Archives de l’auteur JDA

ParJDA

Entretien « Laï-Cités » : Anne Rinnert

par Anne RINNERT,
Maître de conférences à Sciences Po

Art. 113. Nous avons posé à Mme Anne Rinnert, Maître de conférences à Sciences Po, quatre questions qu’évoquent selon nous la confrontation des termes : Discrimination(s), Laïcité(s) & Religion(s), au coeur du titre du présent dossier. Voici ses réponses.

1. Le principe de laïcité a-t-il encore sa raison d’être aujourd’hui ? La sécularisation des trois monothéismes rendrait-elle caduque  le principe de laïcité ?

En moins d’un quart de siècle (depuis 1989 et l’affaire du « foulard de Creil »), nous sommes passés de l’apaisement d’une apparente sécularisation au retour de crispations identitaires motivées par des affirmations tant cultuelles que (surtout ?) culturelles.

Le principe de laïcité est donc plus que jamais d’actualité, et son traitement médiatique est éloquent.

Il est pourtant primordial de savoir de quoi l’on parle et de bien définir ce principe.

Valeur républicaine et principe constitutionnel, inscrit dans l’article premier de la Constitution de la V° République du 4 octobre 1958, la laïcité assure la séparation des Églises et de l’État, ce qui signifie que les religions ne s’immiscent pas dans le fonctionnement des pouvoirs publics et que les pouvoirs publics ne s’ingèrent pas dans le fonctionnement des institutions religieuses. La laïcité est donc une double émancipation qui assure à chacun la liberté : liberté de croire, de ne pas croire, de changer de religion.

On constate actuellement une montée en puissance de revendications religieuses d’origines diverses, qui confèrent à des manifestations certes religieuses, mais si « installées » dans la vie personnelle, sociale, politique, économique des Français qu’on les croyaient totalement banalisées, c’est-à-dire détachées d’une référence systématique à une transcendance, une nouvelle signification symbolique : la crèche de la Nativité, le sapin de Noël (qui rappelons-le est un rite païen interprété à tort comme un rite chrétien), les cloches de Pâques, les processions,  les fêtes de Pessah ou de Kippour, le Ramadan, l’Aïd… , autant de pratiques religieuses aux enjeux économiques, politiques, voire touristiques, que l’on pensait quasi-sécularisées…

De même, les autorisations d’absence pour fêtes religieuses non fériées en France sont prévues chaque année civile par circulaire du ministère de l’Intérieur (le ministre de l’Intérieur est également ministre des cultes), le calendrier des examens et concours universitaires tient compte autant que possible de ces mêmes fêtes, des municipalités sollicitent les équipes paroissiales pour une messe commémorative le 11 novembre, de jeunes parents réclament un « baptême républicain » sans songer (sans savoir ?) que le baptême, sacrement chrétien, n’a pas sa place à la mairie qui peut organiser une cérémonie de « parrainage »…

Ce sont aujourd’hui ces manifestations et ces demandes croisées  qui, parce qu’elles sont visibles dans un espace public  devenu très réactif sur ce sujet, nous interrogent et sont à l’origine de débats clivants, d’interprétations diverses du principe de laïcité… et de passionnants contentieux, notamment devant les juridictions administratives !

C’est ainsi qu’il revint au Conseil d’état de se prononcer le 9 novembre 2016 sur la légalité des crèches de Noël dans les bâtiments publics : si ces crèches posent de vraies questions juridiques au regard de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905, de tels contentieux étaient totalement inexistants il y a quelques années encore.

Ce que l’on pensait sécularisé ne le serait-il donc plus ? Ce retour en force de « la religion » montre-t-il que la sécularisation, la sortie de l’organisation religieuse du monde, comme le définit Marcel Gauchet, marque le pas ou qu’elle est inéluctable ? La crise du politique, universellement soulignée, est-elle en train de créer ce vide dont la nature a horreur et dans lequel les croyances et le religieux sont en train de s’installer ?

Pur toutes ces raisons, le principe de laïcité, loin d’être caduque, prend à nouveau tout son sens et doit être sans cesse (ré)expliqué.

2. L’actualité récente en France a-t-elle conduit à « falsifier » la laïcité, pour reprendre le terme de Jean Baubérot ?

Serions-nous passés d’une laïcité univoque à une laïcité aux multiples épithètes ? Pour Jean-Louis Bianco, Président de l’Observatoire de la laïcité, celle-ci n’a pas besoin d’adjectif : les bases juridiques de la laïcité française, de la DDHC de 1789 aux jurisprudences récentes du Conseil d’état, de la Cour de cassation et de la CEDH, sans oublier les 44 articles de la loi du 9 décembre 1905, sont suffisamment claires. Jean Baubérot  quant à lui distinguait sept laïcités dans son ouvrage « Les sept laïcités françaises » en 2015. Ce débat sur la nécessaire qualification, ou non, de la laïcité (laïcité dure, souple, apaisée… ) est très important et ne saurait naturellement se résumer à une opposition de principe entre les  deux spécialistes cités ci-dessus.

L’adjonction d’un adjectif au nom « laïcité » est en effet très significatif de ce que l’on souhaite évoquer, ou cacher, en parlant de la laïcité : pour certains, elle se fait aujourd’hui  incantation et  étendard.

La laïcité ne peut, ni ne doit pas être invoquée pour résoudre tous les problèmes sociétaux qui peuvent être liés à la situation économique et sociale, au contexte urbain ou aux problèmes de l’intégration… Serait-elle en effet devenue à ce point la « religion », au sens étymologique du terme (relier) de ceux qui n’en ont pas ou plus ? le remède miracle ? l’expédient de politiques publiques en échec ? le voile pudique sur ce que l’on n’ose nommer ???

Si l’Etat est neutre, la société ne l’est pas et ne l’a jamais été. Il est cependant très frappant de constater que depuis quelques années, cette société multiple se définit à nouveau par rapport aux religions, en se réclamant d’elles, ou en se réclamant de la laïcité, nouvelle forme de transcendance « au-dessus des partis » (la laïcité est d’ailleurs une religion en Belgique).

Les récentes primaires de la droite et du centre ont parfaitement illustré ce phénomène : il fut largement question du « vote catholique », et les candidats du second tour ont multiplié les références… au Pape.

Cette référence à une religion, sous ces aspects cultuels, culturels, ou les deux, est une des principales  réactions à la visibilité de l’islam dans l’espace public.

Parler d’islam lorsqu’il est question de laïcité n’est ni être islamophobe, ni stigmatisant ! Il est important de le rappeler.

Du port du voile par des jeunes filles à Creil en 1989 au port du burkini sur les plages françaises en cet été 2016, nul besoin de nier que ce sont essentiellement ces manifestations qui ont cristallisé le débat.

La loi du 11 octobre 2010 relative à l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public, prise pour des motifs d’ordre public (prévention du terrorisme) et validée comme telle par la CEDH en 2014 au nom du « vivre-ensemble » français, a d’ailleurs très rapidement été nommée « loi anti-burka » .

Les attentats de 2015 et 2016, auxquels l’une des réponses fut les actions de sensibilisation et de formation à la laïcité, ont encore  accru auprès de l’opinion publique le lien direct et ambigu laïcité-islam-terrorisme-radicalisation. L’assassinat le 26 juillet 2016 d’un prêtre, au cours d’une messe, a eu un écho particulièrement retentissant.

Les insuffisances de la politique de la ville depuis plus de vingt ans, les quartiers « communautaristes », les discriminations, les fractures économiques et sociales ont également mené à cette situation de crispations, puis de réactions à ces crispations, puis à de nouvelles tensions,  que nous vivons.

L’autre question cachée derrière les débats consacrés à la laïcité est celle de l’identité nationale, très largement exploitée par les partis politiques.

Cette question n’est pas taboue et ne doit pas être laissée aux seuls partis nationalistes. Elle doit en revanche être traitée de façon constructive et rassembleuse, plutôt qu’en aggravant les dissensions.

Lorsque l’on lit la retranscription des débats qui eurent lieu à l’assemblée nationale en 1905, pendant l’examen du texte qui allait devenir LA loi de 1905, on est frappé par l’actualité des propos tenus :

Citons Jean Jaurès et Aristide Briand, acteurs majeurs de cette loi d’apaisement et de compromis, au sujet des vêtements (la soutane des prêtres, à l’époque) : « la soutane une fois supprimée, vous pouvez être sûrs que si l’Eglise devait y trouver son intérêt, l’ingéniosité combinée des prêtres et  des tailleurs aurait tôt fait de créer un vêtement nouveau, qui ne serait plus une soutane »,  et au sujet de la République : « la République doit être laïque et sociale ;  elle restera laïque si elle sait rester sociale ». Etonnante modernité…

Laïcité « falsifiée » donc ? Instrumentalisée, assurément !

Michel Wieviorka, sociologue, s’est exprimé en ces termes  au cours de l’été 2016 : « Il existe par contre des tensions et parfois des violences capables d’alimenter des débats, notamment autour de l’islam, dont on espère qu’ils se régleront comme la première guerre des deux France : du côté de la tolérance, de l’ouverture d’esprit, du respect de la loi et du droit ».

3. La laïcité est-elle soluble dans l’histoire ?  

L’histoire de la laïcité… ou l’iconographie laïque… ?

Un bref rappel des origines de la laïcité suffit à mettre en évidence le poids de l’histoire et de l’histoire des idées sur la pérennité du principe de laïcité.

Sans remonter ici au baptême de Clovis, rappelons l’influence de la Renaissance puis des philosophes des Lumières : la volonté de s’émanciper des dogmes religieux incontestables pour penser par soi-même, développer un esprit critique et ne jamais s’interdire l’accès à un savoir pour des raisons de croyance(s).

Locke, Spinoza, Kant…, autant de penseurs qui ont tour à tour théorisé la neutralité de l’Etat qui doit s’abstenir d’énoncer la moindre norme en matière de conviction spirituelle, la lutte contre les superstitions, la lâcheté des hommes préférant qu’on leur dise quoi penser…

Parallèlement, de la fin de la monarchie de droit divin au concordat napoléonien, en passant par l’Edit de Nantes et la constitution civile du clergé, Etat et églises (principalement l’église catholique) se sont constamment affrontés ou soutenus. Ces relations houleuses, sur fond de diplomatie, ont mené à ce que l’on a appelé la « guerre des deux France », parfois violente.

C’est à ces conflits que la loi de 1905 ambitionnait de mettre fin, et l’objectif a été atteint.

Il y a donc de vraies raisons à cette spécificité française (le mot même de laïcité n’est pas traduisible dans une autre langue, on parle ailleurs de sécularisation).

Les liens entre la laïcité, l’histoire et les religions se retrouvent également dans d’autres champs et sous d’autres cieux : ce fut le cas lors des débats relatifs aux racines chrétiennes de l’Europe pendant la rédaction du traité établissant  une constitution pour l’Europe en 2004, avec le Pape François qui se prononce en faveur des états laïques car « les états confessionnels, en général, cela finit mal », , avec les états fédérés américains n’autorisant plus que la référence au créationnisme dans les ouvrages scolaires, avec les débats sur les modalités de l’enseignement laïque du fait religieux…

4. La laïcité se limite-t-elle à la religion, de facto et non de jure ?

Dès 1789, la DDHC dans son article 10 disposait que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public ».

« Même religieuseS » au pluriel : nulle référence ici à une religion, majoritaire ou d’état : les mêmes libertés sont reconnues et accordées à toutes.

Depuis la guerre des deux France et la loi du 9 décembre 1905, le principe de la séparation juridique et financière des églises et de l’Etat est devenu, au nom des mêmes arguments de défense de ces  libertés, l’ardente obligation de reconnaissance réciproque… des cultes et des cultures !

Dans le même esprit, on parle aujourd’hui de liberté d’expression religieuse, politique, philosophique et morale : le principe de laïcité s’étend donc au-delà des simples religions.

Au-delà du cadre des relations Etat-clergés, les règles juridiques fondant le principe de laïcité font de plus largement référence aux notions d’ordre public et d’espace public.

Dans l’espace public, les libertés fondamentales d’expression, de religion et d’exercice du culte s’exercent et doivent se concilier avec la nécessaire et constante prévention des troubles potentiels à l’ordre public justifiant des restrictions à ces libertés.

Notons que si l’ordre public bénéficie d’une définition incontestée depuis les écrits du professeur Maurice Hauriou (1927), l’espace public quant à lui a attendu la promulgation de la loi du 11 octobre 2010 relative à l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public pour se voir doté d’un périmètre clair.

La laïcité, juridiquement clairement définie et circonscrite, tend ainsi à s’étendre à d’autres sortes de convictions et manifestations, non religieuses, pendant que se réclamer ouvertement d’une religion est à nouveau de plus en plus fréquent : ces deux phénomènes ne semblent pas dépourvus de tous liens idéologiques et sociologiques.

Religion refuge ou religion prétexte à une affirmation identitaire ?

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 03 & Cahiers de la LCD, numéro 03 : « Laï-Cités : Discrimination(s), Laïcité(s) & Religion(s) dans la Cité » (dir. Esteve-Bellebeau & Touzeil-Divina) ; Art. 113.

   Send article as PDF   
ParJDA

Recension du Petit manuel pour une laïcité apaisée (J. Baubérot)

par M. le pr. Jean-François SOUCHAUD,
ancien professeur de philosophie en CPGE

Recension :
Petit manuel pour une laïcité apaisée,

Jean Baubérot & Le cercle des enseignant.e.s laïques,
La Découverte, 2016

Art. 122. La couverture du Petit manuel pour une laïcité apaisée ( La Découverte, 2016) porte comme noms d’auteurs « Jean Baubérot » et, en dessous, « Le cercle des enseignant.e.s laïques » (selon la graphie utilisée que nous reprenons ) . Ces mentions sont de nature à tromper ceux qui penseraient se procurer un nouvel ouvrage de Jean Baubérot sur la laïcité. À l’exception de la préface (6 pages et demie) écrite par ce dernier, le livre a été rédigé par un collectif de cinq enseignant.e.s du secondaire, exerçant ou ayant exercé leur métier dans des établissements de «quartiers populaires» (p.13), à forte proportion d’immigrés, plus précisément dans le 93. Jean Baubérot les a « accompagné.e.s » (p.11) et a « partagé » (p.22) avec eux son savoir d’historien et de sociologue sur la laïcité mais aussi son engagement en faveur d’une « laïcité inclusive » (p.22). Ce qui ne suffit pas pour en faire l’auteur du livre ! Sans doute un choix, jugé plus « vendeur », de l’éditeur ?

Cela n’enlève rien aux qualités de l’ouvrage : facile d’accès, d’utilisation, avec des exemples et des témoignages, il se veut, modestement, un petit manuel répondant aux questions, clairement énoncées en tête de chapitre, de tous ceux qui sont concernés par l’école. Car c’est, centralement, de la laïcité à l’école dont il s’agit.

Une introduction donne l’orientation de l’ouvrage : en s’appuyant sur leur expérience et sur des témoignages (p.22) les cinq auteur.e.s affirment que le problème des établissements scolaires des « quartiers populaires » n’est pas l’offensive du religieux dans les classes mais l’inégalité des moyens qui leur sont alloués (p.15). Ils considèrent la loi du 24 mars 2004 contre le port du voile dans les écoles publiques, non seulement comme inutile, comme contraire à l’esprit de la loi de 1905 mais ils estiment même qu’elle stigmatise, humilie, exclut ceux et surtout celles qu’elle est censée protéger.

L’ouvrage a donc comme but la défense d’une laïcité libérale qui accepte l’expression des croyances et il dénonce une islamophobie, voire un racisme, derrière « la nouvelle laïcité » de plus en plus discriminante des 25 dernières années. Il défend aussi une position féministe (qui se marque donc jusque dans la graphie : « Le cercle des enseignant.e.s… ») .

Il est composé de deux parties : « analyses » et « pratiques ». La première s’efforce de faire le point, historiquement,  conceptuellement sur la loi de 1905, la liberté de conscience, les différentes formes de laïcité, la compatibilité de l’islam et de la laïcité, les conséquences de la loi de 2004… elle fournit des définitions, des textes utiles, des bibliographies. La deuxième partie fait des « propositions concrètes » (p.22) pour promouvoir « une laïcité apaisée » s’opposant à une dérive de la laïcité qui tendrait à devenir « intégrale ». Elle s’efforce de répondre aux difficultés, principalement des professeurs, pour enseigner le fait religieux, pour réagir à l’intrusion du religieux dans la classe, pour faire respecter la laïcité, pour organiser sans souci une sortie scolaire…Les propositions sont souvent de bon sens, effectivement apaisantes et pratiques; les exemples, analysés, sont utiles pour la réflexion. La discussion de la cohérence de la charte de la laïcité est intéressante (p.138 à 147). Des incohérences y sont pointées. Mais peut-on vraiment soutenir que « en faisant de la laïcité une « éthique démocratique », la charte se contredit elle-même » car « elle tend à faire de la laïcité une religion civile… une religion d’État. » (p.142-3) ?

Ce vade-mecum est ainsi clairement engagé. Ce qui n’est pas en soi un défaut. Il défend  une idée libérale et démocratique de la laïcité, explicitement revendiquée, laquelle se distingue d’une conception républicaine. Le malaise vient de ce que cette dernière n’est jamais clairement présentée : elle aurait pu et dû être moins amalgamée avec l’étatisme autoritaire, le combat antireligieux voire le rejet de l’islam. ( De même que les débats internes au féminisme, concernant, entre autres, la question du voile, auraient pu être mieux pris en compte.)

Si l’on s’accorde pour définir la laïcité comme la séparation des Églises et de l’État, deux interprétations peuvent, en effet, en être données. D’un côté on peut estimer que la finalité de cette séparation c’est l’autonomisation de l’État et, partant, la défense de l’égalité et des libertés des citoyens face aux tendances intolérantes et impérialistes des croyances, pratiques et communautés religieuses, ou d’un autre côté, on peut juger que cette séparation a pour but la protection des religions et plus généralement des libertés de conscience et de culte contre les tendances liberticides de l’État. Soit l’orientation républicaine ou l’orientation libérale (parfois dite démocratique). Les auteur.e.s du Petit manuel optent nettement pour la seconde interprétation, allant jusqu’à craindre que la laïcité actuelle en France ne soit proche de l’imposition d’une « laïcité autoritaire » (p.63) tendant vers une religion d’État, portant, par conséquent, atteinte à la liberté de croire et surtout au droit de manifester ses croyances !

Leur conception estiment-ils, est en accord avec l’esprit de la loi de 1905, esprit libéral (chez  Briand, Jaurès, Buisson…) opposé à la laïcité anticléricale de Combes. Ce qui est discutable. Les définitions proposées dans l’ouvrage (pp 34,75,152) de la laïcité lui donnent toujours comme finalité la défense des libertés de conscience et de culte et ne font de la séparation des Églises et de l’État ainsi que de la neutralité de ce dernier que les conditions de cette défense. La thèse s’appuie ainsi sur la Déclaration universelle des droits de l’homme (effectivement d’inspiration libérale), des arrêtés du conseil d’État d’avant 2004 et, philosophiquement, sur Locke à l’origine du libéralisme politique c’est-à-dire de la défense des libertés contre l’État, toujours suspecté de vouloir les réduire ou les supprimer. Locke est explicitement opposé à Rousseau, trop étatiste et chez lequel est pointé l’idée de « religion civile » portante atteinte à la liberté de conscience. L’ouvrage rapproche cette idée de l’orientation d’une « nouvelle laïcité », trop « radicale, qui imposerait la neutralité aux élèves à l’école, et à tous dans l’espace public » (p. 37) et qui tend à se transformer, selon les auteur.e.s du Petit manuel, en idéologie liberticide, hostile aux religions et particulièrement à la religion musulmane. Quelles que soient les caricatures, ce qui est donc combattu c’est bien une laïcité républicaine, articulée à une école ayant pour mission de former des citoyens c’est-à-dire des hommes libres ayant le sens de l’intérêt général, le sens de l’universel, ayant, autrement dit, développé grâce à l’école leur raison,  source, dans cette optique, de liberté. Cette option est écartée car elle représente, pour les auteur.e.s du Petit manuel, une école «disciplinaire» (p. 73), reposant sur une idéologie (voire une religion civile) portante atteinte à la liberté de conscience et d’expression. La liberté est première et l’idée, même pour des jeunes en formation, d’une « liberté différée défendue par certain.e.s auteur.e.s tels Catherine Kintzler ou Henri Pena-Ruiz » est « une fausse solution » (p.61). C’est pourquoi la loi de 2004 est rejetée, non seulement en raison de ses multiples effets pervers mais d’abord parce qu’elle porte atteinte aux droits et libertés des élèves qu’il n’y a aucune raison de soumettre à l’exigence de neutralité, laquelle ne concerne, dans les établissements scolaires publics, que les enseignants et le personnel d’encadrement. On peut, à la rigueur, entendre certains arguments du Petit manuel sur ce point. En revanche, nuisent à la clarté du débat les glissements qui se produisent d’une conception républicaine de la laïcité et de l’école appuyée sur la raison à des thèses laïcistes et même extrémistes c’est-à-dire revendiquant la laïcité comme marqueur de l’identité nationale et souhaitant même interdire le port de tout signe religieux dans l’espace public. En outre, reprendre à  son compte le devoir de respecter « l’absolue liberté de conscience de l’enfant » (p.65) demanderait un peu plus de précisions et de réflexions sur ce que sont la croyance et corrélativement la raison, l’objectivité, l’esprit critique, un savoir universel… sur leurs liens avec la liberté… sur ce qu’est un enfant ou un adolescent. Plus spécifiquement, la question insuffisamment traitée est celle de savoir quel est exactement le statut de l’école et des élèves : l’école est-elle un espace public comme les autres et doit-on reconnaître aux élèves, esprits en formation, les mêmes libertés qu’aux adultes ? Enfin, la loi de 2004 porte-t-elle vraiment atteinte à la liberté de conscience des élèves puisqu’elle ne porte que sur « le caractère ostentatoire ou revendicatif » (loi de 2004) des signes extérieurs des croyances ?

Ces réserves n’interdisent pas, pour autant, d’entendre les objections émises contre la loi de 2004, objections qui défendent particulièrement ces jeunes filles qui auraient parfaitement le droit de choisir leur manière de s’habiller, pour des raisons au demeurant fort diverses, sans qu’on les soupçonne a priori de faire du prosélytisme ou qu’on les suppose nécessairement asservies à leur père et à leurs frères et qu’on exclut de l’école au prétexte de les protéger. Les arguments selon lesquels on a accepté pendant des décennies le port de multiples symboles religieux à l’école ; selon lesquels l’État n’a pas à interpréter la signification de tel ou tel vêtement ou symbole ; ne peut le faire qu’en se mêlant de théologie, ce que sa neutralité lui interdit de faire ; que cet État n’est guère cohérent avec lui-même en n’interdisant pas à l’école les marques commerciales ; qu’il est difficile de décider ce qui fait qu’un signe est « ostentatoire » ; que, enfin, la loi de 2004 vise bien l’islam  même si elle ne le dit pas explicitement , etc… tous ces arguments et quelques autres sont parfaitement recevables. Selon le Petit manuel l’islam n’est pas plus incompatible avec la laïcité (p.103) que la religion catholique ne l’était au 19e. L’islam est multiple, évolue, se transforme. Il a aussi ses Lumières. C’est contre un « islam imaginaire » (p.107) qu’est orientée la loi de 2004. Cette dernière est l’expression d’une islamophobie ou d’un racisme sous-jacent (p. 102, p.105). Les enseignant.e.s, auteur.e.s de l’ouvrage, nient, en s’appuyant sur leur expérience, la gravité des conflits liés au religieux dans leur classe. Selon eux, ce sont les médias, quelques personnalités médiatiques à la mode, des personnages politiques qui amplifient et même inventent les problèmes, en affirmant notre identité menacée.

Ainsi, au-delà du débat, en partie théorique, qui oppose une option plus libérale à une option plus républicaine de la laïcité, un jugement sur la validité des propositions de l’ouvrage relève largement de l’appréciation et de la connaissance des faits. La loi de 2004 a-t-elle évité des dérives et apaisé des tensions dans certains établissements ou est-elle à la fois injuste et source de dissensions ? Accroît-t-elle la haine de l’école ? A-t-elle donné des arguments aux intégristes ? A-t-elle terni l’image de la France dans le monde ? Y a-t-il réellement une offensive islamiste dans certains établissements scolaires et plus largement en France, ou le croire est-ce l’effet d’une peur irrationnelle à connotation raciste, comme l’estiment les auteur.e.s du Petit manuel ? Le danger qui menace aujourd’hui l’école et plus généralement la société est-ce un laïcisme intolérant ou la montée d’intégrismes religieux ? On aimerait, pour répondre à ces questions, davantage d’enquêtes sur ce qui est réalité et fantasmes, défense de la liberté ou racisme.

La question est de savoir si l’urgence, en France aujourd’hui, est la défense du multiculturalisme, de la diversité des communautés et la recherche « des accommodements raisonnables » avec ceux qui n’ont pas les mêmes croyances et les mêmes mœurs ou plutôt la défense et la promotion du sens de l’universel, de l’intérêt général et l’égalité de tous devant la loi ; la question est de savoir s’il est urgent de lutter contre la tendance liberticide  d’une prétendue laïcité radicale ou  de combattre, notamment par l’école, les intégrismes et les fanatismes de tous ordres ? Les auteur.e.s du Petit manuel optent clairement pour les premières options. L’ouvrage propose ainsi une perspective plus proche des modèles de laïcité anglo-saxonne que du modèle républicain et français de la laïcité. S’il fournit des éléments incontestablement intéressants de réflexions et de critiques, en revanche il pêche en caricaturant trop les options qu’il combat.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 03 & Cahiers de la LCD, numéro 03 : « Laï-Cités : Discrimination(s), Laïcité(s) & Religion(s) dans la Cité » (dir. Esteve-Bellebeau & Touzeil-Divina) ; Art. 122.

   Send article as PDF   
ParJDA

Les Cahiers de la LCD, Lutte contre les discriminations

Art. 110 : Le Journal du Droit Administratif (JDA) a préparé avec les Cahiers de la Lutte contre les discriminations (LCD) un dossier commun (le n°3 du JDA et le n°3 des Cahiers LCD) intitulé :

Laï-Cités : Discrimination(s),
Laïcité(s) & Religion(s) dans la Cité

et ce, sous la direction des professeurs
Brigitte Esteve-Bellebeau & Mathieu Touzeil-Divina (pour le JDA).

Après un appel commun des deux revues
cf. ICI & LA,

deux publications en ont résulté :

1) un dossier en ligne sur le site du JDA
que vous pourrez consulter en cliquant ICI
et composé de 13 contributions
(mise en ligne fin janvier 2017).

2) ainsi qu’un ouvrage publié aux Editions L’Harmattan
dans la collection des Cahiers de la LCD
(sortie fin février 2017).

Pour remercier les porteurs des
Cahiers de la LCD qui nous ont ainsi fait confiance,
et avec qui la collaboration fut délicieuse, nous avons décidé de vous les présenter plus amplement ci-dessous grâce au portrait qu’en a fait le site entrevues.org.

Nous avions envie d’en savoir un peu plus sur Les Cahiers de la LCD – nouvelle revue et seule en France dans son domaine – que nous avions invitée à Limoges dans le cadre du Salon des revues plurielles. À quatre mains, les 2 co-directeurs déplient les initiales de son titre.

Les Cahiers de la LCD – Lutte contre les Discriminations – sont une nouvelle revue dans le paysage universitaire français. Elle s’inscrit à la croisée de plusieurs constats :

  • Celui de l’actualité politique et polémique brulante,
  • Celui d’un manque d’outils et de réflexion collective permettant de poser les termes du débat dans l’espace public et de nourrir l’action de manière rationnelle.

Parler de discriminations dans une revue multidisciplinaire, c’est la possibilité d’aborder par exemple les relégations sociales et spatiales que subissent certaines populations, tout en traitant des questions spécifiques telles que le handicap, le genre, les racismes à travers une thématique donnée. C’est le cas du premier numéro “les discriminations dans la ville”, qui montre que si la ville est davantage hospitalière pour les hommes valides, elle peut être aussi excluante en fonction des personnes et des contextes, comme en témoigne le rejet massif des habitants du 16e arrondissement devant le projet du futur centre d’hébergement pour personnes sans domicile près du bois de Boulogne. Espérons que le décret concernant le 22e critère de discrimination ayant trait à la précarité sociale pourra permettre davantage de contraintes aux traitements iniques de certains groupes majoritaires.

Le dessein de cette revue est aussi de ne pas laisser ces questions à la doxa et aux instrumentations de toutes sortes. En d’autres termes, c’est pouvoir interroger tous les sujets (comme par exemple la santé, le sport, le travail, la laïcité ou les phénomènes de radicalisation) à l’aune des discriminations, en dehors des discours fantasmatiques et stigmatisants.

C’est reconnaître par exemple que l’ensemble des thématiques doit pouvoir être lu par le prisme des discriminations, que ces dernières renvoient à une lecture juridique ou à une lecture subjective.

Interroger notre pacte républicain à travers des identités morcelées et des groupes minoritaires déqualifiés, voici l’ambition assumée des Cahiers de la LCD, au croisement des approches universitaires, institutionnelles et associatives.

Soutenue par le CGET et les éditions L’Harmattan, les cahiers de la LCD proposent trois numéros par an sur des thématiques transversales afin d’éviter le caractère segmenté des discriminations.

Le premier numéro (dirigé par Johanna Dagorn, Arnaud Alessandrin et Naïma Charaï) porte sur « La Ville face aux discriminations » ; le deuxième numéro se penche sur l’École, les migrations et les discriminations, sous la direction de Jean-François Bruneaud et de Maïtena Armagnague-Roucher.

D’autres thèmes et numéros suivront :

  • La laïcité en février 2017 (no 3 dirigé par Mathieu Touzeil-Divina et Brigitte Esteve-Bellebeau),
  • Le sport en juin 2017 (no 4 dirigé par Philippe Liotard),
  • La santé en octobre 2017 (no 5 dirigé par Anita Meidani et Marielle Toulze)
  • Les politiques antidiscriminatoires au travail dans un no6 de février 2018 dirigé par Milena Doytcheva.

Les cahiers de la LCD restent ouverts à des propositions d’horizons variés. Ils proposent aussi bien des dossiers que des articles hors thématique. Des entretiens et des recensions d’ouvrages ou de rapports peuvent également être proposés à la revue. Cette revue est la vôtre !

Johanna Dagorn et Arnaud Alessandrin,
co-directeurs des Cahiers de la LCD

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 03 & Cahiers de la LCD, numéro 03 : « Laï-Cités : Discrimination(s), Laïcité(s) & Religion(s) dans la Cité » (dir. Esteve-Bellebeau & Touzeil-Divina) ; Art. 110.

   Send article as PDF   
ParJDA

Dossier n°03 : Laï-Cités en partenariat avec les Cahiers de la Lutte Contre les Discriminations

 Art. 111. Le troisième dossier du JDA s’intitule :

« Laï-Cités : Discrimination(s),
Laïcité(s) & Religion(s) dans la Cité« 

il est à jour et en ligne au 20 janvier 2017.

Il a été conçu sous la direction collective
des professeurs Brigitte Esteve-Bellebeau
& Mathieu Touzeil-Divina.

Le JDA a ainsi pour la première fois préparé
avec les Cahiers de la Lutte contre les discriminations (LCD)
un dossier commun (le n°3 du JDA & le n°3 des Cahiers LCD).

Après un appel commun des deux revues,
deux publications en ont ainsi résulté :

1) le présent dossier en ligne sur le site du JDA
composé de 13 contributions
(mise en ligne fin janvier 2017).

2) un ouvrage publié aux Editions L’Harmattan
dans la collection des Cahiers de la LCD
(sortie fin février 2017).

Vous trouverez ainsi en ligne :

Art. 112 – Editorial : Laï-Cité(s) « mises à la portée de tout le monde ».
Laï-Cités : Discrimination(s), Laïcité(s) & Religion(s) dans la Cité
D’un singulier nouveau au pluriel contemporain ?

par Mme & M. les pr. Brigitte ESTEVE-BELLEBEAU & Mathieu TOUZEIL-DIVINA
coordinateurs du dossier « Discrimination(s), Laïcité(s) & Religion(s) dans la Cité »

Art. 113 – Entretien « Laï-Cités »
avec Anne RINNERT
Maître de conférences à Sciences Po

I. Du singulier… aux Laïcité(s) plurielles au coeur de la Cité

Art. 114 – Des voile(s) de la Laï-Cité
par M. le pr. Mathieu TOUZEIL-DIVINA
Professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou
Directeur du Journal du Droit Administratif

Art. 115 – Laïcités dans le monde et approches plurielles des discriminations
par Mme Valérie ORANGE
Doctorante en sociologie, UQAM
(Montréal, Canada),
affiliée au CEETUM (Centre d’Études Ethniques des Universités Montréalaises)

Art. 116 – Quelques interrogations sur la laïcité :
regards sur son interprétation originelle
par M. Clément BENELBAZ,
Maître de conférences en droit public, Directeur du M2 Métiers du droit et de la Justice,
Centre de droit public et privé des obligations et de la consommation (CDPPOC),
Université Savoie Mont-Blanc, Membre associé du CERCCLE (Université de Bordeaux)

Art. 117 – La laïcité : d’un principe socialement cohésif à une légitimation du rejet
par M. Marik FETOUH
Adjoint au Maire de Bordeaux, Chargé de l’Egalité et de la Citoyenneté

Art. 118 – Les crèches de Noël dans les bâtiments publics : la messe est dite
par M. le pr. Alexandre CIAUDO
Professeur agrégé de droit public à l’Université de Bourgogne-Franche-Comté (CRJFC),
Avocat à la Cour

II. Laï-Cité(s) & services publics :
les espoirs scolaires !

Art. 119 – La laïcité au cœur du service public de l’éducation… et au-delà
par Mme Florence CROUZATIER-DURAND
Maître de conférences HDR en droit public,
Université Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou

Art. 120 – La laïcité dans les « Souvenirs d’enfance » de Marcel Pagnol
par M. le pr. Jacques VIGUIER
Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole, Idetcom

Art. 121 – Pour une conception modeste de la laïcité à l’école :
comme règle et non comme valeur et comme possible lieu de faiblesse de la volonté
par M. Vincent LORIUS
Chef d’établissement scolaire,
Docteur en sciences de l’éducation

Art. 122 – Recension du Petit manuel pour une laïcité apaisée (J. Baubérot)
par M. le pr. Jean-François SOUCHAUD
ancien professeur de philosophie en CPGE

III. Laï-Cité(s) & services publics :
les échecs carcéraux ?

Art. 123 – Laïcité et prison : que dit le Droit ?
par Maître Alexandre DELAVAY
Avocat au Barreau de Paris, cofondateur du site Prison Insider,
site internet d’information et d’échange sur les conditions d’incarcération dans le monde

Art. 124 – L’Etat laïc à l’épreuve de l’espace carcéral
par Mme Julia SCHMITZ
Maître de conférences en droit public,
Université Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou


Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 03 & Cahiers de la LCD, numéro 03 : « Laï-Cités : Discrimination(s), Laïcité(s) & Religion(s) dans la Cité » (dir. Esteve-Bellebeau & Touzeil-Divina) ; Art. 111.

   Send article as PDF   
ParJDA

Pas de délégation de l’activité de service public sans contrôle de la personne publique

par Camille CUBAYNES,
Doctorante contractuelle en Droit public – Université Toulouse 1 Capitole
Institut Maurice Hauriou

Note sous Conseil d’État, 9 décembre 2016, n° 396352

Pas de délégation de l’activité de service public sans contrôle de la personne publique

Art. 109. Le jour où le Président de la République promulguait la loi n° 2016-1691 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin II qui venait notamment ratifier les ordonnances[1] de transposition des directives européennes « marchés »[2] et « concessions »[3], le Conseil d’État rendait une décision rappelant l’importance du critère du contrôle dans la reconnaissance d’une mission de service public.

Bien que classique, la question de l’existence d’une mission de service public est d’importance, puisque la délégation de sa gestion à un tiers devra, dès lors, faire l’objet d’une procédure spécifique, imposant notamment des obligations de publicité et mise en concurrence.

Par convention conclue le 1er février 2010, la commune de Fontvieille a confié à Mme B l’exploitation touristique de deux sites historiques, l’un, propriété privée dont la commune exerce la gestion (Moulin de Daudet), l’autre, propriété publique de la commune (Château de Montauban). Le contrat, conclu pour une durée de 11 mois, mettait à la charge de son titulaire l’ouverture au public du Moulin de Daudet 7 jours sur 7 et celle du Château de Montauban, au moins pour la durée des vacances scolaires, ainsi que le versement d’une redevance mensuelle de 7 500 euros. Celui-ci se rémunère sur les droits d’entrée perçus du public ainsi que sur la vente de divers produits dérivés (ventes de souvenirs, cartes postales, livres). Certaines échéances n’ayant pas été honorées par Mme B, la commune lui a adressé plusieurs titres exécutoires.

Après avoir sollicité, en vain, la remise gracieuse de ces titres, cette dernière saisit alors le Tribunal administratif de Marseille afin que celui-ci reconnaissance leur illégalité. La requérante se prévaut pour cela de l’article L. 1411-2 du CGCT. En vertu de ce dernier en effet, « Les montants et les modes de calcul des droits d’entrée et des redevances versées par le délégataire à la collectivité délégante doivent être justifiés dans ces conventions. », ce qui n’est pas le cas dans la convention. La requérante estime donc que le contrat dont elle est titulaire constitue une délégation de service public.

Déboutée en première instance, la requérante obtient satisfaction auprès de la Cour administrative d’appel de Marseille qui reconnaît la nature de service public à la mission confiée à Mme B et annule de fait les titres exécutoires litigieux.

Réfutant la qualité de délégation de service public au contrat conclu le 1er février 2010, la commune se pourvoit en cassation.

Classique mais récurrente, la question posée au juge administratif tenait ainsi dans la qualification du contrat. Il convenait de déterminer si le contrat confiant l’exploitation des sites touristiques en cause constituait, ou non, une délégation d’un service public. De la qualification ainsi retenue découle en effet le régime applicable à cette convention, notamment, en l’espèce, la légalité du montant et du calcul des redevances et de leur recouvrement.

Constatant l’absence de contrôle de la commune sur l’activité prise en charge par la requérante, le Conseil d’État, sans toutefois rechercher lui-même la qualification du contrat litigieux, lui dénie la qualité de délégation de service public (I). Les juges du Palais Royal estiment leur raisonnement conforté par le fait que la convention contenait une clause permettant à son titulaire de résilier unilatéralement le contrat à tout moment, moyennant un préavis de seulement 3 mois (II).

I – Le rappel du caractère prépondérant du critère du contrôle dans la qualification d’activité de service public

Afin de déterminer la nature de l’activité en cause, le Conseil d’État va contrôler si les exigences constantes de la jurisprudence pour que soit reconnue la qualité d’activité de service public sont, en l’espèce, remplies.

On sait qu’en l’absence de qualification légale, l’activité exercée par une personne privée peut être reconnue comme constituant la gestion d’une mission de service public dans deux hypothèses. Il en sera tout d’abord ainsi si l’activité en cause présente un caractère d’intérêt général, fait l’objet d’un contrôle exercé par une personne publique et engendre la détention par son gestionnaire de prérogatives de puissance publique (Conseil d’État, Section, 28 juin 1963, Sieur Narcy). En l’absence de telles prérogatives, la jurisprudence a accepté que la personne privée soit néanmoins reconnue comme délégataire d’une activité de service public « eu égard à l’intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu’aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints » l’ensemble de ces éléments laissant apparaître « que l’administration a entendu lui confier une telle mission » (Conseil d’État, Section, 22 février 2007, Association du Personnel Relevant des Établissements pour Inadaptés – APREI).

Mme B n’étant pas titulaire de prérogatives de puissance publique, c’est cette seconde hypothèse qu’étudie le juge. Celui-ci concentre son analyse sur le fait de savoir si la personne publique exerce un contrôle sur l’activité en cause. L’exigence relative à son caractère d’intérêt général n’est pas mentionnée, non pas qu’elle n’ait pas été envisagée, mais simplement parce que cette qualité ne pose pas question ici. Sont simplement rappelés les caractères historique et littéraire des deux sites, qui ne sauraient, à eux-seuls permettre de qualifier l’activité de service public[4].

Sans surprise, c’est donc le critère du contrôle qui cristallise les termes du débat. À défaut, en effet, l’activité d’intérêt général ne pourra être qualifiée de service public et la qualification de délégation de service public retenue. Il s’agit donc d’une affaire d’espèce. C’est ainsi que sur des activités pourtant similaires (gestion d’un festival de musique) le Conseil d’État avait déjà eu l’occasion de conclure à la nature de service public (Conseil d’État, 6 avril 2007, Commune d’Aix-en-Provence, n° 284736) ou à la réfuter (Conseil d’État, 23 mai 2011, Commune de Six-Four les Plages, n° 342520).

En l’espèce le Conseil d’État estime qu’en se contentant de fixer les jours d’ouverture des sites et en imposant à la preneuse d’en respecter le caractère historique et culturel, celle-ci n’a pas exercé, sur l’activité, un contrôle manifestant sa volonté d’en faire une mission de service public. La preneuse était en effet libre de fixer le montant des droits d’entrée, le contenu des visites, leur fréquence, ainsi que le prix et la nature des produits vendus dans le cadre de l’activité annexe, exception faite du seul fait que « les produits vendus sur les sites ne peuvent être alimentaires ou de ‘’nature dévalorisante ou anachronique pour l’image et la qualité des lieux’’ » (cons. 2 et 3). Ces éléments justifient sans surprise que le Conseil d’État dénie la qualité de service public à l’activité exercée par la requérante.

La décision n’est pas inédite. Il en avait été de même dans la célèbre décision du Stade Jean Bouin (Conseil d’État, 3 décembre 2010, n° 338272), où, constatant de façon similaire l’absence de contrôle exercé par la personne publique, Nathalie Escaut, rapporteur public sur l’affaire, estimait que dans ces conditions, « il […] paraît très difficile d’identifier une quelconque mission de service public »[5]. Suivant son raisonnement, le Conseil d’État avait conclu que les stipulations de la convention liant la ville de Paris à l’Association Paris Jean Bouin imposant certaines prescriptions à l’association « s’inscriv[aient] dans le cadre des obligations que l’autorité chargée de la gestion du domaine public peut imposer, tant dans l’intérêt du domaine et de son affectation que dans l’intérêt général, aux concessionnaires du domaine » (cons. 19) mais ne sauraient en aucun cas traduire « un contrôle permettant de caractériser la volonté de la ville d’ériger ces activités en mission de service public » (cons. 18)[6].

La conviction du Conseil d’État est confortée par la présence d’une clause de rupture unilatérale au bénéfice du titulaire du contrat.

II – La confirmation de l’impossible résiliation unilatérale de la délégation de service public, par le délégataire

L’absence du critère du contrôle de l’activité exercée par la personne privée, justifie, en l’absence de qualification législative ou de prérogatives de puissance publique, à dénier le caractère de service public à celle-ci.

Le Conseil d’État estime cependant, que « au surplus » (cons. 3), la présence dans la convention litigieuse d’une clause conférant au titulaire un pouvoir de résiliation unilatérale, ne fait que conforter son analyse refusant à celle-ci le caractère de délégation de service public.

Il faut rappeler que ce pouvoir de résiliation unilatérale est longtemps resté l’apanage de la personne publique et constituait, au même titre que le pouvoir de modification unilatéral, l’expression du régime des contrats administratifs.

La jurisprudence a cependant reconnu au travers de l’arrêt Société Grenke Location[7], la possibilité pour les parties à un contrat public d’introduire une clause de résiliation unilatérale au bénéfice du cocontractant de l’administration. Qualifiée de « reconnaissance apparente » par la doctrine[8], l’existence et l’exercice d’une telle possibilité est en effet très encadrée.

À titre préliminaire et en tout état de cause, l’existence du droit de résiliation unilatérale ne saurait être exercé qu’en raison de méconnaissances, par l’administration, de ses obligations contractuelles (condition 1). Il faut que cette possibilité ait été prévue contractuellement (condition 2) et que le contrat en cause ne porte pas sur l’exécution même du service public (condition 3). En outre, lorsque le cocontractant souhaite activer cette clause et mettre fin au contrat, celui-ci doit avoir permis à la personne publique de s’opposer à la rupture pour un motif d’intérêt général (condition 4). Dans ce cas, si le cocontractant est libre de contester devant le juge le motif d’intérêt général qui lui est opposé, il est toutefois tenu de poursuivre l’exécution, sous peine de voir prononcer la résiliation à ses torts exclusifs.

En l’espèce, c’est la condition n° 3 qui poserait problème si le contrat litigieux consistait bien, ainsi que le soutient la requérante (confortée en cela par la Cour administrative d’appel de Marseille), une délégation de service public.

Il s’agit là d’un élément supplémentaire en défaveur de la qualification de délégation de service public, ce que souligne le juge en précisant, après avoir constaté l’absence de contrôle : « qu’eu égard, au surplus, à la faculté donnée à la preneuse de révoquer la convention à tout moment et à la brièveté du préavis applicable, la cour administrative d’appel de Marseille a entaché son arrêt d’une erreur de qualification juridique en jugeant que ce contrat avait pour objet de faire participer directement Mme B…à l’exécution du service public culturel » (cons. 3, nous soulignons). Il ne s’agit bien ici que d’un indice et non un élément, en lui-même, discriminant la qualification de délégation de service public. Si le contrat avait été une délégation de service public, l’insertion d’une telle clause aurait été illégale. Il aurait alors fallu juger de son caractère divisible du reste du contrat pour déterminer les conséquences de son annulation[9].

On peut noter pour finir que le Conseil d’État ne recherche pas, après annulation, la qualification du contrat litigieux, comme il le fait pourtant souvent sur le fondement de l’article L. 821-2 du Code de justice administrative. Il reviendra alors à la Cour administrative d’appel de Marseille devant laquelle l’affaire est renvoyée, d’envisager la qualification éventuelle de marché ou de simple convention d’occupation du domaine.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique administrative 02 ; Art. 109.

[1] Ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015, relative aux marchés publics et Ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016, relative aux contrats de concession.

[2] Directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics.

[3] Directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014, sur l’attribution de contrats de concession.

[4] C’est ce que prend soin de rappeler le Conseil d’État en sanctionnant l’erreur de qualification de la Cour administrative d’appel de Marseille qui se fondait principalement sur cet aspect pour reconnaitre la qualité de délégation de service public du contrat litigieux « la cour administrative d’appel de Marseille a entaché son arrêt d’une erreur de qualification juridique en jugeant que ce contrat avait pour objet de faire participer directement Mme B…à l’exécution du service public culturel en raison de la dimension historique et littéraire des lieux et constituait une délégation de service public » (cons. 3, nous soulignons).

[5] Escaut (N.), « La reconstruction du stade Jean Bouin est-elle une délégation de service public ? Les conventions d’occupation domaniale doivent-elles faire l’objet de publicité et de mise en concurrence ? », BJCP, Janvier 2011, n° 74, p. 36 à 54.

[6] Cette décision concluait également à l’absence de nécessité de mise en concurrence des conventions d’occupations du domaine. La position du Conseil d’État devrait bientôt évoluer tant sous l’effet de la jurisprudence européenne (CJUE, 14 juillet 2016, Promoimpresa Srl, Aff C-458/14 et Mario Melis e.a., Aff. C-67/15) que du législateur interne, ce dernier ayant habilité le gouvernement à prendre par ordonnance : « Les règles d’occupation et de sous-occupation du domaine public, en vue notamment de prévoir des obligations de publicité et de mise en concurrence préalable applicables à certaines autorisations d’occupation et de préciser l’étendue des droits et obligations des bénéficiaires de ces autorisations » par la loi Sapin II.

[7] Conseil d’État, 8 octobre 2014, Société Grenke Location, n° 370644.

[8] Mestres (J.) et Minaire (G.), « La reconnaissance apparente d’une résiliation du contrat administratif à l’initiative du cocontractant privé », Contrats publics – Le Moniteur, n° 149, Décembre 2014, p. 62 à 66.

[9] En ce sens, voir le raisonnement de la Cour administrative d’appel de Douai, validant l’insertion d’une clause de résiliation unilatérale sanctionnée en première instance par le tribunal administratif et précisant que cette clause était divisible du reste du contrat (CAA Douai 4 février 2016, N° 15DA01296, cons. 13).

   Send article as PDF   
ParJDA

Retour sur la, ou les, position(s) du Conseil d’État en matière d’état d’urgence

par Abdesslam DJAZOULI-BENSMAIN,
Doctorant contractuel en Droit Public à l’Université Toulouse 1 Capitole (IDETCOM)

Art. 108. (Loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, Avis CE n° 390.786 du 17 novembre 2015, Avis CE n° 391.124 du 2 février 2016, Avis CE n° 291.519 du 28 avril 2016, Avis CE n° 391.834 du 18 juillet 2016, Avis CE n° 392.427 du 8 décembre 2016)

Cet article fait suite au dossier du Journal du Droit Administratif portant sur l’Etat d’Urgence d’avril 2016 – Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina

«L’état d’urgence ne peut être renouvelé indéfiniment». Cette simple phrase dans un entretien au Monde[1] de Jean-Marc Sauvé[2] a suscité dans la vie civile une vague d’interrogation[3] sur le fondement des prorogations successives de l’état d’urgence au lendemain des attentats du 13 novembre 2015.

À la suite des attaques du Stade de France, du Bataclan et des terrasses parisiennes, le Président de la République a décidé de mettre en place ce vieux mécanisme datant de la guerre d’Algérie. À l’origine, le législateur souhaitait créer un état d’exception sans pour autant y intégrer la connotation martiale de l’état de guerre ou l’état de siège (Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 23). Cette volonté est alors clairement explicitée par l’Assemblée nationale dans une lettre au ministre de la Justice où les députés développent l’idée selon laquelle «les hommes qui commettent ces attentats[4] contre les personnes et les biens ne sauraient en aucun cas être considérés comme ayant un caractère militaire»[5]. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que François Mitterrand, encore ministre de l’Intérieur sous le gouvernement de Mendes-France en février 1955, fut l’un des grands artisans[6] de cette loi gratifiant l’exécutif de prérogatives supplémentaires. Cela est d’autant plus étonnant qu’il fut l’auteur d’un essai à charge envers le Président de Gaulle, «Le Coup d’État permanent[7]», où il dénonce précisément le cumul de prérogatives au profit de l’exécutif sous le régime de la Vème République.

Cette loi a été mise en action, avant les évènements tragiques qui nous intéressent, trois fois seulement depuis son entrée en vigueur. Une première fois pour circonscrire les premières étincelles de la guerre d’Algérie[8] sans pour autant faire intervenir les forces armées[9]. Une seconde fois lors des évènements en Nouvelle-Calédonie[10] pour tenter de gérer la situation. Enfin, une troisième fois en 2005[11] lors des émeutes des banlieues parisiennes malgré la relative légèreté des causes de son actionnement[12] par rapport aux précédentes.

Déjà à l’époque, et notamment concernant les émeutes de 2005, la question de la prorogation de cette disposition d’exception a fait l’objet de vifs débats juridiques sur cette question fondamentale : une prorogation de l’état d’urgence n’étend-elle pas le risque de voir apparaître en France un état d’exception permanent ? Il est d’ailleurs intéressant de constater que la doctrine s’est insurgée à l’encontre de cet état d’exception permanent à la suite d’une prorogation seulement de trois mois alors qu’aujourd’hui nous vivons sous l’état d’urgence depuis plus d’un an. Tout cela met en perspective ces débats vieux d’une décennie à l’aube de la nouvelle année.

Les questions de 2005 se posent encore aujourd’hui avec une nouvelle envergure. Après une première prorogation de trois mois[13] en novembre 2015, le gouvernement a décidé de prolonger encore une fois l’état d’urgence de trois mois en février 2016[14], puis encore deux mois en mai 2016[15] pour enfin arriver à la loi n° 2016-1767 du 19 décembre 2016 prorogeant une nouvelle fois cet état d’exception pour six mois portant la durée totale à dix-sept mois. Nous vivons donc ainsi la plus longue application de cette disposition depuis la Guerre d’Algérie, ce qui nous pousse à la réflexion quant à l’intensité de l’actualité.

Cette multiplication des prorogations a, naturellement, donné l’occasion au Conseil d’État d’exercer sa mission traditionnelle, celle de donner sa position sur les projets de loi qui lui sont soumis. Il s’agit de sa mission depuis plus de deux siècles[16] et elle permet, selon les mots du Vice-Président Sauvé, « aux représentants du peuple français — d’assurer de manière informée et juridiquement rigoureuse les missions constitutionnelles qui sont les leurs[17] ». Ces avis, qu’ils soient favorables ou défavorables, apportent une forme de caution juridique que le Conseil d’État, par son importance, est à même d’apposer. Lorsque la disposition législative sur laquelle il est amené à se prononcer revêt une importance aussi grande que celle de la prorogation d’un état d’exception, l’avis apparaît alors comme fondamental dans l’appréciation que les juristes, les politiques et la société civile doivent se faire de l’opportunité de la décision de prolongation de l’état d’urgence.

Ainsi, l’étude attentive de la succession d’avis du Conseil d’État sur cette question semble pertinente et nécessaire. De plus, l’expression publique du Vice-Président de cette même juridiction, s’écartant[18] de son devoir de réserve, incite à l’imagination. Est-ce que le Conseil d’État arrive à ce qu’il juge être une limite en terme de prorogation ? Est-ce que celui-ci, malgré les différents avis favorables, souhaite exprimer des réserves à l’encontre de ces dispositions ? Ces questions n’obtiennent pas de réponse dans l’entretien sommaire du Monde. Néanmoins le juriste peut trouver des éléments de réponses dans les avis du Conseil d’Etat. De cette manière, il nous sera possible d’apporter des pistes de réflexion quant à la position de la Haute-Cour sur l’état d’urgence. Il sera intéressant de déterminer si celle-ci est homogène tout au long de cette année où si, tout au contraire, elle change selon la période donnée. Nous pourrons également apprécier le ton de la Cour suprême de l’ordre administratif et dégager l’évolution de celui-ci.

Les avis du Conseil d’État ne sont pas complètement homogènes, il est possible d’en extraire des différences notables malgré un socle formel commun évident. Chacun intervient à un moment précis et subit (ou embrasse) l’actualité — parfois triste — de notre époque. Ces deux aspects poussent le lecteur à lire ces avis comme les épisodes d’une longue « saga ». Les deux premiers avis, prorogeant chacun de trois mois l’état d’urgence se font l’écho de « la menace fantôme » (I) qui a régné sur notre pays comme sur notre système juridique au lendemain des attentats du 13 novembre 2015. Le troisième avis, prorogeant là de simplement deux mois, apparaît comme « un nouvel espoir » (II) pour le Conseil d’État de voir ses recommandations suivies. Enfin, les deux avis les plus récents marquent le retour d’une approche plus ferme de l’état d’urgence, une « contre-attaque » de l’exécutif (III).

I. La menace fantôme

Les deux premiers avis du Conseil d’État (n° 390.786 et n° 391.124) sont les plus proches des attentats du 13 novembre 2015 qui sont la cause originelle de l’application de la loi du 3 avril 1955. Le contexte sécuritaire est encore perturbé par les attaques de Paris, mais aussi par un climat international particulièrement lourd. La tension est alors palpable tant le pays semble vulnérable face à ces dangers qui sont par définition invisibles. L’Etat doit réagir et l’exécutif décide d’utiliser ce dispositif de l’état d’urgence, inappliqué depuis une décennie.

Déjà aux visas de ces deux premiers avis, quelque chose attire l’œil du juriste : le quantum de la prorogation proposé par le projet de loi. Cette mention n’est pas anodine, car comme nous le verrons, la question du prolongement de l’état d’exception dans le temps est au cœur des réticences que met en exergue le Conseil d’État dans ses avis. De plus, la mise en perspective de ces périodes avec les justifications de fait qu’évoque le juge administratif peut être intéressante à réaliser tant ces deux éléments seront fondamentales dans les avis suivants. Dans le cas des deux premiers, sans réelle surprise, il s’agit d’une période de trois mois.

La première prorogation n’a pas eu réellement besoin de justification matérielle tant la menace terroriste était encore dans l’actualité. Ainsi l’avis, comme le projet de loi, ne fait pas mention particulière des raisons tangibles qui imposent cette prorogation. Néanmoins le texte passe plus de temps que les autres à justifier de l’opportunité juridique d’une telle disposition. Le juge administratif fait appel à deux éléments. D’abord la décision du Conseil Constitutionnel sur la constitutionnalité de l’application de la loi du 3 avril 1955 en 1985 concernant la Nouvelle-Calédonie[19]. Puis, sa position préalable, au lendemain des émeutes de 2005, sur la conventionalité du dispositif au regard de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales[20] (sur ce point, Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 27). Le juge administratif n’utilisera plus ces éléments dans les avis suivants et ne gardera que de simples éléments de faits.

Ainsi, dans l’avis du 2 février 2016 portant sur la deuxième prorogation de l’état d’urgence, le Conseil d’État justifie le «péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public[21]» par les «liens entre le terrorisme intérieur et le terrorisme dirigé depuis l’étranger contre la France» qui n’ont «rien perdu de leur intensité» ; la présence jugée «importante de ressortissants français […] en zone Irako-Syrienne» qui «sont susceptibles de revenir en France à tout moment pour y accomplir des actions violentes» et la «persistance de la menace» du fait « d’actions de moindre ampleur». Tous ces éléments factuels développent cette notion d’une possible « menace fantôme » qui, tout en pesant avec gravité sur notre société n’est pourtant pas tangible, elle est même parfois extérieure.

Néanmoins le Conseil d’État considère l’état d’urgence justifié et cela notamment vis-à-vis de l’efficacité de celui-ci. Le juge administratif considère que «l’expérience acquise depuis le 14 novembre a confirmé la nécessité des mesures prises au titre de l’état d’urgence tant pour prévenir les attentats que pour désorganiser les filières terroristes». Sur le terrain de l’efficacité, lors des premiers mois de son application, force est de constater que la disposition a fait ses preuves avec, notamment, 3284 perquisitions, 392 assignations à résidence et 10 fermetures de lieux de cultes[22]. Néanmoins, il apparaît complexe de lier l’opportunité de l’application de la disposition à son efficacité tant, par la suite, celle-ci ne va pas se pérenniser.

Le second avis a une autre originalité, celle de faire mention d’une mise en garde de la juridiction administrative envers le Gouvernement et le législateur quant à l’habitude qui pourrait se créer de prolonger cet «état de crise». Le Conseil énonce, par la négative, que la durée proposée de trois mois «n’apparaît pas inappropriée au regard des motifs justifiant la prorogation ». De plus, le juge considère que «la prorogation prévue opère […] une conciliation non déséquilibrée entre la sauvegarde des droits et libertés constitutionnellement, d’une part, et la protection de l’ordre et de la sécurité publics, d’autre part». Tout cela sous-entend, à notre avis, une forme de mise en garde sur l’avenir. Il s’agit d’un avertissement qui cherche à éviter que ce temps de crise ne se banalise. Le juge reprend par ailleurs les conclusions du juge des référés du Conseil d’État de 2005[23] qui déjà à l’époque rappelait qu’un «régime de pouvoirs exceptionnels a des effets qui dans un État de droit sont par nature limités dans le temps et dans l’espace». Le message apparaît comme clair, il est d’ailleurs explicité, «l’état d’urgence doit demeurer temporaire». Le Conseil d’État ajoute que l’état d’urgence perd son objet quand «s’éloignent les atteintes graves à l’ordre public» ou «que sont mis en œuvre des instruments qui, sans être de même nature que ceux de l’état d’urgence […] ont vocation à répondre de façon permanente à la menace qui l’a suscité». On retrouve ici les deux aspects qui vont s’avérer fondamentaux pour apprécier le changement de ton que va opérer le Conseil d’État à travers les avis suivants.

II. Un nouvel espoir

L’avis n° 391.519, concernant la troisième prorogation de l’état d’urgence, apparaît comme inédit à la lumière des deux précédents. Sur la forme, il reprend pourtant le même schéma que le deuxième avis en énonçant des éléments de faits qui vont venir justifier l’opportunité du projet de loi d’avril 2016.

L’avis observe que «plusieurs attaques terroristes ont frappé des métropoles d’Europe, du Proche et du Moyen-Orient» caractérisant, une fois de plus, cette menace invisible planant sur notre société, mais, également, l’incidence du double attentat de Bruxelles[24]. Enfin, il souligne également que des «opérations terroristes qui ont eu lieu ont été préparées, financées et réalisées par des individus venant de zones de combat en Syrie et profitant de filières de migration et de nombreux déplacement dans l’espace européen» visant la France et ses intérêts à l’étranger.

De manière, plus originale, le Conseil d’État relève la collusion entre ces menaces extérieures et l’organisation de manifestations sportives de grandes ampleurs en France. Il s’agit notamment de l’EURO 2016[25] de Football et de l’édition 2016 du Tour de France[26]. Et alors qu’il pourrait comme dans le second avis ne justifier la prorogation de l’état d’urgence que par les premiers éléments factuels, le juge administratif utilise la «conjonction d’une menace terroriste persistante d’intensité élevée[27]» avec les manifestations sportives de niveau national pour motiver sa décision et pour caractériser le «péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public».

Nous sommes là en présence de l’un des points d’intérêts de cet avis. Le Conseil d’État ne considère plus que les « simples » évènements extérieurs reflétant la « menace fantôme » explicitée plus haut justifient les prorogations successives de l’état d’urgence. Selon lui, il faut désormais, les conjuguer avec des évènements d’une ampleur telle que le risque sur la sécurité nationale est palpable. Il s’agit d’une forme supplétive d’avertissement dirigé vers l’exécutif et le législateur.

Le Conseil d’État rappelle ensuite, dans son quatrièmement, que l’état d’urgence «doit demeurer temporaire» comme dans son avis du 2 février 2016. Puis, le juge administratif relève la conformité de ce nouveau projet de loi par rapport aux mises en garde qu’il avait réalisées lors des avis précédents. En effet, le gouvernement a limité cette nouvelle prorogation à seulement deux mois, et cela pour couvrir la durée des manifestations sportives précitées. Ainsi, l’exécutif et le législateur en adoptant ce projet de loi se montrent plus mesurés dans l’application de la loi de 1955 de sorte qu’un nouvel espoir semble jaillir dans les mots du Conseil d’État. En effet, ses trois recommandations précédentes, sur l’efficacité de la mesure, sur son quantum et sur les pouvoirs accordés à l’exécutif semblent avoir porté leur fruit.

Le juge administratif note «que cette prorogation limitée dans le temps […] tient compte de la réduction progressive des effets des mesures de l’état d’urgence au fil du temps». En effet, force est de constater que l’effectivité de la disposition d’exception n’est plus ce qu’elle était au moment de sa première prorogation. La grande majorité des perquisitions et assignations à résidence s’est faite dans les premiers mois de la mesure, au-delà, celles-ci se sont faites plus rares démontrant de l’affaiblissement progressif de l’impact réel de ces dispositions.

Le Conseil d’État fait également mention de «pouvoirs réduits» de l’exécutif pendant l’état d’urgence. En effet, cette nouvelle prorogation exclut l’usage de perquisitions administratives rétrécissant de fait les moyens quelque peu exorbitants accordés à l’administration en temps de crise. Rappelons que la perquisition est, avec l’assignation à résidence, l’outil clé de la loi du 3 avril 1955 (Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 32).

Enfin, le Gouvernement n’a proposé qu’une prorogation de deux mois, simplement pour envelopper le Tour de France et l’EURO 2016 de la couverture sécurisante de l’état d’urgence. Cette décision apparaît, pour le lecteur comme pour le juge administratif, comme un assouplissement de la mesure sonnant, peut-être, le glas de l’état d’exception.

Ces trois éléments démontrent l’espoir du Conseil d’État de voir l’application de cette disposition cesser dans les mois qui suivent. Le juge administratif énonce qu’ils sont «bien de nature à conduire à une cessation de cet état» tout en rappelant, encore une fois, que l’état d’urgence «perd son objet, dès lors que s’éloignent les atteintes graves à l’ordre public» ou que sont «mis en œuvre des instruments […] ayant vocation à répondre de façon permanente à la menace qui l’a suscité». Il apparaît clair au terme des quatrième, cinquième et sixième points de l’avis du 28 avril 2016 que le juge administratif appelle le Gouvernement et le législateur à une sortie progressive et maîtrisée de l’état d’urgence.

III. L’empire contre-attaque

Cet espoir du juge administratif n’a pourtant pas été suivi par les faits, ce qui peut être constaté à travers les deux avis suivants, celui du 18 juillet 2016 et le très récent du 8 décembre de la même année.

C’est une actualité particulièrement dense bouleversant encore une fois le pays qui a poussé le Gouvernement et le législateur à réagir fortement. Les attentats du 14 juillet 2016 à Nice[28] ont vu passer la « menace de fantôme » à une menace plus directe, plus tristement palpable. La société civile, la population, a tout de suite demandé une réaction de la part de l’autorité et c’est ainsi, alors que la loi de prorogation précédente avait été celle de la modération, qu’est née la loi n° 2016-987 du 21 juillet qui a été celle de la contre-attaque de l’administration pour relancer plus fortement la dynamique de l’état de crise.

Initialement, le projet de loi prévoyait une prorogation de trois mois de l’état d’urgence mais la loi repoussera à six moi supplémentaires. Le juge administratif constate évidemment la violence de l’actualité avec l’attentat de Nice, mais aussi une «menace terroriste» intense résultant de «la venue d’individus en provenance de zones de combat en Syrie, profitant des filières de migration[29]». Le Conseil d’État, comme pour la première prorogation, n’a besoin d’aucune autre base factuelle que celle des attentats de Nice pour qualifier le «péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public» de sorte que seul cet acte justifie une prorogation de six mois. On peut par ailleurs se poser la question de l’opportunité du quantum alors que les attentats de Paris n’avaient entrainé « que » 3 mois de prorogation.

Le dernier avis en date, celui du 8 décembre 2016, reprend quelque peu la logique du troisième avis mais est dépourvue de l’espoir qu’il, semblait-il, inspirait. Il découle de la menace terroriste «intense», sur de nombreux attentats «commandité à partir du territoire syrien» déjoués par les forces de l’ordre, mais surtout de «l’assassinat d’un prêtre de la paroisse de Saint-Etienne-du-Rouvray» en date du 26 juillet 2016[30]. Néanmoins, de la même manière que dans l’avis du 28 avril, le Conseil d’État vient mettre en relation cette «menace intense» avec un élément d’actualité : la campagne électorale présidentielle et législative. Usant de la même formule, le juge administratif «estime que la conjonction de la menace terroriste persistante d’intensité élevée […] et des campagnes électorales présidentielle et législative caractérise un péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public».

Dans les deux avis, le juge administratif rappelle la nécessité de ne pas banaliser dans le temps l’état de crise par les formules devenues traditionnelles. Néanmoins, le lecteur peut sentir un haussement de ton de la part du juge administratif dans l’expression de la formule suivante au (5) de l’avis du 18 juillet 2016 : «Les menaces durables ou permanentes doivent être traitées, dans le cadre de l’État de droit, par des moyens permanents renforcés par les dispositions résultant des lois récemment promulguées[31]». Là où le Conseil laissait un choix auparavant – la disparition du péril imminent ou l’adoption de moyens appropriés – il se montre ici plus ferme en utilisant une tournure plus affirmative.

Par ailleurs, dans le dernier avis en date, le juge administratif précise plus encore sa position en associant les «instruments permanents de lutte contre le terrorisme» au «projet de loi sur la sécurité publique qui sera prochainement examiné par le Parlement». Il est relativement sain d’imaginer que cette analogie (en plus des propos de Jean-Marc Sauvé à la presse) est l’ultime alerte du Conseil d’État sur les dérives temporelles de l’état d’urgence.

La position du Conseil d’État est complexe sur le sujet de l’état d’urgence. Le pouvoir judiciaire et surtout la plus haute juridiction de l’ordre administratif doivent à la fois garantir les droits et libertés de chacun tout en conciliant ceux-ci avec les questions de protection de l’ordre public. Difficile, dans cette situation de trouver l’équilibre parfait. Les différents épisodes de cette « saga » posent de nombreuses questions annexes que le juge administratif ne traite pas du fait de leur caractère trop politique. Elles sont néanmoins essentielles. Il s’agit de savoir si la société veut vivre perpétuellement sous cet état de crise, si elle n’encoure pas de voir les dispositions de l’exception se transformer en droit commun ou encore si elle est prête à limiter ces libertés pour plus de sécurité. Le danger également est de voir cette « saga » se perpétuer trop longtemps au risque de voir les épisodes se répéter. Ces problématiques ne peuvent obtenir de réponses dans les avis du Conseil d’État, mais poussent à un réveil de la conscience citoyenne que nous appelons de nos vœux.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique administrative 02 ; Art. 108.

[1] Le Monde, Samedi 29 octobre 2016, propos recueillis par Jean-Baptiste Jacquin

[2] Vice-Président du Conseil d’Etat depuis 2006

[3] Quelques exemples : « Etat d’Urgence : les réserves du Conseil d’Etat et les questions sur une nouvelle prolongation » – LeFigaro.fr publié le 19/11/16 ; « Etat d’urgence : le vice-Président du Conseil d’Etat » – Linfo.re publié le 18/11/16 ; « L’Etat d’Urgence : un régime d’urgence qui doit rester exceptionnel » – Village-Justice.com publié le 20/12/16

[4] Nous sommes encore dans le cadre de la guerre d’Algérie

[5] Lettre de l’Assemblée Nationale à Jean-Michel Guérin du 13 novembre 1954 – BB18 4226

[6] François Mitterrand reconnaît sa participation à l’élaboration du dispositif dans des débats à l’Assemblée Nationale le 31 mars 1955

[7] Edition Plon, Coll. Les débats de notre temps, 1964

[8] Plusieurs fois de 1955 à 1962 lors des évènements de la Toussaint Rouge, des mouvements du 13 mai 1958 et du « Putsch des généraux » en 1961. Pour aller plus loin, Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 25

[9] Cela n’aura que peu d’incidence sur le cours de l’histoire

[10] Loi n°85-86 du 25 janvier 1985 relative à l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie et dépendances

[11] Décret n°2005-1386 du 08 novembre 2005 portant application de la loi du 3 avril 1955 ; Loi n°2005-1425 du 18 novembre 2005 prorogeant l’application de la loi du 3 avril 1955

[12] L’utilisation de l’état d’urgence a été vivement critiqué comme une pure action d’opportunité politique visant à mettre en avant le Premier Ministre, Dominique de Villepin, face à son ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy

[13] Loi 2015-1501 du 20 novembre 2015

[14] Loi n°2016-162 du 19 février 2016

[15] Loi n°2016-629 du 20 mai 2016

[16] Article 52 de la Constitution du 22 frimaire an VIII

[17] Conclusion de Jean-Marc Sauvé, « L’Assemblée nationale et les avis du Conseil d’Etat », Assemblée nationale 25 novembre 2016

[18] Il ne s’écarte en fait que très peu de son devoir de réserve puisque les avis explicitent exactement la même idée

[19] Cons. Constit. N°85-187 DC du 25 janvier 1985

[20] CE Ass. 24 mars 2006, Rolin et Boisvert

[21] L’article 1er de la loi du 3 avril 1955 énumère deux situations qui permettent son application, le « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » et des évènements présentant le caractère de « calamité publique »

[22] Au 3 février 2016 – JORF n°0048 du 26 février 2016

[23] 9 décembre 2005 (n°287777) et plus récemment 27 janvier 2016 (n°396220)

[24] Des attentats ont été commis le 22 mars 2016 dans la ville de Bruxelles notamment dans des infrastructures de transports. Deux terroristes ont réalisé un attentat suicide à l’aéroport de la ville et un troisième dans une rame de métro. Ces attentats ont été revendiqués par l’Etat islamique et l’enquête a démontré la collusion entre les auteurs et ceux des attentats de Paris de novembre 2015.

[25] Avec 51 matchs disséminés dans tous le pays et une affluence particulière de spectateurs, notamment étrangers, le facteur risque était très fort

[26] De la même manière, le Tour de France attire beaucoup de spectateurs à travers de tout le pays

[27] Les attentats de Bruxelles, les opérations terroristes à l’étranger, …

[28] A l’issue du feu d’artifice de la fête nationale, un homme a causé la mort de 84 personnes et a fait 286 blessés en percutant la foule à l’aide d’un camion sur la Promenade des Anglais. L’attentat a été revendiqué par le groupe Etat islamique

[29] Le juge administratif fait référence à la « crise des migrants » de fin d’année 2015 qui a vu un grand nombre de réfugiés quitter les zones de guerres pour rejoindre l’espace Schengen

[30] Assassinat revendiqué par le groupe Etat islamique

[31] Loi n°2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement, loi n°2016-339 du 22 mars 2016 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs et loi n°2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lute contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale

   Send article as PDF   
ParJDA

Les « nouvelles » procédures de passation des contrats de concession

Art. 107.

par Mathias AMILHAT,
Maître de conférences en Droit public – Université de Lille

A la différence des changements observables en matière de marchés publics, la réforme de la commande publique marque une véritable rupture avec le droit antérieur en ce qui concerne les contrats de concession. Ces situations disparates au sein même de la réforme ne s’expliquent pas tant par les règles nouvelles qui sont mises en place par l’Ordonnance du 29 janvier 2016 (Ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, JORF du 30 janvier 2016, texte n° 66) et son décret d’application (Décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession, JORF du 2 février 2016, texte 20), mais par le fait que ces textes reposent sur une catégorie de contrats qui était jusque-là une quasi-inconnue pour le droit administratif français.

Il est vrai que ce dernier envisage depuis longtemps un certain nombre de concessions qui vont de la concession de service public à des concessions plus spécifiques, telles que les concessions de plage, d’endigage ou de mines. Pour autant, si la notion de concession peut être considérée comme une notion traditionnelle du droit administratif français, sa définition évolue sous l’effet des nouveaux textes (cf. article de la chronique consacré aux nouvelles notions du droit de la commande publique). Ainsi, l’Ordonnance définit les contrats de concession comme « les contrats conclus par écrit, par lesquels une ou plusieurs autorités concédantes soumises à la présente ordonnance confient l’exécution de travaux ou la gestion d’un service à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l’exploitation de l’ouvrage ou du service, en contrepartie soit du droit d’exploiter l’ouvrage ou le service qui fait l’objet du contrat, soit de ce droit assorti d’un prix » (art. 5). Certes, il n’est pas question des « concessions » en tant que telles mais des « contrats de concession », mais il n’en demeure pas moins que la définition retenue est inédite en ce qu’elle consacre une nouvelle notion majeure du droit des contrats publics à côté de celle de marché public.

Pour autant, l’évolution des catégories et des notions n’épuise pas à elle seule les changements apportés par ces textes. En effet, bien qu’elle s’inscrive dans la logique générale du droit de la commande publique, la nouvelle réglementation applicable aux contrats de concession constitue – en tant que telle – une innovation et mérite donc une attention particulière.

L’ensemble des règles applicables ne pouvant pas raisonnablement être présentées ici, seules certaines d’entre elles seront abordées en distinguant les évolutions affectant la phase préalable au lancement de la procédure et le déroulement de la procédure de passation. Il convient néanmoins d’ores et déjà de préciser que le caractère novateur de ces règles n’est pas exactement le même pour tous les contrats de concession, dans la mesure où ces derniers étant auparavant soumis à des textes épars. Dans la plupart des hypothèses, l’Ordonnance et son décret d’application conduisent donc à une rigidification des procédures. Celle-ci concerne bien évidemment les délégations de service public anciennement soumises aux dispositions de la loi Sapin 1 (Loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, JORF du 30 janvier 1993 p. 1588), mais également d’autres contrats à l’image des contrats de concession de travaux publics qui relevaient de l’Ordonnance de 2009  (Ordonnance n° 2009-864 du 15 juillet 2009 relative aux contrats de concession de travaux publics, JORF du 16 juillet 2009 p. 11853). Pour autant, si les procédures applicables sont largement inspirées du droit des marchés publics, elles doivent être considérées comme mettant en place une réglementation « allégée » par rapport à celle issue de l’Ordonnance « marchés publics » et de son décret d’application.

Les nouvelles règles de la phase préalable à la passation

Avant le lancement de la procédure de passation, les autorités concédantes doivent procéder à une définition préalable de leurs besoins (Ordonnance, art. 27 et 28).

Cette phase était déjà imposée depuis 2009 pour les contrats de concession de travaux mais elle ne concernait pas les délégations de service public. De plus, elle ne remplace pas les obligations spécifiques qui existent en matière de délégations de service public, à l’image du vote obligatoire des assemblées délibérantes sur le principe de toute délégation d’un service public local. En outre, les textes exigent désormais que la définition des besoins par l’autorité concédante soit effectuée en faisant référence à des spécifications techniques et/ ou en termes de performances ou d’exigences fonctionnelles (Ordonnance, art. 30 ; Décret, art. 2). Il s’agit d’une évolution notable par rapport à loi Sapin 1 qui « restait sur ce point très minimaliste » (F. Linditch, « Les contrats de délégation de service public après l’ordonnance du 29 janvier 2016 », Contrats-Marchés publ. 2016, dossier 6), mais également par rapport à l’Ordonnance de 2009. Enfin, comme en matière de marchés publics, cette définition préalable des besoins doit se poursuivre par une estimation de la valeur de la concession (Décret, art. 7 et 8) afin, notamment, de déterminer quelle sera la procédure de passation applicable.

Par ailleurs, le contenu des contrats de concession fait désormais l’objet d’un encadrement au travers de dispositions générales (Ordonnance, art. 30 à 34). Celles-ci permettent notamment d’interdire la prise en charge de prestations étrangères à l’objet de la concession, d’imposer la définition des tarifs à la charge des usagers, ou encore de limiter la durée des contrats de concession.

Enfin, les autorités concédantes se voient reconnaître de nouvelles possibilités inspirées elles aussi du droit des marchés publics. Ces autorités peuvent ainsi décider de constituer des groupements entre elles ou avec des personnes morales de droit privé pour passer conjointement leurs contrats de concession (Ordonnance, art. 26). De plus, elles peuvent également choisir de réserver leurs contrats aux opérateurs économiques qui emploient des travailleurs handicapés ou défavorisés (Ordonnance, art. 29).

La réforme permet ainsi la mise en place d’une phase complète antérieure au lancement de la procédure de passation. Celle-ci se trouve renforcée par rapport aux obligations qui prévalaient avant l’entrée en vigueur des nouveaux textes. Néanmoins, cette phase reste en retrait par rapport à celle imposée en matière de marchés publics, ce qui s’explique par la liberté accrue dont disposent les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices lorsqu’ils agissent en tant qu’autorités concédantes plutôt qu’en tant qu’acheteurs.

Les nouvelles règles de la procédure de passation

Ces nouvelles règles, même si elles s’inscrivent dans le prolongement de la réglementation antérieure et de la jurisprudence du Conseil d’Etat, encadrent assez strictement la procédure de passation des contrats de concession, en dépit de la réaffirmation du principe de la liberté de l’autorité concédante dans l’organisation de cette procédure (Ordonnance, art. 36).

La principale nouveauté résulte de la distinction entre les contrats de concession d’un montant supérieur au seuil européen de 5 225 000 € HT et ceux définis à l’article 10 du décret. Ces derniers correspondent aux contrats de concession dont la valeur estimée est inférieure au seuil européen ou qui, quelle que soit leur valeur, répondent à des objets spécifiques. Il convient donc désormais de distinguer les contrats de concession passés selon une procédure formalisée et ceux passés selon une procédure adaptée. L’alignement sur le droit des marchés publics est, de ce point de vue, particulièrement frappant. Il est d’ailleurs renforcé par la reconnaissance d’une troisième catégorie de contrats de concession : ceux pouvant être conclus sans publicité ni mise en concurrence préalables (Décret, art. 11).

Ces distinctions entraînent la reconnaissance d’obligations de publicité et de mise en concurrence différenciées en fonction de la catégorie à laquelle les contrats de concession passés appartiennent. Des règles minimales – parfois qualifiées de « communes » (O. Didriche, « Les nouvelles règles en matière de passation des contrats de concession au lendemain de l’ordonnance n°2016-65 du 29 janvier 2016 », AJCT 2016, p. 243) – sont ainsi rendues obligatoires pour les contrats de concession passés selon une procédure adaptée, tandis que des règles plus strictes sont imposées pour les contrats passés selon une procédure formalisée. Enfin, seuls les contrats de concession qui ne peuvent être confiés qu’à un opérateur économique déterminé peuvent être passés sans publicité ni mise en concurrence préalable. Cette possibilité est néanmoins étendue – sous conditions – aux hypothèses dans lesquelles aucune candidature ou aucune offre n’a été reçue, ou dans lesquelles seules des candidatures irrecevables ou des offres inappropriées ont été déposées (Décret, art. 11).

Par ailleurs, il convient de souligner qu’au-delà de l’application de règles différentes en fonction de la procédure applicable, d’autres nouveautés inspirées du droit des marchés publics sont consacrées. Parmi celles-ci, et à défaut d’exhaustivité, il est possible d’évoquer la mise en place de mesures plus contraignantes s’agissant des documents de la consultation (Décret, art. 4 et 5), ou encore la distinction entre les interdictions obligatoires et les interdictions facultatives à propos des interdictions de soumissionner (Ordonnance, art. 39 à 42). Ces évolutions permettent davantage encore d’observer le mouvement de rapprochement à l’œuvre du droit des concessions vers le droit des marchés publics.

Ainsi, si la rupture avec le droit antérieur résulte principalement de la consécration de la notion européenne de contrat de concession, le renouvellement ne se limite pas à cet aspect. Il existe en effet bel et bien un nouveau droit des contrats de concession, lequel repose sur un régime juridique précis, proche du droit des marchés publics mais bien plus souple que ce dernier.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; chronique contrats publics 01 ; Art. 107.

   Send article as PDF   
ParJDA

Les « nouvelles » procédures de passation des marchés publics

Art. 106.

par Mathias AMILHAT,
Maître de conférences en Droit public – Université de Lille

Alors même qu’elle est présentée comme marquant « une simplification du droit des marchés publics » (R. Noguellou, « Le nouveau champ d’application du droit des marchés publics », AJDA 2015, p. 1789), la réforme de la commande publique constitue une source d’inquiétudes pour les acheteurs. L’abrogation des anciens textes, et notamment du Code des marchés publics, laisse supposer une véritable révolution de la réglementation applicable que les praticiens doivent d’ores et déjà avoir intégrée.

Pourtant, si l’importance des changements provoqués est incontestable, l’Ordonnance sur les marchés publics (Ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, JORF n°0169 du 24 juillet 2015 p. 12602, texte n° 38) et son Décret d’application (Décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, JORF n°0074 du 27 mars 2016, texte n° 28) ne méritent pas d’être considérés comme des textes révolutionnaires s’agissant des procédures de passation. Ils s’inscrivent en effet dans la continuité de l’ancienne réglementation et pérennisent en réalité en grande partie les dispositions du Code des marchés publics dans sa version pré-abrogation.

L’Ordonnance et son Décret organisent donc des avancées relatives ou « contenues » qui sont observables à la fois du point de vue de la typologie des procédures et au niveau des règles applicables tout au long de la procédure de passation.

Une oscillation entre maintien et renouvellement de la typologie des procédures

Les distinctions entre les différentes procédures de passation utilisables reprennent dans une large mesure le découpage antérieurement applicable sous l’empire du Code des marchés publics. La distinction principale reste donc celle entre les marchés publics passés selon une procédure formalisée et les marchés publics passés en procédure adaptée (Ordonnance, art. 42). Néanmoins, au-delà du maintien de ce découpage, des évolutions sont perceptibles tant en ce qui concerne les hypothèses de recours à la procédure adaptée que s’agissant du choix entre les différentes procédures formalisées. De plus, une nouvelle distinction est désormais imposée avec les marchés négociés sans publicité ni mise en concurrence préalable.

Les différents marchés passés en procédure adaptée

Les hypothèses permettant de recourir à une procédure adaptée évoluent en partie. L’utilisation de cette procédure reste prévue s’agissant des marchés publics pour lesquels la valeur estimée du besoin est inférieure aux seuils européens (Décret, art. 27) mais elle ne concerne plus les « marchés de services » comme le prévoyait le Code des marchés publics. Elle concerne désormais de nouveaux marchés publics de services qualifiés de marchés publics ayant pour objet des services sociaux ou d’autres services spécifiques (Décret, art. 28), ainsi que les marchés publics de services juridiques de représentation (Décret, art. 29). C’est donc principalement la liste des marchés publics pouvant être passés selon une procédure adaptée en raison de leur objet qui évolue par rapport à la réglementation antérieure.

Par ailleurs, il convient de relever que les textes maintiennent la possibilité d’utiliser une procédure adaptée pour la passation de certains lots – habituellement qualifiés de lots de « faible montant » – dans le cadre de marchés publics allotis dont la valeur estimée est supérieure aux seuils des procédures formalisées de passation (Décret, art. 22).

L’autonomisation des marchés négociés sans publicité ni mise en concurrence préalable

Les nouveaux textes n’envisagent plus les marchés négociés sans publicité ni mise en concurrence préalable comme une catégorie particulière de marchés passés en procédure adaptée mais comme une catégorie à part entière (Décret, art. 30). Certains d’entre eux sont d’ailleurs d’ores et déjà envisagés comme des « marchés du troisième type » (F. Linditch, « Les marchés publics répondant à un besoin dont la valeur estimée est inférieure à 25 000 euros HT . – Marchés du troisième type ? », JCP A 2016, 2142). Cette différenciation d’avec les marchés passés en procédure adaptée permet donc de considérer désormais qu’il existe trois catégories de procédures utilisables en matière de marchés publics : les procédures formalisées, les procédures adaptées et les procédures sans publicité ni mise en concurrence préalable. La question reste cependant de savoir si ces dernières méritent véritablement d’être qualifiées de procédures…

Les différentes procédures formalisées reconnues

Le Code des marchés publics prévoyait l’existence de cinq procédures formalisées différentes, tout en faisant de l’appel d’offres la procédure de principe. L’article 42, 1° de l’Ordonnance « marchés publics » consacre quant à lui quatre procédures formalisées : la procédure d’appel d’offres (ouvert ou restreint), la procédure concurrentielle avec négociation, la procédure négociée avec mise en concurrence et la procédure du dialogue compétitif.

La principale évolution résulte de la distinction entre les marchés publics passés par des pouvoirs adjudicateurs et ceux passés par des entités adjudicatrices. Les textes réservent en effet l’utilisation de la procédure concurrentielle avec négociation aux pouvoirs adjudicateurs, tandis que la procédure négociée avec mise en concurrence ne peut être utilisée que par les entités adjudicatrices. Ces dernières sont d’ailleurs les seules à bénéficier d’un véritable choix s’agissant de la procédure formalisée qu’elles souhaitent utiliser : elles peuvent ainsi librement choisir entre l’appel d’offres, la procédure négociée avec mise en concurrence préalable, et le dialogue compétitif. A l’inverse, seule la procédure d’appel d’offres n’est pas soumise à conditions pour les pouvoirs adjudicateurs. Le remplacement de la procédure négociée avec publicité et mise en concurrence par la procédure concurrentielle avec négociation permet de faciliter le recours à la négociation pour les pouvoirs adjudicateurs mais cette possibilité reste enfermée dans des conditions relativement strictes (Décret, art. 25, II).

Enfin, il convient de préciser que le concours et le système d’acquisition dynamique disparaissent de la nomenclature des procédures formalisées de passation mais que leur disparition n’est pas absolue. Le concours est désormais envisagé comme un mode de sélection des candidats dans le cadre d’une procédure de passation (Ordonnance, art. 8), tandis que le système d’acquisition dynamique fait l’objet de dispositions spécifiques parmi les « techniques particulières d’achat » (Décret, art. 81 à 83).

Les évolutions de la typologie des procédures sont donc réelles mais elles ne doivent pas effrayer les acheteurs ni les praticiens : elles ne marquent pas de rupture et correspondent pour l’essentiel à une réorganisation de la réglementation antérieure dans un but de simplification. Or, un constat identique peut être effectué s’agissant du déroulement des procédures de passation.

La consécration de changements nombreux pour le déroulement de la procédure

La procédure de passation des marchés publics obéit à de très nombreuses règles contenues à la fois dans l’Ordonnance et dans son Décret d’application. Celles-ci ne sont pas exactement les mêmes que celles prévues par les anciens articles du Code des marchés publics même si, dans la plupart des hypothèses, elles n’en sont que la reprise ou le prolongement. Ce n’est donc qu’à la marge que de véritables règles novatrices sont consacrées, ce qui n’enlève rien à leur importance. A défaut d’exhaustivité, certaines innovations peuvent être présentées en reprenant la distinction entre les règles applicables en amont de la procédure et celles qui interviennent au cours de cette dernière.

Les règles applicables en amont de la procédure

Parmi les innovations notables, il est tout d’abord possible de préciser que les textes confirment la possibilité de confier la passation des marchés publics à une centrale d’achat (art. 27 de l’Ordonnance) ou de constituer un groupement de commandes (art. 28 de l’Ordonnance) mais en facilitant la possibilité de recourir à de telles structures (S. Braconnier, « Les règles d’attribution des contrats », RFDA 2016, p. 252). De plus, il est désormais également possible de confier la procédure de passation à une entité commune transnationale (art. 29 de l’Ordonnance).

Par ailleurs, l’encadrement de la définition des spécifications techniques évolue légèrement : il existe désormais une liste hiérarchisée des normes susceptibles d’être utilisées pour cette définition (art. 6, II du décret). La hiérarchisation va des normes nationales ne faisant que transposer des normes européennes jusqu’aux spécifications techniques exclusivement nationales. Le Décret innove également en prévoyant la possibilité d’utiliser des labels parmi les spécifications techniques (art. 10) ou d’imposer la fourniture de rapports d’essai ou de certificats pour démontrer la conformité de la candidature aux spécifications techniques (art. 11). Cette possibilité doit notamment permettre une prise en compte accrue des considérations sociales et environnementales mais des doutes persistent sur l’efficacité de ces nouvelles dispositions (P. Idoux, « Les considérations sociales et environnementales », RFDA 2016, p. 260).

D’autre part, dès le début de la phase de définition préalable des besoins, il est désormais possible de procéder à des études et à des échanges préalables avec des opérateurs économiques pour aider l’acheteur à préciser son projet (Décret, art. 4). Les acheteurs doivent néanmoins être vigilants quant à l’utilisation de cette possibilité car la participation préalable d’un opérateur économique à la préparation de la procédure pourra conduire à son exclusion si persiste un risque de fausser la concurrence (Décret, art.5).

Enfin, les nouveaux textes modifient et étendent la possibilité de réserver certains marchés publics soit en faveur des opérateurs économiques qui emploient des travailleurs handicapés ou défavorisés (art. 36 de l’Ordonnance), soit en faveur des entreprises de l’économie sociale et solidaire (art. 37 de l’Ordonnance).

Les règles applicables au cours de la procédure

Les grandes lignes demeurent mais, à l’intérieur des différentes phases de la procédure de passation, certaines règles évoluent.

Parmi ces évolutions, il est tout d’abord possible de relever que, dès le lancement de la procédure, une évaluation préalable du mode de réalisation du projet est imposée pour les marchés publics dont le montant est supérieur à 100 millions d’euros HT (Ordonnance, art. 40).

Par ailleurs, des obligations plus strictes sont imposées en matière d’allotissement. Désormais tous les acheteurs sont en effet soumis à l’obligation d’allotir, ce qui inclut les acheteurs qui ne relevaient pas du Code des marchés publics mais de l’Ordonnance du 6 juin 2005. En revanche si la formulation des exceptions à l’obligation d’allotir évolue, elles ne devraient pas sensiblement évoluer en pratique (Ordonnance, art. 32).

Parmi les contraintes nouvelles qui pèsent sur les acheteurs, il est également possible d’évoquer l’obligation progressive de recourir à des communications et des échanges d’informations par voie électronique (Décret, art. 40 et 41).

En sens inverse, les nouveaux textes développent le pouvoir reconnu aux acheteurs quant aux interdictions de soumissionner en distinguant des interdictions de soumissionner obligatoires et générales et des interdictions facultatives (Ordonnance, art. 45 à 49). En effet, si les interdictions obligatoires correspondent à la liste qui existait déjà dans le code des marchés publics, l’ordonnance introduit une possibilité de dérogation. Surtout, les interdictions facultatives constituent une véritable nouveauté pour les acheteurs qui vont désormais pouvoir écarter des candidatures pour des motifs spécifiques, mais uniquement s’ils le souhaitent.

Enfin, il est nécessaire de relever que des obligations nouvelles sont consacrées s’agissant de l’information des concurrents évincés, en particulier dans le cadre des marchés passés en procédure adaptée. Dans le cadre de tels marchés l’acheteur doit ainsi notifier à chaque candidat ou soumissionnaire concerné le rejet de sa candidature ou de son offre dès qu’il décide de rejeter une candidature ou une offre (Décret, art. 99).

Cette liste des différentes évolutions est nécessairement lacunaire et d’autres mériteraient d’être évoquées (réduction des délais minimaux de réception des candidatures et des offres, nouvelles possibilités de régularisation des offres, possibilité d’utiliser un critère unique différent du prix pour l’attribution…). Elle démontre cependant que, loin de « simplifier » immédiatement la vie des acheteurs, la réforme introduit un nombre important de nouveautés qui ne pourront produire des effets bénéfiques qu’après un nécessaire temps d’adaptation.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; chronique contrats publics 01 ; Art. 106.

   Send article as PDF   
ParJDA

La notion de contrat administratif face au nouveau droit de la commande publique : réflexions sur quelques évolutions récentes

Art. 105.

par Mathias AMILHAT,
Maître de conférences en Droit public – Université de Lille

La mise en place d’un véritable droit de la commande publique est saluée comme une avancée nécessaire allant dans le sens d’une simplification du droit applicable (v. notamment : F. Llorens et P. Soler-Couteaux, « L’abrogation du code des marchés publics par l’ordonnance du 23 juillet 2015 », Contrats-Marchés publ. 2015, Repère 9 ; J. Maïa, « Les nouvelles dispositions sur les contrats de la commande publique », RFDA 2016, p. 197). Cette modernisation supposée du droit applicable entraîne la rédaction d’un grand nombre d’études qui ont pour principal objet de déterminer en quoi les nouveaux textes modifient la réglementation applicable. De tels travaux sont nécessaires – et même indispensables – pour les praticiens de la commande publique (la chronique en fait d’ailleurs partiellement état). Pour autant, ces réformes ne doivent pas faire oublier une notion essentielle, celle de contrat administratif.

L’actualité du droit des contrats passés par les personnes publiques ou du champ public révèle en effet un affaiblissement de la notion de contrat administratif, si ce n’est une perte de sens de cette dernière.

Cette notion fait partie de celles qui sont considérées comme des notions structurantes du droit administratif : le contrat administratif n’est pas le moyen d’action « ordinaire » de l’administration mais il est admis que l’administration utilise – ce qu’elle fait de plus en plus – le procédé contractuel pour remplir certaines de ses missions. Certes, le contrat administratif n’est peut-être « pas né contrat » (Y. Gaudemet, « Pour une nouvelle théorie générale du droit des contrats administratifs : mesurer les difficultés d’une entreprise nécessaire », RDP 2010, n°2, p. 313) et la notion de contrat administratif n’est véritablement apparue que par la systématisation et par l’extension du droit applicable aux anciennes concessions (v. notamment : F. Burdeau, Histoire du droit administratif, PUF, 1995. G. Bigot, Introduction historique au droit administratif depuis 1789, PUF, 2002) ; il n’en demeure pas moins que les contrats administratifs sont désormais considérés comme de véritables contrats et que le droit des contrats administratifs est généralement envisagé comme un ensemble relativement structuré.

La question se pose néanmoins de savoir si la notion de contrat administratif mérite réellement toute l’attention dont elle fait l’objet. Il apparaît en effet que les développements jurisprudentiels récents ont conduit cette notion à se recroqueviller sur elle-même, la cantonnant dans des limites extrêmement restrictives (I) tandis que, dans le même temps, la réforme de la commande publique remet en cause sa raison d’être originelle (II).

Une notion enfermée dans ses critères

En tant qu’objet ou outil, le contrat est traditionnellement envisagé et présenté comme un acte de droit privé. Ceci explique que, jusqu’à l’abandon de la distinction entre actes d’autorité et actes de gestion – et en-dehors des qualifications législatives –, tous les contrats de l’administration étaient considérés comme des actes de droit privé, c’est-à-dire comme des contrats de droit commun relevant de la compétence des juridictions judiciaires (A. de Laubadère, Traité théorique et pratique des contrats administratifs, LGDJ 1956, t. 1, spéc. pp. 29-30 ; G. Péquignot, Théorie générale du contrat administratif, Pédone, 1945, spéc. pp. 28-30).

Ce n’est qu’au début du XXème siècle que la notion de contrat administratif est véritablement apparue grâce au travail de systématisation jurisprudentielle réalisé par les auteurs. Elle est alors définie par la mise en œuvre de deux critères cumulatifs de définition. Le premier est un critère organique qui suppose la présence d’une personne publique au contrat ; le second est un critère matériel qui peut alternativement découler du le lien entre le contrat passé et le service public ou de la présence d’une clause exorbitante à l’intérieur dudit contrat. Ces critères sont restés inchangés dans leur formulation, tant et si bien que la doctrine continue « à présenter le contrat administratif comme pouvaient le faire Gaston Jèze ou Georges Péquignot » (F. Brenet, Recherches sur l’évolution du contrat administratif, Thèse, Poitiers, 2002, p. 15).

Pourtant, en dépit de cette permanence de façade, les évolutions jurisprudentielles de ces dernières années impliquent une appréciation toujours plus stricte de ces critères. La politique jurisprudentielle semble donc poursuivre un objectif clair : cantonner la notion de contrat administratif dans des frontières étroites !

Il n’est pas question de revenir ici sur les critères de définition dans leur ensemble – les ouvrages consacrés au droit des contrats administratifs le font parfaitement (v. notamment : H. Hoepffner , Droit des contrats administratifs, Dalloz 2016, pp. 77 et s. ; L. Richer et F. Lichère, Droit des contrats administratifs, LGDJ, 10e éd. 2016, pp. 87 et s. ; ou M. Ubaud-Bergeron, Droit des contrats administratifs, LexisNexis 2015, pp. 89 et s.) – mais d’observer certaines évolutions récentes et marquantes d’un véritable mouvement jurisprudentiel. Celles-ci sont perceptibles à la fois en ce qui concerne le critère organique de définition (A) et en ce qui concerne son critère matériel (B).

A. Une constriction évidente du critère organique

S’agissant du critère organique de définition, ce sont les exceptions admises à la présence d’une personne publique au contrat qui ont été redéfinies pour être moins facilement admises. En effet, si le juge administratif a toujours exigé la présence d’une personne publique au contrat pour qualifier un contrat d’administratif (TC 3 mars 1969, Société Interlait), des exceptions ont été développées pour permettre de considérer certains contrats passés entre deux personnes privées comme étant des contrats administratifs. En-dehors du mandat de droit civil et de l’hypothèse d’une personne privée transparente, deux hypothèses principales étaient jusqu’à récemment considérées comme permettant de pallier l’absence d’une personne publique parmi les parties au contrat : l’existence d’un mandat tacite (CE, sect., 30 mai 1975, Sté d’équipement de la région montpelliéraine : Rec. CE 1975, p. 326. – T. confl., 7 juill. 1975, Cne Agde : Rec. CE 1975, p. 798) ou le fait que le contrat porte sur un objet appartenant « par nature » à l’Etat (TC, 8 juill. 1963, n° 1804, Sté entreprise Peyrot c/ Sté de l’autoroute Estérel Côte d’Azur : Rec. CE 1963, p. 787).

Le mandat tacite reste envisagé parmi les exceptions au critère organique de définition mais le juge est venu restreindre le champ d’application procédant à un véritable « resserrement de la théorie du mandat tacite » (H. Hoepffner, Droit des contrats administratifs, Dalloz 2016, p. 83). Face à un contrat passé entre deux personnes privées, le juge ne vérifie plus la présence d’un faisceau d’indices permettant de considérer que l’un des cocontractants a agi « pour le compte » d’une personne publique, il se contente d’observer si le cocontractant a agi pour son propre compte en se fondant sur l’économie générale du contrat (TC, 16 juin 2014, n°3944, Sté. d’exploitation de la Tour Eiffel, BJCP n° 97/2014, p. 426, concl. N. Escaut, Contrats-Marchés publ. 2014, comm. 220, note P. Devillers ; TC, 9 mars 2015, n° 3992, Sté ASF, Contrats-Marchés publ. 2015, comm. 111, note P. Devillers). Ainsi, si l’action « pour le compte de » reste une hypothèse envisagée parmi les exceptions au critère organique de définition, son champ d’application se trouve étroitement circonscrit. Les hypothèses de qualification jurisprudentielle d’un contrat comme contrat administratif se trouvent ainsi davantage réduites.

Ce mouvement de réduction est conforté par l’abandon de la jurisprudence Peyrot. Désormais, les contrats qui portent sur des travaux routiers ou autoroutiers ne sont plus envisagés comme des contrats administratifs. Contrairement à la solution qui prévalait au travers de la jurisprudence Peyrot, le Tribunal des conflits considère en effet que de tels travaux n’appartiennent pas « par nature à l’Etat » et ne justifient donc pas la qualification administrative du contrat (TC, 9 mars 2015, n° 3984, Rispal c/ Sté ASF ; Contrats-Marchés publ. 2015, comm. 110, note P. Devillers). Cette nouvelle solution peut être considéré comme « une mise en accord du droit avec les faits » (F. Llorens et P. Soler-Couteaux, « Feue la jurisprudence Société Entreprise Peyrot », Contrats-Marchés publ. 2015, repère 4), ce qui justifie qu’elle soit globalement saluée. Pour autant, elle vient mettre fin à l’une des dérogations admises au critère organique de définition des contrats administratifs, comprimant un peu plus la notion de contrat administratif autour de critères d’application stricte.

Or, même si les changements sont d’une ampleur moindre, le critère matériel de définition a lui aussi connu des évolutions dans le sens d’une réduction du champ d’application de la notion de contrat administratif.

B. Une constriction probable du critère matériel

Exception faite de la possibilité de qualifier le contrat en raison de « l’ambiance » de droit public dans laquelle il baigne (concl. M. Rougevin-Baville sur CE, sect., 19 janv. 1973, n°82338, Sté d’exploitation électrique de la Rivière du Sant), ce critère peut alternativement résulter soit de l’objet du contrat, si celui-ci entretient un lien suffisamment étroit avec le service public, soit du contenu du contrat. Or, c’est ce second critère qui a récemment évolué.

Depuis la jurisprudence des granits (CE, 31 juill. 1912, Sté des granits porphyroïdes des Vosges, rec. p. 909, concl. L. Blum), il était admis qu’un contrat devait être qualifié d’administratif lorsqu’il comportait une ou plusieurs clauses exorbitantes du droit commun. La clause exorbitante était alors définie comme une clause illégale ou inusuelle dans les contrats de droit privé (G. Vedel, « Remarques sur la notion de clause exorbitante », in Mélanges A. Mestre, Sirey, 1956, p. 527), tant et si bien qu’une partie de la doctrine considérait que les parties – en présence du critère organique – étaient libres d’insérer ou non de telles clauses dans leurs contrats suivant leur volonté de voir ces derniers qualifiés de contrats administratifs. Le Tribunal des conflits a abandonné cette manière de définir le critère matériel lié au contenu du contrat (TC, 3 oct. 2014, n° 3963, Sté Axa France IARD ; AJDA 2014, p. 2180, chron. J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe ; RFDA 2015, p. 23, note J. Martin). Désormais une clause satisfera le critère matériel de définition si « notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l’exécution du contrat, (elle) implique, dans l’intérêt général, qu’il relève du régime exorbitant des contrats administratifs ». Le Tribunal des conflits ne qualifie plus une telle clause d’exorbitante mais la doctrine semble s’accorder sur la pérennité de cette appellation.

Cette nouvelle définition de la clause exorbitante a pour objectif de clarifier le critère matériel de définition en lui apportant davantage de clarté. Néanmoins, il n’est pas sûr qu’elle soit véritablement plus facile à définir. De plus, parce qu’elle définit la clause exorbitante en faisant référence à deux critères cumulatifs, la notion de clause exorbitante pourrait être davantage circonscrite dans son champ d’application que sous la jurisprudence antérieure (v. notamment A. Basset, « De la clause exorbitante au régime exorbitant du droit commun (à propos de l’arrêt TC, 13 oct. 2014, Sté AXA France IARD) », RDP 2015, p. 869). Bien qu’une telle approche ne soit pas confirmée, il reste certain que le Tribunal des conflits, par sa novation jurisprudentielle, n’a aucunement souhaité étendre le champ d’application de la notion de contrat administratif : au mieux, cette solution permettra un maintien des hypothèses de qualification antérieures.

Les jurisprudences récentes portant sur la notion de contrat administratif vont ainsi clairement dans le sens d’une réduction du champ d’application de cette notion. Ce mouvement peut être félicité pour sa cohérence et son souci de simplification, il n’en demeure pas moins qu’il semble éloigner davantage encore la notion de contrat administratif de la réalité et des fondements même de son existence.

Une notion remise en cause

La réforme de la commande publique ne place pas la notion de contrat administratif au cœur des préoccupations du droit contemporain des contrats passés par les personnes publiques. Elle s’intéresse en effet à des contrats – pouvant être considérés comme des contrats nommés – qui peuvent être regroupés sous l’appellation de « contrats de la commande publique ». Ces derniers se subdivisent en deux catégories principales : les marchés publics et les contrats de concession.

La qualification d’un contrat comme marché public ou comme contrat de concession est indépendante de sa qualification comme contrat administratif ou contrat de droit privé. Cette situation s’explique aisément dans la mesure où les notions consacrées de marché public et de contrat de concession sont directement reprises des directives européennes, lesquelles sont indépendantes des qualifications retenues en droit interne et notamment du statut juridique de droit public ou de droit privé des cocontractants (CJCE, 15 mai 2003, C-214/00, Commission des Communautés européennes c/ Royaume d’Espagne, Europe 2003, comm. 246, obs. D. Ritleng ; CJCE, 13 janvier 2005, C-84/03, Commission des Communautés européennes c/ Royaume d’Espagne, Europe 2005, n°3, p.21, note E. Meisse ; Contrats-Marchés publics 2005, comm. 69, note W. Zimmer).

En raison de ses origines européennes, le nouveau droit de la commande publique se présente donc a priori comme un droit détaché de la qualification de contrat administratif. Pourtant il n’en est rien : les nouveaux textes maintiennent artificiellement la qualification de contrat administratif alors même qu’elle n’est pas pertinente du point de vue du régime juridique applicable (A). La notion de contrat administratif apparaît dès lors comme une notion en déclin qui ne répond plus aux exigences à l’origine de sa création (B).

A. Un maintien artificiel par les textes

Les ordonnances « marchés publics » et « concessions » (Ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, JORF n°0169 du 24 juillet 2015 page 12602, texte n° 38 ; Ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, JORF n°0025 du 30 janvier 2016, texte n° 66) font appel à la notion de contrat administratif, en pérennisant et en étendant quelque peu la qualification textuelle opérée par la loi MURCEF s’agissant des contrats relevant du Code des marchés publics.

Elles précisent dans leurs articles 3 que les marchés publics et les contrats de concession relevant de ces textes et « passés par des personnes morales de droit public sont des contrats administratifs ». De ce point de vue, il est possible de considérer que la réforme de la commande publique renforce la place du critère organique dans la distinction entre les contrats administratifs et les contrats de droit privé (M. Ubaud-Bergeron, « Le champ d’application organique des nouvelles dispositions », RFDA 2016, p. 218). Les nouveaux textes lient en effet la qualification de contrat administratif des marchés et des concessions à la personnalité publique de l’autorité contractante.

Cette référence à la qualification de contrat administratif dès les premiers articles des ordonnances – alors même que les directives européennes sont indifférentes à une telle qualification et n’y font aucunement référence – apparaît comme une volonté du « législateur » français, au sens large du terme, de ne pas bouleverser les qualifications antérieures. Cette qualification s’explique donc mais elle peut être questionnée quant à sa pertinence : l’étude des nouveaux textes laisse clairement apparaître que cette qualification n’a aucune incidence sur les régimes juridiques établis par les ordonnances et par leurs décrets d’application. Cette affirmation est vérifiable tant en ce qui concerne les contrats de concession que s’agissant des marchés publics.

Ainsi, les textes relatifs aux contrats de concession ne comportent pas de dispositions spécifiquement applicables aux contrats qualifiés de contrats administratifs. Les seules distinctions opérantes sont celles effectuées entre les contrats de concession passés par des pouvoirs adjudicateurs et ceux passés par des entités adjudicatrices, celles effectuées en fonction du montant ou de l’objet du contrat, ainsi que celles résultant de la prise en compte de la spécificité des contrats de concession de défense ou de sécurité. Au-delà, le régime juridique applicable aux contrats de concession se révèle être un régime juridique unifié, nonobstant la qualification de contrat administratif ou de contrat de droit privé.

Une même logique se retrouve en matière de marchés publics, alors même que les distinctions opérantes sont encore plus nombreuses. Il est vrai que les textes comportent des dispositions spécifiques applicables aux marchés publics passés par l’Etat, ses établissements publics autres que ceux ayant un caractère industriel et commercial, les collectivités territoriales et les établissements publics locaux. De tels marchés sont, en application de l’article 3 de l’Ordonnance, nécessairement des contrats administratifs. Il est donc tentant de voir dans ces dispositions spécifiques la consécration d’une incidence de la qualification de contrat administratif sur le régime juridique des marchés publics. Il s’agirait cependant d’une erreur : ces dispositions ne concernent pas tous les marchés publics qualifiables de contrats administratifs, l’ordonnance ayant entendu préserver la spécificité des marchés publics passés par les établissements publics industriels et commerciaux de l’Etat. De plus, et en sens inverse, le décret assimile à de tels acheteurs certaines entités comme la Banque de France, l’Académie française, la Caisse des dépôts et consignations, Pôle Emploi ou encore les offices publics de l’habitat (Décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, art. 2). Tous ces acheteurs peuvent dès lors être qualifiés d’acheteurs soumis à un régime juridique essentiellement de droit public par opposition à ceux soumis à un régime juridique principalement de droit privé, dont font partie les établissements publics industriels et commerciaux de l’Etat. Il apparaît ainsi que si la personnalité publique de l’acheteur justifie qu’un marché public soit qualifié de contrat administratif, elle n’a pas d’incidence sur le régime juridique applicable. En réalité, seule la soumission de cet acheteur à un régime juridique essentiellement de droit public pourra avoir une influence sur la réglementation applicable à ses marchés publics.

L’absence d’effets de la qualification de contrat administratif sur le régime juridique des marchés publics et des contrats de concession étant constatée, la question se pose de savoir quelle est actuellement l’utilité réelle de cette qualification.

B. Un maintien aux justifications limitées

Le maintien de la notion de contrat administratif à l’intérieur de la nouvelle réglementation est justifié par deux considérations principales : la nécessité de maintenir la spécificité du régime juridique applicable aux contrats administratifs s’agissant de leur exécution et, surtout, la préservation de la répartition des compétences juridictionnelles entre le juge administratif et le juge judiciaire.

Ce serait donc tout d’abord pour permettre l’application des règles spécifiques s’agissant des droits et des devoirs des cocontractants que la qualification de contrat administratif serait maintenue. Il s’agit, selon la présentation classiquement retenu, des pouvoirs de contrôle, de modification unilatérale, de résiliation unilatérale dont dispose l’administration lorsqu’elle est partie à un contrat ; ces pouvoirs étant contrebalancés par le droit du cocontractant au paiement des prestations réalisées et à l’équilibre contractuel (G. Jèze, Les contrats administratifs de l’Etat, des départements, des communes et des établissements publics, Giard, tome II, 1932, pp. 365 et s. ; G. Péquignot, op. cit., pp. 306 et s.). Néanmoins, l’application de ces principes permet difficilement de justifier la prise en compte de la qualification de contrat administratif parmi les marchés publics et les contrats de concession. Pour la plupart d’entre eux, il apparaît en effet que le régime juridique des marchés publics et des contrats de concession prévoit soit par lui-même l’application de ces droits et devoirs – c’est généralement le cas des pouvoirs de contrôle et de sanction – ; soit limite les possibilités d’application de ces derniers – la réforme permet ainsi de se questionner sur la possibilité de mettre en œuvre les théories de l’imprévision, des sujétions imprévues, du fait du prince, ou de la force majeure (en ce sens, v. notamment H. Hoepffner , op. cit., p. 414).

C’est donc davantage du côté de la répartition des compétences juridictionnelles que doit être recherchée la justification du maintien de la qualification de contrat administratif à l’intérieur de la réglementation applicable aux marchés publics et aux contrats de concession. Le pouvoir réglementaire – intervenant par ordonnances –  n’a ainsi pas souhaité heurter la répartition des compétences juridictionnelles entre le juge administratif et le juge judiciaire. Les notions de marché public et de contrat de concession acquièrent donc une certaine unité par la soumission de l’ensemble des contrats qualifiables comme tels à des règles communes mais le traitement contentieux des litiges relatifs à ces contrats reste « éclaté » entre les deux ordres de juridiction. Toutefois, en-dehors des hypothèses de divergence de jurisprudence, cette dispersion n’aura pas d’effet sur l’unité du droit de la commande publique.

Pour autant, ces évolutions interrogent quant au rôle de la notion de contrat administratif. Cette notion a été développée pour permettre l’application d’un régime juridique spécifique – empreint de puissance publique – à certains contrats afin de permettre la bonne réalisation des activités de service public. Or, désormais, la plupart de ces contrats relèvent du nouveau droit de la commande publique et se trouvent soumis à des règles identiques à celles applicables à certains contrats de droit privé passés par des personnes publiques ou du « champ public ». De plus, l’exécution de ces contrats est elle aussi encadrée par les nouveaux textes : cela empêche en partie leur soumission aux règles générales applicables en matière de contrats administratifs, tout en les soumettant ici encore à des règles qui sont également applicables aux contrats de droit privé de la commande publique.

Les contrats administratifs de la commande publique perdent ainsi la fameuse « singularité » qui justifiait originellement de distinguer les contrats administratifs des contrats de droit privé de l’administration (sur cette singularité, v. notamment F.-X. Fort, « Les aspects administratifs de la liberté contractuelle », in G. Clamour et M. Ubaud-Bergeron (dir.), Contrats publics Mélanges en l’honneur du Professeur Michel Guibal, Presses de la Faculté de droit de Montpellier 2006, vol. 1, pp. 27 et s).

Ces évolutions fragilisent encore davantage la théorie générale des contrats administratifs et vont dans le sens de la reconnaissance d’une théorie générale des contrats administratifs spéciaux (F. Brenet, Recherches sur l’évolution du contrat administratif, op. cit. ; « La théorie du contrat, évolutions récentes », AJDA 2003, p. 919 ; Traité de droit administratif, Dalloz, p. 263). Elles permettent également d’envisager la mise en place d’une nouvelle théorie générale fondée sur l’existence de règles communes aux contrats publics.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; chronique contrats publics 01 ; Art. 105.

   Send article as PDF   
ParJDA

Les nouvelles notions du « nouveau » droit de la commande publique (I)

Art. 104.

par Mathias AMILHAT,
Maître de conférences en Droit public – Université de Lille

Avec l’adoption des Ordonnances marchés publics et concessions (Ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics et Ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession), mais aussi de leurs décrets d’application (Décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics et Décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession), un « nouveau droit de la commande publique » est venu remplacer la réglementation préexistante.

L’idée même d’un droit de la commande publique n’a été que tardivement consacrée. En tant que notion, la commande publique apparaît pour la première fois dans l’ancien code des marchés publics de 1964, avant d’être reprise à l’article 1er du Code des marchés publics de 2001. Ce dernier consacrait l’existence de « principes de la commande publique » mais qui ne concernaient que les marchés publics passés en application du code. La commande publique n’était alors envisagée que comme une « formule à la mode, d’autant plus en vogue qu’elle est vague » (P. Delvolvé, « Le partenariat public-privé et les principes de la commande publique », RDI 2003, p. 481). C’est le Conseil constitutionnel qui, le premier, va reconnaître l’existence d’un « droit commun de la commande publique » (Cons. const., 26 juin 2003, déc. n°2003-473 DC, loi habilitant le gouvernement à simplifier le droit, JORF du 3 juillet 2003, p. 11205). Pour autant, ce droit restait essentiellement envisagé d’un point de vue doctrinal et faisait l’objet de nombreuses interrogations (v. notamment : P. Delvolvé, « Constitution et contrats publics », in Mélanges F. Moderne, Dalloz 2004, p. 469 et s. ; P. Delvolvé, « Le partenariat public-privé et les principes de la commande publique », RDI 2003, p. 481 ; J-D Dreyfus et B. Basset, « Autour de la notion de « droit commun de la commande publique » », AJDA 2004, p. 2256; Y. Gaudemet, « La commande publique et le partenariat public-privé : quelques mots de synthèse », RDI 2003, p. 534 ; ou encore F. Llorens, « Typologie des contrats de la commande publique », Contrats-Marchés publ. 2005, étude 7). De plus, il reposait sur des textes épars : le Code des marchés publics, l’Ordonnance du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics, la loi Sapin pour les délégations de service public (articles 38 et suivants), l’Ordonnance du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat ou encore l’Ordonnance du 15 juillet 2009 relative aux contrats de concession de travaux publics…

Ces difficultés – et la nécessité de transposer les nouvelles directives européennes – ont conduit à l’abrogation de ces différents textes par les Ordonnances « marchés publics » et « contrats de concession ». Avec leurs décrets d’application, celles-ci ont pour vocation de constituer le socle du nouveau droit commun de la commande publique. La loi Sapin 2 prévoit d’ailleurs l’adoption d’un futur Code de la commande publique par ordonnance (dans un délai de 24 mois à compter de la publication la loi), lequel devra regrouper et organiser « les règles relatives aux différents contrats de la commande publique qui s’analysent, au sens du droit de l’Union européenne, comme des marchés publics et des contrats de concession ».

Or, loin de se contenter de regrouper et d’harmoniser les réglementations préexistantes, ce nouveau droit de la commande publique repose sur des notions nouvelles, directement inspirées par le droit de l’Union européenne.

Deux notions fondamentales pour deux catégories de contrats : les marchés publics et les contrats de concession

Le droit français a (enfin !) fait le choix de reprendre la classification binaire opérée par le droit de l’Union européenne en distinguant deux catégories générales de contrats à l’intérieur du droit de la commande publique. Tous les contrats passés par des pouvoirs adjudicateurs ou par des entités adjudicatrices pour répondre à leurs besoins en termes de fournitures, de travaux ou de services sont donc désormais envisagés comme étant soit des marchés publics, soit des contrats de concession.

Les marchés publics

L’alignement du droit français sur le droit de l’Union européenne passe, en premier lieu, par la notion de marché public, laquelle fait l’objet d’une définition renouvelée. En réalité, l’article 4 de l’Ordonnance du 23 juillet 2015 distingue trois catégories de marchés publics : les marchés, les accords-cadres et les marchés de partenariat. Les marchés publics sont donc des contrats – qui peuvent être des marchés, des accords-cadres ou des marchés de partenariat – passés par un ou plusieurs acheteurs soumis à l’ordonnance avec un ou plusieurs opérateurs économiques. La définition du marché public telle qu’elle figurait dans le code des marchés publics est désormais reprise s’agissant des seuls « marchés », même si ces derniers bénéficient d’un champ d’application plus large. Sont des marchés, tous « les contrats conclus à titre onéreux par un ou plusieurs acheteurs soumis à la présente ordonnance avec un ou plusieurs opérateurs économiques, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services ».

Ce nouveau triptyque à l’intérieur de la catégorie des marchés publics conduit d’ores et déjà à des approximations, les marchés publics étant définis en reprenant la notion de simple marché pour être ensuite distingués des marchés de partenariat. Or, s’il est vrai que tous les marchés publics sont des contrats conclus à titre onéreux par un ou plusieurs acheteurs avec un ou plusieurs opérateurs économiques, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services, définir les marchés publics dans leur ensemble en reprenant la définition des seuls marchés conduit à « oublier » l’un des apports majeurs de la réforme. Il ne faut pas en effet omettre le fait que les marchés de partenariat – qui remplacent les anciens contrats de partenariat public privé – constituent désormais des marchés publics à part entière. L’intérêt de ce regroupement notionnel est de permettre la reconnaissance de règles communes à l’ensemble des marchés publics, ce qui n’empêche pas l’existence de règles spécifiques applicables à certains d’entre eux (notamment les marchés de partenariat). L’unité de la notion européenne de marché public est ainsi reprise en droit interne.

Les contrats de concession

De la même manière, et en second lieu, l’alignement du droit français passe par la consécration pleine et entière de la notion européenne de contrat de concession.

En effet, l’Ordonnance de 2009 sur les contrats de concession de travaux publics avait en partie aligné le droit français sur le droit de l’Union européenne mais elle n’envisageait pas les contrats de concession de services. C’est désormais chose faite au travers de l’article 5 de l’ordonnance du 29 janvier 2016 : celui-ci définit les contrats de concession comme des « contrats conclus par écrit, par lesquels une ou plusieurs autorités concédantes soumises à la présente ordonnance confient l’exécution de travaux ou la gestion d’un service à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l’exploitation de l’ouvrage ou du service, en contrepartie soit du droit d’exploiter l’ouvrage ou le service qui fait l’objet du contrat, soit de ce droit assorti d’un prix ».

 Les marchés publics et les contrats de concession se différencient donc à deux points de vue. Tout d’abord, à la différence des marchés publics, les contrats de concession ne peuvent pas avoir pour objet exclusif des fournitures. Ensuite, et surtout, c’est la prise en charge d’un risque d’exploitation par le concessionnaire qui différencie ces deux catégories de contrats. Ainsi, le risque d’exploitation reçoit une définition conforme aux solutions jurisprudentielles antérieures (et à la définition européenne). Il est en effet précisé que « La part de risque transférée au concessionnaire implique une réelle exposition aux aléas du marché, de sorte que toute perte potentielle supportée par le concessionnaire ne doit pas être purement nominale ou négligeable. Le concessionnaire assume le risque d’exploitation lorsque, dans des conditions d’exploitation normales, il n’est pas assuré d’amortir les investissements ou les coûts qu’il a supportés, liés à l’exploitation de l’ouvrage ou du service ».

La consécration de la notion de concession a pour effet de reléguer la notion de délégation de service public au second plan. Cette notion est désormais intégrée dans la notion plus large de concession. A ce sujet, il convient de préciser que l’ordonnance du 29 janvier 2016 a modifié la définition de la délégation de service public fixée à l’article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales. Elle est dorénavant définie comme « un contrat de concession au sens de l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, conclu par écrit, par lequel une autorité délégante confie la gestion d’un service public à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l’exploitation du service, en contrepartie soit du droit d’exploiter le service qui fait l’objet du contrat, soit de ce droit assorti d’un prix ».

Pour bien comprendre le déclin que connaît la notion de délégation de service public, il est possible de résumer la situation de la manière suivante :

  • Premièrement, les contrats de la commande publique sont soit des marchés publics, soit des contrats de concession.
  • Deuxièmement, lorsqu’ils sont des contrats de concession, ils peuvent être soit des contrats de concession de travaux, soit des contrats de concession de service.
  • Troisièmement, s’ils sont des contrats de concession de services, ils peuvent avoir pour objet de déléguer de simples services ou des services publics.

Ce n’est donc que dans cette dernière hypothèse qu’un contrat de la commande publique pourra être qualifié de délégation de service public. La notion de délégation de service public apparaît dès lors comme une notion résiduelle à laquelle seules les collectivités territoriales devraient faire appel.

Au-delà de la consécration de la summa divisio marchés publics / contrats de concession (G. Alberton, « Vers une inévitable refonte du droit français des contrats publics sous l’effet des exigences communautaires ? », in Contrats publics, Mélanges en l’honneur du Professeur Michel Guibal, Presses de la Faculté de droit de Montpellier, 2006, p. 776), le renouvellement notionnel opéré par le nouveau droit de la commande publique repose également sur une nouvelle manière d’appréhender les personnes dont les besoins vont être satisfaits grâce à l’exécution de ces contrats.

Une appréhension renouvelée de la personne à satisfaire par le contrat : les notions d’acheteur et d’autorité concédante

Le champ d’application organique du nouveau droit de la commande publique repose sur deux notions nouvelles : celle d’acheteur pour les marchés publics et celle d’autorité concédante pour les contrats de concession. Ces notions ne sont pas reprises du droit de l’Union européenne mais elles ont pour fonction de permettre un alignement du droit français de la commande publique sur le droit de l’Union applicable en la matière (M. Ubaud-Bergeron, « Le champ d’application organique des nouvelles dispositions », RFDA 2016, p. 218).

Les acheteurs et les autorités concédantes sont en effet définis comme regroupant les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices. Ces notions reçoivent des définitions similaires au travers des deux ordonnances (article 10 de l’Ordonnance sur les marchés publics et article 9 de l’Ordonnance sur les contrats de concession). La notion de pouvoir adjudicateur regroupe l’ensemble des personnes morales de droit public, les personnes morales de droit privé qui peuvent être considérées comme des organismes de droit public au sens du droit de l’Union européenne (même si cette appellation n’est pas reprise), ainsi que les organismes constitués par des pouvoirs adjudicateurs en vue de réaliser certaines activités en commun. Les entités adjudicatrices peuvent quant à elle être définies comme regroupant l’ensemble des pouvoirs adjudicateurs lorsqu’ils exercent une activité de réseau (article 11 de l’Ordonnance sur les marchés publics et article 10 de l’Ordonnance sur les contrats de concession).

Ces évolutions notionnelles permettent d’opérer deux constats.

Tout d’abord, les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices sont envisagés au travers d’un même texte et sont tous susceptibles de conclure des marchés publics ou des contrats de concession. La distinction entre les personnes publiques et les personnes privées n’est donc plus opérante, sauf pour déterminer si les contrats en cause sont ou non des contrats administratifs par détermination de la loi (art. 4 de l’Ordonnance sur les marchés publics et article 3 de l’Ordonnance sur les contrats de concession).

Par ailleurs, contrairement à ce que prévoyait le Code des marchés publics, l’Ordonnance sur les marchés publics n’exclut pas de son champ d’application les marchés publics passés par les établissements publics industriels et commerciaux de l’Etat ou par certaines personnes privées (anciennement soumis à l’Ordonnance du 6 juin 2005). Désormais tous les établissements publics de l’Etat sont envisagés comme des pouvoirs adjudicateurs en tant que personnes morales de droit public. Le droit des marchés publics est donc unifié au travers des nouveaux textes, mais cela n’empêche pas le maintien de régimes juridiques en partie différenciés. Les marchés publics passés par les établissements publics industriels et commerciaux de l’Etat ne sont pas toujours soumis aux mêmes règles que ceux passés par les autres personnes publiques. En réalité, pour la passation de leurs marchés publics, les établissements publics industriels et commerciaux de l’Etat sont assimilés aux personnes privées qui passent des marchés publics.

L’unification du régime juridique reste donc toute relative et, de ce point de vue, les textes procèdent davantage à un regroupement des différents marchés publics.

Enfin, il convient de préciser que le bouleversement notionnel provoqué par la nouvelle réglementation ne s’arrête pas aux notions de marché public, de concession, d’acheteur et d’autorité concédante. Un grand nombre de notions employées par le droit de la commande publique sont en effet apparues au travers des nouveaux textes (notions de marché de partenariat, de coût du cycle de vie, d’unité fonctionnelle…). Il n’en demeure pas moins qu’elles constituent les notions « phares » de ce nouveau droit et permettent d’envisager une systématisation progressive de la matière.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; chronique contrats publics 01 ; Art. 104.

   Send article as PDF   
ParJDA

Le JDA annonce la réforme du CJA !

par Lucie SOURZAT,
ATER en Droit public – Université Toulouse 1 Capitole

Art. 100.

Le décret n°2016-1480 du 2 novembre 2016
portant modification du code de justice administrative :
une volonté affirmée d’allégement des juridictions administratives

Le décret  n°2016-1480 du 2 novembre 2016 prévoit plusieurs dispositions réformant le contentieux administratif. Il semblerait que la plupart des mesures visent non seulement à alléger les juridictions administratives, mais surtout à rationnaliser les recours formés devant elles.

La plus flagrante de ces modifications concerne surement le domaine du contentieux des travaux publics. En effet l’ancien article R.421-1 du Code de justice administrative dispensait exceptionnellement la victime d’un dommage de travaux publics, y compris en matière de contrats de travaux publics, d’une obligation de former un recours administratif préalable obligatoire auprès de l’administration concernée. Ainsi il était possible de saisir directement le juge administratif d’un recours en réparation. À partir du 1er janvier 2017 tel ne sera plus le cas. Les requérants concernés par un dommage de travaux publics auront désormais l’obligation de lier le contentieux en appliquant la règle de la décision préalable avant de saisir le juge pour espérer une indemnité en réparation de leur dommage.

Par ailleurs l’article R.431-3 du Code de justice administrative est lui aussi modifié. Dés le 1er janvier 2017, en cas de contentieux relatif non seulement aux dommages de travaux publics mais aussi aux conventions d’occupation du domaine public ainsi que pour l’appel des contentieux en excès de pouvoir dans le domaine de la fonction publique, les requêtes et les mémoires devront, à peine d’irrecevabilité, être présentés par un avocat. La dispense de ministère d’avocat ne change en revanche pas en matière de contraventions de grande voirie. En outre la même dispense est étendue à l’ensemble des contentieux sociaux tel que le prévoit la nouvelle rédaction de l’article R.431-3.4° disposant que la représentation obligatoire par un avocat n’est pas applicable « aux litiges en matière de pensions, de prestations, allocations ou droits attribués au titre de l’aide ou de l’action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d’emploi, d’emplois réservés et d’indemnisation des rapatriés ».

En matière de contentieux indemnitaire, il ne sera plus possible de saisir la juridiction administrative avant de former une demande préalable auprès de l’administration concernée par la demande, ce que permettait pourtant jusque là la jurisprudence administrative. En effet, sûrement dans un souci de rationalisation du contentieux mais rallongeant de fait la procédure, la requête qui tend au paiement d’une somme d’argent ne sera désormais recevable qu’après l’intervention de la décision de l’administration suite à une demande préalablement formée devant elle.

Par ailleurs toujours en matière de plein contentieux la règle selon laquelle le requérant n’est forclos qu’après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d’une décision expresse de rejet est supprimée. En effet l’article R.421-2 est modifié par l’article 10.3° du décret du 2 novembre 2016. À partir du 1er janvier 2017 le délai de recours de deux mois partira à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet.

En matière, cette fois-ci, de contrats de la commande publique, le nouvel article R.811-1 du Code de justice administrative dispose que le juge ne pourra pas statuer en premier et dernier ressort sur les demandes indemnitaires inférieures à 10.000 euros. Pour rester dans le domaine contractuel, le nouvel article R.312-11 du Code de justice administrative se trouve lui aussi modifié précisant qu’« en matière précontractuelle, contractuelle et quasi contractuelle le tribunal administratif compétent est celui dans lequel se trouve le lieu prévu pour l’exécution du contrat » sauf bien sur si les parties en disposent autrement au sein du contrat ou de ses avenants.

Enfin dans le domaine du contentieux urbanistique, l’article 33 du décret abroge l’article R.600-4 du Code de l’urbanisme. Les anciennes dispositions permettaient en effet au juge, sur une demande motivée en ce sens et devant lequel a été formé un recours contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager, de fixer une date au-delà de laquelle des moyens nouveaux ne peuvent plus être invoqués.

La liste des modifications ici présentées n’est bien sur pas exhaustive. Le focus a été disposé sur les principaux changements qui seront susceptibles d’intéresser notamment les administrés justiciables et leurs avocats à compter du 1er janvier 2017.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; chronique administrative 01 ; Art. 100.

   Send article as PDF   
ParJDA

Observations sous CE, 09 novembre 2016

par Jean-Philippe ORLANDINI,
ATER en Droit public – Université Toulouse 1 Capitole,
Institut Maurice Hauriou

Art. 101.

Pas de responsabilité exclusive de l’État dans l’affaire du Médiator

L’actualité juridique du mois de novembre 2016 éveillera certainement l’intérêt du lecteur intéressé par les problématiques de santé publique et de responsabilité administrative. Au risque de réveiller l’hypocondrie de certains, il est tout d’abord permis de revenir sur la validation par l’assemblée nationale de la création d’un fond spécial relatif à la « Dépakine »[2]. Un amendement voté à l’unanimité le 15 novembre dernier, devrait ainsi permettre à l’une des 14000 femmes concernées par la prise de cet antiépileptique de saisir l’office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam) afin d’obtenir réparation en raison des malformations fœtales intervenues sur environ 10% des enfants. L’existence d’une telle procédure non contentieuse ne saurait toutefois écarter la possibilité offerte aux victimes d’engager une action en responsabilité devant les juridictions ordinaires.

C’est d’ailleurs dans le cadre de cette alternative qu’un autre scandale sanitaire vient de connaître certains développements. Le Conseil d’État vient effet de se prononcer le 9 novembre 2016 dans le cadre plusieurs de recours en responsabilité intentés contre l’État dans le cadre de l’affaire du médiator. La médiatisation de cette affaire ne doit pas empêcher de revenir sur les faits ayant conduit à « l’un des scandales sanitaires les plus graves de ces dernières années »[3]. Initialement mis sur le marché en 1974 afin de traiter certains troubles diabétiques pour les personnes en surpoids, le Médiator, à base de benfluroex, a progressivement été prescrit comme coupe faim. À l’occasion de sa phase de commercialisation certaines études et rapports mettent en évidence dès les années 1980 les risques d’hypertension et de valvulopathies (maladies cardiaques) entrainés par la prise de fenfluramines, molécules proches du benfluorex. Alors qu’il fait l’objet de mesures de retrait dans de nombreux pays européens dès les années 2000, la France tarde à réagir. Malgré une interdiction dans les préparations en pharmacie dès 1995, il faut attendre 2007 pour qu’une première recommandation soit adoptée par l’agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. Alertée une nouvelle fois par les scientifiques, le médicament est finalement retiré du marché le 30 novembre 2009. Entre temps ce sont plus de 145 millions de boites qui ont été vendues à plus de 5 millions de personnes en France. Les différents rapports (CNAM, oct. 2010 ; IGAS, janv. 2011) évoquent entre 500 et 2000 décès qui seraient imputables à ce médicament.

La gravité et l’importance du scandale ont conduit le législateur à créer le 29 juillet 2011  un fond d’indemnisation spécifique. Toutefois cela n’a pas empêché certaines victimes d’engager différentes procédures pénales et administratives. L’action engagée devant les juridictions administratives vise à engager la responsabilité de l’État au titre de ses activités de pharmacovigilance. Cette mission consiste, postérieurement à la phase d’autorisation et de mise sur le marché, à prévenir des risques liés à l’utilisation des médicaments pendant leur commercialisation. Cette compétence a été attribuée à l’AFSAPS devenue en 2001 l’Agence de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM) qui sont des établissements publics.

La particularité de ce contentieux indemnitaire, comme a pu le souligner Jacques Petit, tient à la relation tripartite qui existe entre les victimes (en tant que tiers), l’ANSM et plus largement l’État (en tant que contrôleur) et enfin les laboratoires Servier (en tant que fabricant contrôlé)[4]. Dans ce contexte, le tribunal administratif de Paris par un jugement du 3 juillet 2014[5], confirmé par la cour administrative d’appel de Paris dans un arrêt du 31 juillet 2015[6], concluent à la responsabilité exclusive de l’État.

Le Conseil d’État, saisi à nouveau par les victimes est amené à interpréter les conditions classiques de la responsabilité administrative dans un contexte de « socialisation du risque » en matière médicale. Il confirme d’une part que l’absence de retrait ou de suspension de l’autorisation de mise sur le marché par l’ASNM à partir de 1999 constitue une carence fautive qui incombe exclusivement à l’État (I). Cependant le juge administratif se détache de l’appréciation de l’imputabilité et de la réparation du dommage qui avait été faite en première instance et en appel. Il censure le principe d’une condamnation in solidum au profit d’un partage de responsabilité fondé sur la faute en partie exonératoire des laboratoires Servier (II). Enfin, le juge administratif, dans une approche favorable aux victimes admet le principe d’une réparation du préjudice d’anxiété, sans toutefois en faire bénéficier les requérants (III).

La carence fautive de l’État dans ses activités de pharmacovigilance

Le Conseil d’État, tout comme les juges administratifs en première instance et en appel, écarte l’existence d’un régime de responsabilité fondé sur le risque. Dès lors, en l’absence d’un tel régime qui aurait pu être favorable aux victimes, le juge administratif se fonde sur la faute.

Toute illégalité n’est pas forcément constitutive d’une faute. Au delà de l’existence de certains actes juridiques, les agissements matériels de l’administration peuvent également être constitutifs d’une faute. Il en va ainsi d’erreurs, de retards, de mensonges et même plus largement de carences[7]. Il s’agissait donc pour le juge administratif de déterminer dans quelle mesure le comportement ou plus précisément l’inaction de l’ANSM est susceptible d’être sanctionné.

Le juge administratif, en se fondant sur le code de la santé publique, conditionne le renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché d’un médicament et plus largement son maintien, non pas à la nocivité de ce dernier mais à « l’existence et la gravité d’un risque sanitaire »[8]. Cette appréciation est faite en fonction des données et des connaissances scientifiques du « moment ». Il en résulte une réévaluation constante qui consacre une obligation de prévention qui dépasse le principe de précaution. En s’appuyant sur les différents rapports et enquêtes disponibles[9] le juge administratif, non contredit par le Conseil d’État, considère que la connaissance du danger lié à la prise du médiator était connue et avérée dès l’année 1999 (Cons. 5). Il en résulte que « l’abstention de prendre les mesures adaptées, consistant en la suspension ou le retrait de l’autorisation de mise sur le marché du Mediator, constitue (à partir de cette date) une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat ». Par conséquent, entre 1974, date de l’autorisation de mise sur le marché et 1999, l’ANSM la responsabilité doit être écartée en raison de la méconnaissance d’un tel risque (Cons. 4).

Le Conseil d’État par la mention d’une « faute de nature à engager la responsabilité » renvoie explicitement à l’existence d’une faute simple. Il confirme ainsi le déclin déjà engagé de la faute lourde qui était pourtant classique en la matière. En raison des difficultés de certaines activités administratives, était traditionnellement exigé en matière de santé et plus particulièrement au titre de ses activités de contrôle ou de tutelle[10], une faute « d’une particulière gravité »[11] que l’on trouve aujourd’hui sous l’expression faute lourde[12]. Le Conseil d’État, dans l’arrêt du 9 novembre 2016 amplifie l’abandon de la faute lourde déjà initié en matière de responsabilité administrative depuis les années 1990[13]. Cette démarche favorable aux administrés s’inscrit clairement dans un mouvement plus large de « socialisation du risque »[14].

Le caractère exonératoire de la faute des laboratoires Servier

L’affaire du Médiator, soulève l’articulation des différents liens entre l’ANSM qui intervient au nom de l’État les laboratoires Servier. Il est évident que ces derniers, par leurs agissements ont largement conduit à négliger et cacher les effets néfastes et dangereux liés à la prise du médicament qui étaient pourtant déjà connus. Ils ont de fait contribué de manière certaine à entretenir le doute quand à la nécessité de retirer ou de suspendre l’autorisation de mise sur le marché.

De telles données impliquent de savoir si le fait du tiers, implicitement reconnu comme fautif, est de nature à exonérer totalement ou partiellement la responsabilité de l’administration[15]. Si les agissements du fabricant du médicament ont clairement contribué à la réalisation du dommage, ils ne sauraient en être la cause exclusive. Se pose toutefois la question de l’influence du lien et des rapports liés au contrôle exercé par l’ANSM sur les laboratoires Servier. Cette relation est-elle susceptible d’influer sur une telle exonération de responsabilité, même partielle ? La question mérite d’être posée car le juge administratif, conformément à une jurisprudence classique, considère que le caractère fautif du coauteur ne peut être retenu en cas de carence dans l’exercice du pouvoir de police de l’administration[16]. Ceci est d’ailleurs rappelé au considérant n°8[17]. Toutefois le Conseil d’État distingue la relation de « collaboration » de celle de « contrôle ». Le lien contrôleur – contrôlé n’est pas suffisant pour considérer que la faute des deux coauteurs se confond. Il en résulte un partage de responsabilité entre l’État et les laboratoires Servier. La haute juridiction renvoie à la cour administrative d’appel de Paris le soin de préciser la répartition de la charge financière relative à la réparation du dommage à hauteur de la gravité de leurs fautes respectives[18].

Le Conseil d’État se détache ici de l’approche retenue par les juges du fond. L’absence d’éléments précis permettant d’établir le degré de responsabilité de chacun avait conduit à écarter le fait exonératoire au profit d’une condamnation in solidum[19], autrement dit exclusive de l’État, à charge pour ce dernier de se retourner contre le coauteur au moyen d’une action récursoire. Le juge administratif s’alignant sur la position du juge judiciaire et de la jurisprudence du tribunal des conflits, a fini par ouvrir la possibilité aux victimes de faire condamner au choix l’un des coauteurs « à la réparation de l’entier dommage, chacune de ces fautes ayant concouru à le causer tout entier, sans qu’il y ait lieu de tenir compte du partage de responsabilités »[20]. Cette solution participait donc d’une certaine continuité avec la solution dégagée par le Conseil d’État en 1993 lors de l’affaire du « sang contaminé »[21].

Dans ses arrêts du 9 novembre 2016, le Conseil d’État revient donc à une appréciation plus classique des principes de la responsabilité administrative. Bien qu’une telle solution soit moins avantageuse pour la victime, exposée à l’insolvabilité du coauteur privé, elle préserve les deniers publics en évitant que l’administration ne soit condamnée à payer des sommes qu’elle ne doit pas[22].

La reconnaissance de principe du préjudice d’anxiété

L’ampleur de ce scandale sanitaire, tant par le nombre de personnes concernées que par la gravité des pathologies qui s’en sont suivies, a conduit certains requérants en l’absence de pathologie avérée à tout de même invoquer une réparation au titre du préjudice moral subi. Le préjudice moral, en tant que préjudice extra patrimonial tient donc dans un tel contexte une place particulière. Le Conseil d’État considère qu’une personne ayant pris ce médicament « pouvait se prévaloir des inquiétudes qu’elle avait pu nourrir en raison du risque d’apparition d’une telle maladie », « même en l’absence de toute hypertension artérielle pulmonaire diagnostiquée »[23]. Le juge administratif avait déjà fait référence de manière parcellaire à un tel préjudice moral[24] qui a pu être qualifié de « préjudice d’anxiété ». Le Conseil d’État élargi la solution de son arrêt du 27 mai 2015 qui vise à admettre la réparation des « inquiétudes morales » liées à la contamination par le virus de l’hépatite C[25].

Il convient cependant de noter que cette reconnaissance comporte une dimension théorique. Car on sait que le droit à réparation est classiquement subordonné à l’existence d’un préjudice qui doit être direct et certain[26]. D’une part, le Conseil d’État relativise les risques sanitaires et chirurgicaux liés à la prise du benfluorex qui sont « faibles et qui diminuent rapidement dans les mois qui suivent l’arrêt de l’exposition ». D’autre part, « l’absence d’éléments clairs et précis de la réalité des risques encourus » ne permettent pas de faire échec au caractère encore purement éventuel d’un tel préjudice qui ne peut faire l’objet d’aucune réparation[27].

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; chronique administrative 01 ; Art. 101.

= = =

[1] Observations sous, CE, 9 nov. 2016, req. n° 393108 ; CE, 9 nov. 2016, req. n° 393109 ; CE, 9 nov. 2016, req. n° 393902, 393926 ; CE, 9 nov. 2016, req. n° 393904.

[2] J-M. PONTIER, « Dépakine un nouveau fonds », AJDA 2016, p. 2065 ; V. plus largement A. FRANK, Le droit de la responsabilité administrative à l’épreuve des fonds d’indemnisation, L’Harmattan, 2009.

[3] J. PETIT, « L’affaire du Mediator : la responsabilité de l’État », RFDA 2014, p. 1193.

[4] J. PETIT, « L’affaire du Mediator : la responsabilité de l’État », préc.

[5] TA Paris, 3 juill. 2014, « Mme A », req. n° 1312345/6 ; RFDA 2014 p.1193, note J. Petit ; RDSS 2014. 926, note J. Peigné.

[6] CAA Paris, 31 juill. 2015, « Ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes », req. n° 14PA04082, AJDA 2015, p. 1986, concl. F. Roussel ; RDSS 2015, p. 927, obs. J. Peigné.

[7] CE, ass., 3 mars 2004, « Ministre de l’emploi et de la solidarité c/ Consorts Xueref, Thomas, Botella et Bourdignon », req. n° 241153.

[8] F. ROUSSEL, concl. CAA Paris, 31 juill. 2015, préc., AJDA 2015, p. 1986.

[9] V. sur le recours possible à ces différentes sources : CE, ass., 3 mars 2004, « Ministre de l’emploi et de la solidarité c/ Consorts Botella », req. n° 241151 ; CE, ass., 9 avr. 1993, « M. D », req. n° 138653.

[10] CE, ass., 29 mars 1946, « Caisse départementale d’assurances sociales de Meurthe-et-Moselle », req. n° 41916.

[11] CE, 10 mai 1957, « Marbais », D. 1958.190, note F. G.

[12] CE, ass., 28 juin 1968, « Sté mutuelle d’assurances contre les accidents en pharmacie et Sté Établissements Février-Decoisy-Champion », RDP 1969, p. 312, note Waline.

[13] CE, ass., 10 avr. 1992, « Épx V. », Rec. p. 171 ; AJDA 1992, p. 355, concl. H. Legal ; RFDA 1992, p.  571, concl. H. Legal  ; CE sect. 20 juin 1997,  « Theux », Rec. p. 254 ;  RFDA 1998, p. 82, concl. J. – H. Stahl ; D. 1999, p. 46, obs. P. Bon et D. de Béchillon.

[14] Conseil d’État, Rapp. public La socialisation des risques, La Doc. fr., 2005.

[15] CE 23 juin 1916, « Thévenet Joseph », req. n° 52054 ; CE 4 nov. 1929, « Breton », Rec. p. 942.

[16] CE 15 févr. 1974, « Ministre du développement industriel et scientifique c/ Arnaud », req. n° 87119.

[17] Considérant que (…) « l’Etat ne peut s’exonérer de l’obligation de réparer intégralement les préjudices trouvant directement leur cause dans cette faute en invoquant les fautes commises par des personnes publiques ou privées avec lesquelles il collabore étroitement dans le cadre de la mise en oeuvre d’un service public ».

[18] CE, 12 déc. 2012, « Syndicat national des établissements et résidences privées pour les personnes âgées (SYNERPA) », req. n° 350890 ; AJDA 2013, p. 481, concl. M. Vialettes ; Dr. adm. 2013, n° 42, note Guignard.

[19] F. MODERNE, Recherches sur l’obligation « in solidum » dans la jurisprudence administrative, EDCE, 1973.

[20] T. confl., 14 févr. 2000, « Ratinet », req. n° 2929 ; RFDA 2000, p. 1232, note D. Pouyaud ; CE, 2 juill. 2010, « Madranges », req. n° 323890 ; AJDA 2011. 116, note H. Belrhali-Bernard ; ibid. 2010. 1344 ; Dr. adm., n° 135, comm. F. Melleray.

[21] CE, ass., 9 avr. 1993, « M D, M. G, M et Mme B (3 esp.) », req. n° 138653 ; Rec. p. 110, concl. H. Legal ; AJDA 1993, p. 344, chron. C. Maugüé et L. Touvet ; D. 1994, p. 63, obs. P. Terneyre et P. Bon ; ibid. 1993, p. 312, concl. H. Legal; RFDA 1993, p. 583, concl. H. Legal ; JCP 1993, II, p. 22110, note Debouy ; Rev. adm. 1993, p. 561, note Fraissex ; Quto. Jur., 15 juil. 1993. 6, note M. Deguergue.

[22] CE, sect., 19 mars 1971, « Mergui » Rec. p. 235, concl. M. Rougevin-Baville ; CE, sect., 26 juin 1992, « Cne Béthoncourt c/ Cts Barbier », req. n° 114728 ; Rec. p. 268, concl. Le Châtelier

[23] CE, 9 nov. 2016, req. n° 393108.

[24] CAA Marseille, 13 déc. 2011, « Appolinaire c/ min. Défense », req. n° 11MA00738 ; CAA Marseille, 13 déc. 2011, « Aymard », req. n° 11MA00739 ; AJDA 2012, p. 822.

[25] CE, 27 mai 2015, « ONIAM », req. n° 371697 ; AJDA 8 juin 2015, p. 1072 ; RD sanit. soc. 30 juin 2015, p. 548, note D. Cristol.

[26] CE, 21 févr. 2000, « Vogel », req. n° 195207 ; Dr. adm. 2000, comm. 145

[27] V. par ex. : CE, 27 mars 1968, « X », req. n° 68141 ; CE, 12 juill. 1969, « Ville Saint-Quentin », req. n° 72068, n° 72079, n° 72080, n° 72084,

   Send article as PDF   
ParJDA

La (nouvelle) chronique administrative du JDA

Art. 99.

Madame, Monsieur,

Parmi les nouveautés de la deuxième année d’existence du Journal du Droit Administratif, nous sommes heureux de vous annoncer la création d’une nouvelle chronique.

Cette chronique en matière administrative aura les caractéristiques suivantes :

– matériellement elle traitera d’actualité(s) (c’est le propre d’une chronique) diverses en science et droit administratifs et portera notamment sur une veille prétorienne, réglementaire, législative ou même encore doctrinale. Par ailleurs, la chronique proposera tous les mois de revenir sur « une jurisprudence » ayant marqué le ou l’un des mois précédents.

– fonctionnellement, la chronique sera assurée par les doctorants rédacteurs du JDA (Toulousains ou amis de Toulousains !) et sera dirigée (sous la responsabilité du professeur Mathieu Touzeil-Divina, initiateur et rédacteur du Journal) par les quatre doctorants suivants : Quentin Alliez, Abdesslam Djazouli, Jean-Philippe Orlandini & Lucie Sourzat.

Ainsi, si vous êtes doctorant(e), reviendrons-nous vers vous pour participer – si vous le désirez – à cette réunion de rédaction de la chronique du JDA afin de proposer vos articles ainsi que pour choisir (chaque mois) la jurisprudence mensuelle.

Pour cela, vous pouvez vous manifester en écrivant à l’adresse suivante : touzeil.divina@gmail.com  ; vous pouvez également nous rejoindre directement à la prochaine réunion qui se déroulera le vendredi 13 janvier à 18h (bureau AR149) (si possible avec une proposition d’article ou de jurisprudence ayant selon vous marqué le mois de décembre 2016).

Dans l’attente & le plaisir de vous y accueillir,

pour le Journal du Droit Administratif

Quentin Alliez, Abdesslam Djazouli,
Jean-Philippe Orlandini, Lucie Sourzat
&
Mathieu Touzeil-Divina

NB : Vous pourrez retrouver très prochainement sur le site du JDA (et par suite à chaque début de mois) des articles programmés sur les sujets suivants :

– Décembre :  « Le JDA annonce la réforme du CJA — le décret n° 2016-1480 du 02 novembre 2016 ou la volonté affirmée d’allégement des juridictions administratives » (par Lucie Sourzat)

+ veille prétorienne « Pas de responsabilité exclusive de l’État dans l’affaire du Médiator » (par Jean-Philippe Orlandini) (Observations sous, CE, 9 nov. 2016, req. n° 393108 ; CE, 9 nov. 2016, req. n° 393109 ; CE, 9 nov. 2016, req. n° 393902, 393926 ; CE, 9 nov. 2016, req. n° 393904.)

– Janvier : Retours sur la (les) position(s) du Conseil d’État en matière d’État d’Urgence

– Fevrier : L’habilitation donnée au gouvernement d’intervenir par ordonnance en matière d’occupations et de sous occupations du domaine public

– Mars : L’aéroport de Notre-Dame-Des-Landes au contentieux administratif

– Avril : Le contentieux administratif de la laïcité (rétrospective 2016)

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; chronique administrative 01 ; Art. 99.

   Send article as PDF   
ParJDA

Esquisse comparative du CRPA

par Mme Dominique CUSTOS
Professeure à l’Université de Caen Normandie ; Directrice du CRDFED (EA 2132)

La mise en perspective comparative du CRPA débouche inévitablement sur le constat de son caractère tardif. C’est une chose entendue que, le 23 octobre 2015, la France a rejoint, avec un immense retard, le groupe sans cesse grandissant des pays dotés d’un code ou d’une loi générale de procédure administrative. Elle a, à cet égard, enfin brisé son ‘splendide isolement’ (Maud Vialettes, Cécile Barrois de Sarigny, La fabrique d’un code, RFDA 2016). Celui-ci la caractérisait tout d’abord par rapport à ses partenaires au sein de l’UE. En effet, elle s’était notablement tenue à l’écart des vagues de codification des années 1970 (Les noms des pays présentant une codification avant les années 1970 sont soulignés. Slovaquie: (1928, 1967); Pologne 1928, 1960; Allemagne: 1976; Luxembourg: 1978; Finlande: 1982, 2003; Suède: 1986; Danemark: 1987) et 1990 (Italie: 1990; Hongrie: (1957), 1990, 2004; Autriche: (1925), 1991; Portugal: 1991, Janvier 2015; Espagne: (1889, 1958),1992; Pays-Bas: 1994; Grèce: 1999; Lituanie: 1999; Slovénie: 1999; Lettonie: 2001; République Tchèque (1928): 2004; Estonie: (1936), 2001, 2011; Bulgarie: 1970, 1979, 2006; Croatie : 2009 ; France: Octobre 2015) dont le flux, dès 2009, avait érigé les trois-quarts des États-membres en un bloc à procédure administrative codifiée ou à tout le moins consignée dans une loi générale. Elle côtoyait une minorité d’États-membres dépourvus de codification (Belgique, Irlande, Malte (projet de code administratif en 2012), Roumanie, Royaume-Uni (en voie de sécession depuis juin 2016)). Elle s’en est maintenant échappée pour se ranger dans la majorité, place à laquelle son rôle de précurseur et de modèle en matière de codification du droit civil semblait la prédisposer. L’isolement de la France se percevait également en termes mondiaux (Hors de l’UE, en Europe même : Norvège : 1967 et Suisse : 1968, Serbie : 1997). Ainsi, entre le CRPA et l’Administrative Procedure Act par lequel les États-Unis introduisirent en 1946 (La loi est présentée comme : “An Act to improve the administration of justice by prescribing fair administrative procedure”) la première loi générale de procédure administrative de la famille de common law, un écart de 70 ans s’est creusé. De même, presque 50 ans se sont écoulés entre la première codification d’Amérique Latine, celle du Pérou en 1967 (Plus récemment, Pérou: Loi 2744 du 10 Avril 2001. Autre exemple : Chili : 2008), et l’adoption de la codification française. Qui plus est, quand la France se décida à prendre le train en marche en 2015, l’Asie s’y trouvait déjà depuis une vingtaine d’années, avec le Japon et la Corée du sud (1996).

Évidemment, ce constat chronologique doit être nuancé. Les difficultés de gestation de la codification qui, en France étaient liées à une résistance administrative et surtout juridictionnelle, ne sont pas inconnues partout ailleurs. En témoigne l’exemple allemand : une fois que le scepticisme originel de la doctrine fut vaincu en 1960, il a fallu attendre 15 années supplémentaires pour que la loi générale fût adoptée en 1976 (Hermann Punder, German administrative procedure in a comparative perspective: Observations on the path to a transnational ius commune proceduralis in administrative law, 1 CON (2013), Vol 11 N. 4, 940-961. Ici p. 943-944). Par ailleurs, à y regarder de plus près, dès 1964, la France s’était en réalité engagée dans la codification sectorielle de la procédure administrative à travers la publication du code des marchés publics. Enfin, simultanément à l’enlisement du processus de codification générale, une lame de fond, provoquée principalement par des courants européens, travaillait le droit administratif, au point de rééquilibrer la place respective du contrôle juridictionnel et de la procédure administrative dans la garantie de la démocratie administrative en France. L’absence prolongée de codification n’était donc pas synonyme de stagnation des règles elles-mêmes. Précisément, en ce qu’il formalise cette reconfiguration historique du droit administratif français, le CRPA reflète une convergence entre droits administratifs relevant de modèles classiquement considérés comme distincts. Le modèle américain est celui où depuis l’APA de 1946, contrôle juridictionnel et procédure administrative constituent le diptyque fondateur tandis que le modèle continental européen qu’illustrait la France, reposait traditionnellement sur un pilier central, le contrôle juridictionnel. Les implications procédurales de la subjectivisation croissante subie par le modèle de droit romano-germanique lui fournissent un deuxième pilier, et avec cette addition se développe une ressemblance avec le modèle à l’origine opposé. Si le CRPA s’inscrit dans la tendance au développement de l’hybridité juridique portée par la globalisation, il le fait à sa façon et sur un point particulier avec une prometteuse nouveauté. Une esquisse de comparaison avec l’APA américain permet de mettre en relief le CRPA au sein du droit comparé de la procédure administrative.

Du point de vue formel, avec ses 5 livres dans lesquels s’imbriquent des dispositions législatives et réglementaires, le CRPA se présente comme une compilation de grande envergure. Il tranche avec la brièveté de l’APA, lequel, sur une quinzaine de pages, décline seulement 12 sections (Ailleurs ces sections seraient appelées articles) comportant cependant des subdivisions. Alors que le CRPA détaille la marche à suivre à chacune des étapes du dialogue administratif, l’APA se focalise sur l’édiction d’actes par les agences. Il reste que, même si formellement l’APA tient plus d’une succincte loi générale, du point de vue fonctionnel, il se rapproche du CRPA. Il remplit bel et bien le rôle d’un code au service de l’unification de la procédure administrative fédérale.

Du point de vue substantiel, la qualité principale de codification à droit constant du CRPA se distingue du caractère essentiellement réformateur de l’APA (Techniquement, l’APA traite à la fois de procédure administrative et de contentieux. D. Codification of administrative procedure in the United States, in J-B. Auby, Codification of administrative procedure, 2014, p. 387). Alors que le CRPA, en raison de son caractère tardif, essentiellement couronne des règles anciennes et des transformations récentes, l’APA révolutionne les modalités de confection des actes des agences. En cela, la loi américaine marque un tournant aussi bien en droit administratif national qu’en droit administratif comparé. C’est qu’en effet, le CRPA et l’APA relèvent de la ‘seconde génération des modèles de procédure administrative’ (Javier Barnes, Towards a Third Generation of Administrative Procedure,in Comparative Administrative Law, Susan Rose-Ackermann & Peter L. Lindseth, eds. Edward Elgar Publishing, 2010, p. 336). Il s’agit d’une lignée de codification de la procédure administrative qui ne traite pas seulement de la décision individuelle mais couvre aussi l’acte réglementaire. En Europe, avant le CRPA, c’est la voie qu’avaient empruntée les codifications espagnole et portugaise tandis que les codifications allemande, autrichienne et italienne en se concentrant sur l’acte individuel avaient délaissé le règlement. C’est également celle recommandée par ReNUAL en 2014 (The ReNEUAL (Research Network on EU administrative law) Model Rules on EU administrative procedure, 2014) et à laquelle le Parlement européen s’est rallié le 9 juin 2016 (Résolution du Parlement européen du 9 juin 2016 pour une administration de l’Union européenne ouverte, efficace et indépendante (2016/2610(RSP)) : art. 26).

En réalité, en inaugurant cette extension du champ d’application de la codification, l’APA s’est rendu doublement célèbre en raison de l’introduction générale simultanée de la procédure obligatoire de notice-and-comment. La diffusion mondiale du droit de participer à l’édiction de règlements s’est révélée tardive, lente et circonscrite. Le premier pays à avoir emboîter le pas aux États-Unis sur ce point est l’Australie en 1975. Ensuite, le Portugal en 1991, la Corée du Sud en 1996, l’Espagne en 1997 (La Constitution espagnole (art 105 a) prévoit la consultation directe ou indirecte (à travers des associations) en matière réglementaire. La loi basique (applicable à tous les niveaux de gouvernement) du 26 novembre 1992 ne règle pas la question. C’est la loi du 27 novembre 1997 (art. 24) applicable au niveau étatique seulement qui le fait. C. I. Velaso Rico, La participation à l’élaboration des règlements administratifs : le cas espagnol, in J-B. Auby, Droit comparé de la procédure administrative, Bruylant 2016, p. 289), Taiwan en 1999 et la République Tchèque en 2004 ont suivi. Si la convention d’Aarhus de 1998 peut être analysée comme assurant potentiellement à cette forme (obligatoire) américaine de participation du public à l’activité réglementaire une réception dans tous les pays l’ayant ratifiée, en toute hypothèse, celle-ci serait limitée à la matière environnementale. Ainsi il existe en France, un droit constitutionnel à participation en matière environnementale depuis 2010 (Loi Grenelle 2 du 2 juillet 2010, Art. L 120-1 Code de l’environnement).

En revanche, la réception de droit commun du notice-and-comment symbolisée par la loi Warsmann du 17 mai 2011 et insérée dans le CRPA (L 132-1 à R 132-7) est de type minimaliste. En l’occurrence, l’administration dispose d’une faculté d’associer le public. Qui plus est, lorsqu’elle y a recours, elle n’a ni l’obligation de motiver l’acte proprement dit et ni celle d’expliquer son choix final à titre temporaire dans un document distinct, comme cela est exigé d’elle dans le cadre du régime spécifique du droit de valeur constitutionnelle. Clairement, participation et transparence dans le CRPA ne marchent pas de concert, alors que dans l’APA ils constituent un tandem. La modération dont témoigne le CRPA dans la transplantation de la participation du public est un trait de la glocalisation qui est en train de se produire. En l’occurrence, ce phénomène à travers lequel la globalisation s’adapte aux réalités locales se comprend au regard de l’importance des enjeux. À proprement parler, le notice-and-comment véhicule une conception pluraliste et immanente de l’intérêt public (D. Custos, La formulation de l’intérêt public en droit administratif américain, in G. Guglielmi et E. Zoller, l’intérêt général dans les pays de common law et de droit écrit, À paraître) qui est diamétralement opposée à la conception républicaine et transcendante de l’intérêt général léguée par la Révolution française. Compte tenu de ce contexte défavorable, l’intégration de la consultation du public dans le processus français de la décision publique suit un cheminement cahoteux dont vraisemblablement les dispositions afférentes du CRPA marquent une étape intermédiaire.

Outre l’inclusion du règlement dans leur champ d’application, l’APA et le CRPA ont en commun la couverture du droit mou. Dans l’articulation des règles procédurales, l’APA distingue entre les actes obligatoires (legislative or substantive rules) que sont les règlements et les actes non contraignants (non legislative rules). Tout en exigeant la publication du droit mou et tout en le soumettant au droit d’accès aux documents administratifs, il l’exempte du notice-and-comment (Sect. 553 (b) (A)). Cette exemption est un élément-clé de différenciation des régimes juridiques de deux séries d’actes. Le CRPA, quant à lui, régit également le droit souple (Publication des circulaires et instructions: R 332-8  à R 312-9. Définition des actes administratifs unilatéraux décisoires ou décisions qui les distingue des actes administratifs unilatéraux non décisoires : L 200-1). Mieux encore : le libellé de son article L 131-1 qui, pour la première fois, énumère les principes à observer dans l’association facultative du public à l’élaboration des règlements, est tel qu’il embrasse implicitement le droit souple.

Il y a là une prometteuse nouveauté et pour le droit français et pour le droit comparé de la procédure administrative. Alors que le texte de l’APA exempte explicitement le droit mou de l’obligation de faire participer le public, celui du CRPA autorise une interprétation qui permet d’y inclure une telle obligation, du moins si l’administration a préalablement spontanément décidé de recourir à la consultation publique. En effet, l’art. L 131-1 mentionne « l’élaboration d’une réforme, d’un projet ou d’un acte » et non celle d’une « décision » qui est pourtant le terme utilisé dans l’intitulé du titre (3 du livre premier) dans lequel se trouve inséré ledit article. Le choix des mots laisse à penser que le droit souple (S. Saunier, L’association du public aux décisions prises par l’administration, AJDA 2015, p. 2426) est tout autant concerné que le droit dur. Qui plus est, une autre disposition du code conforte l’interprétation large de l’article 131-1, du moins si l’on a le souci d’une interprétation unitaire du code. Ainsi, dans le cadre du livre 2, l’article L. 200-1 distingue les actes administratifs unilatéraux décisoires ou décisions des actes administratifs unilatéraux non décisoires. Évidemment, il revient au Conseil d’État de déterminer l’interprétation à retenir.

Il est à espérer que le Conseil d’État valide une interprétation large de l’article L. 131-1 car celle-ci permettrait au CRPA d’ouvrir une nouvelle lignée parmi les codes de procédure administrative : celle des codes qui, épousant la variété normative des actes de l’administration, soumettent les actes aussi bien de droit souple que ceux de droit dur aux exigences de la participation du public (D. Custos, The French code of administrative procedure: An assessment, in S. Rose-Ackermann and P. Lindseth, Comparative administrative law, 2nd edition, À paraître). Ainsi, par un heureux mariage de la source législative et de la source jurisprudentielle post-codification, loin d’être un simple acte de rattrapage, le CRPA s’avérerait un modèle à part entière. Or, l’opportunité d’un tel positionnement est à saisir en ces temps où le Parlement européen comme ReNUAL militent de façon de plus en plus insistante pour que l’Union européenne se dote d’un code obligatoire de procédure administrative.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 98

   Send article as PDF   
ParJDA

Libres propos sur la loi déontologie d’avril 2016

 par Pascal TOUHARI
Directeur de l’administration générale, Ville de Montreuil
Chargé d’enseignements à l’Université-Paris-Est-Créteil et Sciences-Po Toulouse

Art. 97. Très attendue, c’est le mot qui semble convenir pour parler de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires. En effet, et alors qu’elle alimentait les discussions depuis maintenant bientot 3 ans, la gestation de cette loi fut longue et se donnait pour objectif de venir actualiser le régime juridique applicable aux fonctionnaires, le fameux statut général des fonctionnaires qui datait de 1983.

Très annoncée également. Déjà le 17 juillet 2013, un communiqué de presse du Conseil des ministres venait lancer la démarche entreprise par la ministre de la réforme de l’Etat, de la décentralisation et de la fonction publique qui venait de présenter un projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires. La volonté du gouvernement était claire puisqu’il s’agissait, trente ans après la loi du 13 juillet 1983, d’actualiser et completer les principes fondamentaux du statut général des fonctionnaires. Il s’agissait pour le Gouvernement de « ‘reconnaitre dans la loi l’exemplarité dont les fonctionnaires font preuve au service de l’intérêt général et du redressement du pays ». Pour la première fois, « des valeurs, reconnues par la jurisprudence, qui fondent la spécificité de l’action des agents publics sont consacrées dans la loi : neutralité, impartialité, probité et laïcité ». Le projet de loi renforce également les dispositifs applicables en matière de déontologie et dote ainsi la fonction publique française « d’un modèle parmi les plus innovants ».

En premier lieu, il fait application aux fonctionnaires et aux membres des juridictions administratives et financières des dispositifs de prévention des conflits d’intérêt retenus dans le cadre du projet de loi sur la transparence de la vie publique. Une obligation de prévenir et de faire cesser toute situation de conflit d’intérêts est instituée. Un mécanisme de déport est mis en place et un dispositif de « mandat de gestion » sera rendu obligatoire pour certains agents particulièrement concernés. Enfin, un dispositif de protection des « lanceurs d’alerte » est introduit dans le statut général des fonctionnaires afin de permettre à un agent de bonne foi de signaler l’existence d’un conflit d’intérêt sans crainte d’éventuelles pressions.

En second lieu, les pouvoirs et le champ de compétence de la commission de déontologie de la fonction publique sont étendus à la prévention des conflits d’intérêts et renforcés en ce qui concerne le contrôle des départs vers le secteur privé. Les règles de cumul d’activité sont revisitées de manière à redonner toute sa portée à l’obligation faite aux fonctionnaires de se consacrer intégralement à leurs fonctions. Le projet de loi actualise aussi les garanties et les obligations fondamentales accordées aux agents depuis la loi du 13 juillet 1983. Les positions statutaires sont ainsi simplifiées et harmonisées afin de favoriser la mobilité entre les fonctions publiques de l’Etat, territoriale et hospitalière.

De même, les règles disciplinaires sont unifiées et modernisées. La protection fonctionnelle dont peuvent bénéficier les agents à l’occasion des attaques dont ils sont victimes dans l’exercice de leurs fonctions est renforcée et étendue aux conjoints et enfants lorsqu’ils sont eux-mêmes victimes d’agressions du fait des fonctions de l’agent.

Enfin, un titre spécifique transpose, dans le statut général, les premiers acquis de l’action du Gouvernement en matière d’exemplarité des employeurs publics. Le protocole d’accord du 8 mars 2013 relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, signé par l’unanimité des organisations syndicales représentatives de la fonction publique, est traduit dans la loi. L’obligation de nominations équilibrées dans les postes de cadres dirigeants est étendue et son calendrier anticipé d’un an, conformément aux engagements du Gouvernement.

Près de deux ans plus tard, en juin 2015, un nouveau communiqué de presse du Conseil des ministres annoncent une rectification du projet de loi présenté en 2013. Et c’est en des termes encore élogieux que « le Gouvernement entend consacrer dans la loi les valeurs de la fonction publique et réaffirmer qu’elle constitue l’un des piliers de la République, au service de la continuité de l’action publique et du renforcement de la cohésion du pays. Il entend reconnaître que les agents publics se consacrent, au quotidien, au service de l’intérêt général et rappeler qu’ils doivent se montrer exemplaires dans l’exercice de leurs responsabilités. Le projet de loi rectifié relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires comporte désormais vingt-cinq articles au lieu de cinquante-neuf précédemment. Il est recentré sur les valeurs fondamentales de la fonction publique et le renforcement de la déontologie des agents publics. Ainsi modifié le projet de loi ajoute le devoir d’intégrité aux obligations d’impartialité, de dignité et de probité dans le respect desquels tout agent public doit exercer ses fonctions. Il prévoit que tout agent public doit exercer ses fonctions dans le respect du principe de laïcité, en s’abstenant de manifester dans l’exercice de ses fonctions ses opinions religieuses et en traitant également toutes les personnes, dans le respect de leur liberté de conscience et de leur dignité. Afin de développer au sein des administrations des démarches de prévention en matière de déontologie, le projet de loi investit les chefs de service de la responsabilité de faire connaître et de faire respecter les nouvelles règles déontologiques. Il crée également la fonction de « référent déontologue », dont la mission sera d’apporter aux agents tout conseil utile au respect des principes déontologiques ».

« Recentré sur l’essentiel », le projet de loi devait permettre au Parlement d’en débattre rapidement et « de renforcer l’exemplarité de la fonction publique, porteuse de valeurs républicaines, encadrée par des principes déontologiques, afin de renforcer le lien qui unit les usagers au service public ».

Il aura donc fallu près d’une année pour que le Parlement adopte le projet de loi à l’issue d’une procédure accélérée.

Si la question de la discipline n’était sans doute pas l’élément central de ce projet de loi, il n’en reste pas moins que le Gouvernement avait malgré tout une réelle volonté de rénover le droit disciplinaire pour sécuriser la situation des agents.

Partant du constat que l’action disciplinaire devait être modernisées, le projet de loi se donnait comme objectif de « créer une nouvelle conception de la discipline dans la fonction publique qui conjugue, dans le respect des équilibres existants, de meilleures garanties avec une responsabilisation des autorités à l’occasion »

Si d’aucuns, et depuis de nombreuses années, consacrent leur « liturgie politique » à présenter le statut des fonctionnaires comme « un anachronisme économique et une entrave managériale » (voir l’excellent papier d’A. TAILLEFAIT, « Unité et diversité des régimes disciplinaires dans la fonction publique: la « globalisation disciplinaire » en question », JCP Administrations et collectivités territoriales, n°10-11, 9 mars 2015, 2075) il n’en reste pas moins que le statut, désormais trentenaire, a su évoluer et présente malgré tout, au moins du point de vue de la discipline, un certain nombre de ressemblances avec les autres champs disciplinaires professionnels.

Si des évolutions ont bien eu lieu, il est indéniable que malheureusement, toutes les ambitions initiales n’ont pu aboutir.

Ainsi pour la CGT, « du cheminement chaotique de ce projet de loi, on retiendra le manque d’ambition du gouvernement et de sa majorité pour conforter le statut des agents publics ainsi que la remise en cause, par les élus de droite, de certains droits fondamentaux ». « A la suite du compromis adopté en commission mixte paritaire, il ne reste que peu de chose du projet d’harmonisation statutaire entre les trois versants de la fonction publique annoncé, en 2013, par Marylise Lebranchu »  estime encore le syndicat.

Si la loi déontologie telle qu’elle a été adoptée ne satisfait sans doute pas tout le monde, notamment parce que pour certains elle ne va pas assez loin, elle présente malgré tout un certain nombre de points positifs au premier rang desquels figure l’introduction d’une prescription de l’action disiciplinaire. En effet, jusque-là, les fautes disciplinaires étaient logées à la même enseigne que les crimes contre l’humanité (!!).

Cette reconnaissance d’une prescription de l’action disciplinaire avait été initiée par la jurisprudence et trouve de nombreux exemples à l’étranger, en Allemagne par exemple.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Art. 97.

   Send article as PDF   
ParJDA

Fonction publique et collectivités territoriales

par Cécile MAILLARD
Juriste assurance, SATEC

Fonction publique
& collectivités territoriales

octobre 2016 – 2ème chronique
La présente page est issue de la chronique
collectivités territoriales

Dispositions majeures issues du décret 2015-1912 du 29 décembre 2015 concernant les agents contractuels de la FPT

Art. 96. Le décret n°2015-1912 du 29 décembre 2015 est venu modifier le décret n°88-145 du 15 février 1988 pris pour l’application de l’article 136 de la loi du 26 janvier 1984 concernant le licenciement des agents contractuels. Cet article a également fait l’objet d’une modification par la loi n°2016-483 du 20 avril 2016.

Il vient notamment supprimer le vocable « agents non titulaires » le remplaçant par le terme « agents contractuels » et compléter la liste des agents soumis aux dispositions du décret n°88-145 du 15 février 1988 modifié. L’ensemble des contractuels sont donc désormais pris en compte et notamment les agents contractuels embauchés comme collaborateur d’élus ainsi que les agents recrutés pour remplacer un agent à temps partiel ou indisponibles en raison d’un congé annuel, maladie, maternité ou autre.

Par ailleurs, ce décret pose les conditions de rémunération des agents contractuels à durée indéterminée et fixe les modalités de tenue des entretiens annuels professionnels pour l’ensemble des agents contractuels détaillant au regard de quels critères la valeur professionnelle de l’agent est appréciée.

Il définit, également, le fonctionnement de la période d’essai des agents contractuels et fixe des durées dépendantes de la durée du contrat conclu. Ainsi, la durée de la période d’essai ne peut dépasser 3 semaines, pour un contrat inférieur à 6 mois, 1 mois pour les contrats inférieurs à 1 an, 2 mois, pour les contrats inférieurs à 2 ans, et 3 mois lorsque la durée du contrat est supérieur à 2 ans ou à durée indéterminée. Les modalités de licenciement au cours de la période d’essai (entretien préalable, motivation, absence d’indemnité…) qui n’étaient pas tranchées par le décret n°88-145 sont désormais précisées.

On remarquera la limitation de la prise du congé sans rémunération pour convenance personnelle aux seuls agents contractuels à durée indéterminée. En outre, la mise à disposition des contractuels à durée indéterminée ne peut excéder 3 ans bien que renouvelable dans les mêmes conditions dans la limite de 10 ans.

Ce décret prévoit que l’autorité territoriale à l’expiration du contrat doit délivrer un certificat contenant la date de recrutement de l’agent et celle de la fin de contrat ainsi que les fonctions occupées et la durée effectivement exercée quelle que soit la cause de cette expiration (licenciement, démission, terme…).

On notera l’émergence de nouvelles causes de licenciement du contractuel : outre la possibilité, pour l’administration, de licencier pour insuffisance professionnelle et faute disciplinaire, celle-ci peut licencier pour disparition du besoin ou suppression de l’emploi qui a justifié le recrutement ainsi que pour transformation du besoin ou recrutement d’un fonctionnaire, entre autre cause.

Toutefois, le décret pose des conditions d’impossibilité de reclassement du contractuel (pour certains cas) ; le respect d’un préavis (variable selon la durée du contrat) et l’obligation d’un entretien préalable au licenciement. Il prévoit également, le versement d’une indemnité dans certaines hypothèses.

Il s’agit donc d’un texte majeur qui fait écho aux difficultés rencontrées par certaines collectivités pour la dénonciation des contrats de certains agents,  à la suite de leur recrutement à durée indéterminée. Il est peut-être à déplorer que ces dispositions s’appliquent également aux contractuels dont les contrats ont un terme car cela ne fait qu’augmenter leur précarité. Toutefois, ce décret a le mérite de rendre plus claire certaines dispositions un peu floues sous l’empire du précédent décret (i.e. période d’essai).

Chronique en droit des Collectivités Territoriales

 sous la direction de M. Pascal TOUHARI
Directeur de l’administration générale, Ville de Montreuil
Chargé d’enseignements à l’Université-Paris-Est-Créteil et Sciences-Po Toulouse

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Chronique Collectivités Territoriales – n°02, Art. 96.

   Send article as PDF   
ParJDA

Urbanisme et collectivités territoriales

par Vincent THIBAUD
Docteur en droit public
Juriste, Direction de l’urbanisme, Ville de Montreuil

Urbanisme
& collectivités territoriales

octobre 2016 – 2ème chronique
La présente page est issue de la chronique
collectivités territoriales

Documents d’urbanisme : avez-vous pensé à la « grenellisation » ?

Art. 95. Au 1er janvier 2017, votre PLU pourrait potentiellement être privé d’effets…

Ce sensationnalisme juridique prend pourtant sa source dans une échéance transitoire qu’avait instauré l’article 19, V., de la loi n°2010-788 portant engagement national pour l’environnement (dite aussi « Grenelle II »), amendé à droit constant par la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové du 24 mars 2014, suivant lequel donc les plans locaux d’urbanisme étaient censés intégrer les dispositions grenellisées du code de l’urbanisme, puis donc – toujours à droit constant – « ALURisées » au 1er janvier 2017 (c’est donc le cadeau de la loi ALUR).

Plus précisément à l’aune des dispositions transitoires susévoquées, les PLU approuvés/révisés après le 13 juillet 2013, et/ou dont le projet a été arrêté après le 1er juillet 2012, bénéficient d’une présomption de « grenellisation ».

Les PLU approuvé/révisés entre le 13 janvier 2011 et le 1er juillet 2013 « peuvent avoir été grenellisés » et nécessitent donc une confrontation « au cas par cas » avec les standards d’exigences liés à l’application des objectifs environnementaux.

Avant le 13 janvier 2011 et l’entrée en vigueur de ladite loi ENE ou « Grenelle II », les PLU sont présumés n’être tout simplement pas « grenello-compatibles ».

Sans refaire le balayage de ces innovations législatives, il conviendra néanmoins sur un plan pratique de rappeler que ce que l’on peut qualifier de véritable démarche de « grenellisation » des documents d’urbanisme a eu pour caractéristique de concevoir un nouveau standard de PLU, pas tant sur leur forme stricto sensu, que sur des degrés d’exigences et de contenu affectant ses différentes composantes : PADD et rapport de présentation notamment devant justifier les prescriptions des règlements mis alors en place.

Ainsi, le rapport de présentation et le projet d’aménagement et de développement durables reflètent désormais « l’expression d’un projet articulant des thématiques considérablement élargies et qui traduit l’ambition d’une politique nationale d’urbanisme appliquée à un territoire » (cf. P. SOLER-COUTEAUX, « Le plan local d’urbanisme « Grenelle » : un arbre qui cache la forêt », RDI, n°2, 2011, p.16).

Sans commenter le bien-fondé ou non de cet alourdissement des objectifs législatifs assignés aux documents locaux d’urbanisme, il n’en reste pas moins qu’un certain pragmatisme juridique voit poindre un risque, certes limité mais majeur : au 1er janvier 2017, une demande d’abrogation pure et simple du document en vigueur, dont il serait amené la démonstration qu’il n’intègre pas le Grenelle en son état d’ALUR ; à laquelle l’autorité compétente sur le plan serait nécessairement liée comme il ressort de principes généraux largement acquis en droit administratif (CE Ass., 03/02/1989, Cie Alitalia, n°74052).

La seconde catégorie de risque d’annihilation des effets juridiques des PLU pour ce motif teinté de Grenelle réside dans le contentieux des autorisations d’urbanisme, où serait soulevée là une exception d’illégalité interne non couverte par la limitation d’invocation prévue pour les motifs de procédure figurant à l’article L.600-1 du Code de l’urbanisme.

Mais la mesure du risque ne serait totalement exhaustive si elle ne devait envisager une autre réjouissance législative liée à la fois à la caducité programmée des anciens plans d’occupation des sols (POS) et au transfert « de plein droit » des PLU vers les intercommunalités consacré par la même loi ALUR.

Reprenons dès lors notre hypothèse de fin des effets juridiques d’un PLU, le vide juridique n’étant pas du monde de l’urbanisme, la législation afférente au domaine prévoit justement en principe le retour bien connu au document antérieur. Le raisonnement pourrait donc prendre sa référence dans le désormais article L.600-12 du code de l’urbanisme et la disposition suivant laquelle « l’annulation ou la déclaration d’illégalité d’un schéma de cohérence territoriale, d’un plan local d’urbanisme, d’un document d’urbanisme en tenant lieu ou d’une carte communale a pour effet de remettre en vigueur le schéma de cohérence territoriale, le plan local d’urbanisme, le document d’urbanisme en tenant lieu ou la carte communale immédiatement antérieur ». Comme donc la loi ALUR a fait en sorte que les vieux POS soient désormais définitivement sortis de l’ordonnancement juridique depuis le 1er janvier 2016 (article L.174-1 du code de l’urbanisme au sein de la codification qui a cours depuis d’ailleurs cette même date du 1er janvier 2016), un territoire affecté par une telle hypothèse devrait donc s’en référer au règlement national d’urbanisme pour l’application d’un droit des sols qui fait fort peu de cas des réalités locales et des projets urbains situés – comme son nom (règlement « national »…) l’indique d’ailleurs.

Il convient de relever que des mécanismes d’amortissement ont aussi été prévus par la législation, pour limiter l’effet de seuil que peut revêtir l’application stricte des principes liés à la « grenellisation » des documents d’urbanisme :

– si le territoire en cause n’en est encore qu’au passage d’un plan d’occupation des sols révisé en un plan local d’urbanisme, et que cette procédure de révision a été engagée avant le 31 décembre 2015, le POS est maintenu en vigueur « au plus tard le 26 mars 2017 », soit trois ans après la prise d’effet de la loi ALUR qui prévoit d’ailleurs à l’échéance le transfert du PLU à l’intercommunalité (sauf opposition exprimée dans les conditions fixées au II de l’article 136 de ladite loi du 24 mars 2014) ; et faudrait-il encore être attentif à la compatibilité du document issu de la révision avec les standards environnementaux, car les délais de rédaction s’étirent parfois de façon critique au regard des évolutions législatives constantes en la matière (voir à ce propos les réflexions dubitatives de F. BOUYSSOU, in « Les cinq crises de la planification urbaine », JCP, A., n°25, 23/06/2014, 2199) ;

– si ce territoire envisagé est du ressort d’un établissement public de coopération intercommunale ayant la compétence PLU, l’engagement d’un processus de document pleinement intercommunal (ou dit encore PLUi dans le jargon) permet de repousser l’échéance de vie des documents communaux non « grenello-compatibles », mais encore faut-il que l’adoption du PLUi soit une réalité juridiquement pleinement engagée avec un débat sur les orientations du PADD devant nécessairement avoir lieu avant le 27 mars 2017 (ce qui permet d’assurer une compétence PLUi effective en relation avec le transfert de plein droit prévu par la loi ALUR), et une approbation du PLUi à l’horizon du 1er janvier 2020 ; ce qui signifie donc que l’échéance « Grenelle » prend une « ALUR » plus modérée au 31 décembre 2019 ;

– enfin, la loi ALUR a prévu qu’en cas d’annulation contentieuse d’un PLU intervenant après le 31 décembre 2015, un éventuel POS « immédiatement antérieur » peut être remis en application et faire lui-même l’objet encore d’une révision en un nouveau PLU, ce maintien d’effets juridiques ne pouvant durer au-delà de deux ans, ce qui peut parfois être court pour refondre un document d’urbanisme (certes, une annulation peut aussi porter sur de simples motifs de procédure qui nécessitent simplement de reprendre une enquête publique). Il s’agit là d’une solution très curieuse, car rien n’est dit sur la remise en application d’un PLU antérieur non compatible avec Grenelle et ALUR, dont la caducité à compter du 1er janvier 2017 semble devoir tout de même être constatée dans l’hypothèse décrite ci-dessus et envisagée par l’article L.174-6 du code de l’urbanisme. À force de contorsions et de complexité, le droit de l’urbanisme n’en est pas à une approximation et une contradiction près…

Mais, dans tous les cas, il transparaît de l’ensemble des cas de figure précédemment décrits qu’une entreprise législative systématique, sous des majorités législatives d’ailleurs différentes, est mise en œuvre depuis la promulgation de la loi « Grenelle II ». À ce propos, la loi ALUR n’a fait que renforcer cette dynamique dans le sens de l’établissement définitif du caractère intercommunal des plans locaux d’urbanisme, échelon pertinent pour la mise en œuvre de hauts objectifs de développement durable porté par l’État pour l’ensemble des territoires. Les secousses juridiques n’en seront pas moins grandes pour certains territoires dans un moyen terme… qui ne disposaient pas encore de PLU au niveau des communes, et où la construction intercommunale n’est due qu’aux obligations du législateur de mailler le territoire d’intercommunalités avec un niveau critique de compétences dont relèvent celles en matière de documents d’urbanisme. Un « Grenelle » pour déconstruire et reconstruire à toute « ALUR » un nouvel urbanisme réglementaire, plus vraiment décentralisé, réformé (au sens de la « réforme territoriale ») assurément.

Chronique en droit des Collectivités Territoriales

 sous la direction de M. Pascal TOUHARI
Directeur de l’administration générale, Ville de Montreuil
Chargé d’enseignements à l’Université-Paris-Est-Créteil et Sciences-Po Toulouse

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Chronique Collectivités Territoriales – n°02, Art. 95.

   Send article as PDF   
ParJDA

Commande publique & collectivités territoriales

par Philippe BIGOURDAN
Responsable du Service Achat et Commande Publique (SACOP), Ville de Montreuil

& Hortense TRANCART
Acheteur public

Commande publique
& collectivités territoriales

octobre 2016 – 2ème chronique
La présente page est issue de la chronique
collectivités territoriales

Les PME, grandes gagnantes de la réforme de la commande publique ?

Art. 94. A voir la déclaration aussi ambitieuse que peu réalisable d’Arnaud Montebourg visant à confier 80 % des marchés publics à des PME françaises, on devine aisément qu’en cette période pré-électorale, la bonne santé des PME va, sur le volet économique des déclarations des potentiels candidats, faire partie des sujets favoris de la course à la présidentielle. Les petites et moyennes entreprises représentent 95 % des entreprises françaises, remportent presque 60 % des marchés publics mais seulement 27 % du montant annuel de la commande publique (Rapport 2013 de l’Observatoire économique de l’achat public qui ne prend pas en compte les marchés dont le montant est inférieur à 90 000 € HT). Cela constitue une réelle problématique de développement de l’économie française. Les PME réclament à la fois de la souplesse dans le droit du travail (par exemple, sur les ruptures de contrats) et de la rigidité dans les modalités d’attribution des marchés publics (par exemple, via un mécanisme de quota).

Elles furent, à en croire le Ministère de l’Économie, au cœur du dispositif de la réforme de la commande publique. Ainsi les fédérations professionnelles ont été sollicitées pendant la phase de concertation précédent la transposition des directives européennes relatives aux marchés publics et aux concessions (Directives du 26 février 2014, 2014/24/UE  sur la passation des marchés publics et 2014/23/UE sur l’attribution de contrats de concession).

Ce n’est pas la première fois que le gouvernement tente de moduler sa réglementation en faveur des PME. Au risque de se faire annuler rapidement certaines mesures par le Conseil d’État (n° 297711, 297870, 297892, 297919, 297937, 297955, 298086, 298087, 301171, 301238, SYNDICAT EGF-BTP et autres) : le 9 juillet 2007, la Haute Juridiction estimait qu’en autorisant les pouvoirs adjudicateurs, dans le cadre des procédures d’appel d’offres restreint, de marché négocié et de dialogue compétitif, à fixer un nombre minimal de petites et moyennes entreprises admises à présenter une offre, les dispositions des articles 60, 65 et 67 du code des marchés publics conduisaient nécessairement à faire de la taille des entreprises un critère de sélection des candidatures. Or un tel critère, en ce qu’il n’est pas nécessairement lié à l’objet du marché, revêt un caractère discriminatoire et méconnaît le principe d’égal accès à la commande publique. Les dispositions du code en cause ont par conséquent été annulées.

Cette décision paraissait logique tant les directives européennes, qui constituent le socle de l’ordonnance 2015-899 du 23 juillet 2015 et du décret 2016-360 du 25 mars 2016 relatifs aux marchés publics, sont peu enclines au favoritisme local. Elles sont elles-mêmes soumises à l’Accord sur les marchés publics de l’Organisation Mondiale du Commerce qui pose le principe de non-discrimination entre les fournisseurs.

Aussi le législateur français doit-il assumer une position légèrement schizophrène : un pied dans l’Union européenne et un contexte libéral, l’autre dans un État protectionniste.

A défaut de pouvoir proposer un véritable Small Business Act, les textes nationaux qui réglementent la passation des marchés publics proposent de nombreux outils facilitant l’accès des PME aux marchés publics. Pourtant leur impact souffre en pratique de quelques limites. Quelques mois après la publication du décret marchés publics, petit tour d’horizon des dispositifs actuellement en place.

Allotissement de rigueur et offres variables selon les lots susceptibles d’être obtenus

En premier lieu, la règle de l’allotissement des prestations en familles homogènes ou corps d’état reste le principal outil d’accès des PME à la commande publique. D’abord, parce que son utilisation reste simple, ensuite par son application stricte et contrôlée par le juge. Les pouvoirs adjudicateurs soumis à l’ancien Code des marchés publics devaient s’y soumettre de manière systématique sauf dans des cas dérogatoires, les nouveaux textes l’étendent désormais à l’ensemble des acheteurs.

Toutefois cette consécration de l’allotissement s’accompagne de mesures particulières pour l’attribution de prestations alloties. Ainsi, l’article 32 de l’ordonnance permet à l’acheteur de laisser un candidat remettre des offres variables en fonction du nombre de lots obtenus. On comprend l’intention du législateur. Lorsque plusieurs lots sont attribués à un même titulaire certaines dépenses (comme les installations de chantier sur une opération de travaux) peuvent se voir mutualisées. Aussi est-il dans l’intérêt de l’acheteur de pouvoir bénéficier d’un prix plus compétitif qu’une attribution lot par lot stricto sensu.

Proposant une offre attractive si elles empochent plusieurs lots, le dispositif tendrait à favoriser les structures qui, ayant une assise conséquente et un spectre de compétences plus large, obtiendraient la majeure partie des lots d’une opération. Cela favorise considérablement les grandes entreprises qui peuvent proposer une offre plus basse financièrement. Reste que l’analyse des offres dans de telles situations ne va pas simplifier la tâche de l’acheteur qui souhaitera sans doute recourir à ce dispositif avec parcimonie.

Le texte (article 32 précité) prévoit toutefois que les « acheteurs peuvent limiter le nombre de lots pour lesquels un opérateur économique peut présenter une offre ou le nombre de lots qui peuvent être attribués à un même opérateur économique. » Cette disposition, qui est une application d’une décision du Conseil d’État (CE, 20 février 2013, req. n° 363656), vise expressément à empêcher que les plus grosses sociétés empochent la totalité des parts du gâteau. Elle permet, en ciblant bien le cadre de ce type de restrictions, de laisser un champ plus libre à la compétition entre entreprises plus modestes sur des lots moins importants ou à caractère innovant. Reste que le recours à ce dispositif doit faire face à la frilosité juridique des collectivités territoriales qui craignent toujours de porter atteinte à l’égalité d’accès à la commande publique.

Des règles plus souples et le développement de la dématérialisation

En second lieu, les assouplissements successifs des règles relatives au dépôt des candidatures et des offres va indubitablement faciliter la vie des petites structures, rarement en mesure d’avoir un service « appel d’offres » conséquent.

Le relèvement du seuil en deçà duquel aucun formalisme n’est requis tant pour l’acheteur que pour l’entreprise de 4.000 à 15.000 euros hors taxes puis à 25.000 euros HT aujourd’hui offre la possibilité aux petites et moyennes entreprises d’accéder à la commande publique plus facilement, sur simple acceptation de devis. Le rapport du sénateur Martial BOURQUIN, adopté le 8 octobre 2015, propose même d’élever ce seuil à 40 000 € HT d’ici 3 ans.

En 2016, cela passe par le quota de 10 % du montant des marchés de partenariat ou des concessions confiés à des PME ou des artisans (article 87 de l’ordonnance 2015-899 et 163 du décret 2016-360, article 35 du décret 2016-86 relatif aux concessions) mais également une ouverture des cas de régularisation des erreurs matérielles (article 59 du décret 2016-360) ou la faculté pour l’acheteur d’examiner les offres avant les candidatures, qui peuvent toujours être facilement complétées.

Le dossier de candidature, aussi lourd qu’il est peu déterminant dans une procédure de mise en concurrence (a fortiori une procédure adaptée) est la pierre d’achoppement d’une réforme qui vise à simplifier au maximum cet aspect.

Aussi les mécanismes du Marché Public Simplifié (MPS) et du Document Unique de Marché Européen (DUME) visent-ils à alléger les volumes des dossiers réponses et les formalités chronophages et coûteuses qui pouvaient être un frein à la candidature de PME. Pourtant le recours aux MPS reste encore très timide et si le DUME doit être obligatoirement accepté par les acheteurs en procédure formalisée, le document est victime … de sa propre lourdeur.

Pourtant, la dématérialisation des procédures simplifie les travaux à effectuer avant la transmission des dossiers à l’acheteur. Il s’agit d’un gain de temps tant au niveau des impressions que de la compilation de l’offre/candidature. En effet, le poids des dossiers couplé à l’impératif de délai imposé par les dates limites de réception des offres, permettent de réduire les frais liés aux envois postaux des petites entreprises. Si côté collectivités, les plate-formes de dématérialisation sont un outil largement maîtrisé depuis quelques années, côté PME, le dépôt d’une offre électronique reste encore une étape peu franchie.

Mais elles se mettent progressivement et trouvent de plus en plus d’intérêt à la dématérialisation de leur propre organisation (comme la facturation électronique). Ainsi, le tout « dématérialisé » loin de compliquer la tâche des PME qui surfent sur la tendance 2.0, leur permet de réduire les coûts et le temps liés à la production d’offres.

Du point de vue réglementaire, la facturation électronique ne devient obligatoire que pour les seules grandes entreprises (de plus de 5 000 salariés) au 1er janvier 2017. Mais le système est déjà mis en place depuis plusieurs années au sein des collectivités territoriales. Ainsi, la ville de Montreuil propose depuis fin 2015 une adresse électronique réservée à la transmission des factures par voie dématérialisée. De même, la Communauté d’Agglomération de Marne-la-Vallée Val Maubuée propose cette solution depuis 2014. Le dispositif étant en place pour les grandes entreprises, il l’est de fait également pour les PME, les obligations relatives à la facturation électronique des PME sont prévues pour 2019 (PME allant de 10 à 250 salariés) et 2020 (micro-entreprises de moins de 10 salariés). La transmission électronique diminue les délais de traitement, les coûts de gestion et permet d’attester de la date de transmission ce qui génère un gain sur le délai de paiement.

Malgré un dispositif réglementaire et législatif favorisant le paiement régulier des factures par les acheteurs et leur transmission par voie électronique, les PME souffrent de l’allongement des en cours de paiement. Devant user des mécanismes bancaires coûteux tels que cession de factures, nantissement, les marchés publics ne sont pas toujours suffisamment rentables.

Quant au régime des avances, les collectivités territoriales, elles-mêmes fort contraintes budgétairement, ne dépassent pas le minimum obligatoire auquel elles sont tenues (soit 5 % du montant du marché lorsqu’il dépasse 50 000 € HT).

Les intérêts moratoires sont peu réclamés et rarement versés d’emblée au premier jour de retard de paiement, l’indemnité forfaitaire de recouvrement de 40 euros par demande de paiement est rarement mise en œuvre.

Les PME craignant de devoir supporter les coûts de la commande publique peuvent se résigner à y participer. Si les outils existent, c’est sur leur utilisation que le bât blesse. Prenons l’exemple des offres anormalement basses : leur détection et leur rejet sont obligatoires et contrôlés avec attention par le juge. Ce procédé qui vise à limiter la concurrence déloyale qui va handicaper une petite structure n’ayant pas les moyens de faire du dumping, aboutit rarement au retrait d’une offre dont les prix sont fort bas. La tentation pour les soumissionnaires de proposer une offre trop basse pour empocher le marché est grande… Au risque d’être dans l’impasse pendant l’exécution et pousser l’acheteur à accepter un avenant en plus-value

Développement durable et PME : mi-figue, mi-raisin

Enfin, l’insertion de clauses et critères environnementaux et sociaux favorisent les PME locales (emploi de personnel défavorisé et Entreprises Adaptées, circuits courts pour les denrées alimentaires des cantines…). Mais gérer un quota d’heures d’insertion et être en mesure de fournir des produits bio-sourcés ou dotés d’un écolabel reste l’apanage de grosses entreprises. Ces dernières sont en mesure de proposer des produits « bio » à un prix compétitif, d’obtenir des labels grâce à un personnel qualifié… Les PME n’ont pas non plus toujours les ressources suffisantes pour obtenir de qualifications sociales (comme l’ISO 9001).

Chronique en droit des Collectivités Territoriales

 sous la direction de M. Pascal TOUHARI
Directeur de l’administration générale, Ville de Montreuil
Chargé d’enseignements à l’Université-Paris-Est-Créteil et Sciences-Po Toulouse

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Chronique Collectivités Territoriales – n°02, Art. 94.

   Send article as PDF   
ParJDA

Droit administratif des collectivités territoriales

par Fatma BALEGH-BRETT,
Juriste droit public, Service Juridique (SJ), Ville de Montreuil
Chargée d’enseignements en droit public (Université Paris-Saclay)

Droit administratif
des collectivités territoriales

octobre 2016 – 2ème chronique
La présente page est issue de la chronique
collectivités territoriales

La sécurité juridique à double visage : le recours perpétuel ne l’est plus.
À propos de la décision CE n° 387763 du 13 juillet 2016, M. Czabaj

Art. 93. Si dans les années 2000 les services publics à double visage sont tombés en disgrâce auprès des juges, la notion de sécurité juridique apparaît, depuis cette même période, comme un Janus tantôt favorable aux administrés, tantôt à l’administration. Depuis la loi de finances du 13 avril 1900, aujourd’hui codifié à l’article R421-1 du Code de justice administrative (désormais CJA), le délai de recours pour excès de pouvoir est fixé à deux mois. Or, depuis un décret du 28 novembre 1983, codifié à l’article R421-5 du CJA, ce délai n’est pas opposable à l’administré en cas de notification irrégulière ou d’absence de notification des voies et délais de recours. Dans l’arrêt M. Czabaj  ici commenté, le Conseil d’État profite d’un recours pour excès de pouvoir exercé contre un arrêté de pension, 22 ans après sa concession, pour rejeter la requête comme tardive et pour poser en principe, malgré la lettre du code précité, qu’au terme d’un délai raisonnable fixé à un an sauf circonstances particulières, un recours contre une décision administrative n’est plus recevable, alors même que les voies et délais de recours ont été irrégulièrement notifiés.

En fixant de manière prétorienne ce délai raisonnable, le juge administratif s’inspire, comme le montrent les conclusions du rapporteur public Olivier Hemrard, de la loi de procédure administrative allemande et du droit de la fonction publique de l’Union européenne. Ce faisant, il neutralise par voie jurisprudentielle l’article R421-5 du CJA qui a valeur réglementaire. Cette position se justifie par le souci de mettre fin à l’effet d’aubaine d’une jurisprudence communautaire par trop favorable aux pensionnés masculins et qui ferait peser une charge excessive sur les deniers publics. Cette décision peut néanmoins faire l’objet de trois séries de remarques.

Une question de gestion administrative, d’abord. A priori, cette neutralisation partielle de la règle du recours perpétuel en cas de notification irrégulière des voies et délais de recours paraît constituer une mesure de souplesse bienvenue pour les administrations, déjà considérablement aidées par la standardisation des formules de notification de ces informations. Mais le bilan coût-avantages de cette souplesse nous semble pourtant négatif : pour mettre fin à un effet d’aubaine dans un domaine particulier – en l’espèce celui des bonifications de pension du fait de l’éducation d’enfants –, le juge semble donner une prime générale à la négligence administrative et générer une inégalité, puisqu’en matière de recours pour excès de pouvoir le ministère d’avocat – bien que non obligatoire – s’impose pour qui peut y recourir, les requérants les plus précaires se retrouvant alors seuls dans les méandres du contentieux administratif.

Une question de cohérence et d’agencement des normes, ensuite. Le Conseil d’État fait directement découler « du principe de sécurité juridique » – principe général du droit (désormais PGD) en droit interne depuis la décision KPMG de 2006 – la règle de l’interdiction des recours perpétuels d’une décision mal notifiée (considérant 5) pour en déduire, ensuite, une « règle » de délai raisonnable buttoir (considérants 5 et 6). Le Professeur Rolin en conclut donc qu’il ne s’agit que d’une règle générale de procédure a valeur supplétive pouvant par conséquent être écartée par un texte réglementaire spécial. Mais la Haute juridiction semble plutôt avoir dégagé ici une règle tellement arrimée au principe de sécurité juridique qu’il paraît en pratique difficile au pouvoir réglementaire d’y déroger, le juge ayant seulement calibré la valeur de la norme aux nécessités contentieuses de l’affaire. Si une règle générale de procédure appert dans cette décision, ce serait plutôt celle de la durée du délai (un an), qui peut évoluer au gré des espèces, le principe même d’un délai raisonnable ayant, selon nous, une valeur supérieure au règlement.

Quelque soit la valeur de la norme, cette dernière ne saurait toutefois suffire à déroger à une disposition législative qui prévoirait une règle similaire d’inopposabilité : s’il s’agit d’une simple règle générale de procédure, elle est impuissante à déroger à la loi ; et s’il s’agit d’une nouvelle déclinaison du PGD de sécurité juridique, alors le juge devra élever cette norme au rang de principe conventionnel qui viendrait, non pas comme d’ordinaire accroître le droit au recours – comme c’était le cas pour le principe posé en 1950 par l’arrêt Dame Lamotte, un des rares exemples de PGD contra legem –, mais en restreindre l’exercice. La question reste donc posée du sort de l’article L112-6 du Code des relations entre le public et l’administration (désormais CRPA), qui codifie l’article 19 de la loi dite DCRA du 12 avril 2000, et qui dispose : « Les délais de recours ne sont pas opposables à l’auteur d’une demande lorsque l’accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la réglementation. » D’où la nécessité d’une intervention du législateur pour confirmer ou infirmer cette jurisprudence et ainsi harmoniser les solutions car, si l’article R421-5 est bien neutralisé à l’heure actuelle, l’article L112-6 du CRPA ne l’est pas.

Enfin, la dernière question qui pourrait se poser est relative à l’extension probable d’une telle jurisprudence. Cette extension est susceptible de prendre deux directions : elle pourrait être personnelle, puisque la décision commentée ne concerne que les destinataires des décisions individuelles et non les tiers ; pour ces derniers la nouvelle jurisprudence serait paradoxalement profitable, car ils ne bénéficient pas, sauf textes particuliers (par exemple article R424-15, R602-2 et A424-17 du Code de l’urbanisme) de l’équivalent de l’article R421-5. Cette extension aux tiers a été proposée par le rapporteur public et rejetée par la formation de jugement. L’extension pourrait être aussi matérielle et concerner non seulement le recours pour excès de pouvoir, mais également le plein contentieux. Elle pourrait enfin concerner les recours administratifs préalables, qu’ils soient ou non obligatoires : la question se posera alors de savoir si cette exigence de délai raisonnable inclut ou non cette phase parfois précontentieuse. Mais l’extension matérielle demeurera néanmoins limitée puisque la décision commentée ne concerne pas les actes réglementaires, dont la publication est facile à prouver et contre lesquels le recours par voie d’action est en principe fermé au bout de deux mois, sachant que les recours par voie d’exception ou contre les refus d’abroger restent quant à eux possibles à tout moment.

En tout état de cause, des précisions jurisprudentielles s’imposent a minima, s’agissant d’une « règle » que le Conseil d’État a décidé d’appliquer immédiatement malgré l’atteinte effective qu’elle porte à l’exercice, sinon à la substance, du droit au recours. Mais l’on peut surtout souhaiter une intervention du législateur, qu’on peut espérer plus prompt à réagir qu’il ne l’a fait en 2015 s’agissant des délais de retrait et d’abrogation, jusqu’alors laissés, depuis 1922, à l’appréciation presque exclusive de la jurisprudence.

Chronique en droit des Collectivités Territoriales

 sous la direction de M. Pascal TOUHARI
Directeur de l’administration générale, Ville de Montreuil
Chargé d’enseignements à l’Université-Paris-Est-Créteil et Sciences-Po Toulouse

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Chronique Collectivités Territoriales – n°02, Art. 93.

   Send article as PDF   
ParJDA

Les relations entre les citoyens et l’administration en Russie

par Maxim SOROKIN
Assistant et doctorant – Ecole de droit de la haute école des sciences économiques (Moscou)

Art. 89. En Russie, comme en France, l’Etat administratif “fait” de la Nation et occupe une place prépondérante dans notre vie collective. Comme en France, les relations entre l’administration et citoyens russes restent complexes et tendues, car les administrés, si ils demandent de l’État fort, peuvent se retrouver souvent impuissants face à la machine administrative. Et pourtant, rien ne peut arrêter le progrès de l’État de droit: longtemps considéré comme un simple administré engagé (1), un post-soviétique est maintenant considérées comme l’usager de service public (2) et en quelque sorte le citoyen administratif (3). Dans ce contexte, quand la codification des procédures administratives présente de plus en plus d’intérêt pour le droit russe, le Code français des relations entre le public et l’administration entré en vigueur depuis 2016 peut, à cet égard, nous inspirer.

1. L’administré engagé…

Historiquement, si notre système politico-administratif centralisé s’est fondé sur le principe de soumission des particuliers au commandement des autorités administratives, le droit des particuliers de s’adresser aux autorités publics a, en revanche, été reconnu. A défaut de véritables institutions représentatives, ainsi que d’un contrôle juridictionnel de l’action administrative (notons, que l’analogue du recours pour excès de pouvoir a été introduit seulement en 1989, même si la contestation des sanctions administratives a existé auparavant), les demandes ou recours administratifs étaient considérés comme seul instrument efficace pour le requérant pour reconnaître ou rétablir ses droits violés. Au fond, c’est de là que vient ce qu’on peut appeler le concept d’administré engagé: le particulier pouvait alors attirer l’attention des autorités supérieures face aux dysfonctionnements des services en place sans véritable garantie toutefois, du point de vue procédurale, d’aboutissement de sa requête.

A partir de la seconde moitié du XXème siècle, l’Etat administratif a accepté de se lier au principe de l’égalité en acceptant d’engager sa propre responsabilité (aussi, les règles de l’examen des propositions, demandes et requêtes des citoyens étaient fixées par le Président du Conseil suprême de l’URSS en 1968). Enfin, la Constitution fédérale de 1993 fondée sur le constitutionnalisme libéral a inscrit en son article 33 le droit des citoyens de présenter leurs demandes individuelles et collectives aux organes d’Etat ou ceux des collectivités locales, mais il ne s’est pas traduite par aucune règle procédurale vis-à-vis des autorités publiques. Dans le contexte russe, il s’agit là d’une grave lacune, car notre droit administratif est structuré par les ukazes et le rôle du juge comme créateur du droit est d’une portée limitée. En resultat, la régulation des procédures administratives non contentieuses est toujours en cours d’élaboration. La loi-cadre fédérale relative aux modalités de l’examen de demandes des citoyens a été promulguée en 2006. Toutefois, les procédures administratives spéciales se sont développées de manière fragmentée et sporadiques dans les codifications thématiques (ex.: Code fiscal, Code foncier) ou les lois ordinaires (sur l’organisation de pouvoirs régionales ou collectivités locales); spéciales (ex.: les lois sur les marchés publics, la privatisation, l’étude d’impacts environnementales).

Ce manque de vision globale du législateur s’explique tant par la forte fragmentation d’action gouvernementale en Russie où la réticence de soulever le problème de pétitions (ou demandes collectives) aux pouvoirs publics (néanmoins, cette problématique a commence à se régler en 2012 avec la création de la plateforme de pétitions “initiative citoyenne russe”), que par l’obsolescence du cadre conceptuel de notre droit administratif visé exclusivement de gestion publique par des instructions, notamment de procédures d’application des sanctions administratives, avec de l’essor du pouvoir judiciaire comme le protecteur des droits et libertés d’homme.

Pour ce qui concerne cette embryon de procédure administrative générale non-contentieuse, la loi de 2006 précitée distingue trois types de demandes à présenter aux autorités publiques: les propositions (c’est à dire les recommandations aux autorités aux fins d’intérêt général, y compris les améliorations de la législation), les demandes (les sollicitations pour exercer le droit ou la liberté, mais aussi la communication des actes illicites) et les requêtes. L’accueil personnel par le chef d’organe est également possible. Le demandeur a le droit de consulter ou présenter tout les documents et matériaux concernant leur demande, même après leur examen afin de vérifier la pertinence de réponse (voir Определение Конституционного Суда РФ от 07.02.2013 N 134-О). La loi interdit la persécution de l’auteur de la demande ou la communication de l’information qu’elle contient, ce qui n’empêche pas, comme la Cour Constitutionnelle l’a precisé en 2015, l’accès de l’intéressé aux éléments pour répondre à l’administration agissant dans le cadre de police administrative (voir Определение Конституционного Суда РФ от 22.12.2015 N 2906-О). Contrairement au cas français, le délai de réponse imparti à l’autorité pour l’examiner est assez bref – 30 jours francs suivant la date de l’enregistrement avec le prolongation dans «les circonstances exceptionnelles» à la durée maximale d’un mois. Dans le cas échéant, il doit transmettre la demande à l’autorité compétente en notifiant au demandeur. Et le dilemme de motiver/ ne pas motiver ses réponses n’existe pas, car la motivation reste obligatoire dans tous les cas (voir Определение Конституционного Суда РФ от 15.07.2010 N 1070-О-О), même si l’obligation de répondre concerne les questions de demande et non les réclamations présentées par le demandeur.

L’application concrète de ce dispositif comporte des difficultés dans la mesure où ce dernier ne permet pas d’assurer un véritable dialogue effectif entre l’administration et les administrés. D’abord, quelles sont les personnes agissant d’un côté ou de l’autre? Force est de constater que ce n’est pas qu’en 2012 que la Cour Constitutionnelle a reconnu le droit d’adresser aux autorités publiques pour les personnes morales de droit privé en vertu du droit constitutionnel d’association (см. Постановление Конституционного Суда Российской Федерации от 18 июля 2012 г. № 19-П). Par le même arrêt, le juge constitutionnel prononcait l’extension de la notion d’administration aux “organisations exerçant des fonctions publiques importantes”, c’est-a-dire personnes privées, qui en soi est importante pour le développement de notre droit public. Cependant, il n’a pas formulé les critères permettant de les identifier. Aussi, le législateur en 2013 l’a laisse à la discrétion du juge. Or, la jurisprudence montre qu’on entend par “fonctions publiques importantes” tous les services au public sans lien avec l’action administrative.

Un autre problème s’est posé: par plusieurs occasions, l’administration n’a pas donné de motivation satisfaisante ni même répondu aux demandes qui lui sont adressées par les administrés. Le contrôle du juge est loin d’être la solution, comme l’a constaté le notre Défenseur des droits en 2007. Ainsi, le juge considère comme irrecevables des requêtes contre l’inaction de l’Administration du Président de la Russie au regard de l’obligation de réponse avec le motif surprenant que la contestation des actes administratifs de structures présidentielles en soi peut entraver l’intervention directe ou indirecte dans l’activité constitutionnelle du Président (voir Определение Тверского районного суда г. Москвы от 23.04.2010 по заявлению НП “Институт развития свободы информации”).

Enfin, beaucoup de difficultés résultent de la confusion (aux yeux du demandeur) de la réponse de l’administration et la décision administrative. La jurisprudence assimile la réponse négative de l’administration à la décision de rejet, mais en cas d’absence de réponse administrative, elle se borne à contraindre l’administration à répondre aux questions posées par le demandeur (voir Постановление Пленума Верховного Суда РФ от 10.02.2009 № 2, Постановление Семнадцатого арбитражного апелляционного суда от 17.01.2012 N 17АП-13468/2011-АК). Face à cela, il faut envisager l’introduction dans la législation russe des règles de la decision implicité (et dans certaines cas, le principe « silence vaut acceptation»), ce qui peut améliorer dans une certaine mesure la situation des administrés en Russie.

2. …face à l’influence au dehors du système

  1. Vers l’usager des services publics

Parallèlement, on a tenté de réformer de manière tabula rasa des procédures administratives dans le cadre de la réforme administrative menée depuis 2004 sous le signe du concept de “new public management”. La base normative a été constituée par la loi fédérale de 2010 relative à l’organisation des services publics de l’Etat et celles des collectivités locales. La grande avancée de cette loi consiste essentiellement en ce qu’elle définit toute activité des organes de pouvoir exécutif exercée sur les saisines des demandeurs comme un service public, tandis que dans notre droit, l’action administrative est révélé par la notion de puissance, et la notion du service est considérée comme étranger ou secondaire aux fonctions étatiques. En étant cohérent, la loi de 2010 a consolidé la mise en place des règlements administratifs, qui doivent fixer la description du standard de l’exécution du service public (notamment, la liste exhaustive des documents demandées), ainsi que les procédures administratives: les opérations, l’échelonnement ainsi que les délais d’accomplissement. Il faut noter qu’il y a évidemment une concurrence avec la loi-cadre de 2006, mais en pratique il est circonscrit par les règlements administratifs et même écarté au regard du l’examen des requêtes sur l’exécution des services publics.

En outre, la logique de l’usager des services publics a une certaine incidence sur le cadre juridique des relations entre administrations, notamment par la création de maisons des services publics (ou centres multifonctionnels) pour la réalisation du concept de «guiсhet unique» ou la renforcement des échanges d’informations et de données entre autorités administratives pour éliminer le fardeau supplémentaire des demandeurs. La numérisation des services publics est également en cours (voir le portail commun des services d’etat – beta.gosuslugi.ru/foreign-citizen?lang=fr).

Et il faut constater que si beaucoup a été fait – plus 25 000 règlements administratifs ont été publiés, l’expérience inédite de transparence – pour simplifier ou rationaliser les démarches administratives, mais les procédures administratives elle-même n’ont pas été systématisées et proprement développées. On ne trouvera pas là, par l’exemple, les modalités de l’entrée en vigueur, de l’abrogation ou retrait des actes administrative ou les droits de tiers parties et d’autres questions essentielles. C’est l’une des raisons pour lesquelles on n’a pas encore réussi à changer profondément la culture de l’administration pour rendre l’action publique plus efficace en tenant compte des besoins des demandeurs.

2. Vers le citoyen administratif

L’autre chantier important correspondant à l’idée de «citoyen administratif» est le développement de consultations publiques électroniques (depuis 2010) dans le cadre de l’étude d’impacts ex ante des projets des textes normatifs, notamment les actes de l’Union économique eurasiatique, concernant les activités du commerce et l’investissement, ainsi que celle des services fiscaux et douanières. A l’issue de consultations électroniques qui peuvent durer de 10 à 45 jours en fonction de la complexité d’un régulation, le rapport de synthèse est présente par le ministère responsable de projet. Il faut noter qu’il doit préciser les raisons pour lesquelles telle ou telle proposition citoyenne n’a pas été retenue. Enfin, le ministère du développement économique qui prépare l’avis public contenant l’étude d’impacts peut opposer son véto au projet de texte si les consultations publiques n’ont pas été organisées de manière régulière (См. Постановление Правительства РФ от 17.12.2012 № 1318). De plus, depuis 2012 la participation du grand public a été renforcée grâce à création de la plateforme regulation.gov.ru pour la publication des conceptions et avant-projets de certains textes du caractère économique et sociale (sauf le budget, les règlements administratifs e.t.c). Toutefois, outre  l’incertitude initiale des avis présentées par les internautes, le juge peut refuser de considérer l’absence de consultations publiques ou l’etude des impacts comme un vice de procédure pouvant entraîner l’annulation d’un acte contesté (voir Определение Верховного Суда РФ от 03.02.2016 № 117-АПГ15-9).

En résume, force est de constater qu’au fond la France et la Russie a des tendances semblables dans le développement des procédures administrative générales, et le retard de la part de la Russie peut s’expliquer par le manque, bien plus qu’on France, de contrôle juridictionnel et aussi démocratique sur l’action d’administration Dans le contexte russe, ou le droit public vient d’abord de textes normatifs, il faut noter qu’en 2015, le premier Code du contentieux administratif est entré en vigueur. Donc, le prochain mouvement doit consister nécessairement dans la codification de procédures non-contentieuses, pour laquelle l’édifice normative et l’expérience positive de la France pourront nous être utile.

L’auteur exprime sa reconnaissance à Randianina Radilofe, doctorante en Droit de l’Université de Nice Sophia Antipolis, enseignant-chercheur de l’Université Catholique de Madagascar pour son concours à la rédaction de ce texte.

Vous pouvez citer cet article comme suit :

Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 89.

   Send article as PDF   
ParJDA

Compte-rendu AG du 12 juillet 2016

Art. 92.

Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Chers élus, Chers Maîtres, Chers collègues, Chers étudiants,

Notre dernière réunion du Journal du Droit Administratif a eu lieu le 12 juillet 2016 en salle dite Maurice Hauriou (Anciennes Facultés de l’Université Toulouse 1 Capitole).

Etaient présentes et représentées treize personnes, toutes intéressées par le Journal du Droit Administratif (Jda) et membres issus de l’Université de Toulouse 1 Capitole & de Sciences Po Toulouse. La réunion s’est organisée autour des points suivants d’annonces et de discussions :

  • Questionnaire(s) / Interview(s) :

Comme envisagé au fil des dernières réunions, il est confirmé que le dossier n°04 du Journal du Droit Administratif (Jda) sera constitué d’un ensemble de questionnaires ou interviews sur le droit administratif.

Le dossier sera basé sur deux types de questionnaires : celui destinés aux publicistes français et celui destiné aux administrativistes étrangers. Il est prévu de publier le dossier autour de décembre.

  • Mise en ligne du deuxième « dossier »

Le deuxième dossier, programmé pour juillet 2016 a respecté le calendrier qui lui était imparti.

Il porte sur « les relations entre administration(s) & administré(s) » selon la proposition qu’en avait faite le professeur Saunier. Les directeurs du numéro (le pr. Saunier & mesdames Crouzatier-Durand & Espagno) en ont présenté les principales caractéristiques.

Même si quelques articles faisaient défaut (et seront agglomérés par suite), il a été décidé de mettre en ligne (sous les applaudissements nourris des présents !) ce deuxième dossier.

Le professeur Touzeil-Divina rappelle également l’existence en projet(s) d’un troisième dossier du Jda programmé pour la fin d’année 2016 et portant sur la laïcité ; ce dossier se fera en partenariat avec un nouveau média interdisciplinaire (les Cahiers de la LCD (Lutte Contre les Discriminations)). Un appel à contributions a déjà été proposé en ce sens (cf. annexe) et est réactivé jusqu’à la fin du mois de septembre 2016 eu égard à l’actualité de son sujet.

  • Jurisprudence(s)

Est réaffirmée la volonté, courant 2016, de présenter plusieurs « triptyques toulousains prétoriens » comprenant :

  • Des conclusions d’un rapporteur public
  • Un jugement du Tribunal Administratif de Toulouse
  • Un commentaire court d’un universitaire.

En outre, plusieurs notes de jurisprudence et autres commentaires sont en cours et quelques-unes sont déjà en ligne. Il est proposé en ce sens de préparer pendant la pause estivale – et si possible pour le 15 septembre – cinq décisions de jurisprudence administrative qui ont marqué les débuts de l’année 2016 :

  • CE, 21 mars 2016, deux décisions n° 368082 & n° 390023 (droit souple) ;
  • CE, 11 mai 2016, Communauté urbaine Marseille-Provence-Métropole (n°390118) (bail à construction)
  • CE, 08 juin 2016, A, F, B, G et K (cinq décisions n° 394348, M. A… ; n°394350, M. F… ; n°394352, M. B… ; n°394354, M. G… & n°394356, M. K…) sur les déchéances de nationalité ;
  • CE, 06 avril 2016, B. (n°380570) (Loi organique & traité)
  • TC, 06 juin 2016, Commune d’Aragnouet (n°4051) (clauses exorbitantes)

Il a déjà est proposé aux membres du Jda de bien vouloir se manifester en écrivant directement à la rédaction pour se proposer

  1. Soit comme co-auteur d’un commentaire d’une de ces décisions (il serait en effet plus judicieux de faire des commentaires à minimum quatre mains) ;
  2. Soit comme co-auteur d’un autre commentaire de décision.

Il est enfin rappelé qu’une première chronique (en droit des collectivités) est également déjà en ligne grâce au très beau travail de l’équipe d’administrateurs territoriaux sous la direction de M. Pascal Touhari.

Une autre chronique – en droit des contrats – pourrait voir le jour prochainement suite à la proposition de M. Mathias Amilhat.

  • Rattachement institutionnel

L’assemblée a enfin engagé une conversation quant au rattachement institutionnel éventuel du Journal du Droit Administratif. Est-il opportun de se fixer auprès d’un laboratoire de l’Université Toulouse 1 Capitole ? de plusieurs partageant les recherches en droit administratif ? de l’IFR ? de la Faculté ? de l’Université fédérale ? … ou encore de rester comme tel sans rattachement ?

Il sera plus tard statué sur cette question (dont les débats ont été poursuivis).

  • Félicitations !

L’assemblée a enfin exprimé ses félicitations non seulement aux membres présents et ayant participé aux activités de la 1ère année du Jda ainsi qu’à l’un de ses membres fondateurs, Maître Benjamin Francos dont l’activité a porté ses fruits auprès de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

  • Prochaine séance

Pour la réunion prochaine, il est proposé de nous donner rendez-vous le lundi 26 septembre 2016 à 18h00 (salle Maurice Hauriou) avec l’ordre du jour suivant :

  • modalités des dossiers 03 & 04 ;
  • chroniques prétoriennes en cours ;
  • répartition et calendrier des notes de jurisprudence(s) ;
  • aide au colloque du Tribunal Administratif de Toulouse ;
  • rattachement(s) institutionnel(s) du Jda;

Le présent compte rendu a été dressé et rédigé le 06 septembre 2016.

Pr. Mathieu Touzeil-Divina

Le présent compte-rendu
est en ligne au format PDF
en cliquant ICI

L’Annexe au compte rendu se trouve LA

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; Art. 92

   Send article as PDF   
ParJDA

Le code délocalisé ou le local décodé (Le CRPA et les collectivités territoriales)

par M. Nicolas KADA,
Professeur de droit public

Directeur du CRJ (Université Grenoble Alpes) et du GRALE (GIS CNRS)

Art. 83. Les relations entre le public et l’administration sont régies, depuis le 1er janvier 2016, par un code dont les dispositions ont été publiées au Journal officiel du 25 octobre 2015. On ne peut a priori que s’en réjouir tant les règles relatives aux relations entre le public et les administrations étaient jusqu’alors éparpillées dans différents textes ou relevaient d’une jurisprudence parfois instable ou difficile d’accès. Certes, il existait déjà un code de justice administrative relatif à l’organisation des juridictions et aux procédures en matière de contentieux avec l’administration. Mais rien en ce qui concerne les relations « ordinaires », par définition les plus fréquentes, entre l’administration et son public. Les dispositions de ce code entendent donc regrouper l’ensemble des règles régissant les rapports du public, c’est-à-dire toute personne physique (y compris un agent d’une administration) et toute personne morale de droit privé, avec l’administration. Par administration, le législateur entend les administrations de l’État, les collectivités territoriales, leurs établissements publics administratifs et les organismes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif.

Mais à trop vouloir simplifier, ne risque-t-on pas de caricaturer ? Le public et l’administration forment-ils réellement deux ensembles homogènes qui ne méritent de ce fait aucune sous-division ? Si l’interrogation est légitime en ce qui concerne le public, elle l’est tout autant pour l’administration. Quoi de commun entre une autorité administrative indépendante et une direction départementale d’une préfecture ? Entre une administration centrale d’un ministère et un opérateur public ? Entre un hôpital et une collectivité territoriale ? C’est d’ailleurs sur ce dernier point que l’exercice de codification trouve sans doute ses principales limites : du fait de leurs tailles, de leur proximité avec les usagers, de leurs contraintes structurelles et de leur rapport au droit, les collectivités territoriales devaient-elles être traitées comme toute autre administration ? En réalité, la négation volontaire des problématiques propres au local par le CRPA n’est qu’une apparence : celles-ci ressurgissent en effet très rapidement au titre des exceptions.

La négation du local

Le souci de la généralisation, caractéristique naturelle de tout code, est ici poussé à son paroxysme… au risque de sembler nier toutes les spécificités de l’administration décentralisée dans sa relation avec le public, s’inscrivant dans un contexte plus général de rapprochement entre tous les services publics.

Une volonté de généralisation

L’ensemble des règles qui régissent les relations entre le public et les administrations a donc été rassemblé à l’automne 2015 en un seul code, réalisé pour l’essentiel à droit constant dans un souci louable d’accessibilité. Composé de deux textes, de nature législative et réglementaire, ce nouveau code entend en effet encadrer l’ensemble des relations potentielles entre les usagers et toutes les administrations publiques, qu’elles relèvent de l’Etat, des collectivités territoriales ou de leurs établissements publics.

Ce code rassemble les principales dispositions de portée générale qui ont trait aux droits des administrés, tels que le droit à communication des documents administratifs, la motivation des décisions individuelles et les grands principes régissant les relations entre le public et l’administration issus de la loi du 12 avril 2000. Mais il inclut également les réformes les plus récentes telles que le principe selon lequel le silence de l’administration vaut acceptation ou le droit des usagers de saisir l’administration par voie électronique. En outre, il accorde une protection législative à quelques principes issus de la jurisprudence administrative afin de garantir aux usagers un meilleur accès au droit. C’est d’ailleurs pour cela que c’est le premier code qui adopte une numérotation continue des dispositions de nature législative et réglementaire.

Le plan du CRPA est censé suivre les « différentes étapes du dialogue administratif » comme le précise l’exposé des motifs du projet de loi : le livre Ier est ainsi relatif aux échanges du public et de l’administration, le livre II a trait aux actes unilatéraux pris par l’administration, le livre III présente des dispositions relatives à l’accès aux documents administratifs, le livre IV se penche sur le règlement des différends avec l’administration… alors que le livre V regroupe étrangement les dispositions relatives à l’outre-mer, constituant une première exception au refus affiché de prendre en compte les spécificités locales. Car le code a pour ambition, au nom de la simplification, de gommer toute différence entre administrations, répondant par là même à un souhait émis dès 2011 par le Conseil d’Etat dans son rapport public annuel intitulé « Consulter autrement, participer effectivement » : celui de ne pas opérer de distinction entre Etat et collectivités territoriales.

Un contexte favorable

Les dernières réformes administratives œuvrent toutes dans cette même direction : la création des maisons de services au public en constitue une excellente illustration. Ces nouveaux pôles ont été créés par la loi NOTRe n°2015-991 du 7 août 2015 et leurs modalités de création ont été précisées par le décret n°2016-403 du 4 avril 2016. Précédemment dénommés « relais de service public » puis « maisons de services publics », ces pôles entendent proposer aux usagers des guichets polyvalents, labellisés par l’État, en zone rurale et urbaine, et dont l’objet est de fournir des services de proximité et de qualité. Ces services sont assurés par l’État, les collectivités territoriales ou des entreprises privées de service public, telles que la Poste ou d’autres opérateurs de réseaux.

Si la structure porteuse est généralement une collectivité territoriale ou un établissement public de coopération intercommunale, l’objectif demeure néanmoins de rassembler, par l’effet de la mutualisation de moyens, plusieurs services relevant de différentes collectivités et organismes chargés d’une mission de service public.

Dans ces maisons de services aux publics, les usagers (particuliers ou entreprises) sont accueillis par des animateurs-médiateurs qui les orientent dans leurs relations avec l’administration prise dans son sens le plus général qui soit, afin de surmonter justement les hésitations ou confusions inévitablement présentes parmi les usagers. De la même manière, le mot « public » pris de manière générique souligne bien le caractère général des usagers visés, tant personnes physiques que morales.

Pour chacune de ces maisons de services au public, une convention-cadre est conclue par les administrations participantes : ce texte définit les services rendus aux usagers, le périmètre où l’activité s’exerce, les missions et prestations délivrées selon un schéma départemental d’amélioration de l’accessibilité des services aux publics. C’est d’ailleurs ce schéma qui doit préciser pour une durée de six ans le programme d’actions destiné à renforcer l’offre de services dans des zones qui présentent un déficit en termes d’accessibilité. Le gouvernement prévoit de créer 1 000 maisons de services au public d’ici 2017, en transformant notamment des bureaux de Poste peu fréquentés.

Cet exemple ne fait qu’illustrer la constance d’une volonté de rapprochement entre services déconcentrés de l’Etat et collectivités décentralisées, depuis les lois sur la transparence administrative de 1978 et 1979 ou la loi du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République. Mais peut-être ne faut-il pas attendre autre chose du législateur, au nom du respect du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales ? Fût-il allé plus loin dans la distinction qu’on lui en aurait sans doute fait le reproche… Retenir ce qui est commun à tous les publics et à toutes les administrations est ainsi la démarche la plus simplificatrice qui soit : à ce titre, le CRPA n’en constitue qu’une nouvelle illustration, même si les spécificités locales n’en sont pas pour autant totalement absentes.

L’exception du local

Entré en vigueur le 1er janvier 2016 (à l’exception des règles relatives au retrait et à l’abrogation des actes administratifs applicables seulement depuis le 1er juin 2016), le CRPA doit néanmoins composer avec la réalité… et donc avec la diversité et les spécificités de l’administration décentralisée.

Une prise en compte des spécificités de l’administration locale

La secrétaire d’Etat à la réforme de l’Etat, Clotilde Valter, avait ainsi assuré que le CRPA ferait l’objet d’une « large diffusion qui permettra au public comme à l’administration de se l’approprier ». Le texte de loi a en outre habilité le gouvernement à prendre par ordonnance certaines mesures de simplification administrative, tout en envisageant des mesures de concertation… avec les représentants des usagers certes, mais aussi des collectivités territoriales. Preuve s’il en est que le législateur a conscience de la nécessité impérieuse de les ménager et de prendre en compte leurs spécificités. Lors du débat au Parlement, certains députés ont ainsi appelé à tenir compte « des capacités des agents publics et de ceux des collectivités territoriales » dans la mise en œuvre de la réforme. Sans doute entrevoyaient-ils en effet déjà les effets concrets des futures ordonnances sur le fonctionnement interne des collectivités, tant en ce qui concerne leur organisation que leur système d’information.

L’entrée en vigueur de la réforme pour les administrations locales a ainsi immédiatement mis en évidence quelques interrogations et incertitudes, plus ou moins levées au fil du temps. Les collectivités territoriales se sont en effet très vite questionnées sur leur capacité à adapter rapidement leurs pratiques et à réorganiser la gestion des demandes. S’est par exemple posée de manière très pragmatique la question des moyens matériels à leur disposition, de surcroît dans un contexte général de réforme territoriale et de baisse des dotations de l’Etat. Les collectivités décentralisées doivent ainsi prendre en compte les dispositions des articles L.242-1 et suivants du Code, entrées en vigueur le 1er juin 2016, relatives à l’abrogation ou au retrait d’un acte créateur de droit désormais permis que sous certaines conditions, en raison de sa seule illégalité et dans un délai de 4 mois. Il existe néanmoins une spécificité concernant les permis de construire en tant que décisions créatrices de droits. L’article L.424-5 du code de l’urbanisme ne permet leur retrait que s’ils sont illégaux et dans un délai de trois mois à compter de leur délivrance.

L’administration est de manière générale tenue de mettre en place des téléservices, et d’en informer le public. Elle doit rendre accessibles les modalités d’utilisation de ces téléservices, qui s’imposent aux usagers. Toutes ces dispositions sont détaillées dans le décret n° 2015-1404 du 5 novembre 2015 relatif au droit des usagers de saisir l’administration par voie électronique. Au-delà de ces principes généraux, les articles L.112-8 et suivants du CRPA, créés par l’ordonnance 2015-1341 du 23 octobre 2015, ont introduit un nouveau droit ouvert aux usagers relatif à la saisine de l’administration et ses échanges par voie électronique. Déjà applicable depuis le 7 novembre 2015 pour les services de l’État et leurs établissements publics administratifs, cette réforme mais n’entre en vigueur pour les collectivités territoriales que le 7 novembre 2016. Ce n’est en effet qu’à compter de cette date que toute personne pourra adresser à une administration décentralisée une demande, une déclaration ou un document par voie électronique. L’administration pourra alors répondre elle aussi par voie électronique, sauf si le demandeur le refuse expressément.

De même, en ce qui concerne les accusés de réception par voie électronique, une circulaire du premier ministre, à destination des administrations de l’État, mentionne un délai de réponse d’un jour ouvré pour donner acte de la réception, et de sept jours ouvrés pour traiter la demande. Mais cette circulaire ne s’applique pas aux collectivités territoriales et les articles L.112-2 et suivants du CRPA ne mentionnent pas de délais. Ils précisent juste que l’accusé de réception doit être délivré. Le CRPA n’apporte donc pas de précisions pour les collectivités territoriales. Dans son article L112-1, le code dispose seulement que « les conditions et délais d’émission de l’accusé de réception et de l’accusé d’enregistrement ainsi que les indications devant y figurer sont déterminés par décret en Conseil d’Etat ». Pour l’instant, le décret n° 2015-1404 du 5 novembre 2015 relatif au droit des usagers de saisir l’administration par voie électronique ne concerne que les services de l’Etat et de ses établissements publics à caractère administratif.

La loi du silence

Parfois qualifiée – abusivement – de « révolution », une des principales dispositions du CRPA prévoit que « le silence gardé pendant deux mois par l’autorité administrative sur une demande vaut décision d’acceptation », et non plus rejet. Cet article L.231-1 du CRPA ne fait en réalité que reprendre les dispositions de la loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013, habilitant le gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens, qui s’appliquaient déjà depuis le 12 novembre 2014 à toutes les demandes adressées aux administrations de l’État et depuis le 12 novembre 2015 à toutes celles adressées aux collectivités territoriales, aux organismes de sécurité sociale et aux organismes chargés de service public administratif. Ce principe admet bien évidemment des exceptions, qui sont d’ailleurs nombreuses.

Le cas particulier des décisions relevant du pouvoir réglementaire des collectivités territoriales est ainsi exclu, pour l’instant, du champ d’application du principe de silence valant acceptation. Il en va ainsi, par exemple, de la politique d’attribution de logements. Le pragmatisme l’a donc emporté, mais cela n’est pas véritablement une surprise puisque la ministre Marylise Lebranchu affirmait dès les premiers débats parlementaires : « une ordonnance fixera les procédures concernées et celles qui ne le seront pas, étant entendu que nous nous concerterons avec les associations d’élus pour ce qui est des décisions relevant des collectivités ».

Outre les exceptions légales à l’application de ce principe, auxquelles les collectivités territoriales ont évidemment droit, il existe également des exceptions réglementaires tant pour les administrations d’Etat (une quarantaine de décrets publiés à cet effet) que pour les administrations décentralisées. Ainsi, en matière de défense et sécurité intérieure, le décret n° 2014-1264 du 23 octobre 2014 s’applique autant aux services de l’Etat qu’aux collectivités territoriales et définit divers cas de dérogations au principe s’agissant des demandes d’accès aux documents et informations détenus par l’administration et de réutilisation de ces données, dérogations liées notamment à des raisons de défense et de sécurité intérieure.

Cependant, en ce qui concerne les seules administrations décentralisées, le nombre de décrets dérogatoires est beaucoup plus réduit. Aujourd’hui quatre décrets définissent les exceptions applicables aux administrations locales puisqu’on ne recense que :

  • le décret n° 2015-1155 du 17 septembre 2015 relatif aux demandes présentées par les ayants droit ou ayants cause d’agents publics territoriaux ainsi qu’aux demandes s’inscrivant dans des procédures d’accès à un emploi public territorial;
  • le décret n° 2015-1459 du 10 novembre 2015 qui liste de nombreuses exceptions dans des domaines d’intervention très variés des collectivités territoriales puisqu’elles vont des demandes de place au sein d’un port de plaisance public aux demandes de crémation ;
  • le décret n° 2015-1461 du 10 novembre 2015 qui identifie des exceptions au principe pour «des motifs tenant à l’objet de la décision ou de bonne administration » : par exemple des demandes de communication d’archives publiques à une collectivité territoriale ou demandes de délivrance d’un permis de construire, d’aménager ou de démolir, en site classé ou en instance de classement ;
  • le décret n° 2015-1460 du 10 novembre 2015 qui recense de nouvelles exceptions, telles que les demandes d’inscription d’un enfant à la cantine scolaire.

Si la publication relativement tardive de ces décrets a évidemment nourri des inquiétudes et critiques au sein des collectivités territoriales, elle démontre tout de même le souci d’appréhender toute la spécificité de l’administration au niveau local et de ses rapports aux usagers.

Il apparaît finalement que l’entrée en vigueur du code a engendré quelques distinctions subtiles en termes d’application entre les administrations d’Etat et les collectivités décentralisées : par exemple, les possibilités pour les « organes collégiaux des autorités administratives » de délibérer ou de rendre leur avis à distance ont été élargies mais le Parlement a toutefois tenu à exclure explicitement les organes délibérants des collectivités territoriales de cette possibilité de délibérer à distance. La réforme a en outre entraîné une technicisation accrue des services de gestion des demandes des administrations locales, invités à modifier sensiblement leurs modes opératoires. Grand oubliée du CRPA, du moins en apparence, la nécessité de prendre en compte les spécificités locales revient donc en force dans la phase de mise en œuvre.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno) ; Art. 83.

   Send article as PDF   
ParJDA

Le citoyen administratif au Parlement, figure introuvable ?

par M. Mohesh BALNATH,
Doctorant contractuel en droit (équipe de droit public, Université Lyon-3

Art. 82. Les relations entre le public et l’administration au Parlement échappe au champ d’application du Code des relations entre le public et de l’administration (CRPA), suivant l’article L. 100-3 du code. La raison en est qu’au sein des assemblées parlementaires, il revient aux autorités d’administration du Parlement, au nom du principe d’autonomie des assemblées et en application de l’ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, d’édicter la réglementation relative à l’activité administrative.

Cette activité administrative se conçoit comme celle se détachant en substance de celle exercée par les parlementaires en application de l’article 24 de la Constitution, qui prévoit que les parlementaires participent au vote de la loi, au contrôle du Gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques. Concrètement, elle intéresse l’organisation et le fonctionnement de l’institution et prépare l’activité des parlementaires. Elle est le fait des agents des services des assemblées parlementaires et des parlementaires exerçant des fonctions administratives, soit les membres des Bureaux des assemblées.

S’il n’y a pas eu de réaction immédiate des autorités d’administration du Parlement à l’adoption du CRPA, est-ce à dire que les assemblées parlementaires sont indifférentes à la démocratie administrative ? Il est certain que l’administration parlementaire est traversée de préoccupations démocratiques (I). Pourtant, la démocratie administrative nous apparaît encore embryonnaire au sein des assemblées parlementaires (II).

La figure substantielle du citoyen administratif

Les assemblées parlementaires se sont emparées, du point de vue de leur activité administrative, des outils proclamés de la démocratie. Cette entreprise ne se comprend bien que dans la relation au destinataire de l’action administrative. Autrement dit, par souci de légitimité, l’administration parlementaire alimente l’idée d’un citoyen administratif au Parlement.

Visant la transparence de leur activité, les autorités d’administration des assemblées parlementaires ont mis en place, ou du moins prévu, un ensemble de mesures pour solliciter l’administré et le considérer acteur de la procédure administrative, davantage que simple spectateur.

A cet effet, l’administré devrait bénéficier notamment d’un accès facilité à l’information administrative au Parlement, par l’effort de publication au Journal Officiel de textes régissant le personnel des assemblées (Compte-rendu de la réunion du Bureau de l’Assemblée nationale, 18 février 2015) par exemple. De même, le recours à l’open data (Compte-rendu de la réunion du Bureau de l’Assemblée nationale, 12 novembre 2014 ; Compte-rendu de la réunion du Bureau du Sénat, 23 juin 2016) sert l’information administrative sur le Parlement, dans le cas par exemple de la publication de l’utilisation de la réserve parlementaire, qui donne lieu à des actes administratifs par le pouvoir exécutif (TA Paris, 23 avril 2013, Assoc. pour une démocratie directe, req. n° 1120921). Cette dynamique renforce l’idée d’intronisation d’un membre supplémentaire, l’administré, aux délibérations administratives au Parlement.

L’administré est associé à la définition de la politique administrative à l’occasion de procédures aménagées par les autorités d’administration du Parlement. Les nouvelles technologies contribuent à la réalisation de cet objectif, dès lors que les utilisateurs de la plateforme Twitter ont été invités, par le Président du Sénat Gérard Larcher le 12 mars 2015, à s’exprimer sur la réforme des méthodes de travail du Sénat. De telles initiatives d’implication des administrés pourraient se reproduire dans un avenir proche, étant entendu que, convaincu de la démarche réformatrice et de l’élan démocratique qui s’en dégage, le Président du Sénat a incité les parlementaires ayant conduit la réforme des méthodes de travail du Sénat à poursuivre leurs travaux et à renouveler une évaluation de l’avancement de la réforme en juin 2017 (Compte-rendu de la réunion du Bureau du Sénat, 23 juin 2016).

L’administré est désormais convié à l’exercice quotidien des tâches administratives par les services. Il est ainsi possible d’interpréter en ce sens la création de l’Institut du Sénat, chargé, outre la promotion de l’idéal de la démocratie représentative fondée sur le bicamérisme, d’inspirer, à titre subsidiaire, l’organisation et le fonctionnement du Parlement. Lors de son discours du 27 juin 2016 marquant la remise des diplômes de la première promotion, Gérard Larcher appelle à la constitution, autour d’enjeux institutionnels, d’une « famille Sénat », et assure les membres de la première promotion de l’Institut du Sénat de la considération du Parlement pour les suggestions émises par ces derniers lors de leur passage au Sénat (« une analyse critique riche dont nous, sénateurs, comptons bien nous servir pour faire évoluer nos pratiques »). A cet égard, il est remarquable de constater qu’administrés et fonctionnaires se sont côtoyés lors des activités de la première promotion de l’Institut du Sénat, le parrain de cette dernière étant un ancien directeur des Ressources Humaines et de la Formation au Sénat.

Les dispositifs évoqués, prévus par les autorités d’administration des assemblées parlementaires, démontrent l’appropriation des outils de la démocratie au Parlement. Ces dispositifs permettent d’admettre l’existence d’un citoyen administratif au Parlement, si l’on s’en tient au propos de Jean Rivero : « L’inspiration démocratique exige […] non pas la soumission passive de l’administré à une décision qui, élaborée dans le secret, s’impose à lui par la seule contrainte, bien plutôt, la recherche de l’adhésion raisonnée qui transforme le sujet en citoyen » (Droit administratif, Précis Dalloz, 9e édition, n° 524, p. 509).

Un citoyen administratif sans contours

Si la figure du citoyen administratif existe au Parlement, elle demeure déroutante en ce sens que sa singularité ne s’impose pas, eu égard aux autres formes d’activité démocratique particulièrement présentes au sein du temple revendiqué de la démocratie.

En effet, l’activité administrative au Parlement s’adresse à un destinataire dont la nature est incertaine. Là où les manifestations du phénomène démocratique propre au citoyen administratif sont circonscrites au sein d’autres administrations publiques par les termes adoptés dans le corpus de dispositions législatives et réglementaires désormais codifiées, l’administration parlementaire, faute d’explicitation du vocabulaire, entretient l’ambiguïté sur la nature du destinataire de son action.

La figure de l’usager du service public au sein des assemblées parlementaires ne pose pas de difficulté notable à cet égard ; il est une des formes, si ce n’est la principale dans une approche duguiste du droit public, que le citoyen administratif revêt. Ainsi, le parlementaire préparant son intervention prochaine dans l’hémicycle grâce au concours des services des assemblées parlementaires est un usager du service public assuré par ces derniers. De même, l’individu consultant les archives publiques des assemblées parlementaires est usager d’un service public. Tous deux sont citoyens administratifs.

Si le cœur de la figure du citoyen administratif nous est apparent, il est moins aisé d’en tracer les contours, en particulier à l’égard de celle du citoyen politique pris en tant que contribuable ou qu’électeur. Par exemple, quand le Bureau du Sénat décide le 11 mars 2015 que la liste des collaborateurs de sénateurs sera désormais publiée sur le site du Sénat, il n’est pas évident de savoir si le destinataire entendu de cette mesure est le citoyen administratif ou le citoyen politique. La correspondance entretenue par le collaborateur d’un sénateur au nom de ce dernier pourrait avoir le caractère d’un acte administratif (CE, 30 déc. 1998, Association de sauvegarde des vallées et de prévention des pollutions, req. n° 172761, Lebon 912), la liste des collaborateurs intéresserait alors le citoyen administratif. En outre, le citoyen politique verrait dans la liste des collaborateurs un moyen de s’assurer que ses représentants sont exemplaires et ne peuvent être soupçonnés de népotisme abusif.

Les contours de la figure du citoyen administratif sont incertains et il convient de ne pas expliquer ce phénomène par le seul caractère éminemment politique du droit administratif des assemblées parlementaires. Du reste, la démocratie administrative ne s’est déployée qu’à titre partiel au Parlement. En effet, les assemblées parlementaires en sont davantage à l’« administration démocratisée » qu’à la « démocratie administrative » (Jacques Chevallier, « De l’administration démocratique à la démocratie administrative », Revue française d’administration publique, 2011/1 (n° 137-138), p. 217-227), étant donné que le destinataire de l’action administrative ne bénéficie pas de l’exigibilité des droits dont il jouit en tant que citoyen administratif, en premier lieu du droit d’accès aux documents administratifs. En réalité, la démocratie administrative au Parlement est peut-être d’une toute autre nature que celle consacrée par le CRPA : l’article 7 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, loi que le CRPA codifie, n’est-il pas venu restreindre le droit d’accès aux actes d’administration du Parlement ?

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno) ; Art. 82.

   Send article as PDF   
ParJDA

Perspectives financières & fiscales …

par M. le pr. Vincent DUSSART,
Professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole,
Institut Maurice Hauriou

Les relations entre l’administration fiscale
et le contribuable dans le cadre
du Code des relations entre le public et l’administration

Art. 85. S’il est une partie de l’Administration qui entretient des rapports singuliers avec le public c’est bien l’Administration fiscale. D’ailleurs, il est rare de parler « du public » dès lors qu’il s’agit du « Fisc » (si ce n’est -peut-être – pour indiquer les horaires d’ouverture des locaux de l’administration fiscale !) . La question peut, d’ailleurs, être posée de savoir si l’Administration fiscale a des usagers. En effet, les relations entre cette dernière et les personnes physiques ou morales sont très particulières. Il est plus communément admis de parler de contribuables ! Cette dernière notion n’étant d’ailleurs pas très facile à déterminer précisément. Le mot usager se trouve être d’utilisation récente en matière fiscale et pour tout dire peu employé. L’emploi de ce terme à surgi dans le cadre d’une volonté de rénovation des relations entre contribuables et administration. Il est apparu dans une politique de communication de l’administration de Bercy. Ainsi donc, en septembre 2005, Jean-François Copé, alors ministre du Budget, a présenté une « charte du contribuable (1) ». Cette dernière avait pour ambition de récapituler, selon les termes du ministre du budget de l’époque « de façon claire et synthétique », les droits et les devoirs du contribuable – devenu usager – vis-vis de l’administration fiscale. Alors que le ministre indiquait dans son avant-propos que le contribuable pourrait se prévaloir de cette Charte, la jurisprudence a adopté une position totalement contraire (CAA Paris, 29 mai 2012, req. 10PA05558, Note RJF 10/12, n° 937 ; CAA Bordeaux 1er juillet 2013, req. 12BX01912, CAA Marseille 25 novembre 2014, req. 11MA02180 ; TA Versailles 17 avril 2015, jugement n° 1101252 ; TA de Versailles, 15 décembre 2015, jugement n°1206291). La lecture de cette Charte n’est cependant pas inutile puisqu’elle reprend finalement un certain nombre de principes inscrits dans le Code des relations entre le Public et l’administration (CRPA). Ainsi, est-il rappelé, par exemple, que les fonctionnaires doivent être identifiés ou que le secret professionnel et donc fiscal doit être respecté.

Il semble, cependant, que le cadre juridique des relations administration et contribuable doive rester principalement contenu dans le Livre des procédures fiscales en raison de la nature particulière du droit fiscal formel appelé plus communément droit des procédures fiscales (2). Cependant, le CPRA n’est pas sans intérêt sur cette procédure en donnant un point d’entrée utile et pratique sur les droits du public au regard de ses obligations fiscales.

Un corpus de règles spécifiques contenu dans le livre des procédures fiscales


En effet, le droit fiscal formel, c’est à dire cette branche du droit fiscal qui régi les relations entre les contribuables et l’administration, est rigoureusement décrite et détaillée dans le Livre des procédures fiscales (LPF). On s’aperçoit, en effet, que le contribuable est un acteur reconnu de cette relation entretenue avec le fisc. Cette dernière a depuis longtemps été codifiée dans le Livre des procédures fiscales. Il faut ici rappeler que ce code issu des décrets n°81-859 et n°81-860 du 15 septembre 1981 (Sur la création de ce code voir J. Lamarque, L. Ayrault et O. Négrin, Droit fiscal général, 2014, 3ème édition, p. 154-156) traite d’abord des procédures non contentieuses relatives à l’établissement, au recouvrement de l’impôt et au contrôle de l’impôt pour ensuite évoquer les procédures contentieuses.

La relation entre le contribuable et l’administration obéit à un processus précis et étalé dans le temps. Tout part de l’imposition primitive du contribuable. Cette première phase consiste à établir le montant de l’imposition initiale du contribuable le plus souvent par une déclaration. Dès cette phase le contribuable peut entretenir des relations avec l’administration. Le contribuable peut ainsi interroger l’administration sur les modalités de son imposition notamment au moyen de rescrit lui permettant de valider un comportement fiscal. La plupart des contribuables se trouvent projetés ensuite vers la phase du recouvrement de l’impôt soit immédiat soit différé. L’ensemble des relations en matière de recouvrement sont décrites avec soin dans le Livre des procédures fiscales alors que les règles initiales d’établissement de l’impôt le sont par le Code général des impôts lui-même.

Pour combattre la présomption d’exactitude dont bénéficient les déclarations régulièrement déposées par les contribuables ou pour pallier le défaut de déclaration, l’administration fiscale dispose d’une action dite en reprise. La nécessaire perception des impôts basée sur un système déclaratif ne serait qu’illusion si l’administration fiscale n’avait pas les moyens de procéder à des contrôles fiscaux. Cependant, les droits et garanties du contribuable vérifié sont très nombreux et établis à la fois par le Livre des procédures fiscales et par une jurisprudence tatillonne. Aucune garantie particulière n’était accordée au contribuable vérifié. L’octroi de garanties spécifiques aux contribuables vérifiés (Lois « Poujade » du 14 août 1954 et du 2 avril 1955) fait coexister deux grandes prérogatives : le droit de communication (Article L. 81 du LPF) qui n’est toujours pas assorti de garanties et les deux procédures de contrôle : la vérification de comptabilité (pour les entreprises – article L 47 du LPF) et l’examen contradictoire de la situation personnelle (pour les particuliers – article L. 12 du LPF) qui sont quant à elles assorties de solides et strictes garanties.


Le système de garanties est très sophistiqué en raison du corpus envisagé. Ces garanties permettent, en réalité, de faire accepter les principes de consentement à l’impôt et de nécessité de ce dernier. La « Charte des droits et obligations du contribuable vérifié » doit être remise avant le début d’un contrôle fiscal. Elle décrit ces garanties (http://www.economie.gouv.fr/dgfip/charte-des-droits-et-obligations-contribuable-verifie). Le CRPA sera certes utile mais on doit, en fait, constater que le droit fiscal formel a su construire les garanties de la relation entre l’administration fiscale et ses « usagers ». Cependant et malgré tout, le nouveau code permet de réaffirmer un certain nombre de règles applicables aux contribuables dans leurs rapports avec le fisc.

L’apport limité et confirmatif du code des relations entre le public et l’administration au droit fiscal formel

Le CRPA n’est pas sans intérêt même si les garanties de la relation offertes par les procédures fiscales non contentieuses sont importantes et originales (Voir Publication d’un code des relations entre le public et l’Administration. Droit fiscal n° 45, 5 Novembre 2015, act. 606). On peut ainsi souligner que le CRPA pose les principes de motivation des actes administratifs qui peuvent concerner le droit fiscal. Toutes les décisions défavorables au contribuable doivent ainsi être motivées.

L’un des apports notables du CRPA en matière fiscale, comme dans d’autres domaines, est la dispense reconnue de signature d’actes de la procédure fiscale par leurs auteurs. Le Code rappelle cependant que cette absence de signature est valable dès lors que les actes concernés comportent les prénom, nom et qualité de l’auteur et la mention du service. Les modalités selon lesquelles ils sont portés à la connaissance des intéressés est normalement sans influence. On peut rappeler que les procédures fiscales et en particulier le recouvrement sont de plus en plus dématérialisés ce qui est facilité par l’absence de signature concrète. Sont ainsi visés, par exemple, les lettres de relance relatives à l’assiette ou au recouvrement, les mises en demeure de souscrire une déclaration ou d’effectuer un paiement, les avis à tiers détenteur, les saisies à tiers détenteur, adressés tant au tiers saisi qu’au redevable, etc.

Un autre apport majeur du CRPA est de préciser les règles d’accès aux documents administratifs et partant les conditions d’intervention de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA). Il existe des règles solides de secret fiscal. Malgré tout, le CRPA permet la communication de certains actes fiscaux. Ainsi, sont communicables les extraits de rôle ou les certificats de non-inscription au rôle, les copies d’avis de mise en recouvrement, les extraits des registres de l’enregistrement clos depuis moins de cinquante ans, les informations relatives aux immeubles situés sur le territoire d’une commune déterminée, ou d’un arrondissement pour les communes de Paris, Lyon et Marseille, ou sur un immeuble déterminé, les éléments d’information en possession de l’Administration fiscale relatifs aux valeurs foncières déclarées à l’occasion des mutations intervenues dans les cinq dernières années (Article L. 342-2, 11° et 12° du CRPA). En revanche, l’article L. 311-5 –g du CRPA précise que les documents administratifs relatifs à la recherche, par les services compétents, des infractions fiscales mais aussi douanières ne sont pas communicables.

On peut donc affirmer que le CRPA ne changera pas fondamentalement les relations entre l’administration fiscale et les contribuables (on en voudra, d’ailleurs, pour preuve le faible intérêt porté par la doctrine fiscaliste pour ce nouveau code). Ces dernières resteront donc solidement fixées par les deux codes fiscaux et en particulier le Livre des procédures fiscales qui appliquait depuis longtemps certaines des garanties formulées par le CRPA.

(1) Cette charte est accessible sur le lien suivant : http://www.lexisnexis.fr/pdf/DO/charte.pdf. Elle a été très maladroitement intitulée ainsi alors qu’il existait une autre Charte dite « du contribuable vérifié » devant être remise à l’occasion de procédures de contrôle fiscal en application de l’article L. 10 du Livre des procédures fiscales. Cette dernière charte accompagne l’avis de vérification envoyé au contribuable faisant l’objet d’une vérification de comptabilité ou d’un examen contradictoire de la situation personnelle. Voir les annotations de J. Lamarque sous l’article L. 10 du livre des procédures fiscales dans le Code de procédures fiscales publié par les Edition Dalloz.

(2) Sur la matière Voir T. Lambert, Droit des procédures fiscales, Domat Montchestien, 2ème édition, 2015, J. Grosclaude et P. Marchessous, Procédures fiscales, Dalloz, 8ème édition 2016, M. Collet et P. Collin, Procédures fiscales, PUF, 2ème édition, 2014.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno) ; Art. 85.

   Send article as PDF   
ParJDA

L’association aux processus décisionnels

par M. le pr. Jacques CHEVALLIER,
Professeur émérite de l’Université Panthéon-Assas (Paris 2), CERSA-CNRS

Art. 72. Traitant de « L’association du public aux décisions prises par l’administration », le titre 3 du Code témoigne du mouvement qui, depuis plusieurs décennies, pousse à l’inflexion de la relation administrative : la conception traditionnelle d’une administration tenant les administrés à distance et leur imposant ses vues par voie d’autorité, fait place à un souci nouveau de proximité, de dialogue et d’implication des intéressés dans l’action administrative. Toute une série de réformes, sous-tendues par le thème de la participation, ont ainsi été entreprises à partir des années 1970, semblant alors préfigurer l’avènement d’un modèle administratif nouveau, dégagé des lourdeurs bureaucratiques.

Si cette dynamique a tendu par la suite à s’essouffler, le mouvement a été relancé à travers le développement de formules visant à impliquer les administrés eux-mêmes, et non plus seulement leurs représentants, dans les processus administratifs :  tandis que l’enquête publique s’étend, dans tous les cas où l’action publique a des effets individualisables et des destinataires localisables, et que le référendum s’enracine au niveau local, des procédures de débat public, relevant d’une logique délibérative, sont aménagées, afin de permettre aux publics intéressés de débattre de la réalisation des grands équipements ou des orientations des politiques publiques ; enfin, les possibilités nouvelles de consultation en ligne offertes par l’essor d’Internet sont toujours davantage utilisées. Le Code ne pouvait manquer dès lors de faire référence à ce qui constitue désormais un aspect essentiel des relations entre l’administration et les administrés.

La codification se heurtait cependant en l’espèce à plusieurs types de difficultés.

D’abord, elle ne pouvait prétendre englober l’ensemble des techniques de participation, notamment celles par lesquelles les administrés sont directement impliqués dans l’exercice des responsabilités administratives et dans la marche des services : seule la question de leur intervention dans les processus décisionnels est ici traitée, celle-ci étant conçue comme une forme d’ « association » à la prise des décisions ; la participation n’est évoquée que comme la traduction de cette association en matière de décisions locales (chapitre 5), l’enquête publique étant par ailleurs présentée comme un « instrument d’information et de participation » (art. R 134-2).

L’emploi du vocable « association » de préférence à celui de « participation », généralement utilisé, n’est pas dépourvu de signification. Alors que la participation implique la présence des administrés au cœur même des processus décisionnels, l’association présuppose l’existence d’un élément fondamental d’extériorité : les intéressés ne sont pas réellement partie prenante mais seulement « associés » à la prise de décision, qui reste l’apanage de l’administration. La formule apparaît comme étant en retrait par rapport aux propositions qu’avait formulées le Conseil d’État dans son rapport de 2011 (Consulter autrement, participer effectivement) et encore par rapport à la volonté exprimée dans la loi d’habilitation du 12 novembre 2013 de « renforcer la participation du public à l’élaboration des actes administratifs ». On peut y déceler le souci de mieux délimiter le rôle de chacun, en évitant toute confusion des responsabilités, ainsi que de dissiper certaines équivoques générées par l’idée de participation, qui donne l’illusion d’un partage du pouvoir : le rapprochement avec l’administré ne saurait remettre en cause ce qui constitue le substrat et l’essence de la relation administrative.

Par ailleurs, le Code ne saurait prétendre recouvrir l’ensemble des situations dans lesquelles les administrés sont appelés à intervenir dans les processus décisionnels : de nombreux dispositifs spécifiques, se réclamant au demeurant davantage de l’idée de participation que de celle d’ « association », sont insérés dans d’autres codes, tels celui des collectivités territoriales, ou de l’environnement ; le CRPA établit ainsi un cadre par défaut, applicable en l’absence de dispositions particulières, ce qui limite d’autant sa portée.

La codification des dispositions relatives à l’association du public se traduit par un double apport : rationalisation du dispositif traditionnel de l’administration consultative ; institutionnalisation des dispositifs nouveaux, allant au-delà des mécanismes classiques de représentation des intérêts et donnant aux « personnes concernées » la possibilité de faire valoir leur point de vue.

Concernant la consultation de représentants du milieu social au sein de structures permanentes, les dispositions exclusivement réglementaires du Code (chapitre 3) reprennent pour l’essentiel les dispositions figurant dans le décret du 8 juin 2006 (modifié le 4 juin 2009) : celui-ci avait entendu encadrer le recours à la formule, en subordonnant la création d’une commission à la réalisation d’une étude montrant qu’elle répondait à une nécessité et en fixant une durée maximale d’existence (cinq ans) ; il s’était par ailleurs attaché à simplifier et à homogénéiser leurs règles de fonctionnement. Le dispositif est désormais codifié. Si ce modèle classique de consultation subsiste, les sévères critiques dont il fait l’objet, en raison de son coût, de son formalisme et de son inefficacité, explique qu’il soit désormais relayé par d’autres dispositifs s’adressant directement au public.

Sur ce plan, deux dispositifs spécifiques sont visés par le Code : celui de la consultation ouverte sur Internet ; celui de l’enquête publique, le Code évoquant par ailleurs pour mémoire (chapitre 5) les dispositifs de participation existant au niveau local.

Internet est d’abord conçu comme l’instrument privilégié de l’élargissement du processus de consultation (chapitre 2). D’une part, le Code reprend le dispositif institué par la loi du 17 mai 2011 donnant la possibilité de remplacer les consultations obligatoires prescrites par les textes par des « consultations ouvertes », destinées à recueillir sur un site internet dédié les observations des « personnes concernées », préalablement à l’édiction d’actes : le caractère facultatif de cette possibilité, à la différence de ce qui existe en matière d’environnement, ainsi que le faible encadrement du processus en limitent cependant la portée. D’autre part, des consultations du même type peuvent être prévues, soit en application de dispositions prévoyant la consultation du public préalablement à l’adoption d’un acte réglementaire, soit concernant des projets de loi. Les effets de ce décloisonnement des procédures de consultation sont ambigus : la consultation ouverte entraîne la juxtaposition de points de vue, qu’il est nécessaire de décanter et de traiter ; d’où la nécessité d’un « tiers organisateur », garant de la sincérité du processus et chargé d’effectuer la synthèse des observations. Or, l’existence de ce tiers reste subordonné au bon vouloir de l’administration.

Le Code définit par ailleurs (chapitre 4) un régime-cadre applicable aux enquêtes publiques « innommées » qui ont proliféré en dehors du contexte de l’expropriation pour cause d’utilité publique et de la protection de l’environnement. Les dispositions réglementaires concernant les conditions d’ouverture de l’enquête, la désignation et l’indemnisation du commissaire enquêteur ou de la commission d’enquête, la composition du dossier, la clôture de l’enquête et la communication des conclusion ne présentent pas de réelle originalité par rapport à celles régissant les enquêtes précédentes.

Par-delà ces deux dispositifs, le chapitre 1er du Code fixe un certain nombre de principes généraux, applicables à l’ensemble des hypothèses dans lesquelles l’administration décide, en dehors des cas régis par des dispositions législatives et réglementaires, d’associer le public « à la conception d’une réforme ou à l’élaboration d’un projet ou d’un acte » (art. L 131-1) : le champ d’application est donc vaste et s’étend aux procédures de débat public, organisées hors de l’existence d’un texte. Ce cadre se caractérise par une grande souplesse : l’administration est seulement tenue de « rendre publiques » les modalités de la procédure, de mettre à la disposition des personnes concernées des « informations utiles », de fixer un « délai raisonnable » pour la participation, de publier les résultats et des suites envisagées ; elle dispose ainsi d’une marge importante d’appréciation, tant pour la définition des « personnes concernées » que dans le déroulement du processus et la prise en compte des avis exprimés. On est loin des « principes directeurs » que le Conseil d’État avait souhaité voir inscrits dans une « loi-code ».

Le travail de codification ainsi opéré este donc partiel et ne saurait dans tous les cas épuiser les formes très diverses que revêtent les processus participatifs.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno) ; Art. 72.

   Send article as PDF