Archive annuelle 10 octobre 2017

ParJDA

Service public & puissance publique

Julia Schmitz
Maître de conférences de droit public à l’université Toulouse 1 Capitole,
Institut Maurice Hauriou
Directrice ajointe du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public

204. Si l’on a pu faire le constat, dans l’éditorial de la présente chronique, de la pérennité de la notion de service public, les vicissitudes du couple « mythique »[1] qu’elle forme depuis l’origine avec celle de puissance publique perdurent également. La prédominance de la notion de puissance publique, au détriment de celle de service public ou en combinaison avec celle-ci, continue en effet d’irradier la théorie du droit administratif (I) et son identification jurisprudentielle (II).

  • I) Actualité doctrinale de la puissance publique et du service public

Le débat entre l’Ecole de la puissance publique et l’Ecole du service public continue de nourrir les réflexions doctrinales. Ce sont en particulier les thèses consacrant la notion de puissance publique comme critère déterminant de l’identification du droit administratif ou de la répartition des compétences entre les ordres juridictionnels qui font l’objet de plusieurs rappels.

La critique virulente et systématique faite par Charles Eisenmann de la thèse moniste portée par l’Ecole du service public est ainsi l’objet d’un article de Frédéric Rolin revenant sur la défense du « droit administratif réel » et la « thèse dualiste » développée par cet auteur dans le corpus de ses cours publiés en 1982.

Rolin, « Charles Eisenmann et les doctrines du service public », RDP 2016, p. 403.

C’est également la doctrine du doyen Vedel, mettant à l’honneur la notion de puissance publique comme expression de la souveraineté de l’Etat et s’opposant à l’Ecole du service public, qui est à nouveau analysée. Antoine Faye rappelle ainsi que si l’Ecole du service public masque la « filiation directe du droit administratif et de la Constitution », la théorie des bases constitutionnelles du droit administratif du doyen Vedel se fonde sur  « la notion de souveraineté, par le truchement de la puissance publique » pour unifier « nécessairement, par son origine constitutionnelle, le droit public, en ce qu’elle constitue le fondement du droit administratif ».

Antoine Faye, « L’unité du droit public dans l’oeuvre du doyen Vedel », RFDA 2016 p. 398.

Egalement, un dossier de l’AJDA du 23 janvier 2017 revient sur les « 30 ans de la décision Conseil de la concurrence » de 1987 qui fait de la notion de puissance publique, le noyau dur de la compétence du juge administratif : « conformément à la conception française de la séparation des pouvoirs, figure au nombre des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » celui selon lequel, à l’exception des matières réservées par nature à l’autorité judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l’annulation ou la réformation des décisions prises, dans l’exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la République ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle » (Cons. Const., Décision n° 86-224 DC du 23 janvier 1987, Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence, Rec., p. 8, consid. 15).

Ce dossier est l’occasion pour Fabrice Melleray de réaliser un retour sur la théorie des bases constitutionnelles du doyen Vedel, qui place au fondement du droit administratif la notion de puissance publique au détriment de celle de service public. Rappelant l’affirmation de Pierre Delvolvé selon laquelle la décision rendue par le Conseil constitutionnelle est « une confirmation éclatante de la théorie des bases constitutionnelles du droit administratif » (P. Delvolvé, « L’actualité de la théorie des bases constitutionnelles du droit administratif », RFDA 2014, p. 1211), l’auteur constate au contraire que « le principe qu’elle dégage, outre qu’il porte sur le juge compétent et non sur le droit applicable, est à l’évidence trop étroit pour servir de « socle sur lequel se construit le droit administratif » pour reprendre le mot utilisé par Pierre Delvolvé pour caractériser les bases constitutionnelles de la matière ». Par la même occasion, l’auteur remet en cause l’expression « bases constitutionnelles » qui « permet d’entretenir un phénomène que Georges Vedel dénonçait avec vigueur dans ses derniers écrits, celui de la construction « d’un univers juridique sur le fondement d’un impérialisme « constitutionnaliste » dont la Constitution, son juge et ses commentateurs détiendraient toutes les clés et garderaient toutes les voies »[2] ».

Melleray, « En relisant la décision Conseil de la concurrence », AJDA 2017, p. 91.

  • II) Actualité jurisprudentielle et normative du service public et de la puissance publique

La notion de puissance publique, combinée ou non à celle de service public, fait toujours l’objet d’une utilisation jurisprudentielle ou normative comme critère de répartition entre les ordres juridictionnels. Plusieurs exemples en témoignent. D’autres en soulignent les limites.

Dans le dossier de l’AJDA consacré aux 30 ans de la jurisprudence du Conseil constitutionnel Conseil de la concurrence, Charles Froger s’est livré à une analyse de ses suites, pour constater la limitation ou la confirmation du noyau dur de la compétence du juge administratif, et soulever par la même occasion sa critique.

Le législateur a tout d’abord limité ce principe de répartition des compétences entre les ordres juridictionnels dans l’intérêt d’une « bonne administration de la justice » en consacrant des blocs de compétences au profit du juge judiciaire. L’auteur fait notamment référence à la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 qui institue au profit des tribunaux de grande instance un bloc de compétence en matière de contentieux d’admission à l’aide sociale (allocation différentielle et prestations de compensation accordées aux personnes handicapées). De même, après le contentieux de l’annulation des décisions administratives d’hospitalisation sans consentement (loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011), c’est celui de l’annulation des décisions de placement en rétention administrative qui est conféré au juge de la liberté et de la détention par la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016.

Mais si ces deux derniers contentieux semblent relever de la compétence naturelle du juge judiciaire, gardien de la liberté individuelle selon l’article 66 de la constitution, l’auteur constate que le législateur a également confirmé le noyau dur de la compétence du juge administratif fondé sur la notion de puissance publique, en soulignant que « ces confirmations peuvent parfois être subversives et jeter le discrédit sur la juridiction administrative ». En effet, les dispositions législatives relatives à l’état d’urgence précisent que les mesures prises dans ce cadre relèvent de la compétence du juge administratif, alors même qu’elles peuvent mettre en cause la liberté individuelle. La loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant et renforçant l’état d’urgence précise ainsi qu’à « l’exception des peines prévues à l’article 13, les mesures prises sur le fondement de la présente loi sont soumises au contrôle du juge administratif » (art. 14). De même, la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l’état d’urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste donne compétence au juge administratif des référés pour autoriser l’autorité administrative à exploiter des données informatiques saisies à la suite de perquisitions administratives (art. 5). Et la loi n° 2016-1767 du 19 décembre 2016 prorogeant l’état d’urgence confère au Conseil d’Etat la compétence pour autoriser la prolongation d’assignations à résidence au-delà de douze mois (art. 2). Le Conseil constitutionnel est également venu confirmer la compétence du juge administratif pour les mesures de police administrative prises dans le cadre de l’état d’urgence telles que les assignations à résidence (Cons. const. 22 déc. 2015, n° 2015-527 QPC, consid. 5) ou les perquisitions « y compris lorsqu’elles ont lieu dans un domicile », lesquelles, précise-t-il, « n’affectent pas la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution » (Cons. const. 19 févr. 2016, n° 2016-536 QPC, consid. 4). Dans la même logique, la loi n° 2015-1556 du 30 novembre 2015 relative au renseignement (CSI, L. art. 841-1) confie au juge administratif le contentieux des décisions relatives à l’autorisation et à la mise en oeuvre des techniques de renseignement, qui relèvent, comme le précise le Conseil constitutionnel, de la seule police administrative (Cons. const. 23 juill. 2015, n° 2015-713 DC, consid. 9).

Froger, « Les interventions législatives après la décision Conseil de la concurrence », AJDA 2017, p. 112.

En ce qui concerne la jurisprudence administrative, le nouveau décret n° 2016-1054 du 1er août 2016 relatif au règlement disciplinaire type des fédérations sportives agréées est l’occasion de rappeler l’importance de la notion de prérogative de puissance publique en tant que critère de répartition entre les ordres juridictionnels. Jean-François Lachaume revient sur la distinction entre fédérations agrées et fédérations délégataires lesquelles bénéficient d’un « monopole de droit dans l’organisation des championnats nationaux ou régionaux, dans l’exercice du pouvoir réglementaire fédéral et dans celui de la répression disciplinaire, si bien que ces fédérations font plus que participer à l’exécution d’une mission de service public administratif : elles en assurent, avec la mise en oeuvre de véritables prérogatives de puissance publique et nonobstant leur nature privée, l’exécution même ». Est ainsi rappelée la jurisprudence « bien établie liant service public administratif et prérogatives de puissance publique » selon laquelle le contentieux de la légalité des règlements disciplinaires et des sanctions adoptés par les fédérations délégataires relève du juge administratif (CE 22 nov. 1974, Fédération des industries françaises d’articles de sport, n° 89828, Lebon 577 ; CE 26 nov. 1976, Fédération française de cyclisme, n° 95262), tandis que le contentieux des actes adoptés par les fédérations  simplement agrées, qui participent à l’exécution d’une mission de service public mais ne disposent pas de prérogatives de puissance publique, relèvent du juge judiciaire (CE 19 déc. 1988, Mme Pascau, n° 79962).

J.-F. Lachaume, « Réflexions sur le décret du 1er août 2016 relatif au règlement disciplinaire type des fédérations sportives agréées », AJDA 2017, p. 623.

La notion de puissance publique apparaît également, en combinaison avec celle de service public, comme critère d’identification de l’acte règlementaire dont le contentieux de la légalité revient au juge administratif. Ainsi, le critère de « l’organisation du service public », associant mission de service public et prérogative de service public est l’objet d’un rappel de la jurisprudence du Tribunal des conflits Commune de Clefcy du 13 juin 1969 (n° 76261, Lebon p. 30) par le rapporteur public Jean Lessi dans ses conclusions sur un arrêt relatif à un refus d’agrément ministériel opposé à un institut d’ostéopathie. Selon cette jurisprudence, sont règlementaires les décisions ayant pour objet « l’organisation même d’un service public », ce qui englobe les actes « créant ou supprimant les structures constituant l’ossature ou le cadre du service public », ceux « ayant pour objet de modifier ponctuellement la répartition et la circulation des compétences au sein d’un service », ceux « affectant la consistance du service offert aux usagers et aux modalités de délivrance de ce service » et enfin ceux qui « font participer » ou qui « investissent » un organisme privé d’une mission de service public.

Lessi, « L’organisation du service public comme critère de l’acte réglementaire. Conclusions sur Conseil d’État, section, 1er juillet 2016, Institut d’ostéopathie de Bordeaux, n° 393082 et n° 393524 », RFDA 2016, p. 1107.

La notion de puissance publique comme critère de répartition des compétences juridictionnelles est également parfois remise en cause. Le contentieux relatif aux contrats passés entre les caisses d’assurance maladie et les professionnels de santé est l’occasion pour Jean Lessi de revenir sur cette notion et de constater  qu’elle « a tout à la fois la force, le flou et la plasticité des grands concepts régulateurs du droit » et peut être remise en cause. Ainsi, si les caisses de sécurité sociale, personnes de droit privé, peuvent se voir confier « des pouvoirs « hors du commun » au sens juridique du terme », justifiant la compétence du juge administratif, elles peuvent également mettre en œuvre des prérogatives de « puissance privée » lorsqu’elles prononcent une sanction pour inexécution d’un contrat. C’est ce qu’a affirmé le Conseil d’État concernant le litige opposant une caisse primaire d’assurance maladie et une entreprise de transport sanitaire, en considérant que le recours formé par celle-ci contre la sanction qui lui était infligée ne se détachait pas de ces relations contractuelles de droit privé (CE, 30 déc. 2015, Caisse primaire d’assurance maladie de l’Eure, n° 386720). L’auteur rappelle également que le législateur peut décider de confier au juge judiciaire certains contentieux où sont en cause des prérogatives de puissance publique (ainsi du contentieux du recouvrement des contributions et cotisations sociales confié aux tribunaux des affaires de Sécurité sociale par l’article L. 142-2 du CSS).

Lessi, « Les relations entre professions de santé et assurance-maladie, entre droit public et droit privé », Journal de Droit de la Santé et de l’Assurance Maladie, 01/10/2016, n° 14, pp. 99-101.

 

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique Transformation(s) du Service Public (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 204.

[1] J.-M. Duffau, A. Louvaris, E. Mella (Coord.), Service public, Puissance publique : permanence et variations d’un couple mythique. Mélanges en l’honneur de Monsieur le professeur Alain-Serge Mescheriakoff, Bruylant, 2013.

[2] G. Vedel, Propos d’ouverture, in B. Mathieu et M. Verpeaux (dir.), La constitutionnalisation des branches du droit, Economica-PUAM, 1998, p. 13.

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Compte-rendu AG du 11 septembre 2017

Art. 222.

Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Cher.e.s élu.e.s, Chers Maîtres, Cher.e.s collègues, Cher.e.s étudiant.e.s,

Notre dernière réunion du Journal du Droit Administratif a eu lieu le 11 septembre 2017 en salle dite Maurice Hauriou (Anciennes Facultés de l’Université Toulouse 1 Capitole).

Etaient présentes et représentées dix-huit personnes, toutes intéressées par le Journal du Droit Administratif (Jda) et membres issus de l’Université de Toulouse 1 Capitole & de Sciences Po Toulouse. La réunion s’est organisée autour des points suivants d’annonces et de discussions :

  • Comité de lecture(s)

Le pr. Touzeil-Divina annonce en ce sens la constitution prochaine d’un tel comité (expliqué en ligne sur un article dédié) et en appelle aux bonnes volontés :

Afin de permettre la publication de nouveaux articles – outre les chroniques et les dossiers du Journal du Droit Administratif (Jda) qui disposent de comités scientifiques et éditoriaux dédiés, il est proposé de constituer un vivier de personnalités juridiques (praticiens & universitaires) qui accepteraient de relire les articles (commentaires, études, notes, etc.) spontanément envoyés pour publication au Jda.

Ce « comité de lecture(s) » sera constitué :

  • de tous les membres du comité de soutien qui le désirent ;
  • de tous les membres du comité scientifique et de rédaction qui le souhaitent ;
  • de personnalités extérieures non membres du JDA

Concrètement, la procédure de sélection sera a priori la suivante :

  • chaque contributeur doit envoyer un court CV de présentation ainsi que son texte en deux versions : une normale et l’autre anonymisée et ce, à l’adresse dédiée : contribution@j-d-a.fr
  • le texte anonymisé est proposé à l’ensemble du vivier des membres du « comité de lecture(s)» ;
  • les deux premiers d’entre eux à vouloir l’examiner s’en saisissent et rendent un avis : favorable (A), défavorable (C) ou réservé suivant quelques pistes de modification(s) (B) ;
  • les avis sont communiqués sous deux mois aux contributeurs ;
  • une publication éventuelle s’en suit.

La liste des membres (qui sera évidemment actualisée au fil des saisons) sera publiée sur le site Internet avec une fiche décrivant les présentes modalités de sélection(s) des articles.

En conséquence :

  1. Si vous êtes intéressé.e par participer à ce comité, il suffit de vous faire connaître au plus vite à l’adresse contribution@j-d-a.fr ,
  2. Si vous désirez (ce qui serait vraiment bien) être secrétaire de ce comité (et gérer la réception et l’envoi des textes anonymisés au comité), il suffit de poser votre candidature.

Merci de vos bonnes volontés.

NB : le premier comité devrait être constitué notamment des pr. Jean-Marie Crouzatier, Jean-Arnaud Mazères, Isabelle Poirot-Mazères, Aude Rouyère & Mathieu Touzeil-Divina. La constitution finale du comité sera annoncée d’ici octobre 2017. Il sera demandé à M. Orlandini s’il accepte d’en être le secrétaire.

  • Chroniques

Une troisième chronique – en droit des contrats – verra le jour prochainement (décembre ou novembre) suite aux travaux de M. Mathias Amilhat (en cours). La chronique doctorante a suivi également son cours mensuel et reprendra en novembre.

En outre, une nouvelle chronique, dirigée par le pr. Touzeil-Divina dans le cadre de l’axe « Transformation(s) du service public » de l’Institut Maurice Hauriou sera proposée (et alimentée par les membres du Jda le désirant). Cette chronique sera finalement mise en avant en octobre 2017 et pourrait être constituée comme suit (ce ne sont encore que des propositions qui doivent donc être confirmées) :

  • Chronique « Service(s)public(s) »

La chronique qui nourrira un ouvrage annoncé à long terme sur les transformations du service public sera a priori rédigée sous la structure suivante avec – notamment – les personnes proposées pour aider à la constitution de la première rédaction.

  • Identification(s) du service public
  1. Identification(s) & théorie(s) doctrinales du service public
  2. Services publics identifiés
  3. Identification(s) prétorienne(s) du service public
  4. Compétence(s) juridictionnelle(s) du service public
  • Transformation(s) du service public
  1. Globalisation(s) du service public
  2. Européanisation(s) du service public
  3. Service public & puissance publique
  4. Service public & liberté(s)
  • Régime(s) juridique(s) du service public
  1. Modes de gestion du service public
  2. Lois dites de Louis Rolland
  3. Nouvelles « Lois » du service public (transparence, efficacité ; etc.)
  4. Responsabilité(s) du service public
  • Droit(s) comparé(s) du service public
  1. Italie
  2. Liban
  3. Grèce
  4. Thaïlande
  • Prochains dossiers 

Le Jda se prépare pour 2017 – 2018 à de nouveaux dossiers « mis à la portée de tout le monde ». Suite à plusieurs échanges il est proposé (et acté) de retenir les projets suivants (à compléter au fil de nos assemblées) :

  • Dossier V : « Un an après la réforme de la commande publique»

Direction : Pr. Hélène Hoepffner, Clemmy Friedrich & Mme Lucie Sourzat

Calendrier prévisionnel : appel à contributions diffusé en mars 2017 ; contributions à rendre au 01 juin 2017 ; publication en ligne au 15 octobre 2017.

  • Dossier VI : « Une décade de réformes territoriales» (titre très provisoire)

Direction : Mme Florence Crouzatier-Durand & (…) (en cours)

  • Dossiers suivants :

L’assemblée n’a pas retenu les dossiers suivants mais a émis des propositions comme suit :

  • Dossier : « De la médiation» (titre provisoire)

Direction : proposée à la Présidence du Tribunal administratif de Toulouse avec un.e. universitaire de l’Université Toulouse 1 Capitole.

Calendrier prévisionnel : (non encore retenu) ; courant 2018 a priori.

  • Dossier : « Des recours collectifs» (titre provisoire)

Direction : (…)

Calendrier prévisionnel : (non encore retenu) ; courant 2018 a priori.

  • Dossier : « Du numérique au(x) contentieu(x)» (titre provisoire)

Direction : (…)

Calendrier prévisionnel : (non encore retenu) ; courant 2018 a priori.

  • Partenariats

Le Pr. Touzeil-Divina a évoqué un partenariat tissé avec la revue du JurisClasseur – La Semaine Juridique Administrations & Collectivités territoriales (JCP A). Un chronique au nom du JDA – et de l’Institut Maurice Hauriou pourrait en ce sens paraître tous les deux mois et porter sur le(s) service(s) public(s).

Aux côtés du pr. Touzeil-Divina, Mme Debaets, M. Alliez et Mme Morot-Monomy ont accepté de préparer la première manifestation de cette rubrique / chronique. A suivre !

  • Ancien JDA

Le Pr. Touzeil-Divina a fait part des recherches en cours sur le Journal du droit administratif de 1853 à 1920.

  • Prochain rendez-vous

Il est proposé de se réunir le 02 octobre à 18.00 en salle Maurice Hauriou pour lancer la nouvelle « chronique service public » et / ou le dossier « commande publique » …

(…)

Le présent compte rendu a été dressé et rédigé le 24 septembre 2017.

Pr. Mathieu Touzeil-Divina

Le présent compte-rendu
est en ligne au format PDF
en cliquant ICI

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; Art. 222.

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Protégé : Service public & liberté(s)

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Protégé : Globalisation(s) du service public

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Les vaccinations obligatoires : regards sur l’administration & son juge

par Mme Georgina BENARD-VINCENT
Doctorante, Équipe de recherche en droit public, Centre de recherches
Droits et perspectives du droit, Université de Lille 2

à propos de l’arrêt du Conseil d’État
du 8 février 2017, M. Baudelet de Livois
(req. n°397151)

 Donnez moi un laboratoire et je soulèverai le monde (Louis Pasteur)

195. En droit administratif, toute personne morale fonde son action juridique sur l’intérêt général.  Ce critère justifie le recours à certaines mesures de coercition, notamment en matière de santé publique. L’obligation vaccinale en est l’illustration parfaite. Elle contient en elle-même une contradiction « puisqu’elle est tout à la fois une mesure de prophylaxie individuelle et collective, elle intéresse donc tout autant les droits et libertés individuels que la santé publique »[1]. Le sujet des vaccins, a toujours suscité des réactions affectives fortes. La « résistance à la vaccination » se confond avec « le droit des individus à disposer d’eux-mêmes »[2]. Le compromis trouvé à ce jour, qualifié par certains de libéral[3], est le calendrier vaccinal[4] avec des vaccins obligatoires et d’autres recommandés. Pour ces derniers, compte tenu de leur caractère facultatif, le consentement doit rester libre et éclairé[5]. Ce médicament[6] si singulier est ainsi devenu un objet de débat politique autour de la décision de le rendre obligatoire ou non.

Actuellement, suivant le code de la santé publique[7], seuls trois vaccins infantiles sont exigés[8]. C’est le fameux DT-POLIO (diphtérie, tétanos, poliomyélite[9]). Depuis 2008, date de l’arrêt de la fabrication par le laboratoire SANOFI-PASTEUR MSD[10], ce vaccin dit trivalent n’est plus commercialisé sous cette forme. Il est automatiquement associé à d’autres valences, dont la très controversée Hépatite B (vaccin hexavalent). Ainsi, on constate une in-effectivité de la loi, l’accès aux seules vaccinations obligatoires étant impossible. Cette pénurie, qui doit être anticipée[11], entrave le choix des familles, et par là même, crée une défiance[12].

C’est justement sur cette question de la disponibilité des vaccins obligatoires sur le marché français que le Conseil d’État était amené à se prononcer. La ministre de la santé de l’époque, Marisol TOURAINE, a été saisie par plus de 2 000 personnes afin qu’elle prenne les mesures nécessaires pour l’accès au vaccin trivalent. La demande a été rejetée implicitement puis explicitement. Une requête a été introduite auprès du Conseil d’État, qui s’est prononcé le 8 février 2017[13]. Il annule la décision de rejet et enjoint la ministre de prendre des mesures dans les six mois pour rendre de nouveau disponible les seuls vaccins obligatoires.

L’analyse de cette jurisprudence peut être abordée sous différents angles. Cet arrêt revêt une importance indéniable en droit de la santé publique, mais aussi en droit administratif. Ainsi, pour cette chronique, l’objectif est d’abord d’analyser les défaillances de l’administration (I), puis d’étudier le rôle du juge administratif (II).

Des inactions aux indécisions de l’administration

Remontons le fil du litige. Tout commence par une demande préalable[14] adressée à la Ministre de la santé en date du 5 novembre 2015. Plus de 2 000 personnes réclament la mise en place de mesures permettant de nouveau la commercialisation des seuls vaccins obligatoires. Sur la compétence, rappelons que le décret du 16 avril 2014[15] attribue au ministre de la santé l’organisation de la prévention et des soins. Cette demande n’a pas été instruite, malgré l’obligation existante pour toute administration. Le mécanisme de la décision implicite[16] entre donc en jeu.

Ce type de demande fait partie des exceptions légales au principe « silence vaut acceptation »[17]. En effet, le silence pendant deux mois vaut rejet lorsque la demande ne présente pas un caractère individuel. Ainsi, le silence de la ministre emporte rejet de la demande. Si l’on essaie de donner un sens à ce silence, il est aisé de comprendre qu’il était volontaire et avait pour objectif de se soustraire au débat. Néanmoins, en raison des relances des parlementaires[18], la ministre a finalement confirmé son refus officiellement le 12 février 2016. Conformément à une règle établie[19], dans cette situation, la décision explicite se substitue à la décision implicite.

Cette jurisprudence est un exemple du lien étroit entre la procédure administrative non contentieuse et contentieuse. En effet, cette non-réponse (ou trop tardive) a eu pour conséquence d’ouvrir la porte à un recours pour excès de pouvoir, seul moyen de relancer le débat. La requête a été déposée le 19 février 2016 aux fins d’annulation du refus de la ministre.

Concernant la légalité de la décision attaquée, le Conseil d’État rejette un certain nombre d’arguments. Notamment, il écarte le moyen tiré de la violation de l’article 5 de la Charte de l’environnement consacrant le principe de précaution, notamment par rapport à la présence d’adjuvants (aluminium, formaldéhyde …). Il indique que « la décision attaquée n’affecte pas l’environnement au sens des dispositions de cet article ». De même, Il rejette l’allégation  faisant valoir l’atteinte à l’intégrité de la personne, et à la mise en danger d’autrui, les requérants n’apportant « aucun nouvel élément sérieux ». Il met en avant la recommandation du Haut conseil de la santé publique, émis le 25 février 2015[20], sur « l’intérêt public s’attachant aux vaccinations ». Enfin, judicieusement, le juge administratif n’est volontairement pas rentré sur le sujet de la responsabilité en cas de vaccins combinés[21].

Néanmoins, le Conseil d’État fait droit à la requête et annule la décision de refus, au nom du respect de la liberté de consentir aux vaccins non-obligatoires. La formule, « En l’absence d’obligation, la liberté »[22], résume bien l’état d’esprit du juge administratif. Il convient de remarquer une précision importante dans l’arrêt : « en l’état de la législation ». La haute juridiction administrative est obligée de reconnaître l’inadéquation de la législation à la réalité, puisque les parents sont obligés « de soumettre leur enfant à d’autres vaccinations que celles imposées par le législateur ». C’est pourquoi, le juge administratif enjoint la ministre de prendre les mesures nécessaires ou de saisir les autorités compétentes, pour rendre disponible les seuls vaccins obligatoires.

Sous couvert de sévérité apparente, le Conseil d’État a souhaité, en réalité, provoquer un électrochoc pour que l’impasse juridique soit levée

Des injonctions aux incitations du juge administratif

Face à cette situation intenable, le juge administratif accorde un délai de six mois à la ministre de la santé pour agir dans l’intérêt de la santé publique. Le Conseil d’État énumère trois possibilités : sanctions contre les laboratoires, recours à la licence d’office ou l’acquisition de vaccins par l’Agence nationale de la santé publique[23]. Il utilise ici son pouvoir d’injonction, vis à vis de l’administration[24]. Plus précisément, il exerce son imperium, son « pouvoir de donner des ordres »[25], qui lui revient. Il n’a pas voulu d’une annulation sèche de la décision de refus et a donné droit à la demande d’injonction des requérants. Pour autant, le juge administratif est bien conscient que la mise en œuvre du droit positif, avec les trois dispositifs actuels évoqués, est très compliquée, surtout dans le délai imparti. Mais, le juge administratif, par son office, utilise l’injonction pour mieux établir son raisonnement. C’est l’art de la densité jurisprudentielle qui fait avancer le droit, témoignant du processus de réflexion du juge sur sa propre mission.

Il ne fait aucun doute que le juge administratif convie la ministre de la santé à revoir la situation et à déposer un nouveau projet de loi. Pour preuve, avant l’énoncé de l’injonction, il est précisé « à défaut d’élargissement par la loi de l’étendue des obligations vaccinales ». Cette position est conforme à celle du Conseil constitutionnel, qui affirme la compétence du législateur, au titre de l’article 34 de la Constitution, pour définir la politique vaccinale[26]. Ainsi, l’injonction du juge, d’ordre administrative, s’est transformée en incitation d’ordre politique. Elle n’est pas anodine puisqu’elle est en accord avec la recommandation du comité d’orientation de la concertation citoyenne sur la vaccination (organisée entre septembre et novembre 2016), présidé par Alain FISCHER[27]. L’injonction a donc perdu toute sa force juridique mais « forme l’horizon du juge »[28]. En effet, il anticipe ici un éventuel changement de circonstances de droit ou de fait pendant le délai accordé pour l’injonction[29]. C’est la nouveauté apportée par cet arrêt marquant une certaine audace du juge administratif. Ainsi, déroger à l’injonction est possible si un projet de loi sur l’extension des obligations vaccinales est déposé.

La nouvelle ministre, Agnès BUZYN, semble emprunter la voie tracée par le Conseil d’État en réfléchissant à rendre obligatoire onze vaccins, pour une durée limitée[30]. Le choix n’a pas été fait de supprimer par décret les obligations vaccinales[31], à l’instar d’autres pays[32]. Paradoxalement, la requête contre les abus vaccinaux pourrait donc aboutir à davantage de vaccinations. Mais cette évolution législative aurait le mérite de mettre fin à l’inadaptation du droit à  la réalité. Cependant, en raison du calendrier électoral et parlementaire, le projet de loi ne pourra pas être adopté avant les six mois accordés par le Conseil d’État. Le juge administratif le sait parfaitement, prouvant que l’injonction s’est bien transformée en incitation. L’objectif est « d’attirer l’attention du gouvernement », à l’image des avis sur des projets de loi rendus dans le cadre de sa fonction consultative[33].

En conclusion, nous retiendrons de cette jurisprudence qu’elle est un exemple révélateur de la méthode de jugement du Conseil d’État. D’abord, le chaînage avec la procédure administrative non contentieuse est déterminant. Puis, cet arrêt est avant tout le résultat de l’habilité et du réalisme du juge administratif. Tout en reconnaissant l’importance du consentement à tout acte médical en annulant la décision de l’administration, il met le doigt sur les faiblesses de la législation sur les obligations vaccinales, par le truchement de son pouvoir d’injonction.

 

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique administrative 07 ; Art. 195.

 

[1]pour reprendre les propos de François Vialla, « Injonction à défaut d’injection disponible », AJDA 2017, p. 898

[2]v. Anne-Marie Moulin, L’aventure de la vaccination, Fayard, novembre 1996

[3]v. l’article du professeur de médecine René Baylet, « Vaccinations et santé publique, RGDM 2016, p.23

[4]art. L. 3111-1 CSP

[5]au sens de l’article L.1111-4 CSP : « Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne »

[6]Le vaccin est qualifié de médicament ; art. L.5121-1 CSP

[7]art. L 3111-2 et L.3111-3 CSP

[8]hormis les vaccins obligatoires dans le cadre d’une profession. pour exemple : Décret n° 2016-1758 du 16 décembre 2016 relatif à la vaccination contre l’hépatite B des thanatopracteurs, JORF du 18 décembre 2016, texte n°34

[9]L’obligation vaccinale contre la poliomyélite date de 1964 ; cf. Loi n°64-643 du 1er juillet 1964 relative à la vaccination anti poliomyélite obligatoire et à la répression des infractions à certaines dispositions du code de la santé publique, JORF du 2 juillet 1964, p. 5762

[10]en raison de complications allergiques ; v. les messages de l’AFSSAPS aux prescripteurs et aux pharmaciens , disponibles sur le site de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) : http://ansm.sante.fr

[11]La loi du 26 janvier 2016 renforce les pouvoirs de l’Agence de sécurité des médicaments et des produits de santé sur les laboratoires les obligeant à travailler sur un plan de gestion des pénuries (art. L.5121-31 al 2 CSP). Des sanctions financières marquent la fermeté du dispositif (art. L.5423-8 CSP).

[12]cf. le rapport sur la politique vaccinale de la députée Sandrine Hurrel, Janvier 2016 ; disponible sur www.sfpediatrie.com/actualite/rapportdesandrinehurelsurlapolitiquevaccinale

[13]CE, 8 février 2017, M. Augustin Baudelet de Livois, req. n° 397151, AJDA 2017, p. 320

[14]au sens de l’article L. 110-1 CRPA

[15]art. 1er du décret n° 2014 -405 du 16 avril 2014 relatif aux attributions du ministre des affaires sociales et de la santé, JORF du 18 avril 2014, texte n° 24

[16]art L.231-1 et s. CRPA

[17]art. L.231-4 CRPA

[18]Question écrite avec réponse n° 16881,     18 juin 2015, « Inquiétudes quant à la pénurie de vaccins obligatoires », Hervé Maurey, sénateur, JO Sénat, 18 juin 2015 et 15 octobre 2015

[19]v. CE, 28 mai 2010, Société IDL, req. n° 320950, D.2011. p.2565, obs. Anne Laude

[20]Avis du Haut conseil de la santé publique relatif aux ruptures de stocks et aux tensions d’approvisionnement des vaccins combinés contenant la valence coqueluche, 25 février 2015 ; disponible sur www.hcsp.fr

[21]sur ce point v. CE, 25 juillet 2013, req. 347777 ;  AJDA 2013, p.1602

[22]v. Joanna Sobczynski, « Vers la fin des vaccinations facultatives obligatoires », Droit & santé, p.351-352

[23]v. Caroline Mascret, « Le casse-tête juridique de la vaccination obligatoire en France, en l’absence de disponibilité de ces produits sur le territoire », Petites affiches, 18 avril 2017, p.8

[24]Conformément à l’article L.911-1 CJA (issu de la loi du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, JORF du 9 février 1995, p.2175

[25]Pour reprendre la définition de Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, 11éme éd., puf, janvier 2016

[26]Cons. cons. n°2015-458 QPC du 20 mars 2015, Époux L. ; JORF du 22 mars 2015, texte n°47; AJDA 2015 p.611 ; D.2015, p.697 ; RDSS 2015 p. 364, obs. Danièle Cristol

[27]disponible sur http://concertation-vaccination.fr/rapport-du-comite-dorientation/

[28]Pour rependre les mots de Camille Broyelle, « Le pouvoir d’injonction du juge administratif », RFDA 2015, p.441

[29]v. l’analyse de Alice Minet-Leleu, « L’indisponibilité du vaccin trivalent sanctionné par le juge administratif », RDSS 2017, p.479

[30]interview de la ministre, dans Le Parisien, du vendredi 16 juin 2017

[31]Comme par exemple pour le BCG par le décret n°2007-1111 du 17 juillet 2007 relatif à l’obligation vaccinale par le vaccin antituberculeux BCG, JORF du 19 juillet 2007, texte n°34

[32]cf. le rapport  « La santé en France et en Europe : convergences et contrastes » du Haut conseil de la santé publique, La documentation française, 2012

[33]v. Hélène Hoepffner, « Les avis du Conseil d’État », RFDA 2009 p.895, §13-16.

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Droit(s) de la nuit : les actes

par Romain VAILLANT,
doctorant, Université Toulouse 1 Capitole, IMH

 

Art. 195. A l’occasion de la prochaine parution de ses actes, en juillet prochain, aux Editions L’Epitoge, il est temps de faire un petit retour sur le colloque de l’Association des doctorants et docteurs de l’Institut Maurice Hauriou (ADDIMH), consacré au(x) Droit(s) de la nuit.

Avec des contributeurs venus de toute la France, la nuit du 31 mars dernier fut riche pour le droit. Quoique cela puisse paraître étonnant, la nuit n’avait jusqu’alors jamais fait l’objet d’une étude collective. Pourtant, les diverses contributions ont montré que la nuit était largement prise en compte par le droit ; que ce soit pour protéger les citoyens des risques – supposés ou avérés – encourus durant la nuit, ou que ce soit pour protéger la nuit des citoyens.

L’actualité avait nourri le thème du colloque avec des modifications tenant à l’instauration de l’état d’urgence et les modifications récentes du droit du travail ; mais c’est bien plus largement qu’a été appréhendé l’objet nuit en droit, en étudiant, dans les champs du droit public comme du droit privé et les sciences criminelles la plupart des régimes juridiques spécifiques à la nuit.

Certes, les représentations de la nuit sous-jacentes à ces différents régimes se recoupent largement autour tantôt d’une conception poétique de libération de la norme, tantôt – et surtout – autour d’une conception liée aux risques, aux dangers sécuritaire et sanitaire. Pour autant, ces représentations communes ne se traduisent pas par des éléments transcendants ces régimes, écartant ainsi l’hypothèse d’un droit de la nuit.

En revanche, plusieurs contributions ont mis en avant l’émergence d’un droit à la nuit ; dans deux directions : le droit à la nuit obscure, d’une part, et le droit au sommeil, d’autre part.

Rendez-vous donc en librairie pour partager l’ensemble de ces réflexions sur le(s) droit(s) de la nuit.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique administrative 06 ; Art. 195

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Le contentieux de l’aéroport Grand Ouest Notre-Dame-des-Landes

par Loïc DEMEESTER,
doctorant, Université Toulouse 1 Capitole, IEJUC.

 

Art. 194. Le transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes a fait couler beaucoup d’encre. Ce projet a retenu l’attention des citoyens français mais aussi des juristes. Cette affaire représente une aventure politico-juridique pleine de rebondissements.

Outre l’aspect politique du projet, le transfert de l’aéroport est un concentré de questions juridiques des plus intéressantes : expropriation, urbanisme, droit de l’environnement, question prioritaire de constitutionnalité, relation entre le public et l’Administration, aide d’État et droit de l’Union européenne, et bien d’autres questions encore. Cet écrit n’a pas l’ambition de traiter chacune de ces questions, ni même de proposer des réponses mais plutôt de présenter synthétiquement quelques points du contentieux tenant au projet Notre-Dame-des-Landes. Deux éléments nous semblent particulièrement révélateurs des tensions entre juridique et politique concernant le projet de Notre-Dame-des-Landes : le contentieux de la déclaration d’utilité publique (I) et la procédure de consultation des populations concernées par ce projet (II)

I. Une déclaration d’utilité publique controversée.

Pour faire échec à la construction de l’aéroport du Grand Ouest – Notre-Dame-des-Landes, les opposants à la réalisation du projet ont notamment décidé d’attaquer la déclaration d’utilité publique. Malgré l’échec de la demande d’abrogation (A) et de la question prioritaire de constitutionnalité, cette controverse juridique permet d’amener une réflexion sur la théorie du bilan cout-avantage (B).

A. La tentative d’abrogation de la déclaration d’utilité publique.

Pour comprendre la suite des développements il est important de revenir sur la nature même du projet et celle de la déclaration d’utilité publique.

L’aéroport de Nantes-Atlantique relève de la compétence de l’État[1], et en tant que tel la compétence pour déclarer d’utilité publique les travaux nécessaires à son transfert appartient donc elle aussi à l’Etat.

En application du code de l’expropriation[2] et en raison de son importance, l’utilité du projet d’aéroport Grand-Ouest – Notre Dame des Landes a été déclaré par décret du Premier Ministre pris en Conseil d’Etat.

La déclaration d’utilité publique est le préalable à toute procédure d’expropriation et par conséquent, elle est le préalable au projet de travaux publics permettant la construction du nouvel aérodrome. La logique des opposants au projet est de faire disparaître la déclaration d’utilité publique ce qui entraînerait la disparition du document préalable au projet, et par voie de conséquence l’impossibilité pour l’État de commencer la réalisation des travaux.

Les requérants ont demandé au Premier Ministre d’abroger la déclaration d’utilité publique. Par silence gardé, le Premier Ministre a implicitement rejeté leur demande. Les requérants regroupés sous la forme d’un collectif décident de former un recours en excès de pouvoir contre le rejet du Premier Ministre de la demande. À l’occasion de ce recours, le « collectif des élus qui doutent de la pertinence de l’aéroport de Notre Dame des Landes » soulève également une question prioritaire de constitutionnalité sur l’interprétation jurisprudentielle d’une disposition du code de l’expropriation. Le Conseil d’État s’est prononcé le 17 octobre 2013 sur ces requêtes[3]. Dans cet arrêt, il rejette le recours en tenant une interprétation stricte de la notion de changement de circonstances de fait ou de droit.

La déclaration d’utilité publique est un acte non règlementaire, non créateur de droit. L’administration est dans l’obligation de procéder à l’abrogation si par un changement de circonstances de fait ou de droit postérieur à la déclaration, l’opération en question a perdu son caractère d’utilité publique ou n’est pas susceptible d’être légalement réalisée[4]. Cette règle est reprise par l’arrêt cité, et permet au Conseil d’État de rejeter tour a tour les moyens du collectif pour débouter la demande.

L’argumentaire du collectif s’articule autour de deux moyens principaux : un moyen économique et un moyen environnemental.

Le collectif estime que la soumission du secteur aérien au système européen d’échanges de quotas d’émission à effet de serre ainsi que la fluctuation importante du prix du carburant entraîneraient une augmentation du cout de l’opération justifiant la prise en compte d’un changement de circonstance. En réponse, le Conseil d’État se livre à une analyse économique poussée pour en déduire que ces changements n’auront qu’une faible influence sur le coût global de l’opération ; par conséquent, ces changements ne suffisent pas en eux-mêmes à justifier un changement de circonstances conduisant à la remise en cause de l’utilité publique du projet. Cette analyse convaincante n’étonne guère. Cependant, le rejet des moyens tenant à la protection de l’environnement surprend.

Le collectif requérant avance différentes dispositions[5] concernant notamment la protection des espaces agricoles et la protection de l’eau. Le Conseil rejette ces moyens pour deux motifs. Le premier tient à ce qu’une partie des dispositions évoquées n’ont pas de portée normative, ce qui est le cas de la loi de programmation par exemple.

Le second tient à ce que les éléments apportés par les requérants ne suffisent pas à établir un changement de droit applicable ou ne sont que de faible influence sur la légalité du projet[6].

Le Conseil d’État ne rejette pas totalement la possibilité d’une atteinte à l’environnement, il considère cependant qu’en l’état les éléments apportés ne suffisent pas à priver le projet de son utilité publique.

B. Les limites de la théorie bilan coût-avantage.

À l’occasion de ce recours, le collectif forme une question prioritaire de constitutionnalité. Les élus estiment que l’interprétation jurisprudentielle qui est faite du I de l’article L. 11-1 du code de l’expropriation[7] est contraire à l’article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen. Le Conseil d’État, dans une jurisprudence constante, considère que l’article L. 11-1 du code de l’expropriation n’impose pas au juge administratif de rechercher s’il existe des solutions alternatives permettant d’atteindre les objectifs poursuivis dans des conditions économiques et sociales plus avantageuses.

Le Conseil d’État rappelle que « tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition »[8]. Ensuite, le Conseil rappelle le raisonnement opéré dans son contrôle des déclarations d’utilité publique. Premièrement, il cherche si l’opération répond bien à une opération d’intérêt général. Puis il recherche si l’expropriant ne dispose pas d’autres moyens que l’expropriation pour réaliser l’opération, par exemple en utilisant son propre patrimoine. Enfin, il opère une analyse afin de déterminer si les atteintes à la propriété privée protégée par l’article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen et le coût financier et social de l’opération ne sont pas excessifs au vu de l’intérêt présenté.

Cette méthode – la théorie du bilan coût-avantage – est considérée par le Conseil d’État comme en adéquation avec l’esprit du code de l’expropriation. Nous ne pouvons nier que cette théorie présente un intérêt certain pour la protection de la propriété privée mais ne présente-t-elle pas certaines limites quant à l’utilité publique ? La question posée au Conseil d’État était de savoir si le juge administratif, dans son contrôle de la déclaration d’utilité publique, devait rechercher la meilleure alternative. Le juge administratif s’est toujours refusé à comparer les solutions possibles. Dans son contrôle de la légalité des déclarations d’utilité publique, il opère un contrôle intrinsèque – c’est à dire – qu’il n’applique la théorie du bilan coût-avantage qu’à la déclaration en elle-même. La question soulevée, même si celle-ci n’est pas transmise au Conseil constitutionnel, permet de relancer le débat sur un possible contrôle extrinsèque des déclarations d’utilité publique. Cette idée développée par le Professeur Bertrand Seiller consiste à amplifier l’appareil de référence dans ce type de contrôle. Cela donnerait la possibilité au juge administratif de comparer les diverses alternatives au projet afin d’en retenir la meilleure. Il ne s’agirait pas d’un contrôle d’opportunité mais d’un contrôle de légalité entre plusieurs décisions administratives possibles. Le juge administratif aurait donc la possibilité d’établir qu’une solution est plus « légale » qu’une autre ce qui permettrait d’introduire de la proportionnalité et ainsi d’enrichir considérablement la théorie du bilan coût-avantage[9]. De plus, à la lecture de l’arrêt et de la méthode employée par le Conseil d’État, l’environnement apparaît comme le grand absent. Le Conseil d’État ne se réfère explicitement qu’aux inconvénients économiques et sociaux. Avec le contrôle de la légalité intrinsèque, les inconvénients environnementaux sont souvent considérés secondaires face aux intérêts économiques des projets faisant l’objet d’une déclaration d’utilité publique, d’autant plus si ce projet est d’intérêt national[10]. Le contrôle extrinsèque permettrait de tenir compte dans une plus large mesure de l’environnement dans l’appréciation de la légalité de la déclaration d’utilité publique. Il conduirait l’administration à ne retenir que la meilleure solution pour la conduite de ses projets et ainsi l’efficience (économique, sociale et environnementale) deviendrait une norme de l’action administrative. Malheureusement, le Conseil d’Etat refuse ce type de contrôle et se restreint à un contrôle intrinsèque la légalité de la déclaration d’utilité publique du 9 février 2008[11].

Si la déclaration d’utilité publique a fait l’objet de nombreux recours, ce n’est pas la seule étape du projet de transfert de l’aéroport à avoir suscité quelques controverses.

II. Une consultation contestée.

La réalisation de cet aéroport a déchainé les passions. Outre les nombreuses contestations juridiques, de nombreuses manifestations politiques et citoyennes se sont déroulées afin de faire connaître leur désaccord avec le transfert. Face à cette opposition, les représentants de l’État ont voulu légitimer leur projet en procédant à la consultation des citoyens. Cette dernière a suscité elle aussi des contestations (A) et elle montre les limites de la démocratie environnementale en France (B).

A. Le contentieux de la procédure de consultation.

Politiquement, la consultation du public sur un sujet aussi clivant est une bonne logique. Juridiquement, cette consultation est plus difficile à mettre en œuvre.

L’exécutif français voulait mettre en place un référendum local au sujet du transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes. La Constitution française prévoit des mécanismes de référendum bien connus des juristes. L’article 11 et l’article 89 envisagent la possibilité par l’exécutif d’organiser des référendums sur certaines matières. Cependant, dans le cadre de ces articles, l’ensemble du peuple français est appelé à se prononcer. Il est donc impossible pour l’exécutif français de mettre en place un référendum local sans se placer hors du droit et contrevenir au principe de libre administration des collectivités territoriales[12].

Néanmoins, le referendum local existe dans l’ordre juridique français. L’article 72-1 de la constitution dispose que « les projets de délibération ou d’acte relevant de la compétence d’une collectivité territoriale peuvent, à son initiative, être soumis, par la voie du référendum, à la décision des électeurs de cette collectivité ». Pourtant, ce processus ne peut pas s’appliquer en l’espèce. Le projet de l’aéroport n’est pas de la compétence des collectivités territoriales, comme il a été mentionné précédemment. Suite à un décret de 2005, l’aéroport de Nantes Atlantique est resté de la compétence de l’Etat. De plus, le referendum est souhaité par le gouvernement et n’est pas à l’initiative de la collectivité territoriale. La voie référendaire doit donc être écartée par manque de fondement juridique.

Le gouvernement a eu recours à la création d’une nouvelle procédure de consultation. Le 21 avril 2016 est créée par ordonnance[13] une procédure permettant une consultation locale sur tout projet d’infrastructure ou d’équipement susceptible d’avoir un impact sur l’environnement et dont la réalisation est soumise à autorisation de l’Etat.

La création d’une nouvelle procédure de consultation aussi précise, à une époque où il est nécessaire de légitimer ce projet apparaît comme une « procédure taillée sur mesure pour notre Dame des Landes »[14].

Malgré l’adéquation de la nature du projet avec la nouvelle procédure, la consultation n’échappe pas au contentieux.

Les 3 et 17 juin 2016 a été introduite auprès du Conseil d’État une requête de l’association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport de Notre Dame-des-Landes demandant la suspension et l’annulation du décret organisant la consultation publique devant avoir lieu le 26 juin 2017[15].

La principale critique qui a été formulée à l’égard de cette consultation est le périmètre géographique retenu. La consultation ne concerne que les électeurs de Loire Atlantique, mais la construction de l’aéroport du Grand Ouest est financée par 22 collectivités territoriales. Les requérants auraient souhaité accroître le champ de consultation afin de donner une véritable représentativité à la réponse obtenue. Cependant, l’ordonnance créant la procédure prévoit que le périmètre de consultation est défini par le territoire couvert par l’enquête publique. Dans le cas présent l’enquête publique de 2006 n’a couvert que le territoire de la Loire Atlantique. Le Conseil d’État n’a eu d’autre choix que de rejeter le moyen.

Cet arrêt permet également de mettre en lumière les limites de la démocratie environnementale en France et, même si cette procédure de consultation est nouvelle, elle ne concourt pas au renouveau de la participation du public aux décisions administratives.

B. Les limites de la démocratie environnementale en France.

Tout d’abord, cette consultation est présentée comme une alternative au référendum. Néanmoins, celle-ci ne peut absolument pas remplacer, ce sont là deux mécanismes très différents. La consultation n’a pas d’effet décisionnel, elle ne sert comme son nom l’indique qu’à recueillir une opinion d’une certaine population à un moment donné.

Par ailleurs, l’arrêt rendu le 20 juin 2016 souligne malgré lui le manque d’association du public au processus décisionnel. Le Conseil d’Etat estime que la consultation ne doit pas nécessairement intervenir avant la délivrance des autorisations nécessaires au projet[16] rejetant ainsi l’argumentaire du requérant. S’il est vrai que d’un point de vue de la stricte légalité de la consultation, la position du Conseil d’État est pertinente, le message envoyé est fort : l’avis des populations concernées n’est pas pris en compte dans l’élaboration du projet. Pour preuve, la consultation s’opère 8 ans après la déclaration d’utilité publique. La consultation n’est alors pas une procédure de participation du public mais une procédure de confirmation du projet de la part du public. Le résultat de la consultation n’a aucune influence juridique sur le processus décisionnel.

Enfin, la consultation ne portait que sur le projet gouvernemental. Le Conseil d’État le souligne à juste titre : « le gouvernement n’a ni décidé, ni manifesté la volonté de modifier ce projet, ni annoncé une consultation des électeurs portant sur un projet distinct »[17]. Une fois de plus, le Conseil ne peut que rejeter le moyen selon lequel la consultation serait illégale car les termes de la consultation seraient ambigus. Les électeurs ont eu à se prononcer sur le transfert de l’aéroport et non sur les modalités de ce transfert. Aucun débat public ne s’est tenu pour présenter les projets alternatifs.

Si la légalité ne peut pas être mise en cause, l’arrêt du 20 juin 2016 permet de s’interroger sur la portée d’une telle consultation et plus généralement sur nos procédures de participation en matière de décisions environnementales.

Cette consultation n’a pas apaisé les tensions comme elle aspirait à le faire. Un nouveau volet s’ouvre dans la saga politico-juridique du projet d’aéroport. Le 1er juin 2017, trois médiateurs ont été désignés pour trouver une solution satisfaisante pour toutes les parties aux projets dans une période de 6 mois. L’affaire Notre-Dame-des-Landes se poursuit.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique administrative 06 ; Art. 194

[1] Décret n°2005-1070 du 24 août 2005 fixant la liste des aérodromes civils appartenant à l’État exclus du transfert aux collectivités territoriales ou à leurs groupements.

[2] Art. L. 121-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.

[3] CE, 17 octobre 2013, Collectif des élus qui doutent de la pertinence de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, n˙358633.

[4] CE, 26 février 1996, Association Une Basse-Loire sans nucléaire, n˙142893.

[5] Loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement ; loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche ; Art. L. 212-1 du code de l’environnement.

[6] CE, 17 octobre 2013, Collectif des élus qui doutent de la pertinence de l’aéroport Notre Dame des Landes, n˙358633, considérant 10 à 14.

[7] Aujourd’hui : art. L.1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.

[8] Cons. Const., 6 octobre 2010, n˙2010-39 QPC.

[9] B. Seiller, “Pour un contrôle de la légalité extrinsèque des déclarations d’utilité publique”, AJDA, 2003, 1472.

[10] CAA Nantes, 14 novembre 2016, n˙15NT02847 : concernant l’impact du projet sur une faible masse d’eau.

[11] R. Hostiou, « La notion d’utilité publique à l’épreuve du contentieux de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes », AJDA, 2013, 2550.

[12] R. Brett, “Un référendum local sur l’aéroport du Grand Ouest : une ambition politique à l’épreuve de la réalité juridique”, Energie, Environnement, Infrastructures, n˙4, Avril 2016, comm. 34.

[13] Ordonnance n˙2016-488 du 21 avril 2016 relative à la consultation locale sur les projets susceptibles d’avoir une incidence sur l’environnement.

[14] B. Delaunay, “Une procédure taillée sur mesure pour Notre-Dame-des-Landes ?”, AJDA n˙27/2016, 1515.

[15] Décret n˙2016-503 du 23 avril 2016 relatif à la consultation des électeurs des communes de la Loire-Atlantique sur le projet de transfert de l’aéroport de Nantes Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes.

[16] CE, 20 juin 2016, Association intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et autres, n˙400364, 400365, considérant 6.

[17] CE, 20 juin 2016, Association intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et autres, n˙400364, 400365, considérant 7.

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Les notions du droit de la commande publique (2)

Art. 190.

par Mathias AMILHAT,
Maître de conférences en Droit public – Université de Lille

Les notions du droit de la commande publique : des clarifications attendues…et en attente !

La notion même de commande publique reste difficile à saisir. Si l’on considère que sont des contrats de la commande publique ceux qui seront intégrés dans le futur code éponyme, seuls les contrats qualifiables de marchés publics ou de contrats de concession seraient concernés. Dans une approche plus large, d’autres catégories de contrats sont susceptibles d’être considérés comme tels, à commencer par les conventions d’occupation du domaine public. L’idée de commande pose néanmoins certaines difficultés dans la mesure où elle implique que le contrat conclu le soit à la demande d’une personne publique ou de la sphère publique, voire même que ce contrat soit conclu pour répondre aux besoins de cette même personne.

La loi Sapin 2 permet d’opérer une certaine clarification en précisant que le futur code regroupera « les règles relatives aux différents contrats de la commande publique qui s’analysent, au sens du droit de l’Union européenne, comme des marchés publics et des contrats de concession ». Il est donc possible de considérer que les marchés publics et les contrats de concession constituent ensemble une catégorie propre, celle des contrats de la commande publique soumis au code, laquelle doit être distinguée des autres contrats publics. Le droit des contrats publics continue donc d’être un droit multiple reposant sur des catégories hétérogènes. La simplification annoncée dans le cadre de la réforme permet d’isoler les contrats qualifiables de marchés publics ou de contrats de concession mais elle reste imparfaite, surtout lorsque l’on tient compte du fait que les notions européennes de marché public et de concession sont des notions extensives.

Quoi qu’il en soit, il est désormais nécessaire de se familiariser avec le nouveau découpage opéré entre les notions et de définir quelles sont les frontières qui se dressent entre elles. L’actualité législative et jurisprudentielle a notamment permis de mieux cerner trois notions essentielles à la détermination du champ d’application du futur code de la commande publique : celle de concession de services, celle de transfert de compétence, et celle de convention d’occupation du domaine public. D’autres notions moins indispensables à la détermination de ce champ d’application ont également été précisées. Les notions de concession d’aménagement, de délégation de service public, ou encore d’activités exercées essentiellement pour le compte du ou des pouvoirs adjudicateurs seront donc également abordées.

Une première réception jurisprudentielle de la notion de concession de service

L’inspiration européenne du droit de la commande publique est désormais clairement actée : les rédacteurs de la réforme ont choisi de consacrer la distinction binaire entre les marchés publics et les contrats de concession. La loi Sapin 2 confirme ce choix en précisant que le futur code de la commande publique regroupera les dispositions applicables à ces deux catégories de contrats.

Parmi les nouveautés introduites par la réforme, la notion de contrat de concession revêt donc une place particulièrement importante. Elle se décompose elle-même en deux sous-catégories de contrats, en fonction de l’objet du contrat : les concessions de travaux et les concessions de services. L’Ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession calque les définitions de ces deux catégories de contrats sur celles retenues par la directive 2014/23. Or, si les concessions de travaux préexistaient au travers de l’ordonnance de 2009 qui leur était consacrée, les concessions de service constituent une catégorie inédite, qui était jusqu’alors inconnue en droit français. Ainsi que cela a pu être souligné, leur reconnaissance vient reléguer la notion de délégation de service public au second plan, cette dernière n’étant désormais qu’une sous-catégorie de concession de service (Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; chronique contrats publics 01 ; Art. 104 http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=1155).

Encore fallait-il que le juge administratif prenne acte de ces évolutions et fasse sienne la notion de concession de service. C’est désormais chose faite avec l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 14 février 2017 (CE, 14 février 2017, n° 405157, Société de manutention portuaire d’Aquitaine et Grand port maritime de Bordeaux ; AJDA 2017, p. 326 ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 99 et 100, notes G. Eckert).

Etait en cause en l’espèce une convention de terminal conclue le 19 décembre 2014 entre le Grand port maritime de Bordeaux, qui est un établissement public administratif, et la société Europorte en application de l’article R. 5312-84 du Code des transports. Par cette convention, le Grand port maritime de Bordeaux confiait à la société l’exploitation du port du Verdon. Parmi les missions confiées, la société devait exploiter le port, développer ses activités, entretenir les biens présents et réaliser les investissements nécessaires à l’exploitation. En contrepartie, la convention prévoyait que l’exploitation du port donnerait lieu au versement d’une redevance par le Grand port maritime à la société, celle-ci étant composée d’une part fixe et d’une part variable en fonction du trafic portuaire.

Si l’affaire a été portée devant le Conseil d’Etat, c’est que cette convention n’a pas reçu d’exécution de la part de la société. Après l’échec d’une procédure de médiation, le Grand port maritime de Bordeaux a donc décidé de confier l’exécution de cette convention à la société SMPA, sous-traitante de la société Europorte. Le Grand port maritime a donc décidé de conclure avec cette société une convention de mise en régie, comme le permettait la convention de terminal. Or, la conclusion de cette nouvelle convention a été contestée par un autre opérateur, la société Sea Invest Bordeaux. Elle a saisi le Tribunal administratif de Bordeaux d’un référé contractuel en considérant qu’une procédure de mise en concurrence aurait dû être mise en œuvre. Ce dernier a fait droit à sa demande et a annulé la convention de mise en régie.

Le Grand port maritime de Bordeaux et la SMPA se sont pourvus en cassation contre l’ordonnance du juge des référés. La question posée au Conseil d’Etat était ici celle de savoir si la convention litigieuse pouvait ou non être contestée dans le cadre d’un référé contractuel. En effet, l’article L. 551-1 du Code de justice administrative précise que l’exercice d’un référé précontractuel n’est possible que lorsque le contrat contesté est un « contrat administratif ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, la délégation d’un service public ou la sélection d’un actionnaire opérateur économique d’une société d’économie mixte à opération unique ». Ce champ d’application matériel est le même lorsque le recours intenté est un référé contractuel.

Pour répondre à cette question, le Conseil d’Etat va successivement qualifier la convention de terminal et la convention de mise en régie de concessions de services au sens de l’Ordonnance du 29 janvier 2016. Cette qualification lui permet d’apporter certaines précisions.

Tout d’abord, la notion de concession de service est indépendante de celle de service public, ce qui signifie qu’il existe désormais des concessions de services qui ne sont pas des services publics et des concessions de services publics. Le Conseil d’Etat le confirme en ne recherchant pas l’existence d’une activité de service public ; il concentre son analyse sur l’existence « d’une prestation de services rémunérée par une contrepartie économique constituée d’un droit d’exploitation, et qui transfère au cocontractant le risque d’exploitation ». Conformément à la définition européenne, le Conseil d’Etat semble retenir une conception assez large de la notion de concession de service : il ne la limite pas aux contrats ayant pour objet de confier la gestion même d’un service mais intègre également ceux qui se contentent de confier la réalisation de certaines prestations de services, sans confier la gestion du service lui-même (sur ce point, v. F. Llorens et P. Soler-Couteaux, « A propos de la reconnaissance jurisprudentielle des concessions de services, Contrats-Marchés publ. 2017, repère 4).

Par ailleurs, le juge administratif précise quel est le critère de distinction à utiliser pour différencier les « simples » conventions d’occupation du domaine public et les concessions de services. Depuis l’adoption de l’Ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, l’article L. 2122-6 du CGPPP les autorisations d’occupation du domaine public ne peuvent plus « avoir pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures, la prestation de services, ou la gestion d’une mission de service public, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, pour le compte ou pour les besoins d’un acheteur soumis à l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics ou d’une autorité concédante soumise à l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession ». Le Conseil d’Etat confirme ici que l’objet du contrat est au cœur de la distinction entre les « simples » conventions d’occupation et les concessions. Si, comme en l’espèce, le contrat a pour objet de « répondre au besoin » d’une autorité concédante en confiant la réalisation de prestations de services à un cocontractant, celui-ci doit être qualifié de concession de service indépendamment du fait qu’il confie également au cocontractant « la gestion et la valorisation du domaine ». C’est donc la réponse aux besoins exprimés par une personne qualifiable d’autorité concédante en termes de travaux ou de services qui permet d’identifier l’existence d’un contrat de concession (à condition que la contrepartie du contrat réside dans l’existence d’un droit d’exploitation faisant peser un risque sur le cocontractant car, à défaut, le contrat serait qualifié de marché public).

Enfin, cet arrêt est l’occasion pour le juge administratif de préciser que la mise en régie d’un contrat en cas de faute grave du cocontractant fait partie « des règles générales applicables aux contrats administratifs ». Le Conseil d’Etat confirme ainsi que l’existence de ce pouvoir de sanction n’est plus rattachée au principe de continuité du service public (en ce sens, v. déjà en matière de marchés publics : CE, ass., 9 novembre 2016, n° 388806, Sté Fosmax : Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 25, obs. P. Devillers) mais concerne l’ensemble des contrats administratifs. Le principe de continuité du service – qui n’est pas un service public – justifie quant à lui que la convention de mise en régie soit conclue sans mise en concurrence, lorsque l’urgence le justifie.

Le Conseil d’Etat prend donc acte de la place centrale de la notion de concession – notamment de services – au sein du droit de la commande publique. Surtout, en taisant toute référence au service public, il confirme que cette notion n’a plus vocation qu’à occuper une place marginale à l’intérieur du droit des contrats publics.

Une distinction attendue : marché public vs. transfert de compétences

La définition du champ d’application du droit européen des contrats publics est une question épineuse, renforcée par le fait que les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices des Etats membres rivalisent d’imagination pour pouvoir y échapper. Le droit de l’Union admet cependant des exceptions qui évitent raisonnablement que certains contrats passés par des pouvoirs adjudicateurs ou par des entités adjudicatrices ne soient passés après une procédure de publicité et de mise en concurrence.

C’est sur l’une de ces exceptions que la Cour de justice a dû se prononcer dans son arrêt Remondis du 21 décembre 2016 (CJUE, 21 décembre 2016, aff. C-51/15, Remondis GmbH c/ Région de Hanovre en présence du Syndicat de collectivités Région Hanovre ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 36, note G. Eckert ; JCPA 2017, comm. 2067, note S. Brameret ; Europe 2017, comm. 62, note D. Simon ; AJCT 2017, p. 159, note J.-D. Dreyfus). Il lui revenait d’établir une distinction claire entre la notion de marché public et celle de transfert de compétences.

Le juge européen était saisi de deux questions préjudicielles par un Tribunal régional supérieur allemand à l’occasion d’un litige opposant la société Remondis à la région de Hanovre à propos de l’activité d’enlèvement et de traitement des déchets sur les territoires de l’arrondissement de Hanovre et de la ville de Hanovre. En effet, jusqu’en 2002 la région et la ville de Hanovre étaient compétentes et géraient elles-mêmes ces activités. Au cours de cette année 2002, la ville de Hanovre a transféré sa compétence en la matière à la région de Hanovre puis, ensemble, elles ont créé un syndicat de collectivités auquel elles ont transféré certaines de leurs compétences, notamment l’enlèvement des déchets. Ce syndicat exerce les activités d’enlèvement et de traitement des déchets depuis le 1er janvier 2003

La société Remondis a saisi les juridictions allemandes car elle considérait que « l’opération globale ayant consisté en la fondation de ce syndicat et le transfert concomitant de missions à celui‑ci par les collectivités territoriales qui en sont membres constitue un marché public » (pt. 24). Elle soutenait en effet que, si les relations entre ce syndicat et les collectivités membres pouvaient initialement être considérées comme relevant de l’exception « in house », ce n’est plus le cas depuis 2013 car le syndicat ne réalise plus l’essentiel de ces activités avec ses membres. A l’inverse, la région de Hanovre et le syndicat considéraient que l’opération constituait un transfert de compétences et ne pouvait donc pas être qualifiée de marché public.

La question posée à la Cour était donc de déterminer si un transfert de compétence à une entité juridique distincte peut et doit être considéré comme un marché public. Ainsi que le relève l’avocat général Paolo Mengozzi dans ses conclusions, cette question avait été évoquée par la Cour dans deux affaires précédentes sans être « spécifiquement » traitée, la qualification de marché public ayant été systématiquement retenue (CJCE, 20 octobre 2005, aff. C-264/03, Commission c/ Rép. française : Rec. CJCE 2005, p. 883 ; CJUE, 13 juin 2013, aff. C-386/11, Piepenbrock Dienstleistungen GmbH c/ Kreis Düren : Contrats-Marchés publ. 2013, comm. 213, note W. Zimmer).

Se prononçant en application des directives de 2004, la Cour opère un choix clair en distinguant les notions de marché public et de transfert de compétences. Pour étayer son argumentation elle se réfère également aux nouvelles directives de 2014, notamment au considérant 4 et à l’article 1er de la directive 2014/24. Or, cet article prévoit explicitement que « Les accords, décisions ou autres instruments juridiques qui organisent le transfert de compétences et de responsabilités en vue de l’exécution de missions publiques entre pouvoirs adjudicateurs ou groupements de pouvoirs adjudicateurs et qui ne prévoient pas la rémunération de prestations contractuelles, sont considérés comme relevant de l’organisation interne de l’État membre concerné et, à ce titre, ne sont en aucune manière affectés par la présente directive ». Les évolutions textuelles du droit européen des contrats publics invitaient donc à la Cour à admettre que les transferts de compétences entre pouvoirs adjudicateurs ne constituent pas des marchés publics.

La Cour commence par préciser que l’objet des activités transférées ne saurait à lui seul permettre de retenir la qualification de marché public en précisant que « le fait qu’une activité relevant de la compétence d’une autorité publique constitue un service visé par ladite directive ne suffit pas, à lui seul, à rendre celle‑ci applicable, les autorités publiques étant libres de décider de recourir ou non au marché pour l’accomplissement des tâches d’intérêt public qui leur incombent » (pt. 39). Elle renvoie sur ce point à sa jurisprudence antérieure (CJCE, 9 juin 2009, aff. C-480/06, Comm. CE c/ Rép. fédérale d’Allemagne ; Contrats-Marchés publ. 2009, comm. 226, note H. Hoepffner). Cette précision peut paraître superflue mais elle permet de rappeler que le droit de l’Union européenne n’impose pas aux pouvoirs adjudicateurs et aux entités adjudicatrices de faire réaliser l’ensemble des activités qualifiable de travaux, de fournitures ou de services dans le cadre de marchés publics ou de contrats de concession. Lorsqu’une personne de la sphère publique exerce des activités relevant de ses compétences, sa liberté première reste en effet de les réaliser elle-même !

Ce premier rappel effectué, la Cour va en effectuer un second qui va servir de fondement à la solution retenue. Elle précise en effet « que la répartition des compétences au sein d’un État membre » relève de « l’identité nationale des États membres, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles », laquelle est protégée par l’article 4§2 du TUE (pt. 40). Or, la Cour considère que cette protection s’étend également aux « réorganisations de compétences à l’intérieur d’un Etat membre » (pt. 41). Elle consacre ainsi la spécificité de la notion de transfert de compétences, afin de pouvoir la distinguer de la notion de marché public.

La différence entre les deux résulte de la définition de la notion de marché public. La Cour rappelle en effet que le marché public se définit comme un contrat conclu à titre onéreux, ce qui implique que le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice qui passe le marché reçoive « une prestation devant comporter un intérêt économique direct », moyennant une contrepartie. La caractéristique essentielle d’un marché public » est donc son « caractère synallagmatique » (pt. 43). Or, contrairement à ce qui se passe dans le cadre d’un marché public, le transfert de compétences conduit l’autorité publique à se décharger d’une activité qu’elle exerçait précédemment et à ne plus avoir d’ « intérêt économique » dans la réalisation de cette activité (pt. 44). En l’absence de ce caractère synallagmatique, le fait que l’autorité qui transfère sa compétence « s’engage à assumer la charge des éventuels excédents de coûts par rapport aux recettes pouvant résulter de l’exercice de cette compétence » est sans incidence sur la qualification de l’opération et ne peut pas être considérée comme une rémunération (pt. 45). Il existe donc une véritable différence de nature entre un marché public et un transfert de compétences.

Néanmoins, afin de ne pas permettre aux Etats membres d’échapper trop facilement aux règles applicables en matière de marchés publics, une opération ne sera analysée comme un transfert de compétences que si « l’autorité publique nouvellement compétente » exerce ces compétences « de manière autonome et sous sa propre responsabilité » (pt 51).

Trois conditions sont nécessaires ; elles sont clairement identifiées par l’avocat général dans ses conclusions (pts. 53 à 57 des conclusions) et reprises en substance par la Cour (pts 48 à 54). Tout d’abord, il faut que le transfert de compétences soit un transfert global, ce qui implique un dessaisissement total de la part de l’autorité initialement investie de ses compétences. Il se distingue ainsi du simple transfert ponctuel de compétences, même s’il n’est pas nécessaire que le transfert soit irréversible. Ensuite, l’entité attributaire de la nouvelle compétence doit pouvoir agir « en pleine autonomie » (concl., pt. 55). Cela signifie que l’autorité transférante ne doit plus pouvoir « interférer dans l’exécution de la mission transférée » (concl., pt. 55), elle peut seulement conserver un « contrôle de type politique » (concl., pt. 56). Enfin, l’entité qui se voit transférer cette nouvelle compétence doit bénéficier d’une « autonomie financière dans l’accomplissement de la mission publique pour laquelle les compétences lui sont transférées ». Cette autonomie financière suppose que l’entité « ne doit pas dépendre financièrement de l’autorité transférante » : elle doit bénéficier des ressources nécessaires, ce transfert de ressources étant défini comme « le nécessaire corollaire du transfert de compétences » (concl., pt. 57). Lorsque ces différentes conditions sont réunies, l’opération doit s’analyser comme un véritable transfert de compétences et n’est donc pas soumise aux règles européennes applicables en matière de marchés publics ou de contrats de concession.

La Cour identifie donc ici une ligne de partage assez claire entre les notions de marché public et de transfert de compétences qui permet de mieux cerner le sens de l’exception désormais prévue aux articles 1ers des directives de 2014, reprise aux articles 7 des ordonnances marchés publics et contrats de concession. Elle semble ainsi confirmer, après une période d’extension continue, que le droit de l’Union européenne cherche désormais à circonscrire les notions de marché public et de contrat de concession.

Des précisions nécessaires quant aux conventions d’occupation du domaine public

A l’intérieur du droit des contrats publics, la question de la place des conventions d’occupation du domaine public et de leur soumission à des procédures de mise en concurrence a fait couler beaucoup d’encre (voir, par exemple : F. Llorens et P. Soler-Couteaux, « L’attribution des conventions domaniales », Contrats-Marchés publ. 2005, repère 8 ; S. Nicinski, « Faut-il soumettre la délivrance des titres d’occupation du domaine public à une procédure de mise en concurrence ? », in Mélanges E. Fatôme, Bien public, bien commun, Dalloz, 2011, p. 377 ; Ch. Vautrot-Schwarz, « L’avenir de la publicité et de la mise en concurrence dans la délivrance des titres d’occupation domaniale », Contrats-Marchés publ. 2012, étude 8).

Sur cette question, le Conseil d’Etat avait retenu une solution discutée et discutable dans son célèbre arrêt Jean Bouin (CE, 3 déc. 2010, Ville de Paris et Association Paris Jean Bouin ; Contrats et Marchés pub. 2011, comm. 25 obs. G. Eckert ; AJDA 2011, p. 18, étude S. Nicinski et E. Glaser ; BJCP 74/2011, p. 36, concl. N. Escaut ; Dr. adm. 2011, comm. 17, obs. F. Brenet et F. Melleray) en précisant « qu’aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe n’imposent à une personne publique d’organiser une procédure de publicité préalable à la délivrance d’une autorisation ou à la passation d’un contrat d’occupation d’une dépendance du domaine public, ayant dans l’un ou l’autre cas pour seul objet l’occupation d’une telle dépendance ; qu’il en va ainsi même lorsque l’occupant de la dépendance domaniale est un opérateur sur un marché concurrentiel ». Cette solution était manifestement contraire au droit de l’Union européenne mais avait pour effet de préserver les droits de la personne publique propriétaire sur son domaine.

C’est donc de manière heureuse que la Cour de justice a initié une clarification de la situation par son arrêt Promoimpresa de juillet 2016 (CJUE, 14 juillet 2016, aff. C-458/14 et aff. C-67/15, Promoimpresa Srl Mario , Melis e.a. ; Contrats-Marchés publ. 2016, repère 11 et comm. 291, note F. Llorens ;  AJDA 2016, p. 2176, note R. Noguellou). Saisie par le tribunal administratif régional de Lombardie et par son homologue de Sardaigne, la Cour de justice devait se prononcer sur la conformité au droit de l’Union européenne de règles permettant le renouvellement ou l’attribution de concessions domaniales. Le juge européen va ainsi préciser que trois séries de règles sont susceptibles de s’appliquer lors de la délivrance d’autorisations domaniales.

Premièrement, si l’autorisation repose sur un contrat qui est qualifiable de concession de service au sens du droit de l’Union, il convient d’appliquer les dispositions de la directive 2014/23 et notamment les règles de publicité et de mise en concurrence qu’elle prévoit.

Deuxièmement, si l’autorisation ne repose pas sur un contrat ou si elle repose sur un contrat qui n’est pas qualifiable de concession de service car l’activité de services exercée n’a pas été déterminée par un pouvoir adjudicateur ou par une entité adjudicatrice, il faut vérifier si cette activité relève du champ d’application de la directive 2006/123 du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur. Si tel est le cas, l’article 12 de ce texte prévoit que « l’octroi d’autorisations, lorsque leur nombre est limité en raison de la rareté des ressources naturelles, doit être soumis à une procédure de sélection entre les candidats potentiels, laquelle doit répondre à toutes les garanties d’impartialité et de transparence, notamment de publicité adéquate ». Dans la mesure où la plupart activités économiques relèvent du champ d’application de ce texte, la quasi-totalité des décisions autorisant ou renouvelant une occupation domaniale doivent être considérées comme devant être soumises à des règles de publicité et de mise en concurrence.

Troisièmement, si l’autorisation est une concession qui ne relève du champ d’application d’aucune des deux directives, c’est-à-dire s’il s’agit d’une concession de service inférieure aux seuils européens, son attribution et son renouvellement ne peuvent être effectués qu’en respectant « les règles fondamentales du traité FUE en général et le principe de non-discrimination en particulier » (pt. 64 de l’arrêt). Il convient alors de vérifier si cette attribution ou ce renouvellement présentent un « intérêt transfrontalier certain ». Si tel est le cas, des règles minimales de publicité et de mise en concurrence s’imposeront.

En ce sens, la solution retenue par la Cour de justice peut être considérée comme « l’épilogue du feuilleton Jean Bouin » (Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique administrative 03 ; Art. 128. http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=1385). Elle a eu pour conséquence l’adoption de l’article 34 de la loi Sapin 2 habilitant le gouvernement à réformer le droit de la domanialité publique par ordonnance.

C’est désormais chose faite avec l’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques (sur cette question, v. J.-M. Pastor, « Obligation de publicité pour les autorisations domaniales », AJDA 2017, p. 836 ; G. Clamour, « Une nouvelle donne pour l’occupation domaniale », Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 114). Les nouvelles règles ne concernent que le domaine public, alors même que les commentateurs s’accordent pour considérer que les obligations européennes sont indifférentes à la distinction française entre le domaine public et le domaine privé des personnes publiques.

A compter du 1er juillet 2017 la délivrance des titres d’occupation du domaine public devra en principe passer par une procédure de publicité et de mise en concurrence préalable, en application du nouvel article L. 2122-1-1 du CGPPP. Des exceptions sont cependant d’ores et déjà prévues. D’abord, cet article prévoit que des dispositions législatives contraires peuvent déroger à cette réglementation. Ensuite, il prévoit qu’une publicité préalable à la délivrance du titre suffit « lorsque l’occupation ou l’utilisation autorisée est de courte durée ou que le nombre d’autorisations disponibles pour l’exercice de l’activité économique projetée n’est pas limité ». Enfin, les articles L. 2122-1-2 et L. 2122-1-3 prévoient des exceptions plus précises : si une procédure de mise en concurrence a déjà eu lieu, si le titre est conféré par un contrat de la commande publique, si l’urgence le justifie, s’il est « impossible ou non justifié » de mettre en œuvre la procédure prévue…

Les autorisations d’occupation du domaine public, lorsqu’elles ne sont pas conférées par un marché public ou par un contrat de concession, doivent donc être considérées comme ne relevant pas du droit de la commande publique au sens du futur code. Néanmoins, leur soumission à des règles de publicité et de mise en concurrence confirme que ces autorisations, lorsqu’elles sont effectuées par contrat, relèvent du régime général du droit européen des contrats publics.

Des éclaircissements complémentaires : concessions d’aménagement et commande publique, « in house » et activités exercées pour des personnes publiques tierces, et notion de délégation de service public

L’actualité de ces derniers mois s’agissant des notions du droit de la commande publique permet de faire état de trois affaires qui se dégagent du point de vue de leurs apports.

C’est d’abord la Cour administrative d’appel de Versailles qui, le 1er décembre 2016, est venue préciser que tous les contrats conclus dans le cadre d’opérations d’aménagement ne sont pas des concessions d’aménagement et ne relèvent donc pas du droit de la commande publique (CAA Versailles, 1er déc. 2016, n° 15VE02822, Cts E. et SARL Le Viking : JurisData n° 2016-028943 ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 37, note G. Eckert).

La solution est bien connue : les concessions d’aménagement sont des contrats de la commande publique. Le code de l’urbanisme suppose en effet qu’elles constituent soit des marchés publics soit des contrats de concession. Cette solution est acquise depuis que le décret du 22 juillet 2009 a pris acte de la solution retenue par la Cour de justice dans son arrêt Auroux (CJCE, 18 janvier 2007, aff. C-220/05, Jean Auroux c/ Cne Roanne ; Rec. CJCE 2007, I, p. 385 ; AJDA 2007, p. 1124, chron. E. Broussy, F. Donnat et Ch. Lambert ; Contrats-Marchés publ. 2007, comm. 38, note W. Zimmer). Les articles R.300-4 à R.300-9 s’appliquent aux concessions d’aménagement transférant un risque économique, tandis que les articles R.300-11-1 à R.300-11-3 fixent la procédure applicable aux concessions d’aménagement ne transférant pas un risque économique. Les premières correspondent à des contrats de concession et obéissent en grande partie aux règles fixées par l’ordonnance du 29 janvier 2016, tandis que les secondes sont des marchés publics et relèvent de la même manière de l’ordonnance du 23 juillet 2015. Dans les deux cas, des règles spécifiques sont prévues pour tenir compte des particularités de ce type de contrats. Néanmoins, la Cour administrative d’appel de Versailles a eu l’occasion de préciser que toutes les conventions conclues dans le cadre d’opérations d’aménagement ne sont pas concernées.

Se prononçant sous l’empire de l’ancienne réglementation, elle considère que les conventions de participation au financement des équipements publics réalisés dans le cadre d’une opération d’aménagement en application de l’article L. 311-4 du code de l’urbanisme et qui ont pour objet de prendre en charge la part de ceux-ci excédant les besoins des habitants de la zone ne sont pas qualifiables de marchés publics au sens du code. Cette solution trouvera à s’appliquer dans le cadre de la nouvelle réglementation, de tels contrats ne pouvant être qualifiés ni de marchés publics, ni de contrats de concession.

C’est ensuite la Cour de justice qui a apporté des éclaircissements sur les conditions du « in house », bien que se prononçant à propos d’une situation antérieure relevant des directives de 2004 (CJUE, 8 déc. 2016, aff. C-553/15, Undis Servizi Srl c/ Comune di Sulmona ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 38, note M. Ubaud-Bergeron ; AJDA 2017, p. 1127, note S. Brameret).

Elle commence par rappeler que le droit européen des marchés publics et des concessions s’applique dès lors qu’un pouvoir adjudicateur ou une entité adjudicatrice « envisage de conclure par écrit, avec une entité juridiquement distincte, un contrat à titre onéreux, que cette entité soit elle-même un pouvoir adjudicateur ou non » (pt. 28). Néanmoins, en application d’une jurisprudence désormais classique (CJCE 18 nov. 1999, aff. C-107/98, Teckal Srl c/ Comune di Viano, Rec. CJCE I-8121), la Cour admet que les règles de publicité et de mise en concurrence n’ont pas à s’appliquer lorsque le contrat conclu peut s’analyser comme une attribution « in house ». Deux conditions doivent alors être réunies : le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice doit exercer sur l’entité attributaire un contrôle analogue à celui exercé sur ses propres services, et cette entité doit réaliser l’essentiel de ses activités au profit du ou des pouvoirs adjudicateurs qui la détiennent.

En l’espèce la Cour devait se prononcer sur la seconde condition, à savoir le fait que l’entité contrôlée exerce l’essentiel de ses activités pour le compte du ou des pouvoirs adjudicateurs qui la détiennent. Elle devait déterminer comment prendre en compte des activités exercées par l’entité contrôlée mais pour le compte de collectivités publiques différentes de celles qui la contrôlent, la difficulté provenant du fait que l’exercice de ces activités lui est imposé par une autre collectivité. La société concernée dans cette affaire ne réalise en effet que 50% de ses activités pour le compte des collectivités qui la contrôlent, tandis que la plupart de ses autres activités sont réalisées au profit d’une région italienne en application de dispositions spécifiques du droit national. La Cour de justice va toutefois considérer que le fait que ces activités soient imposées et soient réalisées au bénéfice de collectivités publiques est sans incidence sur l’appréciation des conditions du « in house ». Par ailleurs, la Cour a pu préciser que dans le cadre d’un pluri-contrôle public, les activités exercées avant que ce contrôle conjoint ne soit effectif peuvent être prises en compte pour déterminer si l’entité réalise l’essentiel de son activité pour les pouvoirs adjudicateurs qui la contrôlent.

Bien qu’elle raisonne sous l’empire des directives de 2004, la solution retenue par la Cour devrait trouver un écho dans le cadre de la nouvelle réglementation. Les directives de 2014 codifient en effet l’exception « in house » en excluant de leur champ d’application les marchés publics et les contrats de concession passés entre entités appartenant au secteur public. Or, parmi les conditions exigées pour que cette exception s’applique, il est désormais prévu que « plus de 80 % des activités de (la) personne morale contrôlée (doivent être) exercées dans le cadre de l’exécution des tâches qui lui sont confiées par le pouvoir adjudicateur qui la contrôle ou par d’autres personnes morales qu’il contrôle ». Il ne fait dès lors pas de doute que, pour apprécier cette condition reformulée, la Cour retiendra une interprétation identique à celle formulée dans son arrêt du 8 décembre 2016 : pour déterminer si le seuil de 80% des activités exercées est atteint, seules les activités réalisées pour le compte des pouvoirs adjudicateurs ou des entités adjudicatrices contrôlant l’entité doivent être prises en compte. Les activités réalisées pour le compte d’autres personnes de la sphère publique ne doivent donc pas être prises en compte, même lorsqu’elles sont imposées.

Enfin, l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 9 décembre 2016 mérite une attention particulière lorsque l’on s’intéresse aux notions du droit de la commande publique (CE, 9 décembre 2016, n° 396352, Cne Fontvieille ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 52, note G. Eckert ; Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique administrative 02 ; Art. 109 http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=1191). Dans cette affaire, le juge administratif applique sa jurisprudence désormais classique en matière de service public (CE, sect., 22 février 2007, n° 264241, APREI ; rec. p. 92, concl. C. Vérot ; AJDA 2007, p. 793, chron. F. Lenica et J. Boucher ; RFDA 2007, p. 802, note C. Boiteau) pour déterminer si le contrat par lequel une commune confie l’exploitation d’un site touristique à une personne privée constitue ou non une délégation de service public.

Retenant une interprétation stricte de la jurisprudence APREI, les juges du palais royal refusent la qualification de service public en relevant « l’absence d’implication dans l’organisation de l’exploitation touristique des sites en cause » (cons. 3). Le fait que la commune définisse les jours d’ouverture et impose le respect du caractère historique et culturel des sites n’est pas suffisant pour faire apparaître son intention de faire de cette activité un service public. De plus, la personne privée cocontractante pouvait « révoquer la convention à tout moment », ce qui n’est possible que lorsque le contrat « n’a pas pour objet l’exécution même du service public » (CE, 8 octobre 2014, n° 370644, Sté Grenke location ; AJDA 2015, p. 396, obs. F. Melleray ; BJCP 2015, p. 3, concl. G. Pellissier ; Dr. adm. 2015, comm. 12, note F. Brenet ; JCP A 2014, comm. 2327, obs. S. Ziani ; Contrats-Marchés publ. 2014, comm. 329, note G. Eckert). Le Conseil d’Etat en conclut fort logiquement que la convention en cause ne constitue pas une délégation de service public et qu’elle n’avait donc pas à respecter l’ancien article L. 1411-2 du CGCT.

Cet article ayant été abrogé par l’ordonnance du 29 janvier 2016, le problème soulevé dans l’arrêt du 9 décembre pourrait paraître caduque. Il n’en reste pas moins révélateur du caractère restrictif de la notion de délégation de service public par opposition à celle de concession de service. Il y a en effet fort à parier que la convention litigieuse serait qualifiée de concession de service dans le cadre de la nouvelle réglementation. Or, l’article 31 de l’ordonnance du 29 janvier étend désormais l’obligation de justifier dans le contrat les montants et les modes de calcul des droits d’entrée et des redevances à l’ensemble des contrats de concession, nonobstant la qualification de délégation de service public. Le Conseil d’Etat nous donne donc une occasion supplémentaire d’affirmer que la notion de contrat de concession devrait progressivement effacer celle de délégation de service public !

Les réformes textuelles et les évolutions jurisprudentielles confirment ainsi le grand chambardement du droit de la commande publique. La clarification attendue devrait donc rester longtemps incomplète, à moins que le futur code n’aille au-delà de nos espérances.

 

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique contrats publics 02 ; Art. 190.

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La notion de contrat administratif (2)

Art. 191.

par Mathias AMILHAT,
Maître de conférences en Droit public – Université de Lille

La notion de contrat administratif : quelques confirmations utiles

Cela n’aura rien de surprenant pour le lecteur de ces lignes mais la notion de contrat administratif n’est pas la plus affectée par les évolutions de ces derniers mois. Il convient en effet de rappeler que la réforme de la commande publique n’abandonne pas la notion de contrat administratif mais confirme sa perte d’utilité progressive : la qualification de contrat administratif est maintenue pour les contrats passés par certaines personnes publiques à l’intérieur du nouveau droit de la commande publique mais son incidence sur le régime juridique des marchés publics et des contrats de concession reste assez limité (Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; chronique contrats publics 01 ; Art. 105. http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=1157). De plus, les catégories de contrats « nommés » étant de plus en plus nombreuses, ce n’est que rarement que les juges ont à connaître de contrats dont la qualification comme contrat administratif ou comme contrat de droit privé pose de réelles difficultés.

Un arrêt rendu à la fin de l’année 2016 par le Tribunal des conflits mérite néanmoins l’attention en ce qu’il rappelle le caractère circonscrit du critère matériel du service public parmi les critères jurisprudentiels de définition de la notion de contrat administratif.

Par ailleurs, saisi à propos d’un contrat conclu entre une personne morale de droit public français et une personne de droit étranger, ce même juge a rappelé que – sous certaines conditions – la qualification administrative d’un contrat emporte l’application d’un régime impératif de droit public que seule la juridiction administrative est en droit de connaître.

Critères jurisprudentiels de définition : seule la participation à l’exécution même du service public permet la qualification de contrat administratif 

En l’absence de qualification législative du contrat, le Tribunal des conflits a dû rappeler qu’il convient de retenir une interprétation stricte du critère matériel du service public lorsque l’on cherche à vérifier si un contrat est administratif ou de droit privé (TC, 14 novembre 2016, n° 4065, Assoc. professionnelle des hôteliers, restaurateurs, limonadiers (APHRL) ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 35, note P. Devillers ; AJCT 2017, p. 215, note G. Le Chatelier).

En l’espèce, le Tribunal des conflits devait se prononcer à propos d’un contrat conclu entre une association et la région Ile-de-France. Ce contrat a pour objet la location par la région de locaux destinés à accueillir un lycée d’enseignement technologique. Estimant que la région ne remplissait pas ses obligations d’entretien, l’association a saisi le tribunal de grande instance de Paris pour qu’il prononce la résiliation de cette convention de mise à disposition. Ce dernier a toutefois décliné sa compétence en considérant que la convention faisait participer l’association au service public de l’enseignement et devait donc être qualifiée de contrat administratif. L’association s’est alors tournée vers le tribunal administratif de Paris, lequel a considéré que la juridiction judiciaire était compétence et a décidé de surseoir à statuer et de renvoyer l’affaire devant le juge départiteur en prévention d’un conflit négatif.

Les contrats de location de biens immobiliers par une personne publique ne sont pas considérés comme des marchés publics et ne peuvent donc pas être considérés comme des contrats administratifs « par détermination de la loi » en application de l’article 3 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics (ou, anciennement, en application de la loi MURCEF). Ces contrats font ainsi partie des rares conventions pour lesquelles le juge doit encore aujourd’hui vérifier si les critères jurisprudentiels de définition du contrat administratif sont réunis. En l’espèce, le critère organique est bel et bien présent : la convention est passée par la région Ile-de-France, personne morale de droit public. C’est donc du point de vue du critère matériel que la question de la qualification se posait. Il est acquis que ce critère n’est rempli que dans trois hypothèses : lorsque le contrat est soumis à un régime exorbitant du droit commun, lorsqu’il contient une clause exorbitante du droit commun, ou lorsqu’il présente un lien suffisamment étroit avec le service public.

La convention de mise à disposition passée entre la région et l’association ne baignait manifestement pas dans une « ambiance » de droit public (concl. M. Rougevin-Baville sur CE, sect., 19 janv. 1973, n°82338, Sté d’exploitation électrique de la Rivière du Sant) et, comme le relève le rapporteur public Frédéric Desportes dans ses conclusions, il n’est pas possible d’identifier une clause exorbitante « dans les stipulations de la convention, somme toute banales, imposant que les locaux soient utilisés conformément à leur destination ou mettant à la charge de l’association certains travaux » (F. Desportes, conclusions disponibles sur le site du Tribunal des conflits : http://www.tribunal-conflits.fr/PDF/4065_Conclusion_conclusions_tc_4065.pdf ). A la suite du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris, la question de la qualification administrative ou de droit privé du contrat dépendait donc ici du fait de savoir si le contrat conclu présentait un lien suffisamment étroit avec le service public.

Or, la jurisprudence révèle qu’il existe « une gradation selon le degré d’implication du cocontractant dans le fonctionnement du service public » (H. Hoepffner, Droit des contrats administratifs, Dalloz, 2016, p. 89). Cela sera le cas dans trois sous-hypothèses au regard de l’objet du contrat : s’il confie l’exécution même du service public au cocontractant (CE, sect., 20 avril 1956, Epoux Bertin, rec. p. 167 ; D. 1956.433 note A. De Laubadère ; RDP 1956 p. 869, concl. Long, note. M. Waline), s’il constitue une modalité d’exécution du service public (CE, sect., 20 avril 1956, Ministre de l’Agriculture c./ Consorts Grimouard, rec. P. 168 ; AJDA 1956, II, p. 187, concl. Long), ou s’il fait participer ou associe le cocontractant à l’exécution du service public (TC, 8 décembre 2014, n°3980, Chambre nationale des services d’ambulances, Contrats-Marchés publ. 2015, comm. 60, note M. Ubaud- Bergeron).

En l’espèce, le Tribunal des conflits va considérer que la convention ne présente pas un lien suffisamment étroit avec le service public en précisant qu’elle « a pour seul objet de répondre aux besoins de fonctionnement d’un établissement public local d’enseignement et non pas de confier au cocontractant l’exécution d’un service public dont la région a la charge ». Il confirme ici, conformément aux conclusions du rapporteur public, « la règle constamment réaffirmée […] selon laquelle ne peuvent être assimilés aux contrats portant sur l’exécution même du service public – administratifs par leur objet – ceux qui ont été conclus seulement « pour les besoins du service public » (F. Desportes, préc.). En l’absence de participation effective à la mission de service public relevant de la personne publique, le contrat conclu avec une personne privée pour répondre aux besoins de ce service ne peut donc pas être qualifié d’administratif.

Le Tribunal des conflits confirme ici qu’il convient de retenir une interprétation stricte du critère matériel du service public, quitte à enfermer la notion jurisprudentielle de contrat administratif dans des limites resserrées.

Contrats conclus avec une personne de droit étranger : confirmation de l’application d’un régime impératif de droit public à certains contrats administratifs

Les sentences arbitrales internationales concernant des contrats passés par les personnes publiques françaises avec des personnes de droit étranger impliquent une répartition particulière des compétences entre le juge administratif et le juge judiciaire. Prolongeant sa jurisprudence antérieure, le Tribunal des conflits est venu confirmer que la qualification de contrat administratif pouvait avoir une incidence sur cette répartition (TC, 24 avril 2017, n°4075, Syndicat mixte des aéroports de Charente c/ sociétés Ryanair Limited et Airport Marketing Services Limited ; AJDA 2017, p. 981, note G. Odinet et S. Roussel ; JCP A 2017, act. 359, note N. Chahid-Nouraï et Q. de Kersauson).

Cette décision du Tribunal des conflits fait directement suite à sa jurisprudence INSERM de 2010 (TC, 7 mai 2010, n° 3754, Institut national de la santé et de la recherche médicale c/ Fondation Letten F. Saugstad, rec. p. 580 ; AJDA 2010, p. 1564, étude P. Cassia ; RDI 2010, p. 551, obs. S. Braconnier ; RFDA 2010, p. 959, concl. M. Guyomar, et p. 971, note P. Delvolvé). Dans cet arrêt, le Tribunal des conflits devait déterminer quel était l’ordre de juridiction compétent pour contester une sentence arbitrale rendue dans un litige concernant un contrat passé entre une personne publique française et une personne de droit étranger. Avant que cette décision ne soit rendue, c’est la qualification du contrat du point de vue du droit français qui permettait de déterminer quelle était la juridiction compétente : si ce contrat pouvait être qualifié de contrat administratif, les sentences arbitrales rendues sur son fondement devaient relever de la compétence des juridictions administratives (TC, 16 octobre 2006, n° 3506, Caisse centrale de réassurance c/ Mutuelle des architectes français, rec. p. 639 ; AJDA 2006, p. 2382, chron. C. Landais et F. Lenica ; RFDA 2007, p. 284, concl. J.-H. Stahl et p. 290, note B. Delaunay ; TC, 19 mai 1958, Société Myrtoon Steamship, rec. p. 793). Désormais, le Tribunal des conflits considère que « le recours formé contre une sentence arbitrale rendue en France, sur le fondement d’une convention d’arbitrage, dans un litige né de l’exécution ou de la rupture d’un contrat conclu entre une personne morale de droit public française et une personne de droit étranger, exécuté sur le territoire français, mettant en jeu les intérêts du commerce international, fût-il administratif selon les critères du droit interne français, est porté devant la cour d’appel dans le ressort de laquelle la sentence a été rendue, conformément à l’article 1505 du code de procédure civile, ce recours ne portant pas atteinte au principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires ». En principe, la qualification administrative du contrat n’a donc pas d’incidence sur la compétence juridictionnelle pour connaître des litiges relatifs aux sentences arbitrales.

Néanmoins, dans cette même décision, le Tribunal des conflits est venu nuancer la nouvelle règle de répartition des compétences en précisant « qu’il en va cependant autrement lorsque le recours, dirigé contre une telle sentence intervenue dans les mêmes conditions, implique le contrôle de la conformité de la sentence aux règles impératives du droit public français relatives à l’occupation du domaine public ou à celles qui régissent la commande publique et applicables aux marchés publics, aux contrats de partenariat et aux contrats de délégation de service public ».

Ainsi, lorsque le contrat emporte une occupation du domaine public ou relève du champ d’application de la commande publique, sa qualification comme contrat administratif entraîne la compétence des juridictions administratives pour connaître des sentences arbitrales le concernant (pour une application, voir : TC, 11 avril 2016, n°C4043, Société Fosmax Lng c/société TCM FR, Tecnimont et Saipem ; AJDA 2016, p. 750). La notion de contrat administratif retrouve donc une utilité en matière de sentences arbitrales prononcées à propos de contrats intéressant le commerce international, mais à condition d’être associée à certaines « règles impératives du droit public français ». Cette solution a pu être critiquée parce qu’elle fait appel à des règles – le droit de la propriété des personnes publiques et le droit de la commande publique – qui ne sont pas l’apanage des juridictions administratives et trouvent également à s’appliquer devant les juridictions judiciaires (la note de Pierre Delvolvé sous l’arrêt de 2010 est particulièrement éclairante quant aux limites de la motivation retenue par le Tribunal des conflits). Elle a néanmoins pour mérite d’en assurer le respect, y compris dans le cadre des sentences internationales. L’idée est que, lorsque de telles règles sont en cause, « la sentence arbitrale perd sa complète autonomie pour se trouver rattachée à l’ordre juridique français » (Mattias Guyomar, « Le contentieux des sentences arbitrales en matière administrative », concl. sur  TC, 7 mai 2010, n° 3754, INSERM, préc.).

L’arrêt rendu le 24 avril 2017 confirme cette solution en l’étendant à la question de l’exequatur des sentences internationales. Il considère en effet qu’ « il appartient en principe à la juridiction judiciaire, statuant dans les conditions prévues au titre II du livre IV du code de procédure civile, d’une part, de connaître d’un recours formé contre la sentence si elle a été rendue en France et, d’autre part, de se prononcer sur une demande tendant à ce que la sentence, rendue en France ou à l’étranger, soit revêtue de l’exequatur », tout en précisant que « dans le cas où le contrat à l’origine du litige sur lequel l’arbitre s’est prononcé est soumis aux règles impératives du droit public français relatives à l’occupation du domaine public ou à celles qui régissent la commande publique, le recours contre la sentence rendue en France et la demande d’exequatur relèvent de la compétence de la juridiction administrative ». Or, en l’espèce, la sentence arbitrale concernait des contrats passés par un syndicat mixte et deux sociétés étrangères pour assurer le développement d’une liaison aérienne. Le Tribunal des conflits considère que ces conventions sont constitutives d’un marché public de services relevant des règles impératives de la commande publique, ce qui justifie la compétence de la juridiction administrative pour se prononcer sur l’exequatur de la sentence internationale rendue.

Néanmoins, ce n’est pas la soumission aux règles de la commande publique qui emporte, seule, la compétence de la juridiction administrative. On sait en effet que le droit de la commande publique regroupe à la fois des contrats administratifs et des contrats de droit privé passés par des personnes de la sphère publique. Il est donc nécessaire de vérifier la qualification administrative du contrat pour déterminer si le contentieux et l’exequatur des sentences arbitrales internationales le concernant relèvent ou non de la compétence des juridictions administratives.

La notion de contrat administratif retrouve donc ici une utilité certaine. Il convient d’ailleurs de souligner que, contrairement à la formule retenue en 2010 et 2016 (et reprise en partie dans le commentaire de la décision de 2017 sur le site du Tribunal des conflits http://www.tribunal-conflits.fr/PDF/4075_Commentaire_commentaire_tc_4075.pdf), le juge ne fait pas explicitement référence à l’absence d’incidence de la qualification administrative du contrat selon les critères du droit français ni au fait que la compétence de principe du juge judiciaire ne porterait pas atteinte au principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires. Il est possible de voir dans ce silence une valorisation renouvelée de la notion de contrat administratif en la matière ou – de manière plus réaliste – un simple abandon d’une argumentation critiquable.

Même si elle n’est plus au centre des préoccupations, la notion de contrat administratif continue donc de jouer un rôle certain dans la vie des contrats publics. La répartition des compétences entre les juridictions administratives et les juridictions judiciaires n’étant pas toujours d’une clarté limpide, il y a fort à parier que la prochaine chronique sera à nouveau l’occasion de faire état de décisions construites autour d’elle.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique contrats publics 02 ; Art. 191.

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procédures de passation (marchés publics) (2)

Art. 192.

par Mathias AMILHAT,
Maître de conférences en Droit public – Université de Lille

Procédures de passation (marchés publics) : Des nouveautés jurisprudentielles mais aussi textuelles !

Après l’adoption de l’ordonnance du 23 juillet 2015 et du décret du 25 mars 2016, il était raisonnablement possible de s’attendre à une certaine stabilité des règles applicables s’agissant des procédures de passation des marchés publics. C’était sans compter sur la richesse de cette matière et sur son caractère hautement évolutif : les juridictions administratives ont ainsi apporté un certain nombre de précisions concernant des règles déjà applicables, tandis que le législateur, entendu dans un sens large, n’a pas pu s’empêcher de modifier les textes qui venaient pourtant d’être adoptés.

La loi Sapin 2 : une codification annoncée et des modifications (quasi) immédiates !

Au-delà de la codification du droit de la commande publique prévue sous un délai de 24 mois par son article 38 et de la ratification des ordonnances « marchés publics » et « contrats de concession », la loi Sapin 2 (loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique) modifie certaines dispositions de l’ordonnance du 23 juillet 2015. A l’inverse, l’ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession n’est pas modifiée.

Les changements apportés ne remettent pas en cause l’économie générale l’ordonnance relative aux marchés publics mais ils ne doivent pas être négligés (sur ce sujet, v. également : G. Clamour, « Le volet « commande publique » de la loi « Sapin 2 » », Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 1).  Ils s’appliquent aux marchés publics pour lesquels une consultation a été engagée ou un avis d’appel à la concurrence a été envoyé à la publication postérieurement à la publication de la loi, c’est-à-dire après le 10 décembre 2016. En revanche, ils ne s’appliquent pas aux marchés passés sur le fondement d’un accord-cadre ou dans le cadre d’un système d’acquisition dynamique lorsque la procédure en vue de la passation de cet accord-cadre ou de la mise en place de ce système d’acquisition dynamique a été engagée avant cette date.

Ces changements ont été précisés par le décret n°2017-516 du 10 avril 2017 portant diverses dispositions en matière de commande publique dont certaines dispositions n’entreront en vigueur qu’au 1er juillet 2017.

Parmi les modifications apportées, ce sont tout d’abord les règles applicables en matière d’allotissement et fixées par l’article 32 de l’Ordonnance qui sont concernées. Dans sa version première, cet article permettait aux acheteurs d’autoriser les opérateurs économiques à présenter des offres variables selon le nombre de lots susceptibles d’être obtenus. Cette possibilité disparaît dans la nouvelle version de l’article, lequel précise – a contrario – que « les candidats ne peuvent présenter des offres variables selon le nombre de lots susceptibles d’être obtenus ». Par ailleurs, s’agissant de l’obligation faite aux acheteurs de motiver leur choix lorsqu’ils décident de ne pas allotir un marché public, la nouvelle version de l’article 32 ne renvoie plus aux modalités fixées par voie réglementaire mais précise désormais que ce choix doit être motivé « en énonçant les considérations de droit et de fait qui constituent le fondement » de la décision de l’acheteur. Il n’en demeure pas moins que les dispositions de l’article 12 du décret marchés publics précisant les conditions de cette motivation demeurent applicables.

La Loi Sapin 2 procède également à l’abrogation de l’article 40 de l’Ordonnance du 23 juillet 2015. Cet article prévoyait une évaluation préalable obligatoire et systématique du mode de réalisation du projet pour les marchés publics autres que de défense ou de sécurité portant sur des investissements dont le montant hors taxe était égal ou supérieur à un seuil fixé par voie réglementaire. L’article 24 du décret – abrogé quant à lui par le décret du 10 avril 2017 portant diverses dispositions en matière de commande publique – fixait alors ce seuil à 100 million d’euros HT. Seuls les marchés de partenariat restent concernés par cette évaluation préalable : la loi Sapin 2 modifie l’article 74 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 pour la prévoir sans renvoyer à l’ancien article 40 et sans fixer de seuil. Elle reste accompagnée d’une étude portant sur la soutenabilité budgétaire du contrat. Cette suppression de l’évaluation préalable dans le cadre des marchés publics est supposée faciliter le travail des acheteurs, même si l’on peut douter de sa pertinence du point de vue du principe de protection des deniers publics s’agissant de marchés de montants si importants…

La loi Sapin 2 a aussi entendu alléger les moyens de preuve s’agissant des interdictions de soumissionner en modifiant l’article 45 de l’Ordonnance du 23 juillet 2015. Cet article admet désormais qu’une déclaration sur l’honneur constitue une preuve suffisante s’agissant des interdictions de soumissionner liées à une condamnation pénale (art. 45, 1°), à une méconnaissance des règles relatives au travail illégal (art. 45, 4°, a)) ou à une sanction pénale accessoire tenant à l’exclusion des marchés publics (art. 45, 4°, c). Pour tenir compte de cette évolution, l’article 51 du décret du 25 mars 2016 a été modifié dans le même sens par le décret du 10 avril 2017 : il prévoit désormais qu’une déclaration sur l’honneur constitue un moyen de preuve suffisant dans ces hypothèses, alors qu’un extrait de casier judiciaire était auparavant exigé.

Par ailleurs, la loi du 9 décembre 2016 modifie l’article 52 de l’Ordonnance pour prévoir expressément la possibilité que les marchés publics soient attribués sur la base d’un critère unique dans des conditions fixées par voie réglementaire. Cette précision semble toutefois sans incidence réelle dans la mesure où ce même article prévoyait déjà – et prévoit toujours –  que les marchés sont attribués « aux soumissionnaires qui ont présenté l’offre économiquement la plus avantageuse sur la base d’un ou plusieurs critères objectifs ». De plus cette précision n’a pas eu d’incidence sur la rédaction de l’article 62 du décret du 25 mars 2016, lequel continue de prévoir deux méthodes pour déterminer quelle est l’offre économiquement la plus avantageuse : soit utiliser un critère unique pouvant être le prix ou le coût, soit utiliser une pluralité de critères parmi lesquels doivent figurer le prix ou le coût.

De la même manière, l’article 53 de l’Ordonnance concernant les offres anormalement basses a été modifié pour prévoir une nouvelle obligation à la charge des acheteurs. Il est en effet désormais prévu que ces derniers doivent mettre en œuvre « tous moyens pour détecter les offres anormalement basses » afin de les écarter. Les conséquences pratiques d’une telle modification ne sont toutefois pas connues, d’autant que les dispositions du décret marchés publics n’ont pas été modifiées sur ce point.

Les marchés de partenariat sont également concernés par les modifications apportées au travers de la loi Sapin 2. Ainsi que cela a été souligné, l’article 74 de l’Ordonnance marchés publics a été modifié pour permettre que l’évaluation préalable du mode de réalisation du projet continue de constituer une obligation les concernant. Le décret du 10 avril 2017 est venu modifier l’article 147 du décret marchés publics pour fixer les modalités précises de cette « nouvelle » évaluation préalable. Par ailleurs, l’article 69 de cette Ordonnance a également été modifié pour préciser que lorsque l’acheteur confie tout ou partie de la conception des ouvrages au titulaire du marché de partenariat, « les conditions d’exécution du marché doivent comprendre l’obligation d’identifier une équipe de maîtrise d’œuvre chargée de la conception des ouvrages et du suivi de leur réalisation ». Cet article continue toutefois de prévoir – conformément à sa version initiale – que « Lorsque l’acheteur ne confie au titulaire qu’une partie de la conception de l’ouvrage, il peut lui-même, par dérogation à la définition de la mission de base figurant au quatrième alinéa de l’article 7 de la loi du 12 juillet 1985 susvisée, faire appel à une équipe de maîtrise d’œuvre pour la partie de la conception qu’il assume ». Enfin, la loi Sapin 2 a modifié l’article 89 de l’Ordonnance concernant l’indemnisation du titulaire en cas du marché de partenariat en cas d’annulation, de résolution ou de résiliation du contrat par le juge. Cette indemnisation n’est désormais possible que lorsque la fin du contrat fait suite au recours d’un tiers, ce qui l’exclut dans le cadre des litiges entre les parties au contrat. De plus, l’indemnisation des frais lié au financement mis en place dans le cadre de l’exécution du contrat n’est plus subordonnée « à la mention, dans les annexes du marché de partenariat, des clauses liant le titulaire aux établissements bancaires » mais à celle « des principales caractéristiques des financements à mettre en place pour les besoins de l’exécution du marché », ce qui semble permettre de couvrir plus facilement un nombre plus important d’hypothèses.

Enfin, la loi Sapin 2 et le décret du 10 avril 2017 ont apporté des modifications concernant la passation et l’exécution des marchés publics conclus par les offices publics de l’habitat. Premièrement, afin de leur offrir davantage de souplesse dans l’exécution de leurs marchés publics, la loi Sapin 2 a modifié l’article 59 de l’Ordonnance marchés publics. Les offices publics de l’habitat ne sont désormais plus soumis à l’obligation de procéder à des « versements à titre d’avances, d’acomptes, de règlements partiels définitifs ou de solde en application » conformément aux dispositions des articles 110 à 131 du Décret marchés publics. De ce point de vue, les offices publics de l’habitat sont désormais assimilés aux acheteurs autres que l’Etat, ses établissements publics autres que ceux ayant un caractère industriel et commercial, les collectivités territoriales et les établissements publics locaux. D’ailleurs, le décret du 10 avril 2017 est venu modifier l’article 2 du décret marchés publics pour tenir compte de ce changement. Comme tous les « autres acheteurs », ils ont toutefois la possibilité de verser des avances dans le cadre de leurs marchés publics (art. 59, II) et ils ont l’obligation d’accorder des acomptes pour les prestations qui ont donné lieu à un commencement d’exécution (art. 59, III). En revanche, la loi Sapin 2 ne modifie pas l’article 60 de l’Ordonnance, ce qui signifie que l’interdiction d’insérer une clause de paiement différé s’applique toujours aux offices publics de l’habitat. Deuxièmement, afin de simplifier la passation des marchés publics des offices publics de l’habitat, la loi Sapin 2 a modifié l’article L. 1414-2 du code général des collectivités territoriales. Ces offices ne sont plus soumis aux mêmes obligations que les collectivités territoriales en ce qui concerne la commission d’appel d’offres chargée intervenant dans le choix du titulaire du marché public. Le code prévoit désormais que c’est un décret en Conseil d’Etat qui doit fixer la composition, les modalités de fonctionnement et les pouvoirs de la commission d’appel d’offres pour les marchés publics des offices publics de l’habitat. C’est donc sur ce fondement que l’article 27 du décret du 10 avril 2017 est venu modifier les articles R. 433-1 à R. 433-3 du code de la construction et de l’habitation.

Les modifications apportées sont donc nombreuses et il est certain que la codification future permettra d’en apporter de nouvelles. Il faut toutefois espérer que celles-ci ne seront pas trop nombreuses et iront toujours dans le sens d’une réelle clarification !

Chronique (choisie) de la jurisprudence marquante concernant les procédures de passation des marchés publics

La jurisprudence – française et européenne – concernant les procédures de passation des marchés publics est particulièrement riche mais, parmi les décisions rendues, certaines méritent une attention particulière en raison de leur caractère novateur. Ces décisions ont été regroupées par thèmes afin d’en faciliter la lecture.

Il convient par ailleurs, et au préalable, de préciser que le Conseil d’Etat a validé un certain nombre de dispositions du décret marchés publics dans un arrêt rendu le 17 mars 2017 (CE, 17 mars 2017, n°403768, Ordre des avocats au barreau de Paris ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 123, note P. Devillers). Il a notamment validé le régime spécifique de passation des marchés de service juridique et la possibilité de passer des marchés négociés sans publicité ni mise en concurrence pour les marchés d’un montant inférieur à 25000€ HT.

  • Calcul des délais de réception des candidatures

La Direction des affaires juridiques a publié le 17 janvier 2017 une fiche relative à la présentation des candidatures (v. « Fiche Présentation des candidatures », Contrats-Marchés publ. 2017, alerte 10, veille F. Linditch). Dans le cadre des procédures formalisées comme des procédures adaptées, les délais de remise des candidatures doivent être calculés « de la manière suivante :

  • le premier jour du délai est le lendemain du jour de l’envoi de l’avis de publicité ;
  • le délai prend fin à l’expiration de la dernière heure du jour de son échéance ;
  • le calcul se fait en jours calendaires en comptant les jours fériés, les samedis et les dimanches ;
  • lorsque le dernier jour du délai tombe un samedi, un dimanche ou un jour férié, il convient de fixer la date de remise le premier jour ouvrable suivant ».
  • Sélection des candidatures

S’agissant des candidatures de groupements d’entreprises, l’article 45, IV du décret du 25 mars 2016 pose le principe selon lequel la composition du groupement ne peut pas être modifiée entre la date de remise des candidatures et la date de signature du marché public. Il est néanmoins précisé que « si le groupement apporte la preuve qu’un de ses membres se trouve dans l’impossibilité d’accomplir sa tâche pour des raisons qui ne sont pas de son fait, il peut demander à l’acheteur l’autorisation de continuer à participer à la procédure de passation en proposant, le cas échéant, à l’acceptation de l’acheteur, un ou plusieurs nouveaux membres du groupement, sous-traitants ou entreprises liées ».

Se prononçant en application du code des marchés publics – lequel contenait des dispositions identiques – la Cour administrative d’appel de Douai a eu connaître de la situation d’une entreprise membre d’un groupement candidat à un marché public qui s’est retirée de ce groupement en raison d’un conflit d’intérêts (CAA Douai, 1er déc. 2016, n° 14DA01892, Sté SEGEX ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 40, note M. Ubaud-Bergeron). Parallèlement à cette procédure de passation, cette même entreprise avait participé et était désignée attributaire d’un marché public d’assistance à maîtrise d’ouvrage auprès du même pouvoir adjudicateur. Dans ces conditions, la Cour considère que le conflit d’intérêts ne permet pas au pouvoir adjudicateur de valider la modification du groupement car les raisons invoquées ne peuvent pas être considérées comme n’étant « pas de son fait ». La Cour considère donc que le groupement d’entreprise a pris « un risque » qu’il lui revient d’assumer et qui justifie que sa candidature soit écartée.

  • Interdictions de soumissionner

La Cour de justice de l’Union européenne est venue préciser quelle est la marge de manœuvre dont disposent les Etats membres s’agissant des interdictions de soumissionner facultatives. Les textes européens les distinguent en effet des interdictions de soumissionner obligatoires qui sont d’application stricte.

S’agissant des interdictions de soumissionner facultatives, les Etats sont libres de les intégrer ou non dans leurs réglementations. La Cour précise à ce sujet que la réglementation nationale peut prévoir qu’il revient au pouvoir adjudicateur de déterminer au cas par cas s’il convient de mettre en œuvre l’interdiction de soumissionner conformément au principe de proportionnalité. Il en va toutefois autrement si le pouvoir adjudicateur a prévu dans le règlement de consultation du marché qu’une exclusion automatique s’appliquerait : dans ce cas il est tenu d’appliquer les règles qu’il s’est lui-même fixées (CJUE, 14 déc. 2016, aff. C-171/15, Connexion Taxi Services BV c/ Staat der Nederlanden ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 39, note M. Ubaud-Bergeron).

  • Choix de l’offre

Le Conseil d’Etat valide l’utilisation de la méthode du « chantier masqué » sans que les acheteurs n’aient à informer les candidats du recours à cette méthode dans les documents de la consultation (CE, 16 nov. 2016, n° 401660, Sté des Travaux électriques du midi (TEM) ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 5, note M. Ubaud-Bergeron ; AJDA 2017, p. 537, note J.-F. Calmette).

Il précise par ailleurs que l’acheteur « ne manque pas non plus à ses obligations de mise en concurrence en élaborant plusieurs commandes fictives et en tirant au sort, avant l’ouverture des plis, celle à partir de laquelle le critère du prix sera évalué, à la triple condition que les simulations correspondent toutes à l’objet du marché, que le choix du contenu de la simulation n’ait pas pour effet d’en privilégier un aspect particulier de telle sorte que le critère du prix s’en trouverait dénaturé et que le montant des offres proposées par chaque candidat soit reconstitué en recourant à la même simulation ».

  • Examen des offres : offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées

Le sort des offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées est désormais fixé par l’article 59 du décret du 25 mars 2016 sur les marchés publics. Ayant à se prononcer à propos d’un marché public passé en application de l’ « ancien » code, le Conseil d’Etat est venu préciser qu’une offre méconnaissant la législation sur le prix des livres devait être considérée comme inacceptable au sens de l’article 35 de ce code (CE, 28 sept. 2016, n° 400393, Sté Bibliotéca : JurisData n° 2016-020366 ; Contrats-Marchés publ. 2016, comm. 278, note M. Ubaud-Bergeron). Une telle offre serait considérée comme une offre irrégulière en application de la nouvelle réglementation. Elle aurait néanmoins une chance de ne pas être automatiquement éliminée dans la mesure où les nouveaux textes facilitent la régularisation des offres lorsqu’elles ne sont pas inacceptables.

Se prononçant également dans le cadre du code des marchés publics, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a considéré que, lorsque les documents de la consultation prévoyaient une solution de base en interdisant toute variante, une offre présentant une telle variante doit être considérée comme irrégulière même si la solution de base était irréalisable (CAA Bordeaux, 15 nov. 2016, n° 15BX00190, Dpt Pyrénées Atlantique c/ Sté Nouvelle Paybou ;Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 10).

Cette même Cour est venue préciser les obligations qui pèsent sur une entreprise placée en redressement judiciaire. Elle considère qu’une telle entreprise est tenue de joindre à son offre la copie du jugement arrêtant le plan de redressement et doit indiquer quelle est sa situation dans la déclaration de candidature. Ainsi, le fait d’indiquer dans sa déclaration de candidature qu’elle n’est pas placée en redressement rend son offre irrégulière : elle est alors dépourvue de toute chance d’obtenir le marché et ne peut pas prétendre à une quelconque indemnité (CAA Bordeaux, 1er déc. 2016, n° 14BX01718, Sté entreprise de bâtiment Dus ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 42, obs. H. Hoepffner). La nouvelle réglementation reprend les dispositions du code sur ce point et cette solution devrait donc être reprise par la suite.

  • Sous-traitance

Le Conseil d’Etat est venu préciser sous quelles conditions il est possible de de réduire le droit au paiement direct des sous-traitants (CE, 27 janvier 2017, n° 397311, Sté Baudin Châteauneuf Dervaux ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 88, note M. Ubaud-Bergeron). La question posée ici était de savoir si, dans le cadre d’un marché public de travaux, le maître d’ouvrage et l’entrepreneur peuvent conclure un acte spécial modificatif réduisant le montant du droit au paiement direct du sous-traitant.

Le Conseil d’Etat y apporte une réponse claire en précisant « qu’en l’absence de modification des stipulations du contrat de sous-traitance relatives au volume des prestations du marché dont le sous-traitant assure l’exécution ou à leur montant, le maître de l’ouvrage et l’entrepreneur principal ne peuvent, par un acte spécial modificatif, réduire le droit au paiement direct du sous-traitant dans le but de tenir compte des conditions dans lesquelles les prestations sous-traitées ont été exécutées ». Il apparaît ainsi que l’acte spécial de sous-traitance ne peut pas être modifié sans que le contrat de sous-traitance ne le soit également. Or, si le sous-traitant est un tiers à l’égard de l’acte spécial de sous-traitance, il est cocontractant dans le cadre du contrat signé avec l’entrepreneur principal.

En dépit des innovations textuelles, la jurisprudence continue donc d’être une source non-négligeable du droit des marchés publics, notamment pour les procédures de passation.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique contrats publics 02 ; Art. 192.

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procédures de passation (concession) (2)

Art. 193.

par Mathias AMILHAT,
Maître de conférences en Droit public – Université de Lille

Procédures de passation (concession) : Une stabilité textuelle et (quelques) nouveautés jurisprudentielles

La loi Sapin 2 ne modifie pas l’Ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession. L’actualité jurisprudentielle permet toutefois de noter quelques évolutions ou précisions concernant les procédures de passation de ces contrats.

  • Sous-traitance

La Cour de justice de l’Union européenne a précisé sous quelles conditions il pouvait être possible de limiter le recours à la sous-traitance dans le cadre des concessions de transport. En principe, elle considère comme que les limitations du recours à la sous-traitance sont illégales dans le cadre des marchés publics comme des concessions (CJUE, 10 oct. 2013, aff. C-94/12, Swn Costruzioni de Mannochi Luigino, pt 31 ; CJUE, 14 juill. 2016, aff. C-406/14, Wroclaw-Miasto Na Prawach Powiatu ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 13, obs. F. Llorens). Il n’en va autrement que lorsque les sous-traitants sont chargés de réaliser des parties essentielles du marché ou de la concession sans que le pouvoir adjudicateur n’ait pu vérifier leurs capacités au moment de la sélection des candidatures ou des offres (CJCE, 18 mars 2004, aff. C-314/01, Siemens AG Ostereich, ARGE Telekom et Partner : Contrats-Marchés publ. 2004, comm. 85, note Ph. Delelis).

La Cour de justice a néanmoins admis une autre exception limitée aux concessions de transports, en application de l’article 4 du règlement n° 1370/2007 du 23 octobre 2007 relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route (CJUE, 27 oct. 2016, aff. C-292/15, Hörmann Reisen Gmbh ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 6, note M. Ubaud-Bergeron). Ce texte prévoit en effet que l’opérateur « est tenu d’exécuter lui-même une partie importante du service public de transport de voyageurs ». Ces solutions ont été dégagées en application de l’ancienne réglementation mais les directives de 2014 ne devraient pas les remettre en cause.

  • Dérogation possible aux règles de publicité et de mise en concurrence en cas de mise en régie

L’arrêt Société de manutention portuaire d’Aquitaine et Grand port maritime de Bordeaux ne se contente pas d’opérer la réception de la notion de concession de services (v. supra les développements dans la partie de la chronique consacrée aux notions du droit de la commande publique), il précise également les conditions dans lesquelles une mise en régie peut être effectuée sans avoir à respecter une procédure de publicité et de mise en concurrence (CE, 14 février 2017, n° 405157 ; AJDA 2017, p. 326 ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 99 et 100, notes G. Eckert).

Après avoir indiqué que la mise en régie d’un contrat en cas de manquement du cocontractant initial « résulte des règles générales applicables aux contrats administratifs », le Conseil d’Etat considère qu’ « qu’en cas d’urgence résultant de l’impossibilité dans laquelle se trouve la personne publique, indépendamment de sa volonté, de continuer à faire assurer le service par son cocontractant ou de l’assurer elle-même, elle peut, lorsque l’exige un motif d’intérêt général tenant à la continuité du service, conclure, à titre provisoire, un nouveau contrat de concession de services sans respecter au préalable les règles de publicité prescrites ; que la durée de ce contrat ne saurait excéder celle requise pour mettre en œuvre une procédure de publicité et de mise en concurrence, si la personne publique entend poursuivre l’exécution de la concession de services ou, au cas contraire, lorsqu’elle a la faculté de le faire, pour organiser les conditions de sa reprise en régie ou pour en redéfinir la consistance ».

Les règles de publicité et de mise en concurrence cèdent ainsi – de manière toute relative – le pas devant le but d’intérêt général que constitue la nécessité d’assurer la continuité du service lorsque l’urgence le justifie.

La jurisprudence permet donc d’éclairer les règles applicables aux procédures de passation des contrats de concession. La mise en œuvre des règles consacrées par l’Ordonnance de 2016 reste sujette à de nombreuses interrogations ; les juridictions administratives devraient donc être amenées à les préciser dans les mois à venir.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique contrats publics 02 ; Art. 193.

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Questionnaire de Mme Crouzatier-Durand (32/50)

Florence Crouzatier-Durand
Maître de conférences à l’Université Toulouse I Capitole

Art. 171.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Comme l’a souligné Prosper Weil, si nous sommes aujourd’hui accoutumés à voir l’Etat soumis au contrôle juridictionnel, nous en oublions parfois que l’existence même d’un droit administratif relève du miracle, l’Etat lui-même acceptant de se considérer comme lié par le droit. Le droit administratif découle précisément de ce miracle et peut être défini comme l’ensemble des droits et obligations de l’Administration. Autrement dit, le droit administratif est le droit de l’action publique, laquelle se caractérise toujours par l’intérêt général. Une action publique visant à satisfaire les besoins essentiels de la population par l’existence de services publics et s’attachant au maintien de l’ordre public dans le respect des libertés fondamentales. Le droit administratif est, pour ces raisons, au cœur des questions de société relatives tant aux rapports entre le pouvoir et le citoyen, qu’à la conception des libertés publiques, leur mise en œuvre et leurs limites, ou encore aux questions de responsabilité.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Si le droit administratif d’hier était un droit presque exclusivement jurisprudentiel, celui de demain serait davantage un droit émanant du législateur et des instances juridictionnelles internationales. Pour autant, le rôle fondamental du juge administratif français demeure et sa mission de contrôle du principe de légalité est constante. L’évolution du droit administratif relève de l’effet du temps sur le droit et de l’adaptation de celui-ci aux évolutions de la société. Car le droit administratif, dans son essence même, demeure au cœur de la vie de tout citoyen, de tout administré ; hier, aujourd’hui et demain. Ainsi en témoigne la vie d’Agnès, qui lorsqu’elle était petite fille fut renversée par le wagonnet d’une manufacture des tabacs et dont l’enfance est par la suite celle de tous les enfants de la commune de Néris-les-Bains où ses parents ont déménagé. Lorsqu’ils périssent dans un bombardement pendant la 1ère guerre mondiale, elle est recueillie par ses oncles : d’abord, le Sieur Heyriès, longtemps dessinateur de 2ème classe du génie avant d’être révoqué, et ensuite elle a pu étudier auprès de son oncle René Benjamin, conférencier contesté. Auprès de tous deux, elle apprit la chance de vivre dans un état de droit, l’incitant à poursuivre ses études dans une faculté de droit, où elle comprit le rôle du juge administratif. Elle aime lire, familière de la librairie Maspero, elle aime aller au cinéma où elle vit Le feu dans la peau, elle déteste cependant les spectacles de lancer de nain organisé dans la commune de Morsang-sur-Orge. Elle a payé ses études en travaillant en tant que contractuelle dans un kiosque à journaux, avec une amie de son oncle la Dame Trompier-Gravier, et pour la société du Journal l’Aurore. Elle passe finalement un concours pour travailler dans des organismes d’assurance telles que la Caisse primaire Aide et protection ou encore la Caisse de Meurthe-et-Moselle. Blessée par la chute d’un bloc de granit porphyroïde des Vosges, elle prend sa retraite anticipée au cours de laquelle elle participe activement à des actions caritatives, dans l’accueil des réfugiés avec Monsieur Bertin, bénévole pour le GISTI, mais également dans des associations d’aide aux détenus. C’est là qu’elle rencontre son âme sœur Pascal Marie, incarcéré à la prison de Fleury-Mérogis, très ami avec Philippe Hardouin, ancien timonier sur un navire de guerre. Dès sa sortie de prison, elle déménage dans une petite maison à proximité de l’allée des Alyscamps en Arles où elle vit des jours heureux jusqu’à sa mort. Ses dernières volontés furent respectées par les autorités municipales funéraires puisqu’elle est enterrée aux côtés de son amie de toujours, Madame Duvignères.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

Le droit administratif français se caractérise par l’équilibre institué entre les notions de puissance publique et de service public. Si l’école du service public a fait du service public la notion centrale du droit administratif et du droit public, cette école de pensée a fait l’objet de nombreuses critiques. L’école de la puissance publique a proposé une vision différente, elle a notamment relativisé la place du service public. Pour Hauriou, la puissance de l’Etat constitue la pierre angulaire du droit public. Il convient néanmoins de reconnaître que la puissance publique vise la satisfaction de l’intérêt général, qui demeure la raison d’être de l’ensemble des services publics.

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

L’intérêt général est à la fois un moteur et un critère du droit administratif. Comme l’a souligné le Conseil d’Etat lui-même dans le rapport public consacré à cette question en 1999, « L’intérêt général se situe, depuis plus de deux cents ans, au cœur de la pensée politique et juridique française, en tant que finalité ultime de l’action publique ». L’intérêt général occupe une place centrale dans l’ensemble du droit public tel qu’il est mis en œuvre par les pouvoirs législatif et réglementaire, mais aussi par le Conseil d’Etat et par le Conseil constitutionnel ; il est incontestablement la pierre angulaire du droit administratif.

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

Ce droit est mis en œuvre quotidiennement, sur l’ensemble du territoire, pour l’ensemble des citoyens et par eux ; cette seule prise de conscience pourrait et devrait permettre au droit administratif d’être à la portée de tout le monde. Au-delà, la gratuité des procédures, la facilité d’accès au juge administratif, l’amélioration de la lisibilité et de la visibilité des textes, sont d’autres aspects d’un droit administratif susceptible d’être à la portée de tous.

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Non, bien que l’influence d’autres droits soit une réalité.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Non, le législateur a largement investi le champ du droit administratif comme l’illustre le Code des relations entre le public et l’administration entré en vigueur le 1er janvier 2016.

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

  • Prosper Weil pour sa démonstration si juste selon laquelle le droit administratif relève du miracle.
  • René Chapus pour son précis si précieux pour l’étudiante que je fus.
  • Jean-Pierre Théron, mon maître, et à ce titre le plus important de ces « pères ».

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

  • L’arrêt « Blanco » pour avoir admis la responsabilité de l’Etat selon des règles propres et devant un juge spécial.
  • L’arrêt « Commune de Morsang-sur-Orge » pour avoir complété et précisé la notion d’ordre public.
  • L’arrêt « Ternon » pour avoir repensé les conditions du retrait d’un acte administratif unilatéral créateur de droit.

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

La Constitution et son préambule entretiennent avec le droit administratif des liens particuliers, étroits et très importants. En 1954, le Doyen Vedel avait présenté les bases constitutionnelles du droit administratif, cinquante ans plus tard la reconnaissance de la question prioritaire de constitutionnalité a confirmé ce mouvement.

La loi, source fondamentale et incontestée de la légalité administrative.

La circulaire parce qu’elle établit le lien entre le politique et l’administratif ; elle est le document qui informe sur les orientations politiques, les activités de service public, les actions administratives ou encore le comportement des agents publics.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Le chat agile et souple, doué d’un grand sens de l’équilibre.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Le Petit Prince, intemporel.

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Maman, l’araignée de Louise Bourgeois, expression de la protection maternelle et, de manière quelque peu ambivalente, de la force et de la puissance supérieure et dominatrice.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 171.

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Questionnaire de Me Lantero (31/50)

Caroline Lantero
Avocate
Maître de conférences à l’Université d’Auvergne

Art. 170.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

L’auto-régulation d’une administration qui ne peut – par essence –  pas mal faire, et accepte de se soumettre à son (propre) droit.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Non, même s’il est difficile de ne pas voir le droit de l’UE et de la CEDH comme des catalyseurs d’évolution.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

  • Le fait même qu’il existe en tant que droit (privilégié) de l’administration ;
  •  Sa juridiction

#LexistencePrécèdeLessence

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

L’intérêt général : notion indéfinissable mais belle vitrine à défaut d’en être toujours le moteur, pour ne pas dire le critère

#PointRivero

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

Lorsque les spécialistes sortent de leur zone de confort (amphi, prétoire, revues), diffusent et échangent sur des supports originaux #Twitter #Blogs

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Globalisé par la multiplication/stratification des sources ? Un peu. Par l’ « anglo-saxonnisation » des procédures ? Pas encore.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Oui, mais la loi est trop bavarde et le juge sur-réagit parfois pour dire quand même quelque chose #PointPortalis

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

Il est tellement impossible de trancher que le contentieux administratif l’emportera ici sur le droit administratif : Edouard Laferrière.

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

  • Une seule (pour l’emphase) : Benjamin 1933, malmenée depuis (Soupe aux cochons, Morsang, Dieudonné) et retrouvée en 2016 (Burkini).

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

  • La loi des 16 et 24 août 1790
  • La Constitution
  • La CEDH

#ChronologieNestPasHiérarchie

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

(…)

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

(…)

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

(…)

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 170.

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Questionnaire du Pr. Iannello (30/50)

Carlo Iannello
Professeur à l’Université de la Campania (Naples)
Directeur adjoint du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public

Art. 169.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Le droit administratif est le droit qui pose les normes fondamentales de l’organisation administrative et de l’exercice de la fonction publique, qui règle les tâches administratives et établit ses contenus, dans le but de garantir les intérêts publics. Si ce droit se présente comme un droit de la puissance publique, il faut lui reconnaitre une fonction « révolutionnaire », parce que dès que ce droit a réglé la puissance qui se prétendait souveraine, il l’a transformée en une autre chose. La puissance publique est en effet ainsi devenue contrôlable par les administrés à travers le paramètre même de l’intérêt public indiqué par la loi.

Le droit administratif est donc le droit qui a transformé un pouvoir autoritaire en un pouvoir rationnel et libéral-démocratique, qui trouve ses limites dans les droits et les libertés des citoyens. Le droit administratif est, donc, en même temps, le droit du pouvoir et le droit de la protection des droits et des libertés des citoyens. Un droit qui a dans son code génétique une fonction aussi complexe qu’essentielle pour une société libérale et démocratique : la conciliation entre l’autorité et les libertés des citoyens.

2 – Qu’est-ce qui fait la singularité du droit administratif de votre pays ?

Le droit administratif italien a été beaucoup influencé par le droit administratif français. Il a donc suivi cette tradition, du dualisme juridictionnel au rôle reconnu au juge administratif dans l’élaboration des principes généraux, à la centralisation de l’administration étatique.

Cependant, il s’est souvent éloigné de cette tradition, et l’action publique a perdu sa cohérence centralisatrice déjà pendant la période libérale, en devenant de plus en plus pluraliste, dans le cadre d’une société fragmentée qui n’a presque jamais permis à l’Etat (à part l’exception des première 15 années après l’unité) de ressembler à la construction doctrinale des maitres du droit public du siècle XIX, moins que jamais pendant la période fasciste. Le fascisme, loin de rétablir la cohérence et la rationalité du pouvoir étatique, a fini pour l’affaiblir ultérieurement, en substituant l’Etat avec le parti fasciste (une association de droit privé) et la chambre représentative avec la « Camera dei fasci e delle corporazioni », donc avec un chambre corporatiste, où s’exprimaient les intérêts particuliers. Rien de plus loin de l’idée de représentation de la Nation.

Le pluralisme structurel de la société italienne c’est manifesté également dans le cadre de l’Assemblé Constituante, qui a réalisé un Etat sociale et fortement pluraliste, perméables aux intérêts sociaux et, ce qui plus est, a donné à la république une organisation régionale.

Cela a contribué à caractériser ce droit comme un droit non étatique et multi niveau, même avant l’irruption du droit européen et du droit de la globalisation. Ce qui a continué également à accentuer le processus de fragmentation de l’action publique, qui a ainsi perdu toute trace de son initiale cohérence centraliste. L’élargissement des pouvoirs locaux avec la réforme du titre V de la Constitution a ultérieurement accentué ce trait. La constitutionnalisation du principe de subsidiarité, enfin, dont la portée juridique est très controversée, a associé le citoyen à l’administration dans l’accomplissement des tâches d’intérêt général. L’art. 118, dernier alinéa de la Constitution, introduit en 2001, a attribué aux citoyens, individuellement ou en tant que membres d’une association, le droit d’agir pour « l’exercice de toute activité d’intérêt général, sur la base du principe de subsidiarité ».

3 – Peut-on le caractériser par un critère ou une notion juridique ?

Par la façon dont est né le juge administratif en Italie, le droit administratif s’est formé autour de la notion « d’intérêt légitime ». L’Etat unitaire avait adopté en 1865 un modèle moniste, en reconnaissant seulement au juge judiciaire la fonction de protéger les « droits civils et politiques » des citoyens. Cependant le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation à partir de 1877 (quand elle devint juge de la juridiction) rendaient impossible les actions contentieuses contre les actes qui étaient considérés comme des manifestations de la puissance publique (par exemple, contre un acte d’expropriation le particulier n’avait pas de protection judicaire). La protection offerte aux particuliers était donc limitée aux seuls actes de gestion de l’administration.

Le juge administratif n’a alors été matérialisé que plus de trente ans après, en 1889, pour combler ce vide intolérable de protection des « intérêts » des administrés qui n’étaient pas protégés par le juge judicaire. C’est pour cette raison que dans le droit administratif italien l’ « intérêt légitime » a occupé une place centrale.

Cette notion est devenue le critère de répartition de la compétence entre juges administratif et judicaire, qui protège les « droits ». Cette notion « d’intérêt légitime », qui a été développée par la jurisprudence (administrative et de la Cour de Cassation, en tant que juge des juridictions). Enfin, cette notion a reçu une consécration constitutionnelle en 1948, par les articles 24, 103 et 113 de la Constitution. Il s’agit d’une situation juridique qui a la même force que le droit subjectif.

Pour autant, donner une définition, précise et synthétique, de cet « intérêt légitime » est très difficile. Il s’agit d’une situation juridique dont jouissent les particuliers à l’égard de l’administration publique qui agit en force des prérogatives spéciales et, en concret, il est représenté par tout ce qui s’interpose entre le pouvoir (et l’acte) de l’administration et les intérêts substantiels de l’administré. C’est justement cet exercice concret du pouvoir administratif, qui interfère avec les intérêts des particuliers, qui transforme leurs intérêts substantiels dans des « intérêts légitimes ». Cette situation juridique permet à l’administré de conditionner l’action administrative et, qui plus est, de recourir au juge pour obtenir l’annulation d’un acte admiratif qui lui concerne directement.

L’importance de cette notion, en tant que critère de répartition de la juridiction, a diminué au cours des dernières années, à cause d’une récente tendance d’élargir la juridiction administrative, dans certains domaines, à la fois aux droits et aux intérêts, mais elle n’a pas perdu son importance et caractérise encore aujourd’hui notre droit administratif.

4 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) les « pères » les plus importants de ce droit administratif ?

  • Si l’on parle du droit administratif italien on doit nommer tout d’abord Vittorio Emanuele Orlando (1860-1952) et son école de droit public, qui a eu la mérite de fonder la science du droit administratif et de contribuer à l’édification de l’Etat italien et de son administration vouée à l’intérêt général (ou à la réalisation de l’intérêt public, pour le dire à l’italienne), avec un engagement non seulement sur le plan scientifique (auteur, entre autre, du Primo trattato completo di diritto amministrativo), mais aussi politique (il a été, entre outre, chef du gouvernement).
  • Cependant, cette œuvre de construction de la doctrine publiciste n’aurait pas été possible sans celle de Silvio Spaventa (1822-1893). Il n’est pas proprement un auteur, car il a surtout été un politicien libéral engagé dans la bataille pour l’unification italienne. Mais la trace de ses batailles, politiques et juridiques au même temps, est encore présente dans l’ordre juridique italien. Bien que Silvio Spaventa soit normalement cité dans tous les manuels de droit administratif, son œuvre est anormalement sous-évalué en Italie. Silvio Spaventa, pourtant, a posé les bases de deux piliers du droit administratif italien. Il s’est battu pour la création de la IVe section du conseil d’Etat en formation juridictionnelle (dont il a été le premier Président, lors de son institution en 1889). Une loi de 1865 avait effectivement supprimé le contentieux administratif et gardé la seule juridiction du juge judicaire. Pour garantir la justice dans l’administration et la protection des citoyens contre les abus des administrations, Spaventa a conduit une importante bataille politique (les manuels de droit administratif rappellent son discours concernant La giustizia nell’amministrazione prononcé en 1880 à l’assemblée constitutionnelle de Bergamo, publié dans la Gazzetta provinciale di Bergamo, dans lequel il a affirmé une idée moderne et très actuelle de justice « dans » l’administration : « la libertà oggi deve cercarsi non tanto nella costituzione e nelle leggi politiche, quanto nell’amministrazione e nelle leggi amministrative»). La réalisation de la IVe section du Conseil d’Etat en fonction juridictionnelle, et donc de la juridiction administrative italienne elle-même, est bien ainsi l’œuvre de Spaventa. En outre, on doit rappeler sa bataille pour la nationalisation des chemins de fer, souvent oubliée, conduite dans le siège du gouvernement d’Italie en tant que ministre des travaux publics entre le 1874 et le 1876. Bataille qui fut la cause de la chute du gouvernement libéral qui avait réalisé l’unification italienne. Dans les rapports, écrits par lui-même et présentés par le Gouvernement au Parlement en mars 1876 (« Lo Stato e le ferrovie » & « Sul riscatto ed esercizio delle ferrovie italiane »), à l’occasion de la discussion concernant la nationalisation des chemins de fer, Spaventa a affirmé l’idée de service public en Italie et la responsabilité de l’Etat dans la fourniture de ces services. En particulier, il a soutenu la nécessité de la réserve étatique des activités d’entreprise, comme celle des chemins de fers, indispensables pour la satisfaction des intérêts sociaux des citoyens ; il a énoncé, dans ses écrits et dans ses discours, les lois du service public, comme l’égalité, la continuité, l’adaptation aux besoins de l’usager. Bien qu’il ait perdu cette bataille sur le plan politique, ces idées se sont affirmées sur le plan juridique au cours des décennies suivants et elles démurent vivantes sur le plan culturel, encore plus actuelles aujourd’hui, dans une période caractérisée par la généralisation de l’économie de marché qui est en train de provoquer une profonde révision de l’idée étatique en tant qu’institution sociale consacrée à l’actuation des intérêt sociaux.
  • Bien que l’ouvre de Santi Romano (1875 – 1947), avec sa théorie institutionnelle et de la pluralité des ordres juridiques ait eu un gros succès sur le plan non seulement italien mais européen, et qu’elle soit aujourd’hui, dans un monde globalisé, encore plus actuelle qu’avant, le juriste qui est réussi à émanciper la culture juridique italienne du positivisme juridique et de son corollaire, c’est-à-dire le formalisme, a été sans aucun doute son élève Massimo Severo Giannini (1915-2000). Il a relié le droit aux facteurs historiques et sociales, soutenant que dans l’interprétation des normes il ne faut pas utiliser seulement les donnés de droit positif, mais il faut également donner espace à le réalité, à la vie, aux aspect sociaux. Cela a permis de reconsidérer la science même du droit administratif, non plus entendue comme une doctrine formaliste qui s’occupe exclusivement de l’acte administrative et de sa théorie (réduite, comme l’a écrit Alessandro Pajno, actuel Président du Conseil d’Etat, à une « technologie de l’acte administratif»), mais comme une science qui sert à comprendre et à garantir le développement de la société. Il a donc contribué à expliquer la transformation de l’Etat, devenu pluraliste et social, non plus en termes de puissance et de personne juridique. Il a ainsi connecté les études juridiques à la sociologie et à la politologie (comme observé par Sabino Cassese, le plus grand juriste italien contemporain, dont Giannini a été l’élève). Ses ouvres (notamment celles concernant l’interprétation de l’acte administratif et le pouvoir discrétionnaire) ont poussé l’administration et les juges à occuper une place de plus en plus importante dans la vie de l’ordre juridique et de se faire interprètes des intérêts sociaux émergeants au sein de la société, intérêts auxquels le législateur ne réussît pas à répondre. Il comprit que la notion d’intérêt public, cristallisé dans la loi, n’était pas capable de représenter une convenable limitation de l’action de l’administration, car les intérêts publics sont plusieurs et ils sont normalement en conflit entre eux. L’essence du pouvoir discrétionnaire de l’administration publique était donc, d’après Giannini, celle de concilier ces intérêts entre eux et avec les intérêts des particuliers. En autre, Massimo Severo Gannini a été un théorique du pluralisme du droit administratif. En tant que président de la commission qui a eu la tâche de préparer les décrets pour l’actuation du transfert des compétences aux régions, il a guidé ce processus d’actuation du régionalisme italien, qui a posé les bases d’un droit administratif non plus exclusivement étatique.

5 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) les normes les plus importantes de ce droit administratif ?

La loi sur la procédure administrative de 1990 et la loi de réforme du procès administratif de 2010 assument une importance centrale parmi les sources de droit administratif.

La première loi a été approuvée à la suite d’un important débat doctrinale concernant la nécessité de régler la procédure administrative, qui n’avait jamais eu une réglementation organique, et qui se fondait surtout sur les principes élaborés par le juge administratif.

La loi n. 241 de 1990 est née des travaux d’une commission gouvernementale dont le président a été un des pères du droit administratif, Mario Nigro, qui avait compris que l’élargissement des tâches administratives et du pouvoir discrétionnaire de l’administration publique, dans un cadre de complexité sociale croissante, imposaient la réglementation de la participation des particuliers à la procédure administrative. Cela non seulement dans le but d’approfondir l’enquête / l’examen / l’instruction de la procédure mais aussi pour assurer à l’action de l’administration un consensus sociale davantage nécessaire pour la réalisation d’intervention complexes (comme les ouvrages publics, par exemple, qui ne peuvent plus s’imposer aux administrés à travers le seul exercice de l’autorité). Cette loi à donc offert des outils à l’administration publique pour s’ouvrir à la dimension sociale et pour rendre perméable l’exercice du pouvoir par la concrète dynamiques des intérêts, dans la mesure où l’exercice du pouvoir passe à travers une procédure où peuvent participer non seulement les administrés « directement » intéressés à l’acte administratif, mais aussi les associations qui protègent des intérêts collectifs.

La loi concernant le procès administratif complète la modernisation du droit administratif déclenchée par la loi de 1990. Comme la nouvelle procédure à donnée à l’administration des outils pour mieux évaluer les intérêts substantiels des citoyens, ainsi la réforme du procès administratif (d.lgs. 104 de 2010) a permis au juge de satisfaire plus efficacement les intérêts substantiels des particuliers compromis par l’action administrative. Tout d’abord la codification, en elle-même, a fourni aux citoyens un cadre organique de règles, en éliminant les incertitudes. En outre, l’ouverture du procès à la prouve par témoins rend ce procès plus perméable aux faits et donc aux besoins sociaux. Enfin, la possibilité de prendre des mesures d’urgence atypiques, permet au juge de mieux protéger les intérêts substantiels de l’administré.

Donc un outil qui va dans la direction de la garantie de l’effectivité de la protection juridictionnelle et qui contribue encore plus à faire du juge admiratif un interprète efficace de la demande de justice des citoyens.

6 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) les décisions juridictionnelles les plus importantes de ce droit administratif ?

L’édifice du droit administratif a été réalisé par la jurisprudence administrative en ce qui concerne à la fois le droit administratif substantiel et celui procédural. L’effort de rationalisation du juge administratif s’est avéré fondamental dans la construction de ce droit ainsi que dans le maintien de sa cohérence. On n’exagère pas si l’on affirme que le droit administratif coïncide avec la jurisprudence du juge administratif, surtout avec celle du Conseil d’Etat, dont l’interprétation est, en principe, fidèlement respecté par les juges de première instance. Les plus importantes constructions juridiques ont été élaborés par cette jurisprudence, qui a aussi construit les principes de ce droit, auxquels est reconnu une force juridique supérieure à la loi.

Cependant, la question du repart de compétence entre juge judiciaire et juge administratif a eu une importance préliminaire dans la construction du droit administratif, car elle a contribué à définir le volume de l’édifice (donc l’espace de ce droit). Cette jurisprudence à intéressé non seulement le Conseil d’Etat, mais aussi la Cour de Cassation, dans sa fonction de juge de la juridiction et, en 2004, la Cour Constitutionnelle.

La question de la compétence du juge administratif a été controversée depuis toujours, car la loi de 1889 disposait que le recours au juge admiratif pouvait être présenté par qui avait un «intérêt».

Il était donc difficile à comprendre quand il y avait la compétence du juge administratif et, surtout, si l’existence d’un droit excluait cette juridiction. Il y a eu une longue période de conflit entre Conseil d’Etat et Cassation, la quelle avait tendance à exclure la juridiction du juge administratif dans le cas où elle considérait que l’acte administratif, expression de la puissance publique, affectait tout de même un droit subjectif (provocant ainsi une substantielle irresponsabilité des actes du pouvoir exécutif).

Le conseil d’Etat, dans l’arrêt de 1930, quand le président était Santi Romano, à éclairci que sa compétence devait être affirmée sur la base de deux paramètres : en rapport à ce qui demande le particulier (petitum), c’est-à-dire dans le cas où il demande l’annulation d’un acte administratif, mais aussi, en même temps, quand la nature de la situation juridique que le particulier fait valoir était un intérêt légitime.

La Cour de Cassation en 1949 a complété ce cadre dans la mesure où elle a éclairci que les actes de l’administration publique, expression de la puissance publique, ont comme effet celui de transformer les droits des particuliers, affectés par l’action de l’administration, en « intérêts légitimes ». Par conséquence, le juge judicaire pourrait juger d’un acte administratif seulement dans la mesure où l’administration publique a agi sans avoir aucun pouvoir, donc au même titre d’un particulier.

Dans un but de simplification, au cours des derniers décennies le législateur a fait un large usage de la possibilité, prévue par la constituions, d’attribuer au juge administrative une compétence étendue, en même temps, aux droits et aux intérêts, dans certaines matières où ces situations juridiques sont inextricablement liées.

En 1998 et en 2000 ce type de compétence du juge administratif avait eu une grande extension. Pour simplifier les questions liées à la juridiction et pour mieux garantir l’effectivité de la protection juridictionnelle des blocs de matières, comme les services publics, ont été attribués au juge administratif.

En 2004 (arrêt n. 204), la Cour constitutionnelle a annulé partiellement une telle extension de compétence du juge administratif. Selon la Cour, la Constitution républicaine a prévu la règle de l’attribution de la compétence concernant les droits au juge judicaire et celle concernant les intérêts au juge administratif. Si la possibilité de déroger à ce critère de repart est une exception, cet exception doit être limitée aux cas où les droits et les intérêts sont étroitement liées, et non pas à des blocs de matières génériquement liés aux intérêts public. Seulement dans le premier cas cette extension est une garantie de l’effectivité de protection juridictionnelle. L’extension de la compétence du juge administratif aux compétences concernant tous « les services publics », ne trouve donc pas de justification sur le plan constitutionnelle, car cette attribution (services publics) est tellement large qui perd sa concession avec les situations juridiques où droits et intérêts sont étroitement liés. La Cour a donc reformulé la disposition, en précisant quand, dans le domaine des services publics, il y a la compétence du juge administratif.

7 – Existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain » ?

Certainement il y a un droit administratif traditionnel, lié à l’expérience de l’Etat libéral, centralisateur et hiérarchisé. Cependant, il existe (mais il a toujours existé) un droit administratif en transformation. Une transformation qui a permis au droit administratif de se confronter aux nouvelles exigences sociales de sociétés davantage complexes pour y donner des réponses efficaces.

Avec la pluralisation des centres de décision, au-dessous et au-dessus de l’Etat, le droit administratif s’est éloigné de son centre unique de référence (l’Etat), mais cette fragmentation de la personne étatique n’a pas provoqué la fin du droit administratif. Au contraire, ce droit a eu la fonction d’étendre ses principes fondamentaux, nés pour guider l’action publique étatique, à l’ensemble des organisations publiques ultra étatiques ou infra étatiques, en contribuent ainsi à garantir la cohérence de leur action et, en définitive, leur même légitimation.

Les principes du droit administratif et, avec eux, le droit administratif lui-même, ont donc dépassés la crise du leur créateur, l’Etat, et se sont affirmés en tant que principes généraux de l’action publique infra et ultra étatique.

Cependant, il y a des indices dans le droit positif qui font entrevoir une tendance de régression vers un droit administratif des origines, caractérisé par des traits autoritaires. Un droit conçu pour le pouvoir, non plus pour la limitation du pouvoir.

Plusieurs sont les indices de cette tendance : l’idée que le droit commun reconduirait les particuliers et administration sur une position d’égalité (l’art. 1 de la loi concernant la procédure administrative de 1990, reformulé en 2005 : « La pubblica amministrazione, nell’adozione di atti di natura non autoritativa, agisce secondo le norme di diritto privato salvo che la legge disponga diversamente ») ; l’idée que les règles administratives, lourdes, ralentissent l’efficacité de l’action publique (au nom de la simplification, on a drastiquement réduit les contrôles de légitimité et on a approuvé un corps de règles dérogatoires par rapport au droit administratif traditionnel, pour garantir la vitesse de la procédure) ; l’idée que l’intervention publique directe doit être empêchée pour assurer l’application généralisé de la loi du marché. Le même débat concernant l’abolition du juge administratif lui-même, considéré comme obstacle à l’efficacité de l’action administrative, se relie à cette tendance.

Tout cela contribue à donner une marge de liberté plus ample au pouvoir politique et à l’entreprise, en mettant en péril non tant le droit administratif en soi, mais plutôt sa fonction de conciliation entre autorité et liberté.

La résistance de cette branche du droit aux forces visant à l’homologuer, en compromettant ainsi sa spécialité, est quand même forte et trouve sa source dans la force normative des principes de ce droit et son gardien dans le juge administratif. Comme le juge administratif a édifié le droit administratif à travers sa jurisprudence, aujourd’hui c’est sur ce juge qui pèse la tâche de reconduire dans un système rationnel et cohérent les récentes réformes administratives, qui sont guidées par une fausse idée de simplification (au moins en Italie); une tendance qui va dans une direction qui éloigne de droit de son code génétique (qui a toujours été celui de limiter concrètement le pouvoir) ; code génétique dont le juge administratif est, désormais, le vrai gardien.

8 – Dans l’affirmative, comment les distinguer ?

Si l’on entend le droit administratif de demain celui exprimé par la perspective pessimiste ci-dessous citée, la distinction est simple. Le droit administratif qu’est en train de se développer est un droit administratif qui marche vers l’affaiblissement de sa spécialité et de sa vocation à la réalisation de l’intérêt général.

9 – Le droit administratif reste-t-il un droit national ou son avenir réside-t-il à l’inverse dans sa « globalisation » / son « européanisation » ?

Le droit administratif est un produit de l’Etat moderne. L’européisation du droit administratif, si a entamé les compétences de l’Etat comme décideur politique, n’a cependant pas affaibli celles de l’administration, qui reste l’exécuteur principal de ce droit supranational. Le droit administratif européen devient ainsi un droit mis en œuvre par l’Etat, les Régions et les communes dans le cadre d’un procès d’hybridation.

Les compétences des administrations étatiques et infra étatiques se sont élargies à la suite du droit européen. Le droit administratif italien s’est donc intégré avec celui européen, en gardant un rôle central en tant que cadre de principes de l’action publique, principes qui trouvent leur légitimation dans la constitution républicaine. Si le droit européen éloigne le droit administratif de l’Etat, ne l’éloigne pas de ses principes et de sa fonction.

Un discours diffèrent concerne le droit de la globalisation économique, processus dans le quel jouent de façon importante les Etats et l’Union européenne, qui ne sont pas cependant les seuls acteurs. La globalisation des marchés est un est un phénomène économique antagoniste aux Etats, qui vise à soumettre les Etats à ces propres fins en faisant des Etats les agents du droit du marché, qui doivent mettre a disposition leur puissance pour l’actuation de finalités qui les dépassent. La globalisation économique produit un droit radical, qui ne doit garantir que l’application d’un seul principe (la concurrence) et servir un intérêt abstrait (neutre). Ce processus met en péril à la fois fonction et principes du droit administratif et des Constitutions nationales. Considérant la vitesse des changements actuels, l’ambiguïté du processus, et le fait qu’il s’agit d’un processus récent, pour l’instant c’est plus convenable suspendre le jugement, car ce nouveau droit est en formation et transformation rapide. On verra donc si cette transformation, qui est sous nos yeux, redonnerait leur place aux intérêts sociaux et à l’intérêt général. Comme l’a dit Zygmunt Bauman à propos de la condition humaine, on peut dire pour le droit de la globalisation: « Suspendu entre le ‘non plus’ et le ‘pas encore’, [ce droit] est le [droit] de l’indéchiffrable, de l’interrègne ».

10 – Quelle place pour le droit administratif dans la société contemporaine ?

La place du droit administratif dans la société contemporaine s’est accrue avec l’élargissement des domaines administrés. Dans une société où tous les aspects de la vie (individuelle et sociale) sont règlementés, où il a une sorte de pan-juridisme, où le droit s’occupe de tout de la protection de l’environnement jusqu’aux aspects plus intime de la vie individuelle, affectant l’entier catalogue des droits fondamentaux, la place du droit administratif est encore plus important qu’hier.

Plus augmente l’exigence de réglementation, plus augment l’extension du pouvoir, plus augmente la nécessité d’un un droit voué à la conciliation entre autorité et liberté.

Aujourd’hui on comprend encore mieux le rôle fondamental joué par le droit administratif. Si la conciliation entre autorité et liberté est une prérogative des constituions, le droit administratif représente cependant le terrain le plus important où se déroule cette confrontation, où ce conflit s’aperçois dans sa dimension réelle. Le droit administratif c’est donc le lieu où s’exprime continûment la globalité des intérêts individuels : de la liberté du commerce jusqu’à la protection de la vie privée ; de la protection de l’environnement à la sureté, de l’instruction jusqu’à de la santé. Ce droit spécial, détaché de l’Etat s’encre aux pouvoirs, en assurant toujours la même fonction: celle de soumettre l’action du pouvoir au droit au fin protéger les droits et les libertés des citoyens qui trouvent leur concrétisation dans la vie social.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Un « ircocervo », car il a toujours été traversé par des tensions contradictoires, donc il a une double nature (autorité et liberté).

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Le chevalier qui n’existe pas (I. Calvino), si l’on pense aux tensions actuelles qui essaient de vider le droit administratif de sa substance sociale (biens et services publics) pour n’en utiliser que l’armure (la puissance publique).

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Ce serait un tableau de Picasso de la période cubiste, car ces tableaux rendent très bien la dimension du mouvement, donc de la transformation continue, ce qui représente une constante du droit administratif.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 169.

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Questionnaire du Pr. Houle (29/50)

France Houle
Professeur de droit à l’Université de Montréal

Art. 168.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

En droit québécois, le droit administratif suit la tradition de common law et non celle de droit civil. En effet, au Québec, le droit privé est de tradition civiliste ; le droit public, de tradition de common law britannique (et non américaine). Donc, en common law britannique, le droit administratif s’intéresse principalement au contrôle judiciaire des actes de l’administration et aussi au processus réglementaire. Au Québec, la tradition britannique s’est enrichie de la tradition continentale en ce que plusieurs de nos professeurs ont fait leur doctorat en France.

2 – Qu’est ce qui fait la singularité du droit administratif de votre pays ? 

Voir réponse question 1.

3 – Peut-on le caractériser par un critère ou une notion juridique ?

J’en doute.

4 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) les « pères » les plus importants de ce droit administratif ?

  • René Dussault
  • David Mullan

5 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) les normes les plus importantes de ce droit administratif ?

  • Le principe de déférence
  • Les normes de contrôle
  • L’équité procédurale

6 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) les décisions juridictionnelles les plus importantes de ce droit administratif ?

Pour ce qui est du contrôle judiciaire, les décisions de la Cour suprême du Canada :

  • C.U.P.E. v. N.B. Liquor Corporation, [1979] 2 S.C.R. 227
  • Dunsmuirv. New Brunswick, [2008] 1 S.C.R. 190

7 – Existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain » ?

Hier : Droit administratif local ; demain, droit administratif global.

8 – Dans l’affirmative, comment les distinguer ?  

Au Canada et au Québec, le droit administratif local s’intéresse principalement au droit national; le droit administratif est en construction et s’intéresse notamment aux institutions supranationales et leurs normativités.

9 – Le droit administratif reste-t-il un droit national ou son avenir réside-t-il à l’inverse dans sa « globalisation » / son « européanisation » ?

Pour le moment, encore largement un droit national au Canada ; la prise en compte du droit international ou supranational en droit national reste encore très marginal.

10 – Quelle place pour le droit administratif dans la société contemporaine ?

Très importante. Difficile d’envisager un retour en arrière ou un démantèlement de l’État administratif. D’ailleurs, l’École de Chicago a tenté le virage vers la dérèglementation, mais les résultats –du moins au Canada- sont plutôt modestes. Le Canada reste un État social-démocrate et dont la social-démocratie est plus développée que chez nos voisins américains, mais moins que chez nos amis européens.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Au Canada et au Québec, un caméléon.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Un livre de poésie de Guillaume Apollinaire – surréel.

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Les horloges molles de Dali – tout aussi surréel.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04: « 50 nuances de Droit Administratif » (dir. Touzeil-Divina); Art. 168.

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Questionnaire du Pr. Franch-Saguer (28/50)

Marta Franch-Saguer
Professeur à l’Université autonome de Barcelone

Art. 167.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Une possible définition du droit administratif serait la suivante : branche du droit public, le droit administratif est constitué de l’ensemble des règles qui s’appliquent à l’administration. Ces règles sont dérogatoires au droit privé en raison de l’objet même du droit administratif, qui est la défense de l’intérêt public.

A partir de cette définition, on peut inclure dans le droit administratif tout ce qui se réfère à l’organisation du secteur public, à ses activités (fourniture de services publics, police…), à ses relations avec les citoyens et autres personnes publiques ou privées, ainsi que le contrôle de ses actions, qu’elles soient administratives ou judiciaires.

Les particularités de ce droit supposent la création d’un système normatif, ayant certaines caractéristiques, techniques et principes propres qui le différencient des autres branches du droit.

De plus, il se caractérise comme un droit statutaire puisque dans une partie de la relation il y a toujours une administration publique avec des prérogatives de puissance publique, mais qui reste à tout moment soumise à la loi et de manière plus générale à l’ordre juridique dans son ensemble.

2 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif de votre pays ?

Les singularités les plus importantes sont :

La grande diversité des secteurs et spécialités qu’il contient. Le droit administratif est un droit qui comprend de multiples “droits administratifs”.

Un droit en évolution tant pour des raisons internes (lois de transparence, d’administration électronique…) qu’en raison de phénomènes de globalisation et d’européanisation.

L’article 2 de la Constitution espagnole dispose : « La Constitution a pour fondement l’unité indissoluble de la Nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols. Elle reconnaît et garantit le droit à l’autonomie des nationalités et des régions qui la composent et la solidarité entre elles ». La distribution des compétences entre l’Etat et les Communautés autonomes est garantie par la Constitution espagnole dans ton titre VIII. Cette distribution des compétences marque notre droit public puisqu’il se réparti entre le niveau étatique, le niveau autonome ou le niveau local qui détient la compétence. L’article 137 de la Constitution dispose que : « L’État, dans son organisation territoriale, se compose de communes, de provinces et des Communautés autonomes qui se constitueront. Toutes ces entités jouissent d’autonomie pour la gestion de leurs intérêts respectifs ».

Un droit administratif marqué par l’autonomie des communes et des provinces pour la gestion de leurs intérêts selon ce qui est établi dans la Constitution. L’article 140 dispose : « La Constitution garantit l’autonomie des communes. Celles-ci auront la pleine personnalité juridique. Leur gouvernement et leur administration incombent à leurs conseils municipaux respectifs, formés par les maires et les conseillers. Les conseillers seront élus par les habitants de la commune au suffrage universel, égal, libre, direct et secret, sous la forme établie par la loi. Les maires seront élus par les conseillers ou par les habitants inscrits. La loi déterminera les conditions dans lesquelles il conviendra d’établir le régime du conseil ouvert ».

Notre droit administratif se créé et se construit à travers des normes (lois ou règlements) et la jurisprudence créé les principes généraux qui interprètent, dirigent et structurent le droit administratif. En droit espagnol, la jurisprudence n’est pas une source directe de création de droit mais une source d’interprétation du droit.

C’est un droit protecteur et de privilèges. Il faut souligner en particulier que la régulation de la procédure administrative se trouve dans une loi spécifique. Il s’agit de la Loi n° 39-2015, du 1er octobre 2015, relative à la Procédure Administrative de droit commun des administrations publiques.

3 – Peut-on le caractériser par un critère ou une notion juridique ?

Puissance publique et limites.

Le droit administratif est basé sur un déséquilibre de pouvoir, qui se traduit par l’attribution, par l’ordre juridique, de prérogatives de puissance publique aux personnes publiques. Mais ce déséquilibre se trouve en même temps compensé par un ensemble de garanties qui limite et canalise le pouvoir : la procédure administrative, les finalités qui la justifie, le contrôle administratif et judiciaire, la responsabilité administrative, la garantie patrimoniale – notamment l’indemnisation et la responsabilité administrative – les différents versants du principe de légalité (principe de légalité, soumission à la loi et à l’ensemble de l’ordre juridique…)

4 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) les « pères » les plus importants de ce droit administratif ?

Le Professeur Eduardo García de Enterría (1923-2013)

Juriste espagnol du XXème siècle, il a joué un rôle essentiel dans la création et la formation du Droit public en Espagne. Il a été avocat au Conseil d’Etat ainsi que professeur d’Université depuis 1957 à Valladolid et, ultérieurement, à l’Université Complutense de Madrid en 1962.  Sa grande contribution au droit administratif espagnol et international se retrouve particulièrement dans « Cours de Droit Administratif », en deux volumes, en collaboration avec Tomás Ramón Fernández ainsi que dans ses nombreuses publications, puisqu’il a publié plus de trente livres.

Il faut plus particulièrement citer :

  • Révolution Française et Administration contemporaine (« Revolución Francesa y Administración contemporánea »)
  • La langue des droits (« La lengua de los derechos »)
  • La lutte contre les immunités du Pouvoir dans le Droit Administratif (« La lucha contra las inmunidades del Poder en el Derecho administrativo »)
  • La responsabilité patrimoniale de l’Etat-législateur dans le Droit espagnol (« La responsabilidad patrimonial del Estado legislador en el Derecho español »)
  • Démocratie, juges et contrôle de l’Administration (« Democracia, jueces y control de la Administración »)
  • La Constitution comme norme et le Tribunal Constitutionnel (« La Constitución como norma y el Tribunal Constitucional »)

Il a aussi reçu plusieurs prix :Prix Prince d’Asturies de Sciences Sociales (1984), Alexis de Tocqueville de l’Institut Européen d’Administration (1999) et le Prix International Menéndez Pelayo (2006). Enfin, il a reçu le titre de Docteur honoris causa, remis par diverses Universités espagnoles, européennes et d’Amérique Latine.

Prof. Jesus Leguina  (1941- 2016)

Il a d’abord exercé à la chaire de San Sebastian, où il en fut aussi le Doyen. Il poursuivit par la suite à l’Université de Alcalá de Henares.Il a été le directeur de thèses en doctorat d’importants juristes espagnols, tous dédiés à la vie universitaire dans les diverses Universités espagnoles.On relève parmi eux: Luis Ortega, Miguel Sánchez Morón, Carmen Chinchilla, Iñaki Agirreazkuenaga   Martín Razquin, Diego Vera, Eva Desdentado, Ximena Lazo y  Edorta Cobreros, notamment. Il est élu magistrat du Conseil Général du Pouvoir Judiciaire et il fut aussi Magistrat au Tribunal Constitutionnel (de février 1986 à juillet 1992).  En 1992, il reprend son activité universitaire et occupe la chaire de Droit Administratif.  En 1994 il est élu Conseiller de la Banque d’Espagne, poste qu’il occupa jusqu’à 2000. Ultérieurement, il exerça un second mandat de 2004 à 2010. En 2006, le titre de Docteur Honoris Causa lui est remis par l’Université de Castilla-La Mancha.

Il convient de citer parmi ses diverses œuvres :

  • La responsabilité civile de l’Administration publique, 1970 (La responsabilidad civil de la Administración Pública)
  • Dépenses publiques et manquements aux contrats d’œuvres éducatives, 1978 (Gasto público e incumplimiento de contratos de obras educativas)
  • Ecrits sur les autonomies territoriales, 1984 (Escritos sobre autonomías territoriales)
  • Nouvelle règle du régime juridique des Administrations publiques, 1993 (Nueva Ley de régimen jurídico de las Administraciones Públicas)
  • Action administrative et développement rural, 1994 (Acción administrativa y desarrollo rural)
  • La réforme de la Loi de la juridiction contentieuse-administrative, 1995 (La reforma de la Ley de la jurisdicción contencioso-administrativa)

Prof. Luciano Parejo

Professeur de Droit Administratif de l’Université de La Laguna (1983) et d’Alcalá de Henares (1989) et, depuis 1990, de l’Université Carlos III de Madrid. Il a été Doyen de la faculté des Sciences Sociales et Juridiques de l’Université Carlos III de Madrid, Secrétaire Général et Vice-recteur du corps-enseignant et des Services et Vice-recteur de Coordination. Il a été également Recteur de l’Université International Menéndez Pelayo en 2005 et 2006 et nommé Recteur Honoraire en 2008. Directeur Général de l’Institut de l’Administration Locale (1983-1985) ; Secrétaire Adjoint des Ministères d’Administration Territoriale (1985-1986), et des Administrations publiques  (1986-1987) ; Président de l’Institut National d’Administration Publique (1987-1989).Il a été honoré du titre de Docteur Honoris Causa attribué par plusieurs universités : l’Université de Tucumán (Argentine), l’Université Catholique de Tachira (Venezuela) et l’Université de Valparaiso (Chili).

Il faut citer, parmi ses œuvres récentes :

  • Transformation et réforme du droit administratif en Espagne. Edité par INAP (Institut d’Administration Publique), Editorial Derecho Global. Madrid 2012 («Transformación y ¿reforma? del Derecho Administrativo en España»)
  • La Discipline Urbanistique, 2e Edition, Editorial Iustel, 2012 (“La Disciplina Urbanística”)
  • Le Concept de Droit Administratif, Ed. Jurídica Venezolana y Universidad Externado de Colombia, 2ª ed. Actualizada, Bogotá 2009, 594 p. (“El concepto del Derecho Administrativo»)
  • Commentaires du Texte Refondé de la Loi du Sol Real Decreto Legislativo 2/2008, du 20 juin, en collaboration avec G. Roger Fernández, Ed. Iustel, Madrid, 2009 («Comentarios al Texto Refundido de la Ley de Suelo»)
  • Loi de la juridiction contentieuse-administrative. Ed. Tirant lo Blanch, Valencia 2008 (“Ley de la jurisdicción contencioso-administrativa”)

5 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) les normes les plus importantes de ce droit administratif ?

  • Loi 39/2015 du 1er octobre, sur la Procédure Administrative commune des Administrations Publiques. Cette loi encadre la procédure administrative générale que doivent suivre toutes les Administrations espagnoles lorsqu’elles exercent leur pouvoir administratif. Elle établit les étapes, qui peuvent être précisées par d’autres normes. Elle régule la procédure administrative, le régime juridique des actes administratifs, les différents contrôles de l’Administration (notamment les recours administratifs), les procédures de sanction et de responsabilité administrative. La grande nouveauté est que la Loi prévoit un fonctionnement entièrement électronique, qui, selon le Préambule, permet de mieux servir “ les principes d’efficacité et d’efficience, en économisant des coûts aux citoyens et aux entreprises, et renforce les garanties des intéressés”. Cette loi renforce, avec les autres lois de transparence adoptées par l’Etat et la Catalogne, le principe de bonne administration. En effet, l’enregistrement des documents et des actions menées dans un dossier électronique facilite le respect des obligations de transparence, puisque cela permet d’offrir aux intéressés une information ponctuelle, souple et actualisée.La loi introduit, dans le titre VI, la régulation sur l’initiative législative et le pouvoir normatif des Administrations Publiques. Sont retranscrits dans la loi les principes que doit respecter l’Administration dans l’exercice de son pouvoir, rendant ainsi effectifs les droits constitutionnels en la matière.
  • La loi 40/2015 du 1er octobre, du Régime Juridique du Secteur Public. Cette loi encadre, comme son nom l’indique, le régime juridique des Administrations Publiques ainsi que celui du secteur public institutionnel.Elle présente la réforme de l’organisation et du fonctionnement du secteur public et régule ad intra le fonctionnement interne de chaque Administration et des relations entre elles.Son article 2 énumère tout ce que comprend le concept de secteur public. Celui-ci est formé par: l’Administration Générale de l’Etat, les Administrations des Communautés Autonomes, les Entités qui intègrent l’Administration Locale et le secteur public institutionnel.Le secteur public institutionnel est formé par: a) tous les organismes publics et entités de droit public liées ou dépendantes des Administrations publiques ; b) Les entités de droit privé liées ou dépendantes des Administrations Publiques qui sont soumises au respect de ce que prévoit les normes de la Loi qui se réfèrent spécifiquement à celles-ci, en particulier aux principes prévus dans l’article 3, et, dans tous les cas, lorsqu’ils exercent les pouvoirs administratifs ; c) Les Universités publiques qui se régissent par leur propre loi spéciale ainsi que par les prévisions de la présente loi. Cette législation régule le régime juridique administratif, applicable à toutes les Administrations Publiques ainsi que le régime juridique spécifique de l’Administration Générale de l’Etat. Enfin, la Loi régule les relations internes entre les Administrations, instaurant les principes généraux des actions administratives et les relations entre les différentes personnes publiques.
  • Décret Royal Législatif 3/2011, du 14 novembre, par lequel est adopté le texte refondé de la Loi des Contrats du Secteur public. Par ce Décret Royal, ont été réunies en un texte unique toutes les modifications introduites à la Loi 30/2007, du 30 octobre par diverses lois modificatives qui ont donné une nouvelle rédaction à certains concepts ou qui ont introduit de nouvelles dispositions.
  • La Loi 30/2007, qui transpose la Directive 2004/18/CE du Parlement Européen et du Conseil, du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services. La Directive 2014//24/UE du Parlement Européen, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE. De plus, l’Union Européenne a adopté une autre Directive 2014/23/UE du Parlement Européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur l’attribution de contrats de concession. Elles n’ont pas encore été transposées en droit espagnol. Depuis le 16 mars 2017, le Congrès discute du Projet de Loi des Contrats du Secteur Public, par lequel sont transposées dans l’ordre juridique espagnol les Directives du Parlement Européen et du Conseil 2014/23/UE et 2014/24/UE, du 26 février 2014.

6 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) les décisions juridictionnelles les plus importantes de ce droit administratif ?

En Espagne, c’est très difficile de choisir des décisions juridictionnelles qui déterminent la ligne jurisprudentielle. La raison, comme on déjà dit, c’est que la Constitution, la loi, les règlements priment sur la jurisprudence qui n’a que pour fonction de compléter l’ordonnancement juridique.

  • Le Tribunal Constitutionnel (Ley Orgánica 2/1979, de 3 de octubre del Tribunal Constitucional, LOTC ) est l’interprète suprême de la Constitution, grâce à différents mécanismes prévus dans l’art 2 LOTC.
  • Le recours d’Amparo protège contre les violations des droits fondamentaux et des libertés publiques (article 14 a 29 de la Constitution). L’Amparo constitutionnel a pour seul objectif le rétablissement, la protection des droits et libertés selon l’article 41.
  • On ne peut pas oublier le rôle déterminant que joue la jurisprudence du Tribunal de justice de l’Union Européenne dans l’interprétation des normes qui sont de manière directe ou indirecte déterminés par le droit européen.

7 – Existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain » ?

Je crois que oui. Le droit administratif d’hier c’était un droit administratif « obscur » qui tournait sur l’Administration elle-même et, quelques fois, en défense des intérêts propres de l’Administration.

8 – Dans l’affirmative, comment les distinguer ?

Aujourd’hui l’intérêt public et la forme de sa détermination devient le centre du droit public. Cette détermination qui devient chaque fois plus transparente et pourtant plus proche des citoyens qui peuvent connaitre et contrôler le processus à travers lequel l’administration décide.  Le dossier, « l’expédient » administratif doit être connu pour le citoyen et comme ça connaitre les vraies motivations de la décision administrative.

Le droit « d’hier » était un droit de contrôle préalable, avec des mécanismes d’autorisation, permission… ou même de silence négatif.  Le droit d’aujourd’hui, influencé par le droit européen est devenu un droit de contrôle a posteriori. Le droit européen repose sur l’élimination des obstacles injustifiés et disproportionnés pour l’accès et l’exercice d’une activité administratives et de services mais il laisse au régulateur la détermination des besoins proportionnés pour pouvoir exercer l’activité et aux entrepreneurs de services la responsabilité de les accomplir pour pouvoir commencer son activité. L’Administration doit se convertir dans le droit administratif « d’aujourd‘hui » :  une Administration qui exerce un contrôle a posteriori.

Le droit Administratif devient et encore deviendra dans le futur immédiat un droit plus efficient, plus claire, plus accessible, et surtout comportera une modernisation de l’organisation administrative, qui devra être plus au service du citoyen et moins au service de l’Administration et moins au service seulement des grands acteurs économiques.

9 – Le droit administratif reste-t-il un droit national ou son avenir réside-t-il à l’inverse dans sa « globalisation » / son « européanisation » ?

Non, le droit administratif ne reste plus un droit national fermé même s’il y a toujours des structures, techniques, sources qui sont tout à fait propres et qu’appartiennent à l’idiosyncrasie de chaque pays. Mais le droit international surtout en matière économique (secteurs économiques et contrats) à travers les grandes institutions (comme le FMI, la Banques Mondiale, le BID, )  ou des organismes internationales ( OMC, OCDE…) imposent des règles Dans le cas de l’Europe, le droit primaire et le droit dérivé ont transformé notre manière de faire, de comprendre et d’appliquer le droit. Les Règlements, les directives, avec quelques fois notre lente transposition, et les arrêts de la CJUE ne nous permettent plus d’appliquer et d’interpréter notre droit sans devoir aller vers une conception plus large du droit.

Cette influence, soit européenne soit plus internationale, suppose aussi que les droits internes soient transformés par ces nouveaux principes et règles qui inspirent et structurent nos droits administratifs.

10 – Quelle place pour le droit administratif dans la société contemporaine ?

Une place très importante de régulateur et d’arbitre d’une activité économique qui ne se tient pas seulement avec les règles des marchés. La dernière crise financière nous a montré l’importance de la régulation, des autorités indépendantes, du contrôle de l’Administration…. La libéralisation des marchés nous a fait prendre conscience qu’il faut une intervention publique pour que le marché fonctionne. L’organisation de l’Administration doit aussi être une partie importante dans l’avenir du droit administratif. Il faut construire une Administration au service de l’intérêt public qui réponde aux besoins de la société et pas une Administration qui trouve son but à accomplir les volontés des hauts fonctionnaires de l’Administration. Il faut redéfinir qu’elle sorte d’employés de l’Administration nous souhaitons : des fonctionnaires ? des employés soumis au code du travail ? La réponse est très importante parce qu’on aura une Administration plus ou moins objective, plus au moins au service du pouvoir.   En l’Espagne, il y a des changements dans beaucoup d’emplois dans les services publics qui sont passés d’emplois occupés par des fonctionnaires à des emplois occupés par des différents sortes de contrat de travail. Les contrats publics avec ses principes (publicité, transparence, concurrence, égalité, non-discrimination) seront dans le noyau de tout sorte d’emploi des fonds publiques. L’extension subjective et objective des contrats publics sera un des grands sujets du droit administratif contemporain et futur. Et finalement et toujours la détermination de l’intérêt public et sa recherche que finalement est la raison et le but de la puissance publique.

 

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04: « 50 nuances de Droit Administratif », (dir. Touzeil-Divina); Art. 167.

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ParJDA

Questionnaire du Pr. Ciaudo (27/50)

Alexandre Ciaudo
Professeur de droit public à l’Université de Bourgogne-Franche-Comté

Art. 166.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Le droit régissant l’organisation et le fonctionnement de l’activité administrative.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

A mon sens, le droit administratif s’inscrit dans la continuité de l’action de l’Etat et des personnes publiques. Il n’y a donc pas un droit administratif d’hier et un droit administratif de demain. Le droit administratif évolue avec l’activité administrative qu’il est censé régir.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

La singularité du droit administratif réside dans le fait qu’il est façonné et en permanence remodelé par le Conseil d’Etat. La dualité fonctionnelle du Conseil d’Etat français, à la fois conseil de Gouvernement et juge administratif suprême, chargé donc de donner son avis sur les textes de lois et de décrets, mais également de contrôler la légalité de l’action administrative, constitue la spécificité du droit administratif français. Elle résulte ainsi non seulement de la conception spécifique française de la séparation des pouvoirs, mais également du choix du constituant d’avoir conservé une institution napoléonienne.

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

Je dirais que le moteur du droit administratif est la légalité et que la route suivie est la sécurité juridique.

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

A mon sens, il ne le peut pas. Comme l’a parfaitement démontré Guy Braibant (G. Braibant , « Du simple au complexe : Quarante ans de droit administratif (1953 – 1993) », EDCE, 1993, p. 409), le droit administratif est par essence complexe compte tenu de son objet. Les règles du droit administratif peuvent donc être vulgarisées pour être mises à la portée de tout le monde, mais ce faisant, elles perdraient de leur rigueur et de leur sens.

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Sans doute, mais il ne s’agit pas d’une fatalité. L’activité administrative elle-même ne pouvant plus être exécutée de manière autocentrée, le droit qui la régit subit les influences extérieures. Il s’enrichit et s’inspire d’exemples étrangers. Le dialogue des juges en est un parfait exemple.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Oui. Et il le restera certainement. La preuve en est que la multiplication des codifications récentes consiste souvent à codifier des jurisprudences du Conseil d’Etat (V. par exemple le récent code des relations entre le public et l’administration). L’activité administrative ne cesse d’évoluer et le juge administratif reste amené à l’envisager avant le législateur ou le pouvoir réglementaire.

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

  • Léon Duguit;
  • Maurice Hauriou ;
  • Edouard Laferrière.

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

  • L’arrêt du Conseil d’Etat du 21 juin 1895 « Cames» (responsabilité sans faute) ;
  • L’arrêt du Conseil d’Etat du 13 décembre 1889 « Cadot » (fin de la théorie du ministre-juge) ;
  • L’arrêt du Conseil d’Etat du 17 février 1950 « Ministre de l’agriculture contre Dame Lamotte» (soumission par principe des actes administratifs à la légalité).

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

  • Les décrets ;
  • Les lois ;
  • Les directives communautaires.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Un caméléon.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

La Bible (Ancien Testament)

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Les colonnes de Buren.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04: « 5à nuances de Droit Administratif » (dir. Touzeil-Divina); art. 166.

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Questionnaire de M. Barrué-Belou (26/50)

Rémi Barrué-Belou
Maître de conférences à l’Université de la Réunion

Art. 165.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Le droit administratif est le droit de la puissance publique, dépassant le droit commun par une volonté de faire prévaloir l’intérêt général sur les intérêts particuliers. L’intérêt général étant relatif et contingent, le droit administratif est un droit évolutif qui se construit principalement par la jurisprudence de l’ordre juridictionnel administratif.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

L’évolution des règles et du régime s’appliquant au droit administratif permettent d’établir le constat d’une intégration de logiques privatistes et commerciales (rentabilité, réduction des risques pour les co-contractants privés, insertion de clauses propres au contrat de droit privé). Ainsi, si l’on devait qualifier un « droit administratif d’hier », il serait possible de le qualifier du droit de la puissance publique et de l’exorbitance alors que le « droit administratif de demain » semble pouvoir davantage être qualifié de droit mixte.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

Pas de réponse

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

Pas de réponse

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

Comme toute discipline scientifique, son accès ne peut résulter que de l’explication, l’information et l’apprentissage (tout relatif soit-il).

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Seul un juge peut condamner. Le sort du droit administratif sera celui que nous (citoyens, gouvernants, législateur et enseignants-chercheurs) souhaiteront lui donner. Le droit commercial, qui est l’une des matières juridiques les plus anciennement internationalisé, n’a pas vraiment fait l’objet d’une globalisation, à l’heure actuelle. Le droit administratif étant le droit de la puissance publique et donc manifestant la souveraineté d’un État, il ne fera pas rapidement l’objet d’une globalisation.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Si certains pans du droit administratif sont encore fortement marqués par la touche prétorienne, l’influence de l’Union européenne est de plus en plus prégnante (le droit de la commande publique en est un exemple évident).

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

  • Gerando
  • Foucart
  • Duguit

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

  • Blanco,
  • Terrier,
  • Société Arcelor et autres.

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

Davantage que des normes, je verrais deux idées fondamentales : la prévalence de l’intérêt général, l’exorbitance du droit commun.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

L’être humain, tant par sa capacité évolutive suivant les époques que par son choix de valoriser l’intérêt général en raison de sa vie au sein d’une société.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Ainsi parlait Zarathoustra, car il caractérise l’Homme qui doit dépasser Dieu et devenir un surhomme, notamment par l’association.

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Le droit administratif serait davantage un musée d’art contemporain car il intégrerait perpétuellement de nouvelles œuvres.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04: « 50 nuances de Droit Administratif » (dir. Touzeil-Divina); Art. 165.

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Questionnaire du Pr. Aubin (25/50)

Emmanuel Aubin
Professeur agrégé à l’Université de Poitiers

Art.164.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Le droit administratif est, avant tout, le droit du fonctionnement de l’Etat ; il a pour objet de rendre possible la poursuite de missions d’intérêt général avec des moyens publics, dans le cadre d’actes imposés et non négociés (à l’exception des contrats administratifs qui restent toutefois singuliers à l’aune du consensualisme propre au droit des obligations) et par l’intermédiaire de travailleurs qui sont dans une situation légale et réglementaire et doivent respecter des obligations inhérentes à l’activité de service public, laquelle implique de servir l’intérêt général sans se servir ou s’asservir.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Le droit administratif d’hier a posé les jalons des grands principes du procès administratif et comblé les carences ou l’absence de normes écrites qui l’ont progressivement rattrapé. Essentiellement protecteur des prérogatives de l’administratif, le droit administratif devient de plus en plus protecteur des administrés et des agents publics. Afin de ne pas être débordé par l’insécurité juridique inhérente à l’inflation normative, le droit administratif de demain sera marqué par la révolution de l’open data ; il sera un droit administratif moins secret, plus ouvert, plus pédagogique également ; Le droit administratif laisse également une place plus importante à la contractualisation dans ses différentes branches (action publique, fonction publique, droit des collectivités territoriales).

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

La singularité du droit administratif tient à la place de l’acte unilatéral, le consensualisme demeurant l’exception malgré un développement de la contractualisation. L’activité publique reste et sera toujours soumise au respect de principes et de valeurs qui sont propres au droit administratif car ce dernier s’inscrit clairement comme l’ont montré les travaux de la doctrine depuis Duguit dans une perspective holiste.

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

Rivero avait magistralement démontré que la guerre des critères ne devait pas avoir lieu mais, aujourd’hui, le contexte montre que la puissance publique devient de nouveau l’un des critères d’application ou à tout le moins un moteur essentiel du droit administratif.

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

Le droit administratif peut gagner en pédagogie avec des arrêts qui seraient plus compréhensibles. Un premier pas purement formel a été franchi avec la numérotation des considérants qui confère une plus grande lisibilité aux décisions et au syllogisme juridique appliqué par le juge. Le recours au droit souple permet également de vulgariser le droit administratif en rappelant dans des documents non normatifs (comme les chartes) les exigences juridiques (textuelles et jurisprudentielles) parfois complexes s’appliquant à l’action administrative. Comment ne pas mentionner, également, la recréation du JDA et sa dématérialisation ?

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Comme l’ont montré les travaux précurseurs du professeur Auby, la question est désormais derrière nous ; le droit administratif est d’ores et déjà globalisé depuis que la révolution Nicolo a permis au juge administratif de neutraliser l’application de la loi en faisant primer des normes européennes et internationales sur des dispositions législatives incompatibles. Il n’en demeure pas moins que la tendance à la rationalité managériale et à la création de pôles a sans doute pour effet de globaliser les enjeux juridiques au cœur des décisions des acteurs publics. En outre, le droit venu d’ailleurs a contribué à enrichir les sources du droit administratif qui est sans doute devenu plus pragmatique au contact de la globalisation juridique.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Si le droit administratif a été rattrapé par les textes, il n’en demeure pas moins que, chaque année, le juge administratif suprême rend plusieurs milliers de décisions qui contribuent à façonner des politiques jurisprudentielles dont les décideurs publics ne peuvent faire l’économie pour agir utilement et faire reposer leurs décisions sur une certaine sécurité juridique. Toutefois, il serait réducteur d’assimiler le droit administratif au seul contentieux car, comme le souligne le professeur Truchet, le droit administratif est, avant tout, un « art de la décision ».

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

  • Laferrière a joué un rôle décisif en identifiant clairement la structure du contentieux administratif et en mettant en évidente la dimension prétorienne du droit administratif.
  • Duguit a contribué à inscrire le droit administratif dans une dimension holiste incarnée par la notion de service public.
  • De son côté, Hauriou a mis en évidence le rôle essentiel de la puissance publique dans le fonctionnement des personnes morales de droit public soumises au droit administratif.

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

Partant du postulat du grand processualiste Motuloski (« Le droit n’atteint sa plénitude que lorsqu’il se réalise), les grands arrêts du droit administratif sont ceux qui ont permis aux administrations et aux fonctionnaires et usagers de voir le juge administratif exercer pleinement et efficacement son office. Sous ce rapport, le premier grand arrêt (CE, 29 mars 1901, Casanova) est celui qui est à l’origine d’une politique d’ouverture du prétoire du juge administratif. Le deuxième plus grand arrêt pourrait être la décision Association AC ! du 11 mai 2004 par laquelle le juge de l’excès de pouvoir a intégré une dimension très réaliste dans son office en rendant possible la neutralisation, dans des conditions clairement précisées, de l’effet rétroactif d’une annulation contentieuse.  Le troisième grand arrêt est la décision Danthony de décembre 2011 (qui concernait du reste une Université) dans laquelle le Conseil d’Etat fait œuvre de pragmatisme en permettant au juge de sauver de la censure une décision dont l’illégalité externe n’a pas exercé d’influence décisive sur la prise de décision ni privé le requérant d’une garantie substantielle.

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

  • Le principe d’égalité est une norme essentielle au cœur des grandes branches du droit administratif et trouve à s’appliquer notamment à travers une autre norme essentielle (la non-discrimination) qui génère des obligations de faire et de ne pas faire pour les acteurs du droit administratif.
  • La neutralité est une norme importante qui permet au droit administratif de revêtir une dimension axiologique qui singularise nettement l’action administrative ( et son contrôle) de l’activité au sein du secteur marchand.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Le droit administratif serait une petite souris qui se glisserait sous la table des délibérations afin de rendre possible une meilleure compréhension de certaines décisions réservées parfois aux seuls initiés.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Ne jugez pas d’André Gide qui explore les ressorts psychologiques d’affaires déconcertantes pour la justice

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

La bataille de San Romano de Paolo Uccello peinte sur trois tableau car les relations juridiques sont souvent triangulaires en droit administratif.

 Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 164.

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ParJDA

Questionnaire de M. Duranthon (35/50)

Arnaud Duranthon
Maitre de conférence en droit public à l’Université de Strasbourg
Membre du Comité scientifique & de rédaction du JDA

Art. 173

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Le doute est, dit-on souvent avec raison, le moteur de la recherche scientifique. Je dois donc assumer que, s’agissant de cette définition, j’entretiens de très grands doutes tant il est vrai que la plupart des critères qui ont été proposés (service public, puissance publique, gestion administrative etc…) paraissent avoir, dans le même temps, de belles capacités mais aussi de réelles lacunes. J’en suis donc venu à penser que, plutôt que de procéder manière déductive au moyen de critères stipulatifs qui, quoique consacrés par la jurisprudence, le sont toujours avec d’infinies nuances, d’irrésistibles doutes et de nombreuses variations et hésitations, il convient de tenter de définir le droit administratif de manière inductive. L’histoire et la théorie du doit constituent, de ce point de vue, un secours précieux. J’ai en effet le sentiment que ce n’est qu’au regard d’une posture assise sur une conception concevant le droit comme une unité que l’on peut en saisir la complexité intrinsèque. De ce point de vue, le droit administratif n’est rien d’autre qu’un outil visant à transcrire, sur le plan administratif, les effets de la souveraineté de l’État dans son rapport avec les individus et dans la réalisation de son projet social – que l’on qualifie d’intérêt général. Les contours du droit administratif évoluent dès lors au gré des flux et reflux des conceptions de la souveraineté, en épousant les nuances et les subtilités. Il n’est dès lors plus de « crises » du droit administratif, mais simplement des ajustements liés à l’évolution de la conception du rôle de l’État et de son rapport avec la société.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

« Le passé m’oblige, le présent me guérit, je me fous de l’avenir », écrit Sylvain Tesson dans son dernier livre, Sur les chemins noirs. Je crois que l’on peut adapter cette citation au droit administratif. Vouloir dresser des barrières entre plusieurs périodes, un « avant » et un « après » constitue à mon sens un véritable écueil. Un tel effort est en effet condamné à tracer des frontières au milieu d’un territoire plus subtil que ce que le résultat tracé pourrait laisser penser. Les frontières sont toujours brutales et ne laissent, sur la carte, rien paraître de leur inévitable porosité. C’est pourquoi il me semble qu’il faille plutôt concevoir le droit administratif dans son continuum et qu’il faille comprendre chacun de ses objets de manière diachronique. Le passé sert alors à éclairer sa formation, des évolutions, ses difficultés. Le présent permet de pourvoir à la stabilité juridique nécessaire et constitue l’état positif du droit. Le futur, quant à lui, reste indéterminé et si l’on s’efforce toujours de le prévoir, de le dessiner, il reste rare que l’œuvre produite ressemble au dessin – et au dessein – que l’on s’en faisait. Il ne reste alors qu’à partir du principe que la guérison du présent et le soin accordé au présent tel que conçu au regard du passé suffit au travail du juriste.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

Je serais tenté de dire que c’est son processus constitutif qui donne au droit administratif toute sa singularité. Constitué en dehors de toute « raison » générale, produit autopoïétique fait de strates diverses qui s’accumulent au gré du temps, se recouvrent en laissant parfois paraître à la surface d’anciennes couches, il constitue un produit vivant passionnant qui s’éloigne des prétentions rationalistes selon lesquelles d’autres systèmes se sont agencés… et selon lesquelles certains tenants des logiques de la performance et du rationalisme morbide s’efforcent aujourd’hui de vouloir l’enfermer, notamment dans ses versants en rapport avec les questions institutionnelles.

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

Je ne crois pas au caractère absolu d’un critère en droit administratif. Je reste cependant convaincu que le service public en constitue le cœur et s’en présente un peu comme le phare que l’on peut garder à l’œil pour évoluer. La filiation de cette notion avec l’intérêt général permet en effet de garder un cap, même si celui-ci est incertain du fait de l’indétermination qui anime ce dernier !

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

En cessant de le considérer comme une matière simplement technique faite de problèmes à résoudre, mais en le concevant comme un système général qui n’est rien d’autre que le produit d’une société tentant de s’organiser et d’organiser le pouvoir. Il faut probablement pour cela admettre que si les catégories techniciennes sont indispensables à la résolution des litiges qui se présentent au juge, la compréhension et la présentation du droit administratif ne se limitent pas à elles. Il faut donc, au-delà de la description, vouloir comprendre le droit administratif, c’est à dire le situer dans l’inextricable sac de nœuds que constitue généralement le droit. Il faut pour cela prendre la hauteur nécessaire. Un parfait exemple de ceci se situe dans le maquis contractuel existant en France. On peut s’en tenir à présenter les différentes formes contractuelles existantes en présentant leurs délicats régimes. C’est un effort indispensable, mais qui doit nécessairement être complété par un autre, consistant à comprendre, par la généalogie des notions, les moteurs de leur apparition. Le régime n’est alors plus une fin en soi, il est la conséquence d’un mouvement plus profond qui le rend compréhensible et facilite son apprentissage.

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Il faudrait pour cela admettre la globalisation comme une condamnation ! Condamné, le droit administratif l’est simplement par sa nature à devoir épouser les formes d’une société qui, par définition évoluent et qu’il n’a pas vocation à transformer ou à guider. Son office s’arrête à celui d’une digue qui s’efforce que le fleuve puisse poursuivre son cours, parfois calme, parfois impétueux, au sein d’un cadre qui en garantisse néanmoins l’équilibre. Quant à la globalisation, s’il est certain que des notions aient vocation à se transformer au contact d’autres réalités, cette transformation peut s’effectuer selon diverses nuances qui ne condamnent pas le droit à une pure uniformité, mais s’assure simplement de la communicabilité entre plusieurs objets appelés à vivre ensemble.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Le droit administratif reste prétorien dans ses fondements, et ce n’est pas un problème en soi. S’il est indiscutablement rogné, de toutes parts, par des normes d’origine législatives, celles-ci ne me paraissent pas avoir toujours brillé par leur réussite. L’exemple récent de la transformation du régime des décisions implicites en témoigne avec force. Je crois que l’on retrouve ici le problème central de cette prétention de la rationalité qui, niant les équilibres subtils autour desquels s’est agencé le droit administratif du fait de son mode prétorien de formation, s’efforce de vouloir dompter la bête par quelques coups de fouets. S’il ne s’agit pas de prétendre au conservatisme, qui est un repère de faiblesse, il s’agit cependant d’avancer qu’une évolution n’est jamais garantie que par sa progressivité, qui seule la rend acceptable.

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

Si par pères on entend ceux qui aident à rendre la vie compréhensible en donnant des points de repère, alors je dirais :

  • Maurice Hauriou
  • Léon Michoud
  • Charles Eisenmann

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

Le trio Feutry/Terrier/Thérond, a donné corps à une vision unitaire de l’administration qui me tient à cœur. L’arrêt Blanco, évidemment : pas pour la raison qu’on lui donne d’habitude (l’arrêt Rothschild l’avait par exemple largement devancé), mais pour ce qu’il a donné comme assise à la responsabilité administrative en lieu et place de la conception sur la liquidation des dettes de l’État. Le feu arrêt Peyrot, pour ce qu’il laissait comme place à la complexité et pour la voie qu’il permet de tracer entre deux conceptions du droit administratif : l’une ouverte à la complexité des situations et recherchant l’essence (le sens ?), l’autre attachée à le réduire à une simple technique et à faire dépendre le régime juridique d’un objet de catégories réductrices… et donc forcément contestables.

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

L’article L2212-2 du CGCT, pour le corps qu’il donne à la police administrative en laissant subtilement ouvertes les voies d’une évolution de la notion et de son adaptation aux circonstances et aux besoins ; la loi communale de 1884, à l’origine de la clause de compétence générale communale, objet juridique passionnant ; la loi du 11 juillet 1979 et la loi du 12 avril 2000, pour ce qu’elles ont apporté à la redéfinition des rapports entre la puissance publique et les administrés.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Si le droit administratif était un animal, il serait un lombric. Nourri par un humus dont il est l’indispensable agent de l’entretien, de l’aération et de la structure, il est hermaphrodite et peut donc se développer spontanément, sans secours extérieur. Il est enfin capable de se régénérer même lorsqu’il est coupé, montrant sa grande capacité d’adaptation spontanée.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Si le droit administratif était un livre, il serait celui dont on ne sait jamais vraiment quand il a commencé, ni quand et s’il s’arrêtera un jour.

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Si le droit administratif était un œuvre d’art, il serait un tableau de Pierre Soulages. De loin, il apparaît comme un bloc, quelque chose de brut, d’uniforme mais à mesure qu’on l’observe, on ne peut que se perdre dans ses nuances, qui offrent une matière infinie à l’exploration.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 173.

 

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les crèches de noël & les tables de la loi de 1905

Henri Bouillon
Docteur en droit public,
Enseignant contractuel à l’Université de Rennes I

Notes sous CE, ass., 9 novembre 2016, Commune de Melun et
Fédération de libre pensée de Vendée, n° 395122 et n° 395223

Art. 189. L’article 28 de la loi de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905 « interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit ». Cette interdiction de principe est assortie de quelques exceptions, comme les signes ou emblèmes présents avant l’adoption de cette loi, ceux qui figurent dans les musées ou expositions et ceux qui sont placés sur les édifices servant au culte, les terrains de sépulture dans les cimetières ou les monuments funéraires.

Dans cette optique, se posa récemment la question des crèches de Noël installées par les personnes publiques (communes et conseils départementaux notamment) durant les fêtes de fin d’année. Le problème des crèches est en effet leur qualification juridique. A priori, elles sont pleinement soumises à l’article 28 précité, en raison de leur caractère religieux. Toutefois, elles ont aussi une dimension culturelle, qui a pu incliner certains juges à moduler l’application de la loi de 1905. Cette double qualification – cultuelle ou culturelle – explique en effet les décisions divergentes des juges administratifs. Interrogés sur la possibilité pour les personnes publiques d’installer des crèches de Noël dans des lieux publics, certains juges mirent l’accent sur le caractère cultuel de la crèche et la jugèrent incompatible avec la loi de 1905 (CAA de Paris, 8 octobre 2015, Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne, n° 15PA00814), tandis que d’autres considérèrent que la loi de 1905 ne s’opposait pas à l’installation de crèches de la Nativité compte tenu de leur caractère culturel (CAA de Nantes, 13 octobre 2015, Fédération de la libre pensée de Vendée, n° 14NT03400).

Saisi des décisions rendues par les Cours administratives d’appel de Paris et Nantes, le Conseil d’État fut amené à se prononcer sur ce délicat point de droit par deux décisions du 9 novembre 2016 (CE, ass., 9 novembre 2016, Commune de Melun et Fédération de libre pensée de Vendée, n° 395122 et n° 395223). Il lui revenait en effet de se prononcer sur la légalité de l’installation de crèches dans la cour intérieure de l’hôtel de ville de Melun et dans le bâtiment du Conseil départemental de Vendée. Adoptant une solution intermédiaire entre les deux décisions des Cours administratives d’appel contestées devant lui, le juge administratif suprême a cherché un équilibre entre le « mirage » d’une interdiction complète et « l’excès » d’une autorisation généralisée, pour reprendre la formule employée par Jean-Marc Sauvé, devant la presse, à l’issue des cinq décisions du 19 juillet 2011, également relatives à l’application de la loi de 1905 et dont on dira un mot ci-dessous.

Avant toute analyse juridique, on peut indiquer que cet équilibre témoigne de l’opportunité de la décision. En effet, une juridiction a aussi pour rôle d’assurer la pacification juridique des relations sociales ; en technicisant les différends qui lui sont soumis et en tenant ainsi à distance les passions par leur analyse au prisme du droit, il peut apaiser les tensions, notamment celles que suscite la politisation de certaines questions. Le rapporteur public Aurélie Bretonneau avait d’ailleurs prôné, en concluant sur ces affaires, une dimension pragmatique et « pacificatrice de la laïcité ». Tel a sans doute été l’effet de ces décisions médianes. La lettre de la loi de 1905 semblait certes difficilement conciliable avec des installations illimitées de crèches de Noël. Mais passer de l’absence d’interdiction (puisque la loi de 1905 a été appliquée 111 ans sans s’opposer à l’installation de crèches de Noël) à une interdiction totale, du jour au lendemain, aurait été difficile. Avec cette solution intermédiaire, avec cette « interprétation apaisée de la laïcité »[1], « le droit a permis d’éviter la « guerre des crèches » »[2].

Quoique socialement opportunes, ces décisions n’en soulèvent pas moins d’intéressantes interrogations juridiques. Au-delà de la solution d’espèce elle-même, qui ne s’impose pas avec la force de l’évidence et qui mérite sans doute quelques éclaircissements, c’est la définition même de la laïcité qui peut être interrogée : car cette décision, en n’interdisant pas uniment l’installation de crèches de Noël, peut laisser planer quelques questionnements sur l’articulation de cette autorisation conditionnelle avec la laïcité. Exposer le raisonnement du juge, qui s’articule autour de la nouvelle définition qu’il donne du signe ou emblème religieux (I), permettra de montrer quelle conception de la laïcité il paraît retenir ici (II). Précisons en effet qu’il s’agit ici, non d’apprécier la pertinence juridique ou extra-juridique de ces décisions, mais simplement de comprendre la logique du raisonnement tenu par le juge.

Un raisonnement articulé autour de la définition du signe ou emblème religieux

La question soulevée devant le Conseil d’État était de savoir si l’installation de crèches de Noël par des personnes publiques se heurte à l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905, qui « interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit ». Après avoir défini le signe ou emblème religieux (A), le Conseil d’État indique comment l’identifier et, donc, dans quels cas la crèche peut être définie comme un tel signe ou emblème et tomber de ce fait sous le coup de l’article 28 de la loi de 1905 (B). Par cette définition inédite du signe ou emblème religieux, le Conseil d’État donne une vraie cohérence à ses décisions, qui échappent de ce fait à bon nombre des critiques qui les ont frappées.

Le cœur du raisonnement : la définition du signe ou emblème religieux

Le point de départ du raisonnement du juge est la définition qu’il donne du signe ou emblème religieux. Bien qu’elle ait peu retenu l’attention des commentateurs, « la définition ainsi donnée du signe religieux prohibé par l’article 28 est cruciale ; elle emporte toute la suite du raisonnement. »[3]

Le Conseil d’État appréhende le signe ou emblème religieux comme le « signe ou emblème manifestant la reconnaissance d’un culte ou marquant une préférence religieuse » (point 3). La définition est tout aussi intéressante que subtile. En effet, elle ne définit pas le signe ou emblème religieux par le fait qu’il représente figurativement ou métaphoriquement une divinité, une scène ou un symbole religieux, comme on aurait eu spontanément tendance à le penser. Repoussant toute approche objective, la définition est subjective : est religieux le signe ou emblème qui témoigne de la volonté de la personne publique de reconnaître un culte ou de marquer sa préférence pour l’un d’eux. Un signe ou emblème n’est pas religieux par nature : il l’est par la coloration que lui donne la personne publique. Il suffit que la personne publique aménage le contexte dans lequel elle appose ce signe ou emblème, afin de témoigner qu’elle n’accorde aucune préférence à un culte pour que l’objet religieux ne soit plus contraire à l’article 28 de la loi de 1905.

Par cette interprétation, l’article 28 se trouve placé sous le patronage de l’article 2 de la même loi. L’article 2 interdit en effet aux personnes publiques de reconnaître ou de promouvoir un culte. L’interprétation de l’article 28 ici retenue en fait une simple déclinaison de l’article 2 : les personnes publiques ne doivent reconnaître ni promouvoir aucun culte (article 2), notamment par l’apposition de signe ou emblème religieux, lesquels s’appréhendent précisément comme étant les signes ou emblèmes témoignant d’une telle reconnaissance ou promotion (article 28). Cette imbrication de l’article 28 dans l’article 2 est mise en relief dans le point 3 des décisions. Après avoir mentionné l’article 2, le Conseil d’État introduit l’article 28 en disant : « pour la mise en œuvre de ces principes », ce qui montre que cet article 28 se subsume sous l’article 2.

La question posée au juge se trouve donc implicitement reformulée par cette définition. Elle consiste ainsi à savoir dans quels cas la crèche est un signe ou emblème religieux, c’est-à-dire dans quelles hypothèses les personnes publiques, en installant une crèche, ont entendu marquer leur préférence pour la religion chrétienne.

Dans une deuxième phase de son raisonnement, le juge admet la « pluralité de significations » de la crèche de Noël. Il reconnaît qu’elle « fait partie de l’iconographie chrétienne et […], par là, présente un caractère religieux ». Cependant elle dépasse cette seule signification : « il s’agit aussi d’un élément faisant partie des décorations et illustrations qui accompagnent traditionnellement, sans signification religieuse particulière, les fêtes de fin d’année. » (point 4) La crèche est polysémique : elle possède, en elle-même, objectivement, un caractère cultuel et un caractère culturel.

Aussi, après avoir rappelé la pluralité de significations objectives de la crèche, le juge considère-t-il, dans un troisième temps, que l’installation d’une crèche par une personne publique « n’est légalement possible que lorsqu’elle présente un caractère culturel, artistique ou festif, sans exprimer la reconnaissance d’un culte ou marquer une préférence religieuse. » (point 5) La crèche ne peut être installée que si son caractère culturel prévaut sur son caractère religieux. Comment l’un peut-il prévaloir sur l’autre, alors que la crèche possède objectivement ces deux caractères ? Le Conseil nous dit qu’il faut que la crèche possède « un caractère culturel, artistique ou festif, sans exprimer la reconnaissance d’un culte ou marquer une préférence religieuse ». Cette affirmation est à relever avec intérêt, car on retrouve ici la formule exacte par laquelle le juge a défini le signe ou emblème religieux. En effet, dès lors que la crèche n’exprime pas la reconnaissance d’un culte et ne marque aucune préférence religieuse, elle n’entre plus dans la définition du signe ou emblème religieux dégagée par le Conseil d’État. Celui-ci semble ainsi procéder à une assimilation entre le caractère culturel de la crèche et sa qualification de signe ou emblème religieux : la crèche est juridiquement culturelle quand elle n’est pas un signe ou emblème religieux, c’est-à-dire quand elle ne marque aucune reconnaissance ou promotion de la religion chrétienne ; a contrario, le caractère religieux de la crèche prévaut juridiquement si elle est qualifiée de signe ou emblème religieux, tel que la notion est ici définie.

La crèche a certes, par nature, les deux significations – cultuelle et culturelle –, mais elle perdrait juridiquement l’un ou l’autre en fonction de sa qualification juridique (signe ou emblème religieux ou non), qui tient à la volonté de la personne publique de faire prévaloir subjectivement l’un ou l’autre. Bref, faute d’une signification univoque, ce n’est pas la signification intrinsèque de la crèche qui révélera sa compatibilité avec l’article 28 de la loi de 1905 ; et le Conseil n’a pas entrepris ici une distinction impossible entre des crèches religieuses et des crèches culturelles. Ce qui sera déterminant est le sens qu’entend faire prévaloir la personne publique en l’installant au moment de la fête de Noël. Si les personnes publiques entendent promouvoir un culte, la crèche est un signe ou emblème religieux, sa signification cultuelle prévaut alors (dans l’esprit de l’administration) et l’article 28 de la loi de 1905 s’oppose à son installation. S’il n’est pas établi que l’installation de la crèche vise la reconnaissance ou la promotion d’un culte, la crèche ne sera plus qualifiée de signe ou emblème religieux au sens donné à ce terme par le Conseil d’État : juridiquement, elle ne conserve alors qu’une dimension culturelle, et elle devient parfaitement compatible avec la loi de 1905. La qualification juridique de la crèche en « signe ou emblème religieux », déduite de l’intention de l’administration, permet à son tour d’apprécier son caractère culturel ou cultuel et sa compatibilité avec la loi de 1905.

La logique du raisonnement : l’identification du signe ou emblème religieux

Toute la difficulté est alors de percer à jour l’intention de la personne publique, d’apprécier le sens que l’administration entend faire prévaloir, pour déterminer concrètement si la personne publique a entendu « exprimer la reconnaissance d’un culte ou marquer une préférence religieuse » (point 5). Or, après avoir affirmé que la mise en place d’une crèche « n’est légalement possible que lorsqu’elle présente un caractère culturel, artistique ou festif, sans exprimer la reconnaissance d’un culte ou marquer une préférence religieuse », le Conseil ajoute immédiatement : « pour porter cette dernière appréciation » (sous-entendu : sur le fait que la crèche exprime la reconnaissance d’un culte ou marque une préférence religieuse) et il énonce les critères sur lesquels la doctrine s’est penchée avec minutie. Il en résulte que ces critères servent à déterminer la volonté de la personne publique : ils permettent de savoir si la crèche témoigne de la reconnaissance et de la promotion d’un culte par la personne publique, c’est-à-dire si la crèche est ou non un signe ou emblème religieux au sens conféré ici à l’article 28 de la loi de 1905.

Quels sont ces critères ? Il s’agit, selon le point 5 des deux décisions : 1° du contexte de la mise en place de la crèche (absence de tout élément de prosélytisme), 2° des conditions particulières de cette installation (« inscription dans un environnement culturel, artistique ou festif », point 11 de l’arrêt Commune de Melun), 3° de l’existence ou de l’absence d’usages locaux, ainsi que 4° du lieu de cette installation. Quant à ce dernier critère, le juge distingue selon que la crèche est placée dans un « bâtiment public, siège d’une collectivité publique ou d’un service public » ou dans un autre emplacement public. Sur ce point, « la solution retenue est la suivante : interdiction à l’intérieur des bâtiments publics (sauf exceptions visées, tenant à un usage local et à l’environnement de la crèche) / liberté au dehors, sur tout autre emplacement public (mais uniquement pendant les fêtes de fin d’année et en l’absence de toute signification religieuse). »[4]

Dans le premier cas, si la crèche est mise en place dans un lieu qui abrite un service public, une interdiction de principe est posée ; la seule exception est le cas où « des circonstances particulières permettant de lui reconnaître [à la crèche] un caractère culturel, artistique ou festif » (point 6). En effet, « les bâtiments publics sont ceux où siège la collectivité, où elle s’incarne comme institution et où les administrés se rendent pour établir une relation avec elle : ils en constituent la personnification matérielle. »[5] Dès lors, la proximité de l’installation de la crèche avec le service public tendrait à indiquer la volonté de la personne publique de marquer la reconnaissance du culte chrétien et de l’associer à l’exécution du service public, puisqu’elle l’a installé au cœur même de son activité, témoignant par là de son attachement à la crèche. Seules des circonstances particulières, comme les usages et traditions locaux, peuvent alors justifier que la personne publique procède à cette installation, sans y attacher de l’importance ; on pense spontanément aux Santons de Provence. Appliquant cette solution, le Tribunal administratif de Lille a ainsi déclaré illégale l’installation d’une crèche dans la mairie d’Hénin-Beaumont : « composée de sujets sans valeur historique ou artistique particulière », la crèche n’avait pas un caractère artistique et ne se rattachait pas à une « tradition minière spécifique » ; elle ne s’enracinait pas « dans une tradition locale préexistante » ; elle ne pouvait davantage être considérée comme le prolongement du marché de Noël qui se tenait à « l’extérieur du bâtiment et sans proximité immédiate avec celui-ci » ; son installation était donc irrégulière (TA Lille, 30 novembre 2016, n° 1509979, point 4). De même, la Cour administrative d’appel de Marseille a considéré qu’une crèche installée dans le hall de la mairie de Béziers « ne résultait d’aucun usage local et n’était accompagnée d’aucun autre élément marquant son inscription dans un environnement culturel, artistique ou festif » et était par conséquent illégalement installée (CAA Marseille, 3 avril 2017, Ligue des droits de l’homme, n° 15MA03863).

Dans le second cas, c’est-à-dire pour les autres emplacements publics, le principe est la liberté pour les personnes publiques d’y installer une crèche de Noël, « eu égard au caractère festif des installations liées aux fêtes de fin d’année notamment sur la voie publique » (point 7). À l’inverse de la première hypothèse, le lien avec le service public et l’institution administrative est beaucoup plus distendu. Une crèche peut en principe être librement installée. Cette liberté se heurte toutefois à une double limite : elle ne doit être faite qu’à l’occasion des fêtes de fin d’année (limitation temporelle) et elle ne doit pas constituer un acte de prosélytisme ou de revendication d’une opinion religieuse, sans quoi elle serait bien un signe ou emblème religieux au sens ici donné par le juge à cette expression. Noël étant une fête que beaucoup célèbrent, même sans dévotion religieuse, et la crèche demeurant la représentation la plus significative de cette fête, on comprend ici que la crèche est associée aux décorations dont les communes agrémentent les rues pour les fêtes de fin d’année. Hors le cas où elle est instrumentalisée en vue d’un prosélytisme évident, c’est-à-dire le cas où elle sert manifestement à reconnaître ou promouvoir un culte (conformément à la définition du signe ou emblème religieux), la crèche de Noël ne revêt là qu’un caractère culturel et festif, « elle s’inscrit dans le cadre d’une tradition relative à la préparation de la fête familiale de Noël » (CAA de Nantes, 13 octobre 2015, Fédération de la libre pensée de Vendée, n° 14NT03400). « L’installation d’une crèche de Noël est ici englobée, en quelque sorte, dans l’ensemble des installations et décorations liées aux fêtes de fin d’année. Si bien que, prise dans cet ensemble, elle est présumée elle aussi festive. Et cette présomption ne sera renversée que si l’installation constitue un acte de prosélytisme ou de revendication d’une opinion religieuse. »[6] À l’inverse de la première hypothèse donc, la crèche placée dans un lieu public avec les autres décorations de fin d’année, et sauf si la personne publique affiche par là un net prosélytisme, ne revêt pour la personne publique qu’une dimension culturelle : elle n’est plus un signe ou emblème religieux et redevient compatible avec l’article 28 de la loi de 1905.

Tous ces éléments, et notamment la localisation de la crèche, sont donc destinés à déterminer si la personne publique a entendu reconnaître ou promouvoir un culte et, donc, si la crèche doit être juridiquement qualifiée de signe ou emblème religieux au sens donné ici à cette notion.

Le juge parvient ainsi à trouver une solution mesurée. Soit la crèche de Noël est qualifiée de signe ou emblème religieux parce que la personne publique a entendu reconnaître ou promouvoir la religion chrétienne, elle est juridiquement une crèche cultuelle et, tombant sous le coup de l’article 28, son installation s’avère illégale. Soit elle ne manifeste aucune intention de la personne publique de reconnaître ou promouvoir un culte : n’étant alors pas qualifiée de signe ou emblème religieux, n’étant juridiquement qu’une décoration culturelle, artistique ou festive, elle n’entre pas dans le champ d’application de l’article 28 et peut être légalement installée. Il ne semble donc pas que le Conseil d’État ait érigé une nouvelle exception à l’article 28 de la loi de 1905. Il a simplement modulé son champ d’application par la définition qu’il donne du signe ou emblème religieux : soit la crèche reçoit la qualification juridique de signe ou emblème religieux et elle est frappée d’interdit par la loi de 1905 ; soit elle n’en est pas juridiquement un, et la loi n’a pas lieu de s’appliquer.

Cette analyse paraît toutefois peu satisfaisante. Elle satisfait peut-être la logique formelle, puisque tout dépend de la qualification juridique de la crèche en « signe ou emblème religieux », ce qui est logique pour déterminer si l’article 28 de la loi de 1905 s’applique. Mais le jeu sur la qualification juridique, s’il permet de distinguer des crèches juridiquement culturelles et des crèches juridiquement cultuelles, dissimule mal le fait que la crèche est, en toutes hypothèses, la plus belle représentation de la fête de Noël et présente, toujours et tout en même temps, la nature religieuse de cette fête chrétienne et le caractère culturel que l’histoire a conféré à de nombreux symboles chrétiens en France ; le changement de qualification juridique n’y change rien et n’efface pas la pluralité de significations que le Conseil d’État a lui-même admise. Aussi cette solution impose-t-elle de sonder le non-dit de la décision, à savoir la conception de la laïcité qui sous-tend ce raisonnement.

Le non-dit du raisonnement : une conception resserrée de la laïcité

Les deux décisions du Conseil d’État du 9 novembre 2016 ne font aucune référence à la conception qu’elles retiennent de la laïcité, quoiqu’elles se réfèrent explicitement à l’article 1er de la Constitution qui consacre constitutionnellement ce principe. Déplorant ce silence, certains auteurs ont donc cherché à lire cette définition entre les lignes[7]. Délicat, l’exercice paraît en effet nécessaire pour saisir pleinement la résonnance de ces décisions. À cet égard, deux éléments, d’ailleurs indissociables, peuvent être retenus : la définition de la laïcité qui transparaît dans ces décisions est limitée à son noyau dur (A), ce qui explique sa souplesse (B).

Une décision recentrée sur le noyau dur de la laïcité

Les décisions du 9 novembre 2016 reposent sur la volonté de concilier, dans certaines conditions limitatives, la laïcité, en ce qu’elle interdit l’apposition de signes ou emblèmes religieux (article 28 de la loi de 1905), et l’installation de crèche de Noël par des personnes publiques, de façon à obtenir une solution équilibrée qui n’interdise ni n’autorise uniment cette installation.

Mais la conciliation qu’entend opérer le juge n’est, de prime abord, pas évidente. Si la laïcité est l’obligation de neutralité religieuse des personnes publiques, il peut sembler que l’installation d’une crèche de Noël rompe cette obligation de neutralité. Au-delà de la question de l’application de l’article 28 de la loi de 1905, que le Conseil d’État résout par sa définition du signe ou emblème religieux et le recours à la qualification juridique de la crèche, la question, plus générale, de la laïcité peut perdurer. Certes l’article 28 n’est formellement pas violé, puisque la crèche peut n’être pas un signe ou emblème religieux si les personnes publiques n’entendent pas lui conférer ce caractère. Mais cette installation n’est-elle pas susceptible de violer d’autres composantes de la laïcité que cet article 28, à commencer par le principe de neutralité religieuse lui-même ?

Une explication paraît pouvoir être avancée en considérant l’insistance avec laquelle le Conseil d’État distingue le lieu d’emplacement de la crèche de Noël et qui a pu sembler un critère curieux[8] : le juge distingue en effet « l’enceinte des bâtiments publics, sièges d’une collectivité publique ou d’un service public » et, d’autre part, les autres emplacements publics. Cette typologie et son importance ne sont certainement pas anodines.

Rappelons en effet que la jurisprudence administrative indique que la laïcité est avant tout la neutralité religieuse des services publics (gérés par des personnes publiques ou privées) et qu’elle est destinée à garantir aux citoyens une liberté de conscience : la neutralité est d’abord négative, elle vise l’absence de motivation religieuse des agents publics et des services publics ; mais l’objectif positif de cette neutralité est d’assurer aux citoyens la liberté religieuse et la certitude de ne pas voir leurs situations jugées sur le fondement de critères religieux[9]. Les deux décisions font d’ailleurs explicitement mention de cette double composante (point 3). C’est pourquoi quand le service public est en cause (enceinte des bâtiments où les services publics sont exercés), l’incompatibilité avec la laïcité est présumée et ne peut être démentie que de façon restrictive, en cas de « circonstances particulières » : le lieu est trop intimement lié au service pour que le juge admette qu’une manifestation religieuse quelconque en altère la neutralité. À l’inverse, si le service public n’est pas directement concerné, lorsque la crèche est installée sur la voie publique par exemple, le juge admet plus facilement l’installation de la crèche, reconnaissant une certaine latitude aux personnes publiques, sous réserve qu’elles n’entendent pas manifester par là la reconnaissance d’un culte ou faire preuve d’un prosélytisme particulier, ce qui serait alors contraire à leur obligation de neutralité religieuse puisque la crèche serait alors un signe ou emblème religieux[10]. Comme le fait remarquer M. Clément Benelbaz, « la neutralité des services publics passe par leur apparence, et l’image qu’ils donnent aux usagers »[11] : la distinction des lieux s’explique ainsi par la nécessité que l’usager du service public n’ait aucun doute sur la neutralité du service.

Lorsque la crèche est installée hors d’un bâtiment accueillant un service public, l’idée du juge n’est donc pas tant que le caractère culturel de la crèche efface ou supprime son caractère cultuel, comme on a pu l’avancer ; cela n’aurait effectivement pas de sens, puisque le Conseil d’État admet au contraire la pluralité de significations intrinsèque à la crèche de Noël[12]. L’idée du juge est plutôt que la laïcité, comprise comme neutralité du service public, n’est pas directement en cause ici, pas plus que ne l’est l’article 28 de la loi de 1905. En effet, si la crèche n’est pas ici qualifiée de signe ou emblème religieux, la personne publique ne manifeste aucun attachement particulier à la religion chrétienne en l’installant, mais procède simplement à la mise en place d’une décoration traditionnelle symbolisant la fête de Noël : elle ne viole donc aucunement son obligation de neutralité religieuse, pour la simple et bonne raison que, juridiquement, le fait d’installer cette crèche n’a pas de coloration religieuse. Puisque la laïcité vise à préserver la neutralité des personnes publiques, il n’y a pas de raison d’interdire l’installation d’une crèche de Noël si celle-ci ne traduit aucune entorse à la neutralité religieuse de ces personnes ; tel est le cas si, en suivant les indices donnés par le Conseil d’État, on est amené à conclure au caractère purement culturel de l’installation.

Cette explication, dont les limites apparaissent immédiatement lorsque l’on confronte la technique juridique aux propriétés objectives d’une crèche, montre que le juge retient une conception souple de la laïcité.

Une décision inscrite dans une conception souple de la laïcité

Cette interprétation du raisonnement tenu par le juge s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle, qui retient une acception souple de la laïcité. « Désormais semble s’affirmer une laïcité-neutralité destinée non à lutter contre toutes les expressions religieuses qui ont leurs places dans la Cité mais – seulement – à prohiber toute manifestation – par la puissance publique – d’un quelconque lien (d’amitié ou d’animosité, de complaisance ou de rejet) envers les religions. »[13]

La définition retenue du signe ou emblème religieux témoigne de cette souplesse. En effet, le Conseil d’État adopte, par cette définition, une conception resserrée de l’article 28 de la loi de 1905 et restreint ainsi son champ d’application : il juge que l’article 28 ne prohibe pas, sous l’expression de signe ou emblème religieux, tous les objets qui représentent objectivement un symbole, scène ou figure religieux ; selon son interprétation, l’article 28 ne censure que les objets auxquels la personne publique confère elle-même, subjectivement, une dimension religieuse, ce qui restreint considérablement le champ d’application de l’article 28, comme l’atteste le cas des crèches.

Le juge admet donc une conception « minimaliste »[14] de la neutralité religieuse. Par opposition à une conception maximaliste qui refuse toute intervention de l’État dans le domaine religieux et entend cantonner ce domaine à la sphère privée, la conception minimaliste n’interdit pas les immixtions a-religieuses (neutres) dans la sphère religieuse, mais elle prohibe celles qui seraient effectuées en faveur ou défaveur d’une religion et manifesteraient ainsi un parti-pris religieux ou athée. Mais tant qu’elles n’ont pas d’opinion ou de motivation religieuses, les personnes publiques peuvent intervenir dans la sphère du religieux sans violer leur obligation de neutralité. Le fait religieux est de toute façon trop présent dans les sociétés pour que l’État puisse les ignorer purement et simplement ; mais il doit les traiter sans mobile partisan. Telle est l’idée sous-jacente à cette définition stricte du signe ou emblème religieux et de la conception qui gouverne les décisions du 9 novembre 2016. Les personnes publiques peuvent contribuer, par l’installation de crèche, aux fêtes de Noël, mais elles doivent le faire sans mobile religieux. La solution inverse, que n’a pas retenue le Conseil d’État, « conduirait à envisager la République française comme une entité entièrement extérieure à la population dont elle est censée constituer l’émanation, en tout cas ne partageant pas ses traditions et les considérant comme des questions strictement privées dont elle n’a pas à tenir compte. »[15]

Cette vision souple de la laïcité paraît maintenant bien assise dans la jurisprudence administrative. Cinq décisions du 19 juillet 2011 l’illustrent. Elles montrent que le juge admet une intervention des personnes publiques en matière religieuse si cette intervention est justifiée par un intérêt public local et reste neutre, c’est-à-dire ne manifeste aucun soutien partisan à un culte. Le juge a ainsi pu admettre des travaux sur un édifice cultuel (le financement d’un ascenseur pour faciliter l’accès des personnes handicapées à la basilique de Fourvière) si les travaux présentent un intérêt public local, lié notamment à l’importance de l’édifice pour le rayonnement culturel ou le développement touristique et économique de son territoire (CE, ass., 19 juillet 2011, Fédération de la libre pensée et de l’action sociale du Rhône, n° 308817)[16]. Le juge a admis également le prêt de locaux à une association cultuelle pour permettre à ses membres de se réunir, si la personne publique respecte le principe de neutralité et l’égalité de traitement des cultes[17], si ce prêt n’est pas une libéralité, si la location est temporaire et si le prêt résulte d’une nécessité d’intérêt général, comme c’est le cas de la création d’un abattoir temporaire pour ovins à l’occasion de la fête musulmane de l’Aïd-el-Kebir en vue de préserver la salubrité et la santé publiques (CE, ass., 19 juillet 2011, Communauté urbaine du Mans – Le Mans Métropole, n° 309161 ; CE, ass., 19 juillet 2011, Commune de Montpellier, n° 313518) ; le Conseil d’État a même jugé illégal le refus d’un maire de louer à une association musulmane une salle communale pour des réunions ponctuelles pendant le mois du ramadan (CE, 26 août 2011, Commune de Saint-Gratien, n° 352106 et 352107). Semblablement, le juge admet qu’une personne publique prête un bien meuble à une association cultuelle, tant que ce prêt a un autre objectif que l’aide au culte et répond à un intérêt public local : une commune peut ainsi installer un orgue dans une église « afin notamment de développer l’enseignement artistique et d’organiser des manifestations culturelles dans un but d’intérêt public communal » (CE, ass., 19 juillet 2011, Commune de Trélazé, n° 308544).

Au regard de ces décisions, qui admettant une forte intervention, notamment financière, des personnes publiques en matière religieuse, l’autorisation d’installer une crèche dans un lieu public sans lien direct avec un service public, sans prosélytisme religieux et pour la brève période des fêtes de fin d’année paraît être une décision logique, inscrite dans la lignée des décisions antérieures. L’atteinte à la laïcité est moins forte, ce qui justifie que l’intérêt public (culturel) que les collectivités peuvent invoquer soit moins évident. Mais il est aussi à craindre qu’une telle autorisation, largement conditionnée par l’intention de la personne publique, renforce le sentiment d’une « « laïcité latitudinaire« , c’est-à-dire à géométrie variable »[18].

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique administrative 05 ; Art. 189.

[1] Alexandre Ciaudo, « Les crèches de Noël dans les bâtiments publics : la messe est dite », Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 03 & Cahiers de la LCD, numéro 03 : « Laï-Cités : Discrimination(s), Laïcité(s) & Religion(s) dans la Cité », dir. B. Esteve-Bellebeau et M. Touzeil-Divina ; Art. 118.

[2] Paul Lignères, « le droit a permis d’éviter la « guerre des crèches » », DA, 2017, n° 1, repère 1.

[3] Louis Dutheillet de Lamothe et Guillaume Odinet, « La crèche entre dans les Tables », AJDA, 2016, n° 42, p. 2375.

[4] Nicolas Chifflot, « L’affaire des crèches de Noël devant le Conseil d’État. Rendre à César ce qui est à César », JCP A, 2016, n° 48, 2309.

[5] Gweltaz Eveillard, « Laïcité : la crèche de Noël, mode d’emploi… », DA, 2017, n° 4, comm. 18.

[6] Louis Dutheillet de Lamothe et Guillaume Odinet, « La crèche entre dans les Tables », AJDA, 2016, n° 42, p. 2375.

[7] « Ce que l’on peut surtout regretter, c’est le refus du Conseil d’État de définir plus explicitement la conception de la laïcité qui paraît pourtant à l’œuvre dans ces deux importantes décisions et que la seule référence aux dispositions de la loi de 1905 ne permet guère de saisir. À savoir, sans doute, une laïcité ouverte qui peut impliquer, le cas échéant, une forme de reconnaissance des cultes et la possibilité – même strictement conditionnée – d’une participation à certaines de leurs manifestations. À savoir, aussi, la prise en compte de traditions qui correspondent toujours à un fait social majeur et plus encore, peut-être, à la situation singulière d’une religion dont l’histoire fut longtemps liée à celle du pays. » (Nicolas Chifflot, « L’affaire des crèches de Noël devant le Conseil d’État. Rendre à César ce qui est à César », JCP A, 2016, n° 48, 2309)

[8] « L’on voit mal les raisons pour lesquelles l’élément d’appréciation du lieu, non seulement se trouve systématiquement chargé de sens, mais encore pèse davantage que les autres dans la balance du juge – quand le caractère festif ou religieux de l’installation de la crèche sera le plus souvent manifesté par d’autres éléments de contexte. » (Louis Dutheillet de Lamothe et Guillaume Odinet, « La crèche entre dans les Tables », AJDA, 2016, n° 42, p. 2375)

[9] Henri Bouillon, « Quelles obligations imposent la laïcité ? », La revue administrative, n° 399, 2014, pp. 315-323.

[10] « La distinction entre les lieux d’installation refléterait les degrés de la neutralité exigée des pouvoirs publics, plus forte dans les bâtiments sièges d’une collectivité publique ou d’un service public, moins marquée dans d’autres emplacements publics et notamment sur la voie publique, lieu de pluralisme. » (Jean Morange, « Les crèches de Noël, entre cultuel et culturel. Note sous CE, ass., 9 novembre 2016 », RFDA, 2017, n° 1, p. 127)

[11] « En effet, l’obligation de neutralité des services publics passe par leur apparence, et l’image qu’ils donnent aux usagers. Vus de l’extérieur ou de l’intérieur, les services ne doivent donner l’impression ni de favoriser, ni de défavoriser aucun culte, aucune croyance. Sur le plan organique, il est clair que les locaux des services publics doivent être neutres, et une administration ne peut servir à un quelconque prosélytisme religieux. Il s’agit d’une condition indispensable à l’égalité de traitement entre les usagers, et à l’impartialité du service dont on ne doit pas douter. » (Clément Benelbaz, « Quelques interrogations sur la laïcité : regards sur son interprétation originelle », Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 03 & Cahiers de la LCD, numéro 03 : « Laï-Cités : Discrimination(s), Laïcité(s) & Religion(s) dans la Cité », dir. B. Esteve-Bellebeau et M. Touzeil-Divina ; Art. 116)

[12] « Affirmer que la crèche n’est pas seulement religieuse est réaliste (le juge évoque une « pluralité de significations ») mais cela ne fait pas pour autant disparaître l’aspect religieux originel. […] Affirmer que la crèche « présente un caractère religieux » et donc que l’on devrait la bannir de l’espace public en application de l’article 28 précité mais qu’elle représente également aujourd’hui « sans signification religieuse particulière les fêtes de fin d’année » est assez paradoxal. Le Conseil d’État semble dire que soit la crèche est religieuse soit elle ne l’est plus (et elle serait donc acceptable dans l’espace public). Or, la crèche est – par définition – toujours religieuse même si elle s’accompagne d’autres significations. […] Le fait qu’il y ait une pluralité – indéniable – de sens à un symbole religieux ne fait pas disparaître le religieux. Au pire, elle le dilue mais ne l’efface pas. Or, en affirmant l’inverse, il nous semble que le Conseil d’État se fourvoie. » (Mathieu Touzeil-Divina, « Ceci n’est pas une crèche », JCP A, 2016, n° 45, act. 853)

[13] Mathieu Touzeil-Divina, « Trois sermons (contentieux) pour le jour de Noël. La crèche de la Nativité symbole désacralisé : du cultuel au culturel ? », JCP A, 2015, n° 23, 2174.

[14] Henri Bouillon, « Le contenu et la valeur juridique du principe de laïcité. Notes sous Cons. const., 21 février 2013, Association pour la promotion et l’expansion de la laïcité », Les annales de droit, n° 8, 2014, pp. 9-31.

[15] Gweltaz Eveillard, « Laïcité : la crèche de Noël, mode d’emploi… », DA, 2017, n° 4, comm. 18.

[16] L’arrêt jugeait que, de surcroît, les travaux ne devaient pas être destinés au culte, mais cette condition a été abandonnée par la décision Région Rhône-Alpes (CE, 17 février 2016, n° 368342).

[17] « Tous les cultes devront pouvoir utiliser les mêmes locaux et dans les mêmes conditions. Il s’agit d’une application classique du principe de neutralité, dans sa dimension négative, qui impose de ne faire aucune distinction entre les usagers du service public en fonction, notamment, de leurs opinions religieuses. » (Jean-Baptiste Chevalier, « La mise à disposition d’une salle municipale pour la célébration d’une fête religieuse », AJDA, 2016, n° 2, p. 108)

[18] Brigitte Esteve-Bellebeau et Mathieu Touzeil-Divina, « Laï-Cités : Discrimination(s), Laïcité(s) & Religion(s) dans la Cité. D’un singulier nouveau au pluriel contemporain ? », Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 03 & Cahiers de la LCD, numéro 03 : « Laï-Cités : Discrimination(s), Laïcité(s) & Religion(s) dans la Cité », dir. B. Esteve-Bellebeau et M. Touzeil-Divina ; Art. 112.

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ParJDA

« Circulez, il n’y a pas de religion à y voir » : rétrospective 2016 sur la jurisprudence du Conseil d’Etat en matière de laïcité

par Quentin Alliez,
doctorant contractuel en droit public, Université Toulouse 1 Capitole, IMH
et Abdesslam Djazouli-Bensmain,
doctorant contractuel en droit public, Université Toulouse 1 Capitole, IDETCOM

Art. 138.

Les élections présidentielles françaises, sonnant dans les prochains jours comme la fin d’une épopée ayant fini par en désintéresser ses spectateurs, est marquée par la question de la laïcité. Cette notion, relativement ancienne, issue de la loi de 1905, apparait comme fondamentale dans la conception que nous nous faisons de la République Française. Ces dix dernières années, le débat autour de sa définition, de ses contours et de sa portée s’est fait de plus en plus entendre. C’est certainement l’émergence, dans notre pays de cultures nouvelles, africaines et moyen-orientales, ainsi que la remontée des conservatismes, notamment depuis le « Choc des Civilisations »[1] qui aura fait de la laïcité un élément fondamental du débat citoyen

Si nous ne devions retenir qu’une seule définition, il faudrait – logiquement – utiliser celle de la loi qui a imposé celle-ci dans notre société. La loi du 9 décembre 1905[2] évoque la laïcité en imposant à la République d’assurer la liberté de conscience et de garantir le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées dans l’intérêt de l’ordre public. L’article 2 poursuit « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Enfin, au terme de l’article 28 « il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions ». Il y a donc, pour les personnes publiques, une obligation leur imposant d’assurer la liberté de conscience et de garantir le libre exercice des cultes. Mais aussi, de veiller à la neutralité des agents publics et des services publics

S’opposent dès lors deux visions de la laïcité. Certains voient dans le terme un rejet : la République ne saurait connaitre de religions et ne s’y intéresse pas, de fait toutes intrusions du cultuel dans le domaine public ne sauraient être acceptées. D’autres, appliquent à la laïcité une forme d’égalité : cette même République doit reconnaitre toutes les religions et faire en sorte que chacun puisse croire en ce qu’il souhaite, ou ne pas croire si cela est son souhait.

Ces deux visions s’opposent constamment et brouillent notre perception de cette question. Le politique use de l’actualité pour en extraire des situations où le principe de laïcité pourrait justifier l’interdiction de certaines pratiques. Cette habitude politique contraint donc le juge administratif à se faire arbitre de ce qui « est acceptable » dans une république laïque et ce qui ne l’est pas.

L’année 2016, sujet de cette rétrospective, aura été l’occasion d’avoir un aperçu de la position du Conseil d’Etat en matière de « Laïcité » puisque deux « affaires » ont donné lieux à des décisions non plus politiques mais juridiques. Il s’agit du « burkini » sur les plages et des « crèches » dans les mairies. Cette dernière affaire trouve une acuité particulière avec la récente décision de la CAA de Marseille[3], interdisant l’installation d’une crèche dans la mairie de Béziers.

La rétrospective n’aura pas pour but d’établir une manière nouvelle de penser la laïcité ou même encore de prendre le parti de l’un ou l’autre des courants de pensée. Il s’agira e mettre en lumière ce qui nous semble être la position du CE en matière de laïcité, nous permettant de savoir de quelle manière le juge administratif appréhende les contentieux en matière de laïcité.

Au travers de l’étude des décisions citées, il apparaît que le Conseil d’Etat, interrogé sur la compatibilité avec la laïcité de potentielles manifestations cultuelles, statue en réalité sur la présence d’un caractère religieux. Plus que de savoir si les « revendications » de certains sont compatibles avec la laïcité, la haute juridiction recherche l’existence d’un caractère religieux.

Sans entrer dans un commentaire des décisions rendues en matière de burkini[4] ou de crèches[5] leurs analyses nous permettront d’illustrer la position du CE. Rappelons qu’un dossier du Journal de Droit Administratif s’intéresse de façon plus exhaustive à la laïcité, il convient de lier le présent article à celui-ci[6].

L’affaire dite du « Burkini » témoigne, dans l’année 2016, de la méthode d’analyse des questions liées à la laïcité par le Conseil d’Etat. Le « burkini », contraction grossière de bikini et de burqa[7], a pris une importance particulière à l’été 2016 où les pouvoirs publics ont remarqué la présence de certaines femmes sur les plages françaises portants des bouts de tissus recouvrant leurs corps à l’exception du visage, des mains et des pieds. Il est important de noter que contrairement à ladite burqa le burkini ne couvre pas le visage et permet tout à fait l’identification des personnes.

Le maire d’une petite commune littorale, Villeneuve-Loubet, décide – par un arrêté municipal, d’interdire le port de tenues vestimentaires regardées comme manifestant de manière ostensible une appartenance religieuse lors de la baignade et sur les plages. Cet arrêté « anti-burkini » assimile donc cette tenue vestimentaire à une religion, plus précisément à l’Islam. Par cet arrêté, l’élu impose à celles qui ne souhaitent pas faire publicité de leur corps sur les plages soit à se déshabiller, soit à ne pas profiter du littorale de la ville. De manière évidente, des associations ainsi que des particuliers ont demandé la suspension de cette interdiction en formant un référé-liberté devant le tribunal administratif de Nice.

Il revient finalement au juge des libertés du Conseil d’Etat de clarifier la situation au travers d’une ordonnance du 26 août 2016 Ligue des droits de l’homme et autres – association de défense des droits de l’homme collectif conte l’islamophobie en France[8].

Dans cette ordonnance, le juge administratif vient retirer au cœur du litige son aspect cultuel. En effet, nous pourrions penser – peut être à juste titre – que la question d’accepter ou d’interdire le port d’un vêtement considéré comme manifestation d’une religion est une question cultuelle. Elle n’est pourtant que politique. En effet, les arrêtés municipaux, comme le souligne le Conseil d’Etat, ont été une réaction à l’attentant perpétré à Nice[9] un peu plus tôt dans l’été. Le juge administratif rappelle, s’il le fallait, que « l’émotion et les inquiétudes résultant des attentats terroristes, et notamment de celui commis à Nice le 14 juillet dernier, ne sauraient suffire à justifier légalement la mesure d’interdiction contestée ». Les instigateurs de cet acte barbare se revendiquant de la religion musulmane, il apparaît que ces réactions politiques ont été suscités en effet par l’émotion plus que par la raison.

La question est alors la suivante : est ce que le principe de laïcité accepterait le port d’un vêtement dit « musulman » sur la place publique ? Le Conseil d’Etat ne va pas du tout répondre à cette question. Alors qu’on lui propose la laïcité, le juge administratif répond par l’ordre public. Il fait alors de la question un débat non plus cultuel mais de police.

En l’occurrence, il rappelle que l’article L2212-2 du CGCT impose au maire de s’assurer du « bon ordre, de la sûreté, de la sécurité et de la salubrité publiques ». Sur le point des plages, en particulier l’article L2213-23 du même code permet au maire d’assurer une forme de police des baignades. Il est donc chargé de s’assurer du bon déroulement de l’ordre public sur les plages comme à la ville. Le Conseil d’Etat remarque, suite aux auditions, qu’aucun élément ne permet d’identifier un trouble à l’ordre public conséquence du port d’un tel vêtement. Dès lors, cette pratique ne saurait faire l’objet d’une interdiction dans le cadre de la compétence donnée au maire.

L’analyse du Conseil d’Etat est alors la suivante : est ce que la pratique contestée cause un trouble à l’ordre public ? Si oui, elle peut faire l’objet d’une interdiction, si non, rien ne l’interdit. Ainsi, la Haute-Juridiction de l’ordre administratif ne questionne en aucun cas le rapport au fait religieux. Se plaçant sur le terrain de l’ordre public, le CE ne s’intéresse pas au caractère religieux du vêtement et ne se prononce pas sur sa compatibilité avec la laïcité.

Plusieurs mois plus tard le Conseil d’Etat a réaffirmé ce qui nous semble être sa jurisprudence en matière de laïcité. La question posée au juge administratif était simple et pourrait se résumer ainsi : l’installation de crèche de la nativité dans le cadre des fêtes de Noël est-elle compatible avec la laïcité ?

La réponse à apporter aux problématiques soulevées par ces installations dans les lieux publics est cependant plus délicate. Le Conseil d’Etat devait, pour la première fois, se prononcer sur cette question. Les tribunaux[10] et cours administratives d’appel[11] y voyaient tantôt un symbole religieux, tantôt une représentation traditionnelle culturelle qui aurait perdu son caractère religieux. La solution de la haute juridiction administrative était ainsi attendue comme les Rois Mages, mais ne trouvant pas de majorité lors du vote initial du 21 octobre 2016, les magistrats ont de nouveau dû se prononcer quelques jours plus tard.

Ménageant « l’âne et le bœuf », le Conseil d’Etat considère que les crèches sont susceptibles de revêtir une pluralité de significations[12]. Bien qu’il s’agisse « d’une scène qui fait partie de l’iconographie chrétienne » et qui « présente un caractère religieux », il s’agit aussi d’un élément « faisant partie des décorations et illustrations qui accompagnent traditionnellement, sans signification religieuse particulière, les fêtes de fin d’année ». Serait alors compatible les installations si elles présentent « un caractère culturel, artistique ou festif, sans exprimer la reconnaissance d’un culte ou marquer une préférence religieuse ». Dans ce cas l’implantation de crèche doit être dépourvue de prosélytisme, mais au contraire répondre à des usages locaux. Le Conseil d’Etat recourt ici à la notion « d’objet mixte ». En effet, après avoir reconnu que la crèche a une signification cultuelle, le Conseil d’Etat y voit aussi une décoration culturelle. En sortant le caractère religieux au profit de la reconnaissance d’un aspect traditionnel de la crèche, renforcée par la prise en compte des usages locaux, la haute juridiction réaffirme ce qui nous semble être sa ligne de conduite en matière de laïcité. Plus que de répondre à la question de la compatibilité avec la laïcité, le CE se prononce sur le caractère religieux de la crèche, qui, si elle fait « partie des décorations et illustrations » accompagnant les fêtes de fin d’année, ne comporte pas de « signification religieuse particulière ». Le juge se fonde sur le caractère temporaire des installations et leur contextualisation[13].

Pour cela le CE distingue si la crèche est installée dans l’enceinte d’un bâtiment, siege d’une collectivité publique ou d’un service public, ou en dehors et notamment sur la voie publique.

Dans l’enceinte d’un bâtiment public le fait pour une personne publique de procéder à l’installation d’une crèche de Noël ne répond a priori pas aux exigences de neutralité des personnes publiques. Il en va différemment s’il existe des circonstances particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif. A l’inverse en dehors des bâtiments publics et notamment sur les voies publiques, il existe comme une présomption de caractère festif des installations liées aux fêtes de fin d’année. Présomption qui peut être renversée, si la crèche constitue un acte de prosélytisme ou de revendication d’une opinion religieuse. Alors que la loi traite, en effet, uniformément les espaces publics, la jurisprudence s’applique différemment au porche de l’hôtel de ville et à son parvis « dans une approche centimétrée de la légalité »[14]. La frontière créée semble dès lors assez artificielle.

Cette jurisprudence, rendue à l’approche des fêtes de Noël, avait, comme le note le Pr. Ciaudo dans ce Journal, pour objectif d’apaiser le débat autour des crèches[15].

Si les critères qui doivent être appréciés pour déterminer si l’installation d’une crèche a un caractère culturel et festif ou exprime la reconnaissance d’un culte relèvent de la méthode du faisceau d’indice, ils risquent d’entrainer des solutions casuistiques. Cependant, la précision de ses considérants 6 et 7 sur l’implantation dans les bâtiments publics et en dehors donne à cette jurisprudence des airs de circulaire ou à tout le moins d’indications pour les élus locaux sur leurs possibilités.

Cette solution peut laisser dubitatif. Sur une « échelle de la religiosité », il nous apparaît que la crèche y occupe une place importante, bien plus que les autres symboles que peuvent être le renne ou le sapin. En effet, « affirmer que la représentation de la naissance miraculeuse du Christ n’est pas un symbole religieux n’est guère convaincant »[16].

***********

Le Conseil d’Etat a, au cours de cette année 2016, livré une jurisprudence étonnante. Plus que de se prononcer sur la compatibilité avec le « droit positif laïc »[17], il se prononce sur la religiosité de telle ou telle manifestations. D’abord avec le burkini, le CE apprécie l’atteinte à l’ordre public ; ensuite avec les crèches, le CE retire le caractère cultuel au profit d’une représentation culturelle.

Si le CE présente, au moins, l’intérêt de la cohérence dans ses décisions en matière de laïcité, sa position peut apparaître comme contestable. En n’intervenant pas dans le débat, il ne peut donner une définition claire, précise et moderne de ce que l’on doit entendre en droit par laïcité. Comme nous l’avons explicité plus haut deux interprétations du principe s’opposent et le juge doit être cet arbitre de touche. Les difficultés que nous vivons aujourd’hui, celles du terrorisme et de la gangrène des conservatismes nous imposent de donner une réponse juridique à ce débat qui pollue la vie publique.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique administrative 05 ; Art. 138.

[1] S. Huntington, Le Choc des civilisations, Odile Jacob, 1997.

[2] Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat.

[3] CAA de Marseille, 20 mars 2017, Ligue des Droits de l’Homme c/ la commune de Béziers

[4] Note sous Conseil d’État, 26 août 2016, Ligue des droits de l’homme et autres et Association de défense des droits de l’homme Collectif contre l’islamophobie en France n° 402742 et n° 402777, Lebon ; AJDA 2016. 1599 ; ibid. 2122, note P. Gervier ; D. 2016. 1704, et les obs. ; AJCT 2016. 508, obs. G. Le Chatelier, obs. G. Le Chatelier ; ibid. 529, tribune M.-A. Granger ; ibid. 552, étude C. Alonso.

[5] CE, ass., 9 nov. 2016, n° 395122, Fédération départementale des libres penseurs de Seine et Marne, Lebon ; AJDA 2016. 2135 ; D. 2016. 2341, obs. M.-C. de Montecler ; ibid. 2456, entretien D. Maus ; n° 395223, Fédération de la libre pensée de Vendée, Lebon ; AJDA 2016. 2135 ; ibid. 2375, chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet ; D. 2016. 2456, entretien D. Maus.

[6] Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 03 & Cahiers de la LCD, numéro 03 : « Laï-Cités : Discrimination(s), Laïcité(s) & Religion(s) dans la Cité » (dir. Esteve-Bellebeau & Touzeil-Divina) ; Art. 111.

[7] Il s’agit d’un vêtement qui, selon les traditions, couvre tout ou partie du corps d’une femme. Selon les pays, le port de celui-ci peut être imposé par l’Etat (c’est le cas en Arabie Saoudite). Ce vêtement est confondu avec la pratique de la religion musulmane même si les spécialistes des religions sont en désaccord sur l’appartenance de cette pratique aux rites liés à l’Islam.

[8] Voir, pour plus de précision, l’excellent article de Pierre Bon, professeur émérite à l’UPPA : « Le « burkini » au Conseil d’Etat », RFDA 2016, p.1227

[9] Un camion avait écrasé de nombreuses personnes à Nice lors du traditionnelle feu d’artifice du 14 juillet. L’attentat a été revendiqué par le groupe « Etat Islamique ».

[10] M. Touzeil-Divina, « Trois sermons (contentieux) pour le jour de Noël. La crèche de la nativité́ symbole désacralisé : du cultuel au culturel ? » : JCP A 2015, 2174, note sous TA Nantes, 14 nov. 2014, Fédération de Vendée de la libre pensée ; TA Montpellier, 19 déc. 2014 et TA Melun, 22 déc. 2014, Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne.

[11] M. Touzeil-Divina, La crèche de la nativité, emblème religieux confirmé au sens de la loi de 1905 mais avec des conséquences différentes selon les juges ! : JCP A 2015, act. 878, note sous CAA Nantes, 13 oct. 2015, Département de la Vendée et CAA Paris, 8 oct. 2015, Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne.

[12] M.-C. de Montecler, « Crèches : le Conseil d’Etat ménage l’âne et le bœuf », AJDA 2016, p. 2135

[13] M. Touzeil-Dvina, « Ceci n’est pas une crèche ! », JCP A 2016, act. 583.

[14] L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet, « La crèche entre dans les Tables », AJDA 2016, p. 2375.

[15] Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 03 & Cahiers de la LCD, numéro 03 : « Laï-Cités : Discrimination(s), Laïcité(s) & Religion(s) dans la Cité » (dir. Esteve-Bellebeau & Touzeil-Divina) ; Art. 118.

[16] T. Hochmann, « Le Christ, le père Noël et la laïcité, en France et aux Etats-Unis », Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, oct. 2016, n° 53, p. 53.

[17] J. Morange, « Les crèches de Noël – Entre cultuel et culturel », RFDA 2017, p. 217.

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Questionnaire de Mme Sourzat (50/50)

Lucie Sourzat
Doctorante attachée temporaire d’enseignements et de recherche
Institut du Droit de l’Espace, des Territoires, de la Culture et de la Communication

Art. 188

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Afin de proposer une définition du droit administratif, nous partirons d’une citation de Marcel Waline selon lequel le droit administratif doit « éviter d’une part l’immobilisme et l’impuissance, d’autre part la tyrannie » des autorités publiques (Marcel Waline, Droit administratif, Sirey, 1963, p.4, n°5) .

En effet lorsque l’on aborde le droit administratif, cela nous conduit inévitablement à rechercher un équilibre – parfois subtil – entre pouvoir et contrôle de l’Administration.

Le droit administratif se trouve ainsi défini comme un ensemble de règles de droit venant à la fois donner et encadrer les pouvoirs de l’Administration afin que cette dernière puisse s’établir, fonctionner et agir raisonnablement dans l’intérêt de tous.

Ici l’utilisation de l’adverbe « raisonnablement » n’est bien évidemment pas innocente. Terme « utilisé aux Etats-Unis par les juridictions dans le cadre du contrôle des droits et de l’action administrative » (S. Théron, «Au-delà du droit administratif, en droit administratif : quelles références ? Quelle signification ? » in Le raisonnable en droit administratif, ouvrage collectif sous la direction de Madame Sophie Théron, 2016, éd. L’Épitoge – Lextenso, pp. 13-22, voir spéc. p.16 & 19), le raisonnable se trouve véritablement au cœur de la définition du droit administratif. En effet aux pouvoirs – souvent exorbitants – conférés à l’Administration par le droit administratif doit être obligatoirement rattaché un système de contre-pouvoirs garanti notamment par la prévision de mécanismes juridictionnels visant à surveiller et à sanctionner l’action de cette dernière lorsqu’elle outrepasse les attributions qui lui sont normalement confiées. Cela s’inscrit bien dans l’idée plus large selon laquelle « chaque fois qu’un droit ou un pouvoir quelconque, même discrétionnaire, est accordé à une autorité, ou à une personne de droit privé, ce droit ou ce pouvoir sera censuré s’il s’exerce d’une façon déraisonnable » (Chaïm Perelman, Le raisonnable et le déraisonnable en droit. Au-delà du positivisme juridique, 1984, LGDJ, vol. XXIX, voir spéc. p.12).

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Dans le contexte de crises économique et financière actuel, il semblerait que le droit administratif soit effectivement l’objet d’un certain nombre de mutations.

Le principal changement semble alors résider dans la porosité de plus en plus marquée des frontières qui existaient autrefois entre le droit administratif et le droit privé. Ainsi l’approche dogmatique d’un droit administratif autonome et singulier par rapport au droit commun ne semble plus qu’appartenir au passé. Un tel phénomène de révision du droit administratif s’explique notamment par la raréfaction des financements publics. Le droit administratif de demain s’inscrit alors – du moins partiellement – dans un mouvement de financiarisation nécessaire à la vie des affaires aussi bien publiques que privées. Plus prosaïquement le « droit administratif de demain » voit certaines de ses « règles d’or » relativisées. Cela transparait par exemple en droit administratif des biens avec la relativisation du principe d’inaliénabilité du domaine public. Une autre illustration peut être donnée en droit des contrats administratifs à travers la prolifération de montages contractuels complexes souvent inspirés du droit privé à la qualification juridique incertaine et visant à s’extraire d’ « un carcan trop contraignant, qu’il s’agisse des règles de la domanialité publique, de l’obligation d’exercer la maitrise d’ouvrage publique, ou encore, et bien évidemment, des multiples règles régissant la passation des contrats publics » (Nil Symchowicz, Partenariats public-privé et montages contractuels complexes, éd. Le Moniteur, 2009, voir spéc. p.19). Précisons toutefois que la réforme de la commande publique en vigueur depuis le 1er avril 2016 révise la possibilité de conclure de tels montages (Voir not. Nil Symchowicz, « La réception des « montages contractuels complexes » par le nouveau droit de la commande publique », BJCP, mars 2016, n°105, pp. 101-116).

Par ailleurs au-delà des règles, ce sont aussi les pouvoirs exorbitants de l’Administration eux-mêmes qui se trouvent de plus en plus limités au sein du droit administratif de demain. Cela se traduit notamment par une tendance au rééquilibrage des rapports entre l’Administration et les administrés. L’illustration certainement la plus patente d’un tel phénomène réside dans la relativisation du pouvoir de modification unilatérale pour motif d’intérêt général détenu par l’Administration contractante (Voir not. Gabriel Eckert, « Les pouvoirs de l’Administration dans l’exécution du contrat et la théorie générale des contrats administratifs, Ctts MP, octobre 2010, n°10, pp. 7-15) et plus généralement dans les limites apportées au principe de mutabilité (Voir not. Hélène Hoepffner, « L’exécution des marchés publics et des concessions saisie par la concurrence : requiem pour la mutabilité des contrats administratifs de la commande publique », Ctts MP, juin 2014, n°6, pp. 67-70). Au-delà d’un simple rééquilibrage des rapports entre l’Administration et les administrés, il semblerait que sous l’impact de « la puissance économique » des opérateurs avec lesquelles l’Administration entretient des relations d’affaires, émergent « aussi des contrats administratifs nettement déséquilibrés en faveur de la partie privée » (Fabrice Melleray, « Déséquilibres contractuels », AJDA, 2014, p.1793) remettant en question sa position et, par voie de conséquence, les contours du droit administratif. À l’origine contrôlée par le droit administratif lui-même afin d’éviter une action abusive de sa part, la question se pose de plus en plus de savoir si l’Administration serait en passe de se trouvée contrôlée par les agissements d’administrés détenant d’importantes marges de manœuvres financières.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

Théoriquement la singularité du droit administratif se trouve engendrée par l’existence de règles spéciales, exorbitantes du droit commun jouant en général au profit de l’Administration. Toutefois si nous reprenons les développements précédents, l’on constate une altération progressive de la singularité du droit administratif et un net rapprochement avec le droit commun. Nous justifions notamment cet argument à travers le prisme du contrat administratif dont il semblerait, in fine, que « l’exorbitance (…) a été largement mythifiée » (Marguerite Canedo, « L’exorbitance du droit des contrats administratifs », in L’exorbitance du droit administratif en question(s), Études réunies par le Professeur Fabrice Melleray, LGDJ, 2004, pp. 125-177, voir spéc. p.127. Voir aussi Léon Duguit, Traité élémentaire de droit constitutionnel, 2è édition, t. III, voir spéc. p.41) . Il est vrai qu’en dehors du strict périmètre du contrat, le droit administratif, de par son objectif premier résidant dans la satisfaction de l’intérêt général, semble toutefois conserver une certaine originalité par rapport aux branches voisines du droit. Pourtant nous sommes tentés de conclure le présent propos par une phrase empruntée au professeur Charles Debbasch selon lequel « chacun s’accorde aujourd’hui à reconnaître qu’on ne peut parler de droit administratif comme d’un droit dérogatoire au droit commun que par une commodité de langage » (Charles Debbasch, « Le droit administratif, droit dérogatoire au droit commun ? », in Mélanges René Chapus, LGDJ, 2014, pp.127-133, voir spéc. p.133).

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

Nous risquons de ne pas être très originaux dans la réponse à cette question. Il semblerait en effet que le principal moteur du droit administratif se trouve notamment incarné par l’intérêt général. Pourtant dans la droite ligne de nos développements précédents, il semblerait bien que dans un mouvement de libéralisation « l’intérêt général censé légitimer l’action publique se mue progressivement en intérêt économique général » (David Bailleul, « Le droit administratif en question : de l’intérêt général à l’intérêt économique général ? », JCP A, mars 2005, n°13, pp. 587-592).

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

Au risque de faire preuve d’un manque d’optimisme, la tâche n’est pas si simple. Il est vrai que le droit administratif, sûrement par sa complexité, souffre malheureusement d’une mauvaise réputation. Le droit pénal ou encore de le droit de la famille parce qu’ils sont davantage popularisés – médias, cinéma, séries télévisées – apparaissent alors comme plus accessibles. Ces derniers sont pourtant tout aussi complexes, voire peut-être même plus. Nous pensons qu’il s’agit tout d’abord de tenter de démystifier le droit administratif dans l’esprit du « profane » en lui faisant prendre conscience que nous pratiquons quotidiennement du droit administratif sans forcément nous en apercevoir. Ensuite il est question de faciliter l’accès à l’étude du droit administratif. Délicat à vulgariser, car souvent assez technique et subtil, tout semble être question de pédagogie. Il s’agit par exemple de simplifier le droit administratif en l’abordant par des exemples concrets et parlants.

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Tout dépend de ce que l’on entend par « globalisé ». Il semblerait que pour certains « la globalisation et l’internationalisation du droit renvoient à des processus qui interdisent toute réponse définitive » (Marie-Claire Ponthoreau, « Trois interprétations de la globalisation juridique. Approche critique des mutations du droit public », AJDA, janvier 2006, n°1, pp. 20-25) . Pour d’autres « la globalisation juridique se situe sans doute moins dans la formation des normes, leur contenu, leurs effets, que dans les processus de leur transmission, de leur circulation, de leur intrusion dans les systèmes juridiques » (Jean-Bernard AUBY, La globalisation, le droit et l’Etat, Montchrestien, coll. Clefs, 2003, voir spéc. p.78). Nous retiendrons une approche extensive de la globalisation associant ces deux dernières définitions. Selon nous la globalisation correspondrait à la fois à une actualisation et à une projection constante des futures règles du droit administratif, ces dernières se trouvant nettement influencées par le droit privé, le droit européen et les droits étrangers (Voir not. Fabrice Melleray, « L’imitation des modèles étrangers en droit administratif français », AJDA, juin 2004, n°23, pp.1224-1229) .

Nous l’avons vu en droit interne, le droit administratif – et le droit public en général – tend à voir ses frontières avec le droit privé devenir de plus en plus fines. Maintenant, la globalisation du droit administratif peut aussi s’entendre comme sa dilution progressive au sein des règles issues du droit dérivé de l’Union européenne. Cela s’illustre notamment à travers la logique européenne de marché impactant fortement les règles encadrant le droit des contrats administratifs et notamment le droit de la commande publique.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Oui et non. Même si un réel mouvement de codification est en marche en droit administratif – nous pensons notamment aux Code de justice administrative, Code des relations entre le public et l’administration, futur Code de la commande publique (prévu pour décembre 2018), etc. – la jurisprudence continue tout de même à faire évoluer le droit administratif et notamment à éclairer les textes confus et ambigus pouvant être source d’insécurité juridique. C’est le cas par exemple de la décision « SA Axa France IARD » rendue par le Tribunal des conflits le 13 octobre 2014 redéfinissant la si controversée notion de « clause exorbitante du droit commun ».

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

Il est selon nous difficile de faire un choix parmi un grand nombre de célèbres noms du droit administratif. Nous citerons alors :

  • Maurice HAURIOU (1856-1929),
  • Léon DUGUIT (1859-1928)
  • & Gaston JÈZE (1869-1953).

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

  • «Blanco » rendue par le Tribunal des conflits le 8 février 1873 ;
  • « Terrier» rendue par le Conseil d’Etat le 6 février 1903 ;
  • & « Société commerciale de l’Ouest africain » ou « Bac d’Eloka » rendue par la Tribunal des conflits le 22 janvier 1921.

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

Là encore il nous faut faire un choix.

  • La loi 16-24 août 1790 & le décret du 16 fructidor an III ;
  • La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat ;
  • & bien sûr la Constitution du 4 octobre 1958.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Le droit administratif pourrait ressembler à une sorte pieuvre parce qu’il est un droit tentaculaire se cachant souvent dans les abysses du droit.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Le droit administratif pourrait être La nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau (1761) parce qu’il est un droit passionnel, tumultueux, et sensible aux mouvements du temps et aux changements.

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Le droit administratif pourrait être le Bal du moulin de la galette (1876) d’Auguste Renoir parce qu’il est un droit vivant, animé, assez flou mais parsemé de tâches de lumières ci et là.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 188.

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Questionnaire de Mme Glinel (49/50)

Marie Glinel
Etudiante en Master II
Université Toulouse 1 Capitole

Art. 187

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Le droit administratif désigne l’exorbitance pure, celle qui par sa singularité parvient à rendre compte avec force des rapports qu’entretiennent administrés et administration, dans leurs obligations et droits réciproques, pour former une harmonie fondée sur le déséquilibre essentiel et intrinsèque à l’intérêt général. C’est en quelques sortes le droit de la force, de l’exorbitance et de l’harmonie réunies.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Le droit administratif est avant tout vécu, pour la génération envisagée ici, comme une continuité. L’on part de la jurisprudentialisation de la responsabilité de l’administration en 1873 vers la codification des droits des administrés et usagers (version consolidée en 2016). Ainsi, le droit administratif d’hier n’est pas tant usagé que cela… il reste tout aussi vif, car ce ne sont après tout que deux manières de « faire droit » et de « dire droit » qui prennent toujours autant en compte les deux acteurs que sont l’administration et ses aimés administrés.

Subséquemment, s’il n’y a pas de rupture envisagée entre différents âges, il y a continuité. Continuité vers quoi ? La quête de l’harmonie et de l’équilibre entre différents enjeux de la cause publique peut, en réalité ne pas avoir de frontières et partir à la conquête de l’Union européenne. Cette méta-Institution qu’est l’Union européenne est en quête d’une harmonisation des droits administratifs, car il s’agit de l’échelle juridique la plus efficace pour l’UE : celle de la mise en œuvre concrète des politiques. Et force est de constater que nos modèles européens sont tous très différents… Notamment sur ce qui fonde en partie la force de notre système : le service public et la puissance publique.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

Ce qui fonde la singularité du droit administratif français est la richesse doctrinale qu’il a pu susciter. En l’espace de moins de deux siècles, les thèses se sont entretuées et confondues, croisées et recroisées pour ne former qu’une synthèse continuelle. Pour ne parler que de Bordeaux et Toulouse, les notions mères de service public et puissance publique ont bercé, encore aujourd’hui, les siestes en cours de droit administratif… Ainsi, les inflexions jurisprudentielles et juridiques ont été indéniablement influencées par les auteurs qui les ont observées et commentées. En quelques sortes, ce qui singularise le droit administratif français est donc sa source première, secrète, inavouée et essentielle : la doctrine.

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

C’est bien évidemment par pure honnêteté intellectuelle (oui, oui) et non par chauvinisme forcené qu’au hasard, le principal moteur du droit administratif français est la reconnaissance d’une puissance publique dans les affaires concernées. C’est donc un critère organique qui primerait ? C’est le travers de l’essentialisation des acteurs qui nous pousse à envisager ainsi le moteur du droit public. Pour compléter cette organicité, penchons-nous plutôt sur la notion plus substantielle d’intérêt général. En latin « général » se dit « universum » … Tout est dit. Le droit administratif français s’applique précisément à chacun de nous, chacun est inclus dans son projet universel.

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

Le droit administratif doit par essence être à la portée de tous, puisque par son universalité il s’applique à tous. Les essais de RGPP ont tenté, en surfant sur la vague de la modernité, de l’inscrire sur le support de l’avenir : l’Internet. Etait-ce si opportun ? Pourquoi ne pas opter pour les Dix commandements du droit administratif inscrits dans le marbre des guichets et Institutions ? Outre l’irréalisable travail de synthèse de ces bibles en construction, n’oublions pas l’incontournable pouvoir d’interprétation qui en résulterait…

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Adjoindre « globalisé » et « condamné » est un parti pris sémantique intéressant à exploiter : poser la question implique qu’il peut y avoir une autre issue. Mais la poser dans ce sens implique une marche forcée : est-ce inéluctable ? Le droit administratif français peut-il constituer le modèle de demain, pour ou contre son gré ? Cette question implique deux niveaux de réponse. D’une part, s’il doit être globalisé dans le sens d’une exportation du modèle dans d’autres modèles, alors c’est dans son digne intérêt français – donc conquérant – d’aller à la rencontre d’autres contrées. D’autre part, s’il doit être globalisé dans le sens d’une explosion des repères et d’une gouvernance identique, mais changeant d’échelle pour être mondiale, alors… Jamais ne sera envisageable cette possibilité. Raisonner par l’absurde a du bon pour se connaitre soi : le droit administratif français est bien trop empreint (malgré lui !) de valeurs et de symboles sociaux, moraux adaptés à une société, pour se calquer juridiquement sur un autre modèle plus libéral et pragmatique. La question est : mais le droit administratif français n’est-il pas en train, justement, de prendre en marche le train d’un libéralisme forcené ? Après tout, le terme « globalisé » est lui-même économique, sans pourtant être au rabais.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Est-ce que la codification des positions jurisprudentielles compte ? Tout dépend de la dynamique que l’on donne au terme « prétorien » qui, à ses origines est relatif au prêteur romain. Sa dignité est toute militaire, quand sous le vocable juridique actuel elle est juridictionnelle. Dans son application, le droit qui prime est le droit codifié. En revanche, dans son enseignement, le droit administratif qui importe est souvent l’évolution qu’il a subie au gré des arrêts et revirements. En d’autres termes : l’étudiant retient davantage l’évolution du droit prétorien que le résultat codifié. C’est bien que l’enseignant n’est pas, lui-même, dans une logique de rentabilité pragmatique (logique du résultat) : voici l’esprit du droit administratif français !

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

Maurice, Hauriou et Toulouse. Plus sérieusement Hauriou et Duguit pour la complémentarité qu’ils s’offrent mutuellement. Car c’est en étudiant la dialectique qui est née entre les positions de ces deux auteurs que l’on prend assez de recul sur ce qu’est cette matière. Le « Laurel et Hardy » du droit administratif a trouvé son lot d’humour, en s’assommant à coup de Traité Administratif…

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

Lorsqu’il était question plus haut de protection, cela implique une vision fort paternaliste du droit administratif qui n’a pas quitté certains et qui a été le socle d’émancipation d’autres. Ici est assumée pleinement la vision paternaliste du droit administratif, entendu dans sa fonction de protection de la dignité humaine : Morsang sur Orge de 1995. Ajoutons à cela la protection de l’harmonie et de l’universalité du droit administratif envers ses administrés, par le principe d’égalité devant le service public : Denoyez et Chorques de 1974. Enfin, pour la dimension gallicane et insolente de la juridiction administrative française en lien avec la question sur la globalisation, n’oublions pas Sarran et Levacher de 1998. Elles sont toutes trois importantes, à des moments différents, car elles fondent en identité ce qu’est notre spécificité : la protection absolue de tous, dans l’égalité, et au regard de notre propre référentiel juridique, axiologique et philosophique.

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

Cette question apparait curieuse. En tout premier lieu le terme de « norme de droit administratif » fait penser à l’échelon normatif dévolu au pouvoir administratif : la norme réglementaire. Seulement, cela peut également faire penser aux normes au sens de principe. Sauf que ces derniers sont souvent dégagés par jurisprudence. Mais lister des règlements n’a rien de bien exaltant. Quid juris ? Les normes les plus importantes sont celles prises par le pouvoir administratif : la délivrance d’un permis de construire (pour les possibilités contentieuses croustillantes qu’il laisse poindre…) ; l’arrêté en matière de police administrative en général (pour les possibilités d’évaluation de la liberté laissé aux administrés dans l’exercice de leurs droits). Ces deux normes permettent une mise en perspective des libertés face à l’administration, ou face à autrui.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Une louve, protectrice et acharnée dans sa mission, mère des deux principes que sont la puissance publique et le service public ayant fondé en droit la cité de l’administration, dont le trésor est l’intérêt général.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

L’Antigone de Sophocle, pour sa tentative d’une harmonie (ou d’une compréhension, déjà) entre l’attention due à l’administré réalisée par un droit adapté à l’administré (Antigone) et l’intention provenant d’une administration en quête d’efficacité et d’effectivité (Créon).

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

La Tour de Babel de Brueghel, pour la sophistication de ses courbes et la symbolique de son origine : c’est pour retrouver un langage adamique – entendre harmonique, issu du premier père Adam – entre l’administré et l’administration, que le droit administratif œuvre, humble. Il est bien question d’une harmonieuse rationalité brisée par les cieux car trop orgueilleuse. Cette Tour, c’est la fierté en reconstruction et les efforts de chacun, la solidarité dans la lucidité.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 187.

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ParJDA

Questionnaire de M. Gemberling (48/50)

Max Gemberling
Etudiant (Licence) à l’Université du Maine
Membre du Collectif L’Unité du Droit

Art. 186

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Montesquieu affirme dans l’esprit des lois : « du droit de tuer dans la conquête, les politiques ont tiré le droit de réduire en esclavage ». Si le droit administratif est clairement le contrepoids de ce droit des politiques, il demeure difficile de le circonscrire. Au premier abord, si le droit administratif diffère du droit constitutionnel, il n’en est toutefois pas autonome. L’administration est en effet soumise à la Constitution, expression de la volonté politique. Le droit constitutionnel fait donc partie du droit administratif en ce sens qu’il encadre l’action de l’administration. Le droit administratif transcende ensuite la distinction classique entre droit public et droit privé. Ce droit n’est pas un droit véritablement public qui s’applique exclusivement aux relations qui existent entre les administrations ou entre les personnes publiques et les personnes privées. L’administration peut en effet se voir appliquer le droit privé si son comportement est constitutif d’une voie de fait (Tribunal des conflits, 17 juin 2013, affaire Bergoend). Il ne s’agit pas non plus d’un droit qui a vocation à régir les rapports entre les personnes privées même si cette hypothèse peut malgré tout se matérialiser à l’occasion d’un contrat conclu entre deux personnes privées si l’une d’entre elle agit au nom et pour le compte d’une personne publique (CE, 21 mars 2007, affaire Commune de Boulogne Billancourt).

Les Professeurs Maurice Hauriou et Léon Duguit ont tenté de mettre en place une définition positive du droit administratif. Pour Maurice Hauriou, le droit administratif est le droit des prérogatives de puissance publique (PPP). L’existence de ces prérogatives se caractérise par la position d’inégalité et de soumission de l’administré vis à vis des administrations. Selon Léon Duguit, il s’agit du droit des services publics. Le service public s’y caractérise par l’intérêt général poursuivi par la personne publique. La personne publique ne disposerait alors des prérogatives de puissance publique que si elle poursuit cet objectif d’intérêt général. Ces deux définitions sont insuffisantes. Il est en effet possible d’appliquer du droit privé à des services publics (CE 22 janvier 1921, affaire société générale d’armement). De surcroit le droit administratif peut tout à fait s’appliquer à des décisions qui ne sont pas empreintes de puissance publique (CE 20 juillet 1990, affaire Ville de Melun). Face à ces difficultés de circonscrire le droit administratif, le Conseil constitutionnel a fait de ces critères doctrinaux des indices justifiant par faisceau l’application du droit administratif (Conseil Constitutionnel, 1987, affaire Conseil de la concurrence).

Il me semble que ces deux indices sont aujourd’hui partiellement dépassé et qu’il convient d’actualiser la définition du droit administratif. En premier lieu, le droit administratif se caractérise moins par une soumission de l’administré que par l’émergence d’un véritable dialogue entre l’administré et l’administration (Code des relations entre le public et l’administration entré en vigueur le 1er janvier 2016). Le droit administratif ne se caractériserait alors plus principalement par l’existence de prérogatives de puissance publique mais par une participation des citoyens au processus décisionnel des administrations.

En second lieu, et il s’agit selon moi de la conséquence de l’émergence de ce dialogue, le service public est profondément modifié. Le service public n’est plus la poursuite de l’intérêt général déterminé exclusivement et subjectivement par la personne publique (cf. la théorie dite du post-it du pr. Touzeil-Divina) mais la poursuite d’un intérêt général déterminé par plusieurs acteurs dont font partie les administrations. L’exemple le plus frappant est sans doute celui de l’étude d’impact en matière environnementale qui va permettre à la population de formuler des observations sur tout projet pouvant porter atteinte à l’environnement. Ce n’est alors que dans un second temps que l’administration prendra sa décision finale.

Le droit administratif n’est donc plus un droit exclusif des services publics ou des prérogatives des puissances publiques mais également le droit qui régit la participation du public aux processus décisionnels des autorités administratives.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Le droit administratif est le ciment des structures juridiques organisant la société. Il s’adapte en permanence pour répondre aux nouvelles missions qui lui sont assignées par la société. La détermination d’une définition du droit administratif a permis d’affirmer que le droit administratif devient aussi le droit régissant la participation du public au processus décisionnel des autorités administratives.

Si au XIXe siècle, le droit administratif est le droit des prérogatives publiques et qu’il devient au début du XXe siècle un mélange des prérogatives publiques et des services publiques, le droit administratif est en passe de connaître sa troisième mutation : « la démocratisation du post-it ». Cependant, cette mutation est actuellement en gestation dans certains domaines du droit administratif comme le droit à l’environnement. Elle est d’autant plus en gestation qu’à l’intérieur de ces domaines particuliers, toutes les procédures de participation du public ne sont pas délibératives (Ordonnance n°2016-488 du 21 avril 2016 relative à la consultation locale sur les projets susceptible d’avoir une incidence sur l’environnement). L’ordonnance du 21 avril 2016 crée par exemple une consultation locale pour les projets importants comme celui de l’aéroport de notre Dame des Landes. Cette consultation n’est cependant pas un référendum car l’autorité administrative n’est pas tenue par l’avis de la population.

Il existe donc, selon moi, un droit administratif d’hier qui coexiste au sein d’un droit administratif de demain. Ces deux droits d’hier et de demain ne sont pas distincts mais se caractérisent par la naissance au sein d’une même structure d’une négociation directe du concept d’intérêt général en plus de la branche toujours existante du droit des prérogatives de puissance publique et des services publics. Ainsi, le droit administratif qui a été l’outil de protection du citoyen fasse à l’administration devient progressivement aussi l’outil qui pourra faire connaître et comprendre le processus décisionnel administratif aux citoyens.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

Il est compliqué de répondre à cette question dans la mesure où je ne connais pas d’autre droit administratif que le droit administratif français. Il me semble cependant que la dualité juridictionnelle permettant l’application de deux droits distincts, droit administratif et droit privé, n’est pas présente partout. Par exemple en droit anglais, c’est une formation spécialisée (l’administrative court) au sein d’une même Cour suprême qui applique et crée le droit administratif. La singularité du droit administratif français serait alors à chercher dans l’histoire de sa création qui a permis la mise en place d’un juge administratif né au sein même de l’administration et une stricte séparation des autorités juridictionnelles administratives et judiciaires (Lois des 16 et 24 août 1790).

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

Certains auteurs comme le Professeur Maurice Hauriou ou le Professeur Léon Duguit ont tenté de définir un critère d’application permanent du droit administratif. Cependant, outre les exceptions trop nombreuses en pratique, il est également dangereux en théorie de déterminer un critère unique d’application du droit administratif.

Le Professeur Hauriou affirmait que le critère d’application du droit administratif pouvait être matérialisé par la notion de prérogative de puissance publique. Cependant la pratique a montré que le droit administratif peut s’appliquer indépendamment de toute prérogative de puissance publique. Le Professeur Duguit matérialisait le critère d’application du droit administratif dans le service public. Cependant la pratique du juge administratif a montré que tous les services publics n’étaient pas soumis au droit administratif.

Cette volonté du juge administratif de ne pas se laisser enfermer dans des critères de compétence est certainement dû à la dangerosité du critère unique marqué notamment par un risque de cristallisation du droit administratif. Résumer le droit administratif à l’application des prérogatives de puissance publique, pourrait faire dériver le droit administratif vers un droit de la toute-puissance de l’administration qui ne respecterait plus les libertés fondamentales de l’administré. Résumer le droit administratif à la mise en œuvre d’un service public risque de faire dériver ce droit vers un droit qui ne prend plus en compte les spécificités de l’autorité étatique nécessaire à la continuité de l’Etat.

Il n’existe donc pas, selon moi, de critère unique d’application du droit administratif mais plusieurs indices permettant sa mise en œuvre, exactement comme l’a enseigné le Conseil Constitutionnel en 1987 dans sa décision « Conseil de la concurrence » (Conseil Constitutionnel, 1987, affaire Conseil de la concurrence).

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

Permettre de faire comprendre le droit administratif à « tout le monde » est un bel objectif qui prouve que les Professeurs de droit public sont des gens courageux. Je n’ai pas encore réfléchi sur une méthode permettant de faciliter cet apprentissage.

Si la mise à la portée de chacun du droit administratif est la possibilité de permettre à tous d’utiliser le droit administratif, il faut renforcer la mutation du droit administratif vers une démocratisation des décisions administratives. Le droit administratif est en chemin. On le remarque dans les cas particuliers de l’enquête publique ou de l’étude d’impact (il existe d’autres exemples). Un projet administratif qui aura pour conséquence d’exproprier doit être soumis à une enquête publique qui permettra à la population de formuler des suggestions, des propositions voire des contre-propositions. L’étude d’impact analyse l’incidence d’un projet administratif sur l’environnement. Le droit européen précise qu’il convient de mettre en œuvre un résumé non technique des informations qui constituent le contenu de l’étude.

Cette nécessité de mise en œuvre d’une démocratisation du droit administratif va obliger les initiateurs de l’enquête publique, de l’étude d’impact à rédiger les projets de manière accessible pour permettre aux administrés concernés de prendre position et donc de participer à la prise de décision.

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

« L’Europe n’est pas un petit village d’irréductibles Gaulois qui résiste encore et toujours à l’envahisseur ». M. Jean Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’Etat, a prononcé ces mots lors de son intervention à l’occasion du congrès inaugural de l’Institut européen du droit.

Pour Jean-Marc Sauvé, L’Union européenne (UE) et le droit de la Convention européenne des droits de l’homme (Cesdh) participent de la globalisation d’un droit public général qui comprend le droit administratif français. Ainsi, de nombreux concepts de droit administratif en France ont pu être généralisés par les deux ordres juridiques européens. Il s’agit par exemple du concept de proportionnalité tel qu’il ressort de la décision Benjamin rendue par le Conseil d’Etat en 1933. Il s’agit également des notions de service d’intérêt communautaire (Sig) de l’article 14 du Tfue similaires aux notions de Spa et de Spic français. Les règles des procédures de passation des marchés publics sont ensuite prévues par le droit de l’UE et s’imposent au droit administratif interne. Enfin, les règles du procès équitable, et notamment le droit au délai raisonnable prévu à l’article 6 paragraphe 1 de la Cesdh s’impose en droit administratif. En outre, l’institut européen du droit est créé pour réfléchir à la mise en oeuvre effective d’un « Jus Commun » qui pourra inclure le droit administratif des Etats membres de l’UE.

Certains de ces principes font l’objet d’une interprétation constructive des juridictions européennes et administratives françaises, ce qui permet d’aboutir à une interprétation commune du droit administratif. C’est le cas du droit au délai raisonnable qui, sous l’impulsion de la Cour européenne des droits de l’homme (Cedh), a permis au juge administratif d’affirmer qu’une faute simple suffit à enclencher la responsabilité de l’Etat pour service défectueux de la justice. C’est également le cas de la jurisprudence de la Cedh qui prend en compte la jurisprudence administrative pour affirmer que la double fonction consultative et juridictionnelle du CE n’est pas contraire au principe d’impartialité de l’article 6 paragraphe 1 de la Cesdh.

Le Juge administratif a toutefois pu, pour l’application de certains droits, se détacher de la position européenne et donc de la position globalisée. En matière de droit au délai raisonnable, le juge administratif affirme qu’il est possible qu’un délai soit excessif alors même qu’il est raisonnable au sens de la position globale. Le droit administratif français garde, dans certains cas, une marge de manœuvre dans la détermination du champ d’application de son droit.

Ces illustrations me permettent de penser que le droit administratif français n’est pas un droit condamné à une globalisation le faisant disparaître dans un ordre juridique supérieur mais un droit autonome qui complète le droit globalisé au sein des ordres juridiques européens. Un véritable dialogue est finalement instauré entre les ordres juridiques européens et administratifs français qui permet une protection plus importante de l’administré dans un souci par exemple d’une bonne administration de la justice.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

La jurisprudence est le tissu même du droit administratif. Même si des apports construits par des textes nouveaux comme le code de justice administrative existent, la structure prétorienne du droit administratif ne change pas. A mon avis toutefois, on peut remarquer un glissement de cette structure prétorienne depuis les juridictions nationales vers les juridictions européennes qui interviennent beaucoup plus fréquemment dans la construction de la matière.

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

  • Le père du droit administratif est pour moi peut-être le père malheureux de la petite Blanco
  • et certainement tous ceux qui, constitués en équipe à l’origine au Mans, m’ont donné goût à son étude.

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

  • Conseil d’Etat, 8 février 1873, affaire « Blanco». Il s’agit de l’arrêt par lequel le Conseil d’Etat crée le droit administratif en rendant l’Etat responsable de ses décisions dans un cadre spécifique différent du droit privé. Il n’était pas possible d’aboutir à un système de responsabilité sans mettre en place une compétence indépendante et impartiale pour juger d’une administration.
  • Conseil d’Etat, 13 décembre 1889, affaire « Cadot». Le Conseil d’Etat met fin à la théorie du ministre-juge. Il est désormais compétent pour statuer en premier et en dernier ressort sur l’annulation des actes administratifs de manière indépendante de l’existence d’un texte organisant sa compétence. Le Conseil d’Etat se dote ainsi de l’outil qui lui permet de produire du droit administratif. Une fois le Conseil d’Etat juge de droit commun de l’annulation des actes administratif, il était nécessaire de fixer des critères stables de répartition des compétences entre l’ordre juridictionnel administratif et judiciaire.
  • Conseil constitutionnel, 23 janvier 1987, « conseil de la concurrence » : Le Conseil constitutionnel va distinguer les compétences de l’ordre judiciaire et de l’ordre juridictionnel administratif. Ce faisant, le Conseil organise le bloc de compétence du juge administratif tout en mettant en œuvre un nombre de limites pour les matières que tiennent par nature les juridictions judiciaires et sauf raison de bonne administration de la justice qui pourrait permettre une dérogation aux critères de répartition.

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

  • La Constitution dans son ensemble et plus particulièrement son article 61-1 organisant la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Cette QPC permet en effet au juge administratif de décider ou non de renvoyer une question posée par un justiciable à l’occasion d’une instance au Conseil constitutionnel. En jugeant du caractère sérieux et nouveau de la question et de l’applicabilité de la disposition concernée au litige, le juge administratif dispose en réalité d’une marge d’appréciation importante pour décider du renvoi. Cet article 61-1 a donc indirectement permis au juge administratif, lorsqu’il estime qu’il n’a pas à renvoyer la question, de s’ériger en juge de constitutionnalité de la loi.
  • L’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui conditionne l’action d’un juge administratif qui doit être impartial, indépendant et doit statuer dans un délai raisonnable même si le champ d’application de cet article reste limité à la contestation de droits ou d’obligations à caractère civils ou au bien fondé de toute accusations en matière pénale.
  • Le code justice administrative et le code des relations entre le public et l’administration. Le premier conserve les principes directeurs anciens du procès administratif et le deuxième formalise la mutation du droit administratif d’un droit de pouvoir vers un droit d’échange et de dialogue.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 186.

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