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Un siècle et demi avant le CRPA : que faisait le premier JDA « libéral citoyen » ?

par M. le pr. Mathieu TOUZEIL-DIVINA,
Professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou
Directeur du Journal du Droit Administratif

Un siècle et demi avant Le Code des Relations
entre le Public et l’Administration au premier Jda :
une accessibilité « libérale citoyenne » !
Rappel(s) à partir des articles du
« premier » Journal du droit administratif

Art. 65. Le présent et court texte n’a pas vocation à présenter de manière exhaustive l’état des relations entre administration et administrés sous le Second Empire lorsque le premier JDA fut créé à partir de 1853. Ce « billet » introductif au deuxième dossier du JDA sur « Les relations entre le public & l’administration mises à la portée de tout le monde » n’a en effet que deux objectifs, à la manière du billet (que l’on retrouvera ici) sur l’état d’urgence tel qu’imaginé en 1853 par l’ancêtre du présent Journal du Droit Administratif :

  • d’abord que si l’actualité du Code des Relations entre le Public et l’Administration justifiait que ce thème fît l’objet du deuxième dossier de notre Journal, cette thématique n’est en rien nouvelle et a toujours été l’objet d’actualité(s) et d’intérêt(s) pour tous les administrativistes et ce, – particulièrement – pour les fondateurs du JDA au cœur d’un courant doctrinal que nous avons pu qualifier de « libéral citoyen » (I) ;
  • ensuite, toutefois, on se rendra compte de quelques différences notables dans l’appréhension de ce que l’on nomme aujourd’hui le « Public » (II). On essaiera conséquemment, comme lors du billet précité sur l’état d’urgence vu en 1853, de mettre en avant quelques exemples concrets de ces «relations entre le Public & l’Administration» du Second Empire à travers quelques exemples tirés des premières pages du Journal du droit administratif de 1853 et des premières années suivantes.

Accessibilité « libérale citoyenne » :
l’objectif premier du Jda de 1853 a clairement été le rapprochement vers le « public » des « administrés
 »

Pour qui feuillette les pages du premier Jda, il est évident que ses promoteurs, particulièrement Adolphe Chauveau & Anselme Batbie ont désiré  proposer un média destiné non aux spécialistes du droit administratif glosant entre eux mais bien un outil destiné aux administrés. Autrement dit, la question des relations rapprochées entre Administration & Administrés a même été consubstantielle à la fondation du premier Jda.

On en veut pour preuve ces extraits du premier numéro (article 1 ; tome I ; 1853) du Journal dans lequel il est déclaré que les auteurs avaient trois objectifs : « aider l’administrateur, éclairer l’administrer, vulgariser la législation administrative« . Or, quel est concrètement le résumé ou point commun des deux derniers objectifs : se rapprocher des administrés afin qu’il comprennent davantage l’administration et son Droit. Page onze de cette même livraison on lit explicitement :

Notre " journal (...) intervient dans les rapports de l'administration avec les administrés (...) et, à force d'avertir, obtient des effets assurés".

Telle était bien la mission que le Jda s’était auto-confiée : se rapprocher des administrés pour servir le droit administratif tout entier. Car, ne nous y trompons pas, le Jda en informant administrations et administrés se donnait bien pour objectif de servir le droit administratif (et sa reconnaissance comme branche académique véritable) à l’heure où sa contestation était encore fréquente.

On relèvera et rappellera toutefois, ainsi qu’on l’avait fait dans nos travaux de doctorat (cf. Touzeil-Divina Mathieu, Un père du droit administratif moderne ; le doyen Foucart (1799-1860) ; Paris II; 2007 et en partie issu de ladite thèse : La doctrine publiciste – 1800 – 1880 (éléments de patristique administrative) ; Paris, La Mémoire du Droit ; 2009) qu’il n’a d’abord essentiellement existé que deux façons principales de présenter le droit administratif :

  • soit en ne faisant que le décrire de façon la plus exégétique et objective possible (sans commentaires, sans recherches avec essentiellement la mise en avant des textes et des normes) ….
  • soit en présentant ce même droit mais en se plaçant du côté des administrateurs, du côté du pouvoir et des gouvernants. C’est – en doctrine – croyons-nous cette seconde façon qui a longtemps marqué le droit administratif à l’instar d’un droit « de et pour » l’administration.

Or, précisément, à partir de 1830 et singulièrement sous le Second Empire et notamment avec l’Empire dit libéral, va se développer un courant que nous avions qualifié dans la thèse précitée de « libéral citoyen » et dont le Jda nous semble être une matérialisation parfaite.

(nb : les présentes explications sont issues d’un dictionnaire en cours) :

Du mouvement « libéral citoyen » :

Selon nous, en effet, il a existé différents mouvements doctrinaux avant 1900. Parmi eux, il y eut des praticiens mais aussi des théoriciens dont ceux que nous avons qualifiés de « libéraux citoyens ».

I. Au nom des libertés

Ces derniers ont proposé et décrit une nouvelle organisation du droit administratif qui n’était basée ni sur l’ordre alphabétique, ni sur une présentation romano-civiliste ou progouvernementale des éléments à l’instar de leurs contemporains. Parmi eux, le doyen Foucart (1799-1860) par exemple fut le premier à avoir, selon nos recherches, décidé de présenter le droit administratif du point de vue des administrés présentés en tant que citoyens détenteurs de droits et d’intérêts à protéger et non en fonction de la vision de la seule administration publique, symbole et source du pouvoir. Ce droit administratif se conçoit alors chez Foucart mais aussi chez Firmin Laferrière (1798-1861) ou Théophile, Ducrocq (1829-1913) comme un droit de conciliation entre intérêt général et droits et intérêts privés. Tous ont eu en commun, chronologiquement après Foucart, mais pas forcément sous son influence, d’avoir voulu débarrasser le droit administratif de son acception réductrice de droit de police (comme chez de Gerando (1772-1842)). Les libéraux citoyens sont en effet des auteurs convaincus de la nécessité de défendre les droits et libertés afin qu’ils ne soient étouffés par une administration – symbole du pouvoir et de l’exécutif – potentiellement liberticide. Ils sont avant tout des partisans d’un libéralisme économique et social qui se veut, au nom de l’individualisme, héritier des philosophies bourgeoises de la Révolution française. On pourrait en conséquence croire qu’ils étaient opposés à toute intervention étatique et donc à l’existence même d’un droit administratif développé ; il n’en est pourtant pas ainsi.

II. Libéral & citoyen

Certes, les libéraux citoyens sont encore moins favorables que d’autres à un interventionnisme public fort et, précisément, c’est parce qu’ils veulent contrôler et surveiller cette intervention minimalisée que l’étude du droit public leur paraît capitale. En ce sens, le droit administratif n’est plus seulement à leurs yeux un instrument au service du pouvoir mais il est destiné à contenir son expansion. Pour y parvenir, les libéraux citoyens disposent d’une institution capitale : la juridiction administrative dont ils souhaitent le développement, l’affermissement et surtout l’indépendance. Le juge administratif est alors envisagé et ce, pour la première fois, non comme un juge de l’administration (ce fameux « administrateur-juge »), mais comme un défenseur potentiel des administrés dont les droits et intérêts auraient été bafoués. A sa tête, le Conseil d’Etat leur apparaît désormais comme un véritable arbitre mettant en balance les intérêts privés et public(s). Car s’il est bien une notion fondamentale chez tous ces auteurs que nous nommons libéraux citoyens, c’est celle d’intérêt (public ou) général. En effet, la puissance publique, à leurs yeux, n’est légitime que si elle réalise l’intérêt général : toute autre intervention de sa part est immédiatement rejetée comme néfaste et liberticide.

III. Huit traits caractéristiques de la doctrine libérale citoyenne

Plusieurs traits (huit) sont ainsi caractéristiques de la doctrine des libéraux citoyens. Reprenons-les :

  • d’abord, ils sont tous convaincus de la nécessité d’une Constitution (1), non seulement afin d’organiser l’Etat et de régir ainsi (afin d’éviter tout débordement) les pouvoirs publics mais aussi
  • pour garantir et promouvoir les libertés de chaque administré (2). L’essai sur la Charte du libéral Lanjuinais (1753-1827) est en ce sens particulièrement topique et ne laisse aucun doute sur cette question.
  • Ensuite, c’est précisément cette étude des libertés qui va légitimer et organiser l’exposé des Lois et matières administratives : chacune devenant le prétexte à l’étude d’une restriction à une liberté (3). Ainsi, le droit de police ne cédait-il pas complètement devant l’individualisme mais était-il mis en balance avec lui.
  • En outre, nous l’avons remarqué, un rôle fort (et nouveau) était confié à la juridiction administrative destinée, non à couvrir l’administration, mais bien à protéger les droits des administrés (4).
  • De surcroît, ces libertés défendues par les auteurs de cette doctrine étaient déjà classées et ordonnées autour de manifestations différentes : des libertés individuelles mais aussi des libertés dites sociales (c’est-à-dire publiques au sens où on l’entendait à cette époque) et – surtout – des libertés politiques, afin d’obtenir une participation plus grande des citoyens aux affaires publiques (5).
  • Le droit administratif n’était donc pas l’ennemi des libéraux citoyens bien au contraire : en acceptant, sous un gouvernement représentatif libéral, que soient (enfin) contrôlés le pouvoir et ses émanations, la diffusion du droit administratif devenait une forme d’éducation civique ou citoyenne à l’usage des bourgeois et propriétaires. Il s’agissait de circonscrire au mieux l’interventionnisme public en apprenant ses rouages, son langage, ses techniques et en donnant au juge administratif un nouveau rôle : celui de défendre les libertés. « Le meilleur gouvernement est celui qui apprend aux hommes à se gouverner eux-mêmes » avait dit Goethe (1749-1832) et les libéraux citoyens semblaient en avoir fait leur devise (6).
  • Enfin, la doctrine des libéraux citoyens permettait, pour la première fois dans la jeune histoire du droit administratif, de revendiquer puis de confirmer l’autonomie et la singularité de cette branche juridique, détachée du droit privé. En effet, les systématisations de ces auteurs avaient toutes pour objet d’affirmer l’existence d’un droit distinct du droit commun, ce qui est particulièrement frappant dans les œuvres de Foucart et de Ducrocq plus encore (7).
  • Et, dernière caractéristique, les libéraux citoyens étaient le plus souvent favorables à une forme de décentralisation (bien qu’en fait il se soit agi de déconcentration au sens moderne du terme) afin de lutter contre les abus centralisateurs et pour le développement de l’administration locale (8).

Précisément, Batbie – surtout – rentre dans ce mouvement que nous avons qualifié de libéral citoyen et sa cofondation du Jda comme promoteur d’un droit administratif défendant les droits des administrés et destiné à leur attention en est un acte manifeste.

Un exemple des relations administration(s) / administré(s) :
Le dialogue du Jda avec les administrés (et non le « public »)
dans le but de les rapprocher de l’Administration
& de permettre la contestation  » libérale citoyenne »
de l’action administrative

Il est patent, dès la première livraison du Jda de 1853, que l’objectif de rapprocher administration(s) et administré(s) est important pour les concepteurs et promoteurs du Journal du Droit Administratif. On en veut pour preuve cette série de :

"Lettres à un administré sur quelques matières usuelles de droit administratif"

On n’en donnera pas ici la totalité (cf. 1853 ; Tome I ; Art. 10 ; p. 55 et s.) mais on se contentera de quelques extraits et de brèves observations. D’abord, il est vrai qu’en la matière ce n’est pas l’Administration qui se rapproche de l’administré mais c’est le Jda qui cherche à faire le lien entre les deux. Par suite, le terme moderne de « public » (qui cherche à gommer l’aspect subissant sinon passif de l’administré) n’était évidemment pas employé à la manière de l’actuel CRPA ! Il y était clair que les administrés (notamment sous les Empires et la Monarchie même de Juillet) étaient avant tout des sujets, c’est-à-dire des assujettis. Or, et c’est là où se manifeste le courant libéral citoyen, on cherchait – au Jda notamment – à faire de ces administrés des citoyens actifs et capables – par exemple – de contester ce que l’on aurait auparavant jamais osé faire : l’action administrative.

Ainsi, Batbie écrit-il en 1853 à un administré (dont on donnera plus tard le nom car il va devenir un acteur récurrent du Jda) qui se plaint avec une verve toute toulousaine des malheurs que lui feraient vivre plusieurs administrations (notamment locales). Il est alors particulièrement savoureux de lire la réponse que lui fait publiquement Batbie qui mêle non seulement des arguments juridiques (à l’instar d’une consultation) mais également des éléments très personnels et parfois même caustiques à l’égard de son « lecteur administré » dont il raille abondamment le caractère :

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Dans une prochaine livraison, on donner plus de détails sur l’échange nourri entre Batbie et son « administré ». Pour l’heure on se contentera d’en savourer la première conclusion qui témoigne là encore de cette volonté du Jda de rapprocher administrations & administrés :

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Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno) ; Art. 65.

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Compte-rendu AG du 13 juin 2016

Art. 62

Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Chers élus, Chers Maîtres, Chers collègues, Chers étudiants,

Notre dernière réunion du Journal du Droit Administratif  a eu lieu le 13 juin 2016 en salle dite Maurice Hauriou (Anciennes Facultés de l’Université Toulouse 1 Capitole).

Etaient présentes et représentées sept personnes, toutes intéressées par le Journal du Droit Administratif (Jda) et membres issus de l’Université de Toulouse 1 Capitole & de Sciences Po Toulouse. La réunion s’est organisée autour des points suivants d’annonces et de discussions :

  • Questionnaire(s) / Interview(s) :

Comme prévu lors de nos dernières réunions, des questionnaires (interviews) ont été adressés à des maîtres du droit administratif (français et étranger). Leurs réponses seront publiées au fil des prochains mois.

Il est proposé par l’assemblée générale d’organiser en tant que dossier n°04 (pour décembre par exemple) un numéro qui – précisément – serait constitué à partir de ces questionnaires / interviews non seulement à partir des réponses d’administrativistes français mais encore de collègues étrangers. Il est notamment proposé d’opérer une répartition en trois sous-ensembles de questionnaires :

  • Ceux des membres du JDA (soutiens et / ou auteurs) ;
  • Juristes français ;
  • Juristes étrangers.

Il est notamment proposé de rechercher des pistes en droits étrangers auprès des collègues allemands (piste commencée par Mme le pr. Gaillet), italiens et grecs (piste commencée par le pr. Touzeil-Divina) et québécois (piste suggérée par M. Barrué-Belou).

  • Site Internet

Le pr. Touzeil-Divina informe que la demande d’Issn (International Standard Serial Number) a – enfin – été acceptée. Le Jda peut donc désormais y être référencé sous l’Issn 2494-6281. Chaque article du site Internet a en outre été numéroté depuis la dernière AG et à chaque fin on y lit : « Vous pouvez citer cet article comme suit : Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Art. 01 »  avec une mention supplémentaire pour les chroniques et les dossiers.

  • Deuxième & troisième « dossiers »

Les prochains dossiers du Jda sont en cours.

Le deuxième, programmé pour juillet ou septembre 2016 portera sur « les relations entre administration(s) & administré(s) » selon la proposition qu’en avait faite le professeur Saunier. Le thème a déjà été acté et les directeurs du numéro (le pr. Saunier & mesdames Crouzatier-Durand & Espagno) en ont présenté les avancées.

Le professeur Touzeil-Divina rappelle également l’existence en projet(s) d’un troisième dossier du Jda programmé pour décembre 2016 et portant sur la laïcité ; ce dossier se fera en partenariat avec un nouveau média interdisciplinaire (les Cahiers de la LCD (Lutte Contre les Discriminations)). Un appel à contributions a déjà été proposé en ce sens (cf.précédent compte-rendu). Il s’agira d’organiser de façon mutualisée un dossier sur cette question (dans ses rapports – nous concernant – avec le droit administratif notamment).

  • Jurisprudence(s)

Il est présenté à l’assemblée le premier « triptyque toulousain prétorien » comprenant :

  • Des conclusions d’un rapporteur public
  • Un jugement du Tribunal Administratif de Toulouse
  • Un commentaire court d’un universitaire.

Ce premier triptyque a été conçu à partir d’une affaire en matière de fonctions publiques. Un autre dossier est en cours en matière de marchés publics et / ou d’urbanisme.  L’assemblée propose de multiplier cet exercice en partenariat étroit avec le Tribunal Administratif de Toulouse. Deux ou trois triptyques pourraient en ce sens être en préparation(s) et être mis en ligne courant octobre.

En outre, plusieurs notes de jurisprudence et autres commentaires sont en cours et quelques-unes sont déjà en ligne. Il est proposé en ce sens de préparer pendant la pause estivale – et si possible pour le 15 septembre – cinq décisions de jurisprudence administrative qui ont marqué les débuts de l’année 2016 :

  • CE, 21 mars 2016, deux décisions n° 368082 & n° 390023 (droit souple) ;
  • CE, 11 mai 2016, Communauté urbaine Marseille-Provence-Métropole (n°390118) (bail à construction)
  • CE, 08 juin 2016, A, F, B, G et K (cinq décisions n° 394348, M. A… ; n°394350, M. F… ; n°394352, M. B… ; n°394354, M. G… & n°394356, M. K…) sur les déchéances de nationalité ;
  • CE, 06 avril 2016, B. (n°380570) (Loi organique & traité)
  • TC, 06 juin 2016, Commune d’Aragnouet (n°4051) (clauses exorbitantes)

Il est proposé aux membres du Jda de bien vouloir se manifester en écrivant directement à la rédaction pour se proposer

  1. Soit comme co-auteur d’un commentaire d’une de ces décisions (il serait en effet plus judicieux de faire des commentaires à minimum quatre mains) ;
  2. Soit comme co-auteur d’un autre commentaire de décision.

La liste des décisions retenues et des commentateurs sera fixée lors de notre prochaine A.G..

Il est enfin rappelé qu’une première chronique (en droit des collectivités) est également déjà en ligne grâce au très beau travail de l’équipe d’administrateurs territoriaux sous la direction de M. Pascal Touhari.

  • Rattachement institutionnel

L’assemblée a enfin engagé une conversation quant au rattachement institutionnel éventuel du Journal du Droit Administratif. Est-il opportun de se fixer auprès d’un laboratoire de l’Université Toulouse 1 Capitole ? de plusieurs partageant les recherches en droit administratif ? de l’IFR ? de la Faculté ? … ou encore de rester comme tel sans rattachement ?

Il sera plus tard statué sur cette question.

  • Prochaine séance

Pour la réunion prochaine, il est proposé :

  • de nous donner rendez-vous le mardi 12 juillet 2016 à midi (salle à préciser) non seulement pour procéder – ensemble – à la mise en ligne du dossier numéro 02 (sur « les relations entre administration(s) & administré(s)») mais encore pour valider quelques décisions mais surtout pour célébrer ensemble la fin de l’année (et le lancement réussi du Jda autour d’un pique-nique participatif où chacun apportera ce qu’il peut / veut en fonction de ses envies.

Le présent compte rendu a été dressé et rédigé le 19 juin 2016.

Pr. Mathieu Touzeil-Divina

Le présent compte-rendu
est en ligne au format PDF
en cliquant ICI

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; Art. 62.

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Appel à contribution(s) – Dossier n°02 – Les relations entre le public & l’administration

Art. 61.

2ème appel à contribution(s)
du Journal du Droit Administratif :

« Les relations entre le public & l’administration
mises à la portée de tout le monde »

Numéro sous la direction de Sébastien Saunier,
Florence CrouzatierDurand & Delphine Espagno

Rédaction en chef : Mathieu Touzeil-Divina

Retrouvez le présent appel
au format PDF en cliquant ICI

Depuis le 1er janvier 2016 est entré en vigueur l’essentiel du Code des Relations entre le Public et l’Administration (Crpa) édicté par l’ordonnance n°2015-1341 et le décret n°1342 du 23 octobre 2015. Présenté comme la lex generalis du droit des relations entre le public et les administrés, citoyens et usagers, il codifie une grande partie des textes applicables jusque-là à la relation administrative. Il a pour objectif de rassembler les « règles générales » c’est-à-dire les règles transversales régissant les personnes physiques et morales avec l’administration.

Un code de ce type était attendu depuis une vingtaine d’années après les tentatives inabouties de 1996 et 2004. Sollicité par la doctrine depuis plusieurs décennies, le droit français avait accumulé un retard considérable au regard de la plupart des pays occidentaux déjà dotés parfois depuis plusieurs décennies d’une loi de procédure administrative (EU, Allemagne, Espagne, etc.).

Certes, le législateur avait adopté depuis la fin des années 1970 d’importants textes (la loi du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public, la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public, la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (dite Dcra), l’ordonnance du 08 décembre 2005 relative aux échanges électroniques, la loi du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit organisant les consultations ouvertes sus Internet, la loi du 12 novembre 2013 sur le silence vaut acceptation, etc.).

Cependant, la multiplicité des lois et décrets rendait la matière peu accessible, particulièrement pour les principaux intéressés, les citoyens. En outre, aux textes législatifs et réglementaires, s’ajoutaient la source jurisprudentielle (largement dominante) ainsi que les sources constitutionnelles, internationales et européennes du droit de la procédure applicable aux relations entre l’administration et les citoyens, dans un contexte profondément renouvelé par le numérique, le développement des droits fondamentaux et la prise en compte du droit comparé, ce qui invitait à refondre la matière, par certains aspects, obsolète ainsi qu’à renforcer le dialogue entre l’administration et les citoyens.

Pour son deuxième appel à contributions, le Journal du droit administratif (Jda) a donc décidé de prendre pour objet de réflexion(s) la / les question(s) de la / des relation(s) administrative(s) et de porter un regard complet sur le Code des Relations entre le Public et l’Administration, dans une optique pédagogique. En effet, le Jda (remis à jour en 2016) est conçu comme une rencontre et un dialogue permanent entre tous les acteurs du droit administratif à propos du droit administratif : depuis l’administrateur jusqu’à l’administré citoyen en passant par l’Université et la Magistrature. L’administré, précisément, joue un rôle important au cœur du Jda puisque c’est pour lui qu’est mis en œuvre notre média et c’est avec lui qu’il s’accomplira. Autrefois, du reste, c’est en 1853, déjà, à la Faculté de Droit de Toulouse (Haute-Garonne), que les professeurs Chauveau & Batbie créèrent la première mouture du Journal du droit administratif avec pour sous-titre cette indication « mis à la portée de tout le monde ». Voilà pourquoi après un premier dossier consacré à l’état d’urgence « mis à la portée de tout le monde », le Jda vous propose aujourd’hui et ce, selon quatre axes un dossier intitulé :

« Les relations entre le public & l’administration
mises à la portée de tout le monde »

1. La relation administration – administrés saisie par le Crpa  

Le premier axe du dossier est à dimension générique. Il vise à resituer la contribution et les limites du code des relations entre le public et l’administration au sein des concepts fondamentaux du droit des relations administration-administrés. Les contributions peuvent se décliner, par exemple, autour des interrogations et thèmes suivants :

– Le code des relations entre le public et l’administration dans l’histoire de la relation administrative

– La méthode de codification et de rédaction du code

– Le choix des termes et de l’intitulé du code (public, citoyens, administrés, usagers, etc.)

– L’influence du droit constitutionnel

– L’influence des sources européennes

– Le droit international et la relation administrative

– Le droit comparé comme source du code

– Le plan du code

– Le champ d’application du code

– Le code et le numérique

2. Analyse de la réglementation

Le deuxième axe vise à analyser la réglementation édictée par le code, et ce, selon une optique pédagogique, tout en suivant sa structuration afin d’en faciliter la compréhension par les lecteurs du Jda.

─ Dispositions préliminaires
─ Les échanges avec l’administration

♦ Les demandes du public et leur traitement

♦ Le droit de présenter des observations avant l’intervention de certaines décisions

♦ L’association du public aux décisions prises par l’administration

– Principes généraux

– Consultations ouvertes sur Internet

– Les commissions administratives à caractère consultatif

– Les enquêtes publiques

– Participation du public aux décisions locales
─ Les actes unilatéraux pris par l’administration

♦ Motivation et signature des actes administratifs

♦ L’entrée en vigueur des actes administratifs

♦ Les décisions implicites

♦ La sortie de vigueur des actes administratifs
─ L’accès aux documents administratifs et la réutilisation des informations publiques
─ Le règlement des différends avec l’administration
─ Les lacunes du code

3. Applications

Le troisième axe s’intéresse aux applications des règles générales analysées précédemment dans les différents champs de l’action publique, ainsi par exemple, du :

─ Droit des collectivités territoriales

─ Droit de l’urbanisme

─ Droit de l’environnement

─ Droit de l’éducation

─ Droit de la culture

─ Droit public économique et des affaires

─ Droit de l’aménagement et du territoire

─ Droit fiscal, etc.

Plus généralement, les contributions peuvent s’interroger sur les modalités d’articulation du droit général de la procédure administrative et des droits spéciaux ?

 

4. La relation entre l’administration et les administrés
vu de et par l’étranger

Les apports du droit comparé constituent une source d’enrichissements pour apprécier le cas français et forment le quatrième axe du dossier. Le rapprochement entre les législations comparables et l’expérience française est pédagogiquement intéressante. Elle permet en effet d’analyser les modes de relations entre l’administration et les citoyens, les spécificités de chaque Etat dans l’approche de la relation administrative. Elle peut faire ou ne pas faire émerger des particularités administratives dans le rapport entre administration et administré.

Ces propositions n’excluent ni des propositions supplémentaires spontanées ni des contributions multiples sur le même sujet (ce qui développera les points de vues).

Calendrier retenu & conditions de l’appel à contribution(s) :

Toute personne désirant participer au présent dossier du Jda devra envoyer sa proposition de contribution (un résumé de quelques lignes)
avant le 15 mai 2016
et ce, à l’adresse dédiée : appel@j-d-a.fr.

Les auteur(e)s seront informé(e)s de la recevabilité de leur proposition,
ou des contre-propositions éventuelles au 31 mai 2016 au plus tard.

Les articles retenus devront ensuite être envoyés au 1er juillet 2016
pour une mise en ligne au 15 juillet 2016.

 

Style attendu des propositions :

Les propositions devront comprendre :

─ Une proposition de titre et au moins trois mots-clefs référentiels

─ Une photographie de / des auteur(e)(s)

─ Une présentation de(s) auteur(e)s indiquant ses nom, prénom(s), titres & fonctions.

Normes de rédaction :

Sans perdre de vue l’optique pédagogique du Jda, il est demandé aux contributeurs de bien vouloir respecter les consignes suivantes :

─  Contribution d’une à deux page(s) (format word ou autre / A4) environ)

─ Police unique dans tout le corps du texte (Times New Roman au plus simple – 12)

─  Avec les subdivisions suivantes I. II. III. etc. ; puis A. B. etc. ; puis au besoin §1, § 2. etc.

─ Attention : Les notes de bas de page ne sont pas admises

─ Les références s’écrivent dans le texte au format habituel.

 

Retrouvez le présent appel
au format PDF en cliquant ICI

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AG du 06 avril 2016

Art. 60.
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Chers élus, Chers Maîtres, Chers collègues, Chers étudiants,

Notre dernière réunion du Journal du Droit Administratif  a eu lieu le 06 avril 2016 en salle dite Maurice Hauriou (Anciennes Facultés de l’Université Toulouse 1 Capitole).

Etaient présentes et représentées quinze personnes, toutes intéressées par le Journal du Droit Administratif (Jda) et membres issus de l’Université de Toulouse 1 Capitole, de Sciences Po Toulouse, du Barreau ainsi que du Tribunal Administratif de Toulouse (au moins un représentant de chaque institution ou représenté pour le Barreau). La réunion s’est organisée autour des points suivants d’annonces et de discussions :

  • Questionnaire(s) / Interview(s) :

Comme prévu lors de nos dernières réunions, des questionnaires (interviews) ont été adressés à des maîtres du droit administratif (français et étranger). Leurs réponses seront publiées au fil des prochains mois.

JDA : de 1853 à 2016

  • Site Internet

Le professeur Touzeil-Divina  a présenté aux membres de l’assistance tous les articles, toutes les pages et chroniques du (futur) site Internet du Jda. Plus d’une cinquantaine de contributions ont été préparées et mises en ligne et notre média peut se réjouir de ce que – déjà – plus de soixante contributeurs ont répondu à son appel.

L’assistance se réjouit de ses bonnes nouvelles et découvre avec enthousiasme les différentes pages et articles publiés. Le pr. Kalfleche s’interroge sur la façon de citer les articles et contributions du Jda. Le pr. Touzeil-Divina rappelle tout d’abord qu’une demande d’Issn (International Standard Serial Number) est actuellement en cours d’examen et remercie son collègue pour sa judicieuse remarque. Il propose en conséquence, à la manière du Jda originel (celui de 1853) de numéroter toutes les contributions (de façon chronologique) du Journal et ce, afin, effectivement de pouvoir citer plus aisément les articles actuels et futurs. Il est décidé d’agir en ce sens quitte à proposer par suite une autre modalité matérielle (de citation et / ou d’indexation). Chaque article – pour l’heure – sera numéroté et à sa fin on lira par exemple : « Vous pouvez citer cet article comme suit : Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Art. 01 »  avec une mention supplémentaire pour les chroniques et les dossiers.

  • Mise en ligne !

A 19h00, comme annoncé sur le site Internet et les réseaux sociaux (page facebook et compte twitter), les membres présents du Jda ont officialisé l’ouverture au public du site

http://www.journal-du-droit-administratif.fr/ .

Une vive émotion était palpable dans l’assistance heureuse de participer à la recréation, en 2016, du premier média (toulousain puis national) spécialisé en droit administratif et fondé – à Toulouse déjà – en 1853 par MM. Chauveau & Batbie.Le pr. Touzeil-Divina est heureux de présenter aux membres assemblés le compte twitter dédié du Jda (@JournalduDA) qui a réussi – avant même l’ouverture du site Internet – à faire un peu de « bruit(s) » (pour ne pas dire de buzz) à propos de son arrivée.

  • Deuxième & troisième « dossiers »

Les prochains dossiers du Jda sont en cours.

Le deuxième, programmé pour juillet ou septembre 2016 portera sur « les relations entre administration(s) & administré(s) » selon la proposition qu’en avait faite le professeur Saunier. Le thème a déjà été acté et l’assemblée confirme en confier la direction au professeur Saunier ainsi qu’à mesdames Crouzatier-Durand & Espagno (tous ayant accepté cette mission).

Ils seront matériellement assistés du pr. Touzeil-Divina et de M. Orlandini.Les porteurs du deuxième dossier s’engagent à présenter puis à faire diffuser un appel à contribution(s) d’ici le 15 avril.

Le professeur Touzeil-Divina rappelle également l’existence en projet(s) d’un troisième dossier du Jda programmé pour décembre 2016 et portant sur la laïcité ; ce dossier se fera en partenariat avec un nouveau média interdisciplinaire (les Cahiers de la LCD (Lutte Contre les Discriminations)). Un appel à contributions a déjà été proposé en ce sens (cf.précédent compte-rendu). Il s’agira d’organiser de façon mutualisée un dossier sur cette question (dans ses rapports – nous concernant – avec le droit administratif notamment).

L’assemblée se réjouit de ces projets.

  • Jurisprudence(s)

Il est présenté à l’assemblée le premier « triptyque toulousain prétorien » comprenant :

  • Des conclusions d’un rapporteur public
  • Un jugement du Tribunal Administratif de Toulouse
  • Un commentaire court d’un universitaire.

Ce premier triptyque a été conçu à partir d’une affaire en matière de fonctions publiques. Un autre dossier est en cours en matière d’urbanisme.

L’assemblée propose de multiplier cet exercice en partenariat étroit avec le Tribunal Administratif de Toulouse. Deux ou trois triptyques sont en ce sens en préparation(s).

En outre, plusieurs notes de jurisprudence et autres commentaires sont en cours et quelques-unes sont déjà en ligne.

Il est enfin rappelé qu’une première chronique (en droit des collectivités) est également déjà en ligne grâce au très beau travail de l’équipe d’administrateurs territoriaux sous la direction de M. Pascal Touhari.

  • Prochaine séance

Pour la réunion prochaine, il est proposé :

  • de nous donner rendez-vous le jeudi 12 mai 2016 à 18.30 (salle à préciser) ;
  • que chacun vienne avec une ou des proposition(s) de jurisprudence(s) à retenir comme étant « LA » jurisprudence du début d’année 2016 (Conseil d’Etat, Tribunal des Conflits et Tribunal Administratif de Toulouse) ;

Le présent compte rendu a été dressé et rédigé le 07 avril 2016.

Pr. Mathieu Touzeil-Divina

Le soleil étant encore présent à la fin de la réunion, quelques membres ont accepté de poser autour du buste du doyen Hauriou afin de marquer l’événement et la journée de recréation du Journal du Droit Administratif (Jda). Tous les membres n’y figurent pas (certains s’étant déjà éclipsé).

recréation du JDA - 06 avril 2016

Le présent compte-rendu
est en ligne au format PDF
en cliquant ICI

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; Art. 60.

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ParJDA

Du Ballet !

Art. 61.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; Art. 61.

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ParJDA

TA de Toulouse, conclusions DUBOIS sur la requête n°1203445 (audience du 21 janvier 2016)

Art. 59.

Un commentaire de la présente décision & de ses conclusions se trouve en ligne ici.

N°1203445 – Mme Nanette GLUSHAK

Audience du 21 janvier 2016

Lecture du 18 février 2016

Rapporteur : C. Kanté

Rapporteur public : D. Dubois

fr-tls

CONCLUSIONS

Née aux Etats-Unis en 1951, Mme Nanette Glushak, dont le prénom renvoie inévitablement à l’une des plus belles chansons de la comédie musicale américaine, Tea for two, a appris l’art de la danse à la prestigieuse School of American Ballet, fondée en janvier 1934 à New York par George Balanchine et Lincoln Kirstein. A l’âge de seize ans à peine, elle rejoint la troupe du New York City Ballet sur l’invitation de George Balanchine. En 1970, elle devient membre de l’American Ballet Theatre, autre compagnie new-yorkaise, plus ancienne, et non moins célèbre, où Mme Glushak est promue soliste en 1972. Elle danse les rôles principaux des plus grandes œuvres du répertoire : Le Lac des Cygnes, La Bayadère,[1] La Belle au bois dormant,[2] Don Quichotte[3], La Fille mal gardée,[4] Giselle,[5] Coppélia,[6] La Sylphide.[7]

A partir de 1983, elle co-dirige le Fort Worth Ballet, situé au Texas, et dirige également l’école attachée à cette compagnie, avec son époux, Michel Rahn, danseur issu de l’Opéra de Lyon.

Puis, à partir de 1987, Nanette Glushak remonte le répertoire de Balanchine, qui est décédé quatre ans plus tôt à New York, ainsi que le répertoire classique, et est invitée en tant que professeur dans de nombreuses compagnies étrangères, parmi lesquelles le Royal Ballet d’Angleterre, le Ballet du Deutsche Opera de Berlin, le Ballet de la Scala de Milan mais également des compagnies françaises, telles que le Ballet National de Marseille, le Ballet de l’Opéra de Lyon, et le Ballet du Grand Théâtre de Bordeaux.

En 1989, elle est engagée comme directrice artistique du Scottish Ballet à Glasgow, puis elle est recrutée par la commune de Toulouse comme directrice de la danse et chorégraphe du ballet du Théâtre du Capitole en septembre 1994, par le biais d’un contrat à durée déterminée régi par le décret n°88-145 du 15 février 1988 relatif aux agents non-titulaires de la fonction publique territoriale. Notons au passage que son époux, M. Rahn, est alors également recruté comme maître de ballet.

Vous le savez, le ballet, au même titre que le théâtre et l’orchestre du Capitole sont directement gérés, en régie, par la ville de Toulouse, et leur activité constitue un service public administratif, ainsi que l’a jugé au moins deux fois le Tribunal des Conflits avant qu’il ne simplifie grandement la jurisprudence en la matière par l’arrêt Berkani (cf. à propos de deux danseuses du ballet : TC, 15 janvier 1979, Dames Le Cachey & Guiguère et autres c/ Ville de Toulouse, n°2106, en A sur ce point[8], ccl. Morisot ; TC, 22 novembre 1993, Martinucci c/ Ville de Toulouse, n°2879, en A sur ce point[9]).

Précisons toutefois, en passant, que le contrat par lequel une collectivité publique gérant un service public administratif et agissant en qualité d’entrepreneur de spectacle vivant, engage un artiste du spectacle en vue de sa participation à un tel spectacle, est présumé être un contrat de travail soumis aux dispositions du code du travail (cf. TC, 6 juin 2011, Mme Bussière-Meyer c/ Communauté de l’agglomération belfortaine, n°3792, en A sur ce point[10] ; TC, 17 juin 2013, Mme Olteanu c/ Ville de Saint-Etienne, n°3910[11]).

Le contrat de Mme Glushak répondait quant à lui à un besoin permanent et a été régulièrement renouvelé, de sorte qu’il a été transformé en contrat à durée indéterminée, le 14 décembre 2005, avec effet rétroactif à la date du 27 juillet 2005, conformément à l’article 15-II de la loi n°2005-843 du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique. Pour rappel, ces dispositions imposaient aux employeurs publics la transformation d’un contrat à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée lorsqu’au 1er juin 2004 ou au plus tard au terme du contrat en cours, soit le 31 août 2005 s’agissant de Mme Glushak, l’agent non-titulaire concerné était âgé d’au moins cinquante ans, était en fonction, justifiait d’une durée de services effectifs au moins égale à six ans au cours des huit dernières années, et assuraient, notamment, des fonctions pour lesquelles il n’existe pas de cadres d’emploi de fonctionnaire.

            Toutefois, lors de la séance du conseil municipal du 21 janvier 2011, le maire de Toulouse a annoncé la nomination de M. Kader Belarbi, ancien danseur étoile de l’Opéra de Paris, comme directeur de la danse du Théâtre du Capitole en remplacement de Mme Glushak. Un premier contrat ayant été signé le 12 janvier 2011, M. Belarbi a pris ses fonctions dès le 1er février 2011. Ce n’est qu’un an plus tard que le maire de Toulouse a convoqué Mme Glushak pour un entretien préalable à son licenciement, et l’a ensuite licenciée par décision du 13 février 2012.

Par la présente requête, Mme Glushak vous demande d’annuler cette décision et de condamner la commune de Toulouse à lui verser une indemnité de 180.000 euros en réparation de ses préjudices financiers et moraux.

*****

L’administration peut toujours licencier un agent non-titulaire pour des motifs tirés de l’intérêt du service. C’est là la principale question posée par ce litige, d’autant plus délicate en l’espèce que les activités artistiques telles que celles qui peuvent être confiées à un directeur de la danse, chorégraphe, sont intimement liées, non pas à la personnalité, mais à la personne même, de celui qui occupe ces fonctions. La ville de Toulouse a recruté Mme Glushak, non seulement en raison de ses compétences techniques et pédagogiques dans le domaine de la danse, mais également, du moins peut-on légitimement le penser, en raison de sa notoriété et de son influence dans ce milieu artistique. Pour autant, le contrat de Mme Glushak n’était pas un emploi discrétionnaire, qui aurait permis à son employeur de la révoquer ad nutum, c’est-à-dire, rappelons l’étymologie, sur un signe de tête. La requérante n’était donc pas placée dans une situation comparable à celle des fonctionnaires territoriaux occupant des emplois de cabinet, ou encore des emplois fonctionnels, qui sont strictement et limitativement énumérés par les textes.

C’est pourquoi il nous paraît opportun de rappeler dans quels cas un employeur public peut se séparer d’un agent contractuel de droit commun, conformément à l’intérêt du service.

La première hypothèse qui vient immédiatement à l’esprit, mais qui ne correspond pas au cas qui nous occupe aujourd’hui, est celle de la suppression de l’emploi, notamment pour des raisons budgétaires (cf. par ex. pour la suppression de 15 postes de danseurs de l’opéra de Marseille : CE, 13 octobre 1997, Gardi, n°161957).

Le second motif de licenciement dans l’intérêt du service tient à la réorganisation de celui-ci. A titre d’exemple, le maire de Pantin avait pu licencier un professeur de musique du conservatoire municipal en raison de la réorientation des cours d’esthétique et de théâtre musical assurés par l’intéressé, compte tenu d’une réorganisation qui avait pour objet, d’une part, de permettre l’exécution d’œuvres musicales dans le cours d’esthétique en confiant ce cours à un professeur instrumentiste, et d’autre part, d’assurer la formation de chanteurs comédiens dans le cours de théâtre musical en confiant ce cours à un professionnel du théâtre. Le Conseil d’Etat, qui a noté qu’il ne lui appartenait pas d’apprécier l’opportunité de cette réorganisation, a simplement constaté qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier, que l’agent concerné, qui n’était pas instrumentiste, ait possédé les qualifications désormais demandées par la commune (cf. CE, 17 janvier 1986, Tapie, n°52628).[12]

Troisième possibilité qui a fait l’objet d’un arrêt topique : l’employeur public peut mettre fin à la relation contractuelle en cas d’inadaptation de l’artiste aux besoins du service public culturel, sans que celui-ci n’ait connu de changement particulier d’organisation. Ainsi, à propos d’un danseur soliste à l’opéra de Lyon qui n’était plus choisi par les chorégraphes invités depuis quatre ans (au motif, justement, d’une prétendue incapacité à adopter une forme d’expression contemporaine de la danse)[13], danseur qui n’avait participé depuis trois ans qu’à une seule tournée en qualité de remplaçant au cours de laquelle il n’avait pas dansé et qui n’avait, depuis lors, été sélectionné pour aucune création, le Conseil d’Etat a jugé que ces faits ne caractérisaient pas une insuffisance professionnelle mais une inadaptation aux besoins du théâtre, pouvant le cas échéant justifier le non renouvellement du contrat à durée déterminée qui liait le danseur à l’opéra de Lyon lors de ses échéances (cf. CE, 29 juillet 1994, Ville de Lyon, n°133701, en B sur ce point).

Enfin, les motifs d’éviction peuvent résulter plus classiquement d’une faute disciplinaire ou d’une insuffisance professionnelle imputable à l’agent concerné. Il s’agit là de motifs qui, s’ils ne sont pas directement tirés de l’intérêt du service, ne lui sont pas, bien évidemment, étrangers, selon la formule de la jurisprudence (cf. CE, 13 mars 1968, Commune de Malaussène, n°68999, en A sur cette question[14] ; CE, 12 mars 1975, Ville de Pau, n°91151, en A sur ce point[15]).

*****

            En l’espèce, la décision attaquée du 13 février 2012 est motivée par la circonstance que Mme Glushak n’aurait pas su s’adapter aux nouveaux objectifs fixés par le directeur artistique du théâtre du Capitole dans le cadre du changement de projet culturel de la ville de Toulouse depuis 2008, à savoir l’introduction d’une modernité dans le ballet du Capitole, impliquant une nouvelle direction artistique se traduisant par l’ouverture du répertoire à des chorégraphes contemporains, et par des partenariats avec l’environnement local dans le domaine de la danse, croisements des genres et des styles par le biais de cours publics, de performances, etc.

Puis, le maire de Toulouse a reproché à Mme Glushak de ne pas avoir souhaité engager sa troupe de ballet vers un répertoire autre que néoclassique, de s’être opposée à toutes les ouvertures du ballet sur l’environnement local, d’où une mauvaise implication des danseurs lors des différentes éditions de la manifestation « Osons danser » et de la lecture-démonstration avec l’association de danse hip-hop le CACDU.

Le maire reprochait également à la requérante une perte de notoriété du Ballet du Capitole, qui s’est traduite par une diminution des propositions de tournées nationales et internationales.

Enfin, le maire a estimé que le fait pour Mme Glushak de mener des missions régulières comme maîtresse de ballet auprès d’autres troupes en France et à l’étranger n’était pas compatible avec l’investissement requis par ses fonctions toulousaines.

*****

D’emblée, nous vous proposerons d’écarter ce motif tiré de l’incompatibilité des fonctions de Mme Glushak comme maîtresse de ballet accréditée auprès du Banlanchine Trust avec ses fonctions de directrice de la danse du Théâtre du Capitole. Car s’il est vrai que l’article 25 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires oblige les fonctionnaires et les agents non titulaires de droit public à consacrer l’intégralité de leur activité professionnelle aux tâches qui leur sont confiées et ne peuvent, en principe, exercer à titre professionnel une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit, les mêmes dispositions prévoient que les agents publics peuvent être autorisés à exercer à titre accessoire, une activité, qu’elle soit ou non lucrative, auprès d’une personne ou d’un organisme public ou privé, dès lors que cette activité est compatible avec les fonctions qui leur sont confiées et n’affecte pas leur exercice.

En particulier, le décret n°2007-658 du 2 mai 2007 relatif au cumul d’activités, notamment, des agents non-titulaires de droit public, prévoit, parmi les activités accessoires susceptibles d’être autorisées l’enseignement et la formation, ainsi que les activités à caractère sportif ou culturel.

En l’espèce, le contrat conclu avec Mme Glushak prévoyait expressément que l’intéressée pourrait exercer des activités extérieures à celles du Théâtre du Capitole après autorisation du directeur artistique. Par suite, si les absences régulières de Mme Glushak liées à ses fonctions de répétitrice du Balanchine Trust nuisaient à l’intérêt du service, il suffisait au directeur artistique d’y mettre fin conformément aux termes du contrat, sans qu’il fût pour autant besoin de la licencier. D’ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’antérieurement à l’annonce de la nomination de M. Belarbi, la ville de Toulouse ait fait un quelconque reproche à Mme Glushak sur ce sujet et ait entendu remettre en cause ses activités accessoires.

Le deuxième motif qui nous paraît également fragile est tiré de la perte de notoriété du ballet, ainsi qu’en attesterait la diminution des propositions de tournées nationales et internationales de la part de Mme Glushak.

Tout d’abord, il n’est pas contesté que Mme Glushak a satisfait aux exigences de la nouvelle municipalité de doubler le nombre de représentations du ballet en trois saisons, et de proposer pour chaque saison, six programmes au lieu de quatre. Dans le même temps, Mme Glushak explique très logiquement la diminution des tournées en 2009 et en 2010 par cette augmentation concomitante de l’activité du ballet, mais également par une diminution du budget alloué au Ballet. Toutefois, sans entrer dans le détail de ces explications qui sont contestées par le défendeur, il vous suffira de jeter un œil sur le récapitulatif des tournées du Ballet du Capitole produit par la requérante, pour constater que le nombre des tournées entre 1998 et 2010 a été très variable d’une année sur l’autre. Ainsi, en 1998 comme en 2010, le Ballet ne s’est produit qu’une seule fois, en province, et une seule fois en 2011, à Pampelune, contre 5 fois en 2009, et 24 fois en 2008, notamment à Catane en Sicile. En moyenne, sur la période, le nombre de représentations en tournées est de 9 par an, et le nombre de localités visitées par le Ballet est de sept par an. Par suite, compte tenu à la fois du rythme aléatoire des tournées et du nombre très important de tournées en 2008, avec 15 localités visitées, il ne nous semble pas que le seul nombre de tournées en 2009, 2010 et 2011 fasse la démonstration d’une perte de notoriété du Ballet du Capitole.

Surtout, Mme Glushak était chargée, aux termes de son contrat, du fonctionnement et de la programmation du Ballet du Capitole, « sous l’autorité et avec l’accord du directeur artistique ». Ainsi, il n’est pas allégué par le défendeur que la nouvelle municipalité aurait fixé à Mme Glushak un objectif chiffré de tournées à atteindre, ni même que la direction artistique aurait demandé à l’intéressée de prévoir davantage de tournées pour 2009 et 2010, et que Mme Glushak aurait été incapable de réaliser cet objectif faute pour le Ballet du Capitole et, indirectement, de sa chorégraphe et directrice, d’être suffisamment côtés sur le marché, si vous nous permettez l’expression, mais c’est bien de cela qu’il s’agit.

 Restent alors en débat les deux motifs tirés d’une part, d’une divergence esthétique quant aux choix de programmation, d’autre part, d’un refus de Mme Glushak de faire coopérer le Ballet du Capitole avec des acteurs locaux.

Au soutien de cette décision, vous disposez de deux attestations, non datées, du directeur artistique du théâtre du Capitole, qui indiquent, pour la première, que Mme Glushak n’a pas su s’adapter à la volonté d’élargissement du projet artistique du Ballet du Capitole à d’autres esthétiques que le ballet académique et la danse néoclassique, pour la seconde, que l’intéressée n’a pas souhaité établir des passerelles avec d’autres institutions ou associations toulousaines intervenant dans le domaine de la danse.

Toutefois, dans le premier cas, le défendeur ne produit aucun autre document susceptible d’établir que des directives précises auraient été données à Mme Glushak pour encadrer son pouvoir de proposition sur l’esthétique des spectacles à programmer.

Certes, la commune de Toulouse tente bien de vous convaincre que la nouvelle municipalité issue des urnes en 2008 a souhaité imprimer sa marque dans le domaine culturel en bâtissant un nouveau projet fondé sur quatre objectifs : donner l’envie de culture à tous les Toulousains, miser sur l’avenir et l’innovation culturelle, inscrire la culture au centre du développement urbain durable et imaginer la culture ensemble.

Toutefois, il s’agit d’un document aux termes très généraux, dont il n’est aucunement démontré qu’il a fait l’objet d’une déclinaison concrète au sein du Ballet du Capitole. Rappelons, là encore, que s’il incombait à Mme Glushak d’être force de proposition, le choix définitif de la programmation incombait au directeur artistique. Ainsi, la commune de Toulouse reproche à Mme Glushak, en dépit des demandes en ce sens de M. Chambert, directeur artistique, de ne pas avoir souhaité programmer le ballet Les forains, qui a été créé pour la première fois en 1945 par le chorégraphe Roland Petit, sur une musique du compositeur bordelais Henri Sauguet, ou encore de ne pas avoir souhaité collaborer avec tel ou tel chorégraphe contemporain : Angelin Preljocaj, Jean-Claude Gallotta, Inbal Pinto, Pina Bausch, etc, mais également des chorégraphes toulousains, comme Pierre Rigal, Aurélien Bory ou Heddy Maalem.

Mais de deux choses l’une : soit ces demandes ont fait l’objet de directives précises de la part du directeur artistique, et dans ce cas, Mme Glushak a refusé de s’y conformer, ce qui ne révèle pas une inaptitude de sa part à l’évolution du service culturel, mais un refus d’obéissance passible d’une faute disciplinaire, ce qui n’est aucunement allégué. Soit, et c’est plutôt ce que nous déduisons à la lecture des pièces du dossier, il s’agissait plutôt de recommandations informelles de la part du directeur artistique, et Mme Glushak a purement et simplement continué, pour les années 2008 à 2010, de proposer une programmation avec l’autonomie que lui conféraient, non seulement les termes de son contrat, mais également une ancienneté dans le poste de près de quinze ans, avec la circonstance non-contestée que la programmation proposée par Mme Glushak rencontrait l’adhésion d’un public toulousain important, ainsi que le notait M. Chambert lui-même dans l’une des attestations.

Vous noterez en passant que le défendeur ne produit aucune fiche d’évaluation qui formaliserait des objectifs que l’autorité territoriale aurait assignés à Mme Glushak dans le cadre de son activité professionnelle.

En conséquence, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme Glushak aurait été incapable d’aborder d’autres esthétiques que l’esthétique classique ou néo-classique et de modifier la programmation du Ballet du Capitole en vue de l’ouvrir à la danse dite contemporaine, si une demande formelle de la part de son employeur lui avait été faite en ce sens.

S’agissant du dernier motif, de coloration disciplinaire, tiré de ce que Mme Glushak aurait fait preuve d’une forte résistance à l’égard du second axe d’évolution que la nouvelle municipalité aurait décidé, la requérante ne conteste pas qu’il lui avait été demandé d’associer le ballet du Capitole à des acteurs locaux évoluant notamment dans le hip-hop ou la danse moderne en vue de réaliser des projets communs.

La commune fait ainsi état du désintérêt de la requérante pour la mise en place du projet « Place de la Danse » en juin 2011, événement auquel elle n’aurait pas assisté. Vous noterez toutefois qu’à cette date, M. Belarbi était déjà directeur de la danse « désigné » depuis presque six mois, de sorte que l’absence de Mme Glushak est aisément compréhensible, et ne saurait justifier une sanction telle qu’une exclusion définitive du service.

Le défendeur fait également valoir que Mme Glushak n’a jamais pris l’initiative d’associer le Ballet du Capitole à des actions de sensibilisation conduites par le Théâtre du Capitole dans les quartiers défavorisés, ou d’avoir limité une rencontre artistique organisée le 23 mars 2010 entre les danseurs du Ballet et ceux de la compagnie de hip-hop du centre d’art chorégraphique des danses urbaines à deux présentations successives en lieu et place d’un spectacle commun.

Toutefois, là encore, il ne ressort pas des pièces du dossier que des instructions précises avaient été données à Mme Glushak en ce sens.

Enfin, si le maire de Toulouse reprochait également à Mme Glushak la mauvaise implication des danseurs lors des différentes éditions de la manifestation « Osons danser », la requérante soutient sans être contestée en défense que ce projet avait été mis en place par M. Belarbi dès le début, soit en janvier 2010, et que Mme Glushak n’avait pas même été informée de la participation de certains des danseurs du Ballet à ces actions, de sorte que ceux-ci ont été effectivement indisponibles pour l’une des représentations de ce spectacle.

En conséquence, il ne nous semble pas que la commune de Toulouse établisse que l’éviction de Mme Glushak au profit de M. Belarbi aurait été justifiée par des motifs tirés de l’intérêt du service, et vous annulerez la décision attaquée.

*****

Vous le savez, en vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu’il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l’illégalité commise présente, compte tenu de l’importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l’encontre de l’intéressé, un lien direct de causalité. Pour l’évaluation du montant de l’indemnité due, doit être prise en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l’intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l’exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser les frais, charges ou contraintes liés à l’exercice effectif des fonctions. Enfin, vous devez déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations que l’agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d’éviction (cf. CE, 6 décembre 2013, Commune d’Ajaccio, n°365155, en A sur ce point).

Or en l’espèce, si Mme Glushak vous demande de condamner son ancien employeur à lui verser la somme de 80.000 euros au titre de la diminution de ses revenus, elle n’établit ni le montant des allocations de retour à l’emploi qu’elle aurait perçues, le cas échéant, ni surtout, que son licenciement ne lui a pas permis d’exercer ses activités artistiques, notamment au titre du Balanchine Trust, beaucoup plus librement qu’elle ne pouvait le faire lorsqu’elle était liée au Ballet du Capitole, et donc de manière bien plus lucrative. En bref, la requérante n’établit aucunement la réalité de ce préjudice financier.

En revanche, s’agissant du préjudice moral, que Mme Glushak évalue à 100.000 euros, il est difficilement contestable, eu égard à la durée indéterminée du contrat dont Mme Glushak était bénéficiaire, compte tenu également de son ancienneté lors de son licenciement et de son âge, mais aussi et surtout, compte tenu de la nature de ses fonctions. Ainsi, au regard d’une décision du Conseil d’Etat qui a octroyé, en tant que juge du fond, une indemnité de 300.000 francs, soit plus de 45.000 euros, à raison du préjudice moral et professionnel occasionné à un musicien de l’orchestre philarmonique des Pays-de-Loire, irrégulièrement évincé de son contrat à durée indéterminée après vingt ans de bons et loyaux services, nous vous proposons de limiter l’indemnisation de Mme Glushak, qui n’a invoqué qu’un préjudice moral, à la somme de 20.000 euros (cf. CE 8 novembre 2000, Thévenet, n°200835, en A mais pas sur ce point[16] ; cf. également : CE, 26 juin 1989, Ville d’Aix-en-Provence, n°99763[17] : 1.500 euros pour une directrice de crèche en CDI depuis deux ans).

*****

Par ces motifs, nous concluons :

  • A l’annulation de la décision de licenciement de Mme Glushak en date du 13 février 2012 ;
  • A ce que vous condamniez la commune de Toulouse à verser à Mme Glushak la somme de 20.000 euros en réparation de son préjudice moral ;
  • Au rejet du surplus des conclusions indemnitaires ;
  • Et dans les circonstances de l’espèce, à ce que soit mise à la charge de la commune de Toulouse la somme de 1.200 euros au titre des frais exposés par la requérante et non compris dans les dépens.

 Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; Art. 59.

[1] Ballet chorégraphié par Marius Petipa sur une musique de Léon Minkus, créé en 1877 au Théâtre du Bolchoï de Saint-Pétersbourg.

[2] Ballet chorégraphié par Petipa sur une musique de Tchaïkovski, créé en 1890 au Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg.

[3] Ballet chorégraphié par Petipa sur une musique de Minkus, créé en 1869 au Théâtre du Bolchoï de Saint-Pétersbourg.

[4] Ballet créé en 1789 par Jean Bercher, dit Dauberval, au Grand Théâtre de Bordeaux.

[5] Ballet créé en 1841 à l’Académie royale de musique (actuellement l’Opéra de Paris), chorégraphié par Jean Coralli & Jules Perrot, sur une musique d’Adolphe Adam.

[6] Ballet d’Arthur Saint-Léon, sur une musique de Léo Delibes, créé en 1870 à l’Opéra de Paris.

[7] Ballet créé en 1832 par Filippo Taglioni à l’Opéra de Paris, sur un livret d’Adolphe Nourrit et une musique de Jean Schneitzhoeffer.

[8] « CONSIDERANT QUE MME LE CACHEY ET MME GUIGUERE, QUI AVAIENT ETE ENGAGEES PAR LA VILLE DE TOULOUSE EN QUALITE DE DANSEUSES DU CORPS DE BALLET DU THEATRE MUNICIPAL DU CAPITOLE SUIVANT CONTRATS SUCCESSIVEMENT PASSES POUR CHAQUE SAISON LYRIQUE DE 1972 A 1977, ONT ATTRAIT LADITE VILLE DEVANT LE CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE TOULOUSE EN VUE D’OBTENIR PAIEMENT DE DIVERSES INDEMNITES POUR LICENCIEMENT ET RUPTURE ABUSIVE DE LEURS CONTRATS DE TRAVAIL ; QUE M. FEGELE, ENGAGE PAR LA MEME COLLECTIVITE PUBLIQUE SUIVANT CONTRAT DU 10 JUILLET 1974 EN QUALITE DE MUSICIEN DE L’ORCHESTRE REGIONAL DU CAPITOLE, A SAISI LA MEME JURIDICTION D’UNE DEMANDE EN PAIEMENT D’UN RAPPEL DE SALAIRES ; CONS. QUE LA VILLE DE TOULOUSE QUI, PAR L’ORGANISATION ET LA GESTION DU THEATRE MUNICIPAL ET DE L’ORCHESTRE REGIONAL DU CAPITOLE, ASSUME UNE MISSION DE SERVICE PUBLIC, LA REMPLIT DANS DES CONDITIONS EXCLUSIVES DE TOUT CARACTERE INDUSTRIEL OU COMMERCIAL ; QUE LE PERSONNEL ARTISTIQUE ENGAGE PAR ELLE POUR ASSURER LES ACTIVITES DE CES THEATRES ET ORCHESTRE PARTICIPE DIRECTEMENT A L’EXECUTION DUDIT SERVICE PUBLIC ; QUE, DES LORS, LES LITIGES CONCERNANT L’EXECUTION OU LA RUPTURE DES CONTRATS PASSES ENTRE LA VILLE DE TOULOUSE, MME LE CACHEY ET MME GUIGUERE ET M. FEGELE SONT DE LA COMPETENCE DES TRIBUNAUX ADMINISTRATIFS ; (CONFIRMATION DE L’ARRETE DE CONFLIT). »

[9] « Est administratif le contrat passé entre une ville, qui assure la mission de service public consistant en l’organisation et la gestion du théâtre municipal, et les artistes, quels que soient le nombre de leurs représentations et leur mode de rémunération. »

[10] « 1) Il résulte des dispositions spécifiques des articles L. 620-9 et L. 762-1 du code du travail et 1-1 de l’ordonnance n° 45-2339 du 13 octobre 1945 relative aux spectacles que le contrat par lequel une collectivité publique gérant un service public administratif et agissant en qualité d’entrepreneur de spectacle vivant engage un artiste du spectacle en vue de sa participation à un tel spectacle, est présumé être un contrat de travail soumis aux dispositions du code du travail. / 2) Si, par l’organisation et la gestion d’un festival, la communauté d’agglomération a assumé une mission de service public et l’a remplie dans des conditions exclusives de tout caractère industriel ou commercial, les contrats par lesquels elle s’est assurée, comme entrepreneur de spectacles vivants, de la participation d’un musicien à des concerts, sans que cette participation puisse être regardée comme constituant soit une obligation de service hebdomadaire incombant à celui-ci en application du statut particulier de son cadre d’emplois, soit l’accessoire nécessaire d’une telle obligation, dès lors que ces concerts n’avaient pas pour objet de lui permettre, avec ses élèves, de pratiquer la musique en public pour valoriser l’enseignement dispensé, entrent dans le champ des dispositions précitées. Par suite, le litige relatif au montant des salaires réclamés au titre de l’exécution de ces contrats relève de la compétence du juge judiciaire. »

[11] « Considérant que si, par l’intermédiaire de son orchestre symphonique, la commune de Saint-Etienne assume une mission de service public et la remplit dans des conditions exclusives de tout caractère industriel ou commercial, les contrats par lesquels elle s’est assurée en qualité d’entrepreneur de spectacles vivants la participation de Mme Olteanu à des concerts, en tant que violoniste, entrent dans le champ des dispositions ci-dessus rappelées ; que, dès lors, le litige relatif aux obligations de l’employeur découlant de tels contrats relève de la compétence du juge judiciaire ; »

[12] « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que M. X…, professeur non titulaire au conservatoire municipal de musique de Pantin, a été licencié par décision du 1er juillet 1982 du maire de Pantin en raison de la réorientation des cours d’esthétique et de théâtre musical assurés par l’intéressé ; que cette réorganisation avait pour objet de permettre l’exécution d’oeuvres musicales dans le cours d’esthétique en confiant ce cours à un professeur instrumentiste et d’assurer la formation de chanteurs comédiens dans le cours de théâtre musical en confiant ce cours à un professionnel du théâtre ; qu’il n’appartient pas au juge administratif d’apprécier l’opportunité de cette réorganisation ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier, que M. X…, qui n’est pas instrumentiste, ait possédé les qualifications désormais demandées par la commune, qu’il ait été remplacé pour le cours d’esthétique par un professeur non instrumentiste, ou qu’il ait été licencié en raison de sa participation aux mouvements de grève qui ont précédé la réorganisation du conservatoire pour des motifs étrangers à l’intérêt du service ; que, par suite, M. X… n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du maire de Pantin prononçant son licenciement. »

[13] Cf. CAA Lyon, 28 avril 2000, n°96LY01864, en A.

[14] « Secrétaire de mairie stagiaire, licenciée pour insuffisance professionnelle, soutenant qu’elle a été en réalité licenciée pour des motifs politiques. La requérante qui s’est vu interdire l’accès de son bureau depuis le renouvellement de la municipalité, et dont le mari a été également licencié par le nouveau maire, doit être regardée, en l’absence de contestation de ces faits par la commune, comme ayant été en réalité licenciée pour des motifs étrangers à   l’intérêt du service. Confirmation du jugement ayant annulé l’arrêté de licenciement. »

[15] « Appel formé par une commune contre un jugement annulant le licenciement d’un agent municipal. La commune avait invoqué devant le tribunal administratif un ensemble de griefs précis, sur lesquels l’intéressé avait fourni des justifications circonstanciées et convaincantes. Elle n’a opposé à celles-ci aucun argument, se bornant à affirmer que le licenciement serait intervenu, en vertu du pouvoir discrétionnaire du maire, pour insuffisance professionnelle.   La décision ayant été prise en réalité pour des motifs étrangers à l’intérêt du service, rejet de la requête. »

[16] «   Considérant que la délibération du comité du syndicat mixte prévoyant la  suppression progressive des emplois à temps incomplet au sein de  l’orchestre, en application de laquelle a été prise la décision de  licencier M. THEVENET, a été annulée par le juge administratif pour un  motif tiré du vice de la procédure précédant l’adoption de la délibération  annulée, qui résultait du défaut de consultation du comité technique  paritaire ; que, par ailleurs, M. THEVENET a perçu une indemnité de  licenciement équivalant à un an de traitement qui constitue la réparation  normale de la rupture d’un contrat à durée indéterminée ; que toutefois,  il est en droit de prétendre à la réparation du préjudice financier,  professionnel et moral que lui a causé la faute résultant de  l’irrégularité de la délibération dont procède la décision de le  licencier ; que si M. THEVENET est fondé à invoquer l’existence d’un  préjudice financier, il ne peut pas pour autant prétendre, en l’absence de  service fait, au versement de sa rémunération pendant la période qu’il  invoque ; que l’intéressé, compte tenu des liens existant entre l’exercice  des fonctions de professeur de musique et celles de musicien, est  également fondé à invoquer le préjudice professionnel que lui a causé son  éviction de l’orchestre ; que l’intéressé enfin, compte tenu de sa  réputation de musicien, est fondé à invoquer le préjudice moral que lui a  causé cette même éviction ; / Considérant qu’il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par  M. THEVENET à raison de son licenciement en fixant l’indemnité qui lui est  due, en sus de l’indemnitéde licenciement de 160 722,78 F qu’il a perçue,  à 300 000 F, tous intérêts compris ; que, dans cette mesure, le syndicat  mixte est fondé à demander la réformation du jugement attaqué tandis que  la requête de M. THEVENET doit être rejetée ; »

[17] «   Considérant, enfin que le tribunal administratif n’a pas fait une  évaluation exagérée du préjudice moral que la mesure de licenciement a  causé à Mme Biètry, en condamnant, pour ce chef de préjudice, la VILLE  D’AIX-EN-PROVENCE à verser à l’intéressée une indemnité de 10 000 F ; »

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ParJDA

TA de Toulouse, 18 février 2016, Mme GLUSHAK

Art. 58.

Un commentaire de la présente décision & de ses conclusions se trouve en ligne ici.

Publication réalisée avec l’autorisation & le soutien du TA de Toulouse.
Publication non anonymisée avec l’accord de la partie intéressée et de son conseil.

fr-tls

REPUBLIQUE FRANCAISE – AU NOM du PEUPLE FRANCAIS

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE TOULOUSE

5ème chambre – présidence de Mme CARTHE MAZERES

1203445

Mme Kanté – Rapporteur

M. Dubois – Rapporteur public

Audience du 21 janvier 2016

Lecture du 18 février 2016

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 26 juillet 2012, le 7 septembre 2012, le 18 juillet 2014, le 30 juillet 2014 et le 26 novembre 2015, Mme Nanette Glushak, représentée par Me Thalamas demande au tribunal :

1°) d’annuler la décision en date du 13 février 2012 par laquelle le maire de Toulouse a procédé à son licenciement dans l’intérêt du service ;

2°) de condamner la commune de Toulouse à lui verser la somme de 180 000 euros en indemnisation de ses préjudices financier et moral, assortie des intérêts moratoires ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Toulouse la somme de 5 000 euros en application de l’article L. 761‑1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

– la décision attaquée est entachée d’un vice d’incompétence ;

– elle n’est pas suffisamment motivée ;

– son licenciement dans l’intérêt du service n’est pas justifié ; aucun élément ne vient étayer la référence à une nouvelle politique culturelle, la seule modification tangible relative au Ballet du Capitole étant le doublement en trois saisons du nombre de ses représentations avec invitation lui étant faite de proposer chaque saison six programmes différents au lieu de quatre ;

– la matérialité des faits n’est pas établie ; les arguments selon lesquels elle aurait opposé des réticences à appréhender, d’une part, l’ouverture du répertoire à des chorégraphes contemporains et d’autre part, le développement de partenariats culturels avec l’environnement local ne correspond à aucune réalité ; le Ballet du Capitole a présenté, sous sa direction, en plus du répertoire classique, pas moins de douze chorégraphes contemporains ainsi que de nombreuses reprises de leurs œuvres ; le Ballet du Capitole a participé, sous sa direction, à des projets de partenariat culturels avec les auteurs locaux de la danse, que ce soit les différentes éditions de la manifestation « Osons danser » ou le spectacle commun avec l’association de danse hip-hop CACDU ; toutes ses propositions dans le choix du répertoire, des chorégraphes et des évènements culturels doivent être approuvées et validées par la direction artistique du Théâtre du Capitole, seule autorité décisionnaire ; elle n’a pas été sollicitée au regard de ce qui serait une nouvelle politique culturelle pour ce qui concerne les responsabilités dont elle avait la charge, les attestations produites par le défendeur étant mensongères ; aucun élément objectif ne vient apporter la preuve de sa responsabilité dans la perte de notoriété du Ballet du Capitole qui se traduirait depuis quelques saisons par une diminution des tournées nationales ; cette diminution coïncide avec l’augmentation de l’activité du Ballet qui, sous l’impulsion de la direction artistique, a multiplié par deux le nombre de représentations faites à Toulouse en trois saisons, obligeant le ballet du Capitole à refuser des tournées ; ses activités extérieures en sa qualité de maîtresse de ballet accréditée du George Balanchine Trust qui l’ont conduite à effectuer des missions auprès d’autres troupes, autorisées par son contrat et qui ne sont pas nouvelles, n’ont jamais porté préjudice à l’activité du Ballet demeurée sa priorité ; elle a, à l’instar de M. Belarbi, une culture fondamentale de la danse très proche de celle de ce dernier, faite d’exigences envers le répertoire classique et d’ouvertures à d’autres univers esthétiques ;

– elle est entachée d’erreur manifeste d’appréciation ;

– l’obligation de reclassement a été méconnue.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 27 décembre 2013 et le 24 avril 2015, la commune de Toulouse conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de Mme Glushak de la somme de 2 000 euros en application de l’article L. 761‑1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– la loi n°84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;

– la loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique ;

– le code général des collectivités territoriales ;

– le décret n°88-145 du 15 février 1988 relatif aux agents non titulaires de la fonction publique territoriale ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique du 21 janvier 2016 :

– le rapport de Mme Kanté,

– les conclusions de M. Dubois, rapporteur public,

– et les observations de Me Thalamas, représentant Mme Glushak, et de Me Kaczmarczyk, représentant la commune de Toulouse.

  1. Considérant que Mme Glushak a été recrutée par la ville de Toulouse, en qualité d’agent non titulaire, en contrat à durée déterminée à compter du 1erseptembre 1994, pour occuper l’emploi de directrice de la danse au Théâtre du Capitole et assumer ainsi la charge de la direction de la programmation du ballet au théâtre ; que son contrat, après avoir été renouvelé, à plusieurs reprises, a été reconduit sous la forme d’un contrat à durée indéterminée, par l’effet de la loi n°2005-843 du 26 juillet 2005 à compter du 27 juillet 2005 ; que Mme Glushak occupe parallèlement à ses fonctions celles de maîtresse de ballet certifiée par le Balanchine Trust ; qu’estimant que Mme Glushak n’adhérait pas au projet de modernisation du ballet, que la ville dit avoir initié depuis 2008, et plus largement à la volonté de rendre ladite institution accessible à un public plus varié, la commune de Toulouse a, par courriers des 16 et 27 janvier 2012, convoqué Mme Glushak à un entretien préalable en vue de son licenciement dans l’intérêt du service au motif qu’elle n’avait pas su s’adapter aux nouvelles orientations fixées par la direction artistique du Théâtre du Capitole ; que par décision du 13 février 2012, la commune de Toulouse lui a officiellement notifié son licenciement ; que le 26 mars 2012, Mme Glushak a formé un recours gracieux à l’encontre de cette décision et a sollicité l’indemnisation des préjudices subis du fait de son licenciement ; que par courriers des 4 avril et 11 mai 2012, la commune de Toulouse a demandé à Mme Glushak de préciser ses demandes quant aux préjudices invoqués ; que Mme Glushak a précisé sa demande dans son courrier du 20 juin 2012 ; qu’en l’absence de réponse à sa demande, Mme Glushak demande, par la présente requête, l’annulation de la décision prononçant son licenciement ainsi que l’indemnisation des préjudices qu’elle estime avoir subis du fait de son licenciement illégal ;

Sur les conclusions à fin d’annulation :

  1. Considérant qu’aux termes de l’article 3 de la loi n°84-53 du 26 janvier 1984 susvisée : « Les collectivités et établissements mentionnés à l’article 2 ne peuvent recruter des agents non titulaires pour occuper des emplois permanents que pour assurer le remplacement momentané de fonctionnaires autorisés à exercer leurs fonctions à temps partiel ou indisponibles en raison d’un congé de maladie, d’un congé de maternité, d’un congé parental ou d’un congé de présence parentale, ou de l’accomplissement du service civil ou national, du rappel ou du maintien sous les drapeaux, de leur participation à des activités dans le cadre de l’une des réserves mentionnées à l’article 74, ou pour faire face temporairement et pour une durée maximale d’un an à la vacance d’un emploi qui ne peut être immédiatement pourvu dans les conditions prévues par la présente loi. (…) Par dérogation au principe énoncé à l’article 3 du titre Ier du statut général, des emplois permanents peuvent être occupés par des agents contractuels dans les cas suivants : 1° Lorsqu’il n’existe pas de cadre d’emplois de fonctionnaires susceptibles d’assurer les fonctions correspondantes ; 2° Pour les emplois du niveau de la catégorie A, lorsque la nature des fonctions ou les besoins des services le justifient. » ; qu’aux termes de l’article 40 du décret n°88-145 du 15 février 1988 susvisé : « L’agent non titulaire engagé pour une durée déterminée ne peut être licencié par l’autorité territoriale avant le terme de son engagement qu’après un préavis qui lui est notifié dans les délais prévus à l’article 39. Toutefois, aucun préavis n’est nécessaire en cas de licenciement prononcé soit en matière disciplinaire, soit pour inaptitude physique, soit à la suite d’un congé sans traitement d’une durée égale ou supérieure à un mois, soit au cours ou à l’expiration d’une période d’essai. Les mêmes règles sont applicables à tout licenciement d’agent non titulaire engagé pour une durée indéterminée. »; qu’aux termes de l’article 42 de ce même décret : « Le licenciement ne peut intervenir qu’à l’issue d’un entretien préalable. La décision de licenciement est notifiée à l’intéressé par une lettre recommandée avec demande d’avis de réception. Cette lettre précise le ou les motifs du licenciement et la date à laquelle celui-ci doit intervenir compte tenu des droits à congés annuels restant à courir et de la durée du préavis. » ;
  1. Considérant que pour prononcer le licenciement de Mme Glushak, la commune de Toulouse s’est fondée sur les circonstances que l’intéressée n’avait pas su s’adapter aux nouveaux objectifs fixés par le directeur artistique du Théâtre du Capitole dans le cadre du changement de projet culturel de la ville de Toulouse depuis 2008, à savoir l’introduction d’une modernité dans le Ballet du Capitole, impliquant une nouvelle direction artistique se traduisant par l’ouverture du répertoire à des chorégraphes contemporains, pour des créations basées sur une nouvelle esthétique, mais aussi par des partenariats avec l’environnement local dans le domaine de la danse, croisements des genres et des styles par le biais de cours publics, de performances, qu’elle n’avait pas été à même de prendre en compte ces orientations nouvelles et s’y était montrée réticente, que malgré les nombreux échanges avec le directeur artistique du Théâtre du Capitole, elle n’avait pas souhaité engager sa troupe de ballet vers un répertoire autre que néo-classique et s’est ainsi opposée à toutes les ouvertures du Ballet sur l’environnement local, provoquant dès lors une mauvaise implication des danseurs lors des différentes éditions de la manifestation « Osons danser » et de la lecture-démonstration avec l’association de danse hip‑hop le CACDU et que ces réticences ont été de nature à entraver la mise en œuvre du nouveau projet culturel, à compromettre l’insertion du Ballet du Capitole dans son environnement et à nuire à son rayonnement dans les réseaux de diffusion de la danse, aux plans national et international ; qu’elle s’est également fondée sur la perte de notoriété du Ballet du Capitole se traduisant depuis quelques saisons, par une diminution des propositions de tournées nationales et internationales jusqu’à arriver depuis deux saisons, exception faite d’une représentation à Pampelune en mai 2011, à une absence de spectacles hors de Toulouse et sur la circonstance que sa qualité de maîtresse de ballet accréditée par Balanchine Trust qui la conduit à des missions régulières auprès d’autres troupes de ballet en France et à l’étranger n’est pas compatible avec l’investissement requis à Toulouse pour conduire le projet artistique du Ballet, lequel nécessite une présence effective et constante du directeur de la danse à Toulouse afin d’en incarner le projet et d’en assurer la traduction artistique, notamment par les liens avec les acteurs locaux ;
  1. Considérant que la ville de Toulouse fait valoir qu’elle s’est orientée dans un nouveau projet culturel, à compter de 2008 ; que toutefois, la brochure qu’elle produit intitulée « Projet culturel pour Toulouse 2009/2014 », ainsi que les attestations de M. Chambert, directeur artistique du théâtre du Capitole, lesquelles ne sont pas datées, sont insuffisantes à démontrer la réorientation des projets artistiques du Ballet du Capitole, selon les deux grands axes d’évolution décrits par ces seuls courriers ; qu’il n’est pas davantage établi que Mme Glushak ait été informée de ces nouvelles orientations ; que s’il est fait grief à Mme Glushak de s’être montrée réticente à appréhender des nouveaux univers esthétiques et à nouer des partenariats culturels avec d’autres acteurs locaux de la danse et notamment de ne pas avoir souhaité engager sa troupe de ballet dans un répertoire autre que néoclassique, cette circonstance n’est établie par aucune des pièces du dossier ; que s’il est constant que Mme Glushak a ainsi refusé de programmer le ballet « Les forains » de Roland Petit, elle en justifie par des motifs économiques en période de crise, en 2008, dont la réalité n’est pas contestable ; que, de surcroît, il ressort des pièces du dossier qu’au cours des 18 années à la tête du ballet Capitole, 13 ballets contemporains ont été mises en œuvre sous son autorité, notamment Angelin Prejlocag, inscrit au répertoire dès 1994, nonobstant la circonstance que les chorégraphes auxquels Mme Glushak a fait appel, MM. Nacho Duato et Mauricio Wainrot, chorégraphes contemporains mondialement connus, appartiendraient à la seule et même esthétique néo-classique et auraient déjà eu l’occasion de présenter chacun un de leur ballet au Théâtre du Capitole ; que s’agissant du projet « Hip-Hop », Mme Glushak convient que les danseurs du théâtre n’étant pas entraînés à cette technique de danse en sorte qu’il convenait d’être attentif à la manière de les solliciter ; qu’il est constant cependant que cette action a été mise en œuvre, en collaboration avec M. Djouri, au centre du projet, et menée avec succès ainsi que le soutient la requérante, même s’il n’y a pas eu de spectacle commun, ce qui n’est pas contesté ; que si le cours de danse sur la place du Capitole, n’a pas eu lieu, ce projet n’a fait l’objet d’aucune opposition de principe de la part de l’intéressée, laquelle, en tout état de cause, n’en avait pas été informée ; que la ville de Toulouse reconnaît, par ailleurs, que la diffusion des ballets du Capitole, nationale et internationale, a été satisfaisante jusqu’en 2008 ; qu’il n’est pas établi que la perte de notoriété se traduisant depuis plusieurs saisons, par une diminution des propositions de tournées nationales et internationales jusqu’à arriver depuis deux saison à une absence de spectacles hors de Toulouse, à l’exception d’une représentation de la Symphonie Ecossaise et du Sacre du printemps soit imputable à l’intéressée ; qu’il ressort, en outre, des pièces du dossier et notamment de la liste des représentations extérieures de 1998 à 2000 produite par l’intéressée que plusieurs spectacles ont été organisés pendant cette période en France et à l’étranger, à son initiative ; que la ville de Toulouse n’a pu enfin considérer que la qualité de maîtresse de Ballet accréditée par le Balanchine Trust, de Mme Glushak, laquelle a permis, au demeurant, à la ville d’avoir un accès privilégié au répertoire balanchinien, n’était pas compatible avec sa présence effective et constante en tant que directrice de danse de Toulouse, alors qu’elle était prévue par son contrat de recrutement dès l’origine ; qu’ainsi, les motifs avancés par la commune pour justifier la cessation des fonctions de l’intéressée et tirés notamment de la réorganisation du service et de l’inaptitude de Mme Glushak à s’adapter aux évolutions en cours ne sont pas fondés ; que de tels motifs dont il n’est ainsi pas établi qu’ils aient été pris dans l’intérêt du service et dans un souci de bonne administration n’étaient pas de nature à justifier qu’il soit mis fin aux fonctions de Mme Glushak ; que, par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner ses autre moyens, Mme Glushak est fondée à demander, l’annulation de la décision en date du 13 février 2012 par laquelle le maire de Toulouse a procédé à son licenciement dans l’intérêt du service ;

Sur les conclusions aux fins d’indemnisation :

  1. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, en procédant au licenciement de Mme Glushak dans l’intérêt du service, la ville de Toulouse a commis une illégalité constitutive d’une faute de nature à engager sa responsabilité à l’égard de la requérante ; qu’ainsi la requérante est fondée à demander la réparation des préjudices subis ; que, toutefois, en l’absence de précisions au dossier sur les revenus perçus par Mme Glushak depuis la date de son licenciement irrégulier, son préjudice financier ne peut être regardé comme établi ; qu’en tout état de cause, Mme Glushak ne démontre pas que l’impossibilité de retrouver un poste équivalent à celui qu’elle occupait avant son licenciement, dont elle se prévaut, ait un lien de causalité direct avec la rupture anticipée de son contrat alors que la ville de Toulouse fait valoir, à bon droit, que la difficulté de retrouver un emploi similaire ne résulte pas du licenciement mais de la spécificité de l’emploi en cause ; qu’il suit de là que le préjudice allégué ne revêt pas un caractère certain et que la demande de Mme Glushak ne peut sur ce point qu’être écartée ; qu’il résulte en revanche de l’instruction que celle-ci a subi, du fait de ce licenciement, un préjudice moral, dont il sera fait une juste appréciation, dans les circonstances de l’espèce, et compte tenu des particularités de la fonction de directeur de la danse, en en fixant la réparation à 20 000 euros ;

Sur les intérêts :

  1. Considérant que Mme Glushak a droit aux intérêts au taux légal correspondant à l’indemnité de 20 000 euros à compter du 30 mars 2012, date de réception de sa demande préalable par la commune de Toulouse ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761‑1 du code de justice administrative :

  1. Considérant que les dispositions de l’article L. 761‑1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme Glushak, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la commune de Toulouse demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la commune de Toulouse une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par Mme Glushak et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : La décision en date du 13 février 2012 par laquelle le maire de Toulouse a procédé au licenciement de Mme Glushak dans l’intérêt du service est annulée.

Article 2 : La commune de Toulouse est condamnée à verser à Mme Glushak la somme de 20 000 euros en indemnisation du préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter du 30 mars 2012.

Article 3 : La commune de Toulouse est condamnée à verser la somme de 1 200 euros à Mme Glushak en application de l’article L. 761‑1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à Mme Nanette Glushak et à la commune de Toulouse.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; Art. 58.

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ParJDA

Commentaire : CE, 10 février 2016, Fédération nationale des mines et de l’énergie – CGT

par Cédric GROULIER,
Maître de conférences en droit public
Institut d’études politiques de Toulouse – LaSSP EA 4175

Commentaire de
CE, 10 février 2016, Fédération nationale des mines et de l’énergie – Confédération générale du travail (FNME-CGT),
req. n° 383756

Art. 16. La décision rendue par le Conseil d’Etat le 10 février 2016, sur requête de la Fédération nationale des mines et de l’énergie – Confédération générale du travail (FNME-CGT), vient de donner l’occasion à la Haute juridiction de préciser les implications du principe à valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité du droit dans le champ particulier de la normalisation.

Celle-ci, régie par le décret n° 2009-697 du 16 juin 2009, consiste en l’édiction de normes techniques, définies comme des « documents de référence élaborés de manière consensuelle par toutes les parties intéressées, portant sur des règles, des caractéristiques, des recommandations ou des exemples de bonnes pratiques, relatives à des produits, à des services, à des méthodes, à des processus ou à des organisations » (art. 1er). Incarnant la pratique de la co-réglementation, la normalisation repose sur des dispositifs de droit souple (v. Conseil d’Etat, « Le droit souple », Etude annuelle 2013, Paris, EDCE n° 64, La Documentation française, 2013, pp. 41-42), sauf à ce que certaines normes jusqu’alors d’application volontaire, se voient dotées d’une portée obligatoire sur décision de l’autorité administrative. L’article 17 du décret de 2009 prévoit en effet que  « les normes sont d’application volontaire » mais qu’elles « peuvent être rendues d’application obligatoire par arrêté signé du ministre chargé de l’industrie et du ou des ministres intéressés ». Telle est précisément l’hypothèse qui a amené le Conseil d’Etat à se prononcer, en l’occurrence dans le domaine de la protection des travailleurs contre les risques électriques.

Cette dernière repose en effet sur deux dispositifs normatifs, qu’il faut au préalable rappeler.

D’une part, les opérations effectuées sur des installations électriques ou dans leur voisinage donnent lieu à l’adoption de normes homologuées par l’Association française de normalisation (Afnor), d’application volontaire, dont les références sont publiées au Journal officiel par arrêté conjoint des ministres chargés du travail et de l’agriculture (art. R.4544-3 du Code du travail). Le contenu de ces normes est accessible auprès de l’Afnor, à titre onéreux. C’est sur ce fondement qu’a été adopté l’arrêté du 26 avril 2012, concernant la norme référencée NF C 18-510 homologuée le 21 décembre 2012.

Pour leur part, les opérations réalisées sur les ouvrages de distribution d’énergie électrique sont régis par la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d’énergie, codifiée en 2011 dans le Code de l’énergie. Sur le fondement de cette loi, a été adopté le décret n° 82-167 du 16 février 1982 relatif aux mesures particulières destinées à assurer la sécurité des travailleurs contre les dangers d’origine électrique lors des travaux de construction, d’exploitation et d’entretien des ouvrages de distribution d’énergie électrique. Son article 4 impose aux employeurs de se « conformer aux prescriptions d’un ou de plusieurs recueils d’instructions générales de sécurité d’ordre électrique correspondant aux travaux à effectuer et à leur mode d’exécution », recueils devant être approuvés par arrêté conjoint du ministre chargé de l’énergie électrique et du ministre chargé du travail. Un arrêté du 17 janvier 1989 avait ainsi approuvé la publication du recueil d’instructions générales UTE C 18-510, éditée par l’Union technique de l’électricité (UTE), un organisme de normalisation créé en 1907, dont les activités de normalisation ont été transférées à l’Afnor à partir du 1er janvier 2014. Un nouvel arrêté du 19 juin 2014, modifiant celui de 1989, tire notamment les conséquences de ce transfert, et prévoit que « le recueil d’instructions générales de sécurité cité à l’article 4 du décret [de 1982] est le recueil UTE C 18-510-1 issu de la norme NF C 18-510 ». Pour le dire autrement, l’arrêté de 2014 a pour effet de rendre d’application obligatoire, s’agissant des opérations réalisées sur les ouvrages de distribution d’énergie électrique, la norme NF C-18-510.

C’est contre cet arrêté de 2014 que la Fédération a formé un recours en annulation, soulevant deux moyens à l’appui de sa requête.

Le premier tenait à un vice d’incompétence. Selon la Fédération, l’arrêté, signé par les ministres chargés du travail et de l’énergie conformément au décret de 1982, aurait également dû l’être par le ministre chargé de l’industrie, en application des dispositions du décret de 2009 sur la normalisation. Le Conseil d’Etat écarte ce moyen, en application du principe Lex specialis derogat legi generali : « les dispositions de l’article 4 du décret du 16 février 1982, en prévoyant la compétence conjointe du ministre chargé de l’énergie électrique et du ministre chargé du travail, dérogent, sur ce point, aux dispositions du deuxième alinéa de l’article 17 du décret du 16 juin 2009 qui prévoient, outre la compétence des ministres intéressés, celle du ministre chargé de l’industrie ». La logique dérogatoire trouve à jouer dans la mesure où sont en cause deux décrets en Conseil d’Etat, d’autorité égale ; au contraire, dans deux décisions antérieures, la Haute juridiction avait annulé les dispositions d’arrêtés qui n’avaient pas été signés par le ministre de l’industrie ainsi que l’impose le décret de 2009 (CE, 20 novembre 2013, SARL Tekimmo, n° 354752, concl. F. Aladjidi ; CE, 29 janvier 2014, Fédération des entreprises du recyclage, n° 363299, concl. X. de Lesquen).

Le second moyen soulevé par la fédération requérante a conduit le Conseil d’Etat à annuler l’arrêté de 2014. Il tenait à la méconnaissance de l’alinéa 3 de l’article 17 du décret de 2009, qui dispose que  « les normes rendues d’application obligatoire sont consultables gratuitement sur le site internet de l’Association française de normalisation ». Le Conseil écarte ici toute dérogation : le décret de 1982 ne présente en effet aucune disposition spéciale permettant de s’affranchir des prescriptions générales du décret de 2009. Les autorités administratives ne peuvent donc pas rendre obligatoire une norme sans que son accès soit gratuit. En ce sens, le juge confirme une solution retenue dans sa décision SARL Tekimmo (préc.), mais ajoute, en forme d’incise et à l’invitation du rapporteur public, M. Rémi Decout-Paolini, que c’est « dans le respect de l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité de la règle de droit » que l’alinéa 3 de l’article 17 impose la gratuité de l’accès aux normes rendues obligatoires.

Cette précision, qui fait l’intérêt de la décision commentée, appelle plusieurs remarques, tant sur le fondement et la portée contentieuse de l’obligation de gratuité d’accès ainsi confirmée (1), que sur ses implications au regard du concept de droit souple (2).

1. L’obligation de garantir la consultation gratuite
des normes rendues obligatoires

Un fondement renforcé. La référence faite par le juge administratif à l’objectif à valeur constitutionnelle dégagé par le Conseil constitutionnel en 1999 (décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999, Loi portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l’adoption de la partie législative de certains codes), n’est pas en soi une première. Depuis sa décision d’Assemblée du 24 mars 2006, KPMG (n° 288460 ; RFDA 2006, p. 463, concl. Y. Aguila), le Conseil d’Etat en sanctionne le respect, tant par le législateur que par le pouvoir réglementaire. Cependant, le juge administratif comme le Conseil constitutionnel invoquent plus généralement l’objectif dans sa dimension intelligibilité, qui proscrit comme on le sait les dispositions insuffisamment précises et les formules équivoques. Même l’entreprise de codification, à l’occasion de laquelle le Conseil constitutionnel avait consacré l’objectif en 1999, est du reste souvent rapportée à l’exigence d’intelligibilité de la loi (v. not. Catherine Bergeal, « Apports et limites de la codification à la portée de la loi : les enseignements de la pratique française », in Courrier juridique des finances et de l’industrie, numéro spécial « La légistique ou l’art de rédiger le droit », juin 2008, p. 35 et s.), alors que codifier est aussi, et peut-être avant tout, une question d’accès pratique au droit. L’intérêt de la décision commentée tient en tout état de cause au fait que c’est bien l’accessibilité de la règle de droit qui se trouve sanctionnée, à travers la question de la gratuité de sa consultation – d’ailleurs, la décision du Conseil se réfère à cette seule accessibilité, en tronquant si l’on puit dire l’objectif à valeur constitutionnel.

Le Conseil d’Etat fait ainsi écho à la solution récemment dégagée par le Conseil constitutionnel, à propos de la dématérialisation du Journal officiel. Selon la Haute instance, « dès lors que le Journal officiel de la République française est mis à la disposition du public sous forme électronique de manière permanente et gratuite, le législateur organique pouvait, sans méconnaître ni le principe d’égalité devant la loi, ni l’objectif d’accessibilité de la loi ni aucune autre exigence constitutionnelle, prévoir [une publication] exclusivement par voie électronique » (décision n° 2015-724 DC du 17 décembre 2015, Loi organique portant dématérialisation du Journal officiel de la République française, cons. 5). Laissant dans l’implicite l’exigence de permanence, et ne se référant pas non plus au principe d’égalité devant la loi, le Conseil d’Etat reprend à son compte l’exigence de gratuité en en faisant une conséquence de l’objectif d’accessibilité de la règle de droit.

En l’espèce, la référence à l’objectif à valeur constitutionnelle vient renforcer l’autorité du décret de 2009, car le juge ne fait pas de l’objectif le fondement direct de l’illégalité de l’arrêté attaqué. Le  raisonnement du juge repose en première intention sur l’argument d’une absence de dérogation : les dispositions du décret de 1982, sur la base desquelles a été adopté l’arrêté litigieux, « ne peuvent […] être regardées comme ayant pour objet ou pour effet de déroger aux dispositions du troisième alinéa de cet article qui prévoit, dans le respect de l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité de la règle de droit, que les normes dont l’application est rendue obligatoire doivent être consultables gratuitement ». Le Conseil fait donc primer l’obligation réglementaire, en soulignant seulement – mais nullement sans intérêt – qu’elle respecte l’objectif à valeur constitutionnelle. Il est dès lors permis de penser qu’une disposition réglementaire qui ne respecterait pas ce dernier encourrait la censure, sur un fondement bien plus assuré que l’incertain « principe selon lequel les administrés doivent accéder gratuitement aux textes réglementaires » qui avait pu être évoqué antérieurement dans des circonstances semblables (v. CE, 23 octobre 2013, Association France nature environnement, n° 340550 ; CE, 14 novembre 2014, Société Yprema et a., n° 356205).

Une portée clarifiée. Par ailleurs, la décision du Conseil clarifie la jurisprudence s’agissant des conséquences attachées à l’impossibilité de consulter gratuitement des normes techniques rendues obligatoires. Selon le juge, « en rendant ainsi obligatoire une norme dont l’accessibilité libre et gratuite n’était pas garantie, l’arrêté du 19 juin 2014 a méconnu les dispositions du troisième alinéa de l’article 17 du décret du 16 juin 2009 ». L’acte imposant l’application d’une norme est donc entaché d’illégalité, ce qui vient confirmer la solution retenue par le Conseil d’Etat dans sa décision SARL Tekimmo (préc.). Cette position signifie que s’impose une obligation de gratuité d’accès, et que celle-ci ne saurait être une simple conséquence de la décision de rendre la norme obligatoire : elle en constitue une condition de légalité. Le lien établi entre cette gratuité et l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité du droit commande cette solution qui condamne toute sanction en termes d’inopposabilité de la norme en cause. Dans les deux espèces mentionnées précédemment (France nature environnement et Société Yprema et a.), le Conseil d’Etat avait en effet jugé que le défaut d’accessibilité gratuite à des normes rendues obligatoires était « susceptible de rendre inopposables les normes en cause », mais demeurait « sans incidence sur la légalité de l’arrêté » en imposant l’application. Comme l’indique le rapporteur public, cette solution semblait s’expliquer par « une habilitation législative particulière permettant de déroger à l’ensemble des prescriptions du décret de 2009 » ; désormais, on peut se demander dans quelle mesure les implications nouvelles tirées de l’objectif à valeur constitutionnelle en matière d’accessibilité de la norme pourraient remettre en cause une telle solution…

Sous réserve de ces interrogations, on peut donc considérer que la décision rapportée opère une utile clarification jurisprudentielle. Son intérêt réside sans doute aussi dans le fait qu’elle se trouve à l’articulation du droit dur et du droit souple, et suscite des interrogations quant aux  modalités d’accès à ce dernier.

2. Un accès aux normes de droit souple
particulièrement hétérogène

Une obligation de gratuité limitée au droit dur. Les faits ayant conduit à la décision du Conseil d’Etat mettent en évidence combien droit dur et droit souple s’imbriquent plus qu’ils ne s’opposent. L’idée de « durcissement » de la norme technique rend compte d’une porosité évidente. En l’occurrence, la norme rendue obligatoire – sous la forme du « recueil d’instructions générales » prévu par l’article 4 du décret de 1982 concernant les ouvrages de distribution électrique – n’est autre que la norme NF C 18-510, dont les dispositions spécifiques aux installations électriques continuent d’ailleurs d’être d’application volontaire et de relever du droit souple. Le Conseil l’exprime clairement : les auteurs de l’arrêté de 2014 « ont ainsi imposé le respect par les employeurs de la norme NF C 18-510 […] que les prescriptions du recueil UTE C 18-510-1 d’instructions de sécurité électrique pour les ouvrages […] reprennent purement et simplement ».

Une partie des dispositions de la norme change donc de statut juridique, et c’est précisément du fait de ce nouveau statut qu’est imposée la gratuité de consultation, en application de l’article 17 alinéa 3 du décret de 2009. C’est bien, du reste, en ce sens que le rapporteur public proposait au Conseil d’« indiquer avec la plus grande netteté dans [sa] décision que la transformation du droit souple en droit dur implique nécessairement une exigence de gratuité » [nous soulignons]. La porosité entre droit dur et droit souple trouve donc ses limites. La norme rendue obligatoire a formellement cessé de relever du droit souple et s’appliquent à elle les règles relatives à l’accessibilité du droit dur : les dispositions particulières du décret de 2009, mais aussi les implications de l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité de la règle de droit.

Ce raisonnement binaire présente l’intérêt de poser une solution relativement simple, à laquelle le juge n’aurait pu aboutir en admettant que le décret de 1982 puisse sur ce point déroger à celui de 2009. Le cas échéant, on peut penser que l’objectif à valeur constitutionnelle aurait tout de même pu s’imposer au décret de 1982 et garantir l’unité des modalités d’accès aux normes techniques rendues obligatoires. Simplicité et unité, deux caractéristiques qui contribuent  à la qualité du droit envisagée au prisme de son accessibilité, mais dont, par contraste, on ne peut que déplorer l’absence s’agissant de l’accès au droit souple.

Au-delà du désordre, l’incertitude en matière d’accès au droit souple. Nul objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité n’y impose la gratuité, puisque de tels objectifs constituent des normes constitutionnelles de référence opposables aux seules dispositions du droit dur. C’est ce qu’exprime d’une certaine manière la formule « d’accessibilité et d’intelligibilité de la règle de droit » – le droit souple, lui, n’articule pas des règles… En outre, les fondements de cet objectif (art. 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen) tissent un ensemble d’exigences qui n’ont de sens qu’au regard de ce qui oblige. Comment concevoir la garantie des droits (art. 16), ou les bornes à la liberté (art. 4), à propos de normes dont la portée seulement facultative empêche l’affirmation de prérogatives juridiquement protégées ? De même, affirmer que « Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas » (art. 5) n’a guère de sens lorsque la norme n’a pas pour effet de distinguer le licite de l’illicite. Au contraire, le droit souple semble même pouvoir se soustraire à de telles exigences : si un dispositif d’accès payant au droit dur semble proscrit par l’égalité devant la loi (art. 6), et difficilement admissible au vu de l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité de la règle de droit, il est bien admis en matière de normalisation technique, dont le modèle économique repose précisément sur le caractère onéreux de la consultation des normes homologuées.

Le manque d’unité du droit souple ne favorise pas non plus l’évidence des solutions. En dépit de l’effort de définition fourni par le Conseil d’Etat dans son étude de 2013, le droit souple reste identifié par défaut, en négatif du droit dur. En effet, s’ils cherchent à modifier ou orienter les comportements, s’ils bénéficient d’un certain degré de formalisation et de structuration, les instruments de droit souple ne créent pas par eux-mêmes de droits et d’obligations (Conseil d’Etat, Le droit souple, op. cit., p. 61 et s.). La conséquence en est une évidente hétérogénéité des instruments rattachés au droit souple, et du régime qui leur est associé. Quoi de commun entre des normes techniques – tantôt consultables à titre onéreux, tantôt gratuitement accessibles parce que rendues obligatoires et donc extraites du droit souple – et les instructions et circulaires ministérielles qui, bien que relevant du droit souple, font l’objet d’une publication obligatoire (et gratuite) en vertu du décret n° 2008-1281 du 8 décembre 2008 ? Ce simple exemple montre combien la gratuité d’accès au droit souple n’est ni la règle, ni une simple exception, et qu’elle ne saurait a priori constituer une obligation. Si l’on ajoute à cela les dénominations parfois trompeuses que certains actes reçoivent – recommandations, chartes, codes…, qui ne correspondent pas toujours clairement à leur filiation au droit dur ou au droit souple ni au régime de publicité qui s’en suit, l’incertitude devient la règle.

Et pour finir en clair-obscur, rappelons simplement que le Conseil d’Etat lui-même, dans son étude consacrée au droit souple, attirait l’attention sur les risques inhérents à l’accès payant en matière de normalisation : « il convient de veiller à ce que l’Afnor, dans le cadre de sa mission de service public, pratique des tarifs suffisamment modérés pour que les normes restent accessibles à l’ensemble des acteurs concernés » (« Le droit souple », op. cit., p. 170). Peut-on en déduire, dès lors, que les modalités de la tarification de l’accès aux normes techniques pourraient donner prise à l’invocation d’une rupture d’égalité, voire, d’une méconnaissance de l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité du droit ? Une telle irruption dans le champ du droit souple, fort incertaine d’ailleurs, ne simplifierait rien.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; Art. 16.

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ParJDA

1er avril 2016 : pas de plaisanterie pour le droit de la commande publique (& publication d’actes de colloque)

par Lucie SOURZAT,
ATER en Droit public – Université Toulouse 1 Capitole

Art. 17. La transposition complète en droit français des directives marchés et concessions du 26 février 2014 voit enfin le jour.

En effet après l’adoption l’été dernier de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics suivie de l’ordonnance n°2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux concessions et de son décret d’application n°2016-86 en date du 1er février 2016, le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics vient enfin de paraître au Journal Officiel du 27 mars 2016.

L’objectif de simplification et de rationalisation de la commande publique est cette fois-ci bien en marche.

Le Code des marchés publics et la foule de textes réglementant les différents instruments de la commande publique poussent, quant à eux, leur dernier souffle au profit d’un seul et même Code de la commande publique au sein duquel devraient être unifiées toutes les dispositions allant encadrer la passation et l’exécution non seulement des marchés publics mais encore des contrats de concessions. Avec l’entrée en vigueur de ces nouvelles règles au 1er avril 2016 pour les contrats pour lesquels une consultation est engagée ou un avis d’appel public à la concurrence ou un avis de concession est envoyé à la publication à compter de cette date, la commande publique fait ainsi l’objet d’une rénovation complète, voire même d’une véritable « révolution ». Désormais la satisfaction des besoins de la personne publique ne pourra s’effectuer qu’à l’aide deux instruments alternatifs : le marché public ou le contrat de concession.

Alors que la notion de « convention de délégation de service public », dont la concession de service public constituait l’archétype par excellence, occupait une place centrale en droit interne, cette dernière voit ses contours désormais modifiés au profit de la notion plus large de « contrat de concession » pouvant avoir pour objet aussi bien l’exécution de services, que de travaux ou encore qui pourra « consister à déléguer la gestion d’un service public ».

Par ailleurs alors que le critère du « risque », essentiel à la définition de la concession de service public ou de travaux, ne transparaissait ni dans la loi MURCEF du 11 décembre 2001, ni dans l’ordonnance du 15 juillet 2009 relative aux concessions de travaux, l’article 5 de l’ordonnance du 29 janvier 2016 remédie à cela en prévoyant clairement que « les contrats de concession sont les contrats conclus par écrit, par lesquels une ou plusieurs autorités concédantes (…) confient l’exécution de travaux ou la gestion d’un service à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l’exploitation de l’ouvrage ou du service, en contrepartie soit du droit d’exploiter l’ouvrage ou le service qui fait l’objet du contrat, soit de ce droit assorti d’un prix ». Plus précisément, le concessionnaire devra subir une « une réelle exposition aux aléas du marché ». Autrement dit, lors de la conclusion de la convention, le concessionnaire ne devra pas être en mesure d’avoir la certitude de pouvoir amortir « les investissements ou les coûts qu’il a supportés, liés à l’exploitation de l’ouvrage ou du service ». Reste à savoir comment la réalité de cette exposition aux aléas liés à l’offre, à la demande ou aux deux pourra être sérieusement évaluée. En effet « la subjectivisation » (S. BRACONNIER,  « Nouvelles directives et partenariats public-privé : plaidoyer pour une consolidation », RDI, 2015, pp. 8 s.) du critère portant sur l’aléa lié à l’offre – cette dernière dépendant de la seule volonté des parties à la convention – apparaît comme un facteur d’insécurité juridique source de risques de requalifications des contrats de concession concernés en marchés publics.

En ce qui concerne les marchés publics, l’une des principales nouveautés concerne l’ancien contrat de partenariat devenu, avec la réforme, « marché de partenariat ».

Après avoir fêté ses dix ans en 2014, ce contrat singulier, ayant la particularité de confier une mission globale au partenaire de la personne publique, disparaît en laissant la place à un nouveau type de marché public : le marché de partenariat.

À la suite d’un rapport critique des sénateurs Jean-Pierre SUEUR et Hugues PORTELLI fait au nom de la commission des lois et rendu public le 16 juillet 2014 (J.-P. SUEUR et H. PORTELLI, « Les contrats de partenariat : des bombes à retardement ? », Rapport d’information n° 733, Commission des Lois du Sénat, 16 juill. 2014) un certain nombre de spécialistes praticiens et universitaires, juristes, économistes, financiers et architectes, se sont intéressés à la question de l’avenir de cet outil controversé de la commande publique à l’occasion d’un colloque intitulé « Le contrat de partenariat, dix ans après : quel avenir ? » ayant eu lieu au sein de l’Université Toulouse I Capitole les 25 et 26 septembre 2014. Un an après la publication en février 2015 d’un rapport public annuel de la Cour des comptes dénonçant les risques financiers générés par ce contrat sur les collectivités territoriales (C. comptes, Rapp. public annuel, Les partenariats public-privé des collectivités territoriales : des risques à maîtriser, févr. 2015), les remarques – à charge mais aussi à décharge – des intervenants au colloque précité ont donné lieu à un ouvrage collectif paru en février 2016 aux éditions Bruylant et renommé « Du contrat de partenariat au marché de partenariat » (Colloque IDETCOM, Le contrat de partenariat : dix ans après, quel avenir ? , 25 et 26 sept. 2014, publié aux éditions Bruylant Du contrat de partenariat au marché de partenariat, févr. 2016). Les différentes contributions à cet ouvrage, prenant en considération les modifications issues de la réforme, s’articulent autour de deux grands axes portant non seulement sur la question du financement externalisé des projets menés par le biais de ce type de contrat, mais encore sur le caractère dérogatoire du contrat de partenariat devenu depuis marché de partenariat.

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Reste désormais à analyser attentivement la manière dont cette réforme de la commande publique sera accueillie par les praticiens et si l’objectif de simplification, dont la réalité est déjà remise en cause par une partie de la doctrine, sera effectivement satisfait.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; Art. 17.

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Etat d’urgence & juge administratif

par Mme Mélina ELSHOUD,
Doctorante contractuelle en droit public à l’Université du Maine, Themis-Um

Etat d’urgence & juge administratif

Art. 48. En principe, le rôle joué par le juge administratif sous l’état d’urgence est essentiel.

En principe, le juge administratif est LE juge de l’état d’urgence  (et cela explique sans doute la médiatisation qui a entouré son action depuis novembre dernier) ;

– c’est lui qu’il faut saisir pour contester la déclaration d’entrée ou de sortie, dans l’état d’urgence par le Président de la République ;

– c’est lui qu’il faut saisir pour contester toute mesure de police administrative prise sur le fondement de l’état d’urgence : assignations à résidence, perquisitions administratives, réglementation de la circulation des personnes et des véhicules, fermeture provisoire de lieux publics, etc.

Ainsi, alors qu’en temps normal, le droit commun prévoit qu’un certain nombre des mesures citées ci-dessus, doivent systématiquement être autorisées par le juge judiciaire a priori (donc avant leur mise en œuvre), en situation d’état d’urgence, ces mêmes mesures n’ont pas à faire l’objet de ce premier contrôle, et ne pourront donc être contrôlées pour la 1ère fois qu’a posteriori (après leur mise en œuvre) par le juge administratif.

Le rôle que doit jouer le juge administratif, sous l’état d’urgence, est donc essentiel ; il est un organe de contrôle d’un grand nombre d’actions menées par l’Administration pendant cette période exceptionnelle. Il doit en contrôler la légalité et la conventionnalité (c’est à dire vérifier que l’Etat agit dans le respect de la Loi et des engagements internationaux) ; il doit en favoriser le contrôle de constitutionnalité en renvoyant, si un justiciable le demande, une QPC au Conseil constitutionnel.

Ce rôle, en pratique, a-t-il jusqu’ici vraiment été rempli ?

Si l’on reprend les positions exprimées par les universitaires, les journalistes, les citoyens, les experts européens depuis novembre dernier et jusqu’à aujourd’hui, elles sont très « contrastées ». On a pu lire d’un côté qu’il n’y avait aucune raison de douter de l’efficacité du contrôle du juge administratif (voir par exemple, l’avis de la Commission de Venise sur le projet de loi constitutionnelle français du 10 février 2016 (§74) et d’un autre que « l’état d’urgence montre la vraie nature du juge administratif » (c’est l’intitulé de la tribune d’un universitaire) c’est à dire un juge essentiellement protecteur de l’Administration, qui n’empêche jamais son action et dont les justiciables ne peuvent rien attendre. Alors qu’en est-il ?

Si on analyse l’ensemble des décisions (un peu plus d’une centaine) rendues par les juges administratifs depuis novembre (des tribunaux administratifs au Conseil d’Etat), nous pouvons faire plusieurs constats :

Le 1er constat c’est que le juge administratif a rencontré de vraies difficultés à exercer sa mission. On peut citer plusieurs sources de difficultés.

– 1. La rareté de la situation d’état d’urgence. En effet, le juge administratif français n’est, comme personne, un habitué de cette situation. L’état d’urgence ayant été déclaré cinq fois depuis 1955, rares sont les juridictions qui ont eu à connaître de décisions prises dans ce cadre. Le juge administratif n’est donc pas habitué de ce contrôle juridictionnel.

– 2. La situation d’état d’urgence est une situation délicate et le contrôle de certaines de ses mesures l’est tout autant. D’abord, la décision de déclarer l’état d’urgence, relève, sans doute plus qu’aucune autre, de l’opportunité politique. On demande au juge de se prononcer sur des éléments très difficiles à appréhender : confirmer ou infirmer l’existence d’un « péril imminent » ou d’une « calamité publique » n’a rien d’aisé (les débats parlementaires le démontrent) ; alors, bien que le juge administratif se reconnaisse compétent pour contrôler la légalité de la déclaration de l’état d’urgence (cet acte administratif ne fait donc pas partie de la catégorie des actes de gouvernement non susceptibles de recours), son contrôle sur elle reste indéniablement restreint.

Quant à lui, le contrôle des mesures de police administrative est également compliqué, notamment parce que l’état d’urgence de 2015 et 2016 a une particularité par rapport aux expériences passées : il est en relation avec le terrorisme. Or, la traque terroriste est intimement liée au travail d’investigation des services de renseignement et au secret qui l’entoure. Concrètement, la difficulté posée au juge administratif est la suivante : l’une des rares pièces, faisant preuve de la « menace » d’un individu, et soumise au débat contradictoire, est ce que l’on appelle « la note blanche ». La note blanche c’est une feuille, souvent type A4 et format Word, non datée et non signée, qui fait état de tous les éléments de fait qui « prouvent », selon l’Administration, qu’un individu représente une menace pour la sécurité et l’ordre publics, et justifie ainsi son assignation à résidence. Malgré les critiques et l’interdiction de leur usage par une circulaire de 2004 (dont la valeur juridique est faible), le juge administratif admet qu’elles constituent un moyen de preuve, parce que c’est souvent le seul qu’il a. En l’occurrence, le Conseil d’Etat a confirmé dans ses décisions du 11 décembre 2015, « qu’aucune disposition législative ni aucun principe ne s’oppose à ce que les faits relatés par les ‘notes blanches’ produites par le ministre, qui ont été versées au débat contradictoire et ne sont pas sérieusement contestées par le requérant, soient susceptibles d’être pris en considération par le juge administratif ».

3. Il y a un cadre juridique nouveau. La loi du 20 novembre 2015 a modifié le régime des assignations à résidence tel qu’on le connaissait : pour appréhender des menaces devenues plus diffuses (objectif préventif), l’assignation à résidence peut concerner, non plus toute personne « dont l’activité s’avère dangereuse pour la sécurité et l’ordre publics » mais toute personne pour laquelle « il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ». Le juge administratif a donc dû s’adapter à un nouveau cadre juridique volontairement peu précis. Cela a posé une question d’interprétation : les dispositions modifiées de la loi permettent elles de prononcer une assignation à résidence pour des motifs d’ordre public étrangers à ceux ayant justifié l’état d’urgence ? En clair, pouvait-on utiliser l’état d’urgence déclaré pour les attaques terroristes pour assigner à résidence des militants écologistes et éviter qu’ils ne troublent la COP 21 ?

– 4. La demande de dérogation à la CEDH. Enfin, l’information par le Président de la République au Secrétaire général du Conseil de l’Europe de la susceptibilité par la France de déroger à la Convention européenne des droits de l’Homme a pu susciter le désarroi du juge administratif, qui, depuis 1989, contrôle son respect par les actes administratifs français. Devait-il, le temps de l’état d’urgence, mettre cette source de contrôle de côté ?

Tous ces éléments cumulés ont, selon nous, constitué un contexte complexe qui a favorisé le malaise d’un juge administratif, conscient du rôle qu’il doit jouer dans l’équilibre entre liberté et sécurité, mais plein d’incertitudes sur la façon de remplir ce rôle. Ce malaise on peut en donner trois illustrations :

  1. Ce « malaise » du juge administratif, on le sent dès les premières décisions rendues sur des affaires d’assignation à résidence à propos de militants écologistes susceptibles de troubler la tenue de la COP 21. Comme nous l’avons dit, du fait de la modification de la loi, la question était de savoir si les assignations à résidence devaient avoir un lien direct avec le terrorisme, ou si elles pouvaient être prononcées à l’encontre de personnes dont le comportement constitue une menace à l’ordre public sans pourtant constituer une menace terroriste. La question se posait pour la 1ère fois devant les tribunaux de Rennes, Melun et Cergy-Pontoise, saisis en référé-liberté. Incertains de la réponse à y apporter (le Conseil d’Etat ne s’étant pas prononcé sur l’interprétation à en donner), 2 tribunaux sur 3, pour 6 des 7 affaires, ont préféré rejeter les recours en référé en faisant valoir qu’ils ne remplissaient pas la condition d’urgence ; cette solution leur permettait de « botter en touche », trier l’affaire sans répondre au fond. Sans doute, les juges administratifs ont-t-ils commis ici une vraie faute car en refusant de reconnaître l’urgence de la situation des intéressés, ils retiraient toute son effectivité au référé-liberté. Le 11 décembre, saisi en appel, le Conseil d’Etat affirma son « profond désaccord » avec ce qu’il a considéré comme une « grosse erreur de droit » des tribunaux de 1ère instance (voir les conclusions du rapporteur public Xavier Domino). Ainsi, il semble qu’il y ait réellement eu un temps de paralysie des premiers juges administratifs autour de la question : « Qu’est ce qu’on doit faire ? Qu’est ce qu’on attend de nous ? Et quelle responsabilité aurons-nous à porter si les mesures qu’on annule conduisent à un nouvel attentat ? ».
  1. Ce « malaise », on le sent dans les tribunes anonymes publiées sur Internet par des juges administratifs, de façon individuelle ou collective, peu avant la prorogation de l’état d’urgence de février. On a pu y lire toutes les insatisfactions des juges dont le pouvoir paraissait soit limité (par des mesures telle la dérogation faite à la CEDH) soit pas suffisamment renforcé, notamment par « les sept ordonnances rendues le 11 décembre 2015 par le Conseil d’Etat ». Même si d’habitude, écrivent-ils, « les positions du Conseil d’Etat font jurisprudence », les juges administratifs « de base » ont considéré que cette fois la cour suprême n’avait pas garanti l’effectivité de leur contrôle (notamment en n’encadrant pas davantage l’utilisation des « notes blanches »). « Nous nous retrouvons, juges administratifs, dotés d’une responsabilité accrue sans avoir véritablement les moyens de l’assumer. » (voir la tribune publiée sur Médiapart le 29 décembre 2015) et malheureusement, « la suspicion souvent infondée de complaisance du juge administratif envers l’Etat ne pourra que se voir renforcée» (voir la tribune publiée sur le Blog Droit administratif le 5 janvier 2016).
  1. Ce « malaise », il nous semble enfin être confirmé par une pratique tout à fait exceptionnelle dans les décisions qui ont été rendues sous l’état d’urgence : il s’agit de l’anonymisation des membres de la juridiction. Ainsi, les noms des juges en charge de l’affaire (rapporteur et rapporteur public) n’apparaissent plus (ils sont remplacés par un espace blanc ou des points) et ce, quand bien même, les noms du requérant et de son avocat restent visibles. Cette pratique donne l’impression que le juge administratif n’ose pas porter la responsabilité des conséquences du rejet ou de l’annulation (Cf. en ce sens le témoignage de M. le Magistrat Arnaud Kiecken).

A l’analyse du reste des décisions, le 2nd constat que l’on peut faire, c’est que ces difficultés ont au fil des semaines diminué, le juge administratif ayant réaffirmé sa place et davantage « borné » l’action de l’Administration.

  1. Une reconsidération de l’office du juge. Quoi qu’on puisse en dire par ailleurs, les décisions du 11 décembre 2015 rendues par le Conseil d’Etat, ont eu le mérite d’inviter les juges administratifs en général à reconsidérer leur office. Elles créent d’abord une présomption d’urgence pour les contentieux concernant les assignations à résidence (évitant le rejet des recours sur ce point à l’avenir). En outre, elles ont invité le juge à reconsidérer la portée de son contrôle en REP : jusqu’alors il exerçait seulement un « contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation » (depuis 1985), désormais il doit exercer un contrôle plus approfondi, c’est le cas du contrôle « normal » des mesures (attention, le contrôle est évidemment plus restreint en procédure de référé : cf. la contribution de M. le pr. Stéphane Mouton). Au considérant n°16, est ainsi évoqué «  l’entier contrôle du juge de l’excès de pouvoir », ce qui corrobore les conclusions du rapporteur public : « Il nous semble important que votre décision envoie le signal clair, tant à l’égard de l’administration, des citoyens que des juges, que le contrôle exercé par le juge administratif sur les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence n’aura rien d’un contrôle au rabais, et que l’état de droit ne cède pas face à l’état d’urgence ». Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 22 décembre 2015 confirma « que le juge administratif est chargé de s’assurer que cette mesure est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu’elle poursuit » (considérant 12). Un magistrat administratif l’admet : « On est en quelque sorte passé d’un extrême à l’autre » (Cf. en ce sens le témoignage de M. la magistrat Arnaud Kiecken).
  1. Un contrôle renforcé en pratique. Parmi les jugements rendus les semaines suivantes, on relève les premières suspensions par les TA et le Conseil d’Etat. Bien que la cour suprême n’ait pas davantage encadré le recours aux notes blanches dès décembre, en pratique les juges administratifs en ont affiné le contrôle : suppléments d’instruction, enquêtes à la barre (R. 623-1 CJA), débats lors de l’audience publique sont largement utilisés pour obtenir des preuves supplémentaires à même de valider ou d’invalider le contenu de ces « notes ». Le 15 janvier 2016, le TA de Cergy considère que les « contraintes liées à l’activité des services de renseignement » ne sauraient suffire à exonérer l’Etat d’étayer une note blanche. Le 22 janvier 2016, le Conseil d’Etat suspend pour la 1ère fois en appel une assignation faute « d’élément suffisamment circonstancié ».

S’il semble clair que « les services de renseignement […] ne se lèvent pas le matin pour écrire des fausses notes blanches  » (ce sont les propos tenus par Mme Léglise, sous-directrice du conseil juridique et du contentieux de la place Beauvau), le contrôle juridictionnel a pu mettre en évidence que l’Etat avait commis des erreurs ou confusions : ainsi, une communication téléphonique en haut parleur n’aurait pas due être confondue avec une prise de photographies du domicile d’une personnalité protégée, et le projet professionnel d’être instructeur en boxe thaï n’aurait pas du prouvé que l’intéressé se soit livré à une activité d’entrainement de jeunes convertis dans la pratique des arts martiaux.

Selon les statistiques fournies par le Conseil d’Etat, 106 mesures de police administrative avaient été examinées au 25 février 2016 : dans 16% des cas, il y a eu suspension partielle ou totale (17 mesures), dans 65% des cas, il y a eu rejet (69 mesures) et dans 19% des cas (20) il y a eu abrogation de la mesure par le ministère de l’Intérieur avant que le juge ne statue.

Ce dernier chiffre nous conduit au 3e constat : Que le juge administratif ait amélioré son contrôle ces quatre derniers mois n’est pas suffisant tant qu’un certain nombre de mesures restent hors de son champ d’action.

Parmi les mesures qui restent hors du contrôle juridictionnel :

– il y a ces assignations à résidence que l’Etat prononce, et applique, puis abroge (parfois seulement quelques heures) avant leur examen par le juge administratif, forçant ce dernier à prononcer un non-lieu à statuer : il n’y a plus d’acte donc il n’y a pas de contrôle possible ;

– il y a, de la même manière, les assignations à résidence qui, aux alentours du 26 février, ont disparu du fait de la prolongation de l’état d’urgence. C’est une nouveauté de la loi de 2015 : toute mesure doit être renouvelée explicitement, et ne perdure pas pour le seul motif que l’état d’urgence est prolongé. Cette mesure a l’avantage d’obliger l’Etat à réétudier les situations individuelles, mais elle a l’inconvénient de forcer le juge à prononcer de nouveau des non lieu à statuer quand le recours a été introduit moins de 48 heures avant la prolongation ; plusieurs décisions du Conseil d’Etat rendues aux alentours du 26 février le prouvent ;

– enfin, et c’est là, le plus grand problème : les perquisitions administratives, qui forment la très large majorité des mesures de police administrative prises sous l’état d’urgence ne peuvent de facto  faire l’objet d’un contrôle juridictionnel a posteriori, car compte tenu de leur brièveté, elles ne peuvent pas décemment être contrôlées par le juge administratif.  Il reste à l’intéressé la possibilité d’exercer un recours indemnitaire, long et très incertain. Environ 1% des perquisitions qui ont eu lieu depuis novembre ont fait pour le moment l’objet de ce type de recours. (Sur les perquisitions administratives, cf. la contribution de Maître Benjamin Francos).

Ces éléments nous conduisent à penser que si le juge administratif est conscient des attentes qui s’expriment à son encontre, il ne faut décemment pas tout attendre de lui.

A propos des mesures que le juge administratif ne peut actuellement pas contrôler, il faudrait rétablir un contrôle a priori. Il y a une nécessité de reposer la question de la compétence du juge judiciaire : il a son rôle à jouer dans cette situation exceptionnelle, et il faut déterminer avec précisions dans quelle mesure (cf. la contribution de Mme la députée Marietta Karamanli).

A propos des mesures qu’il contrôle déjà, il faut se rappeler que le juge administratif n’est garant des libertés qu’à la condition que le Législateur les ai protégées avant lui. Autrement dit, son contrôle s’exerce au prisme de la loi et de son esprit. Et lorsque l’esprit de la loi est favorable à la sécurité plutôt qu’aux libertés, jusqu’où peut s’exercer son contrôle ?  Qu’on ait été en accord ou en désaccord avec la position du Conseil d’Etat quand il a confirmé les assignations à résidence des militants écologistes, il faut souligner qu’il a été conforme à l’esprit de la loi de 2015 qui cherchait à embrasser une menace devenue plus diffuse. C’est d’ailleurs ce qui fait dire à certains que, rien ne permet de penser que, s’il avait été compétent, le juge judiciaire aurait abouti à d’autres interprétations et d’autres conclusions.

Nous ne pensons donc pas qu’il n’y ait que les optimistes pour croire que le juge administratif peut garantir les libertés fondamentales. Il le fait depuis de nombreuses années, en France, et partout en Europe, en Méditerranée. En Grèce, il y a bientôt 50 ans, à l’époque de ce qu’on appelle la « Dictature des colonels », le gouvernement a nié, sous couvert d’ « urgence », le Droit, tous ceux qu’il protège et tous ceux qui le protègent. En 1968, il a suspendu la disposition constitutionnelle garantissant l’inamovibilité des juges pour révoquer en trois jours 30 magistrats et c’est le Conseil d’Etat grec, qui a, le 24 juin 1969, courageusement, déclaré cette révocation illégale, et c’est son Président qui a courageusement refusé d’en démissionner malgré les pressions. Cet exemple confirme encore ce que nous venons d’écrire : le juge administratif est un allié de l’Etat de droit, mais il ne peut l’assurer seul.

En France, aujourd’hui, ne reprochons donc au juge administratif que ce qui tient de sa responsabilité. Et souhaitons, comme lui, que face à la menace permanente, on ait recours à des instruments pérennes. L’état d’urgence prolongé maintient pour le moment dans une situation très inconfortable le juge administratif et l’équilibre qu’il défend.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 48.

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Editorial : L’état d’urgence mis à la portée de tout le monde !

Art. 21. Après les attentats terroristes qui ont ensanglanté Paris en faisant cent trente morts et plus de quatre cents blessés, la France vit – pour la sixième fois sous la Vème République – sous le régime – déclaré par le gouvernement – de l’état d’urgence et ce, depuis le 14 novembre 2015. Cet état exceptionnel a même été prolongé jusqu’au 26 mai 2016. Après les attentats qui ont frappé Bruxelles le 22 mars 2016 avec trente-deux morts et plus de trois cents blessés et dont les auteurs sont manifestement liés avec les attentats de Paris, il n’est pas impossible que l’état d’urgence soit même à nouveau prolongé d’autant que la France organise, en juin 2016, l’Euro de football.

Pour protéger la Nation contre la menace terroriste, l’« état de guerre », invoqué par le président Hollande, a permis de mettre en œuvre un dispositif exceptionnel renforçant – notamment – les pouvoirs des autorités administratives. L’état d’urgence donne en effet à l’administration des pouvoirs exceptionnels lui permettant de limiter certains droits et libertés afin de faciliter les actions nécessaires à la résolution de la crise qui frappe le pays. L’attribution de tels pouvoirs à l’administration peut alors rassurer les citoyens mais elle peut aussi inquiéter. Ce double sentiment – contradictoire – s’est exprimé et s’exprime encore aujourd’hui. Faut-il alors se féliciter de la prolongation de l’état d’urgence au nom d’un principe de sécurité ou s’en inquiéter au nom des libertés ?

Pour tenter de permettre à chacun(e) de se faire sa propre opinion, le Journal du Droit Administratif vous propose en ligne – et en accès libre – son premier « dossier mis à la portée de tout le monde » renouant ainsi – au passage – avec une tradition d’explication(s) et d’implication(s) citoyennes (et pour certains de nos contributeurs parfois même militantes) comme l’avait initiée les deux fondateurs de ce premier Journal et média consacré à l’étude et à le mise en avant du droit administratif : les toulousains praticiens et théoriciens du droit public : Adolphe Chauveau & Anselme Batbie.

Périodiquement et au moins à deux reprises par année civile, le Journal du Droit Administratif s’est effectivement donné pour mission et pour ambition de présenter – sur son site Internet dans un premier temps – deux dossiers d’actualité(s) marquant le droit administratif (notamment et pour l’instant principalement français). Le choix d’un premier dossier inaugural sur l’état d’urgence s’est alors imposé aux membres de nos comité de soutien et comité scientifique et de rédaction comme une évidence.

Les textes ici rassemblés par les pr. Andriantsimbazovina & Touzeil-Divina ainsi que par Mme Julia Schmitz & Maître Francos ont tous été sélectionnés après un appel à publication(s). Ils témoignent – par l’ensemble ainsi créé – de la diversité des approches possibles du sujet étudié.

Ainsi, le lecteur trouvera-t-il des explications sur l’état d’urgence vu sous différents angles : juridique, historique, comparé. Il y lira aussi des développements intéressant le fonctionnement même de l’état d’urgence au cœur de l’administration ainsi que des témoignages sur les répercussions de l’état d’urgence sur la vie professionnelle de différents acteurs du droit administratif, de la ou même des magistrature(s), de l’Université ou encore de la société civile.

Notre « dossier spécial » comporte ainsi des points de vue parfois très différents mais c’est ce qui en fait sa richesse. Les auteurs ont tous cherché à être le plus pédagogique possible en quittant parfois les canons académiques habituels pour servir l’objectif du Journal du Droit Administratif : tenter de se mettre « à la portée de tout le monde ».

En outre, fidèle à ses comités et à ses objectifs initiaux de fondation (en 1853) et de refondation (en 2015), notre Journal n’est pas constitué que d’universitaires spécialisés en droit public. Bien au contraire, il rassemble, outre des enseignants-chercheurs en droit public (droit administratif, droit constitutionnel, droits comparés, sociologie du Droit & sciences politiques, etc.), des administrateurs (sous-préfet, directeurs d’administrations publiques à l’instar d’une Université), des magistrats (judiciaire et administratif), des avocats ainsi – ce qui est très rare sur ces questions sensibles – que le point de vue d’une députée, représentante de la Nation.

Concrètement, ce sont ici et ainsi plus de trente contributeurs qui ont répondu à notre appel. Qu’ils en soient tous et toutes très chaleureusement remercié(e)s.

La tâche n’était pourtant pas évidente car la déclaration de l’état d’urgence, et sa prorogation, a provoqué un emballement à la fois normatif (adoption d’une nouvelle loi de lutte contre le terrorisme le 22 mars 2016 ; soumission au Parlement d’un nouveau projet de loi renforçant la lutte contre le terrorisme le 03 février 2016 et d’un projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation visant à inscrire dans la constitution l’état d’urgence et la déchéance de nationalité le 23 décembre 2015, retiré par le gouvernement le 30 mars 2016), mais aussi médiatique (pétitions, réunions, manifestations) et juridictionnel (le juge administratif a été saisi à de multiples reprises par des requêtes visant à contester les mesures prises sous l’état d’urgence).

Cette situation exceptionnelle a également provoqué un débat politique et citoyen de grande ampleur auquel le Journal du Droit Administratif se devait de prendre part en raison, d’une part, de l’impact de l’état d’urgence sur le droit administratif, et d’autre part, des paradoxes qu’il soulève, invitant ainsi à la réflexion collective.

L’état d’urgence est en effet un « régime civil de crise » conférant aux autorités administratives des pouvoirs renforcés. Créé dans le contexte particulier de la guerre d’Algérie par la loi  n° 55-385 du 3 avril 1955, ce régime permet au gouvernement de mettre en œuvre des pouvoirs exceptionnels « en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public ». Il met ainsi en évidence les principaux fondements du droit administratif que sont l’ordre public (et notamment la sécurité publique) ainsi que la puissance publique au détriment – peut-être – de la notion – pourtant cardinale – de service public.

Le régime de l’état d’urgence soulève par ailleurs de nombreux questionnements relatifs aux enjeux et au fonctionnement de notre Etat de droit. L’état d’urgence désigne en effet une situation exceptionnelle par rapport à l’exercice normal des pouvoirs publics (l’exception caractérisant à la fois la situation visée et le pouvoir à mettre en œuvre). A priori, l’état d’urgence est un état d’exception destiné à prendre fin rapidement. Toutefois, ceci soulève une contradiction car si le terme d’état, stare implique la stabilité et la durée, celui d’urgence, urgens, implique l’instabilité et le provisoire. Cela nous invite conséquemment à réfléchir sur la conciliation possible entre l’état d’urgence et l’Etat de droit qui suppose un fonctionnement normal, régulier et durable des pouvoirs.

Cette contradiction est encore aggravée par l’idée d’un état d’urgence qui deviendrait « permanent ». L’état d’urgence déclaré le 14 novembre 2015 a été prorogé par deux lois successives (Loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions; Loi n° 2016-162 du 19 février 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence) jusqu’au 26 mai 2016 et sur l’ensemble du territoire national. C’est la première fois qu’il est déclaré pour une durée si longue et sur un périmètre aussi étendu. Or si l’état d’urgence est en principe une mesure exceptionnelle, un dispositif de crise transitoire, ne peut-on considérer qu’il devient progressivement dans les démocraties modernes, un « paradigme de gouvernement » qui tend à se pérenniser, l’exception devenant la règle? (Georgio Agamben, Homo sacer. L’Etat d’exception, Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 2003, p. 19).

Autre paradoxe, l’état d’urgence, comme tout régime d’exception, est fondé sur l’idée de nécessité. Il suppose la protection de la démocratie et des libertés par une nécessaire atteinte à celles-ci, opposant alors liberté et sécurité.

Face à ces nombreuses questions, ce premier dossier spécial du Journal du Droit Administratif vise à expliquer ce qu’est véritablement l’état d’urgence, en présentant son contexte historique d’élaboration et de mise en œuvre (Rémi Barrué-Belou, Jacques Viguier) et sa spécificité (Florence Crouzatier, Olivier Pluen, Mathieu Touzeil-Divina), en le confrontant également au droit international (Vasiliki Saranti) pour comprendre le point de vue de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (Joël Andriantsimbazovina) et des organisations internationales (Valère Ndior) ainsi que quelques exemples étrangers comparés (Giacomo Roma).

Il y s’agit également de comprendre le régime de l’état d’urgence et ses conséquences sur les pouvoirs décentralisés (Nicolas Kada), sur le pouvoir préfectoral (Benjamin Francos), sur les autorités de police (Loïc Peyen), sur la liberté de manifester (Marie-Pierre Cauchard), sur le fonctionnement des établissements scolaires (Geneviève Koubi), ainsi que de mesurer la finalité psychique d’un tel régime d’exception (Géraldine Aïdan).

Ce dossier est également l’occasion de donner le point de vue des acteurs politiques et des représentants élus de la Nation (Marietta Karamanli, députée de la Sarthe), de la justice (Arnaud Kiecken, Magistrat au tribunal administratif de Cergy-Pontoise ; Marie Leclair, Déléguée Régionale Adjointe, Syndicat de la Magistrature ; Claire Dujardin, Observatoire de l’état d’urgence ; François Fournié, Substitut du procureur de la République, TGI de Charleville-Mézières), de l’administration (Jean-Charles Jobart, Sous-préfet d’Ambert) et de l’Université (Bruno Sire, Président de l’Université Toulouse I Capitole ; Hugues Kenfack, Doyen de la Faculté de droit ; Serge Slama, Université Paris Ouest-Nanterre) qui vivent au quotidien et / ou ont vécu le régime de l’état d’urgence.

Les modalités de contrôle sont ensuite examinés, qu’ils soient de nature parlementaire (Julia Schmitz), juridictionnelle (Stéphane Mouton ; Mélina Elshoud), ou bien exercés par les Autorités Administratives Indépendantes (Xavier Bioy) ou encore par la société civile (Julia Schmitz).

Enfin, ce dossier invite à s’interroger sur les enjeux de l’état d’urgence dans notre Etat de droit, en questionnant la pertinence de sa constitutionnalisation ainsi que son efficacité (Wanda Mastor, Xavier Magnon, Marie-Laure Basilien-Gainche).

Notre premier dossier n’apporte évidemment pas toutes les réponses à l’ensemble des différentes questions que pose l’état d’urgence. Les opinions qui y sont émises peuvent aussi ne pas être partagées de tous nos lecteurs. Toutefois, si par ces contributions, le Journal du Droit Administratif arrive à apporter des éclairages, s’il suscite la discussion et la réflexion, il aura atteint son but.

Pour le Journal du droit administratif

Pr. Joel Andriantsimbazovina
Me Benjamin Francos
Dr. Julia Schmitz
& Pr. Mathieu Touzeil-Divina

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 21.

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Un siècle avant « l’état » légal « d’urgence » : l’exception permanente ?

par M. le pr. Mathieu TOUZEIL-DIVINA,
Professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou
Directeur du Journal du Droit Administratif

Un siècle avant « l’état » légal « d’urgence » :
l’exception permanente ?
Rappel(s) à partir des articles du
« premier » Journal du droit administratif

Art. 22. Ce court texte n’a pas vocation à présenter de manière exhaustive l’état des libertés publiques confrontées à la puissance publique sous le Second Empire. Une thèse n’y suffirait peut-être même pas. Ce « billet » introductif au premier dossier sur l’état d’urgence du Journal du Droit Administratif n’a effectivement que deux humbles ambitions : d’abord, rappeler au citoyen contemporain que s’il est bon, normal (au sens de rationnel et logique) et peut-être même légitime de s’offusquer d’une crainte que nos libertés soient trop atteintes sinon brimées par la mise en œuvre d’un état d’exception comme l’état d’urgence, cet état exceptionnel qui vient interroger les limites de l’Etat de Droit a été – pendant longtemps – l’état jugé normal du droit administratif français privilégiant ainsi la puissance publique et non les droits et libertés de ses citoyens.

Par suite, cette note essaiera de mettre en avant quelques exemples concrets de cet « état » que l’on qualifierait aujourd’hui aisément « d’exceptionnel permanent » du Second Empire à travers quelques exemples tirés des premières pages du Journal du droit administratif de 1853 et des premières années suivantes.

Le Second Empire : exception permanente
à l’Etat de Droit aujourd’hui promu.
Quand la police était la règle…

L’intitulé précédent est en soi un anachronisme ici bien assumé. Il n’a pour objectif que de tenter de comparer ce qui ne l’est presque pas tellement les périodes et les droits publics correspondants sont différents. En effet, avec un œil contemporain nourri des notions de défense et de garantie des droits et libertés, abreuvé d’ « Etat de Droit » et de protections juridictionnelles, la mise en œuvre d’un état d’urgence tel qu’issu de la Loi (examinée dans le présent dossier) du 03 avril 1955 effraie. Elle laisse à penser et à craindre qu’au cœur du couple « Libertés & Sécurité » bien connu des spécialistes du droit administratif, c’est la sécurité et la puissance publique à sa tête qui vont triompher au détriment des droits des citoyens administrés. Autrement dit, avant la belle et célèbre formule du commissaire du gouvernement Corneille (conclusions sur CE, Sect., 10 août 1917, Baldy, Rec., p. 638) selon lequel la liberté doit toujours être la règle et la restriction de police matérialiser l’exception, notre droit administratif – particulièrement sous les deux Empires (et au moins aux débuts du Second) a davantage enraciné le Droit et les droits de l’administration publique dans une vision au profit de laquelle l’état légal précédant « l’Etat de Droit » était un « droit de police » et ce, dans la grande tradition directement inspirée et héritée de l’Ancien Régime.

En 1850, ainsi, on s’étonnait presque plus encore d’une mise en avant de libertés garanties que des pouvoirs exorbitants de police entre les mains de l’administration publique et des juges qui la servaient plus qu’ils ne l’encadraient.

Malgré la déclaration des droits de 1789, la police était la règle et la liberté l’exception.

Les premiers auteurs que l’on peut qualifier d’administrativistes (c’est-à-dire de spécialistes du droit administratif) du 19ème siècle témoignent d’ailleurs parfaitement de cet état d’esprit, plus d’un siècle avant la Loi de 1955. Lorsqu’ils ne sont pas explicitement (à l’instar de Vivien de Goubert (1799-1854) ou encore de Trolley (1808-1869) que nous avons pu qualifier de « minarchistes pro gouvernants » (Cf. Touzeil-Divina Mathieu, La doctrine publiciste – 1800-1880 ; Paris, La Mémoire du Droit ; 2009) des promoteurs directs des pouvoirs de police de la puissance publique, ils sont a minima comme Chauveau (1802-1868) à Toulouse et Macarel (1790-1851) à Paris, des analystes du droit administratif peu offusqués par l’exorbitance – qui paraîtrait aujourd’hui exceptionnelle mais qui ne l’était pas à l’époque – qui se matérialisait.

Un telle époque – heureusement révolue – nous semblerait comparable à un état d’urgence permanent et doit donc – croyons-nous – être conservée à l’esprit précisément car nous ne sommes plus sous le Second Empire et que ce qui paraissait alors justifiable, ne l’est peut-être plus ou en tout cas doit être appréhendé différemment à la lumière de l’Etat de Droit.

Rappelons alors – cependant – que quelques auteurs (dès la Monarchie de Juillet) ont été attentifs aux droits et libertés – en construction et en garantie croissante – des citoyens français. Ce sont les auteurs que nous avons identifiés sous l’appellation de « libéraux citoyens » (Cf. notre étude précitée : La doctrine publiciste – 1800-1880 ; Paris, La Mémoire du Droit ; 2009) et qui revendiquaient les libertés auxquelles on portait selon eux trop atteinte plutôt que les pouvoirs de police.

Parmi ces hommes, on citera les noms d’Aucoc (1828-1910), de Batbie (1828-1887) de Laferrière (1798-1861) (Firmin, le père d’Edouard) ou encore de celui qui a initié, selon nous, un tel mouvement : le doyen Emile-Victor-Masséna Foucart (1799-1860).

Les manifestations de l’exception permanente…
… au fil des premières pages
du Journal du droit administratif

Il est alors intéressant de constater que les premières livraisons du Journal du droit administratif (dès 1853) vont précisément consacrer deux des acceptions possibles du droit administratif du Second Empire : une vision pro police (sic) et plus classique incarnée par Chauveau et l’autre, plus libérale à la recherche des droits et libertés des citoyens, que portait Batbie.

Il nous a par suite semblé intéressant de publier sous ces lignes quelques extraits de quelques-uns des articles publiés en 1853, 1854 et 1855 (soit un siècle avant la Loi du 03 avril 1955) au Journal du droit administratif et tenant à la police et aux libertés. On se rendra peut-être ainsi compte par quelques éléments concrets de ce que l’état d’urgence actuellement en vigueur au 03 avril 2016 n’aurait pas étonné un administrativiste du 19ème siècle qui se réveillerait à notre époque. Ce qui nous semblerait une dangereuse exception permanente (avec ce risque à raison décrié d’une banalisation contemporaine de l’urgence) aurait semblé être une application « normale » de l’Etat de droit alors en formation(s).

Art. 37 du Journal du droit administratif (1853, p. 274 et s.)

Dans l’une des premières livraisons du Journal du droit administratif, le lecteur est témoin d’une petite révolution administrative en termes de police(s) : la « suppression du ministère de la police générale ». Comme le rappelle M. Houte (Cf. « Surveiller tout sans rien administrer ; l’éphémère ministère de la Police générale (janvier 1852-juin 1853) » in Histoire, économie & société ; 2015 / n°02 ; p. 126 et s.), la réintroduction – sous le Second Empire – d’un tel ministère spécial (qui n’a été effectif qu’en 1852-1853) « illustre la tentation policière du Second Empire. En confiant cette institution au préfet de police du coup d’état, Maupas, Louis-Napoléon Bonaparte veut renforcer le contrôle des populations et la surveillance des opinions. Mais les archives privées de Maupas montrent la fragilité d’un ministère au périmètre mal défini et au personnel inadapté, qui se heurte, de plus, à de fortes résistances et à des rivalités administratives ». Le Journal du droit administratif relève alors la suppression de ce ministère en prenant soin de toucher le moins possible au fond mais en effleurant seulement les aspects formels de réorganisations institutionnelles. On y sent alors très sensiblement la « patte » d’un Chauveau qui introduit le changement opéré par ces mots de glorification des pouvoirs de police et du ministère consacré de l’Intérieur :

« La police est liée d’une manière tellement inséparable à la politique d’un pays, que la division des attributions a dû être plus d’une fois la source de tiraillements. Le ministre de l’Intérieur est plus spécialement chargé que tout autre de ses collègues de représenter la pensée politique du gouvernement. Sa marche pouvait plus d’une fois être contrariée par la direction donnée à la police dans un ministère indépendant du sien. C’était là une lutte analogue à celle qui s’était produite dans les départements entre les inspecteurs généraux et les préfets ».

Art. 85 du Journal du droit administratif (1854, p. 179 et s.)

Il nous a également semblé intéressant de reproduire ici in extenso un extrait d’un article du Journal du droit administratif relatif aux dangers des almanachs (sic) et de toutes les publications non contrôlées qui pourraient insidieusement venir troubler l’ordre public.

image1

Il est heureux de constater, en 2016, que la situation n’est heureusement plus la même.

Art. 126 du Journal du droit administratif (1855, p. 30 et s.)

Cet article fait état des conséquences de l’utilisation – programmée massive – de la photographie au profit des droits de police. En l’occurrence, le Journal du droit administratif met en avant les avantages que procurerait l’emploi de daguerréotypes pour signaler et ficher les « libérés en surveillance » qui seraient ainsi bien plus aisément décrits et signalés et donc portés à la connaissance de tous. L’objectif proposé était alors (conformément aux vœux et aux premiers calculs d’un inspecteur général honoraire des prisons, « ami du Journal du droit administratif » (M. Louis-Mathurin Moreau-Christophe (1799-1881)) de photographier les « plus dangereux » des « condamnés (…) annuellement libérés » (sic) afin de faire circuler – pour le bien de leur surveillance et la sécurité publique – leurs portraits.

« Si l’on considère l’importance d’un signalement précis, non seulement en ce qui concerne les condamnés libérés, mais encore tous les criminels que la société est intéressée à surveiller de près, on sera forcé de convenir que la dépense serait bien modique ».

Autant dire que la vidéosurveillance et les caméras si elles avaient existé à l’époque n’auraient pas empêché les promoteurs du droit administratif du 19ème siècle de s’y déclarer a priori très favorables !

 Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 22.

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ParJDA

Un état d’urgence qui s’installe dans la durée est une épée de Damoclès sur nos libertés (interview)

par Serge SLAMA,
maitre de conférences HDR en droit public, Université Paris Ouest-Nanterre, CREDOF-CTAD UMR 7074
initiateur d’une intervention volontaire de 450 universitaires au soutien du référé-liberté
de la LDH ayant demandé la levée de l’état d’urgence

Un état d’urgence qui s’installe dans la durée
est une épée de Damoclès sur nos libertés (interview)

Art. 45. JDA : Qu’est-ce que l’état d’urgence selon vous ?

A mes yeux le régime d’état d’urgence est d’abord et avant tout le régime d’exception adopté en avril 1955 pour lutter contre l’insurrection algérienne sans déclarer l’état de siège. Il avait alors été fortement critiqué par la doctrine (on pense en particulier au célèbre article de Roland Drago, « L’état d’urgence (lois des 3 avril et 7 août 1955) et les libertés publiques », RDP, 1955, p. 671) – comme c’est encore le cas aujourd’hui (v. en particulier la monumentale étude d’Olivier Beaud et Cécile Guérin-Bargues, L’état d’urgence de novembre 2015 : une mise en perspective historique et critique, Juspoliticum, n°15, janvier 2016).

On sait en effet que la loi du 3 avril 1955 a été adoptée au début de la guerre d’Algérie. Alors que les attentats et actes de sabotages se multiplient le gouvernement Faure souhaite se doter d’instruments juridiques pour lutter contre cette insurrection mais sans reconnaître à ces opérations la qualification d’une guerre et aux fellagas le statut de combattants. Il s’agit de les considérer comme de simples fauteurs de trouble qu’on peut canaliser et réprimer grâce à un instrument de police administrative. C’est pourquoi on ressort alors des cartons ministériels un projet préparé en 1954 par François Mitterrand, ministre de l’intérieur du gouvernement Mendès-France qui visait à ne pas proclamer l’état de siège en Algérie (par méfiance à l’égard des militaires). Pour laisser accroire qu’il ne s’agit pas d’une loi d’exception pour l’Algérie, on présente cette loi non comme une loi de circonstance mais comme une loi plus générale applicable sur tout ou partie du « territoire métropolitain, de l’Algérie ou des départements d’outre-mer ». L’exposé des motifs n’évoque d’ailleurs pas une insurrection mais un « désordre » provoqué par « quelques bandes organisées de hors-la-loi, numériquement peu importantes » et rappelle que « l’Algérie, partie intégrante du territoire national, ne peut se voir dotée d’un régime d’exception »… (cité par Sylvie Thénault, « L’état d’urgence (1955-2005). De l’Algérie coloniale à la France contemporaine : destin d’une loi », Le Mouvement Social 2007/1 (no 218), p. 63-78).

Pour parachever le tout, comme les tremblements de terre dans la région d’Orléansville en septembre 1954 ont été suivi de pillages, on ajoute au « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » un second motif de proclamation de l’état d’urgence : les événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique.

Si l’état d’urgence proclamé par la loi du 3 avril 1955 sur le territoire de l’Algérie pour une durée de six mois s’applique initialement au seul Constantinois, il est fin août 1955 étendu à l’ensemble des départements algériens. Il s’interrompt le 30 novembre 1955 avec la dissolution de l’Assemblée nationale.

Mais même pour quelques mois son application a été particulièrement liberticide (A. Heymann-Doat, Les libertés publiques et la guerre d’Algérie, Paris, LGDJ, 1972). Outre les mesures encore applicables aujourd’hui permettant de restreindre les libertés individuelles (assignations à résidence, interdiction de séjour, confiscation d’arme) ou collectives (couvre-feu, saisies de journaux, interdictions des réunions) s’ajoutent des dispositions bien plus répressives. Cette période est en effet marquée non seulement par des internements administratifs « à grande échelle » dans des camps (Emmanuel Blanchard, « État d’urgence et spectres de la guerre d’Algérie », La Vie des idées, 16 février 2016) mais aussi un empiétement sur les compétences de l’autorité judiciaire au profit de l’autorité administrative (perquisitions administratives, de jour comme de nuit) mais aussi, il ne faut pas l’oublier, de la justice militaire (Vanessa Codaccioni, Justice d’exception : l’État face aux crimes politiques et terroristes, Paris, CNRS éditions, 2015.).

JDA : Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à titre personnel à l’état d’urgence ?

Comme beaucoup de juristes j’ai été fasciné dès ma deuxième année de droit par les arrêts au GAJA sur les circonstances exceptionnelles comme Heyriès (1918), Dme Dol et Laurent (1919) ou encore Canal et Rubin de Servens (1962). Mais j’ai surtout été happé par l’état d’urgence lors de sa proclamation le 8 novembre 2005 à la suite des émeutes urbaines dans les banlieues consécutives au décès de Zyed et Bouna. Maître de conférences fraichement nommé à l’Université Evry Val d’Essonne j’ai alors participé à la réflexion collective – et souvent arrosée – qui a amené notre collègue Frédéric Rolin à saisir le Conseil d’Etat de requêtes en référé-suspension et en annulation et à relayer ces actions sur son blog contre l’état d’urgence proclamé. Alors que nous nous rendions presque quotidiennement à Evry en banlieue parisienne il nous semblait que l’état d’urgence était inadapté et disproportionné au regard de la situation compte tenu du fait qu’à la date de la promulgation de cet état d’urgence les moyens ordinaires de police administrative avaient permis de juguler ces émeutes. Comme le disait André Cheneboit dans le Monde du 24 mars 1955 pour décrire les instruments de la loi de 1955 « l’on ne braque pas un canon pour écraser une mouche ».

Or, en l’occurrence toutes les mesures adoptées par les préfets dans le cadre de l’état d’urgence (couvre-feux, interdiction de manifestation, etc.) auraient pu être adoptée dans le cadre de la légalité ordinaire. Il nous semblait donc que la proclamation de l’état d’urgence par le président Chirac obéissait en réalité à deux finalités étrangères à l’état d’urgence : d’une part un affichage politico-médiatique (montrer que le Premier ministre Dominique de Villepin était aussi crédible que son ministre de l’intérieur et rival pour l’élection présidentielle Nicolas Sarkozy) et de nécessités opérationnelles (mobiliser de manière extraordinaire les forces de l’ordre pour maintenir le calme dans les banlieues sans accorder de congés jusqu’à la St Sylvestre). Aux audiences devant le Conseil d’Etat, auxquelles j’ai assistée aux côtés de Frédéric Rolin, les représentants du gouvernement défendaient d’ailleurs uniquement le fait que les mesures de l’état d’urgence n’étaient nécessaires que pour prévenir la recrudescence des émeutes urbaines – ce qu’a validé le juge des référés compte tenu de la finalité préventive de l’état d’urgence (CE, réf., 14 novembre 2005, n° 286835). En déclarant recevable la requête de notre collègue, il a écarté l’idée que la proclamation de l’état d’urgence puisse être qualifiée d’acte de gouvernement contrairement à la proclamation de l’article 16 – en l’état actuel de la jurisprudence (CE, Ass., 2 mars 1962, Rubin de Servens, n° 55049, Lebon). Le chef de l’Etat détient néanmoins un large pouvoir d’appréciation sur l’appréciation des motifs de déclenchement et le juge ne pratiquait alors qu’un contrôle restreint de l’erreur manifeste d’appréciation sur cette décision.

Assez naturellement j’ai été signataire du référé-liberté initié par Frédéric Rolin, Yann Kerbrat et Véronique Champeil Desplats, signé par 74 collègues, pour tenter d’obtenir la fin anticipée de cet état d’urgence dès lors que l’article 3 de la loi de prolongation du 18 novembre 2005 avait expressément prévu qu’ « il peut y être mis fin par décret en conseil des ministres avant l’expiration de ce délai ».

Si la requête a été rejetée, l’ordonnance rendue par Bruno Genevois comporte deux évolutions positives : d’une part elle reconnaît que toute personne résidant habituellement, à la date de la saisine du juge, à l’intérieur de la zone géographique d’application de l’état d’urgence a intérêt à en demander la cessation (seul François Julien Laferrière avait alors été déclaré irrecevable car il était en séjour de recherche à l’étranger). D’autre part, et surtout, même si le juge des référés admet le maintien de l’état d’urgence compte tenu « de l’éventualité de leur recrudescence à l’occasion des rassemblements sur la voie publique lors des fêtes de fin d’année » (CE, réf., 9 décembre 2005, Allouache et a., n° 287777, au Lebon), il était clair, qu’en l’absence de nouvelles émeutes, l’état d’urgence devait s’interrompre passer la St Sylvestre – ce qui fut fait à compter du 4 janvier 2006 par décret du 3 janvier 2006. C’était un exploit car, comme le notent Olivier Beaud et Cécile Guérin-Bargues au regard de l’expérience historique, il existe une « tendance presque naturelle du pouvoir exécutif à pérenniser un état d’exception » (L’état d’urgence de novembre 2015 : une mise en perspective historique et critique, préc., p.65). Or Bruno Genevois a clairement indiqué dans son ordonnance qu’un tel régime de pouvoirs exceptionnels a « des effets qui dans un Etat de droit sont par nature limités dans le temps et dans l’espace ».

L’ordonnance rendue par son successeur en janvier 2016 est bien moins satisfaisante.  En qualité de membre de la LDH (président de la section Nanterre Université), j’ai participé, en liaison avec Nicolas Hervieu, doctorant du CREDOF travaillant au cabinet Spinosi-Sureau, à la définition de la stratégie juridique visant à contester l’état d’urgence. Après le dépôt d’une vague de QPC contre le fondement légal des assignations à résidence (qui, paraît-il et de manière absurde, porte atteinte à la liberté individuelle uniquement si vous êtes enfermés plus de 12  heures par jour à domicile – Décision n° 2015-527 QPC du 22 décembre 2015, M. Cédric D. [Assignations à résidence dans le cadre de l’état d’urgence], cons. 6)), des perquisitions administratives et des restrictions à la liberté de réunion, il est apparu que la seule fenêtre de tir contentieuse appropriée était avant la seconde prolongation fin février et peu après la publication du rapport Urvoas (contrôle parlementaire de l’état d’urgence). J’ai donc organisé, en complément du référé-liberté déposé par la LDH, Françoise Dumont et Me Henri Leclerc une intervention volontaire qui a réuni en quelques jours 450 signatures de collègues universitaires et chercheurs, et non des moindres (Olivier et Stéphane Beaud, Frédéric Sudre, Patrick Wachsmann, Danièle Lochak, Jacques Chevallier, Joël Andriantsimbazovina, Bastien François, Pascal Beauvais, Florence Bellivier, Laurence Burgorgue-Larsen, Marie-Anne Cohendet, Delphine Costa, Olivier de Frouville, Arlette Heymann-Doat, Stéphanie Hennette-Vauchez, Véronique Champeil-Desplats, Denis Mazeaud, Thomas Perroud, Mathieu Touzeil-Divina, etc.) (v. « Fin de l’état d’urgence : 450 universitaires intervenants volontaires sur le référé-liberté de la LDH »).

Malheureusement le juge des référés n’a pas été au rendez-vous de l’histoire et a rendu une décision non seulement décevante mais surtout potentiellement dangereuse pour les libertés. Il admet en effet le maintien durable de l’état d’urgence en jugeant que le péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public « qui a conduit, à la suite d’attentats d’une nature et d’une gravité exceptionnelles », à déclarer l’état d’urgence « n’a pas disparu » en janvier 2016 dès lors que « des attentats [de moins grande ampleur que ceux du 13 novembre] se sont répétés depuis cette date à l’étranger comme sur le territoire national et que plusieurs tentatives d’attentat visant la France ont été déjouées » et que « la France est engagée, aux côtés d’autres pays, dans des opérations militaires extérieures de grande envergure qui visent à frapper les bases à partir desquelles les opérations terroristes sont préparées, organisées et financées ». Seule ouverture, il n’exclut pas dans l’avenir une modulation des mesures prévues par la loi de 1955 qui pourront être désactivées selon les besoins (CE, réf., 27 janvier 2016, Ligue des droits de l’homme et autres, n° 396220).

Sans nier l’existence d’une menace – diffuse et permanente – d’attentats terroristes en France, si les mots ont un sens, il n’existait plus le 27 janvier 2016 de « péril imminent » résultant des atteintes graves à l’ordre public qui ont été provoqués par les attentats du 13 novembre. Or, non seulement les mesures pouvant être prises dans le cadre de l’état d’urgence ont perdu leur efficacité contre les réseaux terroristes mais en outre son maintien constitue pour tout à chacun une épée de Damoclès sur ses libertés. En effet à tout moment n’importe qui peut être assigné en raison d’un simple comportement, même assez vague, représentant une menace supposée pour l’ordre et la sécurité publics et même si cette menace est sans rapport avec le péril ayant justifié la proclamation de l’état d’urgence mais avec un autre événement – comme la COP 21 ou l’Euro de foot. Pire le Conseil d’Etat a admis que « la forte mobilisation des forces de l’ordre pour lutter contre la menace terroriste ne saurait être détournée, dans cette période, pour répondre aux risques d’ordre public liés à de telles actions » (CE, Sect., 11 décembre 2015, M. J. Domenjoud et a., n° 394989). Le rapporteur public expliquait en effet « qu’en réalité, avec les motifs ayant justifié la déclaration de l’état d’urgence, il doit bien […] exister un lien, mais un lien non pas idéologique ou politique qui tiendrait à l’origine des troubles auxquels il convient de parer, mais plutôt un lien opérationnel ou fonctionnel, qui tient à l’ampleur de la mobilisation des forces de l’ordre qu’ils pourraient entraîner et à la nécessité de ne pas avoir à mobiliser par trop ces forces dans un contexte déjà difficile, où, rappelons-le, le péril est imminent » (concl. X. Domino, RFDA 2016 p.105). Avec un tel raisonnement, en invoquant le manque de forces de police pour assurer la sécurité d’une gay pride les autorités russes pourraient assigner à résidence tous les militants homosexuels ou de défense des droits de l’homme susceptibles d’engendrer de graves troubles à l’ordre publics (v. contra : Cour EDH, 1e Sect. 21 octobre 2010, Alekseyev c. Russie, n° 4916/07, 25924/08 et 14599/09).

De même tout à chacun peut être perquisitionné sur ordre du préfet et sur la base d’une simple fréquentation d’un lieu par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics et ce sans pouvoir bénéficier de la protection offerte par la juridiction judiciaire ou de tout contrôle juridictionnel effectif. On ne peut en effet sérieusement souscrire à l’analyse du Conseil constitutionnel, pour le moins aberrante au regard des exigences de la CEDH, que la possibilité d’engager postérieurement à la perquisition la responsabilité de l’État  constitue une voie de recours suffisante pour respecter les exigences de l’article 16 de la DDHC « au regard des circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l’état d’urgence » (Décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016, Ligue des droits de l’homme [Perquisitions et saisies administratives dans le cadre de l’état d’urgence], cons. 11).

JDA : Concrètement, quel est impact sur votre pratique professionnelle ?

L’état d’urgence a eu un impact indirect sur ma pratique professionnelle. D’une part, nous avons été particulièrement sollicités par les médias sur la question de l’état d’urgence, de sa constitutionnalisation mais aussi de la constitutionnalisation concomitante de la déchéance de nationalité de Français de naissance. Nous avons d’ailleurs organisé avec Frédéric Rolin et le sénateur Jean-Yves Leconte une conférence le 4 janvier 2016 au Palais du Luxembourg sur la constitutionnalisation de l’état d’urgence avec François St Bonnet, Olivier Beaud et Laurent Borredon (la vidéo doit être mise en ligne. V. aussi leur libre propos : « État d’urgence : un statut constitutionnel donné à l’arbitraire », JCP G  n° 4, 25 Janvier 2016,  71), suivie d’une autre conférence sur la constitutionnalisation de la déchéance le 15 février 2016. Nous avons aussi participé comme intervenant à plusieurs conférences sur ce thème, notamment une conférence organisée par le CREDOF le 21 janvier 2016 à Nanterre ou encore les journées « prison / justice » du GENEPI en présence des frères Domenjoud d’ailleurs et du contrôleure générale des lieux de privation de liberté.

D’autre part, et surtout, alors qu’ils participaient à une manifestation le 29 novembre 2015 place de la République contre l’état d’urgence, plusieurs de mes étudiants en M2 droits de l’homme ont été parmi les 341 personnes interpellées sur la place et les 316 gardés à vue. Leur participation à la manifestation était pourtant purement pacifique, au sein d’un cortège politico-syndical. En outre selon toutes les témoignages recueillis par la presse ils sont été sciemment pris dans un « kelting » policier et ils n’ont ni entendu les sommations d’usage ni pu quitter le cortège, entouré par les policiers, au moment de la dispersion. Après avoir attendus plusieurs heures après l’interpellation avant d’être transportés, ils ont subi de la part des policiers des brimades et humiliations de nature sexiste ou en raison de leurs convictions politiques (v. leur témoignage : « La privation de droits : une leçon d’Etat ? », 4 décembre 2015). Le Défenseur des droits a été peu après saisi de leurs réclamations. Le comble est qu’alors que l’arrêté préfectoral qui interdisaient l’ensemble des manifestations sur la voie publique à Paris était expressément fondé sur la loi de 1955, le Conseil constitutionnel a jugé depuis que les dispositions de l’article 8 de cette loi « n’ont ni pour objet ni pour effet de régir les conditions dans lesquelles sont interdites les manifestations sur la voie publique » (Cons. constit., Décision n° 2016-535 QPC du 19 février 2016, Ligue des droits de l’homme [Police des réunions et des lieux publics dans le cadre de l’état d’urgence]). Les manifestations ne pouvaient donc être interdites dans le cadre d’un état d’urgence que sur le fondement de la légalité ordinaire et pas de manière générale et absolue comme elles l’ont été.

Cette expérience n’a fait que renforcer les convictions militantes de mes étudiants et la solidarité de la promotion 2015/2016 – merci Monsieur le Préfet. En effet un groupe d’étudiants du M2 droits de l’homme a ensuite participé à une analyse juridique avec des associations et des universitaires intitulées « L’urgence d’en sortir ».

Ces étudiants m’ont aussi accompagné à l’audience de Section au Conseil d’Etat et à l’audience devant le Conseil constitutionnel, dans laquelle la LDH avait été admise en qualité de tiers intervenante. Mieux, les étudiants qui avaient été placés en garde à vue ont été à titre personnel admis en qualité d’intervenants volontaires devant le Conseil constitutionnel dans la décision qui a fait reconnaître au Conseil constitutionnel que la loi de 1955 ne permettait pas d’interdire des manifestations… (Décision n° 2016-535 QPC du 19 février 2016, Ligue des droits de l’homme [Police des réunions et des lieux publics dans le cadre de l’état d’urgence]). Ils étaient représentés par Me Raphaël Kempf, un ancien étudiant du M2 droits de l’homme. Le seul avantage de l’état d’urgence est donc de susciter des vocations militantes dans sa contestation…

JDA : Au nom de l’état d’urgence, avez-vous été empêché d’agir, comme en temps normal ?

En effet, à la fin de l’année 2015 plusieurs compétitions de courses à pied ou de cross auxquels je m’étais inscrit avec mon club – l’Azur Charenton – ont été annulées sur décision de la préfecture.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 45.

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Etat d’urgence et lutte contre le terrorisme. La mécanique de l’entropie

par Marie-Laure BASILIEN-GAINCHE,
Professeur des Universités en Droit Public, Université Jean Moulin Lyon III
Membre de l’Institut Universitaire de France

 Etat d’urgence et lutte contre le terrorisme.
La mécanique de l’entropie

« Ce sont nos frayeurs qui font de nous des traîtres »
Shakespeare, Macbeth, Acte 4, Scène 2.

Art. 53. Liberté ou sécurité, faut-il choisir ? La question impose une réponse négative. En effet, le choix est impossible car il existe une dialectique constructive entre liberté et sécurité. D’une part, la sécurité est nécessaire à la liberté : la sécurité physique des individus est non pas la première des libertés mais bien le préalable à toutes les libertés, le préalable au contrat social lui-même (tel que pensé notamment pas Thomas Hobbes dans son Léviathan) ; la sécurité juridique de l’environnement est indispensable quant à elle à l’intelligibilité et à la prévisibilité des normes, en particulier des normes qui touchent à la garantie des libertés fondamentales. D’autre part, la liberté est nécessaire à la sécurité : la protection des libertés fondamentales consiste en rien de moins que l’essence même des caractères républicain et démocratique de notre communauté politique, de notre corps social. Le choix est donc impensable, en ce que c’est bien l’objet et la finalité de l’art de gouverner que de créer un équilibre dynamique entre liberté et sécurité, de gérer leurs interactions mutuelles sans que l’un des deux ne se trouve affecté voire ignoré. Il n’en demeure pas moins que le couple liberté / sécurité pose question dans le contexte de l’état d’urgence qui vient bouleverser un équilibre déjà sensible et délicat en période normale.

Or, tel est bien la situation actuelle d’un état d’urgence déclaré pour 12 jours par le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015, prorogé une première fois pour trois mois par la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015, et prorogé une nouvelle fois pour trois mois par la loi n° 2016-162 du 19 février 2016. En effet, l’état d’urgence est un régime d’exception, dont les spécificités résonnent au seul rappel des sentences latines qui en nourrissent la lettre et l’esprit : « Salus populi suprema lex est » ; « Necessitas legem non habet ». Au nom du salut du peuple, à raison de la nécessité de l’assurer, il est permis, dans des circonstances de péril exceptionnelles, de suspendre les règles normales de limitation des pouvoirs et d’instaurer des mécanismes exceptionnels d’extension des pouvoirs des gouvernants, au prix d’une limitation des droits des gouvernés et de leurs garanties dont on ne peut négliger le fait que les gouvernants en usent de manière excessive et délétère. Plusieurs régimes juridiques existent, permettant de déroger à la légalité administrative normale : article 16 de la Constitution de 1958, théorie jurisprudentielle des circonstances exceptionnelles, état de siège prévu par l’article 36 de la Constitution de 1958, régime législatif de l’état d’urgence prévu par la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 modifiée par la loi du 20 novembre 2015 précédemment citée.

Or, dès le 16 novembre 2015, trois jours après les attentats, le Président de la République a déclaré devant le Parlement, réuni en Congrès en application de l’article 18 de la Constitution, qu’il convenait de « faire évoluer notre Constitution pour permettre aux pouvoirs publics d’agir, conformément à l’État de droit, contre le terrorisme de guerre ». C’est ainsi que le gouvernement a élaboré un projet de loi constitutionnelle dit de protection de la Nation (n° 3381), qui a été déposé à l’Assemblée nationale le 23 décembre 2015, sur lequel le Conseil d’Etat a rendu un avis le 11 décembre 2015, et qui a été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale le 10 février 2016, et qui est à l’examen au Sénat pour être discuté en séance publique les 16, 17 et 22 mars 2016. Outre un article 2 qui a pour objet la déchéance de nationalité via une modification de l’article 34 de la Constitution, le projet de loi constitutionnelle comporte un premier article qui vise à insérer dans notre texte fondamental un article 36-1 consacrant l’état d’urgence dans les termes suivants :

« L’état d’urgence est déclaré en conseil des ministres, sur tout ou partie du territoire de la République, soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’évènements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique.

« La loi fixe les mesures de police administrative que les autorités civiles peuvent prendre pour prévenir ce péril ou faire face à ces évènements.

« La prorogation de l’état d’urgence au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi. Celle-ci en fixe la durée. »

Or, une telle disposition ne permet pas en tant que telle de moderniser l’état d’urgence, quoi que le gouvernement puisse dire dans son exposé des motifs. En effet, une telle modernisation ne demanderait pas de réviser notre charte fondamentale. Il s’agit, comme l’ont brillamment relevé Isabelle Boucobza et Charlotte Girard d’organiser « une immunité constitutionnelle préventive » en faveur d’un dispositif qui soulève de nombreuses inquiétudes et comporte de nombreuses difficultés (« Constitutionnaliser » l’état d’urgence ou comment soigner l’obsession d’inconstitutionnalité ? », La Revue des Droits de l’Homme, Lettre Actualités Droits Libertés, 05 02 2016, URL : http://revdh.revues.org/1784). Et de remarquer ici une nouvelle illustration de la dangereuse propension à instrumentaliser et manipuler la charte fondamentale qui traduit un mépris pour le respect de la hiérarchie des normes, des principes de l’Etat de droit, des exigences de la garantie des droits. Afin de bien saisir les enjeux posés par le fait que le gouvernement ait eu recours à l’état d’urgence et ait la volonté de constitutionnaliser le dispositif, il convient d’examiner cette méthode de concentration des pouvoirs (I), et d’interroger l’adéquation de ce mécanisme exceptionnel au but de la lutte contre le terrorisme (II).

Car là réside bien la question majeure posée par le coupe liberté / sécurité que met en lumière l’emploi de l’état d’urgence en cet hiver 2015-2016 : les dispositifs d’exception en général et l’état d’urgence en particulier sont-ils appropriés aux particularités du péril qu’ils prétendent juguler ? Or, le recours à la notion d’entropie peut-être ici utile à saisir les problématiques en cause. En effet, l’entropie est une notion issue de la thermodynamique naissante du 19e siècle, qui a été pressentie par Nicolas Sadi Carnot dans les années 1820 et qui a été définie par Rudolf Clausius en 1865, avant que Ludwig Eduard Boltzmann n’en donne une formulation théorique en 1877. Construit à partir de la racine grecque tropi (transformation), le mot ‘entropie’ permet de nommer une grandeur caractérisant de manière mathématique l’irréversibilité des processus physiques, à l’instar de celui bien connu en mécanique de la transformation du travail en chaleur. Ce qui nous intéresse pour notre propos réside dans le problème que la notion d’entropie permet de mettre à jour : celui de la dégradation de l’énergie qui se généralise en détérioration de l’ordre, celui de la désorganisation du système par propagation du désordre. En effet, en répondant aux attaques terroristes par le recours à un état d’exception, l’Etat nous paraît ajouter du désordre au désordre, en dispersant inutilement son énergie vitale, et en dégradant malheureusement ses principes fondamentaux.

Appréhension de l’état d’urgence
comme moyen de gérer le péril

Une méthode de concentration des pouvoirs entre les mains de l’exécutif

L’état d’urgence est un dispositif de concentration des pouvoirs au bénéfice de l’exécutif. Il se distingue en cela de l’état de siège qui est prévu par la loi du 9 août 1849 reprise à l’article 36 de la constitution, et qui permet de transférer dans les zones concernées l’essentiel des pouvoirs des autorités civiles aux militaires en cas de « péril imminent résultant d’une guerre étrangère ou d’une insurrection armée » d’une partie de la population (application a été faite d’un tel dispositif pendant la guerre de 1870 dans une vingtaine de départements, pendant les 4 années première guerre mondiale sur la totalité du territoire, et à partir de septembre 1939 jusqu’au du 10 juillet 1940 date de suppression des limites constitutionnelles du pouvoir). C’est d’ailleurs la dimension militaire de l’état de siège qui explique qu’il n’ait pas été employé pendant la guerre d’Algérie. Les membres du FLN ne devaient apparaître ni comme des combattants ni comme des insurgés ; ils devaient être perçus comme de simples délinquants dont le comportement ne pouvait être justifié par aucune cause politique dans un contexte de décolonisation. C’est pourquoi a été élaborée puis adoptée la loi du 3 avril 1955 sur l’état d’urgence qui met un soin tout particulier, contre l’évidence même , à éviter tout rapprochement avec une guerre d’indépendance : est évoquée de manière singulièrement évasive un « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public ». Edgar Faure, président du Conseil de l’époque, l’admettra des années plus tard dans ses mémoires : « La simple vérité étant que le terme état de siège évoque irrésistiblement la guerre et que toute allusion à la guerre devait être soigneusement évitée à propos des affaires d’Algérie » (Mémoires, tome II : Si tel droit être mon destin ce soir, Paris, Plon, 1987, p. 197).

Employé dans le contexte considéré désormais comme celui de la guerre d’Algérie, l’état d’urgence est ensuite utilisé à diverses reprises en outre-mer (en 1984 en Nouvelle Calédonie, en 1986 à Wallis & Futuna, en 1987 en Polynésie française) et en 2005 métropole en réponse aux émeutes dans les banlieues (Dominique Rousseau, « L’état d’urgence, un état vide de droit(s) », Revue Projet, 2006, vol. 2, n°291, p. 19-26). A cela s’ajoute le dernier recours à ce dispositif d’exception qui date du 14 novembre 2015. Il est à noter que cet état d’exception, qui permet à l’exécutif par la voie des Préfets notamment, de restreindre la liberté de circulation, l’inviolabilité du domicile ou la liberté d’expression, compose un mécanisme de concentration des pouvoirs entre les mains de l’exécutif aux contours fluides et flous (Olivier Beaud & Cécile Guérin-Bargues, « L’état d’urgence de novembre 2015 : une mise en perspective historique et critique », Jus Politicum, 2016, n°15). Saisi en référé-suspension contre les deux décrets ayant déclaré et défini les modalités de mise en œuvre de l’état d’urgence en 2005 (décret n° 2005-1386 du 8 novembre 2005 portant application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 et décret n° 2005-1387 du 8 novembre 2005 relatif l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955), le Conseil d’Etat a à dessein interprété les termes de l’article 2 de la loi de 1955 de manière extensive et imprécise. La loi prévoit le recours à l’état d’urgence « en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » ou « en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ». Et le Conseil d’Etat d’affirmer que le texte « a eu pour objet de permettre aux pouvoirs publics de faire face à des situations de crise ou de danger exceptionnel et imminent qui constituent une menace pour la vie organisée de la communauté nationale » » (CE, Ord., 14 novembre 2005, Rolin, requête 286835). Bénéficiant ainsi d’une grande marge de manœuvre pour déclarer l’état d’urgence et en définir le champ d’application, les autorités exécutives disposent d’un outil d’exception, dont il convient de questionner la déclaration, le régime et l’emploi. Or il semble ressortir de l’examen que la décision de déclarer l’état d’urgence est moins rationelle qu’émotionnelle, que la limitation des droits fondamentaux de tous est en soi problématique, et que l’utilisation faite de l’instrument fait fi des exigences des principes de nécessité et de proportionnalité.

Une décision politique moins rationelle qu’émotionnelle

On a observé et on observe encore une forme de consensus émotif en faveur de la protection de la sécurité au détriment de la liberté au nom de la nécessité de lutter contre le terrorisme. Une telle justification de l’acceptation démocratique de recul des libertés démocratiques comporte des faiblesses, ainsi que le relève très justement François Saint-Bonnet (« Contre le terrorisme, la législation d’exception ? », La Vie des idées, 23 11 2015). D’abord, le recours à l’état d’urgence résulte d’une approbation émotive plus que raisonnée. La sidération provoquée par les attaques terroristes de janvier puis de novembre 2015 est bien compréhensible. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un état propre à altérer le discernement. Or, en période de crise, il est du devoir tant des gouvernants que des gouvernés de développer une analyse raisonnée et raisonnable de la situation, afin de concevoir une réponse adaptée et efficiente. Toutefois, comme la science politique et l’histoire constitutionnelle le montrent bien, le pouvoir cède souvent à la tentation d’entretenir l’émotion pour faire adopter des mesures qui eussent été considérées inacceptables en temps normal, pour obtenir des marges de manœuvre qui eussent soulevées l’indignation en période de calme.

Ensuite, est à relever une confusion entre la sauvegarde de l’État ou de la société face à un péril d’une part, et la préservation ou la restauration de l’ordre public d’autre part. Or seule celle-là peut justifier le recours à un dispositif d’exception quand urgence il y a, quand s’impose l’absolue nécessité d’agir avec célérité pour juguler des circonstances exceptionnelles par leur gravité, leur intensité, et leur portée. Il s’agit alors ni plus ni moins que de sauver ce qu’il doit l’être : l’entité étatique, la communauté politique. Par conséquent, l’état d’urgence ne saurait être employé pour préserver ou restaurer l’ordre public, mission que les autorités doivent assurer en tout temps au moyen du mode normal de fonctionnement des institutions. En outre, du fait même de leur caractère exceptionnel, les états d’exception ne peuvent être utilisés que de façon très circonscrite dans le respect de strictes limitations temporelles, territoriales et matérielles : ils doivent être mis en œuvre pour la durée la plus courte possible, dans une espace le plus restreint possible, par une limitation la plus réduite possible des droits et libertés. Une fois la circonstance exceptionnelle endiguée, une fois le péril extrême jugulé, la légalité d’exception doit cesser pour que la légalité normale reprenne sa place, pour que la normalité soir rétablie. Autrement dit, envisager l’emploi durable de l’état d’urgence pour lutter contre un péril durable, tel celui que présente le terrorisme, est un contre sens juridique, constitutif d’un détournement de pouvoirs.

Un dispositif de limitation des droits fondamentaux de tous

Nombeux semblent ceux qui acceptent avec indolence la réduction de la liberté d’aller et venir, l’inviolabilité du domicile, le respect de la vie privée, droit de se réunir, la liberté de manifester, droit à être entendu avant toute mesure faisant grief. Peut-être pensent-ils que les droits et libertés affectées sont davantage celles des autres que les leurs, ce qui n’est évidemment pas le cas. Les libertés limitées ou suspendues concernent tous les individus, espaces, groupes, et flux. Ce sont deux régimes de limitation des droits et libertés que la loi du 3 avril 1955 établit concernant la mise en œuvre de l’état d’urgence. Le premier est un régime de base qui autorise les autorités administratives à restreindre la circulation, instituer des zones de protection ou de sécurité, à interdire une personne de séjour dans tout ou partie du département (article 5), à assigner des individus à résidence (articles 6 & 7), à décider de la fermeture de salles de spectacle, de débits de boissons, de lieux de réunion et de l’interdiction des réunions de nature à provoquer ou entretenir le désordre (article 8), à organiser la remise des armes et munitions correspondantes (article 9). Aux limitations de droits et libertés ainsi prévues par le régime de base, les autorités peuvent décider d’ajouter des limitations d’autres droits et libertés en activant le régime renforcé : des mesures supplémentaires peuvent être prises qui doivent faire l’objet d’une disposition expresse dans le texte instituant ou prorogeant l’état d’urgence afin que des perquisitions à domicile puissent être réalisées de jour comme de nuit sans intervention préalable du juge judiciaire (article 11, et afin que compétence soit transférée aux juridictions administratives aux fins de contrôle des mesures adoptées et appliquées au titre de l’état d’urgence (article 12).

Or, le fait de positionner le juge administratif comme juge des libertés pose problème, en ce que ce juge, encore marqué par l’habitus de la loi-écran – pour ne pas parler de sa déférence à l’égard la constitution-écran -, se contente d’exercer le contrôle restreint de l’erreur manifeste d’appréciation, au grand dam de la liberté des individus et de la sécurité du droit. Pourtant, plus les autorités ont de larges marges d’appréciation dans leurs interprétations des textes et dans l’exploitation de ces dernières, plus les contrôles exercés sur leurs actes et leurs actions doivent être serrés, détaillés, intenses, pointilleux, étendus. Plus le pouvoir s’offre des marges de manœuvre et s’organise des réductions des libertés, plus les citoyens doivent être vigilants. En temps de crise, sous l’empire d’un régime d’exception, le contrôle devrait être le plus approfondi et étendu possible, qui passerait au crible des exigences de la nécessité et de la proportionnalité toutes les mesures considérées.

Une utilisation faisant fi de la nécessité et de la proportionnalité

Des interrogations et des inquiétudes surgissent à l’examen des mesures qui ont été adoptées par les autorités administratives depuis la déclaration de l’état d’urgence le 14 novembre 2015, et qui ont été publiées par différents organes citoyens (Observatoire de l’état d’urgence du quotidien Le Monde, Observatoire des conséquences de l’état d’urgence sur les personnes étrangères du GISTI, Recensement des joies (ou pas) de l’état d’urgence en France de la Quadrature du net). Rappelons que les états d’exception ne doivent en principe être employés que lorsque le péril ne peut être jugulé au moyen des méthodes normales de fonctionnement des pouvoirs publics, et que les mesures prises au titre des états d’exception ne concernent que les motifs qui ont suscité l’instauration de ces derniers. N’en déplaise au Conseil d’Etat ! Celui-ci a montré une certaine indépendance à l’égard des principes essentiels du droit tout en manifestant une dépendance certaine à l’égard des contingences circonstancielles du politique, quand il a affirmé que les dispositions de l’article 6 de la loi de 1955 sur l’état d’urgence « de par leur lettre même » (Lauréline Fontaine, « La disparition. 5 petits mots et puis s’en vont… », Le Droit de la Fontaine, 10 01 2015), n’imposent pas qu’il y ait un rapport entre l’objet de la déclaration de l’état d’urgence et les motifs des décisions qui sont prises sur le fondement de cet état d’urgence (CE, Sect. 11 décembre 2015, n° 394989, 394990, 394991, 394992, 394993, 395002, 395009 ; Philippe Cossalter, « Le contrôle par le juge des référés de la légalité des assignations à résidence dans le cadre de l’état d’urgence », Revue Générale du Droit, 14 12 2016).

Peut-on estimer que les autorités administratives ont pleinement et réellement respecté les exigences afférentes au principe de nécessité quand elles ont assignés à résidence des militants écologistes en marge de la COP21, pénalisé le fait d’être piéton sur une portion de la RN 216 composant la rocade de Calais, ordonner perquisitions pour appréhender des personnes impliquées dans le trafic de drogue, faire évacuer des squats, interpeller des ressortissants de pays tiers en situation irrégulière, vérifier des informations ? Les exemples sont foison. Quand bien même le principe de nécessité pourrait être dans certains cas considéré comme respecté, la question de proportionnalité des atteintes aux droits et libertés mises en œuvre à l’objectif poursuivi. Il convient de se demander d’abord si l’objectif, à l’aune duquel la proportionnalité est à évaluer, est celui de la lutte contre le terrorisme affiché par le visa des mesures renvoyant à l’état d’urgence, ou celui poursuivi par les autorités profitant des marges de manœuvre ouvertes par le régime de l’état d’urgence pour mener des actions normales de maintien de l’ordre. Il convient de s’interroger ensuite sur les perquisitions menées, qui ont été accompagnées de dommages physiques, matériels, moraux que certaines autorités se sont refusé à indemniser ; qui ont emporté des pratiques clairement illégales telles que le menottage préventif (le ministre de l’intérieur dans sa circulaire du 25 novembre 2015 a dû rappeler que celui-ci est strictement prohibé par l’article 803 du code de procédure pénale) ; qui ont parfois été opérées sans que soit établi un procès-verbal.

Les questions se posent, les questionnements s’imposent. Si l’état d’urgence provoque bien des atteintes aux droits et libertés, on est légitimement en droit de se demander si cela est justifié par le but poursuivi. Certes lutter contre le terrorisme est sans aucun doute légitime et nécessaire. Mais l’affirmation cède à l’interrogation voire à la négation sur le point de savoir si l’état d’urgence est l’outil le plus approprié pour lutter contre le terrorisme.

Adéquation de l’état d’urgence
au péril qu’il prétend gérer ?

Une méthode de lutte contre le terrorisme sujette à caution

L’examen de la situation actuelle se révèle saisissant : un état d’urgence qui emporte des restrictions des droits et des libertés, sans être accompagné d’un renforcement proportionnel des garanties offertes aux individus affectés par les mesures prises au titre de ce régime d’exception, et des contrôles exercés par les autorités juridictionnelles et politiques sur les utilisations faites par les autorités administratives de ce régime d’exception ; un état d’urgence qui emporte des restrictions des droits et des libertés, afin de mener une lutte efficace contre le terrorisme sans que l’adéquation entre le moyen employé et l’objectif poursuivi soit démontrée. Les questions sont pertinentes ; les réponses cinglantes. L’état d’urgence est-il le meilleur moyen de lutter contre le terrorisme ? Non. Le recours à l’état d’urgence pour juguler la menace terroriste est-il justifié ? Non. Les caractères de l’état d’urgence sont-ils en cohérence avec les caractéristiques de la menace terroriste à endiguer ? Non. Est-il raisonnable d’employer un mécanisme qui doit être limité et temporaire pour affronter une menace générale et permanente ? Non. Les dérives bien connues du recours à un état d’exception sont-elles clairement empêchées ? Non. La propension à rendre permanents des dispositifs exceptionnels soit en les prorogeant soit en les insérant dans le droit commun est-elle efficacement prévenue ? Non.

Ces réponses négatives s’expliquent simplement. D’abord, le mode normal de fonctionnement des pouvoirs publics aurait suffi à concevoir et à appliquer les mesures rendues nécessaires par la situation de risque engendrée par les attaques terroristes, dans la mesure où la France s’est dotée depuis 1986 d’un arsenal juridique plus que conséquent : le recours à l’état d’urgence apparaît par là même inutile. Ensuite, le caractère perdurant et latent d’une menace terroriste globale et indéterminée aurait exigé une réponse des autorités qui soit inscrite dans le temps long, ce qui cadre bien mal avec les caractéristiques propres des états d’exception dont l’usage et les impacts devraient par définition être temporaires : le recours à l’état d’urgence semble ainsi inconséquent. Enfin, les réductions des droits et libertés instaurées en cette période de crise au titre du dispositif d’exception devraient cesser dès le péril jugulé, dès l’extrême gravité des circonstances endiguée, ce qui n’est pas le cas ainsi qu’il ressort des projets de loi à l’examen, notamment du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité de la procédure pénale : le recours à l’état d’urgence s’avère donc des plus inquiétants.

Un arsenal juridique suffisant pour lutter contre le terrorisme

La question se pose en effet de l’emploi d’un régime extraordinaire avec pour objectif de lutter contre le terrorisme, alors même que notre ordre juridique interne s’est pourvu au fil des années d’un véritable arsenal anti-terroriste. Quelque 16 lois ont été adoptées depuis 1986 qui, les unes après les autres, sont venues directement renforcer les pouvoirs reconnus aux autorités au nom de la lutte contre le terrorisme : elles ont concouru à allonger la liste des infractions terroristes, instaurer la déchéance de la nationalité, étendre les autorisations de saisies et perquisitions, alourdir les peines, prolonger les délais de prescription, renforcer le recours à la surveillance, accentuer les obligations de conservation et de transmission des données par les opérateurs. Doivent ainsi être citées la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme ; la loi n° 86-1322 du 30 décembre 1986 modifiant le code de procédure pénale et complétant la loi 861020 du 09-09-1986 relative à la lutte contre le terrorisme ; la loi n° 92-686 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre la nation, l’Etat et la paix publique ; la loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992 relative à l’entrée en vigueur du nouveau code pénal et à la modification de certaines dispositions de droit pénal et de procédure pénale rendue nécessaire par cette entrée en vigueur ; la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative ; la loi n° 96-647 du 22 juillet 1996 tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire ; la loi n° 96-1235 du 30 décembre 1996 relative à la détention provisoire et aux perquisitions de nuit en matière de terrorisme ; la loi n° 97-1273 du 29 décembre 1997 tendant à faciliter le jugement des actes de terrorisme ; la loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne ; la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure ; la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité ; la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers ; la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure ; la loi n° 2012-1432 du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme ; la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme ; la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement.

Or à un tel arsenal, on ne peut plus fourni on en conviendra, vont venir s’adjoindre les dispositions de projets normatifs à l’examen : légalisation de la surveillance des communications internationales ; interconnexion globale de tous les fichiers ; élargissement des possibilités de vidéosurveillance dans les lieux publics avec un allègement des procédures d’obtention de l’autorisation préfectorale après avis de la CNIL ; installation systématique d’une balise GPS dans tous les véhicules loués ; doublement de la durée de conservation des données de connexion de 1 à 2 ans (voir CJUE, Grande Chambre, 8 avril 2014, Digital Rights Ireland Ltd & Michael Seitlinger e.a., affaires jointes C-293/12 & C-594/12 ; Marie-Laure Basilien-Gainche, « Une prohibition européenne claire de la surveillance électronique de masse », in Revue des droits de l’homme, 14 mai 2014, url : http://revdh.revues.org/746) ; déploiement sans autorisation préalable du juge des IMSI catcher, fausses antennes relais qui se font passer pour un réseau légitime auprès des téléphones détectés dans son spectre, et qui peuvent alors aspirer les données qui y transitent ; Garde à vue portée à 8 jours (contre 6 actuellement) en matière de terrorisme ; pose de microphones au domicile dès l’enquête de préliminaire. Quoi qu’il en soit, il semble que l’instauration de l’état d’urgence n’ait guère ajouté d’instruments à la disposition des autorités publiques ; il s’est contenté de réduire les contrôles exercés sur leur emploi et par conséquent les garanties offertes contre les dérives.

Une inscription de la menace terroriste dans le temps long

Recourir à l’état d’urgence en vue de mener la lutte contre le terrorisme peut paraître non seulement inutile, mais encore inconséquent. En effet, l’état d’urgence est un régime exceptionnel : exceptionnel quant aux circonstances qui conduisent à sa déclaration ; exceptionnel quant à la durée nécessairement limitée de son usage ; exceptionnel quant aux réductions des libertés qui doivent être strictement nécessaires et proportionnées à l’atteinte de l’objectif qui a motivé l’instauration de l’état d’urgence. Ainsi, pour qu’un état d’exception puisse être instauré, plusieurs exigences sont à satisfaire concernant le péril pouvant justifier son déclenchement : 1) le péril doit présenter un caractère de certitude dans sa nature, le seul élément d’incertitude étant le moment auquel il se produira ; 2) le péril doit être d’une intensité et d’une nature si particulière que le fonctionnement normal des pouvoirs publics n’est pas à même de l’endiguer. Or, le terrorisme est un phénomène qui n’est pas exceptionnel si l’on porte un regard non sur le territoire français mais sur la région méditerranéenne, non sur le temps court mais sur la période longue qui s’est ouverte le 9 septembre 2001 avec les attentats ayant touchés les Etats-Unis (il serait même assez cohérent de remonter encore dans le temps pour tenir compte des projets et actions terroristes de groupes se proclamant de l’islam radical, à l’instar du Groupe Islamique Armé apparu dans les années 1991 en Algérie).

Le phénomène criminel en cause est manifestement étendu dans l’espace et voué à durer dans le temps. La menace terroriste est devenue la norme. Les autorités françaises le reconnaissent elles-mêmes dans la lettre adressée le 24 novembre 2015 au Conseil de l’Europe pour l’informer de son usage de la possibilité de déroger  aux droits et libertés protégés par la Convention au titre de l’article 5 de cette dernière : « la menace terroriste en France revêt un caractère durable, au vu des indications des services de renseignement et du contexte international » (nous soulignons). Le hiatus se fait clairement jour entre une menace constante et latente, et une méthode de gestion de la menace devant donc être générale et permanente qui s’appuie sur un dispositif qui par définition devrait être circonscrit et temporaire. Toutefois, on ne peut que relever le caractère vague et flou du dispositif de l’état d’urgence tel que prévu par notre droit positif : le dispositif semble préventif puisqu’il peut être activé « en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public », en cas de dangers qui ne sont pas encore réalisés et contre lesquels il convient de se prémunir. Le Conseil d’Etat le confirme bien, dans l’ordonnance du juge des référés rendue le 9 décembre 2005 (n° 287777) : il rappelle « l’impératif de prévention inhérent à tout régime de police administrative » pour admettre le maintien de l’état d’urgence, alors même que les troubles à l’ordre public qui ont justifié sa mise en œuvre se soient réduits, dès lors qu’existe « l’éventualité de leur recrudescence ». Pourtant, autoriser ainsi le maintien du régime d’exception de manière indéfinie à raison de la persistance du risque terroriste constitue une contradiction par essence.

Un régime exceptionnel s’insinuant dans la légalité normale

L’état d’urgence ne peut être que limité de manière temporelle, spatiale et substantielle, ce qui ne saurait satisfaire aux exigences imposées par la nature et les caractères du péril terroriste à gérer. Un dispositif juridique qui a pour objectif de faire réellement face à une telle menace terroriste suppose de s’inscrire également dans la durée. Or, le Premier Ministre, le 22 janvier 2016 sur l’antenne de la BBC, a reconnu explicitement cette nécessité d’un dispositif de lutte contre le terrorisme inscrit dans la durée, et a exprimé conséquemment son intention de faire prolonger l’état d’urgence « jusqu’à ce que Daesch soit éradiqué ». La chose est entendue : il est admis que le régime exceptionnel devienne normal. Pourtant, on ne saurait accepter que les réductions des libertés instaurées au titre de l’état d’exception intègrent dans le mode normal de fonctionnement des pouvoirs publics, faisant de l’exception la norme. Or tel est bien ce qui ressort du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité de la procédure pénale qui a été présenté en conseil des ministres le 3 février 2016 (nous renvoyons à l’analyse faite de ce projet de loi par le Professeur Yves Mayaud à paraître chez LexisNexis). Le Défenseur des droits n’a d’ailleurs pas manqué de manifester son inquiétude devant « ce qui ressemble fort à un état d’urgence glissant, un régime d’exception durable » (Jacques Toubon, « On entre dans l’ère des suspects », Le Monde, 4 02 2016).

En répondant à la menace terroriste par des mesures sécuritaires, une dynamique en défaveur des droits et libertés se développe qui, loin protéger et conforter l’entité étatique et la communauté politique, fragilise et lamine ses principes fondamentaux. On ne peut en effet oublier ce que la théorie juridique et l’histoire constitutionnelle nous ont appris des détournements des régimes d’exception. Le mécanisme qui s’enclenche est pervers : face à un criminel considéré comme un ennemi, le garant des libertés devient un combattant, le garde devient le guerrier qui voit en toute personne un ennemi et qui oublie sa mission de sentinelle des droits et libertés. Reste à espérer qu’un contre-pouvoir vienne enrayer une telle dérive : le juge judiciaire est mis hors-jeu, le juge constitutionnel n’en est pas un, le juge administratif s’adonne à la complaisance et à la connivence. Ne resterait-il donc que le juge européen pour protéger nos libertés ? Et de vous inviter à méditer ces propos de Benjamin Constant : « les gouvernants sont ces sentinelles, placées par les individus, qui s’associent précisément pour que rien ne trouble leurs repos, ne gêne leur activité » ; mais, s’ils outrepassent cette fonction, « s’ils vont plus loin, ils deviennent eux-mêmes cause de trouble et de gêne » (Principes applicables à tous les gouvernements, Droz, Genève, p. 384).

La contribution exposée ci-dessus est issue d’une intervention présentée, à titre de propos introductifs, lors de la conférence ‘Liberté ou Sécurité : Faut-il Choisir ?’ qui a été organisée par le Barreau de Lyon le 29 février 2016 et qui a été accueillie à l’Université Jean Moulin Lyon 3.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 53.

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ParJDA

Quels sont les contrôles des différents juges ?

par M. le pr. Stéphane MOUTON,
Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole,
Directeur de l’Institut Maurice Hauriou

Quels sont les contrôles des différents juges ?

Art. 47. Parce qu’il répond d’un régime d’assouplissement de la légalité, l’état d’urgence régi par la loi du 3 avril 1955 ne peut être considéré comme un régime d’exception qui se soustrait aux impératifs juridiques existants au sein d’un Etat de droit. Si ce régime se caractérise d’abord et avant tout par un développement des compétences des autorités administratives à l’encontre de certaines libertés considérées comme essentielles dans une société démocratique (telles que la liberté d’aller et venir, la vie privée, les libertés de réunion, de manifestation, et d’expression surtout), il existe toujours un contrôle juridictionnel effectué par le juge administratif à l’encontre de leurs décisions et de leurs actions. Néanmoins cela peut-il suffire à assurer une protection efficiente des libertés au sein de l’état d’urgence pérennisé depuis la loi du 20 novembre 2015 ?

Bien sûr, le juge administratif participe – et parfois dans le conflit avec le pouvoir exécutif et ses premières autorités constitutionnelles – au développement de l’encadrement juridique des actions des organes gouvernementaux et à une entreprise de protection des libertés contre l’administration. Il est même certain que cette mission persiste dans l’exercice de l’état d’urgence, puisque le contrôle de légalité des actes administratifs effectué par le juge administratif est de même nature que celui qu’il réalise en période dite normale. Sur le plan organique, le juge vérifie que la compétence de l’auteur soit respectée, mais encore que l’autorité compétente agisse dans la cadre d’une légalité clairement déterminée, comme le Conseil d’Etat l’a rappelé dans une décision n° 396220 du 27 janvier 2016 Ligue des droits de l’homme à propos du président de la République (§7). Sur le plan matériel, le juge administratif effectue un contrôle certes minimum, mais qui demeure classique dans le contrôle de légalité des missions de police administrative. Il met en œuvre un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation de l’administration dans l’exercice des missions de sauvegarde de l’ordre public, ce qui ne l’empêche d’ailleurs pas de protéger certaines libertés fondamentales. C’est bien ce que démontre la décision n° 395620 du 6 janv. 2016 dans laquelle le Conseil d’Etat soutient la suspension de l’exécution d’un arrêté préfectoral portant fermeture d’un restaurant prise par le juge des référés en raison d’ « une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’entreprendre » (§12).

Ce constat suffit-il à faire du juge administratif un gardien naturel de la protection des droits contre l’Administration dans le cadre de l’état d’urgence prorogé par la loi du 19 février 2016 ? La réponse assurément doit être très circonstanciée. Depuis la Constitution de Frimaire de 1799 et son projet de renforcement du pouvoir exécutif et donc de l’Administration sur la société politiquement convulsive depuis 1789 et jusqu’à nos jours, le Conseil d’Etat a été et reste une juridiction au service de la construction et de la légitimation de l’Etat administratif animées par une éthique jurisprudentielle fondée sur l’intérêt général. Celle-ci repose elle-même sur l’idée que la protection des libertés, idée revendiquée par le juge administratif lui-même comme un principe fondamental de la société démocratique, dépend de la bonne organisation de la société et d’une réglementation des rapports sociaux assurées par les décisions de l’institution étatique et de son administration surtout, dans une posture tutélaire, voire autoritaire, vis-à-vis de la société civile. Dans cette logique historique et culturelle ancienne, politique et juridique forte, le juge administratif a donc toujours justifié, au nom de la garantie des libertés proclamées depuis 1789, l’emprise de l’institution étatique sur la société politique (la nation) composée de citoyens-administrés et à la bonne mise en œuvre des décisions de l’Etat dans le corps social.

Il découle donc de cette réalité que le juge administratif sert une justice liée au pouvoir de l’Etat, avant d’être une justice au service des libertés, au motif que le premier est l’agent de la garantie des secondes. C’est bien ce que démontre la logique de son contrôle – renforcée dans le cadre de l’état d’urgence – construite sur une technique de conciliation entre les exigences inhérentes à la protection de l’ordre public et les atteintes aux droits et libertés perpétrées par les décisions et/ou actions administratives à leur encontre. Concrètement, son contrôle de la légalité assure une protection des droits inversement proportionnelle au degré de protection nécessaire de l’ordre public. Par voie de conséquence, plus l’ordre public est menacé, plus le pouvoir de l’Etat s’affirme à l’encontre des libertés qui voient leur protection relativisée.  Dans l’exercice de cette conciliation donc, il n’appartient pas au juge administratif d’effectuer un contrôle substantiel du degré de l’atteinte réalisée aux droits et libertés par les autorités administratives. Il lui revient d’apprécier, dans le respect d’un certain nombre de conditions juridiques participant à une garantie des libertés, que l’atteinte générée à un droit par cette autorité réponde à d’une habilitation juridique, et qu’elle ne soit pas disproportionnée par rapport aux objectifs qu’elle poursuit au nom de l’intérêt général et/ou de la protection de l’ordre public.

Aussi cohérente et nécessaire soit-elle, on doit souligner les dangers d’une telle dynamique pour la protection des libertés dans le cadre du régime juridique de l’état d’urgence, au motif notamment qu’il favorise une pernicieuse confusion des rôles entre les juges judiciaires, administratifs voire constitutionnels au nom de la noble mission de garantie des droits. En effet, dans un contexte où les barrières de la garantie judiciaire tendent à être abaissées pour d’impérieux motifs de protection de l’ordre public, et où le juge judiciaire se trouve fragilisé dans sa mission de gardien naturel des libertés (cf. par ex. l’article 4 de la loi du 20 novembre 2015), le juge administratif est naturellement encouragé à investir la fonction de gardien des libertés face à l’administration. C’est à lui que revient la fonction de circonscrire dans les cadres de la légalité formelle et matérielle la tendance naturelle et légitime des autorités administratives à blesser un certain nombre de libertés fondamentales dans un régime d’état d’urgence qui développent leur compétence au détriment des droits. Le mouvement semble d’ailleurs suffisamment légitime pour que certains suggèrent de constitutionnaliser le juge administratif dans le rôle de garantie des droits à côté du juge judiciaire dans un article 66 de la Constitution réformé en conséquence.

Or, sous les apparences d’un renforcement de la légalité administrative, ce sont les libertés qui se réduisent concrètement, sans cesse plus écrasées par l’influence que l’Etat exerce sur les conditions de leur effectivité. Dans un tel contexte, il est plus que jamais nécessaire de rappeler que le juge judiciaire demeure le gardien naturel des libertés face à l’action de l’Administration malgré une tendance parfois contraire (quid de la voie de fait ?), voire même le législateur à l’égard duquel le Conseil constitutionnel développe une jurisprudence similaire à celle du Conseil d’Etat, laissant prévaloir, dans les conciliations qu’il effectue, les exigences de l’intérêt général au détriment de la protection effective des droits constitutionnels. A titre d’exemple, sa jurisprudence relative aux assignations à résidence permises dans le cadre de l’état d’urgence démontre que lorsqu’il apprécie la violation d’un droit constitutionnel par une disposition législative sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution, le juge constitutionnel le fait à l’aune du respect ou non par l’Administration des atteintes à la liberté constitutionnelle – en l’occurrence le respect de la vie privée ici prévue par la disposition législative en cause –, et non pas en raison des atteintes substantielles que ce droit peut connaître à raison des atteintes autorisées par la volonté générale (Cons. const. n° 2015-527 QPC du 22 déc. 2015, §16- 11-13 « Cédric D »).

Finalement, la seule vertu de l’état d’urgence est de rappeler la fragilité du pouvoir des juges face au pouvoir de l’Etat qui tient toujours les libertés civiles entre ses mains. Si son maintien tend à justifier la place que l’Etat occupe dans la protection nécessaire des libertés, il devrait aussi nous inviter à repenser celle du juge au sein de notre démocratie afin que l’équilibre nécessaire entre la sécurité et la liberté au sein d’une société libre ne penche pas trop en faveur de la première en raison d’une protection de la seconde. Ainsi l’état d’urgence serait appelé à rester un régime d’exception dont il convient de se défaire dès que les circonstances ne l’exigent plus en raison du danger qu’il fait peser sur les libertés, et non pas un régime « normalisé » qu’il convient de pérenniser en raison de l’artificielle garantie qu’il offrirait à ces dernières par sa bienveillante protection.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 47.

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Que dit la Cour européenne des droits de l’homme sur l’état d’urgence ?

par Joël ANDRIANTSIMBAZOVINA,
Professeur à l’Université Toulouse 1 – Capitole,
Institut de Recherche en Droit européen, international, comparé
Directeur de l’Ecole doctorale Sciences juridiques et politiques

Que dit la Cour européenne des droits de l’homme
sur l’état d’urgence ?

Art. 27. Ce que dit la Cour européenne des droits de l’homme sur l’état d’urgence découle de l’interprétation et de l’application qu’elle fait de l’article 15 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950.

Cet article 15 dispose:

« 1. En cas de guerre ou en cas de danger public menaçant la vie de la nation, toute Haute Partie contractante peut prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la présente Convention, dans la stricte mesure où la situation l’exige et à la condition que ces mesures ne soient pas en contradiction aux autres obligations découlant du droit international.

2. La disposition précédente n’autorise aucune dérogation à l’article 2, sauf en cas de décès résultant d’actes licites de guerre, aux articles 3, 5 (paragraphe 1) et 7.

3. Toute Haute Partie contractante qui exerce ce droit de dérogation tient le Secrétaire général du Conseil de l’Europe pleinement informé des mesures prises et des motifs qui les ont inspirées. Elle doit également informer le Secrétaire général du Conseil de l’Europe de la date à laquelle ces mesures ont cessé d’être en vigueur et les dispositions de la Convention reçoivent de nouveau pleine application ».

A la demande du Royaume-Uni, dans l’esprit des rédacteurs de la Convention l’inscription de cette clause dérogatoire visait à permettre à l’Etat adhérent de défendre la société démocratique et la prééminence du droit dans tout contexte de très grave crise provoqué par des conflits armés ou par d’autres dangers qui menacent la vie de la nation. Ces circonstances exceptionnelles permettent à l’Etat, à travers un régime de crise comme l’état d’urgence, de restreindre de façon dérogatoire les droits de l’homme et les libertés fondamentales dans le but de les préserver. La frontière entre la restriction exceptionnelle des droits et des libertés éxigée par des circonstances très particulières et la neutralisation définitive de ceux-ci est tenue.

En tant que régime de légalité exceptionnelle, l’état d’urgence fait marcher l’Etat sur la corde raide. Les réductions des libertés pendant cette période peuvent faire basculer la société démocratique dans l’abîme des régimes anti-démocratiques. Afin d’éviter un tel basculement, son déclenchement, sa mise en œuvre et son extinction impliquent une surveillance attentive de la part des autorités nationales et des autorités supranationales.

Au titre de ces dernières, si la Cour européenne des droits de l’homme ne s’est pas prononcée directement sur l’état d’urgence de la loi française du 3 avril 1955, elle a produit une jurisprudence vigilante susceptible de s’appliquer à lui. Elle pose trois exigences : la justification du recours à l’état d’urgence, la nécessité et la proportionnalité des mesures adoptées en vertu de l’état d’urgence, le respect des règles de forme pour la déclaration et la fin de l’état d’urgence.

Le recours à l’état d’urgence doit être justifié

La proclamation de l’état d’urgence doit être commandée par l’existence d’ « une situation de crise ou de danger exceptionnel et imminent qui affecte l’ensemble de la population et constitue une menace pour la vie organisée de la communauté composant l’Etat » (Lawless c. Irlande (n°3), 1er juillet 1961, § 28).

La Cour a été amenée à se prononcer sur des justifications généralement fondées sur l’importance d’activités terroristes.

Ce fut le cas en Irlande dans l’affaire Lawless en raison des agissements violents d’une armée secrète sur le territoire irlandais et en dehors de celui-ci, au Royaume-Uni dans les affaires Irlande contre Royaume-Uni du 18 janvier 1978 et Brannigan et McBride contre Royaume-Uni du 26 mai 1993 en raison des violences terroristes sur le territoire des deux Irlande ; il en est de même dans l’affaire A. et autres contre Royaume-Uni du 19 février 2009 en raison des menaces que représentaient certaines personnes du fait de leur présence sur le territoire britannique après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis ; également en Turquie dans l’affaire Aksoy et autres contre Turquie du 18 décembre 1996 du fait des violences terroristes dans le Sud-Est de la Turquie dans le conflit qui oppose l’Etat turc avec le Parti des travailleurs du Kurdistan.

Au vu de cette jurisprudence, il ne fait aucun doute que la déclaration de l’état d’urgence en France, le 14 novembre 2015, après les attentats de Paris, est compatible avec la définition que la cour donne du danger public menaçant la vie de la nation.

L’exigence de justification de l’état d’urgence s’applique a fortiori à un Etat adhérent qui a connu un putsch et un coup d’Etat : la survenance d’une révolution ne dispense pas un Etat adhérent de ses obligations à l’égard de la Convention (Commission européenne des droits de l’homme, 5 novembre 1969, Danemark, Norvège, Suède et Pays-Bas c. Grèce, § 26).

Sans doute, la Cour admettra également un état d’urgence justifié par des catastrophes naturels et des conflits internes.

Les mesures restrictives prises en vertu de l’état d’urgence doivent être nécessaires et proportionnées.

En vertu de l’article 15 de la Convention, les mesures dérogatoires ne sauraient être adoptées que « dans la stricte mesure où la situation l’exige et à la condition que ces mesures ne soient pas en contradiction aux autres obligations découlant du droit international ».

Cela implique un contrôle de la nécessité et de proportionnalité des mesures de restriction voire de suspension de certains droits et libertés. Particulièrement, la Cour vérifie que les règles normales de légalité applicables en période non troublée ne suffisent ni à faire face ni à endiguer le danger public qui menace la vie de la nation. Toutefois, elle laisse à l’Etat adhérent une marge d’appréciation dans le choix des mesures dérogatoires adéquates et les mieux adaptées pour parer à la menace: celles-ci peuvent aller jusqu’à l’exclusion du contrôle judiciaire des arrestations et des privations de liberté (Irlande contre Royaume-Uni, précité). La Cour n’accorde pas pour autant un blanc-seing à l’Etat adhérent. Ainsi, les mesures dérogatoires doivent être accompagnées de garde-fous contre les abus dans leur mise en œuvre. Face aux détentions administratives, sont envisageables le contrôle politique par le Parlement et le contrôle par des commissions de détention. En fonction de la gravité de la menace, la durée de la détention et l’exclusion de l’intervention judiciaire ne sauraient cependant être excessives : une détention secrète de quatorze jours sans présentation de l’intéressé à un juge ou à un magistrat est disproportionnée (Aksoy contre Turquie, précité), de même un régime de détention spécifique des étrangers est également disproportionné et discriminatoire dès lors que des nationaux peuvent aussi être des auteurs d’attentats terroristes (A et autres contre Royaume-Uni, précité).

En tout état de cause, les dérogations permises pendant l’état d’urgence ne sauraient concerner le droit à la vie (article 2 CEDH), l’interdiction de la torture, des peines et traitements inhumains et dégradants (article 3 CEDH), l’interdiction de l’esclavage, du travail forcé et obligatoire (article 4 CEDH), le principe de non-rétroactivité de la loi pénale (article 7 CEDH), le droit à ne pas être jugé ou puni deux fois (article 4 du Protocole n°7 à la CEDH). En effet, ces droits ne souffrent nulle dérogation, même en cas de danger public menaçant la vie de la nation (article 2 : Al-Saadoon et Mufdhi contre Royaume-Uni du 2 mars 2010, § 118 ; article 3 CEDH: par exemple, Aksoy c. Turquie, § 62, Öçalan contre Turquie (n°2) du 18 mars 2014, § 97-98 ; article 4 CEDH: Rantsev contre Chypre et Russie du 7 janvier 2010, § 283 ; article 7 CEDH : Del Rio Prada contre Espagne du 21 octobre 2013, § 77 ; article 4 § 3 du Protocole n°7 prévoit explicitement que « aucune dérogation n’est autorisée au présent article au titre de l’article 15 de la Convention » ). La jurisprudence considère également que l’état d’urgence ne doit pas seulement respecter la Convention européenne des droits de l’homme, il doit aussi être conforme aux autres obligations internationales de l’Etat adhérent. Celles-ci figurent notamment dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui prévoit une liste plus longue de droits qui ne peuvent faire l’objet de dérogation (en plus des droits et libertés figurant dans la CEDH, la liberté de pensée, de conscience et de religion, le droit à la personnalité juridique).

La déclaration et la fin de l’état d’urgence
doivent respecter des règles de forme
.

L’article 15 de la Convention impose à l’Etat adhérent qui y recourt d’informer le Secrétaire général du Conseil de l’Europe des mesures prises mais aussi de la fin de l’état d’urgence ou de l’état d’exception.

L’Albanie, l’Arménie, la Géorgie, la Grèce l’Irlande, le Royaume-Uni, la Turquie, l’Ukraine ont utilisé le droit de dérogation prévu par l’article 15.

La France a procédé à cette double obligation à propos de l’état d’urgence concernant le territoire de Nouvelle-Calédonie : la déclaration de l’état d’urgence par lettre du 7 février 1985, le retrait de celui-ci par lettre du 2 septembre 1985. Elle l’a également utilisée pour informer le Secrétaire général du Conseil de l’Europe de la proclamation de l’état d’urgence après les attentats du 13 novembre 2015  et aussi de sa prolongation : la France a fait une déclaration le 24 novembre 2015 concernant la proclamation de l’état d’urgence et une autre déclaration le 25 février 2016 concernant sa prolongation jusqu’au 26 mai 2016.

La Cour interprète strictement cette double obligation.

L’absence d’une déclaration formelle (écrite ou verbale) de dérogation exclut l’application de l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme.

De même, cette déclaration doit être faite sans délai injustifié comme elle doit être accompagnée des informations précises et suffisantes sur les mesures prises et leurs motifs (Lawless contre Irlande (n°3) et Aksoy contre Turquie précités). Parmi les informations exigées, l’étendue territoriale de l’état d’urgence doit être indiquée : l’application de l’état d’urgence en dehors du territoire indiqué méconnaît l’objet et le but de l’article 15 de la CEDH (Sakik et autres contre Turquie du 26 novembre 1997).

Les mesures restrictives prises après la déclaration de retrait de la dérogation et donc de fin de l’état d’urgence ne sont plus couverte par l’article 15 de la CEDH (Brogan et autres contre Royaume-Uni du 29 novembre 1988).

En conclusion, la Cour européenne des droits de l’homme joue un rôle indispensable de sentinelle de l’utilisation de l’état d’urgence. Ce dernier constitue un instrument utile de sauvegarde de la démocratie et de l’Etat de droit contre les menaces qui les assaillent. Il doit cependant rester un état d’exception car il fait courir aussi un risque de retournement d’un régime d’exception en un régime autoritaire et anti-démocratique. Quoi de plus précieux que le contrôle d’une juridiction indépendante et extérieure à l’Etat adhérent pour éviter un tel renversement ?

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 27.

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Le droit italien et la réponse au terrorisme

par Giacomo ROMA,
doctorant en droit public, comparé et international – Université de Rome « La Sapienza »

Le droit italien et la réponse au terrorisme

Art. 30. L’Italie a connu le terrorisme bien avant le fondamentalisme islamique qui a semé la terreur à Paris en 2015 et a conduit à la proclamation de l’état d’urgence. Dans les années 70, le pays était secoué par la lutte armée qui était mené par des groupes d’extrémistes « rouges » et « noires ». L’Etat craignait qu’il n’y fût un lien entre les mouvements sociaux qui, comme en France, avaient éclaté en 1968 et qui ont connu un autre moment fort en 1977, d’une part, et les groupes qui prônaient la lutte armée, tels que les Brigades rouges, d’autre part. A cette époque-là, comme de nos temps, des lois ont été adoptées pour lutter contre le terrorisme.

La législation des années 70 (I) peut être considérée l’ancêtre des lois les plus récentes en matière de terrorisme (II).

La réponse italienne au terrorisme des années 70

En 1975, une loi contenant des dispositions très restrictives pour le maintien de l’ordre public fût promulguée (loi n° 152 du 22 mai 1975, dite « loi Reale » du nom du garde des sceaux de l’époque). Il ne s’agissait pas d’une loi prévoyant l’état d’urgence au sens du droit français, mais elle a introduit des dispositifs tellement sévères par rapport aux libertés publiques qu’ils ont été en partie abandonnés dans les années suivantes et ont permis de considérer cette législation comme une législation d’exception. Il est à noter que la loi Reale a été soumise à referendum en 1978, mais son abrogation a été rejetée à 76,5% des suffrages exprimés bien que qu’elle fût fortement restrictive des libertés individuelles.

Cette loi contenait essentiellement deux volets : d’une part, elle s’intéressait au maintien de l’ordre public pendant les manifestations ; d’autre part, elle introduisait des modifications à la procédure pénale, pour renforcer les pouvoirs de la police judiciaire et permettre un déroulement rapide des procès dans lesquels étaient impliquées des personnes soupçonnées de porter atteinte à l’ordre public.

En ce qui concerne le maintien de l’ordre public lors de manifestations et rassemblements, la loi permettait aux forces de l’ordre d’utiliser leurs armes à feu lorsque cela était nécessaire pour le maintien de l’ordre public. Cela était accompagné d’une garantie particulièrement forte sur le plan procédural, car les procès faits aux policiers en lien avec l’utilisation qu’ils avaient faite des armes à feu suivaient un parcours particulier, avec une compétence spéciale du procureur général de la cour d’appel. Il s’agit du volet le plus controversé de la loi Reale, car après l’entrée en vigueur de cette loi 254 personnes ont été tuées dans des affrontements avec les forces de l’ordre, une minorité d’entre eux seulement possédant une arme à feu (source : http://www.ecn.org/lucarossi/625/625/). En outre, la loi introduisait l’interdiction du port du casque ou d’autres éléments qui rendaient difficile l’identification des individus. La loi a aussi introduit la possibilité de juger en comparution immédiate les personnes à la charge desquelles étaient mises les infractions aux règles pour l’organisation des manifestations, en ce qui concerne notamment l’obligation de donner un préavis aux autorités de police pour les rassemblements organisés sur la voie publique, et à l’ordre de mettre fin à un rassemblement en présence d’une menace à l’ordre public. La même possibilité était étendue aux cas de menaces aux personnes dépositaires de l’autorité publique.

Du point de vue des pouvoirs de la police en relation avec une enquête pénale, elle autorisait la police à placer un suspect en garde à vue pour quatre jours avant l’examen de la part du juge, même en absence de flagrant délit, lorsqu’il y avait un risque de fuite – le régime italien de la garde à vue est pour le reste beaucoup moins restrictif de celui qui existe en France. La garde à vue devait être immédiatement communiquée au parquet, la police disposant d’un délai de quarante-huit heures pour communiquer les motifs et les résultats de l’enquête sommaire qu’elle avait pu mener. Dans les quarante-huit heures suivantes le parquet devait examiner le cas. En outre, la police était autorisée à effectuer des perquisitions pour vérifier si des personnes « dont l’attitude ou la présence dans certains lieux, par rapports à des circonstances spécifiques de temps et de lieu n’apparaissaient pas justifiées » détenaient des armes à feu ou d’autres objets susceptibles d’être utilisés dans la commission d’un délit.

La réponse italienne au terrorisme international

Après la période relativement calme que l’Italie a connu à partir des années 80, le retour du terrorisme a conduit à l’adoption d’une loi portant diverses mesures contre le terrorisme en 2015 (décret-loi n° 7 du 18 février 2015, ratifié par la loi n° 43 du 17 avril 2015). Elle contient de nombreuses dispositions visant à lutter contre le terrorisme international, mais elle ne se présente pas comme une loi d’exception à proprement parler. Elle s’intéresse notamment aux formes qui sont propres du terrorisme islamique, à savoir les combattants étrangers qui se rendent au Moyen Orient pour rejoindre des groupes extrémistes (foreign fighters) et le prosélytisme via le web.

La loi prévoit, néanmoins, certains dispositifs qui s’appliquent de façon temporaire : cela témoigne du caractère exceptionnel (ou expérimental ?) des mesures et peut conduire à penser que, même si en Italie il n’existe pas un véritable régime de l’état d’urgence, certaines décisions peuvent être prises de façon extraordinaire en s’appuyant sur la nécessité de lutter contre la menace terroriste.

En particulier, il est prévu que dans les enquêtes sur le terrorisme, les listes des appels et les données relatives aux connexions informatiques peuvent être conservées jusqu’au 31 décembre 2016, alors que normalement des délais plus courts sont prévus dans le cadre de la procédure pénale. La même échéance est fixée concernant les appels en absence relevés par les compagnies téléphoniques.

Jusqu’au 31 janvier 2016 également, les services de renseignement sont autorisés à s’entretenir en prison avec les détenus lorsque cela est nécessaire pour la prévention d’attentats liés au terrorisme international. Il est nécessaire d’informer du déroulement de ces entretiens le procureur général de la cour d’appel de Rome et le chef du parquet national en matière de lutte contre la criminalité organisée, dont les compétences ont été étendues au terrorisme (Procura nazionale antimafia e antiterrorismo). Une fois que l’activité des services de renseignement est terminée, il faut informer la commission parlementaire compétente (Comitato parlamentare per la sicurezza della Repubblica) et le même chef du parquet national spécialisé. La loi prévoit, en outre, un mécanisme pour protéger les agents des services de renseignement vis-à-vis des procédures pénales qui pourraient être engagées à leur encontre : ils sont autorisés à commettre des actes qui sont généralement qualifiés d’infraction sur le plan pénal, lorsque cela est lié à la prévention d’actes de terrorisme et peuvent utiliser, lorsqu’ils sont appelés à témoigner dans une procédure pénale, le nom qui leur avait été donné à l’occasion d’opérations sous couverture.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 30.

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Le point de vue d’un président d’Université (interview)

par M. le pr. Bruno SIRE,
président de l’Université Toulouse 1 Capitole

Le point de vue
d’un président d’Université
(interview)

Art. 39. JDA : Qu’est-ce que l’état d’urgence selon vous ?

BS : Il s’agit – essentiellement et concrètement – pour sa dimension pratique au sein de l’Université Toulouse 1 Capitole d’une procédure administrative qui revient à pratiquer des contrôles sur les déplacements des personnes.

JDA : Quel a été l’impact de l’état d’urgence sur votre activité professionnelle ?

BS : Nous avons mis en place un contrôle réel sur la fréquentation des sites universitaires (les trois sites toulousains, bien sûr, de l’Arsenal, de la Manufacture et des anciennes Facultés mais aussi pour le site de Rodez). Ce contrôle consiste essentiellement à faire vérifier les cartes des étudiants et des personnels par des vigiles avant toute entrée dans l’établissement et à réaliser, ponctuellement, des contrôles de sacs.

JDA : Quelle est, selon vous, l’utilité de ce contrôle ?

BS : Très clairement, la portée de ce contrôle de sécurité est avant tout d’ordre « symbolique ». Il n’est ni absolu ni réel en tout point. En ce sens, personne ne se fait d’illusion quant au fait qu’une « bande organisée » et déterminée puisse venir agir dans un lieu universitaire sans que nous puissions l’en empêcher. Partant, et avec une médiatisation assurée, elle arriverait à ses fins même avec des vigiles aguerris.

Toutefois, hors l’hypothèse précédente contre laquelle on ne pourrait pas grand-chose, ce contrôle dépasse la seule symbolique et devient matériel et réel et ce, à double titre. En effet, non seulement il permet de rassurer la communauté universitaire (par une présence effective) et, surtout, il dissuade les éventuels « loups solitaires » qui chercheraient à troubler l’ordre public.

JDA : Avez-vous eu des retours positifs comme négatifs ?

BS : Nous avons eu des retours plutôt favorables immédiatement après la mise en place de ce dispositif. Certains, à l’inverse, ont estimé et estiment que cela serait trop, voire inutile.

Je partage en l’occurrence ces deux avis mais l’état d’urgence ayant été prorogé, nous ne pouvons mettre fin à ces contrôles dans l’immédiat. A maxima, il faut attendre la fin du mois de mai. A priori, nous allons réduire progressivement ledit dispositif de contrôle mais nous le maintiendrons jusqu’à la fin des examens. Nous allons par suite procéder à une sécurisation du site, avec une restauration des clôtures et une gestion de l’accès à certaines issues par un dispositif de caméras avec un « PC sécurité » destiné à verrouiller / déverrouiller les accès en fonction des besoins potentiels.

Le campus – en plein cœur de ville – est en effet trop ouvert aux quatre vents et à tous types d’individus, y compris les plus mal intentionnés. Il semble temps d’y mettre un terme.

En ce cens, l’Université n’a pas reçu d’ordre préfectoral, rectoral ou ministériel mais c’est sur les conseils appuyés de la préfecture (qui a vu l’Université comme étant une cible potentielle des terroristes) que le dispositif de sécurité a été entrepris et continuera même s’il a un coût non négligeable.

JDA : L’état d’urgence vous a-t-il empêché d’agir ?

BS : Il aura précisément permis de procéder à une réflexion d’ensemble sur la sécurisation du site, et d’accélérer les procédures en cours pour obtenir les permis (qui trainaient) et engager concrètement les travaux. La volonté de l’Université Toulouse 1 Capitole est de faire comprendre qu’un campus universitaire n’est pas un jardin public, dans lequel toute personne étrangère à la communauté universitaire pourrait accéder librement.

Certes, il y a bien un événement qui a été annulé et empêché mais cela demeure anecdotique. En effet, le seul événement directement annulé en raison de ce dispositif de sécurité a été le gala universitaire qui attendait 800 personnes mais nous avons maintenu, en revanche, les journées portes ouvertes.

JDA : Avez-vous des regrets ou des satisfactions ?

BS : On peut et pourra évidemment toujours mieux faire, mais il était, en l’occurrence, indispensable d’agir et de faire quelque chose en raison de la forte inquiétude et de l’attente des gens à Paris d’une part mais aussi en province, comme à Toulouse.

Il existait une attente réelle de la communauté universitaire et des concitoyens. Un véritable traumatisme auquel les administrateurs se devaient de répondre.

JDA : Ne vous sentez-vous pas isolé par rapports aux autres Universités de province qui n’ont pas forcément mis en place un tel dispositif de sécurité ?

BS : Il est manifeste que certains campus sont à ce jour dans l’impossibilité technique de mettre en place un dispositif de sécurité en raison de leur configuration spatiale. A Toulouse, c’est par exemple le cas de l’Université Paul Sabatier. A l’Université Jean Jaurès, ils ont mis en place un dispositif de contrôle tournant avec des vigiles et des chiens. Quant à nous, à UT1, nous sommes dans une situation particulière, avec un site en centre ville, exposé à la délinquance, et une université de renom qu’il convient de protéger.

JDA : Y-a-t-il un évènement marquant qui vous a conforté ou au contraire dissuadé de poursuivre ce dispositif de sécurité ?

BS : Ce qui m’a conforté dans l’idée de sécuriser le site d’UT1, c’est la visite des Universités parisiennes qui ont, toutes, adopté un tel dispositif. C’était originellement mon angoisse : ne pas avoir à me dire « j’aurais dû le faire et je ne l’ai pas fait » car il eut été inconscient de ne rien faire. Nous sommes en effet aujourd’hui confrontés à une tension permanente en raison d’une part de la guerre contre le terrorisme dans laquelle s’est engagée la France, d’autre part d’une vague d’immigration sans précédent en Europe qu’il nous faut savoir gérer.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 39.

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ParJDA

Le point de vue d’un doyen de Faculté de Droit (interview)

par M. le pr. Hugues KENFACK,
doyen de la Faculté de Droit de l’Université Toulouse 1 Capitole

Le point de vue d’un doyen
de Faculté de Droit
(interview)

Art. 40. JDA : Qu’est ce que l’état d’urgence pour vous ?

HK : Selon notre droit, l’état d’urgence est un régime de crise fixé par la loi du 3 avril 1955 plusieurs fois modifiée. Il est déclaré « soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ».

Cet état d’urgence renforce les pouvoirs de l’administration pour restreindre certaines libertés. Il permet au ministre de l’intérieur et aux préfets de prendre des mesures limitatives de la libre circulation des personnes et des véhicules en créant des zones de sécurité dans lesquelles le séjour de certaines personnes est réglementé voire interdit ; de prendre des mesures d’assignation à résidence accompagnées d’obligation de se présenter à la police et à la gendarmerie, de confiscation des documents d’identité, de port de bracelet électronique ; de dissoudre des associations ou groupements de fait ; de procéder à des perquisitions de jour comme de nuit ; de saisir des armes ; de fermer des débits de boisson et des salles de spectacles.

Pour moi, tant au regard de la loi que des six cas d’application (dans les quatre départements d’Algérie du 3 avril au 1er décembre 1955 ; en France métropolitaine du 17 mai au 1er juin 1958, du 23 avril 1961 au 24 octobre 1962 ; en Nouvelle Calédonie du 12 janvier au 30 juin 1985 ; à nouveau en métropole du 8 novembre 2005 au 4 janvier 2006, et du 14 novembre 2015 au 26 mai 2016, sous réserve d’une nouvelle prorogation dans ce dernier cas), l’état d’urgence est à la fois une période exceptionnelle pendant laquelle la Nation est en grave danger et un état particulier de menace contre la démocratie et l’État de droit.

Cette situation exceptionnelle nécessite l’adoption de mesures qui limitent certains droits et libertés afin de sauvegarder l’essentiel de la démocratie et l’État de droit.

C’est une situation paradoxale dans laquelle la sauvegarde des valeurs démocratiques et de l’État de droit implique des limitations exceptionnelles de certaines libertés. Il y a donc une articulation indispensable entre les libertés nécessaires à la vie en société et les limitations de liberté qui préservent ce mode de vie.

JDA : Concrètement, quel est l’impact sur votre pratique professionnelle.

HK : En raison de l’état d’urgence, l’Université a été obligée de prendre des mesures de restriction liées à l’entrée et à la circulation des personnes dans ses locaux et au stationnement sur son parking.

Ces mesures sont nécessaires pour assurer la sécurité des acteurs de la vie universitaire (enseignants, personnels administratifs, étudiants…) et des usagers. Cela n’est pas contestable. Mais encore faut-il qu’il y ait une proportionnalité entre les limitations d’accès, les « privations » de liberté et les mesures de sécurité, entre l’objectif visé et l’efficacité.

Or, la Faculté de droit et l’Université sont par essence ouvertes sur la ville. La Faculté a de nombreux partenariats avec le monde socio-économique, en vue d’assurer l’insertion professionnelle de ses étudiants. Dans le contexte actuel, il est très difficile d’articuler ce partenariat nécessitant la présence de nombreux praticiens du droit dans nos murs, notamment pour assurer les cours en Master, et les mesures actuelles de sécurité.

Les difficultés de mise en œuvre, qui obligent parfois à mobiliser non seulement les collaborateurs du doyen, ses collègues ou le doyen lui-même pour éviter qu’une personnalité importante ne soit bloquée à l’entrée de l’université par des agents de sécurité – qui font un travail très difficile et qu’il convient de remercier – posent des questions. La Faculté et l’Université ont toujours été ouvertes sur la société et le seront toujours. Les restrictions, justifiées, doivent être limitées et la ligne rouge est leur efficacité.

Les mesures actuelles ont un impact important sur la réception de praticiens au sein de l’Université car il n’est pas possible de limiter cet accès aux seules personnes ayant prévenu de leur arrivée. Une visite de courtoisie d’un conseiller de la Cour de cassation doit-elle forcément et nécessairement être prévue à l’avance ? Comment justifier qu’un notaire venant à l’Université pour échanger son expérience avec des étudiants ne puisse le faire sans une organisation préalable ? Comment recevoir dans les amphis les très nombreux lycéens qui veulent découvrir le droit et qui, parfois sans aucune autorisation venaient avec leurs parents suivre des cours en amphi ? Heureusement que les mesures sont parfois appliquées avec mesure.

JDA : Au nom de l’état d’urgence, avez-vous été empêché d’agir, comme en temps normal ?

HK : Les réponses à cette question se trouvent en filigrane dans celles de la précédente question.

JDA : Quel en est l’exemple le plus marquant ?

HK : Un incident survenu entre un chargé de TD et un agent de sécurité me vient en mémoire. J’ai été obligé par exemple de jouer, en tant que doyen, le rôle de médiateur à la suite de cet incident entre un jeune docteur de la Faculté de droit de l’Université Toulouse Capitole et un agent de sécurité, le premier menaçant de porter plainte contre le second. J’ai avant tout voulu éviter une crispation entre deux personnes qui œuvrent, chacune à son niveau, à la bonne marche de la Faculté, le premier, par des enseignements de qualité et le second, par la sécurité des acteurs de la vie universitaire. Or, si le premier est empêché, pour des raisons de sécurité, d’avoir accès à l’Université par le second, qui ne fait que son travail, les étudiants sont privés d’une séance de travaux dirigés, ce qui a un impact sur leur formation.

En conclusion, des mesures nécessaires de restrictions de liberté doivent être proportionnées aux objectifs recherchés et à leur efficacité. Il est impératif de limiter l’état d’urgence dans le temps et dans l’espace. Ma conviction profonde est que la Faculté et l’Université sont synonymes de liberté, d’ouverture, même si une certaine sécurité doit être garantie. Il n’est pas envisageable d’en faire un espace clos.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 40.

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ParJDA

Appel à contribution(s) – Dossier n°03 – Laï-Cités – en collaboration avec les Cahiers de la LCD

Art. 18. A l’instar du JDA, les Cahiers de la LCD sont ainsi que l’indiquent leurs créateurs Johanna Dagorn & Arnaud Alessandrin « une nouvelle revue dans le paysage universitaire français. Ils visent à rassembler les connaissances et enrichir la réflexion et l’action autour des questions liées à la lutte contre les discriminations« .

Attention ! Mise à jour au 01 septembre
l’appel est prorogé jusqu’au 01 octobre 2016

Voici, pour le lancement du JDA, un premier appel commun à ces deux revues : C-LCD & JDA !

Il est téléchargeable en cliquant ICI

ou sur le site des Cahiers de la LCD :
http://www.lescahiersdelalcd.com/

« Laï-Cité(s) »

Discrimination(s), Laïcité(s) & Religion(s) dans la Cité

Numéro dirigé par
Brigitte Esteve-Bellebeau & Mathieu Touzeil-Divina

3ème Appel à articles

LES CAHIERS DE LA LCD (Lutte Contre les Discriminations)
& Le JOURNAL du DROIT ADMINISTRATIF

Si l’on peut dire que les attentats de janvier 2015 ont réveillé les consciences et rappelé à toutes et à tous que rien dans le champ politique n’est jamais acquis, pas même ce qui paraît avoir « force de loi », certains y ont plus particulièrement décelé une attaque à la Loi du 09 décembre 1905, ou encore une atteinte aux valeurs de la République dont la laïcité – consacrée de façon normative au rang constitutionnel – fait partie. Tantôt considérée comme une norme froide et impérative, tantôt comme une valeur brandie tel un calicot ou encore comme un principe, la laïcité fait effectivement figure de repère identitaire ou parfois même de repoussoir : elle se donne à lire comme ce qui protège les individus contre l’emprise du religieux dans la sphère politique / publique tout en leur permettant d’exprimer leurs croyances.

La Laïcité, corollaire du principe – également constitutionnel – d’Egalité se trouve ainsi consubstantiellement liée à la question des ou de la discrimination(s). En effet, si l’Egalité républicaine exclut a priori toute discrimination (et donc toute rupture dudit principe), elle doit être conciliée et cohabiter – dans l’espace public de la Cité – avec la ou les libertés de religion(s).

Conciliante, militante et parfois provocante, la laïcité – que tous les services publics (et parfois même privés (que l’on songe en ce sens à l’exemple médiatique de la crèche dite Baby-Loup)) doivent a priori incarner – peut en devenir une valeur qui, soutenue à l’extrême, conduit à refuser de voir la société dans sa diversité et donc à discriminer à rebours.

Pour ce troisième appel à articles, les « Cahiers de la LCD » (Lutte Contre les Discriminations) avec le soutien du Journal du droit administratif (Jda) prennent donc pour objet de réflexion une question multiforme et bien actuelle – celle de la laïcité. Mais si son nom résonne bruyamment à nos oreilles de français-e-s aujourd’hui tant ses incantations sont nombreuses et vont parfois jusqu’à en faire un bouclier comme pour se protéger des attaques de l’autre quel qu’il soit, le présent ne saurait nous faire oublier la longue histoire de la sécularisation en marche (en France comme ailleurs) et renvoyant, en miroir, la sempiternelle question du comment vivre avec d’autres si différents ?

Les Cahiers de la LCD ouvrent ainsi la porte à la critique scientifique, à l’analyse universitaire tout autant qu’aux descriptions des pratiques politiques qui, en France ou à l’étranger, mettent l’accent sur les avantages d’un principe juridique, parfois constitutionnalisé, permettant de vivre en paix en respectant la diversité des cultures au sein d’un même pays.

Si l’on connaît les deux pays brandissant l’étendard laïque au rang normatif suprême (la France et la Turquie), ces consécrations normatives font-elles de ces pays des havres de paix religieuse ?

C’est alors aussi aux limites de cette valeur et de ce principe laïques que les auteur-e-s pourront s’intéresser quand la laïcité, elle-même, est défendue contre ce que son principe prône : la neutralité, ou quand elle ne peut être appliquée que si les autres valeurs qui lui sont concomitantes sont également soutenues, à commencer par l’Egalité des droits des individus.

De l’idéal de la laïcité à son incarnation dans un réel politique et social qui s’accommode de petits arrangements avec la norme, il s’agira pour les auteur-e-s de se pencher sur ce qui fonctionne dans et à la marge du principe de laïcité, tout autant que de rendre compte des difficultés voire des impasses auxquelles peuvent conduire les institutions (Education Nationale, Justice, Collectivités locales, etc.) quand elles assènent les valeurs de la république comme slogan politique, pansement moral, norme antalgique ou prothèse sociale.

– De la liberté religieuse et de la laïcité au cœur des services publics, à l’évolution du cadre déontologique du fonctionnaire en passant par ce        que les administrations – et notamment l’école – peut et doit faire pour former – dans la Cité – le(s) futur-e(s) citoyen-ne(s), se dessine un premier axe de recherches lié à la laïcité en France confrontée – notamment – au principe d’Egalité.

– Un deuxième axe peut être envisagé à partir de ce que d’autres Etats ou même parfois collectivités (par exemple ultra-marines) font, ou ne font pas, en matière de consolidation et / ou de préservation de la citoyenneté face à la laïcité ce qui permettra aux auteur-e-s de proposer des analyses comparatives. Le comité de lecture se montrera particulièrement attentif à la prise en charge des questions de lutte(s) contre les discriminations qui apparaissent ici centrales.

En ce sens, on pourra envisager une analyse comparée des apports de l’enseignement éthique et / ou civique (mis en place dans certains pays en vue de concrétiser la formation à la citoyenneté des jeunes) dans la construction de l’aptitude à vivre ensemble.

– Un troisième axe pourra envisager la question laïque et ses discriminations potentielles dans le traitement juridictionnel qu’en font les juges mais aussi les requérants (militants ou non des questions laïques ou religieuses).

– Enfin, la question des « ratés » ou des « ratages » de la laïcité pourrait permettre d’analyser le défaut du lien entre démocratie sociale et démocratie laïque. De même, invite-t-elle à regarder en creux l’évolution des rapports entre religions et laïcité dans plusieurs services publics confinés à l’instar du milieu carcéral par exemple.

 Dates limites d’envoi et conditions :

  • L’ensemble des articles soumis à expertise devront-être envoyés simultanément aux deux adresses suivantes avant le 01 octobre 2016 :
  • Les articles feront l’objet d’une double expertise en aveugle.
  • Les auteur.e.s seront informé.e.s de la recevabilité de leur proposition, ou de la correction et types de corrections le 1er décembre 2016 au plus tard.
  • Les articles retenus devront être envoyés modifiés, avant le 01 janvier 2017 pour une publication en février 2017.

Style attendu des propositions :

Ces propositions devront comprendre :

  • L’article complet (30.000 environ)
  • Une présentation de(s) auteur.e.s -2,3 publications et affiliations
  • Un résumé en français (10 lignes)
  • Des notes de lecture, recensions, notes de synthèses sont aussi attendues.

NORMES DE REDACTION :

  • Les notes de bas de page ne renvoient pas aux références bibliographiques mais permettent d’indiquer des éléments n’apparaissant pas dans le texte.
  • Les références s’écrivent dans le texte (NOM, Date) : si plusieurs références d’un même auteur renvoient à la même date, merci d’accoler à cette dernière une lettre (a, b, c) que l’on retrouvera en bibliographie.
  • Pour les livres : Nom Initiale du prénom. (date), Titre du livre, édition, collection, date.
  • Pour les articles : Nom Initiale du prénom. (date), « Titre de l’article », Nom de la revue, numéro, volume, pagination (ex : pp. 10-20).
  • Pour un chapitre de livre : Nom Initiale du prénom. (date), « Titre de l’article », in Titre du livre (Nom de / de la dir., Initiale du prénom, dir.), éditeur, coll., pagination (ex : pp. 10-20).
  • Pour les articles électroniques, merci de compléter vos références par : Disponible sur : lien. Consulté le : Jour / Mois / Année.
  • Les citations (textes ou entretiens) sont proposées en « italique ».
  • Chaque auteur.e soulignera 2-3 phrases importantes de son texte afin que ces dernières puissent être mises en exergue lors de la mise en page.
  • Les illustrations utilisées doivent être libre de droits (ou fournies avec un accord d’utilisation). Les graphiques et illustrations sont numérotés et comprennent titre et légende.

NB : le présent appel, à l’initiative des Cahiers de la Lcd, est également porté par le Journal du droit administratif (Jda) qui le relaie et se propose de mutualiser les synergies – entre sociologues, philosophes & juristes notamment – pour en faire le troisième de ses « dossiers ».

Certains articles (choisis par les deux directeurs du présent appel) se verront donc proposer une double publication : aux Cahiers de la Lcd mais aussi au sein d’un dossier spécial « laï-Cité(s) » au cœur du Jda.

         En ligne : www.journal-du-droit-administratif.fr (et / ou http://www.j-d-a.fr).

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; Art. 18.

 

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ParJDA

AG du 10 mars 2016

Art. 13. Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Chers élus, Chers Maîtres, Chers collègues, Chers étudiants,

Notre quatrième réunion a eu lieu le 10 mars 2016 en salle dite Maurice Hauriou (Anciennes Facultés de l’Université Toulouse 1 Capitole).

Etaient présentes et représentées une trentaine de personnes, toutes intéressées par le Journal du Droit Administratif (Jda) et membres issus de l’Université de Toulouse 1 Capitole, de Sciences Po Toulouse, du Barreau ainsi que du Tribunal Administratif de Toulouse (au moins un représentant de chaque institution ou représenté pour le Barreau). La réunion s’est organisée autour des points suivants d’annonces et de discussions :

  • Questionnaire(s) / Interview(s) :

Il avait été acté par les membres du Jda que notre média offrirait à ses lecteurs la publication d’un questionnaire / interview sur le droit administratif (et ses mutations contemporaines notamment). C’est M. le professeur Pierre Delvolvé – qui en a accepté le principe – qui ouvrira cette série de questionnaires. La forme de ces derniers (questions générales et ouvertes) sera a priori la même pour toutes les interviews qui suivront lors des numéros suivants. Un exemple de questionnaire (réalisé par Mme Lucie Sourzat et M. Touzeil-Divina) avait été présenté en annexe du dernier compte-rendu. Ce document après avoir été versé aux débats a été partiellement amendé. Suite à une proposition en ce sens du pr. Kalfleche, la première des questions dites « bonus » a été modifiée comme suit (avec approbation de l’assemblée) : au -lieu de demander une « couleur » pour le droit administratif, c’est un « animal » que l’on recherchera (sic) (cf. Annexe I). Il est proposé que tous les contributeurs répondent (par suite) audit questionnaire qui pourrait faire l’objet d’un dossier.

Parallèlement, il est proposé qu’un second questionnaire, inspiré du précédent, soit adressé à des professeurs de droit public – non français. Ce questionnaire « comparé » a été rédigé par les pr. Aurore Gaillet & Mathieu Touzeil-Divina. Il est présenté en Annexe II est fera l’objet d’une discussion commune lors de notre prochaine réunion.

  • Site Internet
  1. A. Duranthon, M. Sztulman & M. Touzeil-Divina avaient été chargés – par les membres présents et représentés – de prévoir pour la prochaine réunion du Jda quelques exemples de mises en formes et d’ossature(s) du futur site Internet de notre média.

Lors de la réunion, MM. Duranthon & Touzeil-Divina ont ainsi dévoilé aux membres présents leurs propositions de site, de thème, d’architecture ; etc. Il est acté que le Jda ne se dotera pas, dès maintenant, d’un logo définitif mais qu’il s’agira – au contraire – d’attendre un peu pour se prononcer en ce sens (ce qui signifie que toute proposition est la bienvenue). En attendant, l’assemblée remercie M. Duranthon pour sa première proposition (adoptée et mise en place sur la première version du site). En l’état, le site est proposé à l’ouverture officielle au public autour du 21 mars (date à confirmer en fonction des articles arrivés et corrigés à temps). Dans les dix jours, il est conséquemment proposé d’adopter – en urgence – le calendrier suivant :

  • Mmes Florence Crouzatier-Durand & Delphine Espagno se proposent pour relire les articles et pages actuellement en ligne ; elles seront également missionnées pour trouver des « mots-clefs » propres à chaque article (1 à 3).
  • Tous les contributeurs (écrivains ou simples soutiens) pourront envoyer au Jda une photo d’eux qui sera mise en avant notamment en première page ainsi que sur celle – dédiée – à nos contributeurs. Pour un meilleur rendu, il est indiqué que ses photos seront utilisées sous un format 604 / 270 pixels.
  • Dès le 11 mars, tous les contributeurs recevront un courriel leur expliquant comment relire leur article en ligne (à l’aide de codes) et à qui indiquer leurs propositions de correction(s).
  • Le pr. Delvolvé sera contacté aux fins de répondre au premier « questionnaire » du Jda.
  1. Orlandini se propose pour aider à l’administration du site (sur wordpress). Sa candidature spontanée est acceptée. M. Boul se propose pour aider à la modération éventuelle des commentaires qui seraient à venir sur le site. Sa candidature est acceptée.
  • Premier « dossier » du Jda : l’état d’urgence

Mme Schmitz & le pr. Touzeil-Divina présentent les avancées du dossier « état d’urgence ». De nombreux articles sont déjà arrivés et ont été formatés pour correspondre aux canons de notre média. Le pr. Touzeil-Divina indique en ce sens qu’il ne regrette pas d’avoir passé deux journées pleines et entières à la première constitution / mouture du site Internet et de son dossier mais serait heureux de pouvoir être prochainement épaulé.

Le dossier est présenté en l’état avec les contributions arrivées (ou sur le point de l’être) suivantes :

I) Qu’est-ce que l’état d’urgence ?

I-1 – Quels sont les autres régimes d’exception ?
par Mme Florence CROUZATIER-DURAND,
Maître de conférences (HDR), droit public, Université Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou

I-2 – La loi « Tréveneuc » de 1872 : un régime d’exception oublié
par M. Olivier PLUEN,
Maître de conférences, droit public, Université des Antilles

I-3 – Les causes des précédents historiques de mise en œuvre de l’état d’urgence
par M. Rémi BARRUE-BELOU,
Docteur en droit public, qualifié aux fonctions de maître de conférences

I-4 – Les propositions des Comités Vedel et Balladur sur l’état d’urgence
par M. le pr. Jacques VIGUIER,
Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole, droit public, Université Toulouse 1 Capitole, Idetcom

I-5 – Que dit la Cour européenne des droits de l’homme sur l’état d’urgence ?
par M. le pr. Joel ANDRIANTSIMBAZOVINA,
Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole, Irdeic (article en cours)

I-6 – Les organisations internationales et l’état d’urgence français
par Valère NDIOR,
Docteur en droit public de l’Université de Cergy-Pontoise

I-7 – L’état d’urgence en droit international  :
qu’est-ce qui a changé depuis « la guerre contre le terrorisme » ?

par Mme Vasiliki SARANTI,
Docteur en droit public, Université Panteion d’Athènes

II) Quel est le régime juridique de l’état d’urgence ?

II-1 – La décentralisation de l’état d’urgence :
les collectivités territoriales face à la menace terroriste

par M. le pr. Nicolas KADA,
Professeur de droit public, Directeur du CRJ (Université Grenoble Alpes) & du GRALE (GIS CNRS)

II-2 – Perquisitions en régime d’état d’urgence : « toc toc toc ! c’est le préfet ! »
par Maître Benjamin FRANCOS,
avocat au Barreau de Toulouse

II-3 – Résister, c’est continuer de rester dans le mouvement
Marie Pierre CAUCHARD,
chargée d’enseignement en droit public (Université de Toulouse 1 Capitole)

II-4 – Les moyens de preuve de la nécessité des mesures prises par l’autorité de police durant l’état d’urgence : la fin ne justifie pas les moyens
par M. Loïc PEYEN,
ATER en droit public – Université de La Réunion

II-5 – A l’école de l’état d’urgence
par Mme le pr. Geneviève KOUBI,
Professeur de droit public – Université Paris 8 – Vincennes Saint-Denis
Membre du CERSA (Paris II – CNRS)

II-6 – La sécurité psychique, finalité de l’état d’urgence ?
par Géraldine AÏDAN,
Chargée de recherche CNRS – CERSA, CNRS – Université Paris II Panthéon-Assas

III) L’état d’urgence au quotidien « vu par »

III-1 – Le point de vue d’une députée
par Mme Marietta KARAMANLI,
députée de la Sarthe, 2ème circonscription

III-2 – Le point de vue d’un sous-préfet d’arrondissement
par M. Jean-Charles JOBART,
Conseiller des Tribunaux administratifs et Cours administratives d’appel,
Sous-préfet d’Ambert

III-3 – Le point de vue d’un président d’Université (interview)
par M. Bruno SIRE,
président de l’Université Toulouse 1 Capitole (article en cours de relecture)

III-4 – Le point de vue du magistrat administratif (interview)
par M. Arnaud KIECKEN,
Tribunal administratif de Cergy-Pontoise

III-5 – Le point de vue d’un membre du Syndicat de la Magistrature (interview)
par Mme Marie LECLAIR,
Syndicat de la Magistrature, Déléguée régionale adjointe

III-6 – Le point de vue d’un membre de l’Observatoire de l’état d’urgence (interview)
par Mme Claire DUJARDIN,
Observatoire de l’état d’urgence, SAF

III-7 – Le point de vue d’un magistrat du parquet
par M. François FOURNIE,
Substitut du procureur de la République, TGI de Charleville-Mézières

IV) Quels sont les contrôles de l’état d’urgence ?

IV-1 – Quels sont les contrôles parlementaires ?
par Mme Julia SCHMITZ,
Maître de conférences, droit public, Université Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou

IV-2 – Quels sont les contrôles des différents juges ?
par M. le pr. Stéphane MOUTON,
Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole, Directeur de l’Institut Maurice Hauriou (article en cours)

IV-3 – Quels sont les contrôles des Autorités Administratives Indépendantes ?
par M. le pr. Xavier BIOY,
Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou

IV-4 – Quels sont les contrôles de la société civile ?
par Mme Julia SCHMITZ,
Maître de conférences, droit public,
Université Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou

V) Quel serait l’après état d’urgence ?

V-1 – Constitutionnaliser, proroger l’état d’urgence ? (interview I / II)
par Mme le pr. Wanda MASTOR,
Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole,
Centre de Droit Comparé, Directrice de l’Ecole Européenne de Droit

V-2 – Constitutionnaliser, proroger l’état d’urgence ? (interview II / II)
par M. le pr. Xavier MAGNON,
Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole,
Institut Maurice Hauriou (article en cours)

Il est proposé – au moyen du présent compte rendu – d’appeler les membres du Jda à se manifester – au plus vite et si possible par retour de courriel – s’ils désirent proposer :

  • Une contribution au « dossier » du Jda

Rappel : une adresse dossier@journal-du-droit-administratif.fr a été créée en ce sens ; il suffit d’y adresser sa proposition et d’attendre l’accord des coordinateurs.

Parmi les contributions « manquantes » ou souhaitées, les coordinateurs du dossier aimeraient solliciter des études à propos :

  • etc.
  • de la question de sa prorogation
  • de son éventuel « après »
  • des coûts réels et matériels de l’état d’urgence
  • du contexte (national et ou international de 2015)
  • de l’histoire (qu’enseigne-t-elle à propos de l’état d’urgence ?)
  • du droit comparé (quels autres régimes d’exception existent ailleurs ?)
  • Une contribution « libre » hors dossier

Il est rappelé que le Jda ne compte pas vivre qu’avec un à trois dossiers annuels et quelques chroniques mais qu’il sera nourri de différents articles spontanés envoyés par nos contributeurs et traitant du droit administratif de manière générale :

  • Actualité(s) normatives
  • Actualité(s) prétoriennes (Toulouse)
  • Actualité(s) prétoriennes (le reste du monde !)
  • Recherches historiques
  • Evénements universitaires (colloques, thèses, etc.)
  • Commentaires de jurisprudence(s) / normatifs
  • Etc.

On attend donc en ce sens toute proposition (qui sera la bienvenue).

  • Chroniques

La première chronique (collectivités locales ; sous la direction de M. Pascal Touhari) est bien arrivée début mars. Elle a été testée en ligne et est encours de relectures. Elle contient à ce jour quatre thèmes présentés en quatre articles correspondant :

   Droit administratif des collectivités territoriales (CT1-1)

   Commande publique & collectivités territoriales (CT1-2)

   Urbanisme & collectivités territoriales (CT1-3)

   Fonction publique & collectivités territoriales (CT1-4)

Le professeur Jean-Gabriel Sorbara proposera prochainement sa chronique (relative au droit administratif des biens). L’assemblée valide ces deux propositions et en remercie les porteurs.

  • Second « dossier »

Le deuxième dossier pourrait être programmé pour juillet ou septembre 2016. Il pourrait porter sur « les relations entre administration(s) & administré(s) » selon la proposition qu’en avait faite le professeur Saunier.

Le thème est acté et l’assemblée propose d’en confier la direction – s’ils le souhaitent et en sont d’accord – au professeur Saunier ainsi qu’à mesdames Crouzatier-Durand & Espagno.

Le professeur Touzeil-Divina propose un troisième dossier pour décembre portant sur la laïcité ; ce dossier se ferait en partenariat avec un nouveau média interdisciplinaire (les Cahiers de la LCD (Lutte Contre les Discriminations)). Un appel à contributions est proposé en ce sens (cf. Annexe III). Il s’agirait d’organiser de façon mutualisée un dossier sur cette question (dans ses rapports – nous concernant – avec le droit administratif notamment).

L’assemblée approuve ses deux propositions.

  • Jurisprudence(s)

Il avait été proposé et acté (en 2015) que lors de chaque réunion du Jda, chaque membre présent du comité de rédaction pourrait proposer une décision juridictionnelle (en matière administrative) comme décision du mois ou du moment et ce, pour convaincre le comité de l’intérêt de commenter cette décision au sein du Jda. Il est en outre acté, lors de la réunion du 21 janvier 2016, qu’il pourra y avoir non seulement une mais aussi plusieurs décisions retenues afin de multiplier les points de vue et les articles. Les débats se font alors autour de la ou des décisions à retenir pour l’année 2015 et à exposer en mars 2016 dans la première mise en ligne de notre site Internet. Plusieurs décisions sont citées mais aucune ne fait -encore – l’unanimité. Il est alors proposé de mettre en ligne plusieurs contributions (selon les propositions qui seront reçues au premier mars) dont un ou plusieurs jugements proposés au commentaire par le Tribunal Administratif de Toulouse.

N’ayant cependant pas – encore – reçu de telles propositions, un dialogue s’engage avec les deux représentants du Tribunal Administratif de Toulouse.

Il est proposé – pour la prochaine réunion du Jda – que soient publiés deux à trois « dossiers » toulousains comprenant pour chacun :

  • Un extrait de conclusions du rapporteur public
  • Le jugement du Tribunal Administratif de Toulouse
  • Un commentaire court d’un universitaire.

Deux dossiers au moins sont prévus en ce sens (l’un en urbanisme pour lequel le pr. Kalfleche se propose d’offrir le commentaire et l’autre en droit des fonctions publiques pour lequel le pr. Touzeil-Divina serait intéressé).

Il est demandé aux représentants du Tribunal Administratif de Toulouse de bien vouloir fournir au plus vite les conclusions / jugements afin d’organiser au mieux ces présentations.

Il est rappelé, en outre, aux membres du Jda (comme dit supra) que notre Journal ne compte pas vivre qu’avec un à trois dossiers annuels et quelques chroniques mais qu’il sera nourri de différents articles spontanés envoyés par nos contributeurs et traitant du droit administratif de manière générale : actualité(s) normatives, prétoriennes, recherches historiques, événements universitaires (colloques, thèses, etc.), commentaires de jurisprudence(s) / normatifs, etc.

On attend donc en ce sens toute proposition (qui sera la bienvenue).

Toute personne intéressée pour participer à l’une des propositions ci-dessus est priée de se faire connaitre au plus vite afin de « réserver » une / sa contribution ou plusieurs mêmes (en envoyant un courriel à contact@journal-du-droit-administratif.fr).

  • Prochaine séance

Pour la réunion prochaine, il est proposé :

  • de nous donner rendez-vous le mercredi 06 avril 2016 à 18.30 (salle à préciser) ;
  • que chacun vienne avec une ou des proposition(s) de jurisprudence(s) à retenir comme étant « LA » jurisprudence du début d’année 2016 (Conseil d’Etat, Tribunal des Conflits et Tribunal Administratif de Toulouse) ;

Le présent compte rendu a été dressé et rédigé le 11 mars 2016.

Pr. Mathieu Touzeil-Divina

Annexe I – Interview JDA

Annexe II – Interview JDA – droit comparé

Annexe III : Appel à contributions

Le présent compte-rendu (avec ses annexes)
est en ligne au format PDF
en cliquant ICI

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; Art. 13.

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ParJDA

Constitutionnaliser, proroger l’état d’urgence ? ( interview II / II)

par M. le pr. Xavier MAGNON
Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole,
Institut Maurice Hauriou

Constitutionnaliser,
proroger l’état d’urgence ? ( interview II / II)

Art. 52. Le JDA a questionné les professeurs Wanda Mastor & Xavier Magnon (Université Toulouse 1 Capitole) à propos de la constitutionnalisation de l’état d’urgence. Il en a résulté les deux présentes interviews.

JDA : 1) Que pensez-vous de la volonté affichée de procéder à une révision de la Constitution alors que l’état d’urgence demeure en vigueur ?

XM : D’un point de vue juridique, rien n’interdit une révision constitutionnelle pendant la mise en œuvre de l’état d’urgence, ce régime d’exception n’étant d’ailleurs pas prévu par la Constitution du 4 octobre 1958.

La seule limite qui existe quant aux périodes temporelles durant lesquelles il n’est pas possible de réviser la Constitution, et qui pourrait être rapprochée de l’état d’urgence, est l’interdiction de modifier la Constitution durant l’application de l’article 16 de la Constitution sur les pouvoirs exceptionnels du Chef de l’Etat. Cette limite n’est pas posée par la Constitution elle-même, mais elle a été dégagée par le Conseil constitutionnel, pour la première fois dans la décision du 2 septembre 1992, dite Maastricht II.

L’article 89 alinéa 4 de la Constitution prévoit également qu’il n’est pas possible de procéder à une révision de la Constitution lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire. Ce dernier motif ne saurait être confondu avec les motifs pour lesquels il est possible de mettre en œuvre la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, à savoir, selon l’article 1er de cette loi, « en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » ou « en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ».

Ajoutons enfin que la Constitution ne prévoit aucune restriction quant à l’usage de la procédure de révision constitutionnelle en cas d’état de siège, régime d’exception couvert par son article 36.

De manière explicite, les constituants n’ont donc apporté aucune restriction temporelle à l’usage de la révision constitutionnelle durant la mise en œuvre d’un régime d’exception.

D’un point de vue politique, il est toutefois gênant que l’on révise la Constitution dans un contexte d’application d’une législation d’exception, au cours de laquelle l’émotion et/ou la précipitation sont susceptibles de l’emporter sur la réflexion. Il n’est sans doute pas de contexte politique idéal pour réviser la Constitution, mais l’on peut souhaiter, de manière raisonnable, que les révisions n’interviennent pas durant la mise en œuvre d’un régime d’exception. Dans le cas contraire, une suspicion légitime risquerait de peser sur cette révision.

JDA : 2) Pensez-vous du reste qu’il fallait prolonger l’état d’urgence pour une nouvelle période trimestrielle ?

XM : La question de savoir s’il faut prolonger l’état d’urgence est une question d’ordre politique qui relève de l’opportunité. Il n’en reste pas moins que, lorsque l’on est attaché au libéralisme politique et à l’Etat de droit, il faut toujours s’inquiéter de ce qu’une situation d’exception ait tendance à se pérenniser. La vigilance s’impose. Le droit d’exception doit demeurer suspect par nature. L’inquiétude est d’autant plus légitime que le risque terroriste, interprété par le législateur comme entrant dans les motifs prévus par la loi de 1955 justifiant la mise en œuvre de l’état d’urgence, semble perdurer. De plus, l’exécutif, à l’origine du choix de la mise en œuvre de l’état d’urgence, demeure le mieux placé pour apprécier la pertinence de la menace terroriste. Autrement dit, celui qui décide du régime d’exception est celui qui maîtrise l’information sur ce qui permet de justifier la mise en œuvre de ce régime.

Alors que la menace terroriste perdure, l’on ne peut que craindre que le régime d’exception se prolonge, voire, pire encore, que le régime d’exception soit introduit dans le droit pénal applicable en dehors des périodes d’exception. La normalisation de l’état d’exception par la voie de la législation pénale contre le terrorisme tend à cet égard à masquer le caractère exceptionnel des mesures dérogatoires.

JDA : 3) Que pensez-vous du rétrécissement de la compétence du juge judiciaire en matière d’assignation à résidence, confirmé par le Conseil constitutionnel dans sa décision QPC du 22 décembre 2015 ?

XM : Au nom de l’efficacité de la lutte contre le terrorisme, objectif auquel personne ne saurait s’opposer en principe, le législateur a une tendance naturelle à restreindre les droits et libertés. Cette tendance politique naturelle ne saurait cependant être celle du juge et en particulier du juge constitutionnel. Ce dernier se doit de rester hermétique aux contingences politiques immédiates et demeurer dans l’application du droit strict, quels que soient les contextes d’application. Le juge constitutionnel aurait pu, par exemple, considérer qu’aucun régime d’exception ne saurait exister en dehors du texte constitutionnel. La Constitution du 4 octobre 1958 n’instaure que deux régimes d’exception, celui de l’article 16 de la Constitution et l’état de siège. En dehors de ces deux régimes, aucun autre régime d’exception n’aurait dû être admis. La loi sur l’état d’urgence aurait ainsi pu, dans son existence même, être considérée comme contraire à la Constitution. Cette position se heurtait à une ancienne décision du Conseil constitutionnel, du 25 janvier 1985, Loi relative à l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie, dans laquelle il avait implicitement admis que la loi sur l’état d’urgence n’avait pas été abrogée par la Constitution du 4 octobre 1958. Cette décision de 1985 a ainsi admis l’existence de principe d’une législation d’exception en dehors de la Constitution.

Dans la décision du 22 décembre 2015, le Conseil constitutionnel a poursuivi dans cette voie en reconnaissant implicitement, au-delà même de la conformité à la Constitution de l’assignation à résidence dans le cadre de l’état d’urgence, la constitutionnalité du dispositif général de l’état d’urgence. A l’appui de l’appréciation de la conformité à la Constitution de l’article 6 de la loi de 1955 sur l’assignation à résidence au regard de la liberté d’aller et venir, il s’est ainsi référé au régime général de l’état d’urgence. Ce régime garantit de manière indirecte la constitutionnalité du dispositif d’assignation à résidence. Au regard de l’article 66 de la Constitution, qui exige l’intervention de l’autorité judiciaire en cas d’atteinte à la liberté individuelle, l’appréciation du juge constitutionnel peut apparaître pour le moins étonnante : l’assignation à résidence ne constitue pas une privation de la liberté individuelle et la plage horaire maximale de l’astreinte à domicile dans le cadre de l’assignation à résidence, fixée à douze heures par jour, n’est pas une privation de liberté. L’on y verra un libéralisme pour le moins modéré du juge constitutionnel.

JDA : 4) En comparant les ordonnances rendues en référé-liberté et les avis du Conseil d’Etat sur les projets de législation de crise, pensez-vous que le juge administratif assure une protection des libertés comparable à celle assurée par le juge judiciaire ?

XM : Faute de disposer d’analyses systématiques sur cette question, il est difficile d’y répondre de manière certaine. Le Conseil d’Etat apparaît comme le serviteur naturel de l’Etat et de l’intérêt général. Même s’il est tout autant le protecteur des droits et libertés que l’est le juge judiciaire, la protection qu’il offre apparaît souvent perméable aux intérêts de l’Etat et aux exigences de l’intérêt général. Sans doute aura-t-on une confiance plus naturelle, en période d’exception, en un juge dont l’appréciation du respect des droits et libertés n’est pas parasitée par d’autres considérations extérieures. En période d’exception, pour la protection des droits et libertés, l’on peut espérer que les intérêts subjectifs des citoyens soient, au minimum, garantis au même niveau que l’intérêt général et que celui de l’Etat, et non pas que ces derniers prévalent sur les premiers.

 Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 52.

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ParJDA

Constitutionnaliser, proroger l’état d’urgence ? ( interview I / II)

par Mme le pr. Wanda MASTOR
Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole,
Centre de Droit Comparé, Directrice de l’Ecole Européenne de Droit

Constitutionnaliser,
proroger l’état d’urgence ? ( interview I / II)

Art. 51. Le JDA a questionné les professeurs Wanda Mastor & Xavier Magnon (Université Toulouse 1 Capitole) à propos de la constitutionnalisation de l’état d’urgence. Il en a résulté les deux présentes interviews.

JDA : Que pensez-vous de la volonté affichée de procéder à une révision de la Constitution alors que l’état d’urgence demeure en vigueur ?

WM : De manière générale, je porte un jugement très critique, pour ne pas dire suspicieux, sur les révisions fréquentes de notre texte suprême. Dans d’autres pays, la Constitution jouit d’une aura quasi sacrée, ce qui, malgré les progrès accomplis, n’est toujours pas le cas en France. Il n’est pas question d’idolâtrer un texte qui ne devrait jamais évoluer, mais de respecter la norme fondamentale qui ne devrait jamais être retouchée dans un but cosmétique et/ou communicationnel. La Constitution n’est pas un texte ordinaire, elle est le plus élevé dans la hiérarchie des normes et ne devrait être révisée que dans des cas de stricte nécessité. Dans celui qui retient ici notre attention, mes doutes ne sont pas plus levés. Certains de nos gouvernants et représentants avancent l’argument de la solidité du fondement : la guerre contre le terrorisme est un enjeu si fondamental et prioritaire, l’état d’urgence est si nécessaire pour y faire face que l’ensemble devrait avoir enfin « un fondement constitutionnel ». Voici que la Constitution, qui ne faisait quasiment pas partie du vocabulaire médiatique avant l’instauration de la question prioritaire de constitutionnalité, est brandie comme le rempart suprême. Mais en quoi le fondement constitutionnel de l’état d’urgence modifierait-il substantiellement les choses ? Dans notre pays, trois principaux instruments permettent de réagir à une situation de crise : les pouvoirs exceptionnels de l’article 16 de la Constitution, l’état de siège prévu à l’article 36 du même texte et l’état d’urgence, tel que prévu par la loi de 1955. Ces trois instruments sont-ils suffisants pour faire face à une situation de crise, quelle qu’elle soit ? Je pense que oui. Nul besoin ici de rappeler les différences entre ces trois supports, du point de vue des évènements déclencheurs, des autorités qui en ont l’initiative, des limitations temporelles et des conséquences pratiques. Ce qu’il faut ici rappeler, c’est que nous sommes à chaque fois placés dans un état d’exception. Et comme toute norme d’exception, elle doit être et demeurer… exceptionnelle. Cette idée du provisoire ne doit jamais être perdue de vue.

Pour répondre plus précisément à votre question, je pense que l’état d’urgence n’avait pas besoin de pénétrer notre Constitution, maintenant (pendant l’application de l’état d’urgence) ou plus tard. Le droit peut se penser dans l’émotion et l’urgence, mais son élaboration dans le même contexte donne rarement de bons résultats. Nous qui avons tant critiqué les Américains et leur réaction disproportionnée après les attaques du 11 septembre, nous tombons dans le même piège de l’absence de réflexion raisonnée et dépassionnée. Les attaques du 13 novembre sont tout simplement innommables et les actes terroristes doivent être dénoncés et combattus sous toutes leurs formes et sans restrictions. Mais je ne pense pas que l’état d’urgence soit le moyen le plus approprié. Tout comme je pense que les discours très idéalistes sur les bienfaits de la parole, la prévention de la radicalisation, la culpabilité collective face à certains quartiers défavorisés qui permettraient la naissance et l’épanouissement d’êtres déshumanisés ne le sont pas plus. Raisonnons en juristes : l’état d’urgence n’est pas un moyen préventif de lutte contre le terrorisme. Il est l’instrument de réaction quasi instantanée « soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ».

Donner les moyens à la loi sur le renseignement du 24 juillet 2015 –malgré les réserves qui peuvent être émises- de s’appliquer pleinement est, selon moi, un meilleur moyen de combattre le terrorisme. Tout simplement parce qu’il en est un moyen préventif. Encore une fois, l’état d’urgence ne remplit pas cette fonction de prévention, il est l’outil de la réaction quasi instantanée. Mais face à un péril qui ne s’éteindra pas sur le court et moyen terme, voire sur le long terme, il devient sans fondement. Il perd toute légitimité.

JDA : Pensez-vous qu’il fallait prolonger l’état d’urgence pour une nouvelle période trimestrielle ? Selon vous, un état d’urgence d’une année (et plus) peut-il encore être un état d’urgence ?

WM : Je n’ai pas à me prononcer sur les choix politiques. Mais en tant que juriste, je suis étonnée que nous ne parvenions pas à collectivement tirer les enseignements de l’expérience américaine. Outre la violation évidente d’au moins six Amendements de la Constitution (qui n’était justifiée que par le caractère exceptionnel de l’évènement et provisoire de la réponse), le Patriot Act a conféré d’importants pouvoirs au FBI qui en a largement abusé, notamment pour des infractions étrangères aux actes de terrorisme. En France, l’état d’urgence a permis d’imposer à des militants écologistes une assignation à résidence pendant la COP 21. Peu importe le degré de dangerosité de ces derniers : la comparaison avec les autorités américaines qui ont « profité » des pouvoirs accordés par le Patriot act pour les étendre à des infractions qui étaient sans lien avec des actes terroristes est troublante.

Le nouveau visage de la terreur n’est ni celui d’un délinquant, d’une victime à plaindre, d’un combattant étranger (et gardons-nous bien de créer la catégorie des « combattants illégaux » qui a permis à Guantanamo de devenir une zone de non droit), d’un insurgé. Le droit doit s’adapter à une forme nouvelle de criminalité. L’état d’urgence a été pensé pour ne s’appliquer que pendant 12 jours avant l’intervention éventuelle du Parlement. L’idée, non seulement du provisoire, mais aussi du très court terme est donc incluse dans sa définition même. Dans quelques semaines, quelques mois, quelques années, le risque ne sera pas moindre. Nous n’allons pas réagir en transformant l’état d’urgence en un état permanent ! C’est ce qu’a fait le Congrès américain en transformant une loi liberticide provisoire en un état liberticide permanent. Ne mésestimons pas les enseignements du droit comparé.

JDA : Que pensez-vous du rétrécissement de la compétence du juge judiciaire en matière d’assignation à résidence, confirmé par le Conseil constitutionnel ?

WM : Je suis très attachée à la fonction du juge judiciaire comme gardien de la liberté individuelle. La loi sur le renseignement précitée instaure une nouvelle autorité administrative indépendante, censée encadrer les actions du premier ministre en amont. Elle donne par ailleurs compétence au Conseil d’Etat pour recueillir d’éventuels recours en premier et dernier ressort. Je le regrette et étais favorable à la compétence d’une autorité juridictionnelle unique. La compétence de la nouvelle commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) découle d’un syllogisme a priori imparable : la finalité du renseignement est notamment la préservation de l’ordre public ; donc, il relève donc du champ de la police administrative ; donc, autorités administratives et juge administratif sont compétents. Je préfère opposer un autre syllogisme : la loi, compte tenu de ses finalités et des techniques mises en œuvre, est une atteinte particulièrement violente aux libertés individuelles ; donc, elle entre le champ d’application de l’article 66 de la Constitution ; donc, elle entraîne la compétence du juge judiciaire. Le Conseil constitutionnel avait tranché en faveur de la première position.

Dans la décision n°2016-536 QPC, il suit la même logique, de manière toujours aussi elliptique, voire tautologique. Tel que modifié par la loi du 20 novembre 2015, le paragraphe I de l’article 11 octroie aux autorités administratives un pouvoir immense : celui d’ordonner des perquisitions en tout lieu, y compris au domicile, de jour et de nuit. Bien évidemment, ladite disposition est assortie de plusieurs garanties et limites. A l’argument de la violation de la règle du contrôle judiciaire des mesures affectant l’inviolabilité du domicile, le Conseil répond que lesdites mesures 1°) « ne peuvent avoir d’autre but que de préserver l’ordre public et de prévenir les infractions », 2°) qu’elles « n’affectent pas la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution ». Notons que cette dernière affirmation n’est en rien motivée : le lecteur ne peut trouver, dans cette décision, aucune justification de cette vérité qui conduit pourtant à la conclusion suivante : « par suite, ces perquisitions administratives n’ont pas à être placées sous la direction et le contrôle de l’autorité judiciaire ». Affirmer de manière aussi sèche et lapidaire que les perquisitions de domicile, de jour comme de nuit, « n’affectent pas la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution » est tout simplement incompréhensible. En quoi les perquisitions ne seraient-elles pas une atteinte à l’inviolabilité du domicile, qui elle-même est protégée au titre de la liberté individuelle et du droit au respect de la vie privée ? Si leur unique justification se situe dans la volonté de préservation de l’ordre public et de prévention des infractions, autant s’en tenir à cet argument conjoncturel. Mais l’ajout relatif aux mesures qui n’affecteraient pas la liberté individuelle n’a aucun sens.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 51.

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ParJDA

Regard d’un magistrat du parquet sur l’état d’urgence

par M. François FOURNIE,
Substitut du procureur de la République, TGI de Charleville-Mézières

Le point de vue
d’un magistrat judiciaire du parquet

Art. 44. Répondant favorablement à l’aimable invitation de collaboration lancée par le Journal du Droit Administratif, j’introduirai ce propos en indiquant que les lignes qui vont suivre me sont personnelles et ne traduisent pas la position de l’institution judiciaire.

L’état d’urgence est, par définition, un état de crise

Il doit être à ce titre nécessairement temporaire.

Son objet est de permettre une mise en parenthèse provisoire de certaines dispositions légales de droit commun pour faire cesser un « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » ou des « événements présentant (…) le caractère de calamité publique ». Au-delà des domaines évoqués par les médias de perquisition et d’assignation à résidence, il emporte également la possibilité pour l’autorité administrative (ministre de l’Intérieur et préfet) de restreindre considérablement un certain nombre de libertés fondamentales (association, manifestation, réunion, d’aller et de venir…).

En effet, la loi n°55-385 du 3 avril 1955 modernisée par celle n°2015-1501 du 20 novembre 2015 a un objet beaucoup plus large, puisque les préfets peuvent, aux termes de l’article 5, interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures qu’ils déterminent ; instituer des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé ; interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver l’action des pouvoirs publics. Le ministre de l’Intérieur peut, quant à lui, prononcer l’assignation à résidence (art. 6), dans le lieu qu’il fixe, de toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public, parfois (dans des conditions toutefois restrictives) sous surveillance électronique mobile. L’autorité administrative peut également ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature, interdire les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre (art. 8) et ordonner la remise des armes et munitions détenues ou acquises légalement (art. 9).

Le décret n°2015-1475 du 14 novembre 2015 portant application de la loi du 3 avril 1955 l’ayant expressément prévu, l’autorité administrative a été autorisée à bloquer les sites internet provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie et à ordonner des perquisitions en tout lieu, de jour comme de nuit (art. 11 de la loi de 1955) lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics.

Le péril imminent qui justifie la mise en œuvre de l’état d’urgence porte en lui la justification de telles atteintes aux libertés. En revanche, lorsque ce péril imminent trouve sa cause dans une menace plus durable, il convient de changer d’instrument juridique. En effet, l’état d’urgence perd son objet dès lors que s’éloignent les atteintes graves à l’ordre public ayant créé ledit péril. C’est au demeurant le raisonnement tenu par le Conseil d’Etat dans son avis du 2 février 2016 sur le projet de loi prorogeant l’application de la loi n°55-385 du 3 avril 1955.

Partant de là, il n’est peut-être pas totalement exclu de penser que sa reconduction s’inscrit davantage dans une logique politique que dans la perspective d’une nécessité juridique. Il s’agirait ainsi d’une réponse politique à l’inefficacité de la Justice alléguée par certains. Comme si l’efficacité était incompatible avec le respect scrupuleux des libertés individuelles.

L’état d’urgence est, par ailleurs,
révélateur de la crise de l’institution judiciaire

C’est dans ce contexte précisément que, par une délibération commune du 1er février 2016, le Premier président de la Cour de cassation et les Premiers présidents des Cours d’appel ont appelé le constituant à intervenir notamment pour « reconnaître et asseoir effectivement l’Autorité judiciaire dans son rôle de garant de l’ensemble des libertés individuelles, au-delà de la seule protection contre la détention arbitraire. » Ils dénonçaient également l’indigence des moyens mis à la disposition de la justice.

Ce qui a pu être ainsi vécu par un certain nombre de magistrats comme une défiance à l’encontre de l’institution judiciaire peut néanmoins s’expliquer par des perspectives et des logiques différentes.

L’exemple des perquisitions administratives est assez topique de ce point de vue. Cet instrument semble d’ailleurs avoir été utilisé de manière assez diversifiée selon les préfets. En effet, l’objet de l’article 11 de la loi de 1955 est de permettre la réalisation de perquisitions qui ne seraient pas autorisées en tant que telles par un juge des libertés et de la détention. L’enjeu n’est pas une question de réactivité puisque tant les magistrats du parquet que les juges des libertés et de la détention sont d’astreinte 24 h /24 et 7 j /7. L’autorité judiciaire dispose par ailleurs d’un cadre juridique certes perfectible, mais néanmoins adapté (art. 56, 76 et 706-92 du code de procédure pénale). C’est en réalité davantage une question de motivation, le code de procédure pénale étant plus contraignant. Il impose en effet que l’ordonnance du JLD autorisant la perquisition soit motivée par référence aux éléments de droit et de fait justifiant la nécessité de ces opérations. On retrouve ici le critère classique de distinction finaliste entre la police administrative et la police judiciaire, la protection de l’ordre public et la recherche d’infraction, la prévention et la répression. Il est évident que dans cette perspective, les contraintes pesant sur les autorités chargées de leur mise en œuvre ne sont pas appréciées à la même aune par les juges judiciaire et administratif.

En outre, si le juge de l’excès de pouvoir peut certes être saisi et la procédure de référé liberté utilisée, le contrôle n’interviendra cependant jamais qu’a posteriori et selon une logique d’appréciation pragmatique de l’exigence de proportionnalité entre l’atteinte à une liberté fondamentale et les nécessités de l’ordre public. Or, du point de vue de l’atteinte à une liberté fondamentale, le contrôle a posteriori n’est jamais entièrement satisfaisant. S’il peut avoir du sens lorsque l’atteinte à une liberté dure dans le temps (contrôle de l’assignation à résidence p. ex.), autant lorsque l’atteinte est ponctuelle (perquisition p. ex.) seul le contrôle a priori de l’autorité judiciaire est de nature à préserver la liberté concernée.

La pérennisation de l’état d’urgence trahit vraisemblablement cette dépendance de l’efficacité aux moyens qui font cruellement défaut à l’institution judiciaire. Or si les deux logiques administrative et judiciaire sont concurrentes, mais complémentaires, il est nécessaire de trouver un équilibre pour éviter la tentation de favoriser à l’excès la logique préventive, le principe de précaution.

En pratique, cette nécessaire vigilance a été relayée par la Chancellerie. Par deux circulaires en date des 14 et 23 novembre 2015, la Garde des sceaux a attiré l’attention des parquets sur l’existence d’infractions spécifiques (art. 13 de la loi de 1955 modifiée) relatives aux manquements aux interdictions prescrites par les articles 5, 6, 8 et 9 de la loi de 1955 modifiée.

La Direction des Affaires Criminelles et des Grâces s’est pour sa part attachée à clarifier, par une dépêche en date du 16 novembre 2015, la distinction entre mesures de police administrative, prises dans le cadre de l’état d’urgence, sous le contrôle du juge administratif, et l’éventuel déclenchement d’une procédure judiciaire incidente en cas de découverte d’une infraction.

Il a été demandé aux parquets de diligenter des réponses judiciaires empreintes de fermeté, mais également de faire preuve de rigueur dans l’analyse des procédures soumises.

Au quotidien, la mise en œuvre de l’état d’urgence n’a pas entravé directement le fonctionnement concret des parquets. Il a néanmoins pu être constaté une augmentation sensible du nombre de demandes de réquisitions visées à l’article 78-2-2 du code de procédure pénale. Les unités de police et de gendarmerie, largement mobilisées sur le terrain, ont donc été, par contre-coup, moins disponibles pour le traitement des enquêtes judiciaires dont elles sont saisies. Par ailleurs, la multiplication des contrôles d’identité a induit un recours accru au fichier des personnes recherchées et donc la notification de décisions judiciaires voire de mises à exécution d’écrous. Enfin, les perquisitions administratives ont permis dans certains cas de réaliser des saisies incidentes débouchant sur l’ouverture d’enquêtes judiciaires en flagrance (découverte d’armes, de stupéfiants…). Il faut toutefois constater que ces infractions étaient pour la plupart sans lien avec les raisons initiales ayant motivé la mesure administrative de sorte qu’il ne faut pas céder à la tentation de croire que la fin justifie tous les moyens.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 44.

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ParJDA

Le contrôle de l’état d’urgence par les autorités administratives indépendantes

par M. le pr. Xavier BIOY,
Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole,
Institut Maurice Hauriou

Le contrôle de l’état d’urgence
par les autorités administratives indépendantes

Art. 49. Certaines autorités administratives indépendantes, spécialisées dans la protection des libertés, ont entendu jouer un rôle dans l’évaluation de la mise en place puis du suivi de l’état d’urgence. Il s’agit principalement du Défenseur des droits et de la Commission consultative nationale des droits de l’homme. Si le Conseil supérieur de l’audiovisuel a entendu appeler les médias à une certaine déontologie dans le traitement de l’information en matière de terrorisme, tout particulièrement après les attentats de novembre 2015, il n’a pas souhaité développer une intervention spécifique à l’état d’urgence.

Les autorités administratives indépendantes ont réagi en deux temps. D’abord une première salve d’avis et de recommandations a été adoptée dès la mise en œuvre de l’état d’urgence, puis au mois de février 2016, elles ont décidé d’établir un bilan de l’application, concomitamment au vote de la loi prorogeant l’état d’urgence.

Le contrôle par les avis relatifs à la mise en place de l’état d’urgence

Dès le mois de novembre 2015, le Défenseur des droits et la Commission nationale consultative des droits de l’homme, ont entendu fixer le cadre de leur contrôle, aussi nouveau que soucieux de préserver au maximum les droits de l’homme en période de crise du droit.

Dans un communiqué du 26 novembre 2015, le défenseur des droits a pris l’initiative, par l’intermédiaire de ses délégués territoriaux, de traiter spécifiquement toutes les réclamations relatives aux problèmes liés à la mise en œuvre de la législation sur l’état d’urgence. Se liant ainsi au contrôle exercé par le Parlement, il entend utiliser son maillage territorial pour relever, du point de vue de la déontologie des forces de police, comme les discriminations, comme de la médiation avec les services publics, toutes les hypothèses d’abus, mais également informer tout simplement de l’application de la législation sur l’état d’urgence. On mesure ici à quel point sa capacité d’auto saisine (issu de l’article 5 de la loi organique du 29 mars 2011) et tous ses moyens d’enquête servent ainsi à l’évaluation de l’exécutif au profit du législatif et de l’opinion publique.

L’avis du 23 décembre 2015 va sans doute plus loin encore. Il s’interroge sur la constitutionnalisation du cadre de l’État d’urgence et sur le risque que cela comporte d’une pérennisation d’une crise permanente de la République. Car si d’un côté on peut se réjouir de ce qu’une dérogation portée à l’État de droit puisse trouver un fondement constitutionnel clair, le Défenseur des droits, quant à lui, s’inquiète d’un effet pratique : « offrir une base constitutionnelle à des mesures nouvelles qui pourront être prises dans le cadre de l’état d’urgence ». Avec la même fermeté il estime devoir rejeter le principe de la déchéance de nationalité. Il voit dans la nationalité un principe fondamental qui garantit l’égalité de tous les citoyens et s’inquiète de l’impact que cela aurait quant à la compatibilité de notre droit avec la Convention européenne des droits de l’homme.

Le Défenseur des droits a également été auditionné le 10 novembre 2015 par la Commission des lois de l’Assemblée nationale afin de se positionner quant à la loi sur la sécurité dans les transports terrestres et notamment les mesures de lutte contre le terrorisme. Cela a été l’occasion pour lui de dénoncer la possibilité pour les agents de la SNCF et de la RATP de procéder à des inspections de bagages, à des fouilles voir des palpations. Il a ainsi estimé nécessaire un certain nombre de contrôles et de formation de ses agents. Il a rendu dans le même sens son avis sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.

La CNCDH a quant à elle procédé en trois temps. Après avoir exprimé sa solidarité avec les victimes des attentats, dès le mois de novembre, elle a, le 15 janvier, rendu un premier avis dans le cadre de son association sollicitée par la Commission des lois de l’Assemblée nationale. Elle y rappelle le caractère exceptionnel et très provisoire de l’état d’urgence.

Le contrôle par les avis relatifs à la mise en œuvre de l’état d’urgence

Pendant la mise en œuvre de l’état d’urgence, le Défenseur a communiqué plusieurs décisions rappelant les règles : par ex. la décision n°MLD-MDE/2016-069 relative à la prise en charge des enfants lors des perquisitions. Il s’est aussi interrogé sur le caractère excessif de certaines fermetures préventives d’entreprises ou des assignations à résidence aux conséquences désastreuses. Le Défenseur est intervenu dans des dizaines de dossiers pour trouver des moyens d’éviter des excès de sécurité comme des restrictions d’accès dans les établissements d’accueil des enfants ou aux commissariats, des interdictions abusives de sorties du territoire, etc…

Lors d‘une conférence de presse, le vendredi 26 février, Jacques Toubon, a dénoncé un état d’urgence « permettant des mesures de polices administratives fondées sur le soupçon », et regretté l’absence d’intervention du juge judiciaire et les difficultés que rencontrent les juges administratifs. Le Défenseur relève que les perquisitions ont porté sur des personnes au seul motif de leur pratique d’un Islam rigoureux. Par ailleurs, les plaintes s’inquiètent aussi de l’absence de réparation des dégâts matériels commis, du caractère disproportionné des perquisitions et de propos discriminatoires à l’égard des musulmans. Le Défenseur intervient auprès des préfectures afin que l’ordre de perquisition soit notifié et remis à la personne concernée lorsque cela n’a pas été le cas, pour qu’elle puisse intenter un recours. Il semble que le Défenseur ait quelques difficultés à se faire communiquer parfois les éléments nécessaires à l’évaluation du respect des règles relatives aux perquisitions. Il s’est également réjoui de l’annulation par le Conseil constitutionnel de certains articles de la loi portant état d’urgence.

Dans son avis du 18 février 2016, la Commission consultative nationale des droits de l’homme se montre sévère avec le gouvernement. Sur la base des chiffres du ministère (3284 perquisitions administratives, 392 assignations à résidence, une dizaine de fermetures de lieux de cultes, moins d’une dizaine d’interdictions de manifester: pour 29 infractions constatées en lien avec le terrorisme), elle dénonce une très grande disproportion entre les mesures adaptées et leurs résultats en termes judiciaires. Elle dénonce des perquisitions qui ne tiennent pas compte de la vulnérabilité des personnes qui sont au domicile, des comportements policiers disproportionnés, voir spectaculaires, le non-respect de certaines procédures comme la remise d’un récépissé de perquisition, des dégâts matériels, des perturbations importantes sur la vie familiale des personnes assignées à résidence, et peut-être surtout, ce qu’elle nomme des détournements de l’état d’urgence, à savoir l’usage des mesures de lutte antiterroriste contre des manifestants écologistes, des syndicalistes, ou pour réguler l’immigration clandestine. Elle finit par préconiser la cessation immédiate de la mise en œuvre de la législation sur l’état d’urgence.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 49.

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