ont l’obligation statutaire de consacrer la totalité de leur activité professionnelle à leurs fonctions hospitalières et, le cas échéant, universitaires et que la possibilité d’exercer une activité libérale ne constitue qu’une exception limitée à cette exigence. A l’inverse, comme l’indique la décision, les médecins libéraux employés dans un établissement de santé privé assurant le service public hospitalier « n’ont pas nécessairement vocation à y consacrer l’intégralité de leur carrière » et peuvent donc cumuler celle-ci avec la pratique d’une activité libérale non soumise à interdiction des dépassements d’honoraires, en ville ou dans un autre type d’établissement.

La validation de la différence de traitement ainsi reconnue au regard de l’objet de la loi prête en revanche davantage le flanc à la critique. Après avoir exposé les conditions encadrant la pratique de l’activité libérale à l’hôpital, le Conseil constitutionnel juge, en effet, que celle-ci vise « à offrir, uniquement à titre accessoire, un complément de rémunération et de retraite aux praticiens statutaires à temps plein des établissements publics de santé » et que ce dernier permet « d’améliorer l’attractivité des carrières hospitalières publiques et la qualité des établissements publics de santé » (point 10). Sans s’arrêter sur l’argument d’une qualité des soins qui ne serait pas garantie à l’hôpital sans l’activité libérale, déjà largement déconstruit par d’autres auteurs[20], force est de constater que les juges transforment subrepticement la question posée. Celle-ci ne portait pas, en effet, sur l’existence de l’activité libérale en elle-même, mais seulement sur la pratique des dépassements d’honoraires dans le cadre de celle-ci. En assimilant les deux, le Conseil constitutionnel travestit d’autant plus la réalité que moins de la moitié des praticiens exerçant une activité libérale appartiennent au secteur 2[21]. L’essentiel des développements est donc consacré à défendre le principe même de l’activité libérale, laquelle semble parfaitement à même d’offrir « un complément de rémunération et de retraite » aux médecins dans le respect des tarifs conventionnels, comme c’est le cas pour plus de la moitié de ceux qui y ont recours !

Certes, il paraissait sans doute politiquement compliqué de remettre en cause la pratique des dépassements d’honoraires. En tout cas, le gouvernement ne le souhaitait pas, pas plus qu’il n’entendait revenir sur le principe, érigé en totem, du respect absolu des tarifs conventionnels conditionnant l’habilitation d’un établissement privé au service public hospitalier. De fait, pour citer une fois encore Marie-Laure Moquet-Anger, « le Conseil constitutionnel a adopté une position qui garantit en même temps les deux objectifs ». Bien qu’acrobatique, elle permet donc la pérennité du secteur 2 à l’hôpital, dans le cadre de l’activité libérale. Jusqu’à présent, comme cela a déjà été indiqué, cette dernière ne concerne qu’un nombre limité de praticiens. La situation est cependant amenée à évoluer suite aux nouvelles dispositions issues de l’ordonnance n°2021-292 du 17 mars 2021[22] qui assouplit les conditions d’exercice de l’activité libérale. Celle-ci n’est notamment plus réservée aux praticiens hospitaliers à temps plein. Ces perspectives d’extension rendent d’autant plus problématique la persistance d’un ilot de liberté tarifaire au sein du service public hospitalier.

La seconde brèche correspond au particularisme de six établissements de santé privés d’intérêt collectif (ESPIC) mais mérite néanmoins d’être signalée, ne serait-ce qu’en raison de développements législatifs récents sur le sujet. Dans la très grande majorité des ESPIC, les médecins sont salariés mais l’article L.6161-9 du code de la santé public prévoit la possibilité de recourir à des professionnels libéraux, sur autorisation du directeur général de l’ARS. Ces derniers sont alors rémunérés par l’établissement sur la base des tarifs conventionnels, minorés d’une redevance. Les dépassements d’honoraires sont donc en principe interdits, ce qui est conforme aux obligations sur service public hospitalier que les ESPIC assurent également.

Certains d’entre eux étaient toutefois liés par des contrats autorisant de tels dépassements, le plus souvent repris à leur compte à la suite de la fusion avec d’autres établissements. C’est pourquoi le IV de l’article 99 de la loi du 26 janvier 2016 accordait un délai de trois ans aux ESPIC concernés pour réaliser la mise en conformité de ces contrats avec les dispositions précitées, avec retrait de l’autorisation par le directeur général de l’ARS en cas de refus de la part du praticien. Ce délai n’a toutefois pas paru suffisant puisqu’à la date d’échéance, 6 établissements n’avaient toujours pas régularisé la situation d’environ 350 professionnels libéraux. Aussi, le II de l’article 57 de la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé prévoit un nouveau délai de régularisation de trois ans.

L’une des rares modifications introduites par le Sénat et acceptées par le gouvernement et l’Assemblée nationale lors de l’examen de la proposition de loi d’amélioration du système de santé par la confiance et la simplification donne désormais une base pérenne à cette dérogation, à l’origine transitoire[23]. A l’occasion des débats, le secrétaire d’État Adrien Taquet, qui suppléait le ministre de la santé, a ainsi tenté de concilier le souhait réaffirmé de ne pas encourager cette pratique, afin de garantir l’accès aux soins, et le souci de ne pas mettre en difficulté les structures concernées « qui ont déjà du mal à recruter des médecins »[24]. L’argument de l’attractivité reste donc la principale justification apportée aux aménagements opérés par rapport aux obligations du service public hospitalier.

Néanmoins, cette exception, bien que relativement marginale, peut paraître juridiquement fragile. Dans son avis sur le projet de loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, le Conseil d’État appelait, en effet, l’attention du gouvernement sur la nécessité de maintenir un caractère temporaire à la dérogation[25]. On imagine cependant mal le Conseil constitutionnel avoir laissé passer le chameau de l’activité libérale à l’hôpital pour filtrer ensuite le moustique des dépassements d’honoraires de quelques centaines de médecins en ESPIC[26]

II. Exercice du service public hospitalier et contrat administratif

Comme l’écrivaient récemment les responsables du centre de recherche et de diffusion juridiques du Conseil d’État dans leur chronique, « que le granite porphyroïde soit, depuis 1912, plus souvent évoqué dans les amphithéâtres des facultés de droit que dans les laboratoires de géologie atteste de la permanence des critères d’identification d’un contrat administratif »[27]. Sans reprendre ici tous les arrêts de principe bien connus, nous nous limiterons à rappeler qu’ils combinent un critère organique, tenant, en principe, à ce qu’une personne publique soit partie au contrat et un critère matériel portant sur le contenu (présence de clauses exorbitantes du droit commun), l’objet (l’exécution de travaux publics ou l’exécution même du service public) ou, parfois, le régime de ce dernier[28].

S’agissant des établissements publics de santé, qui seuls satisfont au critère organique sans avoir à rechercher si l’une des (rares) hypothèses de dérogation est remplie, la question de la qualification du contrat se pose en réalité peu souvent. La plupart des contrats conclus avec des personnes privées sont, en effet, administratifs par détermination de la loi, à l’image des contrats de commande publique (marchés publics ou concession) ou des contrats d’occupation privative du domaine public. S’agissant des contrats de recrutement, même si la mise à contribution des employeurs publics dans le cadre de la politique de lutte contre le chômage par le recours aux contrats aidés laisse subsister des contrats de droit privé[29], ceux-ci restent très minoritaires. De fait, conformément à la célèbre jurisprudence Berkani mettant un terme au critère subtil, voire byzantin, de la participation directe au service public, les personnels non statutaires des personnes morales de droit public travaillant pour le compte d’un service public administratif sont des agents de droit public quel que soit leur emploi[30]. Selon les derniers chiffres de l’INSEE, les contractuels (hors emplois médicaux) représentaient, en 2019, 20,9% des effectifs de la fonction publique hospitalière, soit 248 000 personnes. Leur nombre a augmenté de +3,8% par rapport à 2018, tandis que celui de fonctionnaires continue de diminuer. Quant aux contrats aidés, ils ne concernent que 5 200 personnes, en forte baisse (-25,8%)[31].

Dans ces conditions, les occasions pour le juge administratif de se prononcer sur la nature des contrats passés par les hôpitaux dans le cadre de l’accomplissement du service public hospitalier ne sont pas si fréquentes. Quelques affaires lui ont néanmoins été soumises ces dernières années s’agissant, par exemple, du contrat par lequel un établissement met en relation, via son centre d’appel, un patient avec une société de transport sanitaire privé[32] ou de celui portant sur la mise à disposition de téléviseurs et de moyens de télécommunication aux personnes hospitalisées[33]. Plus récemment, le Conseil d’État a été amené à examiner la nature du contrat de participation à l’exercice des missions de service public (dénomination alors en vigueur) conclu avec un médecin dans le cadre des dispositions de l’article L.6146-2 du code de la santé publique, ce qui constitue, à notre connaissance, une première.

Depuis la loi HPST du 21 juillet 2009, cet article autorise le directeur d’un établissement public de santé à admettre des médecins, sages-femmes et odontologistes exerçant à titre libéral, autres que les praticiens statutaires, à participer à l’exercice des missions de l’établissement. Leurs honoraires, qui doivent respecter les tarifs conventionnels, sont à la charge de ce dernier, minorés, le cas échéant, d’une redevance. Enfin, un contrat, conclu entre le professionnel et l’établissement de santé et soumis à l’approbation du directeur général de l’ARS, fixe les conditions et modalités de leur participation et assure le respect des garanties mentionnées à l’article L. 6112-3 du code de la santé publique, décrites précédemment[34].

En l’espèce, le centre hospitalier de Digne les Bains a conclu un contrat de participation à l’exercice des missions de service public avec un médecin radiologue, pour une durée de cinq ans à compter du 1er octobre 2012. Par décision du 21 janvier 2014, le directeur de l’établissement a résilié ce contrat, décision que l’intéressé demande, sans succès, au tribunal administratif de Marseille, d’annuler. Par un arrêt du 17 avril 2018, la cour administrative d’appel (CAA) déclare n’y avoir pas lieu à statuer sur les conclusions tendant à une reprise des relations contractuelles[35], arrêt contre lequel le praticien se pourvoit en cassation.

Pour rejeter le recours et valider le raisonnement des juges d’appel, le Conseil d’État est donc conduit à se prononcer sur la nature du contrat mentionné à l’article L.6146-2[36]. Celui-ci rappelle que les dispositions en cause permettent la pratique par un professionnel de santé libéral d’une activité de soin au sein d’un établissement public de santé et la rémunération de cette dernière par des honoraires à la charge de l’hôpital, minorés d’une redevance en contrepartie de l’utilisation des moyens du service public hospitalier. La Haute juridiction examine également les exigences réglementaires opposables aux professionnels de santé, qui se limitent à renseigner un état mensuel déclaratif d’activité[37] et à s’engager à respecter un certain nombre de règles ou de documents généraux (recommandations de bonne pratique professionnelle établies par la Haute autorité de santé et les sociétés savantes, projet d’établissement…)[38]. Il en conclut ainsi qu’eu égard « à la nature des liens qu’établit un tel contrat entre l’établissement hospitalier et le professionnel de santé exerçant à titre libéral, sa passation n’a ni pour objet ni pour effet de conférer au praticien en question la qualité d’agent public ». Sans doute faut-il déduire de cette formulation l’absence d’un lien de subordination qui aurait entraîné la reconnaissance d’une telle qualité.

Le contrat visé à l’article L.6146-2 constitue donc bien un contrat administratif, ce qui n’était ni contesté, ni contestable au regard des critères rappelés plus haut, mais ne s’apparente pas à un contrat de recrutement d’un agent public. Cette conclusion semble parfaitement conforme aux intentions des parlementaires et du gouvernement qui, à l’occasion de la loi HPST, entendaient créer un dispositif unique permettant l’intervention de professionnels libéraux au sein des établissements publics de santé, en substitution du mécanisme antérieurement en vigueur dans les hôpitaux locaux et des anciennes « cliniques ouvertes ». Elle ne rompt pas non plus avec la jurisprudence qui s’appliquait à ces dernières. Le Tribunal des conflits avait, en effet, estimé que les examens ou traitements pratiqués par un radiologue dans le service radiologique de l’hôpital au profit d’un malade admis en clinique ouverte le sont en dehors de l’exercice des fonctions médicales hospitalières de ce spécialiste, même si les honoraires y afférents sont soumis par la réglementation à des règles de calcul et de reversement particulières. A ce titre, la juridiction judiciaire était seule compétente pour connaître d’une action en responsabilité formée par un malade admis en clinique ouverte contre le médecin[39].

Mais la qualification retenue, écartant celle de contrat de recrutement d’un agent public, produit surtout des conséquences contentieuses importantes que l’arrêt commenté vient utilement souligner. On sait, en effet, que ces contrats obéissent à un régime spécifique justifié, selon la célèbre formule du président Genevois, par le fait que « derrière le contrat, il y a souvent un statut qui se dessine »[40]. Ainsi, le Conseil d’État admet, de longue date, que ces agents puissent former un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de mesures d’exécution de leur contrat[41]. Il en va de même pour les tiers qui peuvent demander au juge pour l’excès de pouvoir l’annulation du contrat d’engagement d’un agent public depuis l’arrêt Ville de Lisieux[42], solution maintenue après les importantes modifications du contentieux de la légalité des contrats administratifs résultant de la jurisprudence Département de Tarn-et-Garonne[43].

Dans la présente affaire, la CAA de Marseille n’a donc pas commis d’erreur de droit en jugeant que les conclusions du médecin devaient s’analyser non comme un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation de la décision du directeur de résilier le contrat d’un agent public, mais comme tendant à la reprise des relations contractuelles. Le lecteur avisé aura immédiatement retenu la formulation issue de la célèbre jurisprudence Béziers II au terme de laquelle, si, en principe, les parties à un contrat administratif ne peuvent pas demander au juge l’annulation d’une mesure d’exécution de ce contrat, mais seulement une indemnisation du préjudice qu’une telle mesure leur a causé, elles peuvent, eu égard à la portée de celle-ci, former un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles[44]. Saisi de conclusions en ce sens, le juge du contrat doit notamment vérifier que cette reprise a encore un objet et prononcer un non-lieu à statuer lorsqu’il résulte de l’instruction que le terme stipulé du contrat est dépassé. Or, en l’espèce, le terme du contrat conclu pour une durée de cinq ans à compter du 1er octobre 2012 avait expiré le 1er octobre 2017. C’est donc à bon droit que la CAA en a conclu qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur la requête dont elle était saisie.

En définitive, même si les contentieux sur le sujet devraient rester rares compte tenu du faible nombre de contrats conclus sur le fondement de l’article L.6146-2 du code de la santé publique[45], l’arrêt du 29 juin 2020 illustre la diversité des contrats existant entre un établissement public de santé et les personnes physiques auxquelles il fait appel pour l’exécution du service public hospitalier : contrat de recrutement d’agent public (le plus souvent), contrat de droit privé (pour certains contrats aidés), et contrat administratif de prestation de services s’agissant des médecins libéraux qui n’ont pas la qualité d’agent public.

III. Le financement compensatoire du service public hospitalier

La référence aux obligations du service public, davantage qu’au service public, en matière de financement traduit le triomphe d’une approche compensatoire telle que promue par les textes européens, dans un environnement économique concurrentiel[46]. Les établissements de santé français, y compris publics, constituent, en effet, des entreprises en droit de l’Union et leur financement doit respecter un certain nombre d’exigences.

Sans entrer dans le détail[47], l’article 106-2 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)[48] prévoit que les entreprises chargées de la gestion d’un service d’intérêt économique général (SIEG) sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l’application de celles-ci ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Ainsi, la décision 2012/21/CE du 20 décembre 2011[49] énonce les conditions qu’une aide d’État attribuée sous la forme d’une compensation des obligations de service public pesant sur un SIEG doit remplir pour être considérée comme compatible avec l’article 106-2. Le cas des établissements de santé y est spécifiquement traité[50]. De fait, les aides qui leur sont attribuées sous la forme d’une compensation des obligations de service public disposent d’une présomption de compatibilité avec le traité, quel que soit leur montant, et ne sont donc pas soumises au contrôle a priori que constitue la notification préalable à la Commission. Elles doivent toutefois être accompagnées de la mise en place par chaque État d’un mécanisme de contrôle régulier, au minimum tous les 3 ans, pour s’assurer de l’absence de surcompensation, et respecter les exigences posées aux articles 4 et 5 de la décision. En substance, la gestion du SIEG doit avoir été confiée à l’entreprise concernée au moyen d’un mandat spécifiant notamment la nature et la durée des obligations ou encore les paramètres de calcul de la compensation. De plus, le montant de cette dernière ne saurait dépasser ce qui est nécessaire pour couvrir les coûts nets occasionnés par l’exécution des obligations de service public.

Ce cadre juridique apparaît désormais bien intégré par les pouvoirs publics français, comme l’illustrent les modalités retenues pour la mise en œuvre du nouveau dispositif de « reprise de dette »[51] de certains établissements de santé. La mesure a été initialement annoncée par Édouard Philippe en novembre 2019, avant le début de la crise sanitaire, alors que le gouvernement s’efforçait de canaliser les mouvements sociaux nés, au départ, dans certains services d’urgence et qui menaçaient de prendre de l’ampleur. Elle est reprise dans les conclusions du « Ségur de la santé », en juillet 2020, et incluse dans le plan de relance de 19 milliards d’euros des investissements en santé. Environ les deux-tiers de cette somme (13 milliards) correspond, en effet, à la reprise de dette des établissements participants au service public hospitalier afin, selon le dossier de presse, de « leur redonner les marges financières nécessaires à l’investissement du quotidien et améliorer les conditions de travail (pose de rails d’hôpital, achat de petit matériel…) »[52]. Le montage financier a ensuite été précisé par la loi du 7 août 2020 qui met à la somme en question à la charge de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES)[53]. Sans détailler le circuit, qui ne nous intéresse pas directement ici, ces 13 milliards d’euros ne sont donc pas financés par l’État ou par l’assurance maladie (qui sert uniquement d’intermédiaire), mais immédiatement convertis en dette sociale future. Enfin, l’article 50 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2021 fixe les règles permettant la mise en place opérationnelle de cette reprise de dette, tout en manifestant une certaine ambiguïté sur les finalités du dispositif, sur lesquelles il conviendra de revenir[54].

Dès l’examen du projet de loi relatif à la dette sociale et à l’autonomie, le Conseil d’État avait attiré l’attention du gouvernement sur l’utilité d’informer, au plus tôt, la Commission européenne des dispositions organisant le financement et le versement de cette dotation aux établissements de santé[55]. De fait, les travaux préparatoires démontrent la volonté de respecter le cadre applicable aux aides d’État destinées à compenser les obligations de service public, ce que le mécanisme adopté exprime très nettement.

En premier lieu, contrairement à ce qui avait imaginé à l’automne 2019, le nouveau dispositif n’est pas réservé aux établissements publics de santé. Le I de l’article 50 de la LFSS pour 2021 indique ainsi que ce dernier est destiné à « concourir à la compensation des charges nécessaires à la continuité, la qualité et la sécurité du service public hospitalier et à la transformation de celui-ci ». Bien que le terme d’obligations n’y figure pas, l’idée est bien de mettre en place une forme de compensation des charges pesant spécifiquement sur les établissements assurant le service public hospitalier. Un certain nombre d’établissements privés (notamment ESPIC) y auront donc accès. Il est évident qu’un choix différent, conditionnant le versement de l’aide à la nature juridique des établissements et non aux sujétions particulières qu’ils supportent, aurait été contraire aux règles européennes.

En deuxième lieu, le dispositif se réfère expressément à la notion de mandat, dont la jurisprudence a souligné l’importance[56]. Le versement de la dotation est, en effet, soumis à la conclusion d’un contrat avec l’ARS avant le 31 décembre 2021. Ces contrats, signés pour une durée maximale de dix ans, précisent en particulier « le mandat confié à l’établissement, notamment en matière de désendettement, d’investissement, d’amélioration de la situation financière et de transformation », ainsi que les charges dont le financement est assuré par cette dotation[57]. L’arrêté du 27 juillet 2021 fixe le modèle type de ce contrat « de soutien à l’investissement et à la transformation du service public hospitalier »[58].

En troisième lieu, les paramètres de calcul de cette dernière sont partiellement détaillés par le texte législatif. La rédaction définitive, qui a sensiblement varié au cours de l’examen parlementaire, indique qu’il est tenu compte des ratios d’analyse financière et des marges nécessaires à l’investissement, sans que ces critères soient limitatifs[59]. Le décret n°2021-868 du 30 juin 2021 et l’instruction du 21 juillet 2021[60] ont précisé les paramètres en question ainsi que les modalités de calcul du montant des dotations.

Enfin, les contrats doivent comporter des indicateurs de suivi et préciser les modalités d’évaluation et de contrôle et le mécanisme de reprise des financements en cas de surcompensation des charges ou de non-respect des engagements[61]. De plus, une articulation est prévue avec les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) obligatoirement conclus par chaque établissement de santé. Lors du renouvellement de ces derniers, les ARS doivent, en effet, s’assurer qu’ils sont cohérents avec les engagements et les moyens fixés dans le contrat spécifique prévu à l’article 50 de la LFSS pour 2021.

Sans s’appesantir davantage sur la présentation du dispositif, les règles retenues semblent respectueuses des exigences du droit de l’Union qui encadrent aujourd’hui étroitement les conditions de financement du service public hospitalier. Elles ne lèvent toutefois pas une ambiguïté persistante sur les finalités de ce mécanisme, tiraillé en permanence entre objectif de désendettement et financement de nouveaux investissements, comme l’atteste la modification apportée par la LFSS pour 2021 à la loi du 7 août 2020[62]. Au final, le gouvernement paraît avoir choisi…de ne pas choisir. La moitié de la somme de 13 milliards est, en effet, affectée à la restauration des capacités financières en sécurisant le financement d’investissements courants déjà prévus ou prévisibles par substitution du recours à l’emprunt, tandis que l’autre moitié est destinée au financement d’opérations d’investissements structurants dans le cadre de la nouvelle procédure d’instruction applicable en la matière[63].

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017-2021 ;
chronique Transformation(s) du Service Public (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 378


[1] Selon la formule de S. Boussard, « La fabuleuse histoire du service public hospitalier », RDSS, 2017, p.607.

[2] I. Poirot-Mazères, « Du service public hospitalier en ses contradictions », Journal du Droit Administratif, 2017, chronique Transformation(s) du Service Public,  art. 198.

[3] En matière de séries, les échecs et les déceptions semblent d’ailleurs bien plus fréquents que les réussites. Il faut dire que Magnum sans moustache, ni chemise hawaïenne et Walker Texas Ranger sans Chuck Norris n’ont pas exactement la même saveur. Malgré cela, les chaînes télévisées et les plates-formes de streaming continuent d’annoncer régulièrement de nouveaux projets.

[4] S. Ziani, Du service public à l’obligation de service public, LGDJ, Bibl. de dr. publ., t.285, 2015 : « La notion d’obligation de service public, en se substituant peu à peu au concept de service public, transforme les modes de satisfaction de l’intérêt général en imposant le respect de procédés d’intervention limités, respectueux de l’équilibre du marché » (n°622).

[5] 4° du I de l’article L.6112-2 CSP. Pour davantage de précisions, nous nous permettons de renvoyer à V. Vioujas, « Les obligations du service public hospitalier : quelles spécificités ? », RDSS, 2017, p.644.

[6] La formule est utilisée dans l’étude d’impact du projet de loi et a été régulièrement reprise lors des débats parlementaires.

[7] Est volontairement laissée de côté ici l’hypothèse de l’association au service public hospitalier, prévue à l’article L.6112-5, qui ne concerne pas l’ensemble des activités d’un établissement de santé mais seulement la prise en charge des patients en situation d’urgence ou dans le cadre de la permanence des soins par un établissement privé non habilité (autorisé à exercer une activité de soins prenant en charge des patients en situation d’urgence).

[8] Comme on le verra plus loin, cette limite est appelée à évoluer.

[9] Art. L.6154-2 CSP.

[10] L. n°87-39 du 27 janv. 1987 portant diverses mesures d’ordre social.

[11] Le dernier rapport publié sur le sujet dénombrait seulement 10% des praticiens éligibles, soit 4 581 médecins (dont près d’un quart d’hospitalo-universitaires), D. Laurent, L’activité libérale dans les établissements publics de santé, 2013, p.7.

[12] Ibid, p.12.

[13] Cons. constit., 21 janv. 2016, n°2015-727 DC, Loi de modernisation de notre système de santé.

[14] J.-M. Lemoyne de Forges, « Où va la médecine libérale à l’hôpital public ? », AJDA, 2016, p.281 ; dans le même sens, D. Cristol, « Les habits neufs du service public hospitalier », RDSS, 2016, p.643.

[15] Modification issue de l’article 1er de l’ordonnance n°2017-31 du 12 janvier 2017 de mise en cohérence des textes au regard des dispositions de la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

[16] Cons. constit., 21 juin 2019, n° 2019-792 QPC, Clinique Saint-Cœur et autres.

[17] M.-L. Moquet-Anger, « Sur la conformité à la Constitution du droit à dépassement d’honoraires réservé à l’activité libérale à l’hôpital », RDSS, 2019, p.1043.

[18] J.-M. Auby, « Sur quelques problèmes juridiques posés par l’activité libérale des praticiens hospitaliers à temps plein dans les établissements publics », RGDM, 1999, n°1, p.9.

[19] Trib. confl., 19 févr. 1990, Hervé, n°02594 ; AJDA, 1990, p.556, obs. J. Moreau ; RFDA, 1990, p.457, concl. B. Stirn ; RDSS, 1991, p.242, obs. J.-M. De Forges.

[20] M.-L. Moquet-Anger, op. cit., qui le qualifie de « fallacieux et désobligeant ».

[21] D. Laurent, op. cit., p.12.

[22] Ordonnance n°2021-292 du 17 mars 2021 visant à favoriser l’attractivité des carrières médicales hospitalières.

[23] Article 21 de la loi n°2021-502 du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification. Le texte ajoute que « ces professionnels médicaux libéraux fixent et modulent le montant de leurs honoraires à des niveaux permettant l’accès aux soins des assurés sociaux et de leurs ayants droit », ce qui représente une contrainte relativement lâche…

[24] JO AN, Compte-rendu intégral des débats, 2ème séance du 18 mars 2021, p.2753.

[25] « Les trois années supplémentaires accordées doivent permettre de régler de manière définitive les difficultés rencontrées », avis du 7 févr. 2019, p.11.

[26] Selon la formule bien connue de J. Rivero, « Filtrer le moustique et laisser passer le chameau ? », AJDA, 1981, p.275.

[27] C. Malverti, C. Beaufils, « Contrats administratifs : les petits caractères », AJDA, 2021, p.734.

[28] Pour une présentation détaillée, B. Plessix, Droit administratif général, LexisNexis, 3ème éd., 2020, p.1274 et s.

[29] Ce que le Conseil constitutionnel a admis s’agissant des emplois d’avenir professeur en considérant qu’aucun principe de valeur constitutionnelle ne fait obstacle à ce que le législateur prévoie que des personnes recrutées au titre de ces emplois participant à l’exécution du service public de l’Éducation nationale soient soumises à un régime juridique de droit privé, Cons. constit., 24 oct. 2012, n°2012-656 DC, Loi portant création des emplois d’avenir ; AJDA, 2013, p.119, note F. Melleray.

[30] Trib. confl., 25 mars 1996, Berkani c/CROUS de Lyon, n°3000 ; AJDA, 1996, p. 355, chron. J.-H. Stahl et D. Chauvaux ; Dr. soc., 1996, p.735, obs. X. Prétot ; RFDA, 1996, p.819, concl. Ph. Martin.

[31] « En 2019, l’emploi augmente dans les trois versants de la fonction publique », INSEE première, 2021, n°1842.

[32] CE, 2 mai 2016, CHRU de Montpellier, n°381370 ; JCP A, 2017, 2063, note S. Harada : le contrat n’a pas pour objet de confier au cocontractant de la personne publique l’exécution même d’une mission de service public et ne comporte pas de clause exorbitante du droit commun ; il ne s’agit donc pas d’un contrat administratif.

[33] CE, 7 mars 2014, CHU de Rouen, n°372897 ; AJDA, 2014, p.1497, note J. Hardy ; Dr. adm., 2014, comm. 32, obs. A. Sée : le contrat constitue une délégation de service public, et non pas un marché public.

[34] Le contenu du contrat, les modalités de calcul des honoraires ou encore les règles d’indemnisation de la participation à la permanence des soins sont décrits aux articles R.6146-17 à R.6146-24 du même code.

[35] CAA Marseille, 17 avr. 2018, n°16MA03270.

[36] CE, 29 juin 2020, M.B., n°421609 ; AJDA, 2021, p.1324 ; AJFP, 2021, p.319.

[37] Art. R.6146-21 CSP.

[38] Art. R.6146-18 CSP.

[39] Trib. confl., 19 mars 1979, Babsky, n°2111, Rec. CE, p.653. Sur le régime de responsabilité dans le cadre des anciennes cliniques ouvertes, v. ég. CE, sect., 4 juin 1965, Hôpital de Pont-à-Mousson, n°61367, Rec. CE, p.361.

[40] B. Genevois, conclusions sur CE, sect., 25 mai 1979, Rabut, n°06436 et 06437, Rec. CE, p.231. Plus proche de nous, v. E. Glaser, « La situation des agents publics contractuels – Conclusions sur CE, sect., 31 déc. 2008, M. Cavallo, n°283256 », RFDA, 2009, p.89 : « Ce qui est réellement contractuel dans le contrat d’un agent public est essentiellement interstitiel et, au fur et à mesure que les statuts se développent, cet espace se rétrécit ».

[41] CE, 9 juin 1948, Sieur Cousin, Rec. CE, p.254.

[42] CE, sect., 30 oct. 1998, Ville de Lisieux, n°149662 ; AJDA, 1998, p.969, chron. F. Raynaud et P. Fombeur ; RFDA, 1998, p.128, concl. J.-H. Stahl et p.139, note D. Pouyaud.

[43] CE, 2 févr. 2015, Commune d’Aix-en-Provence, n°373520 ; AJDA, 2015, p.990, note F. Melleray, qui confirme que le recours ouvert aux tiers contre un contrat de recrutement d’agent public est un recours pour excès de pouvoir.

[44] CE, sect., 21 mars 2011, Commune de Béziers, n°304806 ; AJDA, 2011, p.670, chron. A. Lallet ; JCP A, 2011, 2171, note F. Linditch ; RFDA, 2011, p.507, concl. E. Cortot-Boucher et p.518, note D. Pouyaud.

[45] Moins de 2 000 au 31 décembre 2018, v. « Les établissements de santé », Panorama de la DREES, 2020, p.39.

[46] V. à nouveau la thèse de S. Ziani, op. cit., spéc. n°92 et s. et n°622 et s.

[47] Nous avons analysé plus longuement ce dispositif dans V. Vioujas, « Le financement des hôpitaux face au droit européen de la concurrence » in Mélanges Clément, LEH, 2014, p.445.

[48] Anciennement art. 86 TCE.

[49] Décision 2012/21/UE  du 20 déc. 2011 relative à l’application de l’article 106, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux aides d’État sous forme de compensations de service public octroyées à certaines entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général (JOEU L 7, 11 janv. 2012, p.3). Ce texte fait partie du « paquet Almunia », qui se substitue au « paquet Monti-Kroes » adopté en 2005. Comme le fait remarquer S. Hennion, « la terminologie exprime de suite la légèreté de cette réglementation » (S. Hennion, « Service public de santé et droit européen », RDSS, 2013, p.45).

[50] « Les hôpitaux et les entreprises assurant des services sociaux, qui sont chargés de tâches d’intérêt économique général, présentent des spécificités qui doivent être prises en considération » (point 11 de la décision).

[51] Comme on va le voir, cette dénomination d’origine a été amenée à évoluer.

[52] Conclusions du Ségur de la santé, juill. 2020, mesure n°9.

[53] Loi n°2020-992 du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l’autonomie. La disposition figure au C du II du septies de l’article 4 de l’ordonnance n°96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale.

[54] Loi n°2020-1576 du 14 déc. 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021.

[55] Avis n°400188 et 400189 du 26 mai 2020.

[56] TPI, 7 nov. 2012, CBI c. Commission, T-137/10 ; RDSS, 2013, p.431, note D. Guinard.

[57] III de l’article 50 de la LFSS pour 2021 précitée.

[58] JO du 12 août 2021, texte n°35.

[59] II de l’article 50 de la LFSS pour 2021.

[60] Instruction n°DGOS/ PF1/DSS/1A/2021/165 du 21 juill. 2021 relative aux crédits dédiés au soutien à l’investissement et à la transformation du service public hospitalier.

[61] 4° du III de l’article 50 de la LFSS pour 2021.

[62] Dans la loi du 7 août 2020, la dotation de 13 milliards d’euros était destinée à couvrir une partie des « échéances d’emprunts contractés par les établissements de santé relevant du service public hospitalier ». Le VII de l’article 50 de la LFSS pour 2021 corrige le texte sur ce point en affectant désormais celle-ci à « un soutien exceptionnel (…) au titre du désendettement pour favoriser les investissements dans les établissements de santé assurant le service public hospitalier ».

[63] Circulaire n°6250/SG du 10 mars 2021 relative à la relance de l’investissement dans le système de santé dans le cadre du Ségur de la santé et de France relance.


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Quel droit pour l’usager du service public administratif payant ? Pour en finir avec la sujétion légale et réglementaire

Art. 377.

la présente contribution est intégrée à la chronique
Transformation(s) du service public
de novembre 2021

par Vincent Cressin,
attaché principal d’administration,
Chef de bureau d’affaires juridiques d’une collectivité territoriale


& Laurent Quessette,
docteur en droit, attaché principal d’administration
et chargé d’enseignements à Le Mans Université (Thémis UM)

Le service public a retrouvé un nouvel éclat lors de la situation de pandémie liée au Covid-19, en raison de l’importance – souvent oubliée, parfois déniée – de sa nécessité pour la continuité de la vie nationale et le bien-être de la population. Notion recouvrant une réalité multiforme, le service public est caractérisé tant par les activités régaliennes que par les activités relevant de l’État Providence, ce que Pierre Bourdieu nommait respectivement la « main droite » et la « main gauche » de l’État[1], les poignées de main étant d’ailleurs fréquentes s’agissant ainsi de la discipline des usagers à l’œuvre dans les services publics[2]. Certes, à l’heure d’une inquiétude grandissante envers les reculs de l’État de droit libéral[3], s’interroger sur les droits des usagers de certains services publics peut sembler à tout le moins incongru à l’heure des renforcements des pouvoirs de l’administration dans le contexte de la sécurité sanitaire[4]

Et pourtant, le droit régissant les rapports des usagers aux services publics bénéficie régulièrement d’avancées substantielles dans le sens de l’extension de leur protection. De telles garanties résultent souvent du législateur, ainsi du droit d’accès à la cantine scolaire publique[5] ; mais encore du juge constitutionnel qui a, par exemple, déduit du droit d’accueil des élèves des écoles maternelles et élémentaires publiques pendant le temps scolaire lors d’une grève des personnels de l’Éducation nationale la création d’un service public[6]. En l’occurrence, la corrélation entre la reconnaissance d’un droit et l’existence d’un service public est affirmée dans la mesure où elle découle d’une disposition législative dont le niveau de précision est suffisant pour créer une obligation à la charge des personnes publiques. Autre source féconde, il convient enfin de mentionner les recommandations de la Défenseure des droits veillant à l’élargissement de la protection des usagers confrontés à des dysfonctionnements de certains services publics[7]. L’état du droit en la matière est éminemment plastique et résulte – par un effet d’alimentation réciproque – tant de décisions politiques, nationales ou locales, que de mobilisations de parents d’élèves en faveur de la non-fermeture de classe scolaire, de comités de défense de dessertes ferroviaires[8], ou du mouvement hétéroclite dit des Gilets jaunes, dans lequel la disparition des services publics de certains territoires est l’un des moteurs de la colère sociale[9]… Autant de surrections arendtiennes, faisant en sorte que « la révolte des faits contre le Code »[10] engendre du droit et bouscule les systématisations juridiques autour de la notion service public. La new public administration tente de faire feu de ce bois en sollicitant la participation de l’usager sommé de rejoindre un panel d’« usager-mystère » ou un atelier de co-construction d’une politique publique dans un dessein toutefois d’efficience budgétaire du service rendu. Les temps modernes du service public suivent désormais les chemins du recours à des start-up et à leurs outils de civic tech ou de social design. L’administration citoyenne cherche à légitimer – et donc à rendre incontestable – les modalités de mise en œuvre de l’intérêt général, nonobstant en dernier ressort la part irréductible d’imperium inhérente à tout pouvoir. Bien que tout à la fois convoqué, invoqué et fabriqué, l’administré reste mal cerné par le droit et demeure une légende du droit administratif, pour suivre la thèse de Camille Morio[11]. Autre légende tout aussi légitimante de l’action publique, l’usager n’en reste pas moins concerné par des catégories juridiques qui induisent son comportement et son anima sur la scène du droit. À la différence de L’homme qui tua Liberty Valence, « Quand la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende », il s’agit dans cette contribution à repousser encore un peu plus les frontières de l’Ouest pour tenter de s’approcher des réalités de la Terre promise, de cet horizon où la notion de service public délivre une part de sa vérité…

Quoi qu’il en soit, et plus d’un siècle après Duguit, la notion de service public demeure au fondement du droit administratif, en tant qu’élément matriciel qui permet de définir d’autres notions cardinales comme l’appartenance d’un bien au régime de la domanialité publique, ou le caractère administratif d’un contrat lorsque ce dernier a trait à l’exécution même d’une mission de service public, voire qu’il en constitue une simple modalité d’exécution. Le service public est également au cœur de la transformation de l’action publique, justifiant, sous des atours modernes, la réforme de l’administration au nom de l’efficience de la dépense publique. Même le droit de l’Union européenne, pourfendeur de la gestion historique par des monopoles nationaux de services publics en réseaux, fait montre d’un certain assouplissement à l’application du droit de la concurrence en raison des missions relevant de l’intérêt général que le service public remplit sous diverses dénominations dans la plupart des États membres. Pour en revenir au droit positif interne, cette notion s’est déclinée sous les traits de la classique distinction entre « service public administratif » et « service industriel et commercial », dont l’acronyme SPA/SPIC appelle immanquablement – dans un réflexe quasi-pavlovien des étudiantes et étudiants des facultés de droit – celui d’USIA s’agissant des critères jurisprudentiels de départage en l’absence de base textuelle[12]. Il résulte de cette vénérable distinction un double régime juridique[13] en application duquel les usagers d’un service public industriel et commercial demeurent placés dans une situation contractuelle de droit privé, tandis que leurs homologues restent, à l’égard d’un service public administratif, dans une situation, pour ne pas dire une sujétion, légale et réglementaire, emportant conséquemment dévolution d’un litige à un ordre juridictionnel différent[14].

Le classicisme d’une telle position est de nature à rassurer les faiseurs de système, dans un environnement administratif de plus en plus brouillé. Mais il est des jalons qui, tels des cairns guidant le voyageur dans la brume, empêchent par leur vénération rassurante de s’affranchir de certaines sujétions. Or, la carte n’est pas le territoire et face à la tectonique de la vie sociale, les mutations en cours du droit public imposent de bouleverser nos représentations mentales parfois éculées du service public. En effet, le service public se trouve aujourd’hui contesté, si ce n’est confronté aux exigences, parfois même de manière ambivalente, du droit de la concurrence et voit ses propositions fondamentales réinterrogées, et en particulier la distinction SPA/SPIC considérablement affaiblie par l’émergence de la notion d’« opérateur économique », qui tend à reconfigurer si ce n’est à repenser l’ordonnancement juridique. Inversement, et plus favorablement, c’est aussi sous l’influence du droit de la concurrence que les personnes publiques peuvent désormais prendre en charge une activité économique dont l’intervention n’est plus strictement limitée à la carence de l’initiative privée dès lors qu’elle est justifiée par l’existence d’un intérêt local[15], remettant en cause la conception française de la liberté du commerce et de l’industrie en vertu de laquelle une activité commerciale demeure par principe réservée à l’initiative privée. Ces évolutions rendent malaisée l’appréhension et la compréhension d’une telle dualité de service public dont la justification doctrinale, du reste toujours plus ou moins confusément et liminalement questionnée, apparaît désormais et très perceptiblement remise en cause. D’autant que, en pratique, certains services publics administratifs se marchandisent et, nonobstant la contribution modeste acquittée par leurs usagers, développent une logique de boutique leur permettant de trouver des sources de financement annexes et désormais indispensables. Ce phénomène de spicisation du SPA ne concerne certes pas (encore) les services publics régaliens et gratuits (délivrance des actes de l’état civil par exemple), mais davantage diverses missions relevant de l’intérêt général à caractère facultatif, ces services publics du quotidien qui, mis en œuvre par les collectivités territoriales, demandent une participation financière sans pour autant reconnaître aux usagers une protection corrélative. Les usagers des piscines, des bibliothèques ou des conservatoires municipaux contribuent pour partie financièrement à leur utilisation tout en restant placés dans une situation légale et réglementaire. Ce sont ces services publics administratifs à caractère non gratuit pour lesquels il semble désormais judicieux de s’interroger quant à l’application du droit de la consommation à leurs usagers en vue d’une plus grande garantie de leurs droits, à l’instar de leurs homologues des services publics à caractère industriel et commercial.

En somme, cette évolution, par nature stative, du service public administratif pour lequel un écot est versé rend inachevée les interrogations entourant la justification de son régime juridique. Une telle solution, si elle possède le mérite de veiller au nécessaire maintien des exigences requises par l’existence d’un intérêt général, nous paraît pouvoir évoluer dès lors qu’elle ne prive pas de garantie les impératifs, notamment d’adaptabilité, qui s’attachent à l’exercice d’une mission de service public, tout comme la constitution de droits réels sur le domaine public a pu être entourée des précautions imposant le respect du principe de continuité du service public. C’est une nouvelle épistémologie du droit qui nous semble ainsi pouvoir être convoquée. Par ailleurs, et à bien des égards concernant en particulier le droit de la responsabilité administrative, un tel changement s’avèrerait vecteur d’une amélioration du sort des usagers dont l’indemnisation notamment apparaît souvent comme le parent pauvre du droit administratif.

Aussi est-il permis de se demander si un tel régime demeure encore adapté à la réalité de certaines relations établies entre l’administration et les usagers (I) et, dans la négative, si l’application corrélative du droit de la consommation à une telle situation ne serait pas de nature à offrir de meilleures garanties à ces derniers (II).

I. Pour un aggiornamento de la distinction SPA/SPIC : services non marchands collectifs et services marchands individualisables

Le maintien d’une telle situation réglementaire des usagers de certains services publics administratifs mérite d’être réinterrogé dans ses assises non seulement sociologiques, voire psychologiques, mais encore économiques et bien sûr juridiques.

A. L’attractivité du droit de la consommation

Le droit de la consommation a irrigué le principe de légalité administrative par une décision de Section en date du 11 juillet 2001, Société des eaux du Nord, le Conseil d’État estimant que la législation sur les clauses abusives s’applique à un contrat relatif à la distribution d’eau conclu entre un service public industriel et commercial et ses usagers[16]. Une telle position, constamment réaffirmée[17], donne sa pleine application à l’article L. 212-1 du Code de la consommation : dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Pour rappel, le caractère abusif d’une clause au sens de ces dispositions s’apprécie non seulement au regard de cette clause elle-même, mais aussi compte tenu de l’ensemble des stipulations du contrat et, lorsque celui-ci a pour objet l’exécution d’un service public, des caractéristiques particulières de ce service. Ainsi, par exemple, une association de défense des consommateurs a soumis au contrôle du juge de l’excès de pouvoir la légalité de la décision du Syndicat des transports parisiens – désormais Île-de-France Mobilités – fixant le tarif des lignes ferroviaires de la RATP et de la SNCF. Le Conseil d’État a jugé que la mesure visant à coordonner les tarifs entre les deux exploitants et les zones desservies par un ticket unique ne saurait être assimilée à une vente liée, prohibée par lesdites dispositions du Code de la consommation[18]. Désormais, « le droit de la consommation intervient en complément du droit administratif et s’adapte aux nécessités du service ; les deux droits s’interpénètrent pour renforcer le statut mixte, à la fois contractuel et réglementaire, de l’usager des services publics industriels et commerciaux »[19]. Un tel statut ne pourrait-il pas s’appliquer à l’usager des services publics administratifs à caractère payant ?

L’argumentation mérite d’être soulevée qui, débordant très largement en fait et surtout en droit le cadre strict dans lequel elle est développée, a vocation à s’étendre à notre sens aux usagers d’un SPA payant. En premier lieu, l’adoption de cette solution suppose vérifiée la relation entre un professionnel et un non-professionnel ou un consommateur, établie entre l’administration et les usagers. Mais, et sitôt admise, on peine à comprendre en quoi une telle construction serait ainsi réservée aux seuls usagers des SPIC. En réalité, une telle restriction n’apparaît pas justifiée et semble tout au contraire mise à mal par une certaine réalité sociologique qui plaiderait même pour une assimilation de l’usager quel qu’il soit à un consommateur[20]. Les mots ne sont pas neutres en ce qu’ils sont toujours investis d’une certaine représentation du réel que l’on souhaite à la fois façonner et imposer, la dénégation du consommateur renvoie in fine à une perception verticale et unilatérale des relations entre l’administration et le public qui semble à contre-courant de sa physionomie actuelle et de la dilatation de la société consumériste d’aujourd’hui[21]. Elle ne semble pas avoir d’autre justification que de codifier une relation de sujétion en vertu de laquelle l’administration impose des obligations et des contraintes. Et la notion d’usager ainsi comprise reste subsumée sous la figure plus générale de l’administré[22], sujet docile et inactif en position d’extériorité et d’infériorité vis-à-vis de l’administration. Bras séculier de l’État et plus largement personnification des pouvoirs publics dont elle réfracte la légitimité tirée du suffrage universel, l’administration demeure installée dans une relation de surplomb vis-à-vis de la société. Le droit administratif en porte l’empreinte indélébile[23], alors même que sous l’effet des droits économiques et sociaux de toutes sortes, issus notamment de la troisième génération, et dont l’excroissance tend à reconfigurer les relations anciennes de dépendances ou de sujétions et à transformer les pouvoirs publics en pourvoyeurs ancillaires des besoins et aspirations des individus, l’administration prend désormais en charge de nombreuses prestations de biens et de services. En réalité, c’est bien à un processus inchoatif de privatisation de l’action publique et symétriquement de publicisation de la demande privée auquel nous assistons. Cette évolution n’est par ailleurs guère surprenante en ce qu’elle obéit à un aboutissement logique suffisamment mis en lumière pour qu’on ne s’attarde pas trop longtemps sur son élucidation[24]. La croissance de l’État providence est inscrite dans le déploiement de l’État libéral dont elle actualise les virtualités. Pour le dire autrement, c’est l’épanouissement des droits libertés qui donne corps et chair aux droits créances, lesquels loin d’être antinomiques comme le présentent souvent tout à la fois la vulgate néo-libérale et marxiste apparaissent au contraire complémentaires. Il y a ainsi une solidarité entre l’État libéral, qui consacre la naissance de l’individualisme démocratique, et l’État providence qui en réalise l’effectivité, entre la démocratie politique d’un côté et la démocratie sociale de l’autre. L’expression des libertés publiques est intrinsèquement un facteur de promotion de droits nouveaux qui appellent en retour la création de nouveaux services publics.

En regard de cette évolution, la dualité de service public apparaît désormais assez réductrice et n’épouse plus que très imparfaitement la réalité des situations que tisse l’extrême variété des prestations qu’offre l’administration aux usagers.

B. Le phénomène de spicisation du SPA 

Si les services publics administratifs obligatoires et en principe gratuits ne sont pas concernés par ce mouvement de banalisation du droit applicable au service public, il n’en demeure pas moins que certains actes administratifs, instruments de puissance publique, sont contrôlés dans leurs effets et soumis de facto à une rationalité propre au droit commun, en particulier le respect du droit de la concurrence s’agissant des actes unilatéraux ayant un objet économique[25]. En somme, « l’espace juridique tout entier est en pleine restructuration. Le tracé de la vieille frontière entre le droit public et le droit privé devient méconnaissable »[26], et la mutation du droit administratif s’accélérant sous la pression du marché a rendu désuète la distinction entre certains services publics à caractère administratif et à caractère industriel et commercial. En effet, de manière impressionniste, les libertés économiques ont peu à peu affaibli une telle distinction. La liberté du commerce et de l’industrie, érigée en principe général du droit[27], s’est très vite imposée à tous les actes de l’administration et la plus haute juridiction administrative la place au panthéon des libertés publiques et fondamentales[28]. En conséquence, est illégal un décret qui limite l’accès à une profession qui n’a fait l’objet d’aucune limitation légale[29]. Surtout, le droit de la concurrence a considérablement érodé son principe même[30] en jugeant qu’il appartient indifféremment à l’administration de veiller au respect des articles 7, 8, 9 et 10 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence. Plus généralement, une personne publique doit respecter le droit de la concurrence, devant veiller à ce que ses décisions, lorsqu’elle réglemente, ou plus généralement ses actions, lorsqu’elle intervient dans le champ concurrentiel par différents biais notamment contractuels, ne perturbent pas le fonctionnement du marché. En clair, elle ne doit pas octroyer certains avantages économiques préférentiellement à d’autres opérateurs. Cette interdiction de principe est assurée notamment par la répression des abus de position dominante. On aperçoit les soubassements économiques qui sous-tendent une telle logique qui, dans le cas contraire, aurait considérablement amenuisé la portée des obligations dans la mesure où le domaine public en constituant le siège d’activités économiques peut potentiellement s’avérer le vecteur de distorsions concurrentielles. Le respect du droit de la concurrence implique désormais de veiller à un principe plus substantiel d’égale concurrence. Surtout, sous l’effet du droit de l’Union européenne est réputée économique toute activité de production de biens et de services sur un marché donné, indépendamment de la forme juridique de la structure en cause qui en assure la délivrance. Quant à la consécration du service d’intérêt économique général, dont le syntagme est assez révélateur et qui s’est construit sur le modèle du service public à la française, il a définitivement lié et scellé les noces du service du service public et de l’activité économique.

En somme, la constitution de blocs de compétence est de plus en plus remise en cause. Tout au contraire, au nom d’un principe d’égale concurrence, on voit mal comment le droit de la consommation ne pourrait pas faire irruption au sein des services publics administratifs qui constituent en réalité parfois, loin s’en faut, une activité économique. L’on songe notamment aux nombreuses prestations offertes dans le domaine sportif ou culturel. Du reste, une même activité gérée pour l’une en régie et pour l’autre de manière déléguée et susceptible de relever relève respectivement du régime du SPA et du SPIC, preuve s’il en fallait une que la nature du service s’avère ténue pour justifier une dualité de régime alors même que les personnes publiques imposeront souvent à ces dernières les mêmes obligations auxquelles elles s’astreignent sous la forme des fameuses obligations de service public qu’elles financent largement. En somme, une même activité aux caractéristiques sinon identiques, du moins similaires, relevant de deux régimes complètement distincts. On pourrait pousser plus loin les contradictions ou les incohérences en rappelant que, si tant est que cela soit encore nécessaire, à la suite de son arrêt inaugural précité, le Conseil d’État est juge de la légalité des clauses réglementaires d’un contrat à la législation sur les clauses abusives lorsqu’elles ressortissent à l’organisation d’un SPIC[31].

L’effacement de la distinction entre le service public administratif et le service public industriel et commercial sous l’effet d’une extension continue de la notion d’activité économique apparaît ainsi plus que jamais inéluctable et nous semble devoir laisser place à une nouvelle dichotomie bien plus pertinente et opératoire entre les services non marchands collectifs d’une part et les services marchands individualisables d’autre part, les premiers concernant des prestations régaliennes ou à forte utilité sociale, les seconds des prestations économiques, nonobstant la part même marginale de la contribution financière de l’usager. Le service public administratif payant est l’autre dénomination de cette dernière catégorie.

En définitive, un régime juridique plus contrasté nous paraît pouvoir être dégagé et à l’application duquel les droits des usagers sortiraient renforcés.

II. Vers une anamorphose du droit de la consommation en faveur de l’usager du service public administratif payant

Loin de constituer un épouvantail, le droit de la consommation appliqué au service marchand individualisable ou service public administratif payant pourrait permettre de mieux protéger l’usager consommateur de service public, enrichissant ainsi l’office du juge administratif. L’image du droit de la consommation n’est plus aussi déformée dans la représentation administrativiste, telle l’anamorphose du tableau Les Ambassadeurs d’Hans Holbein de 1533 dont le regard de côté laisse entrevoir sa véritable signification[32].

A. Le préalable de la reconnaissance de la qualité de « professionnel » du gestionnaire de service public administratif payant

Les personnes publiques peuvent-elle valablement être considérées comme un professionnel[33], en réunissent-elles les attributs, ne serait-ce que matériels ? Ce questionnement est essentiel car la notion de consommateur acquiert aussi, du moins en partie, sa pleine justification en regard, inversement, de celle de professionnel qui finalement la légitime. Cette qualification est déterminante qui entraîne ou non l’application de la législation sur les clauses abusives.

Le Code de la consommation en son article liminaire qualifie le professionnel comme toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité notamment commerciale[34]. Il s’ensuit que si l’on suppose acquise l’assimilation des services publics administratifs payants à des activités économiques, les personnes morales de droit public et les collectivités territoriales en particulier devraient être regardées comme des professionnels suivant l’indifférence du critère organique résidant dans le statut public ou privé de l’opérateur. Comme nous l’avons indiqué précédemment, une telle conclusion apparaît complètement congruente avec la conception tout à la fois fonctionnaliste et finaliste du droit européen[35] qui conduit à déduire la présence du «  professionnel » de l’existence ou non d’une position d’infériorité ou de dépendance du consommateur à son égard.

De la sorte, et par extension, il est aussi coutume de définir le professionnel comme l’homme de l’art, ce qui suppose une activité exercée de manière habituelle de laquelle il découle une position d’expertise et de légitimité dans la confiance de laquelle se noue une relation commerciale avec un consommateur, indépendamment de sa qualité de personne physique ou morale, et de son statut privé ou public. La figure du professionnel se découvre par ailleurs des obligations qui pèsent sur les personnes publiques en termes de responsabilités et dont les exigences s’avèrent à peine moins accrues que celles susceptibles d’engager les obligations de réparer incombant aux personnes privées. Elles lui sont consubstantielles et se conjuguent pour renforcer la qualité d’expert centrale dans la détermination du professionnel.     

Une telle évolution ne peut laisser intacte l’ancienne philosophie du droit à raison de la promotion progressive mais inéluctable de l’usager-consommateur du service public et du champ d’application toujours important des activités économiques. Le principe certes n’est pas encore formulé, mais l’idée y est déjà bel et bien présente et active, finissant à terme par instruire sourdement les représentations mentales susceptibles de façonner et, demain, de rénover les relations entre l’administration et ses usagers. Tout comme la promotion de l’usager et l’abandon ou la destitution corrélative de l’administré s’est accompagnée d’une rénovation des relations entre l’administration et le public, contemporaine de l’ascension du contrat[36], fondée sur davantage de réciprocité, la figure du consommateur et la reconnaissance des pouvoirs publics en tant que professionnel nous semblent ouvrir et consacrer un approfondissement de l’interpénétration du droit public et du droit privé.

Au plan juridique, la fourniture de biens et services via des télé-services doit sur la forme s’accompagner également, et pleinement, de sa reconnaissance en tant que contrats d’adhésion que les dispositions du Code de la consommation trouvent à saisir sous la diversité ou indépendamment de ces supports de manifestation. Il en est ainsi notamment des bons de commande, factures, bons de garantie, bordereaux ou bons de livraison, billets ou tickets, contenant des stipulations négociées librement ou non ou des références à des conditions générales préétablies. Cette nouvelle scène où se déploie une nouvelle relation juridique entre l’usager et le consommateur peut s’avérer être le lieu d’une sinon d’une transfiguration du moins d’une transformation du droit administratif incorporant désormais les grands principes qui gouvernent le droit des clauses abusives au bloc de légalité dans un nouveau pan du droit des services publics.

B. Pour en finir avec la situation légale et réglementaire de l’usager du service public administratif payant

Une telle évolution tirerait un trait sur des constructions jurisprudentielles peu satisfaisantes. Ainsi, s’agissant en particulier du service public de l’aide à domicile, le Conseil d’État a réaffirmé que l’usager du service public administratif demeure dans une situation légale et réglementaire, nonobstant la conclusion d’un contrat dit de séjour signé par l’usager et un centre communal d’action social (CCAS), établissement public à caractère administratif : « Considérant que la prise en charge d’une prestation d’aide à domicile par un centre communal d’action sociale, établissement public administratif en vertu des dispositions de l’article L. 123-6 du code de l’action sociale et des familles, a le caractère d’un service public administratif ; que les usagers de ce service public ne sauraient être regardés comme placés dans une situation contractuelle vis-à-vis de l’établissement concerné, alors même qu’ils concluent avec celui-ci un « contrat de séjour  » ou qu’est élaboré à leur bénéfice un « document individuel de prise en charge », dans les conditions fixées par l’article L. 311-4 du même code ; que le moyen tiré de ce qu’un litige opposant un tel service public administratif à un de ses usagers ne peut être réglé sur un fondement contractuel est relatif au champ d’application de la loi et est, par suite, d’ordre public »[37]. Si la conclusion d’une telle convention a pour objet de responsabiliser l’usager, ledit contrat n’en est finalement pas un, écartant ainsi l’application du droit de la consommation et des clauses abusives. En somme, l’usager du service public administratif signe en l’espèce un contrat d’adhésion à caractère réglementaire. L’artifice juridique déployé – et incompréhensible pour le justiciable- plaide pour une simplification.

Dans le même ordre d’idée pour une amélioration des droits de l’usager payant, dans le cadre de l’exercice d’une mission de service public administratif, la mise en cause de l’administration pourrait ainsi être recherchée sur le terrain de la responsabilité sans faute, et en particulier pour rupture d’égalité devant la loi ou devant les charges publiques. En effet, le recours en responsabilité tendant à l’indemnisation ne peut prospérer que sur le terrain de la responsabilité sans faute qui réclame un préjudice anormal et spécial. Or, la spécialité fait défaut puisqu’un tel règlement vise tous les usagers. Pour rappel, expression de la volonté générale, notre tradition légicentriste a en effet longtemps placé le législateur au-dessus de toute responsabilité. L’administration ne sachant mal faire lorsqu’elle poursuit à bon droit un but légitime d’intérêt général, son action est ainsi exclusive de toute faute, laquelle demeure indispensable pour ouvrir droit à une action en réparation. Néanmoins, la jurisprudence administrative a très vite admis que des intérêts catégoriels puissent néanmoins en souffrir et que des personnes auxquelles la satisfaction de l’intérêt général a imposé des charges plus importantes puissent être indemnisées.[38] La solution était en germe et le commissaire du Gouvernement dans l’arrêt Couitéas d’exposer la justification « nomologique » d’un tel principe qui, comportant que les membres d’une collectivité sont tous solidaires notamment par le biais de l’impôt, la démonstration par un individu d’un préjudice rompant l’équilibre des charges et des profits de la vie commune crée à son profit un droit à un dédommagement imputable aux frais généraux de la société. La responsabilité sans faute pour rupture d’égalité devant les charges publiques venait d’entrer dans notre ordonnancement juridique. Le Conseil Constitutionnel l’élèvera plus tard au rang de principe[39].

Son champ d’application a par suite été étendu aux décisions infra-législatives et aux actes réglementaires[40]. Sa mise en œuvre exige cependant un préjudice anormal, c’est-à-dire d’une certaine gravité, et spécial, dit autrement un préjudice d’une certaine ampleur et limité à un nombre restreint de personnes. La responsabilité extracontractuelle sans faute constitue ainsi, et ici, le terrain d’élection privilégié des usagers d’un service public administratif qui souhaiteraient exciper d’un préjudice pour contester notamment la situation réglementaire, ou son évolution, dans laquelle ils sont placés. Or, en pareille circonstance, la démonstration des caractères du préjudice s’avère par définition être une gageure les usagers étant tous placés dans la même situation vis-à-vis du service de sorte à tout le moins que la spécialité du préjudice fait souvent défaut. Dans ses effets, un tel dispositif apparaît en réalité voisin d’un mécanisme sinon élusif du moins limitatif de responsabilité de l’administration puisqu’elle permet d’imposer sans réelle contrepartie des sujétions unilatérales et réglementaires. Elle trouve sa justification dans le principe d’adaptabilité du service public qui implique que l’administration puisse apporter des changements dans la consistance des prestations offerts aux usagers ou dans ses modalités d’exploitation ou d’organisation. Cette dimension héraclitéenne est de l’essence même du service public qui doit pouvoir évoluer face aux mutations technologiques et techniques ainsi qu’aux nouvelles demandes sociétales, l’intérêt général qu’il vise et qu’il est sensé satisfaire étant une notion contingente, évolutive et relative. Dans ces conditions, il est malaisé d’instituer l’usager en position de revendiquer un quelconque droit subjectif opposable à la volonté de l’administration de procéder aux modifications induites par les nécessités de service public. Elle est renforcée par le principe qui, comportant que l’usager ne saurait avoir droit au maintien d’un règlement, permet à l’autorité compétente de modifier toutes les fois qu’elle le juge nécessaire des dispositions réglementaires sous réserve notamment de l’égalité de traitement entre les usagers, du principe de redevance pour service rendu et de la non rétroactivité des nouvelles mesures appelées à entrer en vigueur.

Cela étant, dans la pratique, certaines sujétions entretiennent une relation plus ou moins distante avec une telle exigence et c’est dans cet espace, croyons-nous, qu’un nouveau continent juridique s’offre au droit des clauses abusives qui pourrait avantageusement trouver à s’appliquer toutes les fois que les nécessités du service ne seraient pas avérées. Nous croyons même qu’à court ou à moyen terme, cette solution offre une voie moyenne sinon alternative à la refonte ainsi qu’à la réorganisation de nos catégories juridiques de services publics autour de ce qui semble être les services d’intérêt économique général d’un côté et les services sociaux d’intérêt général, ces derniers recouvrant les activités liées à l’exercice de puissance publique, les activités purement sociales, ou encore les prestations d’enseignement public. En unifiant les droits des usagers sous un même principe résidant tout entier dans la reconnaissance ou non d’une activité économique, ce nouveau régime en gommerait les incohérences actuelles, les aspérités confuses tout en permettant d’en rationaliser la mise en œuvre et les limites par l’application d’un ensemble de règles de droit positif communes qui les fondent.

Aussi, de telles dispositions pourraient désormais être appréciées au visa de l’article L.212-1 du code de la consommation qui prévoit que « sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ». Sans remettre en cause les grandes règles et exigences qui gouvernent l’organisation et le fonctionnement du service public, une telle évolution traduirait une avancée notable pour les droits des usagers. 

En guise de conclusion, à l’heure où le service public est décrié, où les critiques sur son coût et son efficacité remettent en cause jusqu’à son existence même, en regard notamment d’une initiative privée tout aussi légitime dans sa capacité à enregistrer les demandes sociétales, l’incorporation du droit des clauses abusives au bloc de légalité administrative pourrait apparaître comme solution qui, pleinement congruente d’ailleurs avec une nouvelle théorie du service public dont il est possible de dégager et de repérer un nouvel « épistémé », s’avèrerait vectrice de nouveaux droits pour les usagers et interdirait une fois pour toute de regarder parfois le service public comme l’alibi souterrain de la puissance publique.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017-2021 ;
chronique Transformation(s) du Service Public (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 377


[1] Pierre Bourdieu, Contre-feux I, Paris, Liber-Raisons d’Agir, 1998, p. 9.

[2] Éric Massat, Servir et discipliner, Essai sur les relations des usagers aux services publics, Paris, L’Harmattan, coll. Logiques juridiques, 2016.

[3] Mireille Delmas-Marty, « Le rêve de perfection transforme nos États de droit en États policiers », Le Monde, mardi 2 mars 2021, p. 28 ; Paul Cassia, « Le Covid-19 a gagné la guerre que lui a déclarée le président », Le Monde, samedi 20 mars 2021, p. 28.

[4] Pour une critique, Arié Alimi, Le Coup d’état d’urgence, Surveillance, répression et libertés, Paris, Seuil, 2021.

[5] L’art. 186 de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté a ainsi créé l’art. L. 131-13 du Code de l’éducation aux termes duquel « L’inscription à la cantine des écoles primaires, lorsque ce service existe, est un droit pour tous les enfants scolarisés. Il ne peut être établi aucune discrimination selon leur situation ou celle de leur famille ».

[6] CC, décision n° 2008-569 DC du 7 août 2008, Loi instituant un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire, JO, 21 août 2008.

 « En l’occurrence, la corrélation entre la reconnaissance d’un droit et l’existence d’un service public est affirmée dans la mesure où elle découle d’une disposition législative dont le niveau de précision est suffisant pour créer une obligation à la charge des personnes publiques », Virginie Donier, « Chapitre 1. Le droit au service public, reflet des obligations pesant sur les personnes publiques », La Revue des droits de l’homme, 1, 2012, p. 399 (http://journals.openedition.org/revdh/151 ; DOI : https://doi.org/10.4000/revdh. 151).

[7] Par ex., Défenseur des droits, La défaillance du forfait de post-stationnement : rétablir les droits des usagers, rapport, 2020 (https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/ddd_rapport-fps_09-01-2020_accessible.pdf).

[8] Voir, par ex., l’appel en faveur de la défense des trains du quotidien par le collectif « #enTrain », Le Monde, 17 juillet 2021.

[9] Voir, par ex., Erwan Le Noan, “Services publics : les Gilets jaune posent la question du rapport qualité-prix”, Trop libre, Fondapol, 8 décembre 2018 (https://www.contrepoints.org/2018/12/08/331955-services-publics-les-gilets-jaunes-posent-la-question-du-rapport-qualite-prix).

[10] Pour reprendre l’intitulé de l’ouvrage de Gaston Morin, La révolte des faits contre le Code, Esquisse d’une structure nouvelle des forces collectives, Paris, Bernard Grasset, 1920 ; sur ce point, Carlos Miguel Herrera, « Anti-formalisme et politique dans la doctrine juridique de la IIIe République », Mil neuf cent, Revue d’histoire intellectuelle, 2011/1 (n°29), pp. 145-165 (disponible en ligne sur Cairn).

[11] Camille Morio, L’administré, Essai sur une légende du droit administratif, préface de Nicolas Kada, Paris, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit public, t. 320, 2021.

[12] Pour rappel, l’objet du service, l’origine de ses ressources et les modalités de ses fonctionnement et organisation, CE, Ass., 16 novembre 1956, Union syndicale des industries aéronautiques, Rec., p. 434 ; concl. Laurent, D., 1956, p. 759. La trilogie des fameux critères n’est pas forcément cumulative (par ex. sur le caractère déterminant du critère de l’objet du service, TC, 21 mars 2005, Mme Alberti Scott c/ commune de Tournefort, Rec., p. 651 ; conc. Duplat, BJCL, 2005, p. 396 ; note Lachaume, RFDA, 2006, p. 119).

[13] Quoique l’apparente simplicité reste sujette à la complexité. Voir Jean-François Lachaume, « La compétence du juge administratif dans le contentieux des relations entre les services publics industriels et commerciaux et leurs usagers », Confluences, Mélanges en l’honneur de Jacqueline Morand-Deviller, préface de Roland Drago, contributions réunies par Maryse Deguergue et Laurent Fonbaustier, Montchrestien, 2007, p. 407 et s. 

[14] TC, 22 janvier 1921, Société commerciale de l’Ouest africain, Rec., p. 91 ; concl. Mater, D., 1921, 3, p. 1 ; GAJA, 21e éd., n°35. Il convient de rappeler que le juge départiteur n’emploie pas l’expression de SPIC mais d’exploitation de « service de transport dans les mêmes conditions qu’un industriel ordinaire ». Pour une actualisation d’une lecture critique de cette décision, Mathieu Touzeil-Divina, Dix mythes du droit public, préface de Jacques Caillosse, LGDJ, coll. Forum, 2019, spéc. p. 279 et s.

[15] CE, Ass., 31 mai 2006, Ordre des avocats au barreau de Paris, Rec., p. 272 ; concl. Casas, RFDA, 2006, p. 1048 ; chron. Landais et Lenica, AJDA, 2006, p. 1592 ; note Bazex, DA, août-septembre 2006, p. 21 ; chron. Plessix, JCP G, 2006, I, p. 1754.

[16] CE, Sect., 11 juillet 2001, Société des eaux du Nord, Rec., p. 348, concl. C. Bergeal ; concl. C. Bergeal, CJEG, n°582, décembre 2001, p. 496 ; chron. Guyomar et Collin, AJDA, 2001, p. 853 ; note Guglielmi, AJDA, 2001, p. 893 ; note Eckert, RDP, 2001, p. 1495. Sur cette question, l’étude approfondie de François Béroujon, L’application du droit de la consommation aux gestionnaires de services publics, Éléments de réflexion sur l’évolution du droit des services publics, thèse, Grenoble II, 2005.

[17] CE, 30 décembre 2015, Société des eaux de Marseille, n°387666, Rec., Tables (à propos d’une clause abusive déclarée illégale en raison de l’exonération de toute responsabilité du service des eaux dans le cas où une fuite dans les installations intérieures de l’abonné résulterait d’une faute commise par ce service).

[18] CE, 13 mars 2002, Union fédérale des consommateurs, Rec., p. 94 ; concl. Schwartz, BJCP, mai 2002, p. 230 ; note Guglielmi et Koubi, AJDA, 2002, p. 976 ; note R. S., DA, octobre 2002, p. 30 ; note Deffigier, RFDA, 2003, p. 772.

[19] Clotilde Deffigier, « Protection des consommateurs et égalité des usagers dans le droit des services publics », RFDA, 2003, p. 785.

[20] Jacques Chevallier, « Les droits du consommateur usager de services publics », Droit social, 1975, p. 75 et s.

[21] Gilles Lipovetsky, Les temps hypermodernes, avec la participation de Sébastien Charles, Paris, Grasset, coll. Nouveau collège de philosophie, 2004.

[22] Jacques Chevallier, « Les fondements idéologiques du droit administratif français », Variations autour de l’idéologie de l’intérêt général, t. 2, CURAPP, Paris, PUF, 1979, p. 3 et s. (en ligne).

[23] En ce sens, Jean-Arnaud Mazères, « Réflexions sur la génération du droit administratif », Mélanges offerts à Max Cluseau, Toulouse, Presses de l’IEP de Toulouse, 1985, p. 441 ; André Demichel, Le droit administratif, Essai de réflexion théorique, Paris, LGDJ, 1978. Un récent colloque a tiré de l’oubli toute la pertinence de l’œuvre d’André Demichel, https://www.univ-lehavre.fr/spip.php?article3160 (en cours de publication).

[24] Luc Ferry, Alain Renaut, 68-86 Itinéraires de l’individu, Paris, Gallimard, 1987.

[25] François Béroujon, « L’analyse des effets des actes administratifs : une nouvelle source de flexibilité du droit », RRJ, 2008-2, p. 1023 et s.

[26] Jacques Caillosse, « Droit public – droit privé : sens et portée d’un partage académique », AJDA, 1996, p. 960.

[27] CE, Ass., 22 juin 1951, (1ère esp.), Sieur Daudignac ; (2e esp.), Fédération nationale des photographes-filmeurs, Rec., pp. 362 et 363 ; concl. Gazier, (1ère esp.), D., 1951, II, p. 589 ; GAJA, n° 66.

[28] CE, 28 octobre 1960, Sieur de Laboulaye, n°48293.

[29] CE, 16 décembre 1988, Association des pêcheurs aux filets et engins, Garonne, Isle et Dordogne, n°75544.

[30] CE, Sect., 3 novembre 1997, Société Million et Marais, Rec., p. 406, concl. Stahl, p. 395 ; chron. Girardot et Raynaud, AJDA, 1997, p. 945 ; note Guézou, AJDA, 1998, p. 247 ; note Gaudemet, RDP, 1998, p. 256 ; GAJA, n° 101.

[31] CE, 30 décembre 2015, Compagnie méditerranéenne des cafés, n°387666.

[32] L’apparition de la tête de mort par cette mise de côté laisse entrevoir un crucifix dans le haut gauche du tableau, symbole d’espérance et de résurrection, Harry Bellet, « Miss Harvey sur les traces des “Ambassadeurs” », Le Monde, mercredi 7 août 2019, p. 21.

[33] Art L. 121-1 du Code de commerce.

[34] Cette définition est directement inspirée de l’article 2.2 de la directive n°2011/83/UE du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs, JOUE, 22 novembre 2011, L 304/64.

[35] CJUE, 17 mai 2018, C-147/16.

[36] Conseil d’État, rapport public 2007, Le contrat, mode d’action public et de production de normes (en ligne).

[37] CE, 5 juillet 2017, Mme A, n° 399977, Rec., Tables, concl. G. Pelissier, BJCP, n°115, p. 355, obs. S. Nicinski, p. 357 ; chron. J. Martin et G. Pelissier, JCP A, 5 février 2018, 2041.

[38] CE, 30 novembre 1923, Couitéas, n°38284, Rec. ; CE, Sect., 14 janv. 1938, Société des produits laitiers La Fleurette, n° 51704, Rec.

[39] CC, n°2015-715 DC, 5 août 2015, Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

[40] CE, Sect., 22 février 1963, commune de Gavarnie, n°50438, Rec., p. 113 (s’agissant de mesures de police interdisant le passage de piétons sur des voies où des commerçants tiraient l’essentiel de leur chiffre d’affaires de la circulation des piétons) ; CE, 31 mars 1995, Lavaud (indemnisation d’un pharmacien pour perte de clientèle par suite de la fermeture de tours d’habitation), n°137573, Rec. 


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ParJDA

L’accès à la Justice administrative au prisme de ses obstacles

Art. 376.

la présente contribution est intégrée à la chronique
Transformation(s) du service public
de novembre 2021

par Mme Dr. Oriane Sulpice,
chercheuse postdoctorale, Université Jean Moulin Lyon 3,
chercheuse associée au laboratoire CERDAP² (EA 7443)

Les bureaux d’aide juridictionnelle sont « en souffrance » [1], constatait le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel dans un avis du 8 juillet 2020 sur un projet de décret visant à réformer l’aide juridictionnelle[2]. Le Conseil regrettait que ce décret n’ait pas été pensé pour les juridictions administratives, notamment en ce qui concerne le contentieux des étrangers[3]. Il a malgré tout approuvé ce projet, qui est devenu un décret du 28 mars 2020[4]. Ce décret pose la question de l’accès au prétoire pour les requérants, alors même que la rhétorique autour de l’amélioration de l’accès à la justice administrative est au cœur des récentes réformes qu’a connu le contentieux administratif ces dernières années.

Depuis vingt ans, la simplification du droit, la performance, la qualité de la justice administrative innervent le discours de l’Etat. L’accès à la justice administrative est donc un thème sous-jacent à ce discours. En ce sens, la dématérialisation des procédures et une réflexion autour de la rédaction des décisions des juges administratifs ont été engagées. La dématérialisation des procédures a été introduite par Télérecours concernant les liens entre les juridictions et les avocats. Depuis fin novembre 2018, Télérecours citoyens permet à tout requérant de saisir par lui-même le juge administratif pour les matières où il existe une dispense d’avocat. Aussi, la réforme de la rédaction des décisions de justice pour l’ensemble de la justice administrative est mise en œuvre depuis le 1er janvier 2019. Un des objectifs de cette réforme s’inscrivait dans un meilleur accès au droit et par incidence aux juridictions administrative, en rendant les décisions plus aisées à lire.

Dans les lignes qui suivent, l’accès aux juridictions administratives de droit commun sera le thème qui va nous occuper. Nous laisserons de côté les juridictions administratives spécialisées. De plus, le thème de l’accès aux juridictions administratives peut revêtir plusieurs sens. Il peut s’agir de l’accès physique au prétoire, le fait de pouvoir s’y rendre physiquement et d’y être entendu. Il peut s’agir aussi de l’accès par le biais de l’intérêt à agir et des actes contre lesquels les requérants peuvent agir. Enfin, l’accès à la justice administrative peut être entendu comme le fait de détenir un capital procédural suffisant afin de faire entendre sa voix devant le juge administratif[5]. En ce sens, il faut alors savoir manier les nombreuses ressources afin de non seulement saisir le juge administratif, mais aussi de faire aboutir sa requête.

Au regard des différents courants de recherche en sciences juridiques, nous aimerions préciser notre approche. Cette dernière doit à la fois nous amener à une compréhension du droit, mais aussi apporter des éléments d’extériorité afin d’en affiner l’étude. Par exemple, François Ost et Michel Van de Kerchove[6] proposent une position externe modérée. En ce sens, nous tiendrons compte du discours du droit, et nous apporterons des éléments extérieurs afin de ne pas reproduire le discours des institutions, mais bien de chercher à l’expliquer. Ainsi, l’enjeu analytique ici est de ne pas seulement faire référence à la rationalité juridique du point de vue interne. Il faudra analyser qualitativement et quantitativement ce que cela signifie pour les requérants et ce que cela reflète de la relation entre l’Etat et les administrés. C’est aussi un thème peu abordé par la recherche. Il faut tout de même signaler une étude de la Mission de recherche Droit et justice entre 2004 et 2007[7] sur ce thème ou encore un dossier sur le thème dans la Revue Française de Droit Administratif en novembre et décembre 2019 intitulé « Le justiciable face à la justice administrative »[8].

Ces trente dernières années, on constate une forte augmentation du nombre des contentieux administratifs[9]. Le signe que ces contentieux ont fortement augmenté est notamment la création de cours administratives d’appel en 1987 pour y faire face, et la création récente d’une neuvième cour administrative d’appel à Toulouse en 2019[10]. De plus, l’accès aux juridictions administrative fait l’objet d’un certain nombre de principes juridiques. En effet, du point de vue des requérants le principe de légalité implique l’accès à un tribunal et le droit à un recours effectif, notamment issus de l’interprétation de l’article 16 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen[11]. C’est pour cela que l’accès aux juridictions administrative est un sujet dynamique, à analyser en parallèle des transformations de l’Etat et de son action. Le contrôle des actes de droit émis par l’Etat est une des composantes et des garanties de l’Etat de droit. Ils sont émis par des organes qui sont l’émanation même des transformations de l’Etat de droit dans l’édiction de normes juridiques, qui incarnent la régulation, telles les autorités administratives indépendantes. D’ailleurs, certains auteurs qualifient cet Etat « d’Etat post-moderne »[12]

Nous passerons rapidement sur les règles juridiques qui conditionnent l’accès au prétoire, car elles ne constituent pas le cœur de notre sujet, et parce que ce sujet est largement traité par la doctrine juridique[13]. D’une part, concernant les règles juridiques, ces dernières années le juge administratif a ouvert le prétoire à des actes qui auparavant étaient insusceptibles de recours. Depuis 2000 par exemple, les dispositions impératives à caractère général des circulaire[14], le contrôle des mesures d’ordre intérieur, notamment les sanctions disciplinaires prises à l’encontre des prisonniers[15], les tiers aux contrats administratifs justifiant d’un intérêt lésé par un contrat administratif peuvent contester sa validité devant le juge administratif[16]. On peut penser aussi aux actes non décisoires mais faisant grief[17], aux actes ne produisant pas d’effet juridique mais faisant grief [18],  ou aux documents de portée générale de l’administration ayant des effets notables[19]. L’ouverture des référés à partir de 2000 va aussi dans ce sens, notamment pour le référé-liberté[20]. D’autre part, la définition de l’intérêt à agir est une condition malléable de l’accès au prétoire. La délimitation de l’intérêt à agir est en tension avec le droit d’exercer un recours effectif. Avoir intérêt à agir c’est avoir qualité à agir, ou encore avoir le « titre juridique qui habilite à saisir le juge » selon René Chapus[21]. La définition de l’intérêt à agir des requérant sert au juge administratif à réguler l’accès au prétoire, tout comme la définition des actes susceptibles de recours.

Cependant, ces règles juridiques ne sont pas les seules conditions d’accès au juge. L’accès aux juridictions administratives est conditionné tant par les règles de droit elles-mêmes que par des facteurs tenant à la maîtrise du capital procédural par les requérants[22]. En ce sens, nous exposerons que l’amélioration de l’accès à la justice administrative imprègne les discours des acteurs étatiques, mais est en tension avec les logiques de performances et d’efficience de la justice ayant conduit aux récentes réformes du contentieux administratif. La détention d’un capital procédural pour les requérants est une condition majeure de l’accès au prétoire, qui reste peu démocratisée en droit administratif (I). De plus, les dernières réformes du droit et de la justice administrative forment un trompe-l’œil qui ne résolvent pas ces problèmes d’accès aux juridictions (II).

I. L’accès au prétoire entre mythe et réalité pour les requérants : une affaire de capital procédural

Le recours pour excès de pouvoir a été érigé en mythe par la littérature juridique (A), ce qui occulte une réalité d’un accès au prétoire conditionné par la détention d’un capital procédural pour les requérants (B).

A. Le mythe du recours pour excès de pouvoir

En droit administratif, dans le cas du recours pour excès de pouvoir, les requérants sont dispensés d’avocat, ce qui faciliterait l’accès au juge. Pourtant, rien n’est moins sûr. Au sein de la littérature juridique, il semble qu’il existe un mythe du recours pour excès de pouvoir. René Chapus le qualifie par exemple de « recours d’utilité publique » dont l’objet est « la sauvegarde de la légalité »[23]. Pour Maurice Hauriou, le requérant « joue le rôle d’un ministère public poursuivant la répression d’une infraction »[24]. Une illustration récente de cette idéalisation du recours pour excès de pouvoir est l’ouverture de la plateforme internet Télérecours citoyens qui permet à tout requérant de saisir le juge administratif d’un recours contentieux dans les matières administratives. Or, selon la synthèse de l’étude de la Mission de recherche Droit et Justice menée de 2004 à 2007 « une majorité de requérants introduit son recours au tribunal avec ministère d’avocat, bien que cela ne soit pas pour eux une obligation. »[25]. Ainsi, le recours pour excès de pouvoir permettrait d’assurer la légalité de l’action administrative par les citoyens eux-mêmes, par le simple biais d’un recours contre un acte. Il revêtirait donc une forte dimension démocratique. Cependant, la saisine d’un juge et la rédaction d’une demande nécessitent des connaissances juridiques et une pratique aguerrie. Le recours à un avocat semble indispensable, mais il peut être inaccessible financièrement pour de nombreux requérants.

L’aide juridictionnelle paraîtrait être une solution. La loi 10 juillet 1991 prévoit le bénéfice de l’aide juridictionnelle en faveur des justiciables dont les ressources sont inférieures à un certain plafond. Au regard du droit, l’aide juridictionnelle contribuerait à garantir le droit à un recours effectif devant une juridiction[26]. En 2018, il y a eu 4101 demandes d’aide juridictionnelle pour 256 000 affaires enregistrées par les juridictions. Cela veut dire qu’à peine 2% des requérant en 2018 ont fait la demande d’aide juridictionnelle. Pour mieux comprendre l’aide juridictionnelle, un détour sur le site d’un tribunal administratif permet de mieux comprendre la démarche à effectuer. Pour le tribunal administratif de Grenoble le formulaire rappelle : « Vos identifiants fiscaux et d’allocataire de la Caisse d’allocation familiale (CAF) peuvent être utilisés pour vérifier la complétude et l’exactitude de vos déclarations. »[27], ce qui peut constituer pour certains requérants une démarche intrusive et qui les met face à une procédure de vérification à laquelle ne sont pas soumis ceux qui n’ont pas besoin de cette aide. En effet, le formulaire implique que la demande d’aide juridictionnelle s’intéressera aux revenus du requérant, à sa situation professionnelle, au nombre de personnes avec qui il vit et qu’il a à charge, à son numéro d’allocataire de la caisse d’assurance familiale ainsi qu’à ses identifiants fiscaux. De plus, la disponibilité du service semble limitée, le site indique que : « Les appels sont pris par le BAJ uniquement l’après-midi de 14h à 16h ; toutefois, à compter du 23 septembre 2019, en raison d’un flux conséquent de demandes d’aide juridictionnelle, l’accueil téléphonique consacré à l’aide juridictionnelle, […] sera temporairement limité au : vendredi de 14 h à 16h »[28]. L’aide juridictionnelle ne facilite donc pas réellement et massivement l’accès à la justice administrative. En réalité, l’introduction d’un recours devant la juridiction administrative et le fait de remporter le contentieux est plutôt l’affaire de maîtrise d’un capital procédural.

B. Le capital procédural comme facteur déterminant de l’accès au prétoire

Alexis Spire et Katia Weidenfeld étudient le domaine du contentieux fiscal devant les tribunaux administratifs et démontrent les inégalités des requérants devant cette justice. Leurs travaux ont eu lieu dans le cadre de l’étude de la Mission de recherche Droit et Justice menée de 2004 à 2007. Ils insistent sur l’importance du rôle des intermédiaires du droit pour accéder aux tribunaux. Ils estiment que « Les chances d’accéder au tribunal et d’y obtenir gain de cause ne se réduisent pas à un ensemble de compétences juridiques, mais dépendent plutôt d’un capital procédural que des justiciables détiennent sans avoir nécessairement de connaissances en droit. »[29]. Ce capital procédural consiste en « la capacité du requérant à traduire, ou à faire traduire, son affaire dans le langage du droit qui conditionne ses chances de réussite. »[30]. Les intermédiaires du droit sont aussi essentiels. Ainsi, la synthèse de l’étude de la Mission de recherche Droit et Justice menée de 2004 à 2007 expose « L’importance des « intermédiaires du droit » dans la formation d’un recours révèle le trompe-l’œil que constitue la justice administrative : le dépôt d’une requête semble à la portée de tous les usagers de l’administration, quels que soient leurs ressources ou leur profil sociologique, mais cette très large ouverture masque de profondes inégalités dans la compréhension de la procédure et les différents usages qui peuvent être faits du tribunal. »[31]. Cette étude suggère que le recours aux tribunaux administratif ne se présente pas spontanément pour les administrés, mais que les intermédiaires juridiques informent et incitent à avoir recours au juge administratif. Il y a donc une double barrière à franchir à l’entrée des tribunaux. En premier lieu, il faut avoir conscience qu’un acte administratif peut être déféré devant une juridiction. En second lieu, il faut pouvoir formuler la requête en termes juridiques. Le recours à des auxiliaires de justice tels, les avocats ou à des intermédiaires, tels des associations, permet de traduire dans le langage contentieux une demande à laquelle l’administré n’aurait peut-être même pas pensé lui-même. Ainsi, des jurisprudences portent des noms récurrents d’associations, par exemple le GISTI[32] qui agit dans le domaine du droit des personnes immigrée en intentant des recours devant les juridictions administratives ou à France Nature Environnement qui agit dans le domaine de la protection de l’environnement. Pour le requérant, le rôle des avocats est prépondérant. Ils traduisent en fait dans le langage juridique les demande des requérants qui les sollicitent. En cela, leur maîtrise du champ juridique et du langage juridique leur confère un rôle central[33]. Pourtant en droit administratif, le recours pour excès de pouvoir est présenté comme un recours idéal car dispensé d’avocat. Or, l’étude de Alexis Spire et Katia Weidenfeld remet en cause cette idée. Elle remet en cause aussi l’idée que le droit n’est qu’une affaire de juristes professionnels formés par des études de droit initiales. En effet les membres de associations qui assurent les permanences juridiques peuvent se saisir de la question contentieuse par le biais d’une formation et de la pratique. Le contentieux administratif contient donc une inégalité de fait entre ceux qui maîtrisent le capital procédural et ceux qui ne le maîtrisent pas.

Aussi, l’augmentation du nombre de recours ne signifie pas forcément que l’accès à la justice améliore les conditions de vie des requérants. Par exemple le fait que le nombre de contentieux en matière de droit des étrangers augmente d’années en années n’indique pas une amélioration de l’accès à la justice pour les étrangers, mais bien une stratégie de judiciarisation de cette problématique par les associations face à la multiplication des actes à leur égard. La synthèse de l’étude de la Mission de recherche Droit et Justice portant sur le recours à la justice administrative explique que : « Nombre d’associations (comme la Cimade, la Ligue des droits de l’Homme ou la Fédération des associations de travailleurs immigrés) se sont en effet progressivement spécialisées dans une défense juridique des étrangers en situation irrégulière et cette forme de mobilisation par le droit a beaucoup contribué à augmenter le nombre de recours déposés au tribunal administratif. Il est bientôt devenu impératif pour les membres de ces associations souhaitant s’investir dans les permanences de conseil et de soutien aux migrants, de suivre une formation juridique sur le droit des étrangers. »[34].

Ainsi, l’introduction d’un recours n’est pas aussi simple que le laisse promettre le recours pour excès de pouvoir dans les manuels de droit. Et les difficultés d’accès à la justice administrative n’ont pas été levées par les récentes réformes du contentieux administratif. Ces dernières ont été conduites avec des éléments de langage relatifs à la simplification du droit et à l’amélioration de l’accès à la justice. Ces discours révèlent aussi une rhétorique de la performance et de l’efficience. Nous allons voir ce qu’il en est.

II. Des réformes en trompe-l’œil ne résolvant pas la problématique de l’accès à la justice administrative

L’accès à la justice administrative semble être la préoccupation de plusieurs réformes récentes du contentieux administratif. Or, les notions suivantes ont guidé ces réformes : simplification[35], performance[36], qualité[37] et dématérialisation des procédures. Nous verrons que derrière un discours qui semble se préoccuper de l’accès à la justice se trouve en fait une rhétorique managériale qui s’applique désormais aux magistrats administratifs. Elle se retrouve dans des réformes qui visent à la simplification du droit qui est une des composantes de l’accès aux juridictions administratives (A). La rhétorique de la performance et de l’efficience de l’action administrative a entraîné des conséquences sur les réformes des procédures contentieuses (B).

A. La simplification du droit comme mirage

La question de l’accès au juge pose celle de l’accès au droit. Les acteurs du droit font de la simplification du droit un des axes de l’accès au droit et aux tribunaux. En 1991 le Conseil d’Etat, il estimait que « Quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite »[38]. En 2006, le thème du rapport annuel produit par le Conseil d’Etat était « Sécurité juridique et complexité du droit »[39]. Il adresse deux critiques à l’évolution récente du droit, la prolifération des normes juridiques et la formulation des lois, trop générales, trop descriptives. Le Conseil d’Etat invite à une simplification du droit.

Ce rapport a engagé une réflexion sur la qualité du droit et sur la façon de produire des lois. Il fait écho aux jurisprudences qui dégagent deux principes, celui d’intelligibilité du droit[40] et celui de sécurité juridique[41]. Ainsi, en 2003 et 2004, le Parlement a habilité le gouvernement à prendre des ordonnances de simplification du droit. En 2011 et en 2015, des lois de simplification du droit a été adoptée, et en juillet 2019 une loi de simplification concernant le droit des sociétés a été votée[42]. En somme, la simplification du droit s’est installée au cœur des préoccupations du législateur. Cette notion de simplification du droit semble recouper à la fois une préoccupation pour la qualité textuelle de la rédaction des dispositions juridiques et la suppression de certains textes qui semble obsolètes. En ce sens, en 2011, le député Jean-Luc Warsmann rend un rapport au Président de la République sur « La simplification du droit au service de la croissance et de l’emploi, »[43]. Il explique que la simplification du droit permettrait de réduire l’incertitude liée à l’application des règles de droit, donc d’améliorer la sécurité juridique ; et de permettre un meilleur accès et une meilleure compréhension des jugements et des lois. Ainsi, la simplification du droit a un lien avec l’accès à la justice administrative pour a moins deux raisons. Premièrement dans le discours des acteurs politiques, la simplification des textes juridiques permettrait un meilleur accès au droit et à la justice. Deuxièmement la rédaction des décisions des juridictions administratives a été revue dans cette optique.

Concernant la simplification des textes juridiques, pour Jacques Chevallier, elle est le corollaire de la simplification de l’action publique. Il explique que « la préoccupation récurrente en France de « simplification du droit », illustrée depuis les années 2000 par l’adoption d’une série de lois successives et relancée depuis 2012, sous couvert du « choc de simplification » lancé en mars 2013 montre bien que l’amélioration de la qualité de l’action publique est censée passer de manière privilégiée par le vecteur juridique »[44]. Pour lui, la simplification revêt trois aspects : alléger[45] , clarifier[46] , assouplir[47]. Dans tous les cas, « les volontés de simplification rencontrent un ensemble de limites, qui renvoient à l’essence même du droit. »[48]. En effet, Jacques Chevallier explique que les textes juridiques sont le résultat d’un rapport de force politique et que le droit reflète la complexité de notre monde. En tout cas, cette logique de la simplification a engendré des conséquences concrètes pour le contentieux administratif.

Concernant la simplification des décisions de justice, en avril 2012, le groupe de travail sur la rédaction des décisions de la juridiction administrative a rendu un rapport proposant une réforme des décisions du juge administratif[49]. Plusieurs expérimentations ont eu lieu, et depuis le 1er janvier 2019, l’ensemble des juridictions administratives se voient soumises à une nouvelle rédaction des décisions de justice. Les juridictions utiliseront notamment le style direct, abandonnant le traditionnel « Considérant que ». Elles citent aussi maintenant les décisions du Conseil d’Etat sur lesquelles elles s’appuient. Cette nouvelle rédaction vient heurter les principes auxquels se rattachent les magistrats administratifs traditionnellement. Par exemple, la concision des décisions est une caractéristique à laquelle les magistrats sont attachés mais qui est remise en cause par cette réforme. En effet, si la concision démontre la rigueur du raisonnement, elle peut se réaliser au détriment de la motivation des décisions qui paraît parfois sommaire, voire lapidaire. Le rapport estime qu’une rédaction plus fournie des décisions de justice est « nécessaire aux différents destinataires des décisions de justice, qu’il s’agisse des parties pour comprendre la solution donnée à leur litige – et leurs conseils ont à plusieurs reprises rappelé au groupe de travail qu’une meilleure compréhension des décisions de justice était de nature à réduire le nombre de recours –, ou des justiciables en général et des praticiens qui les conseillent et informent en particulier, pour lesquels les décisions de justice participent de l’élaboration d’un droit positif qui doit présenter un certain degré de prévisibilité. »[50]. Ce groupe de travail a envisagé la rédaction des décisions de justice sous le thème de l’amélioration de l’accès à la justice administrative, tout en adoptant une méthodologie ambigüe. Le rapport montre que « Le groupe est bien conscient que, compte tenu de la technicité de la matière juridique, une décision de justice sera toujours d’une lecture difficile et qu’il serait illusoire de viser une parfaite et immédiate compréhension par tous les citoyens de l’ensemble des jugements et arrêts. Il convient cependant de se demander si le mode de rédaction actuel ne constitue pas un obstacle supplémentaire et inutile à l’accès au droit qu’il serait possible de réduire. »[51] . Ainsi, la réflexion a été engagée uniquement en lien avec les magistrats, les avocats et les universitaires, c’est-à-dire avec les juristes initiés. Ils sont appelés par le rapport « les lecteurs des décisions de justice »[52], mais ce terme ne doit pas nous tromper sur ceux qui lisent réellement les décisions. La nouvelle rédaction des décisions de la justice administrative n’a donc jamais visé à être mieux compris par les justiciables, mais bien par le cercle des juristes, entendu comme le cercle des professionnels du droit et notamment du contentieux. Les administrations ou les justiciables ne font pas partie de l’enquête menée par la commission de ce rapport. Alors que cette commission ne les a pas consultés, elle en déduit pourtant qu’ « Il est rapidement apparu que l’objectif d’amélioration de l’intelligibilité des décisions de justice, […] répond à une attente des justiciables[…] »[53].  A la suite de ce rapport, un Vade-mecum sur la rédaction des décisions de la juridiction administrative est applicable depuis le 1er janvier 2019. Comme l’explique Clotilde Deffigier, ces réformes concernent plutôt la qualité formelle des décisions : « Un premier bilan peut être tire de ces évolutions ; ainsi si la qualité formelle permet une lecture facilitée des décisions de justice, la recherche d’une qualité substantielle ne résout sans doute pas toutes les difficultés de compréhension de la décision par le justiciable. »[54]. Par ailleurs, Fabrice Melleray fait remarquer que cette nouvelle rédaction n’empêche pas les juridictions de faire preuve d’un « raisonnement très ramassé illustrant que la réforme de la rédaction des arrêts du Conseil d’État peut parfaitement se marier avec les canons du classicisme et de la brièveté »[55].

En effet, le vernis de la simplification ne résout pas la question qu’il faut disposer de capital juridique et procédural significatif pour pouvoir comprendre les textes juridiques. Elle ne règle pas la question qui pourrait se poser aux cas de non-recours à la justice administrative. Selon Héléna Revil et Philippe Warin, le non-recours s’identifie lorsque : « les ressortissants des politiques publiques n’utilisent pas les prestations ou les services auxquels ils ont droit. »[56]. Le non-recours correspond à une situation ou une personne qui a droit à une prestation fournie par un service public n’y a pas recours. Selon Héléna Revil et Philippe Warin, la question du non-recours pose une question démocratique. Par ailleurs, une étude de psychologie sociale s’intéressant au non-recours à la justice démontre que l’accès au droit est autocensuré pour certains requérants peu dotés en capital juridique. Ces raisons sont multiples. Cette étude démontre qu’il existe une défiance envers les institutions judiciaires, une critique de la justice vue comme trop longue et complexe et une réticence à accéder à la justice perçue comme trop impressionnante[57]. La simplification ne résout donc pas la question de la perte de confiance dans des procédures qui paraissent inaccessible et une justice jugée trop complexe. La loi de programmation de la justice de 2018-2022 explique dans l’exposé des motifs que : « Le Gouvernement souhaite engager une réforme de la justice pour rendre plus effectives les décisions des magistrats, donner plus de sens à leurs missions et rétablir la confiance de nos concitoyens dans notre justice. ». Ce sont pourtant d’autres motivations qui paraissent avoir guidées les dernières réformes de la justice administratives, tournées vers une logique budgétaire.

B. Une rhétorique de l’amélioration de l’accès masquant des réformes tournées vers une logique de performance de l’action publique

Afin de revenir sur ces réformes et sur la question des moyens alloués, il faut exposer quelques chiffres importants. En 2018, le Conseil d’Etat a jugé 9583 affaires. Le délai prévisible de jugement était d’entre 6 et 7 mois. Les cours administratives d’appel ont jugé 32 854 affaires avec un délai prévisible moyen de jugement entre 10 et 11 mois. Elles ont enregistré 33 773 affaires. Les tribunaux administratifs ont jugé 209 618 affaires, avec un délai prévisible moyen de jugement est situé entre 9 mois et 10 mois. Ils en ont enregistré 213 029 affaires. Les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel ont jugé en 2018 entre 4 et 5 % d’affaires en plus qu’en 2017. Le délai prévisible moyen de jugement diminue, mais le nombre d’affaires enregistrées continue lui d’augmenter chaque année entre 2 et 5% par an. Ces chiffres permettent de constater que le contentieux administratif est en constante augmentation et que les délais de jugement se sont fortement réduits.

L’augmentation du contentieux a conduit à de nombreuses réformes pour réduire les délais de jugement. La question des réformes et mesures prévues pour la justice administrative et à lire en parallèle de la problématique relative aux moyens financiers et humains dont disposent les tribunaux administratifs. Lucie Cluzel-Métayer et Agnès Sauviat démontrent que la logique de performance de l’action administrative amenée par la loi organique relative aux lois de finance (LOLF) de 2001 et la révision générale des politiques (RGP) de 2007 a largement débordé sur le domaine du contentieux administratif[58]. Le budget des juridictions administratives est d’environ 400 millions d’euros[59] pour 2019. En pratique, les magistrats administratifs, dans leurs fonctions contentieuses, sont soumis à des objectifs et des indicateurs de performance associés à ce budget[60]. L’objectif n°1 est réduire les délais de jugement. L’indicateur de performance associé est le délai moyen constaté de jugement des affaires et la proportion d’affaires non encore jugée depuis 2 ans, qui est appelé « affaires en stock ». L’objectif n°2 est de maintenir la qualité des décisions juridictionnelles ; l’indicateur de performance est le taux d’annulation des décisions juridictionnelles. L’objectif n°3 est d’améliorer l’efficience des juridictions. L’indicateur de performance retenu est le nombre d’affaires réglées par magistrat. En 2016 le nombre d’affaires réglées par magistrat était de 91 pour les membres du Conseil d’Etat et de 84 en 2018. Il était de 116 dans les cours administratives d’appel et 120 en 2018, 250 en tribunal administratif et 260 en 2018. Le nombre d’affaires réglées par agent de greffe est calculé aussi. En 2018 170 au Conseil d’Etat ; 130 en cour administratives d’appel et 220 en tribunaux administratifs. Ainsi, les magistrats administratifs et les agents de greffe voient leur travail évalué par des outils qui mesurent leur performance. Cette performance se mesure notamment au nombre d’affaires traitées.

On constate que même si le délai se réduit, les affaires en stock augmentent de manière continue. Afin de réduire les stocks d’affaires, plusieurs réformes ont été mises en œuvre. Elles ont conduit à faire traiter des affaires par un juge unique dérogeant au principe de collégialité. Aussi, la justice administrative a connu une dématérialisation et une suppression de l’appel dans certaines procédures. Pour Gustave Peiser ces réformes peuvent avoir un effet pervers. Il explique : « J’ai appris, puis enseigné, qu’il s’agissait dans les deux cas d’une avancée fondamentale pour l’accès à la justice administrative. Prenons garde que les mesures prises aujourd’hui – juge unique, suppression de la possibilité d’appel, obligation d’avocat – n’aient un effet inverse et ne découragent certains requérants dont les requêtes mériteraient d’être mieux étudiées sans accumuler les obstacles. »[61]. Cette rhétorique de la simplification et de l’amélioration de l’accès à la justice crée un certain malaise, car on peut douter d’un meilleur accès à la justice pour les requérants. Les objectifs de performance semblent être une justification au regard d’un impératif de gestion budgétaire venu de la loi de programmation de la justice pour 2018-2022[62] plutôt qu’une réelle avancée pour les requérants.

C’est ainsi que le traitement des recours par un juge unique, pensé pour accélérer le traitement des recours, a été élargi. Le Conseil Constitutionnel a estimé que le recours au juge unique ne porte pas atteinte au principe d’égalité ni au principe des droits de la défense[63]. Par ailleurs, la suppression de l’appel dans certains contentieux en urbanisme marque la volonté que les projets ne soient pas ralentis par le recours au juge pour les contester. Récemment, la suppression de l’appel pour la Tour triangle et la suppression de voies de recours contre les projets d’urbanisme liés aux Jeux Olympiques de 2020 ont suscité le débat. C’est la loi ELAN de 2018 qui prévoit cette suppression[64] la rendant applicable aux « constructions et opérations d’aménagement dont la liste est fixée par décret, situées à proximité immédiate d’un site nécessaire à la préparation, à l’organisation ou au déroulement » des Jeux « lorsque ces constructions et opérations d’aménagement sont de nature à affecter les conditions de desserte, d’accès, de sécurité ou d’exploitation » de ce site pendant les épreuves olympiques ». Un décret de 2019 fixe cette liste [65]. Il dresse la liste des constructions et opérations concernées par ce régime contentieux particulier, mentionne le projet de la Tour Triangle. La loi ELAN et ce décret permettent des procédures d’urbanisme accélérées et simplifiées, qui visent notamment à réduire les éléments de participation du public sur ce projet alors même qu’il n’a pas de lien avec l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques. C’est la Cour administrative d’appel de Paris qui s’est vu attribuer ces contentieux[66]. Elle jugera en premier et dernier ressort, des opérations d’urbanisme, d’aménagement et de maîtrise foncière afférentes aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024. La voie de l’appel est donc supprimée à compter du 1er janvier 2019. De même dans les litiges concernant les recours contre des autorisations d’urbanisme, dans les « zones tendues ». Depuis un décret du 1er octobre 2013, les tribunaux administratifs sont compétents en premier et dernier ressort et dans d’autres cas, ce sont les cours administratives d’appel qui sont compétentes en premier et dernier ressort[67].

La dématérialisation du traitement des dossiers sert aussi parfois à gérer un manque de moyen volontaire, comme c’est le cas des tribunaux administratifs d’outre-mer[68]. La dématérialisation des procédures en outre-mer a été prévue par la loi de 2004 de simplification du droit habilitant le gouvernement à prendre des mesures dans le cadre d’ordonnances[69]. L’article L. 781-1 du code de justice administrative prévoit des dispositions particulières pour ces tribunaux, et notamment des audiences par communication audiovisuelle au cas où aucun magistrat ne soit présent. Des magistrats se trouvent ainsi affectés simultanément dans plusieurs tribunaux[70]. Or, les longues distances entre les sièges de ces juridictions et les difficultés éventuelles de transport rendent les délais de déplacement parfois incompatibles avec les nécessités de la justice. C’est ainsi, en particulier, qu’il peut être difficile, voire impossible, de respecter le délai de quarante-huit heures prévues par l’article L. 521-2 du code de justice administrative en matière de référé-liberté. Il n’existe pas de cour administrative d’appel dans ces territoires, la cour administrative d’appel est soit celle de Bordeaux[71], soit celle de Paris. De plus, les moyens audiovisuels qui permettent de mener les audiences, au cas où aucun magistrat ne soit présent, peuvent être défaillant. Ainsi, le Conseil d’Etat a considéré qu’il n’était pas possible que l’audience ait lieu par téléphone portable. Dans le cadre d’un référé, aucun magistrat ne se trouvait à Saint-Pierre-et-Miquelon, l’audience se passait donc à distance avec un magistrat situé au tribunal administratif de la Martinique. La greffière du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a été obligée d’utiliser son propre téléphone portable pour que l’audience ait lieu car le dispositif de visioconférence ne fonctionnait pas. Le Conseil d’Etat a estimé que cette audience ne s’était pas tenue dans des conditions régulières car l’audience doit se faire en visioconférence et non seulement par un seul dispositif audio[72].

Cette situation pose la question des moyens alloués aux juridictions administratives pour les prochaines années. La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice[73]comporte des dispositions relatives aux juridictions administratives. Sous le vocable d’« Alléger la charge des juridictions administratives », au Titre III de la loi, plusieurs mesures sont prévues visant à faire revenir dans les tribunaux des magistrats honoraires et à instaurer un statut de juriste assistant. Concernant les magistrats honoraires cette mesure vise à élargir les possibilités de recours aux magistrats honoraires qui existaient déjà. Ils pourront siéger en formation collégiale, en juge unique ou en juge des référés. Concernant les juristes assistants, il est prévu qu’ils soient des contractuels de la fonction publique de catégorie A, titulaires d’un diplôme de doctorat en droit ou sanctionnant une formation juridique au moins égale à cinq années d’études supérieures après le baccalauréat avec deux années d’expérience professionnelle dans le domaine juridique. Ces assistants seraient recrutés pour une durée de trois ans renouvelable une seule fois. Les mesures prévues par cette loi sont mises à mal par un rapport sénatorial[74]. Ce rapport estime que les cours administratives d’appel et les tribunaux administratifs sont les « laissés-pour-compte » de ce budget[75]. Il constate une augmentation continue des contentieux et des moyens insuffisants pour traiter les recours, ce qui entraîne des conséquences sur les conditions de travail des magistrats. Pour lui, la loi de programmation des finances publiques[76] pour les années 2018 à 2022 « a prévu pour cette période une dotation supplémentaire de 35 emplois pour les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, soit une augmentation cumulée sur quatre ans de 1 % seulement des effectifs totaux de ces juridictions (2 693 personnes en 2018). Pour 2019, seuls 10 ETPT seront créés à destination de ces juridictions. ». Selon le sénateur « ces créations d’emplois à destination des autres juridictions administratives sont insuffisantes compte tenu de l’augmentation constante de leur activité, observée ces dernières années, liée à la progression des contentieux de masse (contentieux des étrangers, contentieux sociaux, contentieux de la fonction publique…) et à la dévolution de nouvelles compétences par le législateur. »[77] . Le sénateur indique que ce manque de moyens entraîne des conséquences sur les conditions de travail des magistrats et donc sur le traitement des dossiers. Il s’appuie pour cela sur un baromètre social établi par le Conseil d’Etat en 2017. Le sénateur regrette que « le premier baromètre social établi en 2017 par le Conseil d’État révélait que la charge de travail est ressentie comme excessive par 60 % des magistrats, et comme inconciliable avec la vie privée par 55 % d’entre eux. Par ailleurs, les jours d’arrêts maladie ont augmenté de 11 % chez les magistrats et de 18 % chez les agents de greffe entre 2016 et 2017. »[78]. Lors de son déplacement au tribunal administratif de Dijon, le sénateur qui a rédigé le rapport explique que « les magistrats et personnels administratifs rencontrés par votre rapporteur l’ont alerté sur l’impossibilité pour les juridictions administratives de continuer à faire face à leurs missions sans moyens supplémentaires. ». Par ailleurs, l’Union Syndicale des Magistrats Administratifs démontre que le manque de moyens conduit à une dégradation de la justice rendue. Dans son avis pour le projet de loi de finances pour 2020, elle estime que « seules 34 % des décisions sont désormais rendues dans un cadre collégial. Or, le juge statuant seul assume des décisions humainement difficiles, sur lesquelles le défaut de confrontation des points de vue constitue véritablement une perte de garantie pour le justiciable. Parallèlement, le juge ainsi exposé, et il le sera plus encore avec l’usage des algorithmes de profilage, voit sa légitimité s’effriter. »[79]. Elle explique aussi que paradoxalement toutes les procédures pensées pour simplifier et accélérer la procédure contentieuse entraînent une charge de travail supplémentaire qui ralentit le traitement des dossiers. Elle réclame une augmentation des moyens à hauteur de l’augmentation des contentieux. Ainsi, la rhétorique de l’amélioration de l’accès à la justice administrative masque mal des réformes tournées vers une logique de performance et d’efficience selon des critères budgétaires.


La question de l’accès aux juridictions administratives est indissociable d’un questionnement sur l’Etat de droit et la démocratie. En effet, l’accès aux juridictions administratives est une condition essentielle du principe de légalité qui s’applique à l’Etat de droit. Les réformes de la justice administrative ont vu la rationalité budgétaire apparaître et imposer un discours de performance et d’efficience. Cette rationalité se drape dans un discours centré sur l’amélioration de l’accès à la justice. Mais les réformes et les budgets ne semblent pas adaptés aux besoins des tribunaux pour faire face à l‘augmentation des recours. De plus, la suppression des voies d’appel et le traitement par voie d’ordonnance ne donneront semblent pas insuffler un sentiment de confiance dans une justice administrative, mal connue de la plupart des citoyens. Aussi, l’augmentation de certains contentieux, comme le contentieux des étrangers est la conséquence d’un durcissement des politiques à l’égard de certaines catégories d’administrés et non d’un meilleur accès aux juridictions. Dans ces conditions, la garantie de l’Etat de droit par la juridiction administrative glisse d’une conception substantielle à une conception matérielle, elle paraît renoncer à certains principes démocratiques d’accès au tribunal et de droit à un recours effectif pour se centrer sur la réduction des stocks d’affaires évaluée d’un point de vue comptable.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017-2021 ;
chronique Transformation(s) du Service Public (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 376


[1] Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel, Compte rendu de la réunion du mercredi 8 juillet 2020, à 10h00, p.3. https://www.usma.fr/wp-content/uploads/2021/02/CR_CSTA_2020-07-08.pdf (consulté le 30 mars 2021)

[2] Projet de décret portant application de la loi n° 91- 647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique et relatif à l’aide juridictionnelle et à l’aide à l’intervention de l’avocat dans les procédures non juridictionnelles

[3] https://www.usma.fr/magistrats/compte-rendu-csta-du-8-juillet-2020 (consulté le 30 mars 2021)

[4] Décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique et relatif à l’aide juridictionnelle et à l’aide à l’intervention de l’avocat dans les procédures non juridictionnelles

[5] Alexis Spire, Katia WEIDENFELD, « Le tribunal administratif : une affaire d’initiés ? Les inégalités d’accès à la justice et la distribution du capital procédural », Droit et société, n° 79, n°3,2011, pp.689‑713.

[6] Michel Van De Kerchove, François Ost, Jalons pour une théorie critique du droit, Bruxelles, Publication des Facultés universitaires Saint-Louis, 1987.

[7] http://www.gip-recherche-justice.fr/publication/les-usages-sociaux-de-la-justice-administrative/

[8] RFDA n°4 Juillet-Août 2019 p.581 à 784 et RFDA n°5 Septembre-Octobre 2019 p. 785 à 974

[9] Voir les rapports d’activité du Conseil d’Etat, notamment celui de 2019 https://www.conseil-etat.fr/ressources/etudes-publications/rapports-etudes/rapports-annuels/rapport-public-2019

[10] https://www.conseil-etat.fr/actualites/actualites/creation-d-une-neuvieme-cour-administrative-d-appel-a-toulouse

[11] « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. »

[12] Jacques CHEVALLIER, L’État post-moderne, 4e édition, Issy-les-Moulineaux, LGDJ, 2017.

[13] RFDA n°4 Juillet-Août 2019 p.581 à 784 et RFDA n°5 Septembre-Octobre 2019 p. 785 à 974

[14] CE, 18 décembre 2002, Duvignères, n° 233618

[15] CE, 30 juillet 2003, Rémi, n° 252712

[16] CE, 4 avril 2014, Département de Tarn et Garonne, n° 358994

[17] CE, 21 mars 2016, Société Fairvesta International GmbH, n° 368082 et CE, 21 mars 2016, Société NC Numericable, n° 390023

[18] CE, 21 octobre 2019, Association française de l’industrie pharmaceutique pour une automédication responsable, n° 419996

[19] CE, 12 juin 2020, GISTI, n°418142

[20] Loi n°2000-597 du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives, JORF n°151 du 1 juillet 2000 page 9948

[21] René CHAPUS, Droit du contentieux administratif, 13ème édition, Paris, Montchrestien, 2008, p.467.

[22] Alexis Spire, Katia Weidenfeld, « Le tribunal administratif : une affaire d’initiés ? Les inégalités d’accès à la justice et la distribution du capital procédural », Droit et société, volume 79, n°3, 2011, pp.689‑713 ; Alexis Spire, Katia Weidenfeld, « Obtenir justice, une affaire de capital ? », Délibérée, volume 7, n°2, 20 juin 2019.

[23] René Chapus, Droit administratif général, Tome 1, 15ème édition, Paris, Montchrestien, 2001 ; René Chapus, Droit du contentieux administratif, 13ème édition, Paris, Montchrestien, 2008.

[24] Note sous CE 8 décembre 1899, Ville d’Avignon

[25] Jean-Gabriel Contamin, Emmanuelle Saada, Alexis Spire, Katia Weidenfeld, « Le recours à la justice administrative. Pratiques des usagers et usages des institutions », GIP Mission de recherche Droit & Justice. Novembre 2007, http://www.gip-recherche-justice.fr/wp-content/uploads/2014/07/04-15-NS.pdf, p.6.

[26] CE, avis 6 mai 2009, Khan, n°322713

[27] Formulaire de demande d’aide juridictionnelle, Rubrique « Informations importantes », p.4 :   http://grenoble.tribunal-administratif.fr/content/download/88714/848003/version/1/file/Demande%20d%27aide%20juridictionnelle%20cerfa%20n%C2%B0%201562601.pdf (consulté le 16/11/2020)

[28] http://grenoble.tribunal-administratif.fr/Informations-pratiques/Aide-juridictionnelle (consulté le 16/11/2020)

[29] Alexis Spire, Katia Weidenfeld, « Le tribunal administratif : une affaire d’initiés ? Les inégalités d’accès à la justice et la distribution du capital procédural » op. cit. p.692.

[30] Ibid. p.692.

[31] Jean-Gabriel Contamin, Emmanuelle Saada, Alexis Spire, Katia Weidenfeld, « Le recours à la justice administrative. Pratiques des usagers et usages des institutions », op. cit. p.6.

[32] Par exemple qualifié de « familier de la juridiction administrative » par Bruno Genevois, « Le GISTI : requérant d’habitude ? La vision du Conseil d’État », in Défendre la cause des étrangers en justice, Dalloz, 2009, p.79.

[33] Pierre Bourdieu, « La force du droit », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, volume 64, n°1, 1986, pp.3‑19.

[34] Jean-Gabriel Contamin, Emmanuelle Saada, Alexis Spire, Katia Weidenfeld, « Le recours à la justice administrative. Pratiques des usagers et usages des institutions », op. cit. p.5.

[35] Jacques Chevallier, « La simplification de l’action publique et la question du droit », Revue française d’administration publique, volume 157, n°1, 3 juin 2016, pp.205‑214.

[36] Lucie Cluzel-Métayer, Agnès Sauviat, « Les notions de qualité et de performance de la justice administrative », Revue française d’administration publique, volume 159, n°3, 2016, pp.675‑688.

[37] Ibid.

[38] Rapport public annuel du Conseil d’État, Considérations générales, De la sécurité juridique (1991)

[39] Rapport public annuel du Conseil d’État, Considérations générales, Sécurité juridique et complexité du droit (2006)

[40] Cons. const. n° 99-421 DC du 16 décembre 1999, Loi relative à la codification par ordonnance

[41] CE, Ass., 24 mars 2006, Sté KPMG et autres, n° 288460

[42] Loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019 de simplification, de clarification et d’actualisation du droit des sociétés, JORF n°0167 du 20 juillet 2019

[43] https://www.vie-publique.fr/rapport/31884-la-simplification-du-droit-au-service-de-la-croissance-et-de-lemploi

[44] Jacques Chevallier, « La simplification de l’action publique et la question du droit », Revue française d’administration publique, volume 157, n°1, 3 juin 2016, p.206.

[45] « Les politiques de simplification visent en tout premier lieu à endiguer l’inflation normative », Ibid. p.206

[46] « La simplification de l’action publique suppose l’amélioration de la qualité du dispositif juridique par lequel elle transite et qui assure sa concrétisation : il s’agit de veiller à une meilleure formulation des textes », Ibid. P.209

[47] « Manifestant le passage à une « gouvernementalité coopérative » (Serverin-Berthaud, 2000). Le mouvement est indissociable de l’essor de techniques plus souples, relevant de ce que l’on a pu appeler une « direction juridique non autoritaire des conduites » (Amselek, 1982) : les textes indiquent des « objectifs » qu’il serait souhaitable d’atteindre, fixent des « directives » qu’il serait opportun de suivre, formulent des « recommandations » Ibid. p.210

[48] Ibid. p.206

[49] Rapport du groupe de travail sur la rédaction des décisions de la juridiction administrative rapport avril 2012. Voir https://www.conseil-etat.fr/actualites/actualites/groupe-de-travail-sur-la-redaction-des-decisions-de-la-juridiction-administrative-rapport-final

[50] Rapport du groupe de travail sur la rédaction des décisions de la juridiction administrative rapport avril 2012. P.10

[51] Rapport du groupe de travail sur la rédaction des décisions de la juridiction administrative rapport avril 2012.p.11

[52] Rapport du groupe de travail sur la rédaction des décisions de la juridiction administrative rapport avril 2012.p.7

[53] Rapport du groupe de travail sur la rédaction des décisions de la juridiction administrative rapport avril 2012.p.7

[54] Clotilde Deffigier, « Qualité formelle et qualité substantielle des décisions de justice administrative », Revue française d’administration publique, volume 159, n° 3, 2016, p.764.

[55] Fabrice Melleray, « Les documents de portée générale de l’administration », RFDA, 2020, p. 801.

[56]Héléna REVIL, Philippe Warin, Non-recours, Paris, Presses de Sciences Po, 2019, p.398.

[57] Arnaud Beal, Nikos Kalampalikis, Nicolas Fieulaine, Valérie Haas, « Expériences de justice et représentations sociales : l’exemple du non-recours aux droits », Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, numéro 103(3), 2014, pp.549-573.

[58]Lucie Cluzel-Métayer, Agnès Sauviat, « Les notions de qualité et de performance de la justice administrative », Revue française d’administration publique, volume 159, n°3, 2016, pp.675‑688.

[59] « Le budget de l’ensemble des juridictions administratives gérées par le Conseil d’État figure, dans le cadre de la loi de finances, au programme 165 de la mission “Conseil et contrôle de l’État”. Dans la loi de finances pour 2018, ce programme bénéficie d’autorisations d’engagement pour un montant de 419 369 485 euros et de crédits de paiement pour un montant de 405 242 970 euros (états législatifs annexés à la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, état B). Le plafond d’emplois autorisés pour ce programme en 2018 est de 3 953 : 227 membres en activité au Conseil d’État, 1 238 magistrats administratifs, 896 agents de catégorie A, 409 agents de catégorie B et 1 183 agents de catégorie C.

https://www.vie-publique.fr/fiches/269094-quel-est-le-budget-des-juridictions-administratives

[60] https://www.performance-publique.budget.gouv.fr/documents-budgetaires/lois-projets-lois-documents-annexes-annee/exercice-2019/projet-loi-finances-2019-mission-conseil-controle-etat#resultat

[61] Gustave Peiser, « Le juge unique, l’appel supprimé, l’avocat obligatoire », AJDA,2006, p.785.

[62] Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, JORF n°0071 du 24 mars 2019

[63] Cons. const. 14 oct. 2010, n°2010-54 QPC

[64] L’article 20 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (dite loi ELAN) a modifié l’article 12 de la loi n° 2018-202 du 26 mars 2018 relative à l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 en prévoyant un régime spécifique [visé à l’article L. 300-6-1 du code de l’urbanisme]

[65] Décret n° 2019-95 du 12 février 2019

[66] Décret n° 2018-1249 du 26 décembre 2018 modifiant le code de justice administrative

[67] C’est-à-dire dans les litiges relatifs aux permis de construire tenant lieu d’autorisation d’exploitation commerciale. Et dans les litiges relatifs aux permis de construire et aux décisions de non-opposition à déclaration préalable concernant les éoliennes terrestres.

[68] Les dispositions, propres aux tribunaux administratifs d’outre-mer, sont issues de l’ordonnance no 2005-657 du 8 juin 2005 et ont été prises sur le fondement de l’habilitation donnée au Gouvernement par le législateur par les dispositions de l’article 57 de la loi no 2004-1343 du 9 décembre 2004. Il existe douze territoires d’outre-mer : la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Mayotte, La Nouvelle-Calédonie, La Polynésie française, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, les Terres Australes et Antarctiques Françaises et les îles de Wallis-et-Futuna Environ 3 millions de personnes y habitent. Il y a des tribunaux administratifs à   Basse-Terre : Guadeloupe ; Cayenne : Guyane ; Mamoudzou : Mayotte ; Mata-Utu : îles Wallis et Futuna ; Nouméa : Nouvelle-Calédonie ; Papeete : Polynésie française, Clipperton ; Saint-Denis : Réunion, Terres australes et antarctiques françaises ; Saint-Barthélemy : Saint-Barthélemy ; Saint-Martin : Saint-Martin ; Saint-Pierre : Saint-Pierre-et-Miquelon ; Schœlcher : Martinique.

[69] Extrait du projet de loi : « « Aussi est-il souhaitable de permettre aux membres de ces juridictions, lorsqu’il leur est matériellement impossible de rejoindre le lieu de l’audience dans les délais imposés par la loi ou exigés par la nature de l’affaire, de siéger et, pour le commissaire du Gouvernement, de prononcer ses conclusions, dans un autre tribunal dont ils sont membres, ce dernier se trouvant relié, en direct, à la salle d’audience, par un moyen de communication audiovisuelle. » http://www.assemblee-nationale.fr.iepnomade-1.grenet.fr/12/projets/pl1504.asp

[70] Voir les articles R. 223-1 et R. 223-2 du code de justice administrative

[71]Article R. 221-7 du CJA :  Bordeaux : ressort des tribunaux administratifs de Bordeaux, Limoges, Pau, Poitiers, Toulouse, Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion, Mayotte, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon ; […] Paris : ressort des tribunaux administratifs de Melun, Paris, Wallis-et-Futuna, Nouvelle-Calédonie et Polynésie française.

[72] CE 24 oct. 2018, Sté Hélène et fils, no 419417

[73]JORF n°0071 du 24 mars 2019

[74] Sénat, Avis n° 153 (2018-2019) de M. Patrick KANNER, fait au nom de la commission des lois, déposé le 22 novembre 2018 : Projet de loi de finances pour 2019 : Juridictions administratives et juridictions financières. http://www.senat.fr/rap/a18-153-4/a18-153-41.html#:~:text=Selon%20les%20donn%C3%A9es%20transmises%20%C3%A0,55%20%25%20d’entre%20eux

[75] Ibid.

[76] Loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques

[77]Sénat, Avis n° 153 (2018-2019) de M. Patrick KANNER, fait au nom de la commission des lois, déposé le 22 novembre 2018 : Projet de loi de finances pour 2019 : Juridictions administratives et juridictions financières. http://www.senat.fr/rap/a18-153-4/a18-153-41.html#:~:text=Selon%20les%20donn%C3%A9es%20transmises%20%C3%A0,55%20%25%20d’entre%20eux

[78] Sénat, Avis n° 153 (2018-2019) de M. Patrick KANNER, fait au nom de la commission des lois, déposé le 22 novembre 2018 : Projet de loi de finances pour 2019 : Juridictions administratives et juridictions financières. http://www.senat.fr/rap/a18-153-4/a18-153-41.html#:~:text=Selon%20les%20donn%C3%A9es%20transmises%20%C3%A0,55%20%25%20d’entre%20eux

[79] https://www.usma.fr/syndicat/avis-sur-le-projet-de-loi-de-finances-pour-2020

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Chronique actualisée : transformation(s) du service public

Art. 375.

Mathieu Touzeil-Divina
Professeur de droit public à l’université Toulouse 1 Capitole,
Institut Maurice Hauriou – Président du Collectif L’Unité du Droit
Fondateur du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public
Refondateur du Journal du Droit Administratif

Mise à jour 2021 : pourquoi une nouvelle chronique…

… lorsque les funérailles d’une notion semblent déjà annoncées ?

Vivent les Transformations du Service Public !

L’indéfinissable service public, suite à de multiples crises, ne serait pas le critère du droit administratif. A l’Université, formellement au moins, la notion de service public – en milieu académique – semble avoir perdu du terrain : de l’influence et de la consistance. On se souvient en ce sens qu’il exista (ce qui n’est plus le cas), en droit public, un sinon plusieurs courants que de nombreux collègues ont qualifié d’Ecole des fins ou d’Ecole du Service Public et auxquels participèrent les grands Léon Duguit, Gaston Jèze, Louis Rolland ou encore André de Laubadere. On se souvient également qu’à Toulouse, le doyen Maurice Hauriou – même si on l’a associé à une Ecole des moyens dite de la Puissance publique – avait aussi su faire du service public la notion cardinale de notre droit administratif.

La chose serait désormais entendue : le service public ne serait pas le critère du droit administratif français même si d’aucuns y crurent mais il y a gardé – c’est indéniable – une place fondamentale ainsi qu’en témoigne le dossier « 50 nuances de droit administratif » au Journal du Droit Administratif ; dossier qui – en 2017 – présentait la notion de service public (devant celle de puissance publique mais souvent associée à elle) comme notion la plus « motrice » du droit administratif.

Autrement dit, malgré les crises répétées (celle des natures multiples du service public : Spic, Spa et d’autres encore ; celle du critère ou plutôt de l’indice organique ; celle de l’établissement public ; celle de l’interventionnisme public ; celles du libéralisme économique ; celles du socialisme municipal et de l’interventionnisme de crise ; celles européennes et / ou de la mondialisation ; celles dites des « doubles visages » et des « visages inversés » ; etc.) le service public et sa notion demeurent au cœur du droit administratif français.

Et, même s’il est toujours délicat (et sûrement risqué) de vouloir définir une notion qui ne peut que s’identifier parce qu’elle repose sur l’intérêt général par définition fluctuant ou l’interdépendance sociale pour reprendre les termes de Duguit, force est de constater que le service public semble bien enraciné dans notre patrimoine juridique national.

Si l’on a repris, ci-dessus, le début de l’éditorial ayant créé en 2017 la présente chronique c’est bien parce qu’à nos yeux le constat n’a toujours pas changé. On renvoie cependant audit éditorial in extenso.

Des transformations du service public. C’est en effet fort des constats énoncés en 2017, que nous avons imaginé puis proposé aux membres du Journal du Droit Administratif la création d’une chronique (à périodicité encore indéterminée) ayant pour double objectif la mise en avant de l’actualité du droit du service public et – à plus long terme – la rédaction collective d’un ouvrage sur les transformations du service public, ouvrage qui se nourrira de la présente chronique[4]. En effet, si le droit du service public n’est pas encore manifestement défunt, il importe de s’en préoccuper et d’analyser ses transformations car il est tout aussi manifeste que celles-ci sont importantes. Le droit du service public contemporain n’est pas ou plus celui des années précédentes. La notion est toujours motrice pour le droit administratif français et pour ses normes et jurisprudences en particulier mais il importe d’en comprendre les mutations.

Pour ce faire, il est donc proposé d’ouvrir et aujourd’hui dd’actualiser, une chronique axée sur les quatre éléments suivants : identification(s) du service public (I), Transformation(s) (II), Régimes juridiques (III) et droits comparés (IV).

La chronique est détaillée ci-dessous et des liens renvoient aux articles pertinents avec leur date de publication (octobre 2017 pour la 1ère chronique ; novembre 2021 pour la deuxième).

  • Identification(s) du service public
  1. Identification(s), nature(s) & théorie(s) doctrinales du service public ; octobre 2017 (présent éditorial) ; novembre 2021 ;
  2. Des services publics identifiés
    • Du service public de la santé / hospitalier ; octobre 2017 ; novembre 2021 ;
    • Du service public transfusionnel ; octobre 2017 ;
    • Du service public de la Justice ; novembre 2021 ; janvier 2022 ;
    • Du service public cinématographique – en cours
    • Du service public de la donnée – en cours
  3. Identification(s) prétorienne(s) du service public ; octobre 2017 ;
  4. Compétence(s) juridictionnelle(s) du service public ; octobre 2017 ;
  • Transformation(s) du service public
  1. Globalisation(s) du service public ; – en cours
  2. Européanisation(s) du service public ; (en cours)
  3. Service public & puissance publique ; octobre 2017 ;
  4. Service public & liberté(s) ; – en cours
  • Régime(s) juridique(s) du service public
  1. Modes de gestion du service public ; octobre 2017 ;
  2. Lois dites de Louis Rolland ; octobre 2017 ; novembre 2021 ;
  3. Nouvelles « Lois » du service public (transparence, efficacité ; etc.) ; octobre 2017 ; novembre 2021 ;
  4. Responsabilité(s) du service public ; octobre 2017 ;
  • Droit(s) comparé(s) du service public
  1. Italie – en cours ;
  2. Liban ; octobre 2017 ;
  3. Grèce – en cours ;
  4. Thaïlande – en cours ;

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017-2021 ;
chronique Transformation(s) du Service Public (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 375.

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Nouvelles « Lois » du service public face au numérique :

Abdesslam DJAZOULI-BENSMAIN,
Doctorant contractuel en Droit Public à l’Université Toulouse 1 Capitole (IDETCOM)

Le Service Public et le numérique :
vers une transformation majeure de l’administration

208. « Rien n’est permanent, sauf le changement ». Cette vérité que nous offre Héraclite est facilement transposable au Service Public qui, malgré son image d’ancre immobile au fond de l’océan, a toujours été confronté au vent du changement que celui-ci soit économique, social ou même politique[1]. Bien sûr, la notion elle-même a connu des évolutions, elle en subit encore, de sorte qu’il semblerait que « le service public n’est pas défini, il se constate », pour reprendre une célèbre formulation. Néanmoins, l’objet Service Public nous intéressera ici plus particulièrement dans sa définition organique comme proposée par Rolland, c’est-à-dire « une entreprise ou une institution d’intérêt général destinée à satisfaire des besoins collectifs du public (…) par une organisation publique ».

Alors que dans les années 1994, le Service Public se confronte aux évolutions nécessaires que sous-entend le développement du droit communautaire, c’est un autre basculement qui va aujourd’hui ébranler l’administration. Ce mouvement n’est pas idéologique, social ou économique mais technique. En effet, nous vivons ce que certains appellent la Révolution numérique qui bouleverse notre société, ses règles et ses habitudes.

Dans notre pays, 65%[2] des Français possèdent un smartphone de sorte qu’il leur est possible d’accéder à Internet et d’y trouver ou d’y déposer toute sorte d’information. Le développement du Cloud n’a jamais été aussi fort et de plus en plus d’entreprises et de particuliers y enregistre documents divers, factures, photos sous format numérique. De la même manière, de nombreuses entreprises privées préfèrent une correspondance électronique (plus simple, plus rapide, plus fiable) que le format papier.

Toutes ces évolutions, il y en a d’autres, nous poussent à l’interrogation puisque que l’administration, le Service Public français, à quelques exceptions, semble être à mille lieues de s’approprier cette révolution technologique.

Il suffit de se rendre dans une administration pour observer le problème. Déjà, en 1994 (et bien sûr avant), Marceau Long, Vice-Président du Conseil D’Etat, notait que « les Français sont à la fois fortement attachés à leurs services publics, et très sévères quant au fonctionnement de beaucoup d’entre eux »[3]. Ce qui était déjà à l’époque difficilement acceptable par les usagers apparaît aujourd’hui comme inconcevable. L’administration fait l’objet de nombreuses critiques et l’une d’entre-elles est son incapacité à prendre en compte l’évolution technologique et l’intérêt d’Internet et d’un transmission bien plus rapide de données. Le Service Public donne l’impression d’être resté en 1966[4], englué dans la première entreprise d’informatisation des services de l’administration, avec seulement une mise à jour des composants des ordinateurs.

Pourtant, il apparaît que, lorsque l’on juxtapose ce que propose le numérique et les principes fondamentaux du Service public, cette révolution technologique s’inscrit parfaitement dans les Lois de Rolland. Plus que cela, elle y apporte une nouvelle lecture, de laquelle découlent de nouvelles questions.

Le principe de continuité 

Ce principe, relativement simple, impose à l’administration une absence d’interruption. Ainsi, quoi qu’il se passe, le Service Public doit perdurer. Cette valeur fondamentale de notre conception de la notion est utile notamment, de manière organique, concernant le droit de grève des agents. Ce principe est évidemment respecté de manière théorique, mais en de manière pratique, le Service Public est fermé en dehors des heures d’accueils et il est inexistant le dimanche ou encore les jours fériés.

Le numérique ici, grâce au développement de plateformes telles que Service-public.fr assure pleinement cette charge de continuité de sorte que la présence dématérialisée de l’administration est assurée le dimanche, les jours fériés, de jour comme de nuit. Cette avancée technologique permet même de dépasser les contingences matérielles (maladies, fermetures des locaux) en assurant aux usagers un traitement de leurs demandes par une administration qui ne serait pas forcément celle proche de son domicile.

Ainsi, le numérique est en mesure d’assurer continuité réelle du Service Public puisqu’aucune interruption n’intervient. Cela impose, par conséquent, de mieux gérer et de mieux développer l’infrastructure de maintenance dans les administrations qui, aujourd’hui, est loin d’être suffisante puisqu’il n’existe pas de corps spécialisé et que cette mission est gérée de manière éclatée par les différentes administrations[5].

Le principe de mutabilité

Ce principe enveloppe beaucoup de sujets différents, mais il s’agit, de manière générale, pour le Service Public d’assurer le meilleur service possible aux usagers. Pour cela, l’Administration doit savoir évoluer, apprendre à avancer avec son temps.

Il s’agit de l’un des principaux chantiers de cette rénovation du Service public par le numérique que nous appelons de nos vœux mais qui également nécessaire et attendu par de nombreux acteurs, aussi bien les usagers que les entreprises du privé ou même les institutions comme la Cour des Comptes.

Aujourd’hui, l’objectif est clairement celui du tout-numérique[6] en matière de procédure administrative. En ce sens, il semblerait que le gouvernement Macron 2 et notamment le Secrétaire d’Etat en charge du numérique, Mounir Majhoubi ait une volonté forte sur la question[7]. Sur ces questions, il est en effet nécessaire de se rapprocher des modèles d’Europe de l’Est sur ses questions et notamment de celui proposé par la Lituanie qui a réalisé cet objectif.

Il est nécessaire, pour achever cette ambition, d’insuffler au Service Public l’esprit numérique comme l’évoque le rapport « Des start-up d’Etat à l’Etat plateforme » de la Fonda’pol[8]. Celui-ci doit être celui de l’initiative et le rapport souligne par ailleurs les expériences réussies au sein de l’administration. A ce titre notamment, il évoque la plateforme « mes-aides.gouv.fr » permettant de réaliser une simulation de la situation personnelle du demandeur et de permettre à celui-ci de voir de quelles aides il est éligible. Cette plateforme est née du constat, simple, par un agent que les usagers n’avaient souvent pas connaissance du fait qu’ils étaient éligibles à telle ou telle aide. Et il y a d’autres exemples, notamment « Data.gouv.fr » mais également « labonneboite.gouv.fr ».

Ces exemples, cette volonté du gouvernement et les comparaisons avec les autres pays, notamment du nord de l’Europe, à la pointe sur ces questions, montrent qu’il est possible de faire évoluer notre Service Public vers une élasticité qui est au cœur même de sa définition mais qui peine encore à être une réalité en pratique.

Le principe d’égalité

Inscrit au fronton de toutes nos mairies, le principe d’égalité est évidemment une valeur fondamentale du Service Public français de sorte qu’à situation similaire, la solution doit être similaire.

Le principe d’égalité impose également un grand chantier qui dépasse largement les frontières du Service Public. Il s’agit de la démocratisation et de la généralisation de l’accès aux technologies de l’information et de la communication. Il est nécessaire, puisqu’ils vont permettre au Service Public de s’adapter, d’assurer à tous l’accès à ces nouveaux services publics numériques à tous. Si ce travail n’est pas fait, il sera impossible d’assurer l’égalité de traitement des usagers.

A ce tire, il faut ici relever la bonne volonté du Gouvernement qui a annoncé la couverture totale de la France au Haut-débit et au Très-Haut-débit pour l’horizon 2022[9].

Vers un Etat-plateforme

Cette Révolution numérique est, à nos yeux essentiels. Elle permettra de revivifier la notion et l’organisation du Service Public. Elle devra être accompagnée des principes de neutralité[10] et de transparence sur la question des données personnelles qui – dans le cadre du projet de big data public[11][12] – auront un rôle fondamental dans la création d’un Service Public moderne.

Cette transformation à venir, nous l’appelons de nos vœux, sera aussi à mettre en perspective avec les difficultés économiques de la personne publique et permettra, peut-être, d’assurer à la fois un Service Public de qualité tout en diminuant ou en modifiant la part humaine des administrations.

Enfin, cette mutation devra aussi comprendre la transition écologique. Cette transition d’un Service Public dit « papier » à un Service Public dit « internet » permettra d’une part une évolution écologique notable et d’autre part une diminution – peut être seulement symbolique – de la pollution liée aux multiples déplacements nécessaires pour réaliser ses démarches administratives.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique Transformation(s) du Service Public (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 208.

[1] Dès 1994 le Conseil d’Etat s’interroge sur l’évolution du Service public dans un rapport public : Service public, services publics : déclin ou renouveau ? RFDA 1995 p.497

[2] Etude 2016 du CREDOC « baromètre du numérique »

[3] C.F note 1

[4] C’est le « plan calcul » développé par le Général de Gaulle et Georges Pompidou visant à embrasser le développement de ce qui était à l’époque l’industrie des « calculateurs électroniques »

[5] Sur cette question : Rapport de la Cour des comptes sur les Relations aux usagers et modernisation de l’Etat – Vers une généralisation des services publics numériques de Janvier 2016

[6] « La Cour des comptes prône un recours généralisé aux services publics numériques » Jean-Marc Pastor, Dalloz Actualité 09 février 2016

[7] http://www.lemonde.fr/economie/article/2017/05/18/numerique-mounir-mahjoubi-esquisse-ses-premiers-chantiers_5129817_3234.html

[8] Pezziardi Pierre, Verdier Henri. Janvier 2017

[9] Interview de M. Mounir Mahjoubi sur FranceInter en date du 28 août

[10] Comme « neutralité de l’internet » et non pas « neutralité » comme on l’entend classiquement en ce qui concerne les services publics.

[11] « Mise en place du service public de la donnée », Jean-Marc Pastor, AJDA 2017 p.605

[12] « Communication des données publiques, Open data, accessibilité aux réseaux : dispositions de la loi pour une République numérique intéressant les collectivités », Samuel Dyens, AJ Collectivités Territoriales 2017, p.180

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Identification(s) prétorienne(s) du service public

par Camille CUBAYNES,
Doctorante contractuelle en Droit public – Université Toulouse 1 Capitole
Institut Maurice Hauriou

200. Une activité peut être reconnue comme service public en vertu de la loi. A défaut de qualification législative, il faut procéder à l’identification selon les critères jurisprudentiels. Les critères classiques identifient comme activité de service public, une activité qui, gérée par une personne privée, présente un caractère d’intérêt général et pour laquelle celle-ci bénéficie de prérogatives de puissance publique (CE, Section, 28 juin 1963, Sieur Narcy). A défaut de bénéficier de telles prérogatives, la même qualité sera reconnue à l’activité exercée par la personne privée « eu égard à l’intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu’aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints ». L’ensemble de ces éléments laissant apparaître « que l’administration a entendu lui confier une telle mission » (CE, Section, 22 février 2007, Association du Personnel Relevant des Établissements pour Inadaptés – APREI).

On note, en 2016, plusieurs décisions faisant application de cette méthode, reconnaissant ou déniant la qualité de service public à diverses activités au regard des situations d’espèce.

  • Distinction des obligations imposées par l’autorité chargée de la gestion du domaine, du contrôle d’une personne publique permettant la reconnaissance de service public à une activité exercée par un opérateur privé.

La gestion par l’opérateur privé de la cafétéria située au sein du centre hospitalier régional (CHR), ne constitue pas une mission de service public.

En effet, la prescription par le CHR, d’horaires spécifiques d’ouverture aux malades, aux visiteurs et au personnel du centre hospitalier, la détermination d’une liste limitative de produits pouvant être vendus ainsi que l’actualisation des tarifs de vente une fois par an, ne traduisent pas la volonté du CHR de faire de cette activité une activité de service public. De telles prescriptions sont la manifestation du devoir de l’autorité chargée de la gestion du domaine public d’en assurer l’affectation à l’intérêt général.

Le présent arrêt s’inscrit ainsi dans la ligne de la jurisprudence Stade Jean Bouin[1] qui opérait une distinction entre les prescriptions imposées par la personne publique et liée à la gestion du domaine et les obligations révélant un « contrôle » de cette dernière, témoignant de sa volonté de faire de l’activité ainsi contrôlée, un service public. Par ailleurs, le fait que le successeur soit pour sa part titulaire d’une délégation de service public est inopérant. CAA Nancy, Chambre 1, 19 Mai 2016, X c./ CHR de Metz-Thionville, n° 15NC01185.

  • Absence d’éléments démontrant la volonté de l’autorité publique de faire de l’activité un service public.

Les conventions successives conclues entre la société et la Commune ne traduisent pas la volonté de cette dernière de faire de l’animation culturelle et touristique des sites de la carrière des Bringasses et des Grands Fonds un service public, ce, quand bien même cette activité présente les caractères d’une activité d’intérêt général. À cet égard, bien que les conventions prévoient la mise à disposition de la commune des carrières quelques jours dans l’année, « ils ne prévoyaient aucun rôle de la commune dans la programmation et la tarification des activités d’animation ni aucun contrôle ou droit de regard de sa part sur l’organisation et les modalités de fonctionnement de la société ». CAA Marseille, Ch. 6, 9 Mai 2016, n° 15MA01074.

Dans le même sens, le Conseil d’État estime qu’en se contentant de fixer les jours d’ouverture des sites du Moulin de Daudet et du Château de Montauban, et en imposant à la preneuse d’en respecter le caractère historique et culturel, la Commune n’a pas exercé, sur l’activité, un contrôle manifestant sa volonté d’en faire une mission de service public. La preneuse était en effet libre de fixer le montant des droits d’entrée, le contenu des visites, leur fréquence, ainsi que le prix et la nature des produits vendus dans le cadre de l’activité annexe, exception faite du seul fait que « les produits vendus sur les sites ne peuvent être alimentaires ou de ‘’nature dévalorisante ou anachronique pour l’image et la qualité des lieux’’ » (cons. 2 et 3). CE, 9 décembre 2016, n° 396352. (Cet arrêt fait l’objet d’une note au JDA, veille prétorienne janvier 2017, « Pas de délégation de l’activité de service public sans contrôle de la personne publique ».)

Dans les trois affaires rapportées ici, la qualification d’activité de service public n’a donc pas été retenue. Il faut noter la place qu’accorde le juge à la « volonté » de l’Administration de faire, ou de ne pas faire, d’une activité, une activité de service public. À ce titre, on peut rejoindre les propos de Didier Truchet qui estimait que l’Administration appose son « label »[2] aux activités qu’elle estime devoir reconnaître comme étant de service public. Dans certains cas par contre, la nature d’une activité ne dépend pas de la volonté de l’Administration mais est impossible en raison de motifs « de pur droit ».

Les partis politiques ne sont pas titulaires d’une mission de service public. Dans le litige qui l’opposait à son fondateur, le Front national contestait la suspension, par le juge judiciaire, de la tenue d’une assemblée générale par correspondance dont l’objectif était de modifier ses statuts en supprimant notamment toute référence à un Président d’honneur.

Analysant cette décision « comme une ingérence empêchant le fonctionnement normal d’un parti politique »[3], le Front national se pourvoit en cassation. Son premier moyen conteste la compétence du juge judiciaire à connaître du litige. Le Front national estime en effet être une personne privée titulaire d’une mission de service public en vertu de l’article 4 de la Constitution selon lequel « les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. […] Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie ». Dès lors, son règlement intérieur serait un acte administratif unilatéral d’organisation du service public dont seul le juge administratif pourrait connaître. Rejeté par les juges du fond, ce moyen l’est également par le juge de cassation au terme d’un raisonnement en deux temps.

La Cour de cassation constate d’abord que les partis politiques, bien qu’ils « jouent un rôle essentiel au bon fonctionnement de la démocratie », sont des personnes privées qui ne détiennent ni prérogatives de puissance publique (critère de la jurisprudence Sieur Narcy) et ne font pas non plus l’objet d’un contrôle de la personne publique (critère de la jurisprudence APREI). En effet, ce contrôle est impossible en raison du « principe de liberté de formation et d’exercice qui leur est constitutionnellement garanti [et qui] s’oppose à ce que les objectifs qu’ils poursuivent soient définis par l’administration et à ce que le respect de ces objectifs soit soumis à son contrôle ». Substituant un « motif de pur droit » à ceux utilisés par la Cour d’appel pour justifier le rejet de la requête, la Cour de cassation constate dès lors elle aussi que les partis politiques étant des associations régies par la loi du 1er juillet 1901, la connaissance de leur litige relève de la seule compétence du juge judiciaire. Cour de cassation, première Chambre civile, 25 janvier 2017, n° 15-25.561.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique Transformation(s) du Service Public (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 200.

[1] CE, 3 décembre 2010, Stade Jean Bouin, n° 338272.

[2] Truchet (D.), « Nouvelles récentes d’un illustre vieillard, label de service public et statut de service public », AJDA, 1982, p. 427.

[3] Communiqué de presse du Front national en date du 8 juillet 2015, disponible en ligne.

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ParJDA

Du service public transfusionnel

par Pauline GALLOU
Doctorante en Droit public – Université Toulouse 1 Capitole
Institut Maurice Hauriou

199. L’année 2016 est une année de transformations normatives pour le service public transfusionnel.  Sous la pression de son environnement social, économique et juridique, ce service public mute pour s’adapter aux évolutions récentes qui sont notamment venues redessiner les contours du monopole de l’Etablissement Français du Sang[1], établissement public en charge de la gestion de ce service public.

La loi 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé (LMSS)[2] constitue la source principale de ces modifications. Cette évolution normative a été parachevée par voie d’ordonnance[3].

Parmi les changements opérés par la loi, la présente chronique retiendra d’une part, une disposition sociétale relative à la sélection des donneurs, et d’autre part, un ensemble de mesures visant à assouplir et adapter les dispositions encadrant le service public transfusionnel.

Alors que la première mesure amorce la fin de l’exclusion permanente du don de sang des hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (I), l’étude du deuxième ensemble de dispositions visera à démontrer que le service public transfusionnel, confronté à une concurrence nouvelle, se voit doté de nouveaux instruments pour faire face à cette dernière (II).

I. L’évolution de la sélection des donneurs : la fin de l’exclusion permanente en raison de l’orientation sexuelle des donneurs

A la suite de la découverte de l’épidémie du Sida, une circulaire a entendu exclure du don de sang les personnes identifiées comme appartement à une population à risque (circulaire DGS/3B n° 569, circulaire du Professeur Roux du 20 juin 1983). Parmi elles, figuraient « les personnes homosexuelles ou bisexuelles ayant des partenaires multiples » (annexe II de la circulaire).

Les données épidémiologiques ont poussé les professionnels de la transfusion à exclure complétement les hommes ayant eu des rapports homosexuels. Malgré les progrès réalisés dans les techniques permettant de détecter la présence des virus, il existe un laps de temps après la contamination pendant lequel cette détection n’est pas possible (fenêtre silencieuse).

Afin de protéger les receveurs, les critères de sélections des donneurs de sang ont été réglementés.

En droit européen, la directive 2004/33 du 22 mars 2004 portant application de la directive 2002/98 concernant certaines exigences techniques relatives au sang et aux composants sanguins a précisé les exigences relatives à l’admissibilité des donneurs de sang et de plasma en instituant en fonction des cas des contre-indications permanentes ou temporaires. Or, la traduction française de la directive ne permet pas d’identifier si certaines pratiques des « individus dont le comportement sexuel ou l’activité professionnelle les expose au risque de contracter des maladies infectieuses graves transmissibles par le sang » relèvent d’une exclusion temporaire ou définitive (existence de divergences dans les versions linguistiques).

En droit interne, l’annexe II de l’arrêté du 12 janvier 2009[4] fixant les critères de sélection des donneurs de sang a exclu de manière permanente du don de sang les hommes ayant eu des rapports sexuels avec un homme. L’arrêté pose en revanche pour les hétérosexuels ayant des pratiques à risque des exclusions temporaires.

Face à cette exclusion totale du don du sang, perçue par les personnes concernées et une partie de la population comme discriminatoire, les recours juridiques se sont multipliés. Après la CEDH[5], et le Conseil constitutionnel[6], la CJUE a été saisie d’une question préjudicielle[7] par le tribunal administratif de Strasbourg.

Lors des débats parlementaires de la loi de modernisation du système de santé, l’avocat général près la Cour de justice de l’Union européenne venait de rendre ses conclusions. Ses  conclusions, assez défavorables, pouvaient laisser penser aux députés que si la Cour suivait ces dernières, la proportionnalité de l’exclusion permanente serait remise en question, et donc sa légalité[8].

Les députés ont manifesté à plusieurs reprises leur volonté de mettre fin à une situation discriminante[9]. Alors que le projet de loi n’abordait pas cette question, qui relevait pour l’exécutif du pouvoir réglementaire, les députés ont déposé en commission trois amendements[10].

Ces trois amendements ont été retirés à la demande de la Ministre de la Santé, Marisol Touraine. La ministre avait réaffirmé aux députés la volonté du gouvernement de faire évoluer l’entretien préalable au don en « supprimant la mention de l’orientation sexuelle [du questionnaire] et en ne retenant que les comportements sexuels à risque ». La ministre précisait alors qu’elle avait saisi le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) pour connaître son avis quant à la pertinence de cette évolution et qu’un groupe de travail était en place afin d’« étudier les risques liés à une éventuelle ouverture du don du sang aux hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes ».

Le Comité Consultatif National d’Ethique ayant fait preuve de prudence dans son avis en recommandant « dans l’attente des résultats des recherches et des évolutions demandées – [que] les contre-indications actuelles soient maintenues [11]», l’amendement avait été réintroduit et adopté en session ordinaire[12].

C’est donc dans ce contexte que l’article article 40 de la loi est venu compléter l’article L. 1211-6-1 du code de la santé publique.  A la suite du premier alinéa disposant que « nul ne peut être exclu du don de sang en dehors de contre-indications médicales » le législateur a souhaité énoncer le principe selon lequel « Nul ne peut être exclu du don de sang en raison de son orientation sexuelle ».

Un arrêté du 5 avril 2016 fixant les critères de sélection des donneurs de sang a ensuite transformé l’exclusion permanente pour les hommes ayant un ou des rapport (s) sexuel (s) avec un autre homme en exclusion temporaire.

Dans le cas d’un don de sang total et d’aphérèse, l’exclusion temporaire est, depuis l’entrée en vigueur de l’arrêté en juillet 2016, de douze mois après le dernier rapport sexuel considéré.

Dans le cas d’un don de plasma par aphérèse pour plasma sécurisé par quarantaine l’exclusion est de quatre mois pour les hommes ayant eu plus d’un partenaire sexuel dans les quatre derniers mois après la fin de cette situation.

A la suite du processus législatif, l’organisation du service public transfusionnel gagne en plasticité et l’établissement public qui le gère se voit doté d’outils pour faire face à l’accroissement de la concurrence dans le secteur du sang.

II. Un service public réorganisé pour faire face à la concurrence 

Il convient de rappeler que la gestion du service public transfusionnel est confiée à l’établissement français du sang (EFS) qui bénéficie d’un monopole de collecte, préparation et distribution des produits sanguins labiles pour assurer sa mission.

L’établissement français du sang est un établissement public national territorialement déconcentré. Un échelon national est complété par des établissements de transfusion sanguine régionaux, sans personnalité juridique, qui constituent les entités opérationnelles de la transfusion sanguine.

L’ordonnance réécrit les dispositions législatives relatives à l’organisation interne de l’Etablissement français du sang en fusionnant dans un nouveau « chapitre II : Etablissement français du sang », les dispositions contenues auparavant dans trois chapitres distincts (Etablissement français du sang, Etablissements de transfusion sanguine, Schémas d’organisation de la transfusion sanguine). Les références aux établissements de transfusion sanguine sont systématiquement remplacées par la référence à l’établissement français du sang. L’ordonnance effectue ainsi une forme de « déclassement » des entités locales au profit d’un établissement « unique » et territorialement intégré au système de santé. Cette intégration se fait par la création d’un schéma directeur national de la transfusion sanguine qui organise sur l’ensemble du territoire national les activités relatives à la transfusion et qui sera localement décliné au niveau des établissements de transfusions sanguines. Seul l’Etablissement français du sang bénéficie d’une existence législative, les établissements de transfusion sanguine bénéficient eux d’une reconnaissance réglementaire.

L’établissement français du sang, qui se substitue aux établissements de transfusion sanguine, devient le titulaire de l’agrément qui lui permet d’exercer ses activités.

Cette évolution législative s’explique par la volonté de confier « le pilotage et les enjeux des activités de l’EFS […] au-delà du cadre régional » « directement » à l’échelon national en cas de « regroupement éventuel de ses activités ou d’exercice de celles-ci dans un cadre supra régional »[13] et dans un souci de rationalisation.

Il convient de noter que l’ordonnance modifie la durée de l’agrément. Celui-ci a désormais une durée illimitée[14]. Ces mesures vont dans le sens d’une simplification de la législation du service public transfusionnel. Ces dispositions sont les bienvenues pour permettre au service public transfusionnel et à l’Etablissement français du sang de s’adapter rapidement à son nouvel environnement.

Les mesures de simplifications ont été accompagnées de dispositions dotant l’Etablissement français du sang de nouveaux outils pour concurrencer les opérateurs privés.

Le monopole de l’Etablissement français du sang a récemment été redessiné. En effet, le plasma traité par solvants-détergents (dit plasma SD), plasma dans la production duquel intervient un processus industriel, autrefois considéré comme produit sanguin labile, est aujourd’hui entièrement soumis au régime du médicament[15].

Un régime transitoire avait été mis en place en 2015[16] à la suite d’une décision de la CJUE[17] et du Conseil d’Etat[18] pour accompagner ce changement de statut. Pour prévenir une désorganisation dans la délivrance de ce dernier, la loi avait permis à l’Etablissement Français du Sang de continuer à délivrer ce type de plasma sans avoir toutefois le statut de laboratoire pharmaceutique. Ce plasma industriel destiné à être transfusé était soumis à un régime du médicament dérogatoire consistant en un double circuit de pharmacovigilance et d’hémovigilance[19]. La loi met fin à un régime transitoire instauré pour accompagner le passage de ce plasma dans le secteur concurrentiel. Désormais ce type de plasma est entièrement soumis au régime du médicament. La loi de modernisation de notre système de santé vient réintégrer ce type de plasma dans le circuit classique du médicament et le soumet à la pharmacovigilance[20]. Le plasma industriel est désormais délivré par les pharmacies à usage intérieur (PUI) comme les autres médicaments.

Pour faire face à l’ouverture à la concurrence, l’ordonnance donne la possibilité à l’Etablissement Français du Sang de fabriquer, importer et exploiter les plasmas industriels[21]. L’EFS pourra ainsi créer un établissement pharmaceutique afin de reprendre la fabrication de plasmas industriels dont il a cessé la production. Cette évolution législative donne la possibilité à l’établissement public de concurrencer la société Octapharma[22] sur un marché concurrentiel.

Les plasmas qui ne sont pas industriellement préparés, et qui sont toujours considérés comme des produits sanguins labiles[23], se trouvent directement concurrencés par des plasmas « médicaments » qui ont la même finalité thérapeutique. Or, la loi interdisait jusqu’alors la publicité en faveur des produits sanguins labiles contrairement aux médicaments. L’article 3 de l’ordonnance crée une exception pour les plasmas dans la production desquels n’intervient pas un processus industriel « afin d’assurer le respect de libre concurrence et mettre l’opérateur en situation d’égalité avec les laboratoires pharmaceutiques commercialisant du plasma transfusionnel de statut médicament »[24]. Les modalités de cette publicité, baptisée « communication à caractère promotionnel », sont définies dans un chapitre III éponyme[25].  Celle-ci est notamment permise sous autorisation préalable de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé[26]. La communication, qui peut notamment consister à remettre gratuitement des échantillons[27], ne peut être effectuée que par un docteur en pharmacie ou en médecine[28]. Pour le Professeur Didier TRUCHET cette innovation législative s’apparenterait presque à une « révolution »[29].

L’ordonnance donne ainsi à l’opérateur du service public transfusionnel les moyens de s’adapter à une nouvelle concurrence tout en prévoyant des garanties.

La présente contribution porte sur les transformations du service public transfusionnel intervenues au cours de l’année 2016. Une prochaine chronique sera consacrée à l’actualité 2017.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique Transformation(s) du Service Public (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 199.

[1] Le monopole de l’Etablissement français du sang est délimité par la notion française de produits sanguins labiles (PSL). Celle-ci est généralement opposée aux produits stables, à la durée de conservation plus longue, qui sont eux qualifiés de médicaments. En vertu de l’article L1221-8 du code de la santé publique « seuls peuvent être distribués ou délivrés à des fins thérapeutiques, les produits sanguins labiles dont la liste et les caractéristiques sont fixées » par décision administrative publiée au JO. La liste, fixée par le directeur de l’AFSSAPS (ANSM aujourd’hui), plusieurs fois modifiée, a fait l’objet d’un recours pour excès de pouvoir introduit par la société Octapharma. La décision administrative mentionnant le plasma frais congelé déleucocyté viro atténué par solvant-détergent (dit plasma SD) parmi les produits sanguins labiles sous monopole de l’Etablissement français du sang, empêchait la société de commercialiser en France son plasma SD, qui bénéficiait d’une autorisation de mise sur le marché dans plusieurs pays européen. Le Conseil d’Etat, à la suite d’une question préjudicielle posée à la Cour de Justice de l’Union Européenne a exclu le plasma SD de la liste des PSL. La haute juridiction administrative a qualifié ce plasma de médicament en raison de son processus de fabrication industriel en application de la législation européenne (CE, 23 juillet 2014, Société Octapharma France , n° 349717)

[2] Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, publiée au JO du 27 janvier 2016.

[3] Ordonnance n° 2016-1406 du 20 octobre 2016 portant adaptation et simplification de la législation relative à l’Etablissement français du sang et aux activités liées à la transfusion sanguine, publiée au JO du 21 octobre 2016.

[4] Arrêté  du  12  janvier  2009  fixant  les  critères de  sélection  des  donneurs  de  sang, publié au JO le 18 janvier 2009.

[5] CEDH, 4ième section, 5 octobre 2002, n° 49821/99, TOSTO contre l’Italie. La CEDH n’eut pas l’occasion de se prononcé, l’Italie ayant modifié sa législation entre temps.

[6] Conseil Constitutionnel, 19 septembre 2014, n° 2014-412 QPC, le Conseil constitutionnel était saisi de la question de la conservation informatisée des données sensibles,

[7] CJUE, 4e chambre, 29 avril 2015, affaire n° C-528/13, Geoffrey Léger contre Ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes et Établissement français du sang.

[8] Pour lui une relation sexuelle entre deux hommes n’est pas, en soi et à elle seule, constitutive d’un comportement qui justifierait l’exclusion permanente du don de sang. Une telle exclusion peut cependant être justifiée au regard de l’objectif de protection de la santé publique, à condition qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire. L’avocat général invitait alors la juridiction nationales à vérifier la proportionnalité de la mesure au regard de l’objectif poursuivi en se demandant  « si la situation épidémiologique propre à la France repose sur des statistiques fiables, représentatives et récentes et si, en l’état actuel des connaissances scientifiques, il ne serait pas possible, sans soumettre la chaîne transfusionnelle à des contraintes excessives, de prévoir des mesures de mise en quarantaine des dons dans l’attente de l’expiration de la fenêtre silencieuse ».

[9] Voir en ce sens la discussion générale lors première séance du mardi 31 mars 2015 à l’Assemblée Nationale et notamment l’intervention de Monsieur Jean-Louis ROUMEGAS du parti Europe Écologie Les Verts

[10] Amendement N°AS1321 présenté par Monsieur VERAN, rapporteur ; Amendement N°AS1090 présenté par

Messieurs RICHARD, VERCAMER et TAHUAITU ; Amendement N°AS229 présenté par Messieurs ROUMEGA, CAVARD et Madame MASSONNEAU

[11] CCNE, Avis N°123 du 28 mars 2015

[12] Amendement N°1289 présenté par Madame Sonia LAGARDE et Messieurs RICHARD, VERCAMER, TAHUAITU, FAVENNEC, FOLLIOT, HILLMEYER, JEGO, Jean-Christophe LAGARDE, Maurice LEROY, PIRON, REYNIER, SANTINI, SAUVADET et Philippe VIGIER

[13] Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n°2016-1406 du 20 octobre 2016 portant adaptation et simplification de la législation relative à l’Etablissement français du sang et aux activités liées à la transfusion sanguine, JO du 21 octobre 2016, p.2 du rapport

[14] Article 2 de l’ordonnance

[15] Voir supra, p.1, note de bas de page n°1

[16] Ce régime transitoire a été créé par l’article 71 de la loi n° 2014-1554 du 22 décembre 2014 de financement de la sécurité sociale pour 2015 puis précisé par le décret n° 2015-100 du 2 février 2015 relatif au plasma dans la production duquel intervient un processus industriel

[17] CJUE, 1ière chambre, 13 mars 2014, l’affaire C 512/12, Octapharma France SAS contre Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et Ministère des Affaires sociales et de la Santé)

[18] CE, 23 juillet 2014, Société Octapharma France , n° 349717

[19] Le décret n° 2015-100 du 2 février 2015 relatif au plasma dans la production duquel intervient un processus industriel a précisé les règles de conservation ainsi que les règles de délivrance et d’hémovigilance applicables au plasma industriel.

[20] Article 170 de loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé

[21] Article 2 de l’ordonnance n° 2016-1406 du 20 octobre 2016 portant adaptation et simplification de la législation relative à l’Etablissement français du sang et aux activités liées à la transfusion sanguine.

[22] La société Octapharma est, à notre connaissance, le seul laboratoire pharmaceutique bénéficiaire en France d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour son plasma SD « OCTAPLASLG ».

[23] Le plasma frais congelé sécurisé par quarantaine (PFC-Se) et le plasma frais congelé traité par amotosalen (PFC-IA) sont à ce jour les deux seuls plasmas fabriqués par l’Etablissement Français du sang, un autre type de plasma ayant été retiré de la liste des PSL (plasma frais congelé traité par bleu de méthylène dit PFC-BM). Il existe également un plasma lyophilisé destiné aux unités militaires déployées en opérations extérieures (PLYO).

[24] Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-1406 du 20 octobre 2016 portant adaptation et simplification de la législation relative à l’Etablissement français du sang et aux activités liées à la transfusion sanguine, p.2.

[25] Article L1223-1 et suivants du code de la santé publique

[26] Article L1223-4 du code de la santé publique

[27] Article L1223-6 du code de la santé publique

[28] Article L1223-7 du code de la santé publique

[29] Didier TRUCHET, Droit de la santé publique, Dalloz, « Mémentos », 2016, 9e éd, p.176.

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ParJDA

Modes de gestion(s) du service public

par Camille CUBAYNES & Quentin ALLIEZ,
Doctorants en Droit public – Université Toulouse 1 Capitole
Institut Maurice Hauriou

206. La personne publique responsable du service public dispose d’une liberté de choix d’exercice de celui-ci. Elle peut le gérer par elle-même ou en déléguer la gestion à un tiers, en principe par voie d’habilitation contractuelle (CE, 6 avril 2007, Commune d’Aix-en-Provence, n° 284736).

Les concessions

L’année 2016 a été, en matière de modes de gestion des services publics, celle de l’importante réforme du droit des concessions avec la transposition la directive 2014/23 par l’ordonnance du 29 janvier 2016. Son article 5 nous livre la définition de la concession, considérant que celle-ci peut avoir pour objet « l’exécution de travaux ou la gestion d’un service ». Dans le cas où le contrat porterait à la fois sur des travaux et des services, l’article 6 prévoit qu’il faut se référer à son objet principal, par opposition aux prestations accessoires.

Ce même article 6 dispose que « les contrats de concession de services ont pour objet la gestion d’un service. Ils peuvent consister à déléguer la gestion d’un service public ». L’ordonnance consacre alors la concession de service qui peut-être selon les cas un service public. Le recours au contrat de concession peut conduire à confier la gestion d’un service sans que celui-ci ne soit nécessairement un service public[1]. Le droit européen, qui est ici transposé, définit la concession indépendamment de la nature du service. Alors que le droit français connaissait, quant à lui, la notion de délégation de service public.

De fait, que reste-t-il de la typologie française des contrats emportant l’exploitation du service public ? Est conservée, uniquement pour les collectivités territoriales et leurs établissement publics, la délégation de service public[2]. Au sein de cette catégorie, on retrouve, la concession qui impose au titulaire de réaliser à ses frais les investissements immobiliers en plus de l’exploitation du service. L’affermage qui prévoit que les équipements soient mis à disposition par la personne publique au fermier. Enfin la régie intéressée, la collectivité finance l’établissement d’un service public qu’elle confie à un régisseur dont la rémunération est la fois assurée par la personne publique sous la forme d’une part fixe et à la fois indexée sur les résultats de l’exploitation part variable. Les autres personnes publiques ne pouvant conclure que des concessions de service public, intégrées aux concessions de service, sous-catégorie des contrats de concessions.

Une personne publique en charge d’un service public peut donc recourir à la concession de service public comme mode de gestion de celui-ci. Il faut toutefois que le concessionnaire supporte une part du risque de l’exploitation comme le prévoit l’article 5 de l’ordonnance. L’ordonnance reprend ici les jurisprudences internes[3] et européennes[4] qui avaient érigé le risque comme critère de la concession.

[1] Le Conseil d’Etat a ainsi récemment usé de cette notion de concession de service dans son arrêt Société de manutention portuaire d’Aquitaine du 14 février 2017.

[2] Article L1411-1 du CGCT

[3] CE 7 novembre 2008, Département de la Vendée.

[4] CJCE 13 octobre 2005, Parking Brixen.

Les modes de gestion au contentieux

La personne publique responsable du service public dispose d’une liberté de choix d’exercice de celui-ci. Elle peut le gérer par elle-même ou en déléguer la gestion à un tiers, en principe par voie d’habilitation contractuelle (CE, 6 avril 2007, Commune d’Aix-en-Provence, n° 284736).

Si la gestion directe n’a pas donné lieu à un fort contentieux, la gestion déléguée appelle plusieurs observations. Alors qu’il faut saluer l’intégration dans la nouvelle réglementation des règles jurisprudentielles organisant la quasi-régie (1), les règles relatives à la durée des contrats de délégations ont été rappelées (2).

Les conditions de la quasi-régie

  • In house ou quasi-régie. Si les conditions de délégation d’une mission de service public à une société publique locale sont remplies, cette délégation n’entre pas dans le champ des obligations de publicité et mise en concurrence.

Cette affaire rappelle les conditions de mise en œuvre de l’article L. 1411-12 du CGCT applicable à l’espèce, abrogé par l’ordonnance « concession »[1] mais repris par elle à l’article 16 sous la dénomination de quasi-régie au sein de la section consacrée aux « exclusions applicables aux relations internes au secteur public ».

En principe, on sait en effet qu’une délégation de service public doit donner lieu à une procédure particulière, notamment au regard des exigences de publicité et mise en concurrence qu’elle implique. Toutefois, l’article L. 1411-12 du CGCT prévoit que ces obligations ne trouvent pas à s’appliquer dans trois cas (monopole, création d’un établissement public ou d’une société publique locale, considérations de durée et de montant de la délégation consentie). Dans la présente affaire, une Commune avait décidé de créer une Société Publique Locale afin de lui confier la gestion du service public extérieur des pompes funèbres[2] et du crématorium de plusieurs communes au moyen d’une délégation. La délibération portant création de la SPL et dissolution de la régie qui exerçait jusqu’alors cette mission est attaquée. La société requérante estime que les conditions d’application de l’alinéa 2 de l’article L. 1411-12 du CGCT ne sont pas remplies, notamment celle tenant au « contrôle comparable » (ou analogue) exercé par la personne publique sur la SPL. Les deux autres conditions relatives au fait que cette dernière réalise l’essentiel de son activité pour la personne publique délégataire (1) et que l’activité déléguée figure expressément dans ses statuts (2) n’étant pas contestées. La Cour administrative d’appel de Bordeaux constate pourtant que « la commune dispose de la quasi-totalité du capital social et a le pouvoir de désigner tant les membres du conseil d’administration que le directeur général ; elle exerce ainsi sur la société publique locale, pour son compte et celui des autres actionnaires, un contrôle comparable à celui exercé sur ses propres services. » (cons. 10). Elle rejette dès lors la requête de la société demanderesse.

On peut rapporter que le régime de la quasi-régie a été précisé par l’ordonnance « concessions ». Transposant les exigences européennes et délaissant les formules larges, elle précise désormais que « La personne morale contrôlée réalise plus de 80 % de son activité dans le cadre des tâches qui lui sont confiées par le pouvoir adjudicateur qui la contrôle ou par d’autres personnes morales qu’il contrôle ; »[3] (nous soulignons). La notion de « contrôle analogue » est également précisée puisque est réputé comme tel le pouvoir adjudicateur qui « exerce une influence décisive à la fois sur les objectifs stratégiques et sur les décisions importantes de la personne morale contrôlée ». CAA Bordeaux, ch. 6, 18 juillet 2016, SPL Pompes funèbres publiques des communes associées – Aunis, Société Omnium de Gestion et Financement, n°15BX00314.

 Les critères de la durée du contrat de délégation

  • Durée d’amortissement et durée du marché : sanction durée excessive du marché à bons de commande.

Le département de la Vendée a conclu un marché à bons de commande pour une durée de 9 ans. Or, en vertu des dispositions du Code des marchés publics (applicable à l’espèce), la durée d’un tel marché est plafonnée à 4 ans, « sauf dans des cas exceptionnels dûment justifiés, notamment par leur objet ou par le fait que leur exécution nécessite des investissements amortissables sur une durée supérieure à quatre ans. » (article 77 II Code des marchés publics). En l’espèce, une durée de 9 ans est excessive car les véhicules requis pour le marché pouvaient être âgés de 10 à 20 ans selon les gabarits : « les véhicules des entreprises candidates pouvaient donc être déjà partiellement amortis à la date du début d’exécution du marché et, s’agissant des véhicules plus récents, pouvaient continuer à être amortis,  après l’expiration du marché,  dans le cadre  d’une  activité de prestation de services ultérieure, ou faire l’objet d’une revente venant compenser  l’impossibilité d’amortir totalement les véhicules dans le cadre de la durée d’exécution du marché » (cons. 13). Constatant cela, le juge décide de maintenir le contrat en modifiant uniquement son terme de façon à ramener sa durée à 4 ans. TA Nantes, 2 mars 2016, Sté Voyages Nombalais, n° 1306681.

Cette solution ne semble pas conforme à la jurisprudence du Conseil d’État qui, sur une affaire très similaire (transport scolaire et régulier de passagers, marché à bons de commande d’une durée de 6 ans, véhicules d’une ancienneté maximale de 10 ans), a validé l’annulation du marché alors que l’acheteur public demandait sa résiliation en cas non reconnaissance de la nécessité de déroger à la durée plafond du marchés à bons de commande. La formule utilisée laisse entendre que la sanction de principe du dépassement non justifié de la durée maximale autorisée réside dans l’annulation, dès lors que celle-ci ne porte pas une atteinte excessive à l’intérêt général : « il ressort des écritures du syndicat devant la cour administrative d’appel que ce dernier demandait à la cour, dans l’hypothèse où elle estimerait que l’illégalité invoquée par la société appelante était de nature à vicier la procédure, de ne pas annuler le marché, eu égard précisément à la nécessaire protection de l’intérêt général, mais de se limiter à en prononcer la résiliation ; qu’eu égard à l’absence de tout élément de nature à établir que la résiliation du contrat était elle-même de nature à porter une atteinte excessive à l’intérêt général, il s’ensuit que le syndicat mixte des transports en commun Hérault Transport n’est pas fondé à soutenir qu’en faisant droit à cette demande, la cour administrative d’appel de Marseille aurait commis une erreur de droit ou méconnu l’étendue de son office ; » (cons. 7). CE, 5 février 2016, Société Voyages Guirette c./ syndicat mixte des transports en commun Hérault Transport, n° 383149.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique Transformation(s) du Service Public (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 206.

[1] Ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016, relative aux contrats de concession transposant en droit interne la Directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014, sur l’attribution de contrats de concession.

[2] Activité reconnue comme service public par l’article L. 2223-19 du CGCT.

[3] Article 16 I 2° de l’ordonnance « concession ».

 

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Compétence(s) juridictionnelle(s) du service public

par Camille CUBAYNES,
Doctorante contractuelle en Droit public – Université Toulouse 1 Capitole
Institut Maurice Hauriou

201. On sait que, à défaut de qualification législative directe ou indirecte, le contrat dont il faut déterminer la nature, doit être ausculté au regard des critères jurisprudentiels afin de savoir si sa connaissance relèvera du juge administratif (1) ou judiciaire (2).  Pour ce qui est de la qualification de contrat administratif, outre la présence directe ou indirecte d’une personne publique, qui est le critère organique impératif, on note l’existence de trois critères matériels alternatifs que sont : le régime exorbitant du droit commun (CE, Section, 19 janvier 1973, Société d’exploitation électrique de la rivière du Sant, n° 82338), la clause exorbitante du droit commun (CE, 31 juillet 1912, Société des granits porphyroïdes des Vosges) et le lien avec le service public (CE, 4 mars 1910, Thérond). C’est ce dernier critère qui a parfois donné lieu à des appréciations divergentes, justifiant la saisine du Tribunal des conflits qui a, en outre, rendu certaines décisions contraires à l’avis de son rapporteur. L’appréciation de l’importance du cocontractant privé dans l’exécution du service public est donc délicate.

1. Compétence administrative.

  • Reconnaissance de la qualité de contrat constituant une modalité d’exécution du service public.

Le contrat de location d’un terrain de camping conclu entre la Commune et une association, destiné à permettre d’accueillir les campeurs de passage non adhérents à l’association propriétaire du terrain, est un contrat administratif. Les termes du contrat stipulent en effet que le tarif est proposé à la Commune par l’association et que le règlement intérieur du camping est arrêté « d’un commun accord par les parties ». Le Tribunal des conflits juge, sur conclusions contraires de son rapporteur, que ce contrat a dès lors pour conséquence d’associer la personne privée bailleuse à la gestion du camping organisée par la Commune ; cette exploitation, lorsqu’elle est menée par la Commune, étant de longue date reconnue comme constituant une activité de service public[1]. Il revient donc à la juridiction administrative d’en connaître.

Pour sa part, Bénédicte Farthouat-Danon[2] estimait dans ses conclusions que ces circonstances étaient insuffisantes pour que le cocontractant soit regardé comme « participant à l’exécution du service public ». Elle rappelait pour cela diverses décisions dans lesquelles le Tribunal des conflits avait conclu à la nature privée du contrat, au motif que celui-ci « avait été conclu pour les besoins du service public mais n’avait pas pour objet de faire participer les propriétaires du bien à l’exécution même du service public »[3]. Ce désaccord illustre donc le caractère casuistique de cette opération de qualification d’une activité. TC, 6 juin 2016, Commune d’Auvers-sur-Oise, Association Groupement des campeurs universitaires de France, n° 4053.

  • Le changement de statut de l’opérateur public ne modifie pas la nature des contrats conclus antérieurement.

Dans cet arrêt, le Tribunal des conflits fait application de la jurisprudence ancienne selon laquelle la nature d’un contrat s’apprécie au jour de sa conclusion (TC, 16 octobre 2006, Caisse centrale de Réassurance, n° 3506). Peu importe donc, que, par la suite, l’opérateur public ait été privatisé. Le contrat en cause conclu par GDF lorsqu’il était un EPIC avec des sociétés privées, et par la suite cédé avec effet rétroactif  à la date de sa signature à une personne privée (la filiale Fosmax de la société GDF privatisée) est un contrat administratif. Lorsqu’il a été conclu, en effet, celui-ci, mettait en présence une personne publique et avait pour objet de lui permettre de satisfaire à ses obligations de service public de fourniture de gaz naturel et la sécurité des approvisionnements. Il visait à la réalisation de travaux immobiliers dans un but d’intérêt général et constitue à ce titre un contrat public relevant de la compétence de la juridiction administrative. La privatisation de l’opérateur ainsi que la cession du contrat à une de ses filiales avec effet rétroactif ne viennent en modifier la nature. TC, 11 Avril 2016, Société Fosmax Lng, n° 4043.

  • Compétence de la juridiction administrative pour connaître de l’action en garantie engagée par une personne publique contre une personne privée avec laquelle elle est liée par contrat.

Condamné à indemniser sur le fondement du régime de la responsabilité hospitalière sans faute,  les préjudices d’un patient consécutifs à l’implantation d’une prothèse défectueuse, le CHU de Chambéry avait vu son appel en garantie engagé contre son fournisseur rejeté par la Cour administrative d’appel. Saisi à son tour et estimant être confronté à une question de compétence présentant une difficulté sérieuse, le Conseil d’État décide de surseoir à statuer et d’interroger le Tribunal des conflits. Par cette décision, ce dernier décide d’unifier le contentieux au profit du juge administratif. L’action en responsabilité du patient contre le CHU et l’action en garantie du CHU (établissement public) contre son fournisseur (personne privée) sur le fondement des (anciens) articles 1386-1 à 1386-18 du Code civil (régime de responsabilité des produits défectueux), relèvent donc du juge administratif. Cette décision est motivée par le souci d’unifier les contentieux dans un souci de bonne administration de la justice et justifiée sur le régime d’exécution du contrat. Le contrat de fournitures conclu entre le CHU et son fournisseur étant un contrat administratif (qualification législative en vertu du Code des marchés publics), le contentieux de son exécution relève de la compétence de la juridiction administrative. Avant cette décision, sauf disposition légale contraire, l’action en responsabilité engagée par une personne publique contre une personne privée relevait de la compétence de la juridiction judiciaire (rappel récent : TC, 13 avril 2015, Province des Îles Loyauté c/ Cie maritime des Îles, n° 3993). Une telle solution morcelait donc le contentieux, l’action du patient contre le CHU relevant du juge administratif, tandis que l’appel en garantie de ce dernier contre son fournisseur privé relevait pour sa part du juge judiciaire. Désormais donc, le juge administratif pourra connaître et trancher l’intégralité du litige résultant d’un produit défectueux. TC, 11 Avril 2016, Centre hospitalier de Chambéry, n° 4044.

2. Compétence judiciaire.

  • Lorsque la détermination de la nature de l’activité permet de déterminer le statut du domaine qui en est l’assiette.

Avant l’entrée en vigueur du CG3P de 2006, pour que le bien d’une personne publique non affecté directement à l’usage du public, appartienne au domaine public, celui devait être affecté à un service public (condition 1) et être spécialement aménagé pour ce faire (condition 2). La parcelle considérée n’étant pas directement affectée à l’usage du public, il convient de déterminer si les deux conditions relatives à son appartenance au domaine public sont réunies. Le Conseil d’État constate en l’espèce que si l’activité exercée par le titulaire présentait un caractère d’intérêt général, rien ne démontre dans la convention le liant à la Commune, la manifestation de la volonté de faire de cette activité un service public. Dès lors, la parcelle n’étant ni directement affectée à l’usage du public ou à celle d’un service public, celle-ci n’appartient pas au domaine public. Il incombe donc au juge judiciaire de connaître des litiges relatifs à la demande d’indemnisation de la société organisatrice de cette activité.

Le présent arrêt, très classique quant à la méthode d’identification du service public (non reconnu en l’espèce), peut être relevé car la non reconnaissance de la nature d’activité de service public contribue ce faisant à la qualification d’un bien du domaine (en l’espèce, refus de reconnaître que le site appartient au domaine public de la Commune). Ici, comme en matière de contrat, le service public n’est pas une fin en soi. C’est l’élément dont l’identification permet de déterminer le juge compétent et de résoudre ainsi le litige. CE, ss 8 et 3 réunies, 15 Février 2016, Société Cathédrale d’Images c./ Commune des Baux-de-Provence, n° 384228.

  • Un contrat répondant aux besoins du fonctionnement d’un service public sans associer le cocontractant à son exécution même, n’est pas administratif.

Dans cette affaire, la région Ile-de-France avait conclu un contrat de bail avec l’association propriétaire de lieux afin d’y installer un établissement public local d’enseignement. En contrepartie de cette occupation, la personne publique payait un loyer principalement constitué par la réalisation de travaux. Saisi d’une demande d’indemnisation et de résiliation par l’association le Tribunal de grande instance de Paris a estimé que le contrat était administratif car il faisait participer l’association au service public. Le Tribunal administratif refusant cette qualification saisit préventivement le Tribunal des conflits.

De façon classique, ce dernier adopte un raisonnement en trois temps. Il constate d’abord que ce contrat n’est pas conclu en vertu du Code des marchés publics. Il n’est donc pas administratif par détermination de la loi. Il constate ensuite que celui-ci ne comporte pas de clause exorbitante du droit commun, c’est-à-dire de clause « impliquant dans l’intérêt général qu’[il] relève d’un régime de droit public » selon la nouvelle définition de cette clause posé par la jurisprudence SA Axa France IARD[4]. Enfin, il note que l’association n’est aucunement associée à la définition ou l’organisation du service public de l’enseignement mais se borne à mettre à la disposition de la Région des locaux. Il s’agit dès lors d’un simple contrat de droit privé relevant de la compétence de la juridiction administrative. TC, 14 Novembre 2016, Association professionnelle des hôteliers, restaurateurs, limonadiers (APHRL) c./Région Ile-de-France, n° 4065.

À ce titre, cette décision peut être rapprochée de la décision rapportée plus haut[5], dans laquelle le propriétaire privé du camping loué par la personne publique disposait d’un droit de regard sur le règlement intérieur des lieux et sur les tarifs appliqués ce qui justifiait selon le Tribunal la reconnaissance de son association au service public (sur conclusions contraires de son rapporteur toutefois…).

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique Transformation(s) du Service Public (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 201.

[1] TC, 14 janvier 1980, Mme Le Crom c./ Commune de Saint-Philibert, n° 02141.

[2] Farthouat-Danon (B.), Conclusions sur TC, 6 Juin 2016, Commune d’Auvers-sur-Oise, Association Groupement des campeurs universitaires de France, n° 4053.

[3] Parmi ceux-ci : TC, 17 octobre 2011, Mme Schwartz-Didier et  Varraud c./ Centre hospitalier de Laragne, n° 3809 (nature privée du contrat de bail conclu entre une personne privée et un établissement public hospitalier), TC, 15 novembre 2004, Société Loxxia Bail Slibail  c./ Lycée régional Hélène Boucher, n° 3431 (nature privée du contrat de location conclu entre par un établissement d’enseignement secondaire, d’appareils  de reprographie), TC, 23 novembre 1998, Bergas, n° 03124 (nature privé du contrat de location de téléviseurs aux détenus d’une prison).

[4] TC, 13 octobre 2014, SA Axa France IARD c./ MAIF, n° 3963.

[5] TC, 6 juin 2016, Commune d’Auvers-sur-Oise, Association Groupement des campeurs universitaires de France, n° 4053.

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Du service public hospitalier en ses contradictions

Isabelle Poirot-Mazères,
Professeur de droit public, Institut Maurice Hauriou,
Université Toulouse 1 Capitole

198.

« Restauration », « rénovation », « réhabilitation », réaffirmation, en « habits neufs » ou  refondé, les termes n’ont manqué ni aux politiques ni aux commentateurs pour essayer de qualifier le mouvement qui, de la loi Boulin de 1970 à la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, s’attache à donner identité au « service public hospitalier ». La notion étant aussi juridique que politique, fortement empreinte d’idéologie, dans un contexte en mutation rapide et aux équilibres jamais acquis, elle ne laisse nul indifférent comme en témoignent les débats qui ont accompagné la nouvelle loi. Il est vrai que l’enjeu était de taille, creuset de toutes les oppositions entre les tenants d’une conception libérale des missions hospitalières et la nouvelle majorité soucieuse de ressusciter un SPH totalement désarticulé par la loi Bachelot du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients à la santé et au territoire (HPST).  Les établissements de santé, déjà éprouvés par une longue série de réformes mal assimilées, se sont retrouvés au cœur d’une controverse politique qui, au-delà d’une opposition sur le mode de gestion des services de santé, renvoie plus fondamentalement à la question du rôle de la puissance publique dans la société. En 2009, l’objectif avait  été de casser la conception hospitalo-centrée et globalisante du service public, en lui substituant une série de quatorze missions, de nature à offrir un « exercice à la carte » des missions de service public que tout établissement de santé, public et privé, était susceptible de prendre en charge. Le rétablissement du grand SPH, à connotation symbolique forte,  a été l’un des enjeux du débat politique et l’un des apports majeurs de la loi de 2016.

Le texte  s’inscrit dans un vaste programme  de refondation destiné à répondre aux enjeux auxquels la politique et le système de santé  sont confrontés,  le vieillissement de la population, la progression des maladies chroniques, qui touchent aujourd’hui près d’un Français sur quatre et exigent des prises en charge coordonnées entre professionnels dans une logique  de parcours de soins,  celui enfin de l’innovation et des avancées technologiques. La Stratégie Nationale de santé, lancée par Marisol Touraine en 2013  a posé des jalons, précisés par divers rapports et expertises, recommandations du Comité des sages,  rapports relatifs au Pacte de confiance pour l’hôpital ou à l’An II de la démocratie sanitaire, travaux relatifs au Service territorial de santé au public et au service public hospitalier (B.Devictor, Le service public territorial de sante (SPTS) le service public hospitalier (SPH). Développer l’approche territoriale et populationnelle de l’offre en santé, mars 2014). Le projet de loi dans son article 26  proposait « de refonder un service public hospitalier qui soit susceptible de répondre aux attentes des citoyens en matière d’accès à la santé ». Finalement aux termes des débats parlementaires et d’une inflation incontrôlée d’amendements et ajouts multiples (227 articles dans la loi, alors que le projet en comptait 57),  l’article 99 réintroduit dans le CSP un chapitre dédié : « le service public hospitalier ». Qu’en est-il de la notion ainsi reconstituée comme Osiris ?  Elle est très explicitement le fruit de la volonté du gouvernement de recréer le SPH,  à la mesure des ambitions affichées d’emblée en rupture avec la vision pointilliste de la loi HPST (I). Mais elle est tout aussi clairement marquée par le souci de respecter les exigences européennes. La  notion de SPH s’efforce ainsi de concilier le respect d’une certaine idée du SP à la française et l’alignement sur la doxa du SIEG,  et, partant,  tente de dépasser les contradictions inhérentes à l’exercice (II).

I. La réaffirmation du SPH, d’une rupture à l’autre

De sa consécration initiale à sa forme actuelle, le service public hospitalier  ne cesse de se métamorphoser, sous la pression d’une conception libérale que relaient les exigences européennes.

  • De la loi Boulin à la loi HPST

En consacrant la notion de « service public hospitalier » (SPH), la loi n°70-1318 du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière en détermine dans le même temps le contenu et le mode de gestion. Il est alors précisé que « le service public hospitalier assure les examens de diagnostic, le traitement – notamment les soins d’urgence – des malades, des blessés et des femmes enceintes qui lui sont confiés ou qui s’adressent à lui et leur hébergement éventuel », qu’il concourt aussi  « à l’enseignement universitaire et postuniversitaire médical et pharmaceutique et à la formation du personnel paramédical », « aux actions de médecine préventive dont la coordination peut lui être confiée » et « conjointement avec les professionnels de santé et les autres personnes et services concernés à l’aide médicale urgente », qu’il participe enfin  à la recherche médicale et pharmaceutique et à l’éducation sanitaire ». Ainsi conçu, il est assuré par les établissements publics de santé et sous conditions par des établissements de santé privés. La loi organise la coexistence du service public hospitalier constitué des hôpitaux publics et des établissements privés à but non lucratif, «participant au service public hospitalier » et de l’hospitalisation privée  à but lucratif  qui peut se voir confier une activité de soins au titre du service public hospitalier, dans le cadre d’un contrat d’association ou de concession. Il s’agit alors de pallier les carences de l’offre de soins proposée par les établissements totalement dédiés au service public.

Ce dispositif initié en 1970 sera conforté  et précisé  les décennies suivantes,  singulièrement par la loi Evin n° 91-748 du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière, puis les ordonnances Juppé de 1996 (notamment Ordonnance n° 96-346 du 24 avril 1996 portant réforme de l’hospitalisation publique et privée).  L’approche du service public est alors classiquement organique et matérielle, la qualification législative suivant les indices retenus par le juge, intérêt général et rattachement à une personne publique.

Au début des années 2000, porté par un esprit de réforme « produit d’une rationalité politique originale et historiquement datée (le néo-libéralisme), opérationnalisée dans un programme d’assimilation de la gestion publique à la gestion privée (le New Public Management) » (Bertrand Mas, Frédéric Pierru, Nicole Smolski, Richard Torrielli,  L’hôpital en réanimation,  Ed. du Croquant, nov.2011), un processus de dissolution du service public hospitalier est enclenché. Par vagues successives, les spécificités de l’action publique sont érodées et l’on force le rapprochement entre structures. L’institution d’une tarification à l’activité (T2A)  attachée aux activités MCO pour tous les établissements  s’accompagne alors d’un principe de convergence tarifaire visant à rémunérer de la même manière les activités du service public et celles des cliniques privées. Le rapport Larcher, en avril 2008 (Rapport de la commission de concertation sur les missions de l’hôpital),  avait en ce sens insisté sur le rôle de l’hospitalisation privée à statut commercial, les cliniques ne pouvant plus « apparaître, sauf situation particulière,  comme un simple complément à l’offre de soins du service public hospitalier » dès lors qu’était recherché le maillage le plus efficient possible du territoire. Etaient invoquées tout à la fois la nécessité des  complémentarités et « la spécialisation des activités ». Le rapport dénonçait l’absence de mise en concurrence  entre « établissements de santé pour l’exécution du service public hospitalier, à la différence de la plupart des services publics », et le fait que  le service public était « essentiellement conçu comme une prérogative de l’hôpital public, avec l’apport des établissements PSPH » (participant au service public hospitalier) (p.21).

Un an plus tard, la  solution est  trouvée dans la suppression de la notion même de « service public hospitalier » par la loi HPST et sa dispersion,  sa « vaporisation » en quatorze missions pouvant être indifféremment attribuées, en principe au terme d’une procédure d’appel à candidatures, aux établissements publics comme aux structures privées. Beaucoup a été dit sur la réforme, notamment sur une appréhension purement matérielle et très limitative des missions de service public, réduites a minima, et  qui place juridiquement les missions de soins traditionnelles, c’est-à-dire l’essentiel de l’activité hospitalière, hors du service public. De fait, parmi ces missions, il n’est plus question de diagnostic, le traitement ou de prise en charge des malades, des blessés et des femmes enceintes dès lors qu’il s’agit là du rôle de  tout établissement de santé. Ainsi alors même que les soins sont réalisés dans un établissement public, par des agents publics et financées en leur quasi-totalité par des fonds publics, ils ne relèvent plus du service public mais sont désormais analysés en simples prestations  appelées à être mises en concurrence avec des prestations de même nature assurées dans les cliniques privées. « Singulière conception du service public », relevait alors Didier Tabuteau « qui le définit par sa seule subsidiarité au regard des activités économiques privées et se focalise sur l’acte de soins au lieu de prendre en compte le contexte et la finalité du service proposé au patient » (« Les services publics de santé et d’assurance maladie entre repli et renouveau »   in  Service public et santé, RDSS 2013, p.5). Ce nivellement  trouve un écho direct dans les modes de financement,  la T2A pour les soins en MCO, quel que soit l’établissement qui les délivre,  financements divers non liés à l’activité pour les autres prestations.

Or les logiques du marché ont ici joué plain chant, chacun prenant la part la plus intéressante des soins ainsi ouverts à tous, au détriment souvent du secteur public, englué dans la constitution compliquée des communautés hospitalières de territoire et plombé dans cette mise en concurrence par les spécificités des populations traditionnellement prises en charge à l’hôpital. En effet, en pratique, les établissements publics ont continué à assumer  la plupart des missions de service public, la loi HPST ayant prévu que les établissements qui assuraient le service public hospitalier faisaient l’objet d’une reconnaissance prioritaire pour exercer ces mêmes missions. A contrario,  la plupart des établissements commerciaux ont fait leur choix dans le panier de missions de service public, retenant toutes celles de nature à attirer les activités les plus rémunératrices. Certaines de ces missions, comme la permanence des soins, l’accueil des urgences, l’enseignement universitaire ou la recherche, ont concentré toutes les attentions eu égard à leur caractère structurant, crucial pour l’équilibre du système de santé et empreint d’intérêt collectif. La tension a aussi pesé sur les praticiens, qui, lorsqu’ils n’y ont pas été poussés par la nouvelle gouvernance  et la remise en cause de leur rôle à l’hôpital, ont commencé à répondre aux sirènes des groupes de cliniques,  aux activités de plus en plus diversifiées,  bien rémunérées et accompagnées de plus en plus de missions de recherche et de formation, singulièrement médicales:  ainsi « la « fuite des cerveaux » hospitaliers a bouleversé les équilibres institués par la réforme Debré » d’autant que  le secteur privé non lucratif,  se voyait peu à peu  « mis en extinction au terme d’une concurrence inégale avec un secteur commercial irrigué de fonds propres » (Didier Tabuteau,  « Loi « Hôpital, patients, santé et territoires » (HPST) : des interrogations pour demain ! », Santé Publique 2010/1 (Vol. 22), p. 78-90).

  • La loi de 2016 : un SPH, non par matières mais de quelle manière

L’objectif du gouvernement suivant a été de restaurer le SPH des années 70,  d’en retrouver l’esprit sans pour autant en revenir à la lettre. A la définition matérielle et organique d’avant 2009, à la vaporisation matérielle promue par la loi HPST, le législateur de 2016 substitue une définition désincarnée, un SPH qui intégrant toutes les missions ne peut être identifié par aucune, se définit non par la matière mais par la manière, la « façon de faire ».

C’est ainsi que le rapport Devictor présentait en 2013 l’évolution à venir, sans référence ni à la singularité des missions ni à la nature des gestionnaires : « la réintroduction dans la loi du service public hospitalier s’accompagne d’une définition des obligations de service public et de leurs déclinaisons pour ce service » et « elles s’imposent dans leur intégralité aux acteurs du SPH, sur l’ensemble de leur activité, sans présumer du statut juridique des acteurs » (p.50).

Initiée dès la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, inscrite dans la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 au travers de la consécration des droits de la personne détenue,  cette réaffirmation prend la forme d’une approche nouvelle mais non renouvelée du service public hospitalier par les obligations qui lui sont liées.

  1. Non renouvelée car les obligations propres au service public ont toujours caractérisé le SP qu’il soit bloc de compétences comme en 1970 ou liste de missions comme en 2009.

 On y retrouve sans surprise les grands principes d’égalité, de continuité et d’adaptabilité auxquels a été ajoutée, pour en garantir l’effectivité,  «la prise en charge aux tarifs fixés par l’autorité administrative ou aux tarifs des honoraires prévus au 1° du I de l’article L. 162-14-1 du code de la sécurité sociale».  La nouveauté est que le SPH se résume désormais à un ensemble d’obligations : avant d’être, il est manière d’être. Ce faisant, il peut recouvrir toute mission prise en charge par un établissement de santé qu’il soit public ou privé dès lors que sont respectées les obligations définies par la loi comme le caractérisant : selon l’article L6112-1, « le service public hospitalier exerce l’ensemble des missions dévolues aux établissements de santé par le chapitre Ier du présent titre ainsi que l’aide médicale urgente, dans le respect des principes d’égalité d’accès et de prise en charge, de continuité, d’adaptation et de neutralité et conformément aux obligations définies à l’article L. 6112-2 ».

La notion de SPH n’a plus aucune consistance matérielle et, à pouvoir couvrir toutes les activités des établissements de santé, n’est caractérisé par aucune, si l’on excepte l’aide médicale d’urgence.   De fait, selon L.6111-1 du CSP, les établissements de santé publics, privés d’intérêt collectif et privés assurent « en tenant compte de la singularité et des aspects psychologiques des personnes, le diagnostic, la surveillance et le traitement des malades, des blessés et des femmes enceintes et mènent des actions de prévention et d’éducation à la santé » ; ils « délivrent les soins, le cas échéant palliatifs », « participent à la coordination des soins en relation avec les membres des professions de santé exerçant en pratique de ville et les établissements et services médico-sociaux »,  comme « à la mise en œuvre de la politique de santé et des dispositifs de vigilance destinés à garantir la sécurité sanitaire » et « mènent, en leur sein, une réflexion sur l’éthique liée à l’accueil et la prise en charge médicale ». Enfin, classiquement, ils « peuvent participer à la formation, à l’enseignement universitaire et post-universitaire, à la recherche et à l’innovation en santé », et « au développement professionnel continu des professionnels de santé et du personnel paramédical ».

S’ajoutent à ces activités de base, des prises en charge plus singulières de populations particulières, longtemps considérées comme le noyau dur du SPH, soins délivrés (article L6111-1-2) aux personnes en psychiatrie, aux personnes détenues en milieu pénitentiaire et, si nécessaire, en milieu hospitalier,  aux personnes retenues dans les centres socio-médico-judiciaires de sûreté ou en application de l’article L. 551-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Désormais, et sans exclusive, chacune de ses missions est susceptible d’être assurée aussi bien par un établissement  public que privé, mais elle  n’entre dans le  SPH  que si elle est exercée dans le respect  des obligations et garanties prévues par la loi. Ainsi appréhendé, il est tentant de ne voir plus dans le SPH  qu’un « label » attribué par les pouvoirs publics à certaines activités d’intérêt général en contrepartie du respect d’obligations ou de prérogatives comme l’avait identifié Didier Truchet pour le service public en général (« Nouvelles récentes d’un illustre vieillard. Label de service public et statut de service public », AJDA 1982, p.427 et s.).

  1. A être choisies pour définir le SPH, les obligations se doivent d’en traduire l’essence, sorte d’ontologie par le comportement.

Issues des valeurs fondamentales de la notion de service public, elles s’imposent à l’ensemble des activités de l’établissement quel qu’il soit.  Elles sont d’ordres différents: certaines reprennent, comme au titre de garanties offertes aux patients,  les grands principes du service public, d’autres formulées en termes d’obligations ou d’actions d’intérêt collectif s’attachent plus spécifiquement au SPH,  l’ensemble constituant ce que certains ont pu qualifier de nouveau « statut » du service public.

 – Particulièrement  prégnant en santé, le principe de continuité est réaffirmé via « la permanence de l’accueil et de la prise en charge, notamment dans le cadre de la permanence des soins organisée par l’agence régionale de santé […] ou, à défaut, la prise en charge par un autre établissement de santé ou par une autre structure en mesure de dispenser les soins nécessaires ». Dans le même esprit de garantir à tous l’accessibilité des soins, la loi reprend avec ses différentes exigences le principe de l’égalité d’accès à la prévention et à des soins de qualité, auquel se rattachent la garantie d’« un accueil adapté, notamment lorsque la personne est en situation de handicap ou de précarité sociale, et un délai de prise en charge en rapport avec son état de santé » mais aussi, depuis la loi Boulin, « l’absence de facturation de dépassements des tarifs fixés par l’autorité administrative et des tarifs des honoraires prévus au 1° du I de l’article L. 162-14-1 du code de la sécurité sociale » (L.6112-2-I CSP).

C’est certainement l’une des dispositions qui a le plus vigoureusement mobilisé le secteur privé commercial, notamment la Fédération de l’hospitalisation privée et les syndicats de médecins libéraux. De facto, l’interdiction de tout dépassement comme obligation inhérente au SPH ne pouvait que conduire les cliniques privées à y renoncer définitivement, la plupart d’entre elles pratiquant couramment de tels dépassements[1], renonciation incluant dans le même mouvement la prise en charge des urgences, seule mission à être intrinsèquement composante du SPH. Afin de préserver la situation des établissements privés lucratifs disposant d’un service d’urgences autorisé, le gouvernement a introduit une nouvelle modalité de prise en charge du SPH, possibilité d’ « association » de certains établissements de santé au service public hospitalier,  limitée à  la prise en charge des patients en situation d’urgence et aux soins consécutifs qui y sont liés (L.6112-5 CSP). Désormais, la garantie joue donc  à deux niveaux : d’une part, de façon générale, au titre du SPH,   pour toutes les prestations des établissements publics et celles des établissements privés habilités; et d’autre part, ponctuellement, pour les établissements « associés » au SPH au titre de la prise en charge des situations d’urgence et de la permanence des soins : l’absence de dépassements couvre toutes les prestations alors délivrées au patient et s’étend  aux soins consécutifs, y compris lorsqu’il est transféré temporairement dans un autre établissement de santé ou dans une autre structure pour des actes médicaux.

La polémique fait sens et la disposition a été pensée comme telle. Fortement symbolique, marqueur fort de retour du SPH dans le giron public, perçue comme une véritable « machine de guerre » contre le secteur libéral, l’obligation de respect des tarifs opposables et d’accessibilité tarifaire  traduit d’abord  le souci  de prendre enfin en compte la réalité des situations économiques et sociales. Mais elle conduit aussi à écarter de facto de la procédure d’habilitation au service public hospitalier  la majorité des établissements privés lucratifs, dont les contrats d’exercice libéral conclus avec les différents praticiens intègrent la possibilité de pratiquer des dépassements d’honoraires.

– Des obligations dans le fonctionnement de l’établissement pour en rendre la gestion plus transparente mais aussi plus démocratique : la loi reprend ici les principes de participation et de transparence, deux principes présents en tout service public et qui gouvernent les rapports entre l’administration et le public (Livre 1er du code des relations entre l’administration et le public). Les établissements assurant le SPH doivent garantir « la participation des représentants des usagers du système de santé », et « la transmission chaque année à l’agence régionale de santé compétente leur compte d’exploitation ». A contrario, précaution adoptée par amendement lors des débats pour rassurer l’hospitalisation privée mais préserver surtout les équilibres du système de santé, l’appartenance ou l’association au service public hospitalier ne saurait constituer un critère d’attribution des autorisations sanitaires (article L. 6112-6).

– Des actions d’intérêt collectif sont enfin identifiées qui doivent  contribuer à la qualité et l’accessibilité au niveau des territoires : au titre du SPH, les établissements peuvent être désignés par le directeur général de l’agence régionale de santé « pour participer aux communautés professionnelles territoriales de santé », « en cas de carence de l’offre de services de santé », « pour développer des actions permettant de répondre aux besoins de santé de la population », notamment afin d’améliorer l’accès et la continuité des soins, ou en lien avec des risques spécifiques, dans les territoires isolés des collectivités d’outre-mer. Ils sont appelés à développer, à la demande de l’ARS, « des actions de coopération avec d’autres établissements de santé, établissements médico-sociaux et établissements sociaux ainsi qu’avec les professionnels de santé libéraux, les centres de santé et les maisons de santé ». Ils doivent d’informer l’ARS « de tout projet de cessation ou de modification de leurs activités de soins susceptible de restreindre l’offre de services de santé » et de rechercher avec elle   « les évolutions et les coopérations possibles avec d’autres acteurs de santé pour répondre aux besoins de santé de la population» (L.6112-2-III CSP).

Tout n’est pas franchement inédit dans ce SPH renouvelé, quoiqu’en aient dit ses inspirateurs et porteurs. La volonté de rupture est affichée par rapport à la conception libérale qui avait conduit à sa désarticulation. Désincarné en diverses garanties et obligations, il est désormais protégé, sa substance résidant dans sa configuration. Pourtant, rien n’est jamais simple. En  réalité,  sous l’habillage d’une réhabilitation formelle, la loi est à la fois dans la continuité et le dépassement : elle  tente dans le même mouvement de poursuivre juridiquement un alignement sur les exigences communautaires déjà présent dans la loi HPST et de préserver l’identité  d’un SPH fortement ancrée dans l’imaginaire collectif et les pratiques hospitalières.

II. Le SPH nouveau ou les vertus de la dialectique

Inévitablement façonné par les exigences européennes, le SPH tente de dépasser les contradictions qui le traversent.

  •  Un SPH sous influence : le gabarit communautaire

La santé demeure fondamentalement un domaine de la compétence des Etats membres, dont la portée est définie par l’article 168 TFUE qui précise in fine (§7) que « l’action de l’Union est menée dans le respect des responsabilités des États membres en ce qui concerne la définition de leur politique de santé, ainsi que l’organisation et la fourniture de services de santé et de soins médicaux. Les responsabilités des États membres incluent la gestion de services de santé et de soins médicaux, ainsi que l’allocation des ressources qui leur sont affectées ». Si la santé est ainsi appréhendée comme domaine de compétence partagée, le droit national doit toutefois se couler dans les exigences normatives européennes, ce qui a conduit à qualifier le SPH au regard des notions de SIG et SIEG. A cet égard, l’on sait que cette qualification s’articule sur un « critère pivot » : l’activité de santé considérée est-elle ou non une activité économique ? Si tel est le cas, elle se trouve alors soumise à la concurrence mais peut bénéficier de la qualification de service d’intérêt économique général. Dans le cas contraire, elle échappe au droit de la concurrence et, en qualité de service non économique d’intérêt général, continue à relever largement du droit national. C’est ainsi la nature économique de l’activité, indépendamment de l’organisme qui l’assure, de son statut et de son financement, qui est déterminante. « La césure se trouve donc dans la définition de l’entreprise. Or, de façon constante, la Cour de justice définit les entreprises comme des entités exerçant une activité économique indépendamment de leur statut juridique et de leur mode de financement. Constitue une « activité économique toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné » (CJCE 12 sept. 2000, Pavlov, C-180/98 à 184/98, Rec. p. I-6451, AJDA 2000. 307, chron. H. Chavrier, H. Legal et G. de Bergues ; Dr. soc. 2000. 1114, note J.-P. Lhernould ; RDSS 2001. 179, obs. F. Kessler et F. Muller ; ibid. 393, obs. F. Muller ; RTD com. 2001. 537, obs. S. Poillot-Peruzzetto ; RTD eur. 2002. 103, chron. L. Idot). Lorsque l’activité est offerte contre rémunération,  il importe peu que le service soit payé directement par celui qui en bénéficie ou soit versé par un organisme tiers (CJCE 26 avr. 1988, C-352/85, Bond van Adveteerders, Rec. p. I-2085) ».

Quid alors des activités hospitalières ? Comme le rappelle Sylvie Hennion dans la suite de ses analyses (« Service public de santé et droit européen », RDSS 2013, p.45), « dans le système français de soins, les hôpitaux et les autres prestataires de soins de santé qui offrent leur service contre rémunération, perçue soit directement auprès des patients, soit auprès de leurs assurances, rentrent dans le cadre des activités économiques et donc des entreprises. Par ailleurs, les médecins libéraux sont considérés, depuis l’arrêt Pavlov du 12 septembre 2000, comme des entreprises en tant qu’opérateurs économiques indépendants de services médicaux spécialisés. En conséquence, la question des services publics de santé s’exprime principalement dans notre système de santé dans le régime de service d’intérêt économique général ». Exerçant des activités similaires, hôpitaux publics, établissements privés d’intérêt collectif et cliniques privées se trouvent soumis aux mêmes contraintes liées au SIEG, dont les conditions de financement obéissent à des règles rigoureuses, de manière à ne pas fausser la concurrence.

À cet égard, prenant la mesure de la singularité de certains services publics, le droit de l’UE a admis que  l’autorité publique puisse subventionner l’activité concernée sous forme de compensation de service public.  Des subventions publiques peuvent donc être accordées, au titre des compensations financières aux obligations de service public, sous réserve du respect de certaines conditions établies notamment dans l’arrêt Altmark  et le paquet Monti-Kroes  adopté par la Commission européenne en 2005 et précisé par la décision  Almunia, n° 2012/21/UE, adoptée le 20 décembre 2011. Ainsi, selon le cadre tracé, pour que le financement public ne soit pas considéré comme venant fausser la concurrence, un certain nombre de règles doivent être respectées: l’opérateur  a été chargé d’obligations de service public effectives et clairement définies; le calcul de la compensation est fondé sur des critères préalables, objectifs et transparents ; la compensation ne dépasse pas la couverture des coûts engendrés par ces obligations, compte tenu d’un bénéfice raisonnable ; lorsque le choix de l’opérateur ne résulte pas d’une procédure de marché public, la compensation doit être déterminée par comparaison avec les coûts qu’aurait à supporter une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée pour satisfaire aux exigences de service public requises.

Par application du schéma, la compatibilité des compensations des obligations de service public versées en matière hospitalière dépend tout à la fois de la définition claire et précise de ces obligations, d’une méthode de calcul fondée sur des critères préalables, d’objectifs et transparents et de l’absence de surcompensation. Autrement dit, les charges liées aux missions de service public doivent être précisément calculées et strictement compensées pour ne pas avantager celui qui l’exerce.

Il n’est pas difficile de voir dans le SPH nouveau les traits caractéristiques du SIEG, de telle sorte que loin de constituer une rupture à cet égard avec la conception de la loi HPST, il peut en être considéré comme un prolongement, plus efficient encore tant il répond à tous les critères européens. La contradiction affichée ne serait que la confrontation d’avatars.

De fait, le contenu même des missions importe peu,  ce qui justifie que l’appréhension du SPH ne soit plus forcément matérielle. De même, le statut des gestionnaire est indifférent, la loi 2016, comme les précédentes, admettant sans difficulté et sans exclusive qu’ils puissent être établissements publics ou établissements privés. Simplement, le bénéficiaire du financement public, au titre de SPH ou des missions de SP, doit avoir été effectivement chargé de l’exécution d’obligations de service public, lesquelles doivent être clairement définies. Désormais, plus d’ambiguïtés au regard de droit UE, la mutation est achevée, le SPH, c’est avant tout  un régime, un ensemble d’obligations précises et clairement définies, assumées par les établissements de santé, quel que soit leur statut juridique. Conformément aux règles européennes, les autorités publiques se doivent d’exercer, a posteriori, un contrôle régulier et poussé, destiné à vérifier l’absence de surcompensation. Chaque année, les établissements de santé sont ainsi tenus d’assurer la transmission leurs comptes à l’ARS, afin qu’elle puisse contrôler « l’absence de surcompensation financière sur le champ des activités financées par l’assurance maladie mentionnées à l’article L. 6111-1 du CSP » et « procéder, le cas échéant, à la récupération des sommes indument déléguées ». Il n’y a de surcompensation, précise l’article 6116-3 CSP, « que dans le cas où l’établissement de santé dépasse le taux de bénéfice raisonnable ».

Le lignage SIEG-SPH est évident et il a été recherché. Pourtant, si le SPH de la loi Touraine, « qui repose sur une définition fonctionnelle, est donc en accord avec le droit européen » (Etude d’impact, p.115), l’alignement n’est pas achevé. Parce que le SPH porte en lui des valeurs et une symbolique fortes, qu’il est marqué aussi par une tradition d‘intervention publique et les réticences face à toute lecture économique, il est aussi le lieu de tensions et le vecteur de résistances.  Il est donc toujours en construction, réussissant par le jeu de la dialectique à dépasser ses contradictions.

  • Un service public politiquement surinvesti: l’intégration des contradictions

Le SPH dans cette accointance au SIEG ne serait-il plus qu’une « coquille vide », un simple mot de passe réincarnant le fameux « label » de SP promu par Didier Truchet il y a 35 ans.  Pour emprunter l’expression du président Chenot, le SPH relèverait d’une approche «existentialiste » (B. Chenot, « La notion de service public dans la jurisprudence économique du Conseil d’Etat », EDCE 1950, p. 77). Pour autant, les faits sont têtus qui révèlent à la lecture du texte de 2016 comme dans ses silences ou flottements, que la conception française du service public résiste, réémerge implicitement dans certaines règles  ou réserves qui  s’écartent de la doxa  européenne.  Partant,  en filigrane du SPH nouveau, transparaît toujours la notion dégagée par Duguit, cette «  activité dont l’accomplissement doit être réglé, assuré et contrôlé par les gouvernants, parce qu’il est indispensable à la réalisation et au développement de l’interdépendance sociale et qu’il est de telle nature qu’il ne peut être assuré complètement que par l’intervention de la force gouvernante » (L. Duguit, Traité de droit constitutionnel, t. 2, Sirey, 1923, p. 55).

  1. Tensions sur les obligations

Différentes critiques ont ici été formulées sur la généralité de certaines, la redondance d’autres au regard des principes  traditionnellement attachés au SP, ou la distinction malaisée et non explicitée des « obligations de service public » et des « garanties de service public » (L.6112-2 CSP) (Cf J.-C.RICCI, « Le service public, outil de performance ? », in La modernisation du système de santé : un an d’application de la loi du 26 janvier 2016,  CDSA n°24, 2017, p.86). Un point nous retiendra particulièrement à la fois parce qu’il a mobilisé lors des débats la Fédération hospitalière privée et les praticiens libéraux et qu’il est symptomatique des compromis avec le réel des tenants les plus fidèles du SPH, celui des dépassements d’honoraires. C’est l’un des points d’ancrage les plus affirmés du SPH qui doit garantir  à tous l’accessibilité financière aux soins: « comme le gouvernement ne s’en était pas caché, l’obligation principale consubstantielle au service public hospitalier rénové tient à l’absence de facturation des dépassements d’honoraires » (V.Vioujas, « La résurrection du service public hospitalier », AJDA 2016, p.1272).  Ce fut aussi l’une des obligations les plus discutées dès lors, nous l’avons noté, qu’elle conduisait de facto la majorité des établissements privés lucratifs  à renoncer à assurer le SPH,  les contrats d’exercice libéral conclus  en leur sein avec les différents praticiens prévoyant la possibilité de pratiquer des dépassements d’honoraires. Le premier acte de l’imbroglio juridique s’est joué là, la Fédération de l’hospitalisation privée dénonçant pendant des mois le favoritisme de la mesure et son incohérence, les praticiens hospitaliers étant toujours autorisés, eux, à pratiquer une activité libérale à l’hôpital public. Sur les 4 500 hospitaliers concernés, environ 2 000 réclament des dépassements d’honoraires à leurs patients. On sait les raisons de l’existence  de telles enclaves libérales  au cœur du secteur public comme les abus auxquels la pratique a donné lieu (D.Laurent, L’activité libérale dans les établissements publics de santé, Rapport, 31 mars 2013).  La faille était patente : on ne pouvait dans un même temps interdire aux établissements privés assurant le SPH tout dépassement d’honoraires et l’accepter au sein des établissements publics censés le prendre en charge tout entier, fût-ce à l’occasion d’activités libérales accessoires. Cette analyse devait trouver un relais dans la lecture faite par le Conseil constitutionnel de ces dispositions,  qui ont « pour objet de garantir que les établissements de santé assurant le service public hospitalier et les professionnels exerçant en leur sein ne facturent pas aux usagers des dépassements des tarifs fixés par l’autorité administrative et des tarifs des honoraires prévus par le code de la sécurité sociale  de la loi ». Bien des commentateurs en ont  conclu à l’interdiction de facturer  tout dépassement au sein d’un établissement de santé assurant le service public hospitalier, signant de ce fait la fin du secteur libéral à l’hôpital public. Ce n’est pas la voie finalement suivie par le ministère, qui a contrario a supprimé la faille en créant une dérogation en faveur des praticiens statutaires à temps plein exerçant au sein des établissements publics de santé. Ceux-ci pourront officiellement continuer de facturer des dépassements d’honoraires au sein de leur activité libérale, dans des conditions toutefois encadrées (V.décret n° 2017-523 du 11 avril 2017 qui vise à mieux encadrer et contrôler l’activité libérale dans les établissements publics de santé,  et complète ainsi la mise en oeuvre des préconisations du rapport Laurent).  Alors même  que l’activité libérale des praticiens temps plein « s’exerce exclusivement au sein des établissements dans lesquels les praticiens ont été nommés ou, dans le cas d’une activité partagée, dans l’établissement où ils exercent la majorité de leur activité publique » (L.6154-2 CSP), elle est analysée comme en dehors du SPH, à l’instar de l’activité libérale de tout praticien privé n’assurant pas le SPH.  Cette interprétation, garantissant la pérennité  du secteur libéral à  l’hôpital public,  a été jugée sévèrement par  les associations de patients  relevant que l’« on ne peut pas d’un côté se louer  d’avoir réintroduit un service public hospitalier fort porté par de solides principes de solidarité et d’égalité, et de l’autre permettre une dérogation à l’un de ces principes au détour d’une ordonnance » (CISS, Espace presse « Dépassements d’honoraires à l’hôpital : un pas en avant, deux pas en arrière ! »).

En parallèle, en signe d’apaisement, le législateur a envisagé une mesure qui se veut incitative: l’éventualité à terme de la mise en œuvre d’une mission d’intérêt général pour les établissements publics, les établissements de santé privés d’intérêt collectif et les établissements de santé privés organisés pour fonctionner sans aucun dépassement d’honoraires en leur sein. Cette possible création d’une nouvelle catégorie au sein des missions d’intérêt général et d’accompagnement contractuel (MIGAC), permettrait ainsi de compenser via ce mode de financement, le recrutement prioritaire des praticiens ne pratiquant pas de dépassements d’honoraires.

  1. Permanence du rattachement organique

La loi HPST ouvrait la liste de missions de service public à tout établissement. La loi de 2016 revient aux sources en consacrant une organisation concentrique de la prise en charge du SPH, qui conduit à distinguer un noyau dur constitué par les hôpitaux publics, de différentes institutions  privées diversement impliquées dans l’exercice du service public. Ce faisant, elle réactive implicitement, dans l’appréhension du SPH, le rattachement organique  propre à tout service public.

En premier lieu, le service public hospitalier est assuré par les établissements publics de santé et les hôpitaux des armées, tenus, de par leur statut juridique, d’assurer les obligations du  SPH. Eux seuls sont chargés par principe de l’exécution du service public. On retrouve ainsi l’identification, donnée constante jusqu’à la loi HPST,  entre SPH et établissements publics de santé. A ce titre, il est rappelé qu’ils ne sauraient déléguer un élément essentiel et indissociable de leur mission de service public, tel que les moyens d’hébergement pour les malades qui doivent être hospitalisés (CE 16 juin 1994, n° 356101, RDI 1995. 733, obs. J.-B. Auby et Ch. Maugüé, EDCE 1994. 369). En second lieu,  poursuivant la volonté de réhabilitation du SPH, la loi  réintroduit, pour les établissements privés l’habilitation à assurer le service public, mais de façon graduée, en fonction du caractère lucratif ou non de l’établissement. L’habilitation est ainsi de plein droit pour les établissements de santé privés d’intérêt collectif (ESPIC) existants, sauf opposition de leur part. Elle est en revanche conditionnée pour  les autres établissements privés : ils se doivent   d’être habilités par le directeur de l’ARS, sur leur demande, après avis favorable conforme de la commission médicale d’établissement, et s’engager à exercer l’ensemble de leur activité dans les conditions énoncées à l’article L. 6112-2 du CSP.

Enfin dans l’hypothèse très courante où les établissements  commerciaux renoncent à assurer le SPH avec toutes ses contraintes, il est prévu qu’ils puissent y être associés ponctuellement pour certaines missions, principalement la prise en charge des urgences, autorisée pour bon nombre de cliniques en particulier de MCO et pour lesquelles elles sont tenues par les obligations afférentes, notamment l’absence de facturation de dépassement d’honoraires.

Le texte distingue ainsi quatre situations, d’abord celle des établissements publics en charge obligatoirement du SPH,  puis trois possibilités pour les établissements de santé privés : une habilitation, de droit ou sur demande, une association pour la seule activité d’urgences,  ou tout simplement une mise à l’écart du service public hospitalier. Dans les deux premiers cas, les conditions d’application et de respect des engagements propres à ce dernier sont précisées dans un avenant au contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM) signé entre l’établissement et l’ARS.

  1. Résurgence de l’élément matériel

La fin de l’approche matérielle du SPH a été maintes fois évoquée et présentée comme l’apport fondamental de la loi 2016. Pourtant, à y regarder de plus près, la métamorphose n’est pas complètement réalisée.

Il est d’abord une mission qui  d’emblée a été isolée et intégrée de par sa nature dans le SPH,  exception qui ne pouvait que confirmer la règle, l’aide médicale d’urgence, présentée comme intrinsèquement constitutive du SPH, car relevant des missions de la puissance publique et  obéissant déjà aux obligations définies par la loi : « Seule l’aide médicale urgente, assurée par les SAMU, est une mission exclusive du  SPH  dans la mesure où cette activité est d’ores et déjà assurée dans le respect des obligations prévues par le  présent  projet de  loi pour le  SPH  et dans la mesure également ou  cette activité d’aide médicale urgente relève de par sa nature d’une mission essentielle de l’État et donc des établissements publics de santé » (Etude d’impact, p.108).

De façon plus générale, un travail de clarification s’impose afin de mieux appréhender la distinction entre ce qu’est aujourd’hui le SPH, dont il est exclu qu’il puisse être identifié par le contenu des missions,  et les missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation (MIGAC) qui, elles, sont à la fois identifiées matériellement et  soumises à un financement spécifique distinct de la T2A. La plupart des Etats isolent ainsi au sein des activités hospitalières des missions singulières, marquées fortement d’intérêt général, qu’assument par principe les établissements publics, souvent peu rentables et se devant comme telles d’être garanties  par des dotations de la puissance publique.  C’est le cas de missions d’intérêt général bien identifiées  comme la formation, la recherche, l’accueil social ou la permanence des soins, mais aussi de certaines prises en charge de patients ne pouvant entrer dans les logiques de la T2A, car impossibles à quantifier à travers le programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI). Les plus importantes de ces missions ont longtemps constitué le noyau dur des missions de service public, comme les missions d’enseignement, de recherche, de référence et d’innovation (MERRI) et des MIG  comme :  la participation aux missions de santé publique (vigilance, formation, etc.) ou à la mise en œuvre de politiques publiques (politique hospitalière, coopération internationale); la permanence des soins en établissements de santé; les soins dispensés à des populations spécifiques (prise en charge des femmes enceintes dans les centres périnatals de proximité, des détenus, des patients en situation de précarité).  Les MIG sont extrêmement nombreuses (plus de cent), évolutives et d’inspirations diverses au-delà de leur caractère d’intérêt général commun. Les financements les plus importants concernent ici les services mobiles d’urgence et de réanimation (SMUR) et la permanence des soins, soit près de la moitié du montant total.

Le rapprochement est flagrant entre ce que fut le SPH, ce qui ne saurait surprendre au regard des modalités de la prise en charge financière de ces missions. Mais MIGAC et SPH appartiennent à des dimensions différentes,  obéissent à des logiques et des contraintes distinctes,  les unes relevant du CSS  et l’autre du CSP, le tout dans une grande complexité qui n’exclut pas leur superposition…

En conclusion forcément provisoire, il nous vient à l’esprit la fameuse formule de Jean-François Paul de Gondi, Cardinal de Retz : « On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens ». Espérons que cette ligne de conduite formulée au coeur du XVIIème  sera gage, pour le service public hospitalier, de sa pérennité.

Toulouse,  juin 2017.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique Transformation(s) du Service Public (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 198.

[1] D’après les données figurant dans le rapport de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale (préc., p. 519), seulement 29 cliniques de court séjour et 13 autorisées en psychiatrie n’ont réalisé aucun dépassement d’honoraires en 2013 et paraissent donc en mesure de remplir ces conditions. Les chiffres sont cependant supérieurs dans le domaine de soins de suite et de réadaptation (234 établissements).

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ParJDA

Responsabilité(s) du service public (de la Justice)

Sophie Théron,
Maître de Conférences de droit public (HDR),
Université Toulouse Capitole, Institut Maurice Hauriou

209. Plusieurs décisions jurisprudentielles contribuent à la construction du régime de la responsabilité du service public de la justice tant administrative que judiciaire. Sont concernées aussi bien la responsabilité de l’Etat du fait des décisions de justice que celle relative au fonctionnement du service public de la justice judiciaire.

  • S’agissant de la responsabilité de l’Etat du fait des décisions de justice,

Deux aspects méritent l’attention : l’un est relatif au calcul de la durée de jugement, l’autre concerne la violation manifeste par une décision d’une juridiction française du droit de l’Union.

  • Le calcul de la durée de jugement

Pour la justice administrative, on se souvient que depuis la décision du Conseil d’Etat Ass. 28 juin 2002 Magiera (n°239-575), la méconnaissance du droit à un délai raisonnable de jugement est constitutif d’un fonctionnement défectueux du service public de la justice. L’Etat peut donc voir sa responsabilité engagée de ce fait sans que le juge administratif n’exige une faute lourde. Depuis cet arrêt, une des questions les plus délicates à trancher est celle de l’appréciation du délai de jugement dont on sait qu’elle est « globale » et « concrète ». En 2016, deux décisions du Conseil d’Etat ont contribué à préciser quels éléments devaient être pris en compte pour l’appréciation du délai raisonnable et intègrent les recours administratifs préalables au jugement à certaines conditions.

CE 6 avril 2016 Société Stud’arts n°374489 (veille L.Erstein JCP-A 25 avril 2016 act.365).  A l’occasion d’un contentieux en matière fiscale, le Conseil d’Etat précise qu’il doit être tenu compte de la « durée excessive d’un recours administratif préalable obligatoire dans l’appréciation du caractère raisonnable de la durée globale de la procédure ».  La durée du recours préalable est appréciée de manière isolée et il en sera tenu compte s’il est déraisonnable.

CE 13 juil. 2016 n°389 760 Jarraud n° 389760 (veille L.Erstein, JCP G 2016 n°37 ; chron. O.Le Bot JCP-A 20 février 2017 n°2053, note J.Stark JCP-A 2017 n°2124). Dans cet arrêt le Conseil d’Etat précise qu’en principe la durée d’un recours administratif préalable obligatoire doit être intégrée dans celle du jugement.

Par ailleurs,  a contrario si en principe un recours préalable non obligatoire est indifférent au calcul de la durée, et c’est là l’apport majeur de la décision, si « eu égard…à ses caractéristiques particulières, notamment à la mise en œuvre d’une expertise préalable et nécessaire à l’intervention du juge, sa durée doit être incluse dans le calcul de la durée globale de la procédure juridictionnelle ». Autrement dit comme le souligne Olivier le Bot « la phase administrative n’est pas prise en compte uniquement lorsque son exercice conditionne la recevabilité de la requête mais aussi lorsque sa mise en œuvre est nécessaire au jugement ». Tel était le cas en l’espèce où il s’agissait d’un contentieux relatif à la révision des pensions d’invalidité. Dans l’affaire le fait que le requérant ait renoncé en cours d’instance à certaines de ses conclusions a été sans incidence sur le calcul de la durée.

On le voit, au fil de la jurisprudence, de plus en plus d’éléments sont intégrés dans le calcul de la durée du jugement quitte à y en inclure certains qui sont « périphériques ». Tout ceci est évidemment à la faveur du justiciable et vise indirectement à l’amélioration du service public de la justice….

  • La violation manifeste du droit de l’Union

La CJCE dans sa décision CJCE 30 septembre 2003 Köbler (aff. C-224/01) reconnaît la responsabilité de l’Etat en cas de violation caractérisée du droit de l’Union par une juridiction. En 2016, juge administratif et juge judiciaire se sont prononcés sur cette question : le premier a précisé sa jurisprudence existant déjà en la matière en éclaircissant la question de la compétence juridictionnelle tandis que le second a pris position sur le fond en précisant les conditions auxquelles il y a violation du droit de l’Union par le juge judiciaire.

-CE 21 septembre 2016 Société Lactalis ingredients  n°394360 (obsv. C. Biget AJDA 2016 p.1776, note A.Minet-Leleu GP 8 novembre 20116 n°39 p.23).

Depuis la décision du Conseil d’Etat du 18 juin 2008 Gestas n°295831) la violation manifeste  par une décision juridictionnelle définitive d’une juridiction administrative du droit de l’Union européenne ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers constitue une faute lourde et ouvre droit à réparation. L’arrêt du 21 septembre 2016 précise quelle est la juridiction compétente pour statuer sur ce contentieux. S’il peut paraître délicat de le confier aux tribunaux administratifs qui seront alors amenés à statuer sur une décision rendue par le Conseil d’Etat, c’est pourtant en ce sens que tranche la haute juridiction qui applique simplement les articles L 211-1 et L 311-1 du Code de justice administrative : « il résulte de ces dispositions que les tribunaux administratifs et en appel les cours administratives d’appel, sont compétents pour connaître des actions en responsabilité dirigées contre l’Etat à raison de la faute lourde commise dans l’exercice de la fonction juridictionnelle commise par une juridiction administrative ». Peut-être une réforme du Code de justice administrative aura-t-elle lieu afin de confier cette compétence au Conseil d’Etat comme ce fut le cas en 2005 lorsqu’un décret a attribué compétence à la juridiction administrative suprême pour statuer sur la méconnaissance par les juridictions administratives du droit à un délai raisonnable (v. en ce sens A. Minet-Leleu précitée). Il y aurait alors une cohérence et une unité de compétence pour le contentieux de la responsabilité de l’Etat du fait des décisions des juridictions administratives.

CCass. AP 18 novembre 2016 Société Lactalis Ingredients  n°15-21.438 (Zoom  F.Picod JCP G 26 nov.2016 n°1288, ChronS.Destrez JCP G 23 mars 2017 doct.355, Note N.Kilgus Dalloz actualité 29 nov.2016, note M.C Sordino AJpénal 2017 n°125).

Selon l’article L 141-1 du Code de l’organisation judiciaire, « L’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice. ». Dans cette décision la Cour de Cassation se prononce sur l’application de la jurisprudence précitée de la CJCE Köbler et son articulation avec l’article L141-1 du Code de l’organisation judiciaire.

 Dans cette affaire relative à une question de droits de douane, l’Etat s’est vu assigner en réparation de la faute lourde caractérisée par la violation du principe de rétroactivité de la peine plus légère. La Haute juridiction a donc du statuer sur le fait de savoir s’il y avait violation manifeste du droit de l’Union et si elle était susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat. Pour la Cour de Cassation « la responsabilité de l’Etat pour des dommages causés aux particuliers du fait d’une violation du droit de l’Union européenne, par une décision d’une juridiction nationale de l’ordre judiciaire statuant en dernier ressort, n’est susceptible d’être engagée que si, par cette décision, ladite juridiction a méconnu de manière manifeste le droit applicable, ou si cette violation intervient malgré l’existence d’une jurisprudence bien établie de la Cour de justice de l’Union européenne ». Tel n’a pas été le cas, selon elle en l’espèce.

On constate que la position de la Cour de Cassation même si elle a rendu sa décision au visa de l’article L 141-1 du Code de l’organisation judiciaire ne se précise pas explicitement que la violation  du droit de l’Union est une hypothèse de faute lourde.

  • S’agissant de la responsabilité de l’Etat du fait du fonctionnement du service public de la justice judiciaire

La Cour de Cassation a précisé ce que pouvait englober  la notion de « faute lourde » du service public de la justice judiciaire susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat au sens de l’article L141-1 du Code de l’organisation judiciaire. Elle en a élargi sa conception par rapport à sa jurisprudence antérieure. On sait qu’au-delà des fautes personnelles des magistrats (par ex CAss.Civ. 20 février 1996 n°94-10.606), c’est « toute déficience caractérisant par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi » (Cass AP 23 février 2001 consorts Bolle-Laroche n°99-16.165).

La Cour de Cassation a considéré qu’une telle faute était constituée «  lorsqu’il est établi qu’un contrôle d’identité présente un caractère discriminatoire ; que tel est le cas, notamment, d’un contrôle d’identité réalisé selon des critères tirés de caractéristiques physiques associées à une origine, réelle ou supposée, sans aucune justification objective préalable » : Cass. Civ. 9 nov. 2016 n° 15-24.873,15-24.210, 15-24.214, 15-24.842, 15-24.212 (D. Turpin « contrôle au faciès : les contrôleurs enfin contrôlés », JCP G 30 janv.2017 doct.126, note N.Ancel JCP G 30 janv.2017 n°116, note F.Fourment GP 24 janv.2017 n°4 p.58, note J.B Perrier AJDP 01-02-2017).

En l’espèce, plusieurs personnes avaient fait l’objet de contrôles d’identité fondés sur leur faciès, certaines en vertu de réquisitions du Procureur de la République (article 78-2-2 du Code de procédure pénale), d’autres sur le fondement des articles 78-2 du Code de procédure pénale (contrôle judiciaire), d’autres encore sur celui du contrôle des titres de séjour (articles L 611-1 et 2 du CESEDA). Elles ont assigné l’Etat en réparation de leur préjudice moral. La cour d’appel de Paris a rendu treize décisions le 25 mars 2014 : l’Etat a été condamné dans 8 hypothèses. Des pourvois en cassation ont été formés contre les treize décisions. La Cour de Cassation précise le mode de preuve : c’est à la personne contrôlée d’apporter des éléments de preuve établissant qu’elle a subi une discrimination, l’administration doit ensuite démontrer soit une absence de discrimination soit l’existence d’une différence de traitement justifiée par des éléments objectifs. A partir de là, le juge exerce son contrôle. La Cour de Cassation rejette onze des pourvois, elle condamne l’Etat parce qu’il n’a pas démontré que des éléments objectifs justifiaient la discrimination.

Depuis, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur cette question des contrôles au faciès dans le prolongement de la décision de la Cour de Cassation lors d’une QPC rendue le 24 janvier 2017 (n° 2016-606/607 QPC)  (v. par ex. D.Turpin « l’étau se resserre sur le contrôle au faciès JCP G 2017 n°6) .

                                                                                Juin 2017

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique Transformation(s) du Service Public (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 209.

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Lois dites de Louis Rolland

par Camille CUBAYNES,
Doctorante contractuelle en Droit public – Université Toulouse 1 Capitole
Institut Maurice Hauriou

207.

Étude jurisprudentielle des lois de Rolland, focus sur le principe de continuité et d’efficacité du service public.

Dégagés par le Conseil d’État et systématisées par la doctrine, notamment par le Professeur Rolland qui leur a donné son nom, les « lois de Rolland » constituent le régime juridique commun de tous les services publics. Sont ainsi visés trois grands principes que sont la continuité (2), la mutabilité et l’égalité du service public. En 2016, c’est le principe d’égalité, et ses corollaires qui occupent le devant de la scène (1).

Focus sur le principe d’égalité

La fin de l’année a en effet été marquée par deux décisions du Conseil d’État se prononçant sur l’installation de crèches de Noël dans les bâtiments publics (CE, 9 novembre 2016, Fédération de la libre pensée de Vendée, n° 395223 ; CE, 9 novembre 2016, Commune de Melun, n° 395122). Ces décisions faisant l’objet d’une contribution spéciale du Professeur Alexandre Ciaudo sur ce blog au sein du dossier n°3 consacré à la laïcité, nous renvoyons le lecteur à la lecture de son article (« Les crèches de Noël dans les bâtiments publics : la messe est dite »[1]).

On précisera d’un mot ici que le Conseil d’État a jugé que, par principe, une crèche ne peut être installée dans un bâtiment public constituant le siège d’une collectivité ou d’un service public en raison du principe de neutralité. Il en va différemment en cas de circonstances particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif.

Le principe d’égalité a également fait l’objet de recours plus « classiques » touchant à la tarification des services publics.

  • Le principe d’égalité et tarification des services publics : rappel des principes régissant les différenciations tarifaires en matière de service public.

Le principe d’égalité devant le service public est le corolaire du principe d’égalité devant et dans la loi, consacré par la DDHC de 1789. Il n’empêche pas que, sous certaines conditions, des différences de tarifs puissent être pratiquées. En vertu de la jurisprudence Denoyez et Chorques[2], il peut ainsi exister des différences de traitement, dans trois cas : si la loi l’autorise (1), si l’intérêt général en rapport avec l’objet et les conditions d’exploitation du service ou de l’ouvrage le commande (2), ou s’il existe entre les usagers des différences de situations appréciables (3).

La Cour administrative d’appel de Marseille a ainsi été amenée à se prononcer sur les tarifs institués par délibération de la communauté urbaine Marseille Provence Métropole pour la desserte maritime de l’archipel du Frioul depuis le Vieux-Port de Marseille, assurée sous forme de délégation de service public. En l’espèce, la réduction de moitié du tarif de passage pour les résidents du Frioul ainsi que pour les plaisanciers dont le bateau occupe un emplacement dans le port du Frioul est validée en ce que ceux-ci se trouvent dans une situation différente par rapport aux autres usagers utilisant la desserte (cons. 15). La communauté urbaine a cependant commis une erreur manifeste d’appréciation en ne mettant en œuvre aucune réduction tarifaire en fonction des ressources, en application de l’article L. 1113-1 du Code des transports (réduction tarifaire d’au moins 50% sur les titres de transports pour les personnes dont les ressources sont égales ou inférieures au plafond fixé pour l’obtention de la couverture maladie universelle complémentaire), pour les billets unitaires aller-retour à destination du Frioul (cons. 22). Enfin, bien que la desserte maritime constitue le seul moyen pour les usagers d’accéder à l’archipel, le refus de mettre en place une rotation supplémentaire de fin de soirée durant la totalité de l’année n’est pas entaché par l’autorité organisatrice d’une erreur manifeste d’appréciation. En effet, les associations requérantes n’établissent pas que l’importance des besoins en déplacements des visiteurs, des habitants ou des salariés nécessitait que l’autorité délégante impose une rotation nocturne supplémentaire (cons. 24). CAA Marseille, ch. 5, 13 juin 2016, Association de défense des usagers du port du Frioul- Communauté urbaine Marseille Provence Métropole, n°15MA00808.

Focus sur le principe de continuité

On s’aperçoit à l’étude des jurisprudences suivantes, que la volonté d’assurer un service continu et efficace permet de justifier plusieurs dérogations. Pour ce motif, les règles de procédure, telles que les règles de publicité et de mise en concurrence, peuvent être reportées pour un temps (2.1), tandis que le principe de l’allotissement, lorsqu’il existe, est susceptible d’être écarté (2.2).

2.1. Le principe de continuité et l’urgence : une possible dérogation aux règles de procédure.

  • Une situation d’urgence justifie la passation d’un contrat de délégation temporaire non soumis à la publicité afin que la continuité du service public soit maintenue.

À la suite d’une jurisprudence bien antérieure de la Cour administrative d’appel de Marseille[3], la Haute juridiction ouvre la possibilité de conclure « à titre provisoire, un nouveau contrat de DSP sans respecter au préalable les règles de publicité prescrites. » (cons. 2). En effet, le CGCT ne prévoit, contrairement au CMP, aucune condition de dérogation. Cette possibilité est conditionnée à l’existence d’une situation d’urgence (1) « résultant de l’impossibilité soudaine dans laquelle se trouve la personne publique, indépendamment de sa volonté, de continuer à faire assurer le service par son cocontractant ou de l’assurer elle-même. ». Il faut en outre que cette décision soit justifiée par un « motif d’intérêt général tenant à la continuité du service public. » (2). Enfin, le Conseil d’État précise que « la durée de ce contrat ne saurait excéder celle requise pour mettre en œuvre une procédure de publicité et de mise en concurrence, si la collectivité entend poursuivre la délégation du service, ou, au cas contraire, pour organiser les conditions de sa reprise en régie ou pour en redéfinir la consistance. » Il ne s’agit pas en effet, ce faisant, de conclure un nouveau contrat pérenne avec  un délégataire choisi discrétionnairement.

Le Conseil d’État reconnaît, ce faisant, l’urgence dans la passation d’une délégation, la législation la régissant étant sur ce point muette, à la différence des marchés publics. On distinguait déjà en effet pour les marchés publics, l’urgence simple qui permettait de réduire les délais de procédure (articles 60 II et 65 II du Code des marchés publics), de l’urgence impérieuse dispensant l’acheteur de l’ensemble des formalités de publicité et de mise en concurrence (ancien article 35 II 1° du Code des marchés publics)[4].

On note à cet égard que si le décret marchés publics reprend les dispositions de l’ancien Code des marchés publics relatives à l’urgence[5], il n’est toujours pas fait mention de possible dérogation aux obligations de publicité et mise en concurrence pour les concessions[6], tant dans l’ordonnance que dans son décret d’application. C’est pourquoi l’on peut penser que cette jurisprudence a vocation à perdurer y compris sous l’empire de la nouvelle réglementation. CE, 4 avril 2016, Communauté d’agglomération du centre de la Martinique (CACEM), n° 396191.

  • La continuité de l’exécution du service public justifie également qu’il soit dérogé à l’interdiction faite au juge d’intervenir dans la gestion du service public. Celui-ci peut adresser des injonctions au cocontractant de l’Administration, lorsqu’elle ne dispose pas, à l’égard du titulaire, des pouvoirs nécessaires pour assurer l’exécution du contrat.

Il en va ainsi lorsque la personne publique est confrontée à la rupture unilatérale du contrat par son cocontractant ; ce contrat constituant une modalité d’exécution du service public. En l’espèce, la société chargée de la maintenance préventive et curative d’équipements de stérilisation avait résilié unilatéralement le contrat qui la liait au centre hospitalier au motif qu’elle n’était plus en mesure d’assurer l’exécution financière et matérielle de celui-ci du fait de la défection de son sous-traitant qui aurait été causée par les retards de paiement du centre hospitalier (cons. 10).

Le juge constate toutefois que le contrat en cause ne prévoyait pas au bénéfice de son titulaire, de droit de résiliation unilatérale. Une telle clause aurait d’ailleurs été illégale, la décision Société Grenke Location[7] reconnaissant la possibilité d’introduire au bénéfice du cocontractant de la personne publique une clause de rupture unilatérale étant notamment subordonnée au fait que le contrat ne porte pas sur l’exécution même du service public. Malgré les différentes pénalités infligées à son cocontractant, le centre hospitalier n’a pu obtenir l’exécution des prestations prévues au contrat, cette situation compromettant dès lors la continuité et la sécurité du service public hospitalier. Le Conseil d’État valide donc l’ordonnance par laquelle le juge des référés a enjoint à la société de reprendre son service en l’assortissant d’une astreinte de 2000 euros par jour de retard. CE, 19 Juillet 2016, Société Schaerer Mayfield France c./ Centre hospitalier Andree Rosemon, n° 399178.

Sans qu’il ne soit dérogé à aucune règle, les juges du Conseil d’État sont venus reconnaître que le principe de continuité du service public de réinsertion des mineurs justifiait également le renouvellement du titre d’occupation du domaine public à défaut pour l’autorité gestionnaire de pouvoir arguer de l’existence d’un projet d’intérêt général nécessitant de récupérer le terrain en cause (CE, 25 janvier 2017, n° 395314).

2.2. Le principe de continuité et l’efficacité du service public : une possible dérogation au principe de l’allotissement.

  • Contrôle du périmètre de la délégation : pas de principe général d’allotissement pour les délégations de service public. (référé)

Une Communauté urbaine a lancé une procédure de délégation de service public ayant pour objet « l’exploitation des services de la mobilité ». Plusieurs sociétés s’estimant lésées en raison du périmètre de la délégation, jugé trop large et les ayant, de fait, empêché de produire utilement une candidature, ont saisi le juge du référé précontractuel. Ce dernier ayant annulé la procédure, la Communauté urbaine et le titulaire de ladite délégation se pourvoient en cassation contre l’ordonnance.

Le Conseil d’État constate tout d’abord qu’il n’existe pas, pour les délégations, d’obligation ou de principe d’allotissement et que, dès lors, rien « n’impose à la collectivité publique qui entend confier à un opérateur économique la gestion de services dont elle a la responsabilité de conclure autant de conventions qu’il y a de services distincts » (cons. 9). Néanmoins, cette liberté de définition du périmètre du contrat de délégation n’est que relative puisque les juges du Palais royal ajoutent que celle-ci doit tenir compte des « impératifs de bonne administration [et] obligations générales de mise en concurrence » (cons. 9). L’acheteur public ne peut donc retenir un périmètre de délégation manifestement excessif ni réunir des services qui n’ont pas de lien entres eux. En l’espèce, le périmètre de la délégation était large puisqu’il comprenait la prise en charge des services de transport urbain, de stationnement et de mise en fourrière sur tout le territoire de la Communauté mais encore diverses missions de vérification de performances et d’assistance à maîtrise d’ouvrage pour le projet Prioribus.

Néanmoins, le Conseil d’État estime que l’ensemble de ces services, qui concourent tous « à l’organisation de la mobilité des habitants sur le territoire de la communauté urbaine, présentaient entre eux un lien suffisant » (cons. 9). Le choix d’un prestataire unique permet ainsi d’assurer une coordination efficace entre les différents modes de transport et le stationnement. Par ailleurs, les « missions de vérification de la performance du sous-système électrique du tramway et du système d’hybridation des bus hybrides, de maîtrise d’œuvre pour le déploiement des matériels de péage et d’assistance à maîtrise d’ouvrage du projet  » Prioribus «  » (cons. 10) sont jugées accessoires à la mission principale de gestion du réseau de transports de la Communauté et peuvent donc légalement rentrer dans le périmètre de la délégation en tant que missions complémentaires. La délégation est alors validée. On peut noter que les requérants avaient soulevé un moyen intéressant mais inopérant car porté devant un juge incompétent pour en connaître : ceux-ci alléguaient du risque que la délégation ainsi octroyée mette son titulaire en situation d’abuser de sa position dominante (cons. 11). CE, 21 septembre 2016, Communauté Urbaine du Grand Dijon, n° 399656.

On peut noter à travers cette affaire, que c’est le principe de continuité et d’efficacité du service public qui est mis ainsi en avant.

  • Validation du recours au marché global : l’allotissement aux prises avec la continuité et l’efficacité de la gestion du service public (référé).

Les marchés sont, pour leur part, soumis au principe de l’allotissement (ancien article 10 du Code des marchés publics, article 37 ordonnance « marchés »[8]). Néanmoins, le recours au marché global peut être justifié dans trois cas : lorsque la passation de lots séparés est de nature à restreindre la concurrence (1), risque de rendre techniquement difficile ou financièrement coûteuse l’exécution des prestations (2) ou lorsque l’acheteur public n’est pas en mesure d’assurer par lui-même les missions d’organisation, de pilotage et de coordination (3). L’appréciation de ces conditions relève donc de l’acheteur sous le contrôle du juge.

A ainsi été validé, sur le fondement de l’exception n° 2, le marché global lancé par la ville de Paris pour « la conception, la fourniture, l’entretien, la maintenance et l’exploitation publicitaire de kiosques de presse et de quelques kiosques à autre usage ainsi que la gestion de l’activité des kiosquiers [ainsi que] la gestion de l’activité des kiosquiers » (cons. 2). Le juge reconnaît en effet que la gestion des conflits récurrents entre gestionnaire des kiosques et kiosquiers est de nature à rendre difficile et plus coûteuse l’exploitation de cette activité (cons. 6). CE, 26 juin 2015, Ville de Paris, n° 389682.

Même en matière de marchés, pourtant soumis au principe de l’allotissement, c’est donc également l’efficacité du service public, son déroulement sans heurt et de façon continue qui justifient le recours au marché global.

  • Refus du recours au marché global (pleine juridiction).

La situation est différente s’agissant du marché confiant à son titulaire la gestion de la fourrière pour les animaux errants ainsi que la gestion du refuge. Le syndicat ayant conclu le contrat justifiait ce choix par le fait que la fourrière et le refuge se trouvaient sur un même site, le marché global favorisant ainsi une gestion intégrée. La Cour administrative d’appel souligne néanmoins que ces éléments n’entrent pas dans l’une des trois exceptions au principe de l’allotissement reprises par l’alinéa 2 de l’article 10 du Code des marchés publics, le syndicat ne démontrant pas de difficulté techniques ou de renchérissement des coûts liés à une gestion de ces missions par des prestataires distincts, ni même son incapacité à les coordonner ou le risque de restriction de la concurrence en résultant. Le contrat global ainsi conclu a donc violé le principe d’allotissement et c’est à bon droit que les juges de premières instances en ont prononcé la résiliation avec effet différé. CAA, Douai, Chambre 2, 10 Mai 2016, Syndicat intercommunal de création et de gestion de la fourrière pour animaux errants de Lille et ses environs et Sté SACPA, n° 13DA00047.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique Transformation(s) du Service Public (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 207.

[1] Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 03 & Cahiers de la LCD, numéro 03 : « Laï-Cités : Discrimination(s), Laïcité(s) & Religion(s) dans la Cité » (dir. Esteve-Bellebeau & Touzeil-Divina) ; Art. 118.

[2] Conseil d’Etat, 10 mai 1974, n° 88032 88148.

[3] CAA Marseille, 12 décembre 2002, Commune de Ramatuelle c./ M. Tomaseli, n° 00MA02904 (conditions non remplies en l’espèce, la Commune ne démontrant pas qu’elle était dans l’impossibilité de prendre en charge par elle-même la gestion du service public.

[4] Sur ces éléments, voir la fiche de la DAJ consacrée à L’urgence dans les marchés publics [En ligne], disponible sur

<http://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/daj/marches_publics/conseil_acheteurs/fiches-techniques/mise-en-oeuvre-procedure/urgence.pdf>

[5] Voir articles 30 I 1° Article 67 III, 70 I 2° du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics.

[6] Les délégations de service public ayant été maintenues dans leur appellation uniquement dans le CGCT.

[7] Conseil d’État, 8 octobre 2014, Société Grenke Location, n° 370644.

[8] Ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015, relative aux marchés publics.

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L’affectation du service public des élections présidentielle et législatives libanaises expliquée aux profanes

Hiam MOUANNÈS
Maître de Conférences, HDR
Université Toulouse Capitole
Institut Maurice Hauriou

Art. 210.

La présente problématique est traitée sous le prisme de l’élection, le 31 octobre 2016, du général Michel AOUN, 13ème président de la République libanaise. Cette élection aboutit au bout de la 46ème séance parlementaire et après deux ans et cinq mois de vacance présidentielle (du 25 mai 2014 au 31 octobre 2016), par un Parlement dont le mandat deux fois auto-reconduit est entaché d’une inconstitutionnalité manifeste[1].

  • Un interminable processus électoral présidentiel (articles 34, 49 et 73-C)

Le Liban est une République parlementaire sui generis. Le président de la République y est élu par le Parlement (composé d’une seule Chambre, la Chambre des députés). Son mandat est de six ans.

Il appartient cependant de droit et conformément à la tradition, à la communauté chrétienne maronite et il doit faire l’objet d’un consensus entre toutes les forces communautaires et politiques représentées au Parlement.

L’élection a lieu : « un mois au moins et deux mois au plus avant l’expiration du mandat du président de la République ». Pour cela « le Parlement se réunit sur convocation de son président ». A défaut de convocation, la réunion du Parlement « [a] lieu de plein droit, le dixième jour avant l’expiration du mandat présidentiel » (article 73-C).

En cas de vacance de la présidence de la République (décès, démission ou pour toute autre cause), « l’Assemblée se réunit immédiatement et de plein de droit pour élire un nouveau Président ». Si, au moment où se produit la vacance « la Chambre se trouve dissoute, les collèges électoraux sont convoqués sans retard, et aussitôt les élections faites, la Chambre se réunit de plein droit » (article 74-C).

Le mandat du Président sortant, Michel SLEIMAN, était venu à échéance le 25 mai 2014. Le 23 avril 2014, la Chambre des députés s’est réunie sur convocation régulière pour élire un nouveau chef de l’Etat. Mais, lors de ce premier tour de scrutin, aucun candidat n’a pu obtenir la majorité requise des deux-tiers (soit 86 voix sur 128 députés composant la Chambre).

La Chambre des députés était donc censée rester en réunion (ou y retourner) jusqu’à l’aboutissement du processus électoral au(x) tour(s) suivant(s) où la majorité absolue suffit (soit 65 voix).

Au lieu de quoi d’autres convocations auront bien lieu mais en vue d’un nouveau et éternel « premier tour ». Et toutes se soldaient par un nouveau report de la « séance » parlementaire pour défaut de quorum (en l’occurrence celui des deux-tiers).

Quarante-six convocations, lancinement étalées sur deux ans et cinq mois, ont ainsi été nécessaires pour mettre un terme à la vacance présidentielle libanaise.

  • Election affectée par un parlement deux fois inconstitutionnellement auto-reconduit

Le Parlement libanais, défaillant, s’est réfugié pendant deux ans et cinq mois derrière l’introuvable quorum. Introuvable, mais seulement pour les séances relatives à l’élection présidentielle où la majorité des deux-tiers est requise au premier tour.

En effet, pour se réunir et voter la reconduction de son propre mandat, la Chambre des députés a pu trouver le quorum nécessaire, celui de la majorité absolue indiquée à l’article 34 de la Constitution.

Mais le quorum exigé à cet article 34-C, c’est-à-dire la majorité absolue, s’applique aussi à l’élection présidentielle lorsque le Parlement n’arrive pas à élire le chef de l’Etat dès le premier tour (le quorum de deux-tiers n’étant nécessaire que pour le seul premier tour de l’élection présidentielle).

Or, au lieu de saisir ces réunions pour réaliser les « autres tours » de scrutin en vue de l’élection du président de la République et pour lesquels justement la majorité absolue suffit, toutes les convocations du Parlement en vue de l’élection d’un Président, l’ont été pour réaliser le premier tour !

Par ce truchement, il est manifeste que la Chambre des députés a failli à plusieurs exigences constitutionnelles.

Elle a failli d’abord à l’exigence d’organiser des élections législatives et, aussitôt les élections réalisées, de se réunir « de plein droit » pour élire un nouveau président de la République. Les élections législatives n’ayant pu se tenir, la Chambre des députés a failli à son devoir constitutionnel de se réunir, également « de plein droit », pour élire un nouveau Président (articles 73 et 74-C). Elle a ensuite failli à l’exigence de se constituer en « collège électoral et non en une assemblée délibérante » (article 75-C). Elle a enfin failli à l’exigence de « procéder uniquement, sans délai ni débat, à l’élection du chef de l’Etat » (art. 75-C).

Ce quorum de deux-tiers, permettant à la Chambre des députés de se réunir et miraculeusement trouvé au bout de deux ans et cinq mois, l’a en réalité été en raison du consensus sur le nom de Michel AOUN, chef du Courant patriotique libre, proche de l’alliance du 8-Mars portée par le Hezbollah et alliée du régime de Bachar EL-ASSAD soutenu par Moscou.

Le consensus était en réalité irano-saoudien/Russo-américain induisant un consensus chiite/sunnite, impliquant à son tour un consensus conjoncturel mais éphémère entre les deux alliances libanaises du 8-Mars et du 14-Mars. C’est dans ces conditions qu’il a été mis un terme à la vacance présidentielle libanais le 31 octobre 2016, les députés n’avaient plus qu’à se présenter au Parlement pour glisser leurs bulletins.

Le 14 juin 2017, le Conseil des ministres libanais approuve un nouveau projet de loi électorale pour les élections des députés au Parlement. La Chambre des députés, deux fois déjà auto-reconduite, a définitivement adopté le projet de loi le 16 juin 2017.

Le même jour, le 16 juin 2017, le Parlement libanais décide de s’auto-reconduire une troisième fois et jusqu’en mai 2018.

Le Chambre des députés actuelle, issue des dernières élections législatives du 7 juin 2009 pour un mandat de quatre ans, est ainsi depuis huit ans en exercice suite à trois auto-prorogations consécutives et sans aucun fondement juridique. La première fut décidée le 31 mai 2013 (prorogation au 20 novembre 2014) au motif d’un désaccord sur un nouveau projet de loi électorale[2]. La deuxième prorogation fut décidée le 5 novembre 2014 (prorogation au 20 juin 2017) pour deux motifs : les « tensions sécuritaires et politiques » au Liban en raison de la guerre en Syrie[3] et la vacance présidentielle. La troisième auto-prorogation fut décidée le 16 juin 2017 (prorogation au 20 mai 2018) pour des « raisons techniques » liées à la complexité et la technicité du nouveau code électoral.

Ce dysfonctionnement des institutions politiques libanaises met en exergue la très grave affectation de la souveraineté de l’Etat libanais. Cette affectation induit (ou est la conséquence de) l’affaiblissement général de l’autorité de l’Etat plié sous d’enjeux politiques, religieux et de sécurité régionale et internationale le dépassant. Et laisse ainsi totalement désagrégé un des services publics de souveraineté et un des droits constitutionnels[4] du peuple libanais, celui de choisir ses représentants lui-même directement ou indirectement.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique Transformation(s) du Service Public (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 210.

[1] Pour une lecture détaillée de cette problématique, lire « Un président d’une République libanaise ni indépendante ni souveraine », Hiam MOUANNÈS, Revue Politeia, n° 30/2016, p.p. 95-109.

[2] L’article 58 de la Constitution libanaise permet pourtant à l’Exécutif, en l’occurrence au président de la République de « rendre exécutoire par décret pris sur l’avis conforme du Conseil des ministres, tout projet de loi qui aura été déclaré préalablement urgent par le Gouvernement par le décret de transmission pris sur l’avis conforme du Conseil des ministres, et sur lequel la Chambre n’aura pas statué dans les quarante jours qui suivront sa soumission à l’Assemblée ».

[3] Pourtant la situation sécuritaire peu enviable qui régnait lors des deux dernières échéances législatives (en 2005 et en 2009) n’avait nullement empêché les élections législatives d’être tenues.

[4] L’article 27-C désigne les électeurs comme seul corps électoral de la Chambre représentant « toute la Nation ». L’article 21-C identifie l’« électeur » comme étant « tout citoyen libanais âgé de 21 ans révolus, qui remplit les conditions prévues par la loi électorale ».

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Service public & puissance publique

Julia Schmitz
Maître de conférences de droit public à l’université Toulouse 1 Capitole,
Institut Maurice Hauriou
Directrice ajointe du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public

204. Si l’on a pu faire le constat, dans l’éditorial de la présente chronique, de la pérennité de la notion de service public, les vicissitudes du couple « mythique »[1] qu’elle forme depuis l’origine avec celle de puissance publique perdurent également. La prédominance de la notion de puissance publique, au détriment de celle de service public ou en combinaison avec celle-ci, continue en effet d’irradier la théorie du droit administratif (I) et son identification jurisprudentielle (II).

  • I) Actualité doctrinale de la puissance publique et du service public

Le débat entre l’Ecole de la puissance publique et l’Ecole du service public continue de nourrir les réflexions doctrinales. Ce sont en particulier les thèses consacrant la notion de puissance publique comme critère déterminant de l’identification du droit administratif ou de la répartition des compétences entre les ordres juridictionnels qui font l’objet de plusieurs rappels.

La critique virulente et systématique faite par Charles Eisenmann de la thèse moniste portée par l’Ecole du service public est ainsi l’objet d’un article de Frédéric Rolin revenant sur la défense du « droit administratif réel » et la « thèse dualiste » développée par cet auteur dans le corpus de ses cours publiés en 1982.

Rolin, « Charles Eisenmann et les doctrines du service public », RDP 2016, p. 403.

C’est également la doctrine du doyen Vedel, mettant à l’honneur la notion de puissance publique comme expression de la souveraineté de l’Etat et s’opposant à l’Ecole du service public, qui est à nouveau analysée. Antoine Faye rappelle ainsi que si l’Ecole du service public masque la « filiation directe du droit administratif et de la Constitution », la théorie des bases constitutionnelles du droit administratif du doyen Vedel se fonde sur  « la notion de souveraineté, par le truchement de la puissance publique » pour unifier « nécessairement, par son origine constitutionnelle, le droit public, en ce qu’elle constitue le fondement du droit administratif ».

Antoine Faye, « L’unité du droit public dans l’oeuvre du doyen Vedel », RFDA 2016 p. 398.

Egalement, un dossier de l’AJDA du 23 janvier 2017 revient sur les « 30 ans de la décision Conseil de la concurrence » de 1987 qui fait de la notion de puissance publique, le noyau dur de la compétence du juge administratif : « conformément à la conception française de la séparation des pouvoirs, figure au nombre des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » celui selon lequel, à l’exception des matières réservées par nature à l’autorité judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l’annulation ou la réformation des décisions prises, dans l’exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la République ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle » (Cons. Const., Décision n° 86-224 DC du 23 janvier 1987, Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence, Rec., p. 8, consid. 15).

Ce dossier est l’occasion pour Fabrice Melleray de réaliser un retour sur la théorie des bases constitutionnelles du doyen Vedel, qui place au fondement du droit administratif la notion de puissance publique au détriment de celle de service public. Rappelant l’affirmation de Pierre Delvolvé selon laquelle la décision rendue par le Conseil constitutionnelle est « une confirmation éclatante de la théorie des bases constitutionnelles du droit administratif » (P. Delvolvé, « L’actualité de la théorie des bases constitutionnelles du droit administratif », RFDA 2014, p. 1211), l’auteur constate au contraire que « le principe qu’elle dégage, outre qu’il porte sur le juge compétent et non sur le droit applicable, est à l’évidence trop étroit pour servir de « socle sur lequel se construit le droit administratif » pour reprendre le mot utilisé par Pierre Delvolvé pour caractériser les bases constitutionnelles de la matière ». Par la même occasion, l’auteur remet en cause l’expression « bases constitutionnelles » qui « permet d’entretenir un phénomène que Georges Vedel dénonçait avec vigueur dans ses derniers écrits, celui de la construction « d’un univers juridique sur le fondement d’un impérialisme « constitutionnaliste » dont la Constitution, son juge et ses commentateurs détiendraient toutes les clés et garderaient toutes les voies »[2] ».

Melleray, « En relisant la décision Conseil de la concurrence », AJDA 2017, p. 91.

  • II) Actualité jurisprudentielle et normative du service public et de la puissance publique

La notion de puissance publique, combinée ou non à celle de service public, fait toujours l’objet d’une utilisation jurisprudentielle ou normative comme critère de répartition entre les ordres juridictionnels. Plusieurs exemples en témoignent. D’autres en soulignent les limites.

Dans le dossier de l’AJDA consacré aux 30 ans de la jurisprudence du Conseil constitutionnel Conseil de la concurrence, Charles Froger s’est livré à une analyse de ses suites, pour constater la limitation ou la confirmation du noyau dur de la compétence du juge administratif, et soulever par la même occasion sa critique.

Le législateur a tout d’abord limité ce principe de répartition des compétences entre les ordres juridictionnels dans l’intérêt d’une « bonne administration de la justice » en consacrant des blocs de compétences au profit du juge judiciaire. L’auteur fait notamment référence à la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 qui institue au profit des tribunaux de grande instance un bloc de compétence en matière de contentieux d’admission à l’aide sociale (allocation différentielle et prestations de compensation accordées aux personnes handicapées). De même, après le contentieux de l’annulation des décisions administratives d’hospitalisation sans consentement (loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011), c’est celui de l’annulation des décisions de placement en rétention administrative qui est conféré au juge de la liberté et de la détention par la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016.

Mais si ces deux derniers contentieux semblent relever de la compétence naturelle du juge judiciaire, gardien de la liberté individuelle selon l’article 66 de la constitution, l’auteur constate que le législateur a également confirmé le noyau dur de la compétence du juge administratif fondé sur la notion de puissance publique, en soulignant que « ces confirmations peuvent parfois être subversives et jeter le discrédit sur la juridiction administrative ». En effet, les dispositions législatives relatives à l’état d’urgence précisent que les mesures prises dans ce cadre relèvent de la compétence du juge administratif, alors même qu’elles peuvent mettre en cause la liberté individuelle. La loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant et renforçant l’état d’urgence précise ainsi qu’à « l’exception des peines prévues à l’article 13, les mesures prises sur le fondement de la présente loi sont soumises au contrôle du juge administratif » (art. 14). De même, la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l’état d’urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste donne compétence au juge administratif des référés pour autoriser l’autorité administrative à exploiter des données informatiques saisies à la suite de perquisitions administratives (art. 5). Et la loi n° 2016-1767 du 19 décembre 2016 prorogeant l’état d’urgence confère au Conseil d’Etat la compétence pour autoriser la prolongation d’assignations à résidence au-delà de douze mois (art. 2). Le Conseil constitutionnel est également venu confirmer la compétence du juge administratif pour les mesures de police administrative prises dans le cadre de l’état d’urgence telles que les assignations à résidence (Cons. const. 22 déc. 2015, n° 2015-527 QPC, consid. 5) ou les perquisitions « y compris lorsqu’elles ont lieu dans un domicile », lesquelles, précise-t-il, « n’affectent pas la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution » (Cons. const. 19 févr. 2016, n° 2016-536 QPC, consid. 4). Dans la même logique, la loi n° 2015-1556 du 30 novembre 2015 relative au renseignement (CSI, L. art. 841-1) confie au juge administratif le contentieux des décisions relatives à l’autorisation et à la mise en oeuvre des techniques de renseignement, qui relèvent, comme le précise le Conseil constitutionnel, de la seule police administrative (Cons. const. 23 juill. 2015, n° 2015-713 DC, consid. 9).

Froger, « Les interventions législatives après la décision Conseil de la concurrence », AJDA 2017, p. 112.

En ce qui concerne la jurisprudence administrative, le nouveau décret n° 2016-1054 du 1er août 2016 relatif au règlement disciplinaire type des fédérations sportives agréées est l’occasion de rappeler l’importance de la notion de prérogative de puissance publique en tant que critère de répartition entre les ordres juridictionnels. Jean-François Lachaume revient sur la distinction entre fédérations agrées et fédérations délégataires lesquelles bénéficient d’un « monopole de droit dans l’organisation des championnats nationaux ou régionaux, dans l’exercice du pouvoir réglementaire fédéral et dans celui de la répression disciplinaire, si bien que ces fédérations font plus que participer à l’exécution d’une mission de service public administratif : elles en assurent, avec la mise en oeuvre de véritables prérogatives de puissance publique et nonobstant leur nature privée, l’exécution même ». Est ainsi rappelée la jurisprudence « bien établie liant service public administratif et prérogatives de puissance publique » selon laquelle le contentieux de la légalité des règlements disciplinaires et des sanctions adoptés par les fédérations délégataires relève du juge administratif (CE 22 nov. 1974, Fédération des industries françaises d’articles de sport, n° 89828, Lebon 577 ; CE 26 nov. 1976, Fédération française de cyclisme, n° 95262), tandis que le contentieux des actes adoptés par les fédérations  simplement agrées, qui participent à l’exécution d’une mission de service public mais ne disposent pas de prérogatives de puissance publique, relèvent du juge judiciaire (CE 19 déc. 1988, Mme Pascau, n° 79962).

J.-F. Lachaume, « Réflexions sur le décret du 1er août 2016 relatif au règlement disciplinaire type des fédérations sportives agréées », AJDA 2017, p. 623.

La notion de puissance publique apparaît également, en combinaison avec celle de service public, comme critère d’identification de l’acte règlementaire dont le contentieux de la légalité revient au juge administratif. Ainsi, le critère de « l’organisation du service public », associant mission de service public et prérogative de service public est l’objet d’un rappel de la jurisprudence du Tribunal des conflits Commune de Clefcy du 13 juin 1969 (n° 76261, Lebon p. 30) par le rapporteur public Jean Lessi dans ses conclusions sur un arrêt relatif à un refus d’agrément ministériel opposé à un institut d’ostéopathie. Selon cette jurisprudence, sont règlementaires les décisions ayant pour objet « l’organisation même d’un service public », ce qui englobe les actes « créant ou supprimant les structures constituant l’ossature ou le cadre du service public », ceux « ayant pour objet de modifier ponctuellement la répartition et la circulation des compétences au sein d’un service », ceux « affectant la consistance du service offert aux usagers et aux modalités de délivrance de ce service » et enfin ceux qui « font participer » ou qui « investissent » un organisme privé d’une mission de service public.

Lessi, « L’organisation du service public comme critère de l’acte réglementaire. Conclusions sur Conseil d’État, section, 1er juillet 2016, Institut d’ostéopathie de Bordeaux, n° 393082 et n° 393524 », RFDA 2016, p. 1107.

La notion de puissance publique comme critère de répartition des compétences juridictionnelles est également parfois remise en cause. Le contentieux relatif aux contrats passés entre les caisses d’assurance maladie et les professionnels de santé est l’occasion pour Jean Lessi de revenir sur cette notion et de constater  qu’elle « a tout à la fois la force, le flou et la plasticité des grands concepts régulateurs du droit » et peut être remise en cause. Ainsi, si les caisses de sécurité sociale, personnes de droit privé, peuvent se voir confier « des pouvoirs « hors du commun » au sens juridique du terme », justifiant la compétence du juge administratif, elles peuvent également mettre en œuvre des prérogatives de « puissance privée » lorsqu’elles prononcent une sanction pour inexécution d’un contrat. C’est ce qu’a affirmé le Conseil d’État concernant le litige opposant une caisse primaire d’assurance maladie et une entreprise de transport sanitaire, en considérant que le recours formé par celle-ci contre la sanction qui lui était infligée ne se détachait pas de ces relations contractuelles de droit privé (CE, 30 déc. 2015, Caisse primaire d’assurance maladie de l’Eure, n° 386720). L’auteur rappelle également que le législateur peut décider de confier au juge judiciaire certains contentieux où sont en cause des prérogatives de puissance publique (ainsi du contentieux du recouvrement des contributions et cotisations sociales confié aux tribunaux des affaires de Sécurité sociale par l’article L. 142-2 du CSS).

Lessi, « Les relations entre professions de santé et assurance-maladie, entre droit public et droit privé », Journal de Droit de la Santé et de l’Assurance Maladie, 01/10/2016, n° 14, pp. 99-101.

 

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique Transformation(s) du Service Public (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 204.

[1] J.-M. Duffau, A. Louvaris, E. Mella (Coord.), Service public, Puissance publique : permanence et variations d’un couple mythique. Mélanges en l’honneur de Monsieur le professeur Alain-Serge Mescheriakoff, Bruylant, 2013.

[2] G. Vedel, Propos d’ouverture, in B. Mathieu et M. Verpeaux (dir.), La constitutionnalisation des branches du droit, Economica-PUAM, 1998, p. 13.

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Pas de délégation de l’activité de service public sans contrôle de la personne publique

par Camille CUBAYNES,
Doctorante contractuelle en Droit public – Université Toulouse 1 Capitole
Institut Maurice Hauriou

Note sous Conseil d’État, 9 décembre 2016, n° 396352

Pas de délégation de l’activité de service public sans contrôle de la personne publique

Art. 109. Le jour où le Président de la République promulguait la loi n° 2016-1691 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin II qui venait notamment ratifier les ordonnances[1] de transposition des directives européennes « marchés »[2] et « concessions »[3], le Conseil d’État rendait une décision rappelant l’importance du critère du contrôle dans la reconnaissance d’une mission de service public.

Bien que classique, la question de l’existence d’une mission de service public est d’importance, puisque la délégation de sa gestion à un tiers devra, dès lors, faire l’objet d’une procédure spécifique, imposant notamment des obligations de publicité et mise en concurrence.

Par convention conclue le 1er février 2010, la commune de Fontvieille a confié à Mme B l’exploitation touristique de deux sites historiques, l’un, propriété privée dont la commune exerce la gestion (Moulin de Daudet), l’autre, propriété publique de la commune (Château de Montauban). Le contrat, conclu pour une durée de 11 mois, mettait à la charge de son titulaire l’ouverture au public du Moulin de Daudet 7 jours sur 7 et celle du Château de Montauban, au moins pour la durée des vacances scolaires, ainsi que le versement d’une redevance mensuelle de 7 500 euros. Celui-ci se rémunère sur les droits d’entrée perçus du public ainsi que sur la vente de divers produits dérivés (ventes de souvenirs, cartes postales, livres). Certaines échéances n’ayant pas été honorées par Mme B, la commune lui a adressé plusieurs titres exécutoires.

Après avoir sollicité, en vain, la remise gracieuse de ces titres, cette dernière saisit alors le Tribunal administratif de Marseille afin que celui-ci reconnaissance leur illégalité. La requérante se prévaut pour cela de l’article L. 1411-2 du CGCT. En vertu de ce dernier en effet, « Les montants et les modes de calcul des droits d’entrée et des redevances versées par le délégataire à la collectivité délégante doivent être justifiés dans ces conventions. », ce qui n’est pas le cas dans la convention. La requérante estime donc que le contrat dont elle est titulaire constitue une délégation de service public.

Déboutée en première instance, la requérante obtient satisfaction auprès de la Cour administrative d’appel de Marseille qui reconnaît la nature de service public à la mission confiée à Mme B et annule de fait les titres exécutoires litigieux.

Réfutant la qualité de délégation de service public au contrat conclu le 1er février 2010, la commune se pourvoit en cassation.

Classique mais récurrente, la question posée au juge administratif tenait ainsi dans la qualification du contrat. Il convenait de déterminer si le contrat confiant l’exploitation des sites touristiques en cause constituait, ou non, une délégation d’un service public. De la qualification ainsi retenue découle en effet le régime applicable à cette convention, notamment, en l’espèce, la légalité du montant et du calcul des redevances et de leur recouvrement.

Constatant l’absence de contrôle de la commune sur l’activité prise en charge par la requérante, le Conseil d’État, sans toutefois rechercher lui-même la qualification du contrat litigieux, lui dénie la qualité de délégation de service public (I). Les juges du Palais Royal estiment leur raisonnement conforté par le fait que la convention contenait une clause permettant à son titulaire de résilier unilatéralement le contrat à tout moment, moyennant un préavis de seulement 3 mois (II).

I – Le rappel du caractère prépondérant du critère du contrôle dans la qualification d’activité de service public

Afin de déterminer la nature de l’activité en cause, le Conseil d’État va contrôler si les exigences constantes de la jurisprudence pour que soit reconnue la qualité d’activité de service public sont, en l’espèce, remplies.

On sait qu’en l’absence de qualification légale, l’activité exercée par une personne privée peut être reconnue comme constituant la gestion d’une mission de service public dans deux hypothèses. Il en sera tout d’abord ainsi si l’activité en cause présente un caractère d’intérêt général, fait l’objet d’un contrôle exercé par une personne publique et engendre la détention par son gestionnaire de prérogatives de puissance publique (Conseil d’État, Section, 28 juin 1963, Sieur Narcy). En l’absence de telles prérogatives, la jurisprudence a accepté que la personne privée soit néanmoins reconnue comme délégataire d’une activité de service public « eu égard à l’intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu’aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints » l’ensemble de ces éléments laissant apparaître « que l’administration a entendu lui confier une telle mission » (Conseil d’État, Section, 22 février 2007, Association du Personnel Relevant des Établissements pour Inadaptés – APREI).

Mme B n’étant pas titulaire de prérogatives de puissance publique, c’est cette seconde hypothèse qu’étudie le juge. Celui-ci concentre son analyse sur le fait de savoir si la personne publique exerce un contrôle sur l’activité en cause. L’exigence relative à son caractère d’intérêt général n’est pas mentionnée, non pas qu’elle n’ait pas été envisagée, mais simplement parce que cette qualité ne pose pas question ici. Sont simplement rappelés les caractères historique et littéraire des deux sites, qui ne sauraient, à eux-seuls permettre de qualifier l’activité de service public[4].

Sans surprise, c’est donc le critère du contrôle qui cristallise les termes du débat. À défaut, en effet, l’activité d’intérêt général ne pourra être qualifiée de service public et la qualification de délégation de service public retenue. Il s’agit donc d’une affaire d’espèce. C’est ainsi que sur des activités pourtant similaires (gestion d’un festival de musique) le Conseil d’État avait déjà eu l’occasion de conclure à la nature de service public (Conseil d’État, 6 avril 2007, Commune d’Aix-en-Provence, n° 284736) ou à la réfuter (Conseil d’État, 23 mai 2011, Commune de Six-Four les Plages, n° 342520).

En l’espèce le Conseil d’État estime qu’en se contentant de fixer les jours d’ouverture des sites et en imposant à la preneuse d’en respecter le caractère historique et culturel, celle-ci n’a pas exercé, sur l’activité, un contrôle manifestant sa volonté d’en faire une mission de service public. La preneuse était en effet libre de fixer le montant des droits d’entrée, le contenu des visites, leur fréquence, ainsi que le prix et la nature des produits vendus dans le cadre de l’activité annexe, exception faite du seul fait que « les produits vendus sur les sites ne peuvent être alimentaires ou de ‘’nature dévalorisante ou anachronique pour l’image et la qualité des lieux’’ » (cons. 2 et 3). Ces éléments justifient sans surprise que le Conseil d’État dénie la qualité de service public à l’activité exercée par la requérante.

La décision n’est pas inédite. Il en avait été de même dans la célèbre décision du Stade Jean Bouin (Conseil d’État, 3 décembre 2010, n° 338272), où, constatant de façon similaire l’absence de contrôle exercé par la personne publique, Nathalie Escaut, rapporteur public sur l’affaire, estimait que dans ces conditions, « il […] paraît très difficile d’identifier une quelconque mission de service public »[5]. Suivant son raisonnement, le Conseil d’État avait conclu que les stipulations de la convention liant la ville de Paris à l’Association Paris Jean Bouin imposant certaines prescriptions à l’association « s’inscriv[aient] dans le cadre des obligations que l’autorité chargée de la gestion du domaine public peut imposer, tant dans l’intérêt du domaine et de son affectation que dans l’intérêt général, aux concessionnaires du domaine » (cons. 19) mais ne sauraient en aucun cas traduire « un contrôle permettant de caractériser la volonté de la ville d’ériger ces activités en mission de service public » (cons. 18)[6].

La conviction du Conseil d’État est confortée par la présence d’une clause de rupture unilatérale au bénéfice du titulaire du contrat.

II – La confirmation de l’impossible résiliation unilatérale de la délégation de service public, par le délégataire

L’absence du critère du contrôle de l’activité exercée par la personne privée, justifie, en l’absence de qualification législative ou de prérogatives de puissance publique, à dénier le caractère de service public à celle-ci.

Le Conseil d’État estime cependant, que « au surplus » (cons. 3), la présence dans la convention litigieuse d’une clause conférant au titulaire un pouvoir de résiliation unilatérale, ne fait que conforter son analyse refusant à celle-ci le caractère de délégation de service public.

Il faut rappeler que ce pouvoir de résiliation unilatérale est longtemps resté l’apanage de la personne publique et constituait, au même titre que le pouvoir de modification unilatéral, l’expression du régime des contrats administratifs.

La jurisprudence a cependant reconnu au travers de l’arrêt Société Grenke Location[7], la possibilité pour les parties à un contrat public d’introduire une clause de résiliation unilatérale au bénéfice du cocontractant de l’administration. Qualifiée de « reconnaissance apparente » par la doctrine[8], l’existence et l’exercice d’une telle possibilité est en effet très encadrée.

À titre préliminaire et en tout état de cause, l’existence du droit de résiliation unilatérale ne saurait être exercé qu’en raison de méconnaissances, par l’administration, de ses obligations contractuelles (condition 1). Il faut que cette possibilité ait été prévue contractuellement (condition 2) et que le contrat en cause ne porte pas sur l’exécution même du service public (condition 3). En outre, lorsque le cocontractant souhaite activer cette clause et mettre fin au contrat, celui-ci doit avoir permis à la personne publique de s’opposer à la rupture pour un motif d’intérêt général (condition 4). Dans ce cas, si le cocontractant est libre de contester devant le juge le motif d’intérêt général qui lui est opposé, il est toutefois tenu de poursuivre l’exécution, sous peine de voir prononcer la résiliation à ses torts exclusifs.

En l’espèce, c’est la condition n° 3 qui poserait problème si le contrat litigieux consistait bien, ainsi que le soutient la requérante (confortée en cela par la Cour administrative d’appel de Marseille), une délégation de service public.

Il s’agit là d’un élément supplémentaire en défaveur de la qualification de délégation de service public, ce que souligne le juge en précisant, après avoir constaté l’absence de contrôle : « qu’eu égard, au surplus, à la faculté donnée à la preneuse de révoquer la convention à tout moment et à la brièveté du préavis applicable, la cour administrative d’appel de Marseille a entaché son arrêt d’une erreur de qualification juridique en jugeant que ce contrat avait pour objet de faire participer directement Mme B…à l’exécution du service public culturel » (cons. 3, nous soulignons). Il ne s’agit bien ici que d’un indice et non un élément, en lui-même, discriminant la qualification de délégation de service public. Si le contrat avait été une délégation de service public, l’insertion d’une telle clause aurait été illégale. Il aurait alors fallu juger de son caractère divisible du reste du contrat pour déterminer les conséquences de son annulation[9].

On peut noter pour finir que le Conseil d’État ne recherche pas, après annulation, la qualification du contrat litigieux, comme il le fait pourtant souvent sur le fondement de l’article L. 821-2 du Code de justice administrative. Il reviendra alors à la Cour administrative d’appel de Marseille devant laquelle l’affaire est renvoyée, d’envisager la qualification éventuelle de marché ou de simple convention d’occupation du domaine.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique administrative 02 ; Art. 109.

[1] Ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015, relative aux marchés publics et Ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016, relative aux contrats de concession.

[2] Directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics.

[3] Directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014, sur l’attribution de contrats de concession.

[4] C’est ce que prend soin de rappeler le Conseil d’État en sanctionnant l’erreur de qualification de la Cour administrative d’appel de Marseille qui se fondait principalement sur cet aspect pour reconnaitre la qualité de délégation de service public du contrat litigieux « la cour administrative d’appel de Marseille a entaché son arrêt d’une erreur de qualification juridique en jugeant que ce contrat avait pour objet de faire participer directement Mme B…à l’exécution du service public culturel en raison de la dimension historique et littéraire des lieux et constituait une délégation de service public » (cons. 3, nous soulignons).

[5] Escaut (N.), « La reconstruction du stade Jean Bouin est-elle une délégation de service public ? Les conventions d’occupation domaniale doivent-elles faire l’objet de publicité et de mise en concurrence ? », BJCP, Janvier 2011, n° 74, p. 36 à 54.

[6] Cette décision concluait également à l’absence de nécessité de mise en concurrence des conventions d’occupations du domaine. La position du Conseil d’État devrait bientôt évoluer tant sous l’effet de la jurisprudence européenne (CJUE, 14 juillet 2016, Promoimpresa Srl, Aff C-458/14 et Mario Melis e.a., Aff. C-67/15) que du législateur interne, ce dernier ayant habilité le gouvernement à prendre par ordonnance : « Les règles d’occupation et de sous-occupation du domaine public, en vue notamment de prévoir des obligations de publicité et de mise en concurrence préalable applicables à certaines autorisations d’occupation et de préciser l’étendue des droits et obligations des bénéficiaires de ces autorisations » par la loi Sapin II.

[7] Conseil d’État, 8 octobre 2014, Société Grenke Location, n° 370644.

[8] Mestres (J.) et Minaire (G.), « La reconnaissance apparente d’une résiliation du contrat administratif à l’initiative du cocontractant privé », Contrats publics – Le Moniteur, n° 149, Décembre 2014, p. 62 à 66.

[9] En ce sens, voir le raisonnement de la Cour administrative d’appel de Douai, validant l’insertion d’une clause de résiliation unilatérale sanctionnée en première instance par le tribunal administratif et précisant que cette clause était divisible du reste du contrat (CAA Douai 4 février 2016, N° 15DA01296, cons. 13).

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