Archive annuelle 23 avril 2019

ParJDA

La régularisation dans le contentieux des documents d’urbanisme : source de sécurité juridique ?

par Mme Caroline BARDOUL

Docteure en droit public de l’université d’Orléans & avocate au barreau de Nantes

La pratique généralisée de la régularisation en droit de l’urbanisme se manifeste, notamment, au travers du sursis à statuer prévu à l’article L. 600-9 du code de l’urbanisme. Né de la volonté de préserver un juste équilibre entre le droit au recours et la sécurité juridique, ce récent mécanisme laisse des questions en suspens.

I) Le sursis à statuer : un dispositif destine à circonscrire la présence d’une illégalité au sein d’un document d’urbanisme

A) La volonté de « réparer » plutôt que d’annuler l’acte illégal

Lorsque le juge administratif est amené à annuler un acte, dans le cadre d’un recours en excès de pouvoir, l’objectif premier est d’« assurer le rétablissement de la légalité méconnue. Si l’intérêt du requérant s’en trouve satisfait, ce sera par surcroît » (R. Chapus, Droit du contentieux administratif, Paris, Montchrestien, 2008, p. 224).

L’effet couperet du principe de légalité connaît, de plus en plus, des limitations au bénéfice du principe de sécurité juridique. En droit de l’urbanisme, la volonté d’assurer la sécurité des autorisations d’urbanisme implique une conception plus souple du principe de légalité. La régularisation intervient alors pour parer « aux effets dévastateurs de l’annulation contentieuse » (L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet, « La régularisation, nouvelle frontière de l’excès de pouvoir », AJDA 2016, p. 1859).

L’annulation d’un document d’urbanisme emporte de tels effets puisqu’en application de l’article L. 600-12 du code de l’urbanisme, le document immédiatement antérieur se trouve remis en vigueur. Cela engendre, alors, de lourdes répercussions pour la collectivité. Des projets d’urbanisme en cours d’exécution ou sur le point de débuter peuvent s’en trouver ralentis, voire compromis.

L’application de la jurisprudence Danthony (CE, Ass., 23 novembre 2011, n° 335033, Rec.) permet d’éviter des annulations trop fréquentes puisque certains vices de procédure, réputés n’avoir ni exercé « une influence sur le sens de la décision prise » ni « privé les intéressés d’une garantie », n’entraîneront pas l’annulation du plan local d’urbanisme (PLU).

Le juge administratif doit se prononcer sur le caractère « Danthonysés », ou non, du vice, avant d’indiquer la manière d’y remédier (CE, Sect., 22 décembre 2017, Commune de Sempy, n° 395963, Rec.). L’article L. 600-9 du code de l’urbanisme a introduit un mécanisme permettant d’éviter l’annulation systématique d’un document d’urbanisme entaché d’illégalité.

Cette disposition marque le passage d’une « annulation-sanction » à une « annulation-réparation » (F. Rolin, « La régularisation des documents d’urbanisme à la demande du juge – Quelques problèmes pratiques… et théoriques », AJDA 2017, p. 25).

B) Le sursis à statuer : un mécanisme étroitement délimité

Aux termes des dispositions de l’article L. 600-9 du code de l’urbanisme, le juge va pouvoir surseoir à statuer afin de permettre la correction du vice entachant le document d’urbanisme.

Cet article dispose en effet que : « Si le juge administratif, saisi de conclusions dirigées contre un schéma de cohérence territoriale, un plan local d’urbanisme ou une carte communale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’une illégalité entachant l’élaboration ou la révision de cet acte est susceptible d’être régularisée, il peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation et pendant lequel le document d’urbanisme reste applicable, sous les réserves suivantes : / 1° En cas d’illégalité autre qu’un vice de forme ou de procédure, pour les schémas de cohérence territoriale et les plans locaux d’urbanisme, le sursis à statuer ne peut être prononcé que si l’illégalité est susceptible d’être régularisée par une procédure de modification prévue à la section 6 du chapitre III du titre IV du livre Ier et à la section 6 du chapitre III du titre V du livre Ier ; / 2° En cas d’illégalité pour vice de forme ou de procédure, le sursis à statuer ne peut être prononcé que si l’illégalité a eu lieu, pour les schémas de cohérence territoriale et les plans locaux d’urbanisme, après le débat sur les orientations du projet d’aménagement et de développement durables. / Si la régularisation intervient dans le délai fixé, elle est notifiée au juge, qui statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. / Si, après avoir écarté les autres moyens, le juge administratif estime que le vice qu’il relève affecte notamment un plan de secteur, le programme d’orientations et d’actions du plan local d’urbanisme ou les dispositions relatives à l’habitat ou aux transports et déplacements des orientations d’aménagement et de programmation, il peut limiter à cette partie la portée de l’annulation qu’il prononce ».

Les possibilités offertes par les dispositions susvisées demeurent circonscrites. En effet, seuls certains documents d’urbanisme, à savoir les schémas de cohérence territoriale (SCOT), les PLU et les cartes communales, sont concernés par ce dispositif.

Au surplus, lorsqu’il s’agit d’un vice de fond, ce sursis à statuer ne peut ensuite être prononcé que si l’illégalité est susceptible d’être régularisée par une procédure de modification du PLU.

En outre, lorsqu’il s’agit d’un vice de forme ou de procédure entachant un SCOT ou un PLU, le sursis à statuer n’est possible que pour les illégalités commises après le débat sur les orientations du projet d’aménagement et de développement durables.

II) L’ambivalence du sursis à statuer

A) La régularisation entourée de garanties

Dans un certain nombre d’hypothèses, l’annulation partielle et le sursis à statuer semblent pouvoir être utilisées de manière concurrente. Ce sont deux manières différentes d’éviter l’annulation d’un document d’urbanisme, mais elles ne présentent pas de garanties comparables comme le montrent les exemples ci-après.

Une annulation partielle permet, par exemple, de remédier à une erreur de délimitation de zones. L’annulation ne portera alors que sur le seul zonage illégal et le reste du PLU restera en vigueur (Rép. du Min. du logement à la QE n° 11992 de J.-L. Masson, JO Sénat du 7 août 2014, p. 1892).

Dans un récent exemple jurisprudentiel, une annulation partielle a été prononcée. Le cas était le suivant : les auteurs du plan local d’urbanisme intercommunal avait créé en zone N un secteur de taille et de capacité d’accueil limitées NhMB03, d’une superficie de 50 000 m², lequel a été jugé illégal. La délibération attaquée été annulée seulement en tant qu’elle a créé le secteur de taille et de capacité d’accueil limitées NhMB03 (TA Versailles, 4 mai 2018, n° 1702800). Sauf difficulté dans l’exécution du jugement, le juge ne sera pas amené à porter d’appréciation sur la modification du PLU effectuée en application du jugement susvisé. Celle-ci se déroulera, alors, en dehors de tout contrôle juridictionnel.

Dans un cas similaire, la cour administrative d’appel de Nantes a, en revanche, prononcé un sursis à statuer. En effet, après avoir relevé l’erreur manifeste d’appréciation commise dans le classement de parcelles en zone d’urbanisation future (zone 2AU), la cour a sursis à statuer et a imparti un délai de sept mois à la collectivité pour procéder à une régularisation (CAA Nantes, 4 mai 2018, n° 17NT00863).

Dans l’exemple jurisprudentiel susvisé, l’arrêt avant-dire droit prononçant le sursis à statuer n’a donc pas eu à expliciter, en détail, les modalités de la régularisation. Celle-ci était simple à mettre en œuvre puisqu’elle impliquait la seule modification du zonage pour remédier au vice décelé.

Dans un tel cas de figure, l’utilisation du sursis à statuer présente d’indéniables avantages : « Le juge administratif indique précisément les vices affectant l’acte et donne un délai de régularisation à l’issue duquel il prononce, ou non, l’annulation de l’acte ; à l’issue de ce délai, le juge peut ainsi apprécier si l’acte a été réellement régularisé ; en outre, l’acte attaqué régularisé subsiste sans discontinuité ni amputation dans l’ordre juridique » (R. Thiele, « Annulations partielles et annulations conditionnelles », AJDA 2015, p. 1357).

En outre, les parties à l’instance, ayant donné lieu à la décision de sursis à statuer en vue de permettre la régularisation de l’acte attaqué, ne peuvent contester la légalité de l’acte de régularisation que dans le seul cadre de cette instance.

Elles ne pourront pas présenter une nouvelle requête pour contester cet acte (CE, 29 juin 2018, n° 395963, Rec.). Sont, ainsi, évités des recours successifs de la part des partie à l’instance.

Le sursis à statuer est une alternative à l’annulation, laquelle est entourée de limites et d’un contrôle juridictionnel en aval de la régularisation opérée.

B) Les contours flous du sursis à statuer : un vecteur d’insécurité juridique ?

Le sursis à statuer a pour effet de renouveler en profondeur l’office du juge de l’excès de pouvoir. La possibilité de surseoir à statuer pour permettre de pallier une irrégularité ouvre, dans bien des hypothèses, un débat sur la teneur de cette régularisation.

Dans les exemples cités auparavant, les modalités de la régularisation permettant de remédier au vice décelé s’avéraient simples à mettre en œuvre. En revanche dans d’autres cas de figure, le juge a dû préciser la manière dont pouvait s’opérer la régularisation.  Certains jugements ont dû faire preuve d’une grande pédagogie en indiquant explicitement quelles pièces constitueraient des moyens de régularisation appropriés.

Au surplus, le juge doit accorder un délai à l’administration pour régulariser. Cependant, pour accorder un juste délai, ni trop court, ni trop long, le juge se voit obligé de tenir compte de l’aléa et des contraintes procédurales liés à l’adoption d’un PLU.

Accorder un délai insuffisant obère tout effet utile à la régularisation. En effet, si la régularisation n’est pas effectuée, le document d’urbanisme demeure donc illégal et le juge ne peut que l’annuler. Le but étant d’éviter l’annulation, il convient de laisser un délai adéquat permettant la régularisation.

À l’inverse, l’objectif de ce dispositif n’est pas de pallier un manque de diligences de la collectivité, accorder un délai trop important ferait perdre tout son sens au sursis à statuer. Les modalités permettant la régularisation, tout comme le délai imparti pour y procéder sont, par définition, susceptibles de varier en fonction du vice décelé, ce qui laisse nécessairement une part à l’incertitude. Plus les juridictions vont prononcer des sursis à statuer, plus la manière de régulariser telle ou telle illégalité entachant un document d’urbanisme sera connue à l’avance. À terme, le délai nécessaire devrait être moins sujet à question. Dans cette attente, règne une forme d’insécurité juridique. En témoignent les exemples cités ci-après.

Ainsi, après avoir relevé l’absence de preuve par une commune de transmission du projet de PLU à la communauté de communes dont elle relève, le tribunal administratif a prononcé un sursis à statuer avant d’inviter la commune à produire la preuve que le projet avait effectivement été transmis. Le tribunal a précisé que cette preuve pouvait lui être apportée sous la forme, soit d’une attestation régulière du président de la communauté de communes, soit d’une délibération du conseil communautaire certifiant que cette formalité a été accomplie.

À défaut de rapporter cette preuve, la formation de jugement a indiqué qu’il conviendrait de reprendre l’ensemble de la procédure d’élaboration du PLU à compter de l’accomplissement de cette formalité, en veillant à compléter le dossier d’enquête publique sur ce point.

Le tribunal a sursis à statuer en attendant la production des éléments demandés ou, à défaut, la régularisation de ce vice par la reprise de la partie de procédure entachée d’illégalité. Un délai de neuf mois a été imparti à la commune pour satisfaire à cette régularisation (TA Versailles, 10 juillet 2015, n° 1301549).

Par une décision du 21 septembre 2017, le tribunal administratif de Nantes a relevé que le PLU d’une commune était entaché d’illégalité (TA Nantes, 21 septembre 2017, n°1605079).

En premier lieu, à la date de clôture de l’instruction, il ne ressortait pas des pièces du dossier qu’une note de synthèse aurait été jointe à la convocation des conseillers municipaux, cela en méconnaissance des dispositions de l’article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales.

En second lieu, une erreur de droit entachait le règlement du plan local d’urbanisme et était susceptible d’être régularisée par l’application de la procédure de modification du PLU.

Les juges nantais ont donc sursis à statuer et ont imparti à la commune un délai de trois mois pour procéder à la régularisation de la délibération par laquelle la commune avait approuvé son PLU. Le conseil municipal a de nouveau approuvé son PLU, une note de synthèse a été jointe à la convocation des conseillers municipaux. La nouvelle délibération du 18 décembre 2017 a été regardée comme ayant régularisé la précédente, et en outre, par cette même délibération, le règlement du PLU a été modifié et, ainsi, purgé de l’erreur de droit relevée.

Par un jugement du 13 juillet 2018, la formation de jugement a considéré qu’il avait été remédié aux illégalités relevées, par voie de conséquence, la requête a été rejetée (TA Nantes, 13 juillet 2018, n° 1605079). Dans les cas de figure précédemment évoqués, les régularisations ont permis sous le contrôle du juge d’éviter l’annulation du document d’urbanisme. Une nuance s’impose toutefois puisque les modalités de régularisation jugées effectives en première instance ne le seront pas forcément en appel.

Au surplus, malgré le succès des régularisations intervenues dans les exemples précités, force est d’admettre qu’il est difficile d’estimer, lorsque le vice est décelé, si la régularisation est, ou non, envisageable et sous quelle forme elle est susceptible d’intervenir.

Il est également difficile d’anticiper d’éventuelles « anicroches dans la procédure » qui auraient pour effet d’engendrer une régularisation, valable, mais postérieure au délai fixé par le juge. (F. Rolin, « La régularisation des documents d’urbanisme à la demande du juge – Quelques problèmes pratiques… et théoriques », AJDA 2017, p. 25).

La mise en œuvre du sursis à statuer permettra certainement de limiter l’insécurité juridique afférente à ce mécanisme. Encore faut-il espérer une absence de discordances entre les juridictions sur les moyens mis en œuvre pour opérer la régularisation.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Dossier 06 : « La régularisation en droit public » (dir. Sourzat & Friedrich) ; Art. 243

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L’illusion de la régularisation en droit des étrangers

par Mme Saskia DUCOS-MORTREUIL

Avocate au barreau de Toulouse

La législation sur l’immigration, codifiée au sein du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), prévoit l’admission exceptionnelle au séjour, procédure de régularisation au cas par cas pour les étrangers non européens en situation irrégulière.

Depuis une quarantaine d’années, la régularisation des ressortissants étrangers sans papiers est devenue une pratique qui permet de prendre en considération les situations humaines les plus dramatiques mais aussi de contrôler la situation des ressortissants de pays tiers en situation irrégulière.

Une politique de régularisation par circulaire s’est peu à peu développée, avec en dernier lieu la publication de la circulaire relative aux conditions d’examen des demandes d’admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière, dite circulaire « Valls », du 28 novembre 2012 (NOR : INTK1229185C).

Dans ce cadre, des efforts ont été déployés afin de définir juridiquement la régularisation en droit des étrangers. Ces efforts avaient notamment pour but de répondre aux vives critiques dénonçant le caractère aléatoire de la pratique de la régularisation par les différentes préfectures et ainsi assurer davantage de sécurité juridique aux ressortissants étrangers souhaitant y prétendre.

Pour autant, la faible portée des moyens juridiques employés a conduit à rendre le droit à la régularisation totalement illusoire.

I) La tentative de définition d’un droit de la régularisation

La régularisation est définie par le CESEDA de manière pour le moins vague. En effet, l’admission exceptionnelle au séjour, définition juridique de la pratique de la régularisation en droit des étrangers, est régie principalement par les dispositions de l’article L. 313-14 du CESEDA précité aux termes desquelles :

« La carte de séjour temporaire mentionnée à l’article L. 313-1 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l’article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, à l’étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l’admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu’il fait valoir sans que soit opposable la condition prévue à l’article L. 313-2 ».

Ces dispositions permettent ainsi la délivrance d’une carte de séjour portant la mention « vie privée et familiale », « salarié » ou « travailleur temporaire », même dans le cas où le ressortissant étranger demandeur ne présente pas de visa d’entrée régulière sur le territoire français. Elles consacrent ainsi la possibilité pour les ressortissants étrangers en situation irrégulière d’accéder à un droit au séjour en France.

Si le principe est ainsi posé, restent les difficultés causées par l’impossible définition de ce que sont des « considérations humanitaires » ou des « motifs exceptionnels ». De telles notions conduisent nécessairement à des appréciations aléatoires et à une insécurité juridique dans la mise en œuvre des dispositions relatives à l’admission exceptionnelle au séjour des ressortissants étrangers.

C’est dans ce cadre que ce sont développées les circulaires de régularisation.

Comme toutes les précédentes, la circulaire du 28 novembre 2012, présentée comme une circulaire « de régularisation », était donc très attendue. Nombre de ressortissants étrangers ont espéré que leur situation administrative, source de précarité et d’insécurité, s’améliorerait.

Les objectifs annoncés étaient ambitieux : « Définir des critères objectifs et transparents pour permettre l’admission au séjour des étrangers en situation irrégulière, (…) guider les préfets dans leur pouvoir d’appréciation et ainsi limiter les disparités ».

Ainsi, la circulaire prévoit, par exemple, que la demande de régularisation émanant du ou des parents d’un enfant scolarisé est examinée au vu de deux critères cumulatifs :

  • une installation durable du demandeur sur le territoire français (cinq ans ou exceptionnellement moins),
  • une scolarisation en cours à la date du dépôt de la demande d’au moins un des enfants depuis au moins trois ans.

La circulaire prévoit également par exemple la possibilité d’être régularisé au titre du travail lorsque le ressortissant étranger justifie :

  • détenir un contrat de travail ou une promesse d’embauche,
  • avoir travaillé huit mois, consécutifs ou non, sur les vingt-quatre derniers mois ou trente mois, consécutifs ou non, sur les cinq dernières années,
  • une ancienneté de séjour en France d’au moins cinq ans.

La régularisation semble ainsi fondée sur des critères précis et objectifs et permettre une pratique de l’autorité administrative assurément transparente et uniforme sur l’ensemble du territoire français. À la lecture de la circulaire, tout laisse à croire qu’il suffit de remplir les conditions définies pour se voir délivrer une carte de séjour et voir sa situation administrative régularisée.

Cette introduction d’une apparente objectivité dans le cadre de l’appréciation des demandes de régularisation a conduit des milliers de ressortissants étrangers à se rendre aux guichets des préfectures.

Il faut toutefois mesurer la portée d’une simple circulaire et la distinguer de dispositions législatives ou réglementaires. Parmi les différents types de circulaires, celles qui visent à une régularisation sont des circulaires dites interprétatives, dénuées de tout caractère impératif.

Ainsi, les moyens employés pour définir un droit de la régularisation en apparence fondé sur des critères objectifs font en réalité obstacle à l’existence d’un droit à la régularisation au bénéfice des ressortissants étrangers.

II) Le refus de reconnaissance d’un droit à la régularisation

Dès 1996, le Conseil d’État, alors interrogé par le gouvernement sur l’existence d’un droit à la régularisation des ressortissants étrangers en situation irrégulière, introduisait son avis ainsi :

« Il convient, tout d’abord, d’observer qu’il ne peut exister un « droit à la régularisation », expression contradictoire en elle-même. (…) Si donc le demandeur de régularisation a un droit, c’est celui de voir son propre cas donner lieu à examen » (CE avis, 22 août 1996 n° 359622).

Le choix de définir des critères de régularisation par circulaire n’est pas neutre : elle laisse en effet une grande liberté à l’administration et ne permet aucune contestation, ni aucun contrôle juridictionnel des critères qu’elle pose.

Elle ne confère pas de droits aux personnes concernées mais donne seulement des consignes, plus ou moins floues, à l’administration. L’appréciation discrétionnaire de l’administration prend le pas sur l’apparente objectivité des critères de régularisation et confronte nécessairement les demandeurs de régularisation à une situation d’insécurité juridique.

La circulaire fait en définitive l’objet d’une mise en œuvre aléatoire sur l’ensemble de territoire, au gré notamment des sensibilités politiques ou encore des « pratiques » locales.

Surtout, l’absence totale de contrôle dans la mise en œuvre des critères de régularisation, pourtant précisément définis par la circulaire, laisse aux ressortissants étrangers souhaitant faire valoir leurs « droits » un profond sentiment d’injustice.

Le non-respect par l’autorité administrative des critères de régularisation prévus par la circulaire n’est pas sanctionné par le juge administratif.

Le contrôle de légalité n’est pas un contrôle de l’opportunité.

Les conditions de traitement des dossiers soulèvent plus que jamais la question de l’évolution de la jurisprudence administrative sur la nature des circulaires de régularisation et donc sur l’opposabilité de ces dernières.

La réponse du Conseil d’État a été sans équivoque.

Alors que plusieurs cours administratives d’appel avaient reconnu le caractère invocable de la circulaire du 28 novembre 2012, en énonçant qu’elle contenait des « lignes directrices », le Conseil d’État, statuant au contentieux, a considéré que ce texte n’est pas invocable à l’appui d’un recours formé devant le juge administratif (CE, 4 février 2015, n° 373267, T.).

La régularisation est une mesure d’exception et relève d’une appréciation par l’administration de l’opportunité d’en faire bénéficier le ressortissant étranger demandeur.

De quels droits peuvent dès lors encore se prévaloir les demandeurs de régularisation ?

La protection face à l’erreur manifeste d’appréciation de l’administration.

Ignorant les critères objectifs de régularisation, le juge administratif limite son contrôle à celui de la proportionnalité entre les buts en vue desquels les mesures défavorables sont prises par l’administration et le droit des personnes qui en font l’objet.

Ce contrôle s’exercera souvent à l’aune des stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Le droit à la protection de la vie privée et familiale des ressortissants étrangers semble en définitive être la seule contrainte imposée à l’administration dans le cadre de l’appréciation des demandes de régularisation.

C’est en tout cas en ce sens que le Conseil d’État concluait son avis en 1996 en indiquant :

« Il est d’autant plus utile que le gouvernement exerce, dans les situations où ce droit est en cause, l’examen individuel qui lui incombe de toute façon que les mesures de régularisation éventuelles cessent alors de relever de l’opportunité pour se situer sur le terrain de la légalité » (CE avis, 22 août 1996, n° 359622).

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Dossier 06 : « La régularisation en droit public » (dir. Sourzat & Friedrich) ; Art. 242

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La régularisation en droit administratif camerounais


par M. Éric Stéphane MVAEBEME

Docteur/Ph.D en droit public &
Moniteur au département de droit public interne à l’université de Yaoundé II-Soa (Cameroun)

L’administration est organisée de manière à agir rationnellement et efficacement (R. Degni Segui, 2012). Ce qu’elle fait recouvre principalement ce qu’on pourrait appeler « l’action administrative ». Le vocable « action » dérive étymologiquement du mot latin (ago, agere, actum), qui signifie « agir », faire avancer, faire quelque chose, exprimer par le mouvement. L’action désigne la manifestation de volonté, tout ce que l’on fait. De ce fait, l’action administrative peut s’entendre largo sensu, de tous les actes accomplis par l’administration, aussi bien les actes ou opérations matériels que les actes juridiques.

L’action de l’administration est soumise au respect d’un principe fondamental, le principe de légalité. C’est justement ce principe qui peut ne pas être respecté par des procédures et actes unilatéraux et contractuels de l’administration. On dit alors qu’ils sont irréguliers. La complexité de l’intervention de l’administration, la nécessité de tenir compte d’intérêts divergents, les difficultés qui sont liées à la collecte des informations complexes, mais aussi l’évolution rapide des règles de fond, ce qu’on appelle l’inflation normative, tout ceci fait qu’assez souvent les actes administratifs, qu’il s’agisse d’actes réglementaires, de décisions de planification, de mesures relatives à des infrastructures ou des décisions individuelles classiques, sont entachées de certains vices (J.-M. Woehrling, 2004). Pour ce genre d’actes et de procédures, l’annulation par le juge a souvent été recherchée, mais aujourd’hui émerge de plus en plus une technique exceptionnelle appelée régularisation.

La régularisation est prima facie une technique juridique, c’est-à-dire « une activité pratique adaptant des normes juridiques à des besoins sociaux réels » (A.-J. Arnaud,1993). Elle est une correction destinée à éviter des conséquences démesurées, telles que l’irrecevabilité d’un recours contentieux ou l’annulation d’un acte (A. Van Lang, G. Gondouin et V. Inserguet Brisset, 2005). La régularisation est davantage un mécanisme opératoire grâce auquel un acte ou une situation juridique contraire au droit peut, avant ou après l’intervention du juge, se perpétuer ou revivre dans la légalité pleinement retrouvée (J.-J. Israël, 1981). Il s’agit d’une technique fluctuante, plastique dont tous les contours ne sont pas encore totalement définis tant par la doctrine que par la jurisprudence. En droit administratif, elle demeure même un territoire encore relativement inexploré. Mais tout compte fait, elle se traduit par une rectification de l’acte ou de la situation irrégulière, c’est-à-dire par la suppression ou la correction du vice qui le rend irrégulier (O. Fuchs, 2017). Théoriquement, il est possible de systématiser les types de régularisation. L’on peut ainsi identifier d’un côté une régularisation préventive ou celle opérée par l’administration, qui fait en sorte que l’acte de régularisation se borne à venir conforter les effets produits par un acte préexistant ; de l’autre côté, l’on aperçoit les contours d’une régularisation curative ou juridictionnelle, c’est-à-dire celle où l’acte de régularisation se substitue à l’acte annulé afin de fournir une base légale aux effets que celui-ci a produits (V. Daumas, 2017). La régularisation envisagée sous toutes ses facettes a pour but de concilier légalité et sécurité juridique. Elle permet à l’administration de régulariser son acte unilatéral ou contractuel avant l’action du juge dès lors que l’irrégularité est constatée, et après l’intervention du juge sur la base de la décision d’annulation. La sécurité juridique est ainsi préservée, car l’acte est maintenu en vigueur, mais la légalité est assurée puisque l’acte est épuré de son irrégularité.

Le droit administratif dans son acception large est le droit de l’administration. Il comprend toutes les normes qui s’appliquent à son activité. Stricto sensu, le droit administratif correspond aux seules règles différentes des règles du droit privé applicables, en principe, aux relations entre particuliers (P. Chretien, N. Chifflot et M. Tourbe, 2016). Le droit administratif camerounais qui est différent du droit administratif au Cameroun est une adaptation dans ce pays des règles et mécanismes existants dans la théorie générale du droit administratif, conçue en France. Cette adaptation n’a pas lieu, de manière à établir automatiquement une ressemblance entre l’imitation et le modèle étranger. Tout au contraire, elle se fait de manière progressive, en transformant quelques fois certaines règles générales en des règles originales au point où certaines tendances « endogènes » sont visibles (P. Moudoudou, 2009). Ce droit administratif camerounais repose sur des sources formelles (textes et jurisprudence) qui lui sont propres au point d’en dégager une originalité certaine.

L’étude qui a trait à l’application de la théorie de la « reconstruction » (J.-F. Lafaix, 2009) des actes et situations juridiques au Cameroun permet de dégager l’interrogation majeure suivante : comment la technique de la régularisation est-elle traitée en droit administratif camerounais ? En guise d’idée directrice, il y a lieu de relever que le traitement réservé à la régularisation en droit administratif camerounais est ambivalent. L’ambivalence est la tendance à éprouver ou à manifester simultanément deux sentiments opposés à l’égard d’un même objet. Dans le cadre de la présente étude, la régularisation est tantôt admise, tantôt refusée. La part belle est faite à l’administration pour régulariser. Cela atteste du caractère « a-libéral » (P.-E. Abané Engolo, 2016) du droit administratif camerounais qui trahit une inclination vers la primauté de l’administration.

L’intérêt de l’étude sur la régularisation en droit administratif camerounais est à la fois théorique et pratique. Théoriquement, elle vise à rendre visible quelques linéaments d’un mécanisme encore exceptionnel au Cameroun, et dans la pratique elle permet de voir le degré de fracture administrativiste d’avec le droit français.

Le traitement réservé à la régularisation en droit camerounais est orienté vers une admission sectorielle de ce mécanisme (I), tout en constatant son exclusion totale après annulation conditionnelle du juge (II).

I) L’admission sectorielle de la régularisation

Le vocable « régularisation » est souvent utilisé en vue de décrire des pratiques qui présentent un lien direct avec la correction d’une irrégularité. L’essentiel est qu’il y ait au préalable quelque irrégularité qui mérite d’être corrigé. Il est ainsi important de distinguer la régularisation des situations de celle des actes qui relèvent de logiques différentes. La première vient donner un titre juridique à une situation de fait, elle vient aussi attribuer un couvert juridique à une situation qui ne l’avait pas. Tandis que la seconde vient lever le vice qui entachait un acte, tout en reprenant le dispositif qui demeure inchangé.

Le droit administratif camerounais qui est encore peu généreux en matière de systématisation des cas de régularisation, permet tout de même d’identifier et de reconnaitre ceux-ci dans quelques rares secteurs. Ainsi, la régularisation est admise exceptionnellement pour certains actes juridiques (A) et pour certaines situations de fait (B).

A) L’admission de la régularisation préventive de certains actes juridiques

L’acte juridique est une « opération juridique (negotium) consistant en une manifestation de la volonté (publique ou privée, unilatérale, plurilatérale ou collective) ayant pour objet et pour effet de produire une conséquence juridique » (G. Cornu, 2014). En droit administratif, les actes juridiques sont l’acte administratif unilatéral, l’acte contractuel et par extension doctrinale les mesures d’orientation (D. Truchet, 2015).

Il est utile de signaler que pour qu’il y ait régularisation, il faudrait qu’il y ait aussi des actes régularisables. Ces derniers sont ceux qui en principe peuvent faire l’objet d’une correction positive. Ainsi, pour être régularisé, ces actes doivent être entachés d’illégalités externes, c’est-à-dire porter sur l’incompétence, le vice de forme et de procédure (H. Bouillon, 2018). Contrairement aux illégalités internes qui ont trait à la violation de la loi, les erreurs et le détournement de pouvoir. En droit camerounais, l’acte unilatéral (1) et l’acte contractuel (2) peuvent être régularisés.

1) L’admission de la régularisation préventive d’un acte administratif unilatéral : le titre foncier

Le droit administratif camerounais, bien qu’il soit majoritairement codifié est partiellement jurisprudentiel. C’est dans cet élan que la définition de l’acte administratif unilatéral a été dégagée. Pour le juge administratif, « l’acte administratif est un acte juridique unilatéral pris par une autorité administrative dans l’exercice d’un pouvoir administratif et créant des droits et des obligations pour les particuliers » (affaire AP/CFJ, arrêt n° 20 du 20 mars 1968, Ngongang Njanke Martin c/ État du Cameroun). Ainsi « l’on retient un certain nombre d’éléments principaux : l’acte administratif unilatéral, c’est d’abord un acte juridique ; l’unilatéralité en est la condition deuxième, puis intervient son émanation de la part d’une autorité administrative, pour enfin s’identifier à un mode de modification de l’ordonnancement juridique par des obligations qu’il impose ou par des droits qu’il confère » (J.-C. Aba’a Oyono, 1994).

En droit camerounais, le titre foncier dont la nature juridique a souvent fait l’objet de discussions doctrinales (A. Mpessa, 2004) est défini comme « la certification officielle de la propriété foncière ». Il est indubitablement un acte administratif. Primo, le titre foncier est un acte normatif, c’est-à-dire créateur du Droit. Secundo, c’est un acte pris par une autorité administrative dans l’exercice d’un pouvoir administratif ; il est délivré par le conservateur qui est un fonctionnaire du ministère des domaines, du cadastre et des affaires foncières. Qui plus est, une kyrielle d’autorités administratives intervient dans la procédure d’immatriculation au Cameroun. Tertio, c’est un acte faisant grief, et créateur de droits et obligations.

En tant qu’acte administratif, le titre foncier fait l’objet d’une exceptionnelle possibilité de régularisation. Celle-ci est prévue dans le décret n° 2005/481 du 16 décembre 2005 modifiant et complétant certaines dispositions du décret n° 76/165 du 27 avril 1976 fixant les conditions d’obtention du titre foncier. Le texte ancien ne contenait pas d’ailleurs cette possibilité. Désormais, avec le décret du 16 décembre 2005, « lorsque les omissions ou des erreurs ont été commises dans le titre de propriété ou dans les inscriptions, les parties intéressées peuvent en demander la rectification. Le conservateur foncier peut en outre rectifier d’office, sous sa responsabilité, les irrégularités provenant de son fait ou du fait d’un ses prédécesseurs, dans les documents ayant servi à l’établissement du titre ou autres inscriptions subséquentes » (art. 39 nouveau). Dans un alinéa 3, il est prévu que « la rectification est autorisée par décret du Premier ministre si elle porte atteinte aux droits des tiers) ». Visiblement, l’on est en présence d’une régularisation préventive car le texte autorise l’administration à corriger positivement son acte entaché d’illégalités externes, plus précisément de vice de forme. À proprement parler, le droit camerounais autorise la régularisation sur la base d’une illégalité régularisable qu’est le vice de forme.

En outre de cela, le droit camerounais admet aussi un type de régularisation brutal et aussi exceptionnel qu’est la validation législative. Elle est une opération qui consiste pour le législateur à inscrire dans une loi le contenu d’un acte (administratif) irrégulier ou susceptible d’être reconnu comme tel par une juridiction, afin de prévenir son annulation par un juge (M. Touzeil-Divina, 2017). Par ce mécanisme de contournement, l’acte litigieux est alors rendu ‘valide’ et régulier au regard de la hiérarchie des normes. Cette technique sulfureuse est notamment utilisée pour régulariser un vice de procédure qui pourrait engager un contentieux de masse (M. Touzeil-Divina, 2017). In situ, sur la base du décret du 15 juillet 1977 qui régit les chefferies traditionnelles (conforté par le décret n° 2013/332 du 13 septembre 2013 modifiant et complétant celui de 1977), il est prévu à l’article 16 que « les contestations soulevées à l’occasion de la désignation d’un chef sont portées devant l’autorité investie du pouvoir de désignation qui se prononce et premier et dernier ressort ». Malgré cette barrière réglementaire qui empêche le juge administratif de contrôler la légalité des actes administratifs de désignation des chefs traditionnels, ce dernier s’est toujours déclaré compétent. Tantôt il a donné raison à l’État (CS/CA, 25 septembre 1980, Collectivité Deido-Douala c/ État du Cameroun ; CS/CA/78/79, 31 mai 1979, Kouang Guillaume), tantôt il a annulé la décision des autorités administratives désignant les chefs traditionnels (Enfants du chef Banka, CS/CA jugement n° 40/79-80 du 29 mai 1980, Monka Tientcheu David). Mais, le 27 novembre 1980, la loi n° 80/31 dans son article 1er vient dessaisir les juridictions des affaires relatives aux contestations soulevées à l’occasion de la désignation des chefs traditionnels en ces termes : « les juridictions de droit commun et de l’ordre administratif sont dessaisies d’office de toutes les affaires pendantes devant elles et relatives aux contestations soulevées à l’occasion de la désignation des chefs traditionnels ».À bien y regarder, cette loi du 27 novembre est une loi de validation ou de régularisation car pour le juge administratif dont des affaires sont pendantes, c’est-à-dire non jugées, étant donné que la Loi a été prise avant qu’il ne juge l’affaire, il ne peut que constater que l’acte administratif de désignation attaqué est bien conforme à la Loi qui le considère valide et régulier. Telle qu’elle est appliquée, la loi de validation porte clairement atteinte à la fonction juridictionnelle, à la hiérarchie des normes ainsi qu’au principe de séparation des pouvoirs et des autorités (M. Touzeil-Divina, 2017). Il ne pouvait en être autrement car, la désignation des chefs traditionnels au Cameroun déchaine beaucoup de passion et les autorités administratives chargées de la nomination ne brillent pas toujours par leur respect des procédures. Le choix des chefs traditionnels met en imbrication la corruption, le trafic d’influence, et la violation des textes.

Certains actes administratifs contractuels sont aussi concernés par la régularisation.

2) L’admission de la régularisation préventive d’un acte contractuel : le marché public

Les contrats administratifs font aussi partie des actes juridiques de l’administration qui peuvent aussi bénéficier des mesures exceptionnelles de régularisation. En droit administratif camerounais, il y a un contrat administratif qui concentre majoritairement l’attention de l’administration : c’est le marché public. Il fait partie des contrats de l’administration les plus importants (R. Degni Segui, 2012). Le marché public se définit comme un « contrat écrit, passé conformément aux dispositions du présent Code, par lequel un entrepreneur, un fournisseur, ou un prestataire de service s’engage envers l’État, une collectivité territoriale décentralisée ou un établissement public, soit à réaliser des travaux, soit à fournir des biens ou des services moyennant un prix » (décret n° 2018/366 du 20 juin 2018 portant code des marchés publics).

La régularisation des marchés publics ou des contrats est tout aussi exceptionnelle que celle des actes unilatéraux, c’est peut-être la raison pour laquelle un précurseur comme le professeur Israël ne l’a même pas évoquée dans ses travaux. Elle est aussi importante que celle des actes unilatéraux. Elle a pour finalité majeure la consolidation par correction du contrat initial (J.-F. Lafaix, 2009). La régularisation du contrat se traduit par une rectification de l’acte ou de la situation irrégulière, c’est-à-dire par la suppression ou la correction d’un vice qui le rend irrégulier. Ce vice peut ainsi apparaitre soit dans la phase de passation, soit dans la phase de l’exécution.

Dans le cadre du droit administratif camerounais, la régularisation du marché public est beaucoup plus administrative. Cette catégorie de régularisation a lieu avant l’intervention du juge, c’est-à-dire qu’elle peut être imposée ou suggérée par l’administration. Cette régularisation s’opère en vertu du nouveau code des marchés publics (décret n° 2018/366 du 20 juin 2018) dans la phase de la passation (a) et dans celle de l’exécution (b). Dans tous les cas, cette nouvelle codification réelle (G. Cornu, 2011) vient une fois de plus consolider la règle du recours administratif préalable qui est même parfois une condition de saisine du juge administratif. Il faut noter qu’en France, le droit administratif ne connait pas de règle générale de recours administratif préalable obligatoire avant que l’on ne saisisse le juge administratif (J.-M. Woerhling, 2004).

a) La régularisation préventive dans la phase de la passation

La passation désigne un ensemble d’opérations relatives à la formation du marché public. La doctrine administrativiste considère que les réclamations formulées pendant cette phase, constituent le contentieux de la formation du contrat. Si des irrégularités sont alors constatées pendant la phase de formation du marché publics, les candidats ou soumissionnaires doivent au préalable produire des recours administratifs (A. Van Lang, G. Gondouin et V. Inserguet-Brisset, 2009). Le droit camerounais impose dans ce sillage la production d’un recours gracieux préalable qui est un mécanisme de déclenchement du procès administratif. Il constitue une sorte de préalable qui permet aux particuliers d’éviter le recours au juge (C. Keutcha Tchapnga, 2013). Dans ce cadre, l’on parle aussi de décision préalable, parce que celle-ci « présente des avantages tant pour l’administration, le juge, que l’administré. Elle assure à l’administration une sécurité en lui offrant la possibilité d’examiner le litige avant le juge et, s’il y a lieu, de lui donner une solution conforme au droit » (A. Sango, 2017). L’enjeu étant d’arrêter la position de l’administration sur la question querellée avant que le juge ne statue (jugement n° 65 du 22 avril 1976, Edimo Jean Charles c/ État du Cameroun).

In concreto, la régularisation dont il s’agit à ce niveau peut s’opérer par la mobilisation du recours gracieux préalable. D’après le code des marchés publics (CMP) dans son article 170 (1), il est précisé que « tout candidat ou soumissionnaire qui s’estime lésé dans la procédure de passation des marchés publics peut introduire un recours en fonction de l’étape de la procédure, soit auprès du maître d’ouvrage ou du Maître d’ouvrage délégué, soit auprès du Comité d’examen des Recours ». C’est dire clairement que tout soumissionnaire qui conteste la régularité de la procédure de la formation du marché public, doit saisir le chef de département ministériel ou assimilé, le chef de l’exécutif d’une collectivité territoriale décentralisée, le directeur général d’un établissement public ou d’une entreprise publique, représentant l’administration bénéficiaire des prestations prévues dans le marché public en cause. La saisine peut aussi être faite auprès du maître d’ouvrage délégué qui n’est rien d’autre que la personne exerçant en qualité de mandataire du maître d’ouvrage, une partie des attributions de ce dernier (le maître d’ouvrage délégué peut être gouverneur de région, préfet de département, chef de mission diplomatique du Cameroun à l’étranger). D’après la lettre de l’article 170 (1) du CMP, les recours sont aussi dirigés vers un organe appelé Comité d’examen des recours qui est une « instance établie auprès de l’organisme chargé de la régulation des marchés publics, appelée à examiner les recours des soumissionnaires qui s’estiment lésés, et à proposer le cas échéant à l’Autorité chargée des marchés publics, des mesures appropriées ». Ce comité qui est basé au sein de l’organisme de régulation appelé Agence de régulation des marchés publics. Cette agence se présente comme un établissement public administratif doté de la personnalité juridique et de l’autonomie financière avec pour mission d’assurer la régulation, le suivi et l’évaluation du système des marchés publics au Cameroun. L’autorité administrative, qu’elle soit maître d’ouvrage ou maître d’ouvrage délégué ou même Comité d’examen des recours, saisie d’un recours dispose non seulement du pouvoir d’apprécier le caractère fondé ou non de la réclamation, mais surtout d’ordonner le cas échéant, soit la reprise, soit l’annulation de la procédure, soit alors des mesures diverses. Dans tous les cas si l’organe administratif décide de la poursuite de marché public, il s’agira forcement d’une régularisation qui aura été opérée. L’irrégularité doit donc forcément porter sur un fait ou un manquement au CMP quant à la phase de pré-qualification, la publication d’appel d’offres et ouverture des plis, la phase d’analyse des offres techniques lorsque l’ouverture se fait en deux temps, ou sur la publication des résultats et la notification du marché. Des délais impératifs doivent aussi être respectés (art. 171 à 175 du CMP). Ce procédé préventif qui permet la poursuite des relations contractuelles est aussi prévu dans la phase d’exécution du marché public.

b) La régularisation préventive dans la phase d’exécution

Concernant la phase d’exécution du marché public, la technique de la régularisation est encore présente et possible. In situ, il est prévu que « tout cocontractant de l’administration qui s’estime lésé dans l’exécution de son contrat peut introduire un recours non juridictionnel, soit auprès du maître d’ouvrage ou maître d’ouvrage délégué, soit auprès de l’Autorité chargée des marchés publics » (art. 186 du CMP). Ainsi, dans la phase d’exécution des prestations contractuelles, le cocontractant peut aussi constater des irrégularités dans les agissements de l’administration. C’est dans cette logique qu’il peut être amené à produire un recours gracieux auprès de l’autorité contractante qui englobe ici le maître d’ouvrage et le maître d’ouvrage délégué. Mais l’on constate aussi que le cocontractant peut formuler un recours hiérarchique en saisissant immédiatement l’Autorité chargée des marchés publics. En droit des marchés publics camerounais, l’Autorité chargée des marchés publics désigne l’autorité placée à la tête de l’administration publique compétente dans le domaine des marchés publics. En l’occurrence, il s’agit du ministre délégué à la présidence de la République chargé des marchés publics. C’est quasiment l’autorité administrative camerounaise au-dessus de la chaîne des marchés publics, à ce titre il signe les textes d’application du CMP, prononce les sanctions des auteurs des mauvaises pratiques et des litiges résultant des marchés publics ainsi que des désaccords entre les agents publics, dispose de pouvoirs en matière d’autorisation des procédures exceptionnelles. C’est justement le dernier point de ses compétences qui intéresse car par interprétation téléologique (M. Troper, 2008), le texte règlementaire a pour finalité de lui attribuer des pouvoirs spéciaux en matière de régularisation. En autorisant ces procédures exceptionnelles, il peut demander la poursuite de façon extraordinaire de l’exécution du marché public entaché d’irrégularités notoires.

À tout prendre, la régularisation administrative a pour finalité majeure de conforter les privilèges contractuels de l’administration, mais aussi de protéger l’administration au détriment du cocontractant (A. Akono Ongba, 2008). Quid des situations de fait ?

B) L’admission de la régularisation d’une situation de fait

La régularisation en droit administratif camerounais ne s’opère pas uniquement sur certains actes juridiques précis, elle est également admise pour certaines situations juridiques. Par le truchement de cette catégorie de régularisation, « il s’agit de passer de l’exclusion à une possible insertion » (F. Mallol, 1997).

De façon générale, il est utile d’opérer un distinguo entre ce qui est conforme à la norme et qui mérite la protection projetée d’une part, et ce qui ne satisfait pas aux conditions prévues par la norme et ne peut donc être éligible au chapitre de la protection de la loi, d’autre part (F. Biboum Bikay, 2009). Il faut garder à l’esprit que toute situation qui, lorsqu’elle remplirait certaines conditions exigées par la loi, pourrait endosser la qualification de situation de droit. A contrario, les situations en porte-à-faux avec les exigences légales sont des situations de fait. Ces dernières renvoient à un ensemble de situations juridiques irrégulières, dégradées, dégénérées, constituant des doublets de situations régulières, mais ne remplissant en général pas leurs conditions de formalisme (J. Carbonnier, 2001). Le Droit peut alors agir au travers d’une alternative, soit il les qualifie de situations de fait et les laisse ainsi, soit il les régularise pour les ériger en situations régulières ou de droit.

Une situation de fait a défrayé la chronique au Cameroun il y a de cela quelques mois. C’est la situation dite du « doctorat professionnel ». Dépourvu de tout fondement juridique au regard de la directive communautaire n° 02/06-UEAC-019-CM-14 du 10 mars 2006 portant organisation des études universitaires de l’espace CEMAC (communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale) dans le cadre du système LMD et de l’arrêté ministériel n° 19/0081/MINESUP/DDES du 23 décembre 1999 portant organisation du cycle de doctorat ou Doctor of philosophy (Ph.D) dans les universités d’État au Cameroun, le « doctorat professionnel » était irrégulier. À l’université de Yaoundé II, il reposait indûment sur la décision décanale n° 14/419/UYII/FSJP/CAB-D/VD-PAAc/nnma portant sélection en doctorat professionnel au titre de l’année académique 2014-2015, tandis qu’à l’université de Yaoundé I, celui-ci se fondait sur la décision n° 14-0016/UYI/VREPDTIc/DAAc/DEPE/SPD/CRFD du 8 janvier 2014 portant sélection des candidats au cycle de doctoral professionnel. La Conférence des recteurs des universités d’États, de concert avec le ministre de l’enseignement supérieur ayant pris acte du caractère irrégulier du « doctorat professionnel », décida d’interdire toute soutenance. De ce fait, le « doctorat professionnel » se retrouve ainsi dans une situation de fait car dépourvu de tout ancrage juridique et d’effets de droit.

Face à ce genre de cas, l’administration peut décider de « donner un titre juridique à une situation de fait qui en manquait » (L. Dutheillet de Lamotte, G. Odinet, 2016). C’est justement ce que vont faire les recteurs des universités de Yaoundé I et II. Celui de Yaoundé I va prendre une note datée du 1er mars 2018 autorisant les candidats concernés par la décision n° 14-0016/UYI/VREPDTIc/DAAc/DEPE/SPD/CRFD susmentionnée « à s’inscrire à titre de régularisation, au cycle de Doctorat Ph.D dans les centres de recherche et formation doctorale de l’université de Yaoundé I pour le compte de l’année académique 2013-2014 ». Par cet acte, ce recteur cherche à régulariser la situation de fait des étudiants inscrits en « doctorat professionnel » en les faisant migrer vers le seul doctorat légal (Doctorat Ph.D) mais, ceux-ci doivent se conformer à ses exigences, c’est-à-dire être titulaire de plano d’un master recherche. Par contre pour le recteur de l’université de Yaoundé II, la possible régularisation est visible au travers de la décision n° 18/317/UYII/CAB/R/VREPDTIc/DAAC du 21 juin 2018 portant organisation des études doctorales dans cette institution. Ainsi, l’article 11 (3) de cette décision précise que : « Les titulaires d’un master professionnel ou d’un diplôme reconnu équivalent peuvent, exceptionnellement, être autorisés à s’inscrire en thèse, s’ils ont obtenu au moins la moyenne de 15/20 au Master et ont effectivement soutenu leur mémoire ».

Tout compte fait, face à la situation de fait relative au « doctorat professionnel », l’administration a trouvé des formules de régularisation assez dures au point où l’on peut évoquer l’hypothèse d’une régularisation-exclusion du fait de la rigidification des conditions d’inscription en doctorat. Pourtant, par la régularisation, il s’agit de passer de l’exclusion à une possible insertion. Ce qui est digne d’être retenu, ce sont les actes régularisateurs des recteurs pour tenter d’ériger cette situation de fait en situation de droit.

In fine, il est possible d’indiquer que la régularisation est et demeure un procédé exceptionnel. Le droit camerounais semble ne pas s’éloigner de cette mystique, car il admet de façon singulière cette technique dans une approche sectorielle bien précise. La régularisation administrative et préventive est toujours sujette à caution car elle hisse l’administration dans une posture de « juge et partie ». C’est pour cette raison que la régularisation doit être confiée au juge. Mais le droit administratif camerounais a refusé au juge la mission d’orientation et de conduite de la régularisation.

II) L’exclusion totale de la régularisation après annulation conditionnelle

Il existe une régularisation qui s’effectue avant l’intervention du juge, elle est appelée « régularisation a priori ». La technique de la régularisation peut aussi s’effectuer après que le juge ait statué, dans ce cas on parle plutôt de régularisation a posteriori. La régularisation a posteriori ou après annulation conditionnelle est celle où l’administration modifie un acte afin de faire disparaitre les illégalités que le juge y a détectées. L’on peut ainsi inférer que cette régularisation s’opère sur la base d’une injonction conditionnelle que le juge administratif adresse à l’administration. La régularisation peut aussi s’opérer par le juge lui-même.

Le droit français est hautement permissif quant à la régularisation après annulation conditionnelle, c’est-à-dire qu’il est autorisé au juge administratif de donner des ordres à l’administration pour que celle-ci régularise les actes dans le sens indiqué. Par contre, le droit camerounais ne se caractérise pas par cette permissivité. Il est plutôt hostile à l’idée d’une régularisation sur la base d’injonctions conditionnelles en se situant à la lisière du déni de justice. Le juge administratif camerounais ne peut non plus de son propre chef se substituer à l’administration pour régulariser un acte, il ne peut que se contenter de faire annuler ce dernier.

L’exclusion de la régularisation a posteriori est totale, elle est le fait de la prohibition des voies d’exécution contre l’administration camerounaise (A), et du respect scrupuleux du principe de séparation des autorités judiciaires et administratives et de la chose jugée (B).

A) Une exclusion du fait de la prohibition des voies d’exécution contre l’administration

L’on évoque les voies d’exécution pour désigner un ensemble de procédures permettant à un particulier d’obtenir, par la force, l’exécution des actes et des jugements qui lui reconnaissent des prérogatives ou des droits (S. Guinchard et T. Debard, 2017). Transposé dans le champ du droit administratif, le syntagme renvoie aux procédés qui permettent de contraindre l’administration à s’exécuter. Dans cette lancée l’injonction et l’astreinte s’illustrent comme des voies d’exécution contre l’administration.

L’injonction en effet peut être appréhendée comme étant l’ordre d’adopter un comportement déterminé, adressé par le juge à une personne physique ou morale, quelle qu’en soit la qualité (L. Echemot, 2017). Il est possible de différencier les « injonctions de procédure » des « injonctions de jugement ». Les premières sont adressées aux parties dans le cadre d’une bonne organisation du procès, compte tenu du caractère inquisitorial de la procédure administrative qui la place sous la direction du juge saisi. Quant aux injonctions de jugement, elles sont contenues dans le dispositif même de la décision de justice et elles bénéficient à ce titre de l’autorité de la chose jugée. Prosaïquement, il peut s’agir d’un ordre donné d’accomplir une action ou de la faire cesser, élaborer un acte (A. Van Lang, G. Gondouin et V. Inserguet-Brisset, 2009). C’est justement ce dernier aspect qui nous intéresse, car régulariser après l’annulation conditionnelle renvoie à un ordre adressé à l’administration pour qu’elle corrige son acte. Contrairement à la France où le pouvoir d’enjoindre l’administration est formellement prescrit par la loi du 8 février 1995, au Cameroun la loi a formulé cette proscription. Jean Rivero estimait même qu’« il n’est pas besoin d’un texte lorsque la nature des choses commande ; et la nature des choses veut que la fonction de juger soit, au sein de l’exécutif, distincte de celle d’agir ». C’est en effet l’article 126 de la loi n° 2016/007 du 12 juillet 2016 portant code pénal, qui pose ce principe en punissant d’un emprisonnement de six mois à cinq ans, « le magistrat qui intime des ordres ou des défenses à des autorités exécutives ou administratives ». Interprétant cette disposition, la doctrine publiciste a affirmé, sans ambages, que « le juge ne peut donner ni ordre ni injonction à l’autorité administrative » (J.-M. Bipoun Woum,1975). Nonobstant quelques hésitations du juge du fait de certains contentieux de l’urgence, celui-ci est resté quasi constant dans le respect de la prohibition d’enjoindre l’administration. Dans le jugement n° 87 du 30 juin 1983, Onambele Germain c/ État du Cameroun, le juge administratif en vidant sa saisine a dit ceci : « Attendu qu’il convient, de prime abord, de rappeler que le juge de l’excès de pouvoir, lorsqu’il est saisi, se contente de constater l’illégalité de l’acte qui lui est déféré et prononce son annulation ; (…) qu’il ne peut (…) adresser des injonctions à l’administration en la condamnant à des obligations de faire ». C’est ainsi que le juge administratif s’interdit de confirmer ou d’ordonner la confirmation d’un fonctionnaire à un grade de la fonction publique dans l’espèce CS/CA, du 16 janvier 2008, Alola Dieudonné c/ État du Cameroun. Dans des espèces relativement récentes, le juge reconnait même de façon implicite qu’il ne peut adresser des injonctions à l’administration ; pour ce faire, il élude tout simplement les chefs de demande où les requérants voudraient l’amener à enjoindre l’administration (CS/CA, n° 71/2010 du 22 février 2010, Njini Borno David c/ État du Cameroun ; CS/CA, jugement n° 254/2011/CA/CS du 2 novembre 2011, Kamto Maurice c/ Université de Yaoundé ; ordonnance n° 98/OSE/CA/CS/2012 du 14 septembre 2012, Alhadji Bahba Ahmadou Danpoulos c/ État du Cameroun).

L’analyse qui peut être faite de ces espèces est que, la jurisprudence sur la prohibition des injonctions est quasi constante, car le juge se refuse automatiquement à intimer des ordres à l’administration active. Cela a donc pour conséquence de néantiser toutes les possibilités de régularisation après annulation conditionnelle où l’administration reçoit l’injonction juridictionnelle de régulariser un acte. L’interdiction de l’astreinte ne vient que conforter et consolider la position d’exclusion de la régularisation après annulation conditionnelle par le juge. La décision Nana Jean Claude qui est une référence en la matière entérine la position du juge (CS/CA, jugement n° 206/2009 du 25 novembre 2009, Nana Jean Claude c/ Communauté urbaine de Douala).

Quelle est alors la prise en compte du principe de la séparation des autorités et de celui de la chose jugée ?

B) Une exclusion inhérente au respect du principe de séparation des autorités judiciaires et administratives et de la chose jugée

La régularisation après annulation conditionnelle est encore impossible dans la logique du droit administratif camerounais. Ce corpus de normes empêche la régularisation du fait du respect du principe de séparation des autorités (1) et de la chose jugée (2).

1) La régularisation infaisable du fait de la séparation des autorités

Prima facie il faut indiquer que, le principe de la séparation des autorités administrative et judiciaire est le fondement, la règle juridique de base qui correspond au « principe implicite du droit », régissant alors la distinction, la scission entre le « pouvoir administratif » chargé d’agir, notamment en prenant des décisions administratives d’une part, et « le pouvoir judiciaire », c’est-à-dire l’ensemble des magistrats assurant le service de la justice civile et pénale d’autre part (R. Nga Nyebe, 2016). En d’autres termes, ce principe désigne le cloisonnement né entre les administrateurs et les magistrats de l’ordre judiciaire. Ainsi, c’est une distinction qui pèse tant sur le corps administratif, que sur le corps judiciaire : autant les juges judiciaires et administratifs ont la restriction de ne pas empiéter sur le domaine des administrateurs, autant ces derniers ne peuvent prendre des décisions de justice faisant ombrage aux juges.

Principe « d’origine jurisprudentielle et de formulation doctrinale» (J. Chevallier, 1972), la séparation de la juridiction administrative et de l’administration active, n’est pas absente au Cameroun. Tout comme en France, ce principe n’a aucune base textuelle. Il constitue cependant, un élément ou plus exactement, un corollaire indispensable au principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires.

Le principe de séparation des autorités a pour corollaire l’interdiction du pouvoir de substitution à l’administration. Ainsi, en raison de la séparation de l’administration active et des fonctions juridictionnelles, le juge ne peut se substituer à l’administration. Il lui est interdit de faire autre chose que la simple annulation de l’acte qui est déféré devant lui. Le juge administratif camerounais ne peut donc lorsqu’il est appelé à statuer sur un recours en annulation, se substituer à l’administration pour prononcer lui-même la décision régulière en échange de celle qu’il annulée. La régularisation juridictionnelle d’un acte en droit administratif camerounais serait ainsi une trahison du principe de séparation des autorités. Le juge exerce seulement la fonction juridictionnelle qui consiste à annuler un acte, de ce fait il viendrait à outrepasser sa fonction en voulant « remettre en selle » un acte en extirpant son irrégularité ou vice. Il est de ce point de vue rigoureusement défendu au juge d’exercer, même minimalement des fonctions législative, exécutive ou administrative. En maintenant ce curseur, « il reste juge ; il ne se fait pas administrateur » (L. Duguit, 1913). Le respect de l’autorité de la chose jugée est aussi un élément inhibiteur de la régularisation après annulation conditionnelle.

2) La régularisation irréalisable du fait du respect de l’autorité de la chose jugée

La chose jugée a et doit avoir autorité, c’est-à-dire s’imposer à tous pour la simple raison qu’il ne servirait à rien de juger, si ce qui a été jugé pouvait ne pas être respecté et notamment être rejugé. Elle désigne l’autorité attachée à un acte juridictionnel, qui en interdit la remise en cause en dehors des voies de recours légalement ouvertes.

Dans CS/CA, jugement n° 88/03-04 du 30 juin 2004 affaire Amenchi Martin c/ État du Cameroun (SESI), le juge administratif camerounais a fait montre d’un respect scrupuleux et soigneux de l’autorité de la chose jugée. Dans son avant dernier attendu, le juge précise qu’en cas d’autorité de la chose jugée, l’administration « doit non seulement s’abstenir d’exécuter l’acte annulé, ou de le refaire, mais encore prendre des mesures nécessaires pour tirer toutes les conséquences de l’annulation prononcée par le juge. La décision d’annulation règle une fois pour toute, le sort de l’acte administratif reconnu illégal. L’acte se trouve annulé erga omnes ». Pour le juge administratif, lorsqu’un acte administratif est annulé, l’autorité de chose jugée dont est revêtue la décision interdit à l’administration de le refaire. Cette décision du juge est instructive à plus d’un titre. D’une part, elle permet de jauger le respect de l’autorité de chose jugée par le juge administratif. De ce point de vue, l’on constate que le juge dans cette affaire a un respect souverain envers l’autorité de la chose jugée. D’autre part, elle permet de constater le caractère infaisable de la régularisation après annulation juridictionnelle. Cela fortifie et consolide la position selon laquelle, cette technique est encore plus qu’exceptionnelle, c’est-à-dire que l’on ne mobilise pas de façon impromptue.

En guise de propos conclusifs, il est question de dire qu’en droit administratif camerounais, la technique de la régularisation bénéficie d’un traitement quasi ambivalent. Il en est ainsi parce que d’une part la régularisation est admise pour certains actes juridiques (comme le titre foncier) et même souvent sous la forme de validations législatives, et de situations de fait. Quoi qu’on dise, cette régularisation est sectorielle car elle n’est que mobilisable pour des cas précis. D’autre part, elle est totalement exclue après l’intervention du juge administratif. Cette situation a trait au fait que les voies de recours contre l’administration sont proscrites, et au rigorisme du principe de la séparation des autorités et de l’autorité de chose jugée. Au vu de tout cela l’on peut arguer que le droit camerounais est encore très peu permissif à la régularisation, contrairement au droit français. Cela atteste aussi du faux procès en mimétisme fait au droit administratif camerounais vis-à-vis du droit français.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Dossier 06 : « La régularisation en droit public » (dir. Sourzat & Friedrich) ; Art. 248

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ParJDA

La régularisation en droit public : aspects français & étrangers (édito)

Art. 240.

par Mme Lucie SOURZAT
Docteur en droit public
Université Toulouse 1 Capitole – EA 785 – Institut du droit de l’espace, des territoires, de la culture et de la communication (IDETCOM)

& M. Clemmy FRIEDRICH
Docteur en droit public
Université Toulouse 1 Capitole – EA 4657 – Institut Maurice Hauriou (IMH)

Dans la prolongation des principes de légalité et de sécurité dont il est une synthèse, la régularisation est un concept en vogue de notre droit public. L’article L. 123-1 du code des relations entre le public et l’administration (créé par la loi n° 2018-727 du 10 août 2018) en donne une illustration emblématique. Consacrant un véritable droit à l’erreur au profit des administrés (v. not. M.-C. de Montecler, « Le droit à l’erreur reconnu par la loi », AJDA 2018, p. 1580), ceux-ci ont désormais la garantie de ne pas être sanctionné au titre d’une erreur commise une première fois, dès lors qu’ils régularisent leur situation de leur propre initiative ou après avoir été invités en ce sens par l’Administration. La régularisation est surtout employée à l’avantage de l’administration lorsque celle-ci est engagée dans des entreprises complexes. L’on pense notamment à l’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 qui permet de régulariser les cessions de biens du domaine public. C’est tout particulièrement en droit de l’urbanisme que le concept de régularisation est opérant. Dans une matière où le législateur appréhende avant tout le droit comme un obstacle dirimant aux aménagements urbanistiques, plusieurs lois sont intervenues pour permettre à l’administration de corriger ses erreurs. C’est l’article L. 600-9 du code de l’urbanisme (créé par loi n° 2014-366 du 24 mars 2014) qui confère au juge administratif la faculté de surseoir à statuer pendant un délai déterminé pour permettre à l’administration de régulariser les illégalités qui entacheraient le schéma de cohérence territoriale litigieux. Ce sont des prérogatives analogues que confèrent les articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du même code (créés par l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013) à propos des permis de construire, de démolir ou d’aménager ou bien l’article L. 181-18 du code de l’environnement (créé par l’ordonnancen° 2017-80 du 26 janvier 2017) en matière d’autorisation environnementale. Le droit de la commande publique – dont les enjeux économiques sont au moins aussi importants que ceux liés à l’urbanisme – est un terreau tout aussi favorable à la régularisation, ainsi qu’en témoigne son contentieux tel que l’a esquissé la jurisprudence administrative.

Tandis qu’il n’envisage plus que le principe de légalité qu’à l’aune du principe de sécurité juridique, le Conseil d’État est tout naturellement un promoteur essentiel de la régularisation. Ainsi, par exemple, il a co-organisé (avec le conseil national des barreaux) la huitième édition des états généraux du droit administratif consacrés sur le thème suivant : « Droit à l’erreur, régularisation et office du juge ». Ce n’est pas un hasard si l’arrêt Rodière (1925) a été mis en exergue sur le site du Conseil d’État dans la rubrique des grandes décisions du Conseil d’État.

Dans le sillage d’autres manifestations doctrinales (v. par. ex. le colloque organisé à l’université de Bourgogne Franche-Comté à Dijon, les 7 et 8 mars 2017), le JDA se propose de consacrer à la régularisation un dossier spécifique pour l’aborder à partir de regards différents – universitaires et praticiens – ainsi qu’à des points de vue différents alliant au droit français des droits étrangers.

Une première partie – consacrée au droit français – réunie des contributions thématiques sur plusieurs des matières de notre droit public. Le droit de l’urbanisme figure en première place et a pu justifier deux approches, l’une généraliste (v. la contribution de M. Henri Bouillon, « La régularisation en droit de l’urbanisme ») et l’autre spéciale (v. la contribution de Me Caroline Bardoul, « La régularisation dans le contentieux des documents d’urbanisme »). Suivent le contentieux administratif et le droit des marchés publics, ainsi que le droit des étrangers auquel l’on pense ne pas immédiatement.

Une seconde partie regroupe des contributions qui soulignent la place importante de la régularisation dans certains droits étrangers. Cela est tout particulièrement vrai en ce qui concerne la passation et l’exécution des contrats d’affaires (v. les contributions de M. Zaouaq, « La régularisation des marchés publics en droit administratif marocain » et de Mme Ndjobo Mani, « La régularisation des décisions illégales d’exécution des contrats de la commande publique au Cameroun »). À l’instar du contentieux administratif français, le contentieux administratif turc développe lui aussi de nombreuses techniques de régularisation qui interrogent (v. la contribution de Mme Sevgili Gencay, «La régularisation en droit du contentieux administratif Turc »). Finalement qu’il s’agisse du droit marocain, du droit turc ou encore du droit camerounais, tous envisagés dans le présent dossier, la régularisation se justifie – comme en droit français – par la quête permanente d’une conciliation et d’un équilibre optimal entre les principes de légalité et de sécurité juridique.

La régularisation fait intervenir différents acteurs : qu’il s’agisse de l’Administration elle-même, du juge administratif ou encore d’instances spéciales comme cela est le cas en droit administratif marocain. Quoi qu’il en soit, les techniques de régularisation demeurent encadrées. Ainsi, tout en admettant des techniques de régularisation, le droit administratif camerounais n’admet des techniques de régularisation que de manière sectorielle et elle est tout à fait « exclue après l’intervention du juge administratif » (v. la contribution de M. Mvaebeme, « La régularisation en droit administratif camerounais »). L’exemple du droit du contentieux administratif turc rappelle ainsi les limites de la régularisation : tout n’est pas régularisable. Combien même la régularisation se trouve-t-elle en développement, et ce même hors des limites du droit public français, il convient néanmoins de lui reconnaître un caractère encore dérogatoire.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019,
Dossier 06 : « La régularisation en droit public » (dir. Sourzat & Friedrich) ; Art. 240.

Image : un contrôleur … régularisateur d’autrefois : John Law de Lauriston (1671-1729)

I. La régularisation en droit français

Art. 241 – La régularisation en droit de l’urbanisme

par M. Henri BOUILLON
Maître de conférences à l’université de Bourgogne Franche-Comté – membre du CRJFC (EA 3225)

Art. 242 – L’illusion de la régularisation en droit des étrangers

par Mme Saskia DUCOS-MORTREUIL
Avocate au barreau de Toulouse

Art. 243 – La régularisation dans le contentieux des documents d’urbanisme : source de sécurité juridique

par Mme Caroline BARDOUL
Docteure en droit public de l’université d’Orléans & avocate au barreau de Nantes

Art. 244 – De la régularisation en marché public

par Mme Pauline GALLOU
Doctorante en droit public à l’université Toulouse 1 Capitole -membre de l’Institut Maurice Hauriou (EA 4657)

Art. 245 – La régularisation des irrecevabilités devant le juge administratif

par M. Antoine CLAEYS
Professeur de droit public à l’université de Poitiers – membre de l’Institut de droit public (EA2623)

II. La régularisation illustrée à l’étranger 

Art. 246 – La régularisation en droit du contentieux administratif turc

par Mme Fatma Didem SEVGİLİ GENÇAY
Docteure en droit public de l’université Jean Moulin-Lyon 3 & enseignante à l’université de Bursa Uludağ (Turquie)

Art. 247 – La régularisation des marchés publics en droit administratif marocain

par M. Mohammed ZAOUAQ
Doctorant à la faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Salé (université Mohamed V de Rabat, Maroc)

Art. 248 – La régularisation en droit administratif camerounais

par M. Éric Stéphane MVAEBEME
Docteur/Ph.D en droit public & Moniteur au département de droit public interne à l’université de Yaoundé II-Soa (Cameroun)

Art. 249 – La régularisation des décisions illégales d’exécution des contrats de la commande publique au Cameroun

par Mme Tatiana Georgia Love NDJOBO MANI
Étudiante en master 2 à la faculté des sciences juridiques et politiques de l’université de Yaoundé II (Cameroun)

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ParJDA

La réquisition en droit administratif français (I / II)

par Eloïse Beauvironnet
Docteur en droit public, Université Paris 5 Descartes,
ATER en droit public, Université de Cergy Pontoise, UFR Droit UCP,
Membre associé, CERSA-CNRS-Paris II, UMR 7106

Art. 250.

« Limitation des droits de liberté individuelle et de propriété (…) qu’impose l’intérêt général[1] », la réquisition présente plusieurs visages. « Prononcée pour surmonter l’épreuve du désastre, elle suscite généralement l’adhésion. Le sentiment du devoir s’y mêle à l’ordre de l’autorité légitime[2] ». Elle s’apparente alors à « une intervention exceptionnelle de l’Etat pour faire face à un besoin exceptionnel[3] ». Par cette opération, l’autorité administrative contraint en la forme unilatérale des personnes physiques ou morales à fournir, soit à elle-même soit à des tiers, des prestations de service, l’usage de biens où, plus rarement, la propriété de biens mobiliers en vue de satisfaire un besoin d’intérêt général[4]. Elle constitue donc, par nature, une manifestation type de la prérogative de puissance publique[5]. Pour autant, il a parallèlement pu être observé que son exercice correspond moins à une limitation qu’à une « privation des droits de libertés individuelles et de propriété privée détenus par le requis[6] ». Lorsqu’elle vient, en particulier, prendre place au cœur d’un conflit que l’on nomme social, où qu’elle interfère avec le droit de propriété des personnes requises, la réquisition se fait plus « menaçante, moins aimable[7] » et, partant, « ambigu[8] » dans l’esprit des citoyens. Elle se révèle alors comme un procédé exorbitant du droit commun, attentatoire aux droits et libertés individuels.

A titre liminaire toutefois, une clarification conceptuelle s’impose, tant il a pu être observé que « notre droit ne connaît pas une procédure unique de réquisition ». Il « juxtapose » au contraire « diverses procédures reposant sur des fondements différents et comportant des règles de mise en œuvre différentes[9] ». Héritée des temps anciens, cette technique contraignante s’est en effet construite à travers les âges. D’abord, procédé « sporadique et supplétif au bénéfice des armées en temps de guerre[10] », elle trouve historiquement son origine dans la loi du 3 juillet 1877 relative aux réquisitions militaires[11]. Son emploi est alors réservé à l’acquisition de biens meubles pour les besoins de l’armée et limité, en principe, au temps de guerre[12]. Par le jeu combiné de la loi du 11 juillet 1938 sur l’organisation générale de la Nation en temps de guerre et de l’ordonnance du 6 janvier 1959 relative aux réquisitions de biens et de services, elle acquit, ensuite, un caractère civil. Outre qu’avec ces deux textes, la « vieille idée de la réquisition, mode d’acquisition des meubles » disparut littéralement au profit d’une « procédure à objets multiples[13] », son domaine d’application dans le temps s’en trouva également pérennisé aux temps de paix. Ces deux procédures – civile et militaire – sont désormais regroupées au sein du code de la défense où elles forment le régime général du droit de réquisition[14]. Néanmoins, ce nouveau corpus ignore bon nombre de textes venus postérieurement parfaire le droit des réquisitions civiles[15]. Depuis la Seconde guerre mondiale, cette procédure tend, enfin, à s’apparenter à une prérogative ordinaire des autorités de police administrative. Elle est en définitive devenue un moyen à part entière pour la puissance publique de garantir l’ordre public[16]. Il en résulte ainsi un « maquis peu déchiffrable[17] » de textes dont la summa divisio principale est constituée par la distinction entre réquisitions militaires et réquisitions civiles. Toutefois au sein de ces secondes doivent encore être distinguées, par souci de clarté, les réquisitions civiles pour les « besoins généraux de la Nation[18] », de police[19], ainsi que les divers régimes particuliers[20].

En dépit de son ancienneté, le droit de réquisition n’en est donc aucunement désuet et affiche, au contraire, « une vigueur remarquable justifiée par l’exigence d’efficacité de l’action publique[21] ». Reste que cette modernité « assez inattendue[22] » s’est accompagnée d’une dispersion de ses sources juridiques, d’un élargissement continu de son objet et d’une apparente banalisation de son recours, qui interpellent le juriste à l’aune de sa confrontation croissante aux droits et libertés des particuliers. Cette situation du droit soulève, plus spécifiquement, la problématique du régime désormais applicable à cette prérogative « sui generis » de puissance publique[23] et de l’encadrement dont elle fait l’objet afin de prévenir tout abus. Les conditions d’exercice du droit de réquisition permettent-elles de concilier la sauvegarde de l’intérêt général et la protection des droits et libertés individuels ?

Répondre à cette prémisse suppose d’interroger la situation du droit (I.), qui signale l’existence d’un régime peu propice à l’encadrement de cette opération (II.).

I. La juxtaposition des procédures : les conditions d’exercice du droit de réquisition

Prérogative de puissance publique, la réquisition n’en constitue pas pour autant un procédé habituel d’action. L’Administration n’est fondée à y recourir que de manière exceptionnelle (A.), lorsque la satisfaction de l’intérêt général l’exige (B.)

A. L’intangibilité : un dispositif exceptionnel et temporaire

Créé pour « répondre à des besoins urgents et exceptionnels et parer à l’insuffisance des moyens juridiques habituels[1] », l’ouverture du droit de réquisition est conditionnée à l’occurrence de circonstances particulières. Celles-ci se rapportent au constat d’une situation d’urgence (2.) et de l’incapacité corrélative de l’Administration d’y remédier par ses propres moyens (1.).

1.L’impuissance publique

La réquisition est un procédé subsidiaire (b.) qui ne peut être employé que lorsque l’Administration ne peut assurer le même résultat par l’emploi des moyens dont elle dispose de manière ordinaire (a.).

a. Un droit de la nécessité

Conçue comme une mesure exceptionnelle[2] destinée à faire face à une situation d’exception, la réquisition figure par nature au titre des prérogatives de puissance publique, « parfois qualifiées de dérogations, voire de privilèges alors même qu’elles semblent en déclin[3] », exorbitantes du droit commun. Son recours n’est par conséquent autorisé « que dans les cas exceptionnellement graves, quand les pouvoirs publics ne possèdent plus ni les moyens matériels ni les moyens légaux de faire autrement[4] ». Elle est, en d’autres termes, un « droit de la nécessité[5] », qui ne peut être actionné que lorsque l’Administration est frappée d’impuissance quant aux moyens dont elle dispose pour assurer l’ordre public[6].

En 2007, la Cour administrative d’appel de Lyon a, par exemple, validé sur ce fondement la réquisition préfectorale d’une société d’équarrissage, en vue de procéder à la collecte et l’élimination de viandes et cadavres d’animaux impropres à la consommation saisis à l’abattoir[7]. L’ordre avait, en effet, été prononcé après l’échec de plusieurs procédures d’appels d’offres destinées à choisir l’entreprise qui serait chargée de ce service dans le département concerné. A défaut de disposer de moyens légaux propres à garantir l’exécution du service public de l’équarrissage, les autorités préfectorales avaient dès lors choisit de requérir une société afin de prévenir les graves problèmes d’hygiène qui menaçaient d’intervenir.

L’« impuissance publique », qui est au fondement de l’ouverture du droit de réquisition dont elle justifie la mise en œuvre, en cantonne ainsi parallèlement l’exercice. Un recours trop aisé à cette opération, qui fait participer les citoyens aux missions de l’Administration témoignerait en effet de l’incapacité de celle-ci à agir avec ses propres moyens[8]. C’est la raison pour laquelle cette procédure possède par nature un caractère subsidiaire.

b. Un caractère subsidiaire

Le droit de réquisition s’apparente à une « arme d’ultime recours[9] », qui ne peut être utilisée que lorsque « toutes les autres solutions juridiquement possibles ont échoué[10] ». Ce caractère subsidiaire ressort clairement de la lecture du 4° de l’article L. 2215-1 du CGCT qui ouvre un droit de réquisition au profit du préfet lorsque « les moyens dont [il] dispose (…) ne permettent plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient des pouvoirs de police ». Il conditionne similairement la réquisition de biens et de services « nécessaires pour assurer les besoins du pays » dont la fourniture doit, d’abord, être obtenue « par accord amiable[11] » et, à défaut, par réquisition. Il en résulte, en pratique, l’obligation pour l’autorité requérante de rechercher des solutions alternatives propres à assurer le maintien ou le rétablissement de l’ordre public, prioritairement à la mise en œuvre du droit de requérir.

Le principe de subsidiarité est par conséquent l’objet d’un contrôle du juge administratif qui peut, le cas échéant, être amené à invalider l’ordre de réquisition concerné. Le Conseil d’Etat a, par exemple, annulé sur ce fondement la réquisition d’un logement destiné au relogement d’une famille dont l’appartement avait été sinistré par un incendie, alors que le maire n’avait pas « fait la moindre tentative pour rechercher par voie amiable si cette famille pouvait être relogée, notamment par les soins de l’office public communal d’habitation à loyer modéré[12] », propriétaire du logement détruit. Pour un motif analogue, le juge des référés a, également, invalidé un arrêté préfectoral portant réquisition nominative de l’ensemble des sages-femmes d’une clinique privée dans le contexte d’un mouvement de grève, sans que des solutions alternatives n’aient été préalablement recherchées, telle qu’un redéploiement d’activités vers d’autres établissements de santé, ou encore le fonctionnement réduit du service[13]. Plus récemment, la Haute juridiction a, en revanche, validé la décision des dirigeants de la société EDF réquisitionnant certains employés des centrales nucléaires à l’occasion d’une grève du personnel intervenue au printemps 2009. Selon les magistrats, la limitation apportée en l’espèce au droit de grève se justifiait, en effet, du fait de l’absence de « solutions alternatives à l’exercice d’un tel pouvoir[14] ». En raison du conflit social, d’importants retards dans la production d’électricité faisaient en particulier craindre à une menace dans l’approvisionnement en électricité compte tenu, notamment, des « prévisions météorologiques », des caractéristiques inhérentes à l’énergie électrique[15], des « capacités de production électrique françaises mobilisables », des « importations possibles » et de « la mise en œuvre des procédures de diminution volontaire ou contractuelle de la demande d’électricité[16] ». La réquisition des salariés grévistes, décidée après que des sommations interpellatives aient été adressées aux représentants syndicaux, se justifiait, par conséquent, à défaut de solutions plus respectueuses de leurs libertés individuelles mobilisables.

Néanmoins, l’appréciation du caractère subsidiaire de la mesure de réquisition par les magistrats peut parfois faire débat. L’arrêt du 27 octobre 2010, par lequel le juge des référés du Conseil d’Etat a validé la réquisition préfectorale de certains personnels de l’établissement pétrolier de Gargenville, exploité par la société Total, dans le contexte du conflit social de 2010 contre la réforme des retraites abonde, en particulier, en ce sens[17]. Selon les magistrats, la réquisition de l’établissement se justifiait en effet par « l’absence d’autres solutions disponibles » qui, pourtant, existaient[18] et « plus efficaces ». Bien qu’isolée, cette jurisprudence laisse ainsi supposer que la réquisition ne constitue pas nécessairement une solution de dernier recours, mais « un outil susceptible d’être légalement mobilisé lorsque le bilan coûts-avantages est (suffisamment) positif[19] ». Or compte tenu de son caractère exorbitant et, notamment, de la philosophie qui doit présider à son usage, la subsidiarité est de l’essence même de cette opération qui ne peut être activée qu’en cas d’épuisement des autres moyens disponibles, face à une situation d’urgence.

2. L’urgence à agir

Outre le manque de moyens de l’Administration, l’ouverture du droit de réquisition doit être légitimée par l’existence d’une situation d’urgence. Ainsi que le résumait le commissaire du Gouvernement Romieu en 1902, « il est de l’essence même de l’Administration d’agir immédiatement et d’employer la force publique sans délai ni procédure, lorsque l’intérêt immédiat de la conservation de l’ordre public l’exige ; quand la maison brûle, on ne va pas demander au juge l’autorisation d’y envoyer les pompiers[20] ». Pour les réquisitions de police, cette condition est expressément requise par l’article L. 2215-1, 4° du CGCT en application duquel le préfet peut requérir tout bien, service, ou personne « en cas d’urgence ». La difficulté consiste alors à définir en droit cette notion, qui « se rebelle à toute tentative de conceptualisation ou de réglementation rigoureuse[21] », mais « se laisse domestiquer par le juge[22] ». Pour le juge des référés du Conseil d’Etat, l’urgence doit, en particulier, « être considérée comme remplie lorsque la décision administrative litigieuse préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre[23] ».

L’urgence contentieuse se compose, dès lors, de deux éléments[24]. Le premier, d’ordre matériel, suppose la nécessité d’une action rapide liée à l’écoulement du temps, c’est-à-dire l’existence d’une atteinte grave à l’ordre public (a.). Le second, d’ordre temporaire, implique quant à lui un préjudice dans le retard à agir, c’est-à-dire une certaine immédiateté ou, à tout le moins, prévisibilité de l’atteinte d’ordre public (b.).

a. La matérialité : une atteinte d’une intensité particulière à l’ordre public.

L’urgence est avant tout « un contexte, un climat, une ambiance qui suscitent par eux même un comportement approprié à la préservation d’un intérêt (général ou/et particulier) menacé[25] ». Elle s’entend plus précisément d’une situation où « le respect du droit normal fait courir à l’ordre public (…) des risques graves[26] ». Dans le cadre de la procédure de réquisition, elle suppose donc que l’intervention de l’Administration soit justifiée par la nécessité de prévenir un trouble grave à l’ordre public. Celui-ci doit, en d’autres termes, se révéler être d’une intensité particulière.

La jurisprudence n’admet, ainsi, la légalité du recours à la réquisition de personnels grévistes qu’à la condition que la grève soit de nature à porter une « atteinte suffisamment grave[27] » à la continuité d’un service public « essentiel[28]», ou à l’ordre public. A, en conséquence, été annulé l’arrêté d’un maire portant réquisition de certains agents d’un service de restauration scolaire, alors que la grève n’avait été engagée que pour une seule journée[29]. En matière de droit au logement, la réquisition ne peut, de même, être prononcée que sur le territoire de communes affectées par une « crise grave du logement[30] ». Tel est notamment le cas des villes où existent d’importants déséquilibres entre l’offre et la demande de logements, au détriment de certaines catégories sociales[31]. Il a, similairement, été jugé que se trouvait dans une situation d’urgence, l’autorisant à user du droit de requérir un terrain afin d’y permettre le déroulement d’une rave-partie, un préfet ayant tenté d’obtenir vainement la mise à disposition de celui-ci par voie contractuelle. Pour le tribunal administratif de Poitiers, « compte tenu de ce que l’expérience acquise au plan national a montré que ce type de manifestation n’était pas de nature à assurer qu’elle ne se tiendrait pas[32]», l’urgence habilitait en effet l’autorité préfectorale à prévenir, au cas d’espèce, les troubles à l’ordre public inhérents au rassemblement de plusieurs dizaines de milliers de personnes par la réquisition d’un aérodrome.

Dans cette perspective, il peut, en définitive, être conclu que l’urgence repose, en son aspect matériel, sur une triple fonction[33]. Elle remplit, d’abord, une fonction de justification qui fonde l’intervention de l’Administration. Elle possède, ensuite, une fonction d’adaptation, dès lors qu’elle permet de distinguer une situation juridique, dite « normale », relative à une autre, dérogatoire, qui légitime le recours à la procédure de réquisition. Elle dispose, enfin, d’une fonction de dérogation, en ce qu’elle permet de contourner les exigences du droit en vigueur – notamment en ce qui concerne les règles de compétence et de forme – au profit d’un procédé exorbitant du droit commun.

Pour autant, la gravité du trouble à l’ordre public est à elle seule insuffisante pour caractériser une situation d’urgence. Encore faut-il que les intérêts publics affectés le soient rapidement ou à brève échéance.

b. La temporalité : une atteinte immédiate à l’ordre public

Outre la gravité, l’urgence contentieuse renferme un second élément de nature temporaire, défini comme le préjudice dans le retard à agir. Pour justifier le recours à la procédure de réquisition, l’atteinte à l’ordre public doit, en d’autres termes, se révéler immédiate, ou à tout le moins prévisible[34].

Il a, par exemple, été jugé que des difficultés structurelles d’organisation de la filière pétrolière aux Antilles ne permettaient pas au préfet d’utiliser sur une période de quatre années successives son pouvoir de réquisition. L’accumulation de tels arrêtés, sur une durée aussi longue, ne pouvait en effet se justifier par une situation d’urgence[35].

Dans le même sens, le juge des référés a considéré que ne pouvait être regardée comme justifiée par l’urgence la réquisition d’un aérodrome ordonnée en juin 2006 pour la tenue d’un Teknival dans le département du Morbihan, alors qu’il était établi que l’organisation de cette manifestation avait était envisagée dès le mois de septembre 2005 par les autorités préfectorales[36].

Il existe en effet une étroite corrélation entre la consécration législative en 2003 d’un pouvoir de réquisition au profit des préfets qui, de jure, appartenait « d’ores et déjà à l’autorité préfectorale en cas d’urgence[37] » lorsque le rétablissement à l’ordre public l’exige et le « phénomène des rave-parties[38] ». Le 4° de l’article L. 2215-1 du CGCT est à cet égard le fruit d’un amendement gouvernemental déposé lors de la première lecture de la loi n°2003-239 du 18 mars 2003 par l’Assemblée nationale[39], « grandement motivée par le souci[40] » de tirer les enseignements de l’intervention de l’Etat lors d’une rave-partie organisée en décembre 2002 près de Rennes. A défaut d’emplacement disponible, le préfet avait alors dû procéder à la réquisition d’un terrain, puis à celle d’entreprises de nettoyage afin d’« éviter une catastrophe », alors que plus de 10 000 personnes s’étaient réunies en marge du festival « les Transmusicales » pour écouter de la musique techno[41]. L’amendement gouvernemental visait, dans cette perspective, à attribuer un fondement juridique solide à ce type de réquisition.

Cependant, au cas d’espèce, le préfet ne s’était pas « borné à encadrer l’organisation du Teknival » par la mise en œuvre de son pouvoir de réquisition, mais avait « pris l’initiative de cet événement » dont il avait assuré seul la préparation[42]. Dès le mois d’octobre 2005, il avait ainsi fait procéder à la recherche, par les services de l’Etat, de terrains susceptibles d’accueillir un tel rassemblement dans le département. D’avril à juin 2006, il avait, ensuite, reçu les représentants du collectif organisateur afin d’en préparer le déroulement et procédé, enfin, à la réquisition d’un aérodrome pour y accueillir le Teknival. Pour la juridiction administrative, il n’existait donc « aucun trouble avéré à l’ordre public » à la date de l’édiction de l’arrêté contesté puisque, notamment, « les participants au Teknival n’étaient pas présents sur le site de l’aérodrome » et que « le risque que des rassemblements « sauvages » aient lieu en cas d’annulation du Teknival n’était pas réalisé à cette date[43] ». Faire usage du pouvoir de requérir dans ces conditions était, par conséquent, constitutif « au mieux d’une erreur de droit, car il n’existait pas de trouble à l’ordre public à la date à laquelle l’arrêté a été pris, au pire d’un détournement de pouvoir, car le préfet a sciemment détourné le pouvoir de réquisition de son seul but, à savoir l’impérieuse nécessité de faire cesser immédiatement un trouble à l’ordre public, pour l’utiliser aux fins de satisfaire des intérêts privés, en l’occurrence ceux des teknivaliers[44] ».

Sur ce dernier point, il convient en effet d’observer que prioritairement à l’adoption de la loi n°2007-297 du 5 mars 2007[45], l’article L. 2215-1, 4° du CGCT prévoyait uniquement le recours à la réquisition en cas de trouble avéré ou constitué à l’ordre public. Cette formulation restrictive invalidait ainsi la possibilité de mobiliser un tel pouvoir à titre préventif, ce qui n’a pas été sans soulever plusieurs critiques. En janvier 2007, le commissaire du Gouvernement T. Olson proposait ainsi que le préfet puisse également prendre des mesures de réquisition « en cas de risques graves et immédiats même non réalisés (…) justifiées par les menaces et risques identifiés[46] ». Le législateur est donc à nouveau intervenu en 2007 afin d’élargir la possibilité pour l’autorité préfectorale de recourir à cette procédure en cas d’atteinte « constatée ou prévisible » à l’ordre public[47]. Désormais, ce procédé peut, par conséquent, être mobilisé afin de « prévenir[48] » une « menace[49] », ou des « risques[50] » de troubles à l’ordre public. Il suffit que le  trouble à l’origine de la réquisition soit manifeste, ou même probable[51] sans pour autant être hypothétique. Un tel risque doit être réel.

Au travers de cette évolution transparaît ainsi, en filigrane, l’une des caractéristiques les plus marquantes du droit de réquisition, l’élargissement continu des circonstances habilitant son recours.

B. L’évolution : un dispositif toujours plus étendu

Le droit de réquisition compose parmi les institutions du droit administratif français qui s’est le plus transformée depuis l’origine[52]. Son évolution a, plus précisément, été marquée par une extension continue de son champ d’application, en raison d’une assimilation fictive du temps de paix au temps de guerre (1.) et d’une interprétation extensive de l’intérêt général (2.).

1.L’assimilation fictive du temps de paix au temps de guerre

La réquisition constitue historiquement une « institution du temps de guerre[53] ». Son application aux périodes de paix est le fruit d’une fiction, dont rappeler les contours (a.) permet de saisir les applications actuelles de ce procédé (b.).

a. La fiction 

Le droit de réquisition civile trouve son assise juridique dans la loi du 11 juillet 1938[54], élaborée pour le temps de guerre et à des fins économiques. Il s’agissait d’ « assurer la mobilisation civile de toutes les ressources humaines et matérielles de la Nation[55] » pour les périodes de préparation du pays à un conflit, puis de guerre. Il était donc bien établi que ce texte ne saurait avoir d’effet en temps de paix[56]. Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, il apparut cependant que les réquisitions « étaient encore nécessaires pour solder les reliquats du conflit[57] », notamment pour assurer le ravitaillement de la population et le logement des réfugiés[58]. Le Gouvernement obtint ainsi d’en prolonger l’application au grès d’ « artifices techniques[59] », « dans le but avoué de faire redémarrer une économie minée par des années de guerre, mais dans le secret espoir de trouver là un instrument permettant d’agir en cas de désordre[60] ».

Ainsi entre 1945 et 1951, il fut, en premier lieu, procédé à une prorogation provisoire de ces dispositions, par l’adoption annuelle d’un texte par le Parlement assimilant une période de douze mois au temps de guerre[61]. Il était bien précisé, au demeurant, que cette prorogation aurait vocation à s’arrêter une fois que l’économie de pénurie aurait pris fin. Cette fiction servit à assurer la relance économique et garantir la satisfaction des besoins sociaux, d’administration, ou encore de police, mais dû cesser aux environs de l’année 1949 à mesure que la situation économique revenait à la normale et que les réquisitions de biens devenaient, par conséquent, « inutiles et intolérables[62] ».

Tel ne fut pas, en revanche, le cas des réquisitions personnelles. Dès 1948, le Gouvernement découvrit en effet dans les dispositions de la loi du 11 juillet 1938 un « havre salvateur[63] » lui permettant de contraindre les personnels grévistes à une reprise accélérée du travail[64]. Pour faire face à la multiplication des mouvements sociaux qui ponctuèrent la période, il s’employa en conséquence à convaincre le Parlement de la nécessité de faire de cette législation un instrument permanent destiné à remédier aux « conflits internes[65] » soulevés par les grèves[66]. La demande fut exaucée par le législateur qui, par l’intermédiaire de la loi du 28 février 1950[67] procéda, en second lieu, à une prorogation indéfinie et sans limitation de durée des dispositions précitées. Leur application s’en trouva de la sorte pérennisée « sine die, mais provisoirement[68] » en dehors de tout conflit armé.

Le « caractère d’éphémérité, sciemment conservé dans l’application de ce texte[69] » fut, enfin, atténué par l’ordonnance n°59-147 du 7 janvier 1959[70] qui vint parachever ce processus. En son article 47, désormais codifié à l’article L. 2211-2 du code de la défense, celle-ci prévoit « qu’indépendamment des cas » de mobilisation générale, de mise en garde ou de menace particulière prévus en son article 5, ouvrant au profit du Gouvernement le droit de réquisitionner des biens, des services et des personnes, celui-ci « continue à disposer des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi du 11 juillet 1938 ». Par l’insertion dans un texte permanent d’un article qui confirme la valeur pour le temps de paix d’un texte conçu pour le temps de guerre, les parlementaires ont, ainsi, entendu faire participer celui-ci à la valeur de celui-là[71].

Ces deux hypothèses fondées sur la loi du 11 juillet 1938, telle que complétée par l’ordonnance n°59-147 du 7 janvier 1959, continuent aujourd’hui de coexister sous l’empire du code de la défense. Aux côtés des réquisitions militaires « pour les besoins propres des forces armées et formations rapprochées[72] », celui-ci organise en effet deux hypothèses de réquisitions pour les « besoins généraux de la Nation », les premières centrées sur des « préoccupations de défense nationale » et, les secondes, dotées d’une « connotation plus civile[73] », « pour les besoins du pays ». Pour autant, cette utilisation du droit de requérir aux fins de résoudre les problèmes posés par la grève en a parallèlement durablement infléchi les contours. D’une part, en ce que la réquisition « pour les besoins généraux de la Nation » s’en est ainsi trouvée « détournée de son but[74] ». D’autre part, et corrélativement, en ce que ce dévoiement en a précipité la désuétude au profit d’autres types de réquisition.

b. Le détournement

Dès les années 1960, une doctrine avisée a pu observer qu’ « il n’était que trop évident que la réquisition entre les mains des pouvoirs publics n’était pas faite pour se substituer à une réglementation de la grève[75] ». Il y avait là un « détournement de pouvoir » équivalent, pour les travailleurs, à « la négation de leur droit de recourir à la grève[76] ». De facto, cet artifice démontra rapidement ses limites lorsque, aux fins de briser le mouvement social initié en 1963 par les mineurs, le Gouvernement tenta vainement de réquisitionner, au nom de l’intérêt national, le personnel des mines et des cokeries[77].En dépit des sanctions pénales encourues, les ouvriers refusèrent alors à deux reprises d’obtempérer, laissant l’Administration impuissante et l’exécutif en position de discrédit.

Une réquisition gouvernementale de grévistes pour les « besoins généraux de la Nation » ne peut en effet être suivie d’effet immédiat « que si les personnes visées obéissent spontanément à l’ordre de réquisition[78]  ». A contrario, « la désobéissance n’est sanctionnée qu’indirectement au terme d’une procédure pénale[79] », de sorte qu’il existe un risque pour que l’autorité de l’Etat s’en trouve compromise[80]. Au demeurant, il convient encore d’observer que ce type de réquisition impose un formalisme « assez pesant[81] ». Son ouverture est, d’abord, subordonnée à l’adoption d’un décret en Conseil des ministres[82]. La faculté offerte à l’Administration doit, ensuite, se concrétiser sous la forme d’un arrêté adopté par le ministre concerné. Les ordres de réquisition doivent, enfin, être pris individuellement par le préfet, qui les notifiera aux intéressés ou, en cas de réquisition collective, au maire de la commune, au chef de service, ou à celui de l’entreprise concernée. Depuis la mise en œuvre infructueuse de cette procédure en 1963, elle n’a par conséquent plus jamais été employée, ni envisagée à l’encontre de grévistes. Elle est, en définitive, appréhendée depuis lors comme une réponse « peu adaptée et désuète à l’égard d’une liberté fondamentale[83] ».

Pour autant, le sort réservé à cette procédure a durablement marqué le droit des réquisitions. En premier lieu, le motif ayant conduit à la pérennisation, au temps de paix, d’un procédé initialement conçu pour le temps de guerre éclaire l’usage désormais réservé à celui-ci. Si la procédure de réquisition demeure peu usitée, force est, en effet, de constater que dans la plupart des cas de mise en œuvre, ce pouvoir est principalement utilisé à l’endroit d’entreprises privées en cas de grève du personnel. En second lieu et en conséquence, l’échec marquant du recours à la réquisition fondée sur les « besoins généraux de la Nation » lors de la grève de 1963 en a parallèlement précipité la désuétude au profit de deux autres catégories de réquisition, celles de police administrative et de service. En dépit de conditions de mise en œuvre analogue, il convient de distinguer celles-ci en fonction du critère de leur finalité.

2. L’interprétation extensive de l’intérêt général

Quel que soit le type de réquisition mobilisé, la légalité de leur recours est toujours subordonnée à la satisfaction de l’intérêt général. Cependant, cette satisfaction repose sur des considérations distinctes selon le régime de réquisition concerné. Outre les réquisitions militaires conditionnées à la réalisation d’un intérêt proprement militaire[84] doivent, à cet égard, être distinguées celles dont la finalité est l’ordre public général (a.), ou la continuité du service public (b.).

a. La préservation de l’ordre public

Deux formes de réquisition ont pour finalité de satisfaire à des considérations d’ordre public général, celles pour les « besoins généraux de la Nation » et de police.

S’agissant des premières, fondées sur les dispositions de la loi du 11 juillet 1938 et de l’ordonnance n°59-147 du 7 janvier 1959, la mesure de réquisition doit, plus précisément, être légitimée par la satisfaction des « besoins du pays ». Cette expression nouvelle, introduite à dessein par le législateur en 1938 marquait ainsi sa volonté d’élargir, au-delà du service public, les bénéficiaires des réquisitions[85]. Il n’en a, dès lors, pas précisé la portée, laissant le soin à la jurisprudence de s’y substituer. Or en pratique, les juridictions ont conféré une interprétation extensive à celle-ci[86], de sorte qu’il en a pu être conclut que « les réquisitions pour les besoins généraux de la Nation poursuivent un but d’ordre public général[87] ».

La mise en œuvre des secondes relève, en revanche, d’un pouvoir implicite[88] reconnu de longue date par les juridictions administratives et judiciaires au Premier ministre[89], au préfet[90], ainsi qu’au maire[91], consacré législativement en 2003 au profit des seconds[92], qui se présente comme le « corollaire logique à toute compétence de police administrative[93] ». Les réquisitions de police ont, dès lors, pour seul but légitime l’ordre public[94].

Ces deux formes de réquisition partagent donc une finalité commune, l’ordre public général, mais restent cependant distinctes de par leur régime. La difficulté résulte alors de l’enchevêtrement de ces deux procédures[95], d’autant que la terminologie employée par le juge, qui recourt indistinctement aux notions de besoins essentiels de la « population[96] », du « pays[97] », ou de la « Nation[98] » pour justifier de l’emploi de l’une ou l’autre, est propre à accentuer la confusion entre celles-ci. Or si toutes deux peuvent être exercées virtuellement à l’endroit de toute personne physique ou morale – qu’elle appartienne où non à l’Administration – et de tout bien, meuble ou immeuble, dans une mesure nécessaire à la satisfaction de l’ordre public, il convient d’observer que le formalisme inhérent aux réquisitions de police est moindre par rapport à celui des réquisitions pour les « besoins généraux de la Nation ». En particulier, l’ouverture des premières n’est pas, contrairement aux secondes, subordonnée à l’adoption d’un décret en Conseil des ministres, ce qui impose de clarifier leur domaine respectif d’application.

A cette fin, il peut être avancé que le critère émergeant de la distinction semble être constitué par la notion « d’intérêt national[99] ». Une « certaine gradation[100] » de l’intérêt général doit, en d’autres termes, être envisagée afin de déterminer le régime de réquisition applicable. Lorsque la mise en péril s’identifie à l’intérêt national stricto sensu, compris comme celui de la Nation entière, soit qu’il s’étend à l’ensemble du territoire national, soit qu’il engage la France à l’étranger, la forme de réquisition qu’il convient de mobiliser est celle pour les « besoins généraux de la Nation ». Lorsqu’a contrario l’urgence s’identifie à un intérêt « local[101] », soit qu’elle ne concerne qu’une fraction du territoire national, il doit en revanche être procédé à une réquisition de police. Un tel critère présente, ainsi, l’intérêt d’apporter un éclairage aux mises en œuvre récentes de ce procédé.

Depuis la consécration législative en 2003 du pouvoir de réquisition des préfets, celui fondé sur les besoins généraux de la Nation n’a, en effet, été activé qu’à une seule reprise en 2004. Il s’agissait de requérir des compagnies aériennes françaises lors du conflit en Côte d’Ivoire, afin de procéder au rapatriement des ressortissants français en métropole[102]. L’urgence s’identifiait donc à la mise en péril des intérêts nationaux du fait de l’engagement de la France dans une crise politique et militaire à l’étranger. A contrario, depuis cette date, les réquisitions de police ont, principalement, été mobilisées à l’encontre de salariés grévistes, dans le cadre de mouvements sociaux affectant le secteur de la santé[103] ou de l’énergie[104]. Elles ont, en outre, été utilisées aux fins de réquisitionner des terrains et des immeubles, pour y permettre le déroulement de rave-parties[105], l’hébergement d’urgence de personnes mal-logées[106], ou l’accueil de gens du voyage[107]. Dans chacune de ces affaires, le péril justifiant le recours à cette procédure était, par conséquent, localisé sur une fraction du territoire.

Le critère fondé sur la notion d’intérêt national se révèle ainsi pertinent, en ce qu’il apporte une importante clarification aux droits des réquisitions. Pour autant, il doit être complété en raison de son caractère lacunaire. Bien qu’opérante, une telle distinction ignore, en effet, certaines formes de réquisitions qui ne sont pas légitimées par des considérations d’ordre public général, mais par la continuité du service public.

b. La continuité du service public

Il résulte de la combinaison des arrêts Jamart[108] et Dahaene[109] du Conseil d’Etat la possibilité, pour un chef de service, de recourir en cette qualité à la réquisition dans le cadre d’un service public. Ce pouvoir de réquisition relève, plus précisément, du rapport hiérarchique qui s’établit entre les autorités qui organisent le service et les personnes qui le mettent en œuvre[110]. A l’image des réquisitions de police, il s’agit donc d’un pouvoir implicite mais qui est, cette fois, le corollaire du « pouvoir d’organisation du service, prérogative de puissance publique qui présente une certaine analogie avec celle, de puissance privée, qu’exerce l’employeur de droit privé sur la communauté de travail[111] ». Au contraire des autres formes de réquisition[112], il peut, par conséquent, être exercé par l’organe dirigeant d’un organisme de droit privé, sous réserve qu’il soit responsable d’un service public[113]. Il est, dès lors, impératif de distinguer juridiquement cette forme de réquisition des autres procédures, en particulier de police[114].

D’une part, en ce que son champ d’application est plus restreint. La réquisition de service ne peut, en effet, être exercée que sur les seuls personnels, de droit public ou de droit privé, affectés à l’exécution du service concerné. Un chef de service ne saurait, en revanche, requérir un bien, ou un service de sorte qu’en droit, cette forme de réquisition s’assimile à une assignation[115].

D’autre part, en ce que sa finalité est distincte de celles des autres formes de réquisitions. Bien que l’ordre public figure au titre des motifs légitimes susceptibles de justifier l’assignation, celle-ci a, en effet, pour principal but de garantir la continuité d’un service public[116], qui doit de surcroît être « essentiel[117] » à la préservation de l’ordre public. Cette dernière notion ne joue donc pas le même rôle selon la procédure mobilisée. Alors que l’ordre public constitue le seul but légitime des réquisitions de police ou pour les « besoins généraux de la Nation », il n’est que subsidiaire dans le cadre de l’assignation, dont la finalité essentielle est la continuité du service public[118].

Cette dernière distinction revêt, par conséquent, une utilité particulière en ce qu’elle constitue un critère pertinent susceptible de réguler les conflits de réquisitions. Ces derniers peuvent, plus précisément, apparaître lorsqu’une autorité de police administrative, tel un maire ou un préfet, possède également la qualité de chef de service et procède à la réquisition d’agents essentiels à l’exercice d’un service public, par exemple lors d’une grève. Dans un jugement du 2 mars 2000, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a, ainsi, considéré, s’agissant d’une réquisition de sapeurs-pompiers grévistes par le maire de Nouméa pour le 14 juillet, qu’il appartenait à ce dernier, « responsable tant du bon fonctionnement des services placés sous son autorité, que, en matière de police municipale, de la sûreté et de la sécurité publique et du bon ordre (…) de prévoir lui-même, sous le contrôle du juge (…) la nature et l’étendue » des limites à apporter au droit de grève[119]. La difficulté consiste alors à déterminer le fondement juridique applicable à une telle mesure, qui peut résulter de la mise en œuvre d’un pouvoir de police ou d’organisation du service. Or si la solution de l’arrêt précité pourrait laisser à entendre que le maire aurait le choix entre invoquer l’une ou l’autre de ces qualités, il y a, au contraire, lieu de considérer en pareilles circonstances « comme un détournement de procédure le fait de procéder à une réquisition de police et que seule la réquisition de service doit être possible[120] ». La mesure devra, en conséquence, être analysée comme visant à rétablir le fonctionnement d’un service public essentiel dont l’objet est la préservation de l’ordre public, et non comme ayant pour objet immédiat l’ordre public lui-même[121].

Tout l’enjeu de cet arbitrage et de l’obligation de recourir, en cette hypothèse, à l’assignation se rapporte aux droits des personnes requises. Ceux-ci sont davantage préservés dans le cadre de cette dernière procédure, dont le champ d’application est plus restreint que celui des réquisitions de police. Cependant, la protection dont bénéficient les destinataires de l’acte de requérir reste faible, quel que soit le régime mobilisé.

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Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016-2019 ; chronique administrative ; Art. 250.


[1] R. Ducos-Ader, Le droit de réquisition, op. cit., p. 31.

[2] V. par exemple CE, 11 décembre 1991, Société d’HLM Le logement familial du bassin parisien, n°192673, Rec., Leb., p. 427.

[3] J-P. Chevènement, « Difficultés et légitimité de la contrainte, discours d’ouverture », AJDA, 1999, p. 6.

[4] J-P. Dorly, Les réquisitions personnelles, op. cit., p. 20.

[5] Ibidem.

[6] Sur la notion d’impuissance publique, V. notamment E. Picard, « L’impuissance publique en droit », AJDA, 1999, p. 11. L’auteur identifie, en particulier, quatre formes d’impuissance publique quant aux moyens ; D’abord, lorsque des procédés normatifs ou coercitifs qui existent en droit ne peuvent être mis en œuvre, (1) soit pour des raisons extra-juridiques, par exemple dans l’hypothèse d’une grève, (2) soit en ce que leur utilisation comporte trop de risques ou d’incertitudes pour l’autorité publique qui en fait usage ; Ensuite, (3) lorsque l’utilisation des pouvoirs juridiques se heurte à des contraintes formelles ou substantielles si rigoureuses que le recours à ces procédés par l’autorité publique s’en trouve entravé ; Enfin, (4) lorsque les moyens juridiques mis à la disposition de la puissance publique se révèlent réellement insuffisants au regards des fins qui lui sont assignées ou des obligations qui lui sont imposées.

[7] CAA Lyon, 10 mai 2007, Société Etablissements Verdannet, n°02LYO1154 et 02LYO1650, AJDA, 2007, p. 1986, concl. D. Besle.

[8] R. Weclawiak, « Sécurité civile et réquisition », loc. cit., p. 1033.

[9] A. Sayede Hussein, « Réquisition d’immeubles et hébergement d’urgence », DA, no 8‑9, Aout 2014, comm. 52.

[10] N. Tronel, « L’affaire du  « Teknival » », concl. sous TA de Rennes, 10 mai 2007, Ville de Vannes c/ Préfet du Morbihan, RFDA, 2007, p. 1086.

[11] Art. L. 2213-1 du C. défense.

[12] CE, 11 décembre 1991, Société d’HLM Le logement familial du bassin parisien, loc. cit..

[13] CE, ord., 9 décembre 2003, Mme Aiguillon et autres, n°262186, Rec., Leb., p. 497 ; AJDA 2004, p. 148, obs. C. Moniolle et p. 1138, note O. Le Bot ; D. 2004, IR p. 538 ; RFDA, 2004, p. 306, concl. J.-H. Stahl et p. 311, note P. Cassia ; JCP A, 2004, 1054 note J. MOREAU ; DA, n°2/2004, n°33 ; RFAP, n°109, 2004/1, p. 167.

[14] CE, Ass., 12 avril 2013, Fédération Force Ouvrière Energie et mines et autre, n°329570, 329683, 330539 et 330847, Rec., Leb., p. 94 ; AJDA, 2013, p. 766 et 1052, chron. X. Domino et A. Bretonneau ; Dr. soc., 2013, p. 608, note P-Y. Gadhoun ; RFDA, 2013, p. 637, concl. F. Aladjidi et p. 663, chron. A. Roblot-Troizier et G. Tusseau.

[15] En particulier son caractère non directement substituable et l’impossibilité de la stocker en quantité importante.

[16] Ibid., pt. 15. V. également en ce sens CE, 23 mai 2011, Ministre de l’intérieur, de l’Outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration n°349215, inédit au Rec., Leb.

[17] CE, 27 octobre 2010, Fédération nationale des industries chimiques CGT et autres, n°343966, Rec., Leb. p. 422 ; AJDA 2010, p. 2026 ; AJDA, 2011, p. 388, note P. S. Hansen et N. Ferré ; JCP A, n°45-46, novembre 2010, act. 817, comm. G. Bricker ; Dr. ouv., n°752, mars 2011, p. 153, obs. G. Koubi et G. L. Guglielmi ; RJEP, n°685, avril 2011, comm. 21, obs. A. Lallet ; RDT, 2011, p.9, comm. A. Martinon, F. Leconte et I. Taraud.

[18] G. Koubi et G. Guglielmi, « Réquisitions « stratégiques » et effectivité du droit de grève », Dr. ouv., n°752, mars 2011, p. 155 relèvent à cet égard que « l’entrée du gouvernement dans une négociation pour amender sensiblement le projet de loi », ou encore « la réouverture de l’oléoduc du Havre à Roissy » auraient pu constituer d’autres solutions alternatives.

[19] A. Lallet, « « There has been blood » : le juge, la réquisition et le pétrole », RJEP, n°685, avril 2011, comm. 21.

[20] Concl. sous T.C., 2 décembre 1902, Société immobilière de Saint Just, S. 1904.3.17, concl. Romieu, n. Hauriou ;

[21]G.Pambou Tchivounda, « Recherche sur l’urgence en droit administratif français », RDP, 1983, p. 132.

[22] Ibidem. Pour l’auteur, « l’urgence, c’est l’affaire du juge ».

[23] CE, sect., 19 janvier 2001, Confédération nationale des radios libres, n°228815, Rec. CE, 2001, p. 29 ; Gaz. Pal., n°23, janvier 2005, p. 31, obs. D. Véret, A. Vève ; RDP, n°3, 2002, p. 711, chron. C. Guettier ; D., n°18, 2001, p. 1414, note B. Seiller ; Procédures, n°5, 2001, p. 17, note S. Deygas ; CMP, n°5, 2001, p. 26, obs. J-P. Pietri.

[24] Nous reprenons ici les deux éléments constitutifs de la condition d’urgence identifiés par A. Sayede Hussein, « Réquisition d’immeubles et hébergement d’urgence », loc. cit.

[25] G.Pambou Tchivounda, « Recherche sur l’urgence en droit administratif français », loc. cit., p. 83.

[26] P-L. Frier, L’Urgence, Paris : LGDJ, coll. Bibliothèque de droit public, Tome 150, 1987, p. 76.

[27] CE, 26 février 1961, Isnardon, Rec., Leb., p. 150 ; AJDA 1961, p. 204, chron. Galabert et Gentot ; Dr. soc., 1961, p. 357, note Savatier. V. dans le même sens, Cass., soc., 24 janvier 1960, Dr. soc., 1960, p. 491.

[28] CAA Marseille, 12 décembre 2005, Commune de Béziers, n°01MA00258 ; AFJP, 2006, p. 82 ; Coll. terr., 2006, n°21, note P. Bentolila.

[29] Ibidem.

[30] Art. L. 612-1 du CCH. Sur ce point, V. notamment S. Theron, « La réquisition administrative de logement », AJDA, 2005, p. 247.

[31] CE, Ass., 11 juillet 1980, Lucas, Rec., Leb., p. 317 ; AJDA, 1981, p. 216, concl. M. Rougevin-Baville ; DA, n°315.

[32] TA Poitiers, 11 octobre 2007, Aéroclub de France, n°0602114, AJDA, 2007, p. 1957 ; Dalloz Actualité, 23 octobre 2007, note M-C. de Montecler.

[33] G.Pambou Tchivounda, « Recherche sur l’urgence en droit administratif français », loc. cit., p. 108 à 132. V. également sur ce point R. Weclawiak, « Sécurité civile et réquisition », loc. cit., p. 1037.

[34] A. Sayede Hussein, « Réquisition d’immeubles et hébergement d’urgence », loc. cit.

[35] CE, 28 décembre 2016, Ministre des Outres mer, n°397422, Rec., Leb., 2016 ; JCP A, 2016, act. 51, comm. H. Pauliat. Dans cette affaire, le préfet avait en effet retenu une conception extensive de la condition d’urgence, en contraignant sur une période de 4 ans par plusieurs ordres successifs de réquisition  la société EDF à s’approvisionner en fioul lourd auprès de la société anonyme de la raffinerie des Antilles (SARA), au prix maximum fixé par un arrêté préfectoral. Cette obligation se justifiait, en particulier, par le fait que la SARA disposait de capacités de stockage limitées à 20 000m3, ce qui impliquait qu’en cas d’incapacité de celle-ci à trouver des débouchés satisfaisants pour ce produit, la raffinerie aurait dû s’arrêter, entrainant de lourdes conséquences sociales pour les salariés de celle-ci. Le préfet a, dès lors, utilisé son pouvoir de réquisition afin de mettre un terme au problème de débouchés de la société, c’est-à-dire non pas pour faire face à une situation d’urgence mais régler un problème récurrent et structurel propre à la filière pétrolière en Martinique.

[36] TA Rennes, 28 juin 2006, Commune de Vannes, n°0602705 et TA de Rennes, 10 mai 2007, Ville de Vannes c/ Préfet du Morbihan,  n° 06-02702, n° 06-2729, n° 06-2738, n° 06-2742, n° 06-2745 ; RFDA, 2007, p. 1086, concl. N. Tronel. Sur cette affaire, V. également M-C De Montecler, « L’Etat de droit, de Washington à Vannes », AJDA, 2006, p. 1409 et M-C. De Montecler, « Après Vannes, Hélas, Saint-Brieuc », AJDA, 2007, p. 1377. Sur le droit applicable aux raves-parties, V. en particulier D. Bordier, « Rave-parties, free-parties, teknivals, le cauchemar du maire », AJDA, 2010, p. 185 et J-C. Videlin, « Le régime juridique des rave parties », AJDA, 2004, p. 1070.

[37] Décision n°2003-467 DC du 13 mars 2003, loi pour la sécurité intérieure, JORF du 19 mars 2003, p. 4789, Rec., p. 211, pt. 4.

[38] N. Tronel, concl. sous TA de Rennes, 10 mai 2007, Ville de Vannes c/ Préfet du Morbihan, loc. cit.

[39] Loi n°2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, JORF n°66 du 19 mars 2003, p. 4761, texte n°1, art. 3.

[40] N. Tronel, loc. cit.

[41] Intervention du Ministre de l’intérieur au cours de la séance du 16 janvier 2003 devant l’Assemblée nationale, citée par N. Tronel, loc. cit.

[42] N. Tronel, loc. cit.

[43] TA de Rennes, 10 mai 2007, Ville de Vannes c/ Préfet du Morbihan, loc. cit.

[44] N. Tronel, loc. cit.

[45] Loi n°2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, JORF n°56 du 7 mars 2007, p. 4297, texte n°1, art. 29.

[46] T. Olson, concl. sous CE, 17 janvier 2007, Ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire, n°294789, AJDA, 2007, p. 484.

[47] Sur ce point, V. notamment G. Bligh, « De la grève comme d’un conflit civil : l’évolution du pouvoir de réquisition des grévistes en droit administratif », RFDA, 2017, p. 958, note 80 et J. Travard, « Le pouvoir de réquisition des préfets… », loc. cit., pt. 9.

[48] TA Poitiers, 11 octobre 2007, Aéroclub de France, loc. cit.

[49] CE, 27 octobre 2010, Fédération nationale des industries chimiques CGT et autres, loc. cit.

[50] CAA de Douai, 13 novembre 2013, Préfet de la Seine-Maritime, n°12DA00904, inédit au Rec., Leb.

[51] A. Sayede Hussein, « Réquisition d’immeubles et hébergement d’urgence », loc. cit.

[52] Y. Gaudemet, Droit administratif des biens, tome 2, Paris : LGDJ, 15ème ed., 2014, p. 503.

[53] Ibid., p. 504.

[54] Loi du 11 juillet 1938 sur l’organisation générale de la nation en temps de guerre, loc. cit.

[55] J. Salomon, Les réquisitions de police, op. cit., p. 178.

[56] Ibid., p. 13. V. également en ce sens P. Duez, G. Debeyre, Traité de droit administratif, Paris : Dalloz, 1952, p. 862.

[57] Ibidem. Sur ce point, V. également J. Salomon, « Grèves et réquisitions (Etude d’une évolution) », JCP G, 1963, n°1749, pt. 13 et s.

[58] Cette dernière considération a d’ailleurs été au fondement de l’adoption de l’Ordonnance n°45-2394 du 11 octobre 1945, Crise du logement, loc. cit., instituant un régime spécifique de réquisition afin de faire face à la crise du logement résultant des destructions de la guerre.

[59] G. Lyon-Caen, « La réquisition des salariés en grève selon le Droit positif français », Dr. soc., n°4, avril 1963, p. 216.

[60] J. Salomon, Les réquisitions de police, op. cit., p. 178.

[61] V. en ce sens la loi n°49-991 du 10 mai 1946 portant fixation de la date légale de cessation des hostilités au 1er juin 1946 pour l’exécution des lois, décrets et contrats, JORF du 12 mai 1946, p. 4090 ; la loi n°47-344 du 28 février 1947 maintenant au delà du 1er mars 1947 certaines dispositions prorogées par la loi du 10 mai 1946 portant fixation de la date légale de cessation des hostilités pour l’exécution des lois, décrets et contrats, JORF du 1er mars 1947, p. 1903 ; la loi n°48-341 du 28 février 1948 maintenant provisoirement en vigueur au-delà du 1er mars 1948 certaines dispositions législatives et règlementaires prorogées par la loi du 28 février 1947 et la loi du 30 mars 1947 et relative à la fixation de la date légale de cessation des hostilités pour l’exécution des lois, décrets et contrats, JORF du 29 février 1948, p. 2125 ; et la loi n°49-266 du 26 février 1949 locaux occupés par les administrations, JORF du 27 février 1949, p. 2100.

[62] J. Salomon, « Grèves et réquisitions (Etude d’une évolution) », loc. cit., pt. 14 ; Du fait de la multiplication des abus par l’administration, le législateur dû en effet intervenir. Ainsi que l’expose l’auteur, « un décret du 28 février 1947 (…) interdit [les réquisitions de biens] au profit des services publics. De son côté, une loi du 26 février 1948 [décida] que les réquisitions d’appartement [devraient] désormais se fonder uniquement sur l’ordonnance du 19 octobre 1945, c’est-à-dire sur un texte spécialement consacré aux questions de l’habitat ».

[63] J. Salomon, Les réquisitions de police, op. cit., p. 14. Le premier cas de réquisition de personnels grévistes est, cependant, bien antérieur. Dans son arrêt du 18 juillet 1913, Syndicat national des chemins de fer de France et des colonies, Rec., Leb., p. 875, concl. Helbronneur, le Conseil d’Etat a, ainsi, validé l’appel sous les drapeaux par le Gouvernement Briand pour une période militaire de 21 jours de la totalité du personnel de la compagnie des chemins de fer du Nord, concessionnaire de service public, dans le but avoué de briser une grève. La Haute juridiction suivit en l’espèce les recommandations du commissaire du Gouvernement, qui l’invitait à juger que l’exécutif avait le droit et le devoir d’assurer « par tous les moyens légaux dont il pouvait disposer », la continuité du service public des transports (cité dans RDP, 1913, p. 506, note G. Jèze). Bien que la juridiction n’évoque pas alors l’existence d’un pouvoir de réquisition des personnes, qui ne sera introduit qu’avec la loi du 11 juillet 1938 en droit français, cette affaire est considérée par certains auteurs comme un authentique cas de réquisition de personnes, V. en ce sens R. Ducos-Ader, Le droit de réquisition, op. cit., p. 98, n°5 et J. Salomon, « Grèves et réquisitions (Etude d’une évolution », loc. cit., pt. 1.

[64] En 1948, l’administration eu ainsi recours avec succès à la réquisition du personnel des cokeries. Par suite, la loi du 11 juillet 1938 fut également utilisée pour réquisitionner ; en 1950 des employés du gaz et de l’électricité ; en 1953 des cheminots ; en 1957 des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire ; en 1959 des employés de la SNCF ; en 1960 des conducteurs de la RATP et des employés d’Air France ; en 1961 des fonctionnaires et agents des services de la météorologie nationale, du personnel de la SNCF, des internes des hôpitaux publics et de certains personnels de la Société nationale des transports d’Aquitaine ; en 1962 des personnels nécessaires à l’exploitation de navires de commerce, des personnels assurant la sécurité aérienne, des conducteurs de la RATP et des personnels d’Air France ; et en 1963 des mineurs des Houillères de bassin et des charbonnages de France et des personnels assurant la sécurité aérienne. Sur ce point, V. notamment P. Terneyre, La grève dans les services publics, Paris : Sirey, 1991, coll. Droit public, p. 98 et G. Bligh, « De la grève comme d’un conflit civil… », loc. cit., p. 958. V. également en ce sens J. Rivero,  « Le droit positif de la grève dans les services publics d’après la jurisprudence du Conseil d’Etat », Dr. soc., 1951, p. 501 et Y. Struillou, « Conflits sociaux et réquisition: Finalité et modalités du contrôle exercé par le juge administratif », Dr. ouv., n°757, Aout 2011, p. 485.

[65] Pour une approche éclairante de la grève comme d’un « conflit » civil, V. M. Houriou, Commentaire de la décision Winkell du Conseil d’Etat du 7 aout 1909, Rec. p. 826, concl. Tardieu, Sirey, IIIème partie, 1909, p. 145, « Si la coalition et la grève des fonctionnaires sont des faits révolutionnaires, des faits de guerre, on ne s’étonnera pas que le Gouvernement leur ait appliqué le droit de la guerre et ait usé vis-à-vis d’eux des représailles. De même que, dans les relations internationales, il y a un droit de la paix et un droit de la guerre, de même, dans les relations de la vie nationale, en cas de troubles intérieurs, une ville ou un département peuvent être mis en état de siège, avec suspension des garanties constitutionnelles. Pour comprendre la grandeur révolutionnaire de la coalition et de la grève, il faut se référer aux doctrines syndicalistes modernes (…) La coalition et la grève signifient la lutte des classes ; elles signifient qu’une partie de la Nation se dresse contre l’autre et ne reconnait plus ni ses lois, ni sa justice ; la classe prolétaire répudie la justice de l’Etat bourgeois ; elle entend se rendre justice à elle même par l’action directe et, par là, se pose en souveraine. Le droit de grève c’est le droit de guerre privé qui réparait. Et ce n’est pas une guerre privée accidentelle, c’est une guerre privée systématique, menée par une classe qui aspire à la souveraineté ».

[66] J. Salomon, « Grèves et réquisitions (Etude d’une évolution) », loc. cit., pt. 14.

[67] Loi n°50-244 du 28 février 1950 maintenant provisoirement en vigueur au-delà du 1er mars 1950 certaines dispositions législatives et règlementaires prorogées par la loi du 26 février 1949, JORF du 1er mars 1950, p. 2359. Il convient, par ailleurs, d’observer qu’aucune disposition de l’ordonnance n°59-63 du 6 janvier 1959 relative aux réquisitions de biens et de services, loc. cit., ni de l’ordonnance n°59-147 du 7 janvier 1959 portant organisation générale de la défense, loc. cit., n’ont abrogé cette loi qui ne le sera, qu’en 2004, par l’ Ordonnance n°2004-1374 du 20 décembre 2004 relative à la partie législative du code de la défense, loc. cit.

[68] J. Salomon, « Grèves et réquisitions (Etude d’une évolution) », loc. cit., pt. 14.

[69] Ibidem.

[70] Ordonnance n°59-147 du 7 janvier 1959 portant organisation générale de la défense, loc. cit.

[71] J. Salomon, loc. cit.

[72] Art. L. 2221-1 à L. 2223-19 du C. défense.

[73] J-H. Stahl, « Juridiction compétente pour indemniser un médecin réquisitionner par un préfet », loc. cit., p. 1891. Les réquisitions civiles nécessaires pour assurer les « besoins de la défense » sont codifiées aux arts. L. 2211-1 et s. du C. défense, alors que celles destinées à assurer les « besoins du pays » sont régies par les dispositions des arts. L. 2211-2 et s. du même code.

[74] G. Lyon-Caen, « La réquisition des salariés en grève selon le Droit positif français », loc. cit., p. 216.

[75] Ibidem.

[76] Ibid., p. 217.

[77] Décret n°63-208 du 27 février 1963 autorisant la réquisition des personnels des houillères de bassin nécessaires à la production et à l’émission de gaz, JORF du 28 février 1963, p. 2043 et décret n°63-220 du 2 mars 1963 autorisant la réquisition du personnel des houillères du bassin et des charbonnages de France, JORF du 3 mars 1963, p. 2148. Sur ce point, V. en particulier G. Bligh, « De la grève comme d’un conflit civil… », loc. cit., p. 958.

[78] G. Bligh, « De la grève comme d’un conflit civil… », loc. cit., p. 958.

[79] Ibidem.

[80] P. Terneyre, « Réquisition de personnes », Rep. trav., mars 2012, pt. 34.

[81] P. Terneyre, La grève dans les services publics, op. cit., p. 99.

[82] Art. 2 du Décret du 28 novembre 1938 portant règlement d’administration publique pour l’application de la loi du 11 juillet 1938 sur l’organisation de la nation pour le temps de guerre, abrogé par l’art. 3 du décret n°2009-254 du 4 mars 2009 relatif à certaines dispositions réglementaires de la deuxième partie du code de la défense, JORF n°55 du 6 mars 2009, p. 4233, texte n°23, désormais codifié à l’art. L. 2211-4 du C. défense. 

[83] P. Ortscheidt, « Droits collectifs des travailleurs dans le secteur public », RIDC, n°46‑2, 1994, p. 539. Depuis 1963, le droit en vigueur cherche ainsi à éviter les situations qui contraindraient l’administration à recourir à la réquisition, en imposant par exemple un préavis de grève, en interdisant les grèves tournantes dans les services publics grève (V. par exemple la loi n°63-777 du 31 juillet 1963 relative à certaines modalités de la grève dans les services publics, JORF du 2 aout 1963, p. 7156, adoptée suite à la victoire des mineurs), ou encore en instituant ponctuellement un service minimum dans certains services publics (Loi n°2007-1224 du 21 aout 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, JORF n°193 du 22 aout 2007, p. 13956, texte n°2, Loi n°2008-790 du 20 aout 2008 instituant un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaires, JORF n°194 du 21 aout 2008, p. 13076, texte n°2, loi n°2012-375 du 19 mars 2012 relative à l’organisation du service et à l’information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports, JORF n°68 du 20 mars 2012, p. 5026, texte n°2). Sur ce point, V. notamment G. Bligh,  « De la grève comme d’un conflit civil… », loc. cit., p. 958.

[84] CE, 25 juillet 1947, Société publication Elysées, Rec. 1947, p. 348. La seule référence à l’intérêt national ne saurait, en conséquence, suffire ; V. en ce sens CE, 31 mai 1946, Perquel, Rec. 1946, p. 155.

[85] R. Ducos-Ader, Le droit de réquisition…, op. cit., p. 188.

[86] CE, avis du 31 mai 1945, RDP, 1947, p. 22 ; « Il résulte de l’ensemble des dispositions de la loi du 11 juillet 1938 relative à l’organisation de la Nation pour le temps de guerre que si le législateur s’y est proposé comme but premier la mobilisation de toutes les ressources nécessaires à la conduite de la guerre, il a également en vue le maintien, pendant toute la période durant laquelle la loi demeure applicable, des activités essentielles à la vie du pays mais dans la mesure seulement ou leur maintien est reconnu indispensable pour faire face aux exigences de la défense nationale, en raison soit des prestations qu’elles sont appelées à fournir, soit du trouble grave que leur disparition apporterait à l’ordre public ».

[87] R. Capart, « Réquisitions : police générale versus besoins généraux de la Nation », loc. cit., p. 134.

[88] V. en ce sens F. Mauger, Les pouvoirs implicites en droit administratif, Paris 2, 2013, p. 261, selon lequel « le pouvoir implicite est l’habilitation à prendre une mesure nécessaire à l’accomplissement d’une mission ou à l’exercice d’un pouvoir exprès ».

[89] CE, 8 aout 1919, Labonne, GAJA, 19ème ed., n°35, confirmé par CE, Ass., 13 mai 1960, SARL Restaurant Nicolas, Rec. 1960, p. 324, CE, Sect., 22 décembre 1978, Union des chambres syndicales d’affichage et de publicité extérieure, Rec. 1978, p. 530 et par le Conseil constitutionnel, décision n°2000-434 DC du 20 juillet 2000, Loi sur la chasse, JORF du 20 juillet 2000, p. 11550, Rec. p. 107, pt. 19

[90] Conseil constitutionnel, Décision n°2003-467 DC du 13 mars 2003, loi pour la sécurité intérieure, loc. cit., pt. 4. Pour une application antérieure, V. par exemple CAA Bordeaux, 27 juin 2002, Commune de Manses, n°00BX02614.

[91] CE, 5 juillet 1919, Bourlier, Rec. 1919, p. 599, CE, 2 décembre 1949, Société des transports automobiles de Villeneuve-sur-Lot, Rec. 1949, p. 526 et Cass., 1ère civ., 2 juin 1874, Ville de sens. Cette reconnaissance est fondée sur l’art. L. 2212-2 du CGCT.

[92] Loi n°2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, loc. cit., art. 3.

[93] B. Schmaltz, « La distinction entre la réquisition de grévistes par une autorité de police et par un chef de service », JCP A, n°18, 5 mai 2015, étude 2130, pt. 5.

[94] Ibid., pt. 17.

[95] V., par exemple CAA Lyon, 10 mai 2007, Société Etablissements Verdannet, loc. cit., dans laquelle l’arrêté de réquisition contesté avait été adopté sur le double fondement, d’une part, de la loi du 11 juillet 1938 et de l’ordonnance n°59-147 du 7 janvier 1959, c’est-à-dire pour les « besoins généraux de la nation » et, d’autre part, de l’art. L. 2215-1, 3° du CGCT, soit du pouvoir de réquisition de police.

[96] V. par exemple CE, 26 février 1961, Isnardon, loc. cit., à l’occasion duquel le Conseil d’Etat annula le décret de réquisition du Gouvernement au motif qu’il n’était pas établi que les perturbations produites par un mouvement de grève sur le trafic « aient eu pour effet de porter, soit à la continuité du service des transports, soit à la satisfaction des besoins de la population, une atteinte suffisamment grave pour justifier la réquisition du personnel ». Plus récemment, la formule des « besoins essentiels de la population » a, également, été employée pour annuler la réquisition préfectorale de l’ensemble des sages-femmes d’une clinique privée lors d’un mouvement de grève (CE, ord., 9 décembre 2003, Mme Aiguillon et autres, loc. cit.) et de certains personnels grévistes de l’établissement pétrolier de Gargenville exploité par la société Total (CE, 27 octobre 2010, Fédération nationale des industries chimiques CGT et autres, loc. cit.). Elle a, en revanche, permis de justifier la réquisition préfectorale de certains agents en grève d’une centrale thermique située sur l’île de la Réunion afin « d’assurer le maintien d’un effectif suffisant pour garantir les besoins essentiels de la population » (CE, 23 mai 2011, Ministre de l’intérieur, de l’Outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration, loc. cit.), de certains personnels grévistes d’une polyclinique (CAA Nantes, 21 octobre 2016, Syndicat CFDT Santé-Sociaux Cholet 49, n°15NT00372, 21 octobre 2016), ou encore de trois médecins libéraux, afin qu’ils assurent la permanence départementale de soins ambulatoires, dans le contexte du mouvement social de la profession médicale d’octobre 2014 (CAA Bordeaux, 29 mars 2018, M. CB, associations SOS Médecin La Rochelle et SOS Médecin France, n°16BX00013).

[97] V., par exemple, CE, 26 octobre 1962, Sieur le Moult et Syndicat Union des navigants de ligne, AJDA, 1962, p. 673 ; Dr. soc., 1963, p. 225, dans lequel la Haute juridiction a admis la légalité d’un décret du Ministre réquisitionnant la totalité du personnel naviguant d’Air France, jugeant que l’atteinte par la grève à la « satisfaction des besoins du pays » était suffisamment grave, alors même qu’étaient uniquement affectées certaines liaisons assurées par des appareils Boeing et que le personnel naviguant en grève se limitait à 200 personnes sur un effectif total de 2000. Dans le même sens, V. également TA Lille, 2 mai 2002, Société France Manche The Channel Tunnel Group, n°01-3573, AJDA, 2002, p. 933, concl. C. Bauzerand, par lequel le Tribunal administratif a considéré que la réquisition d’un bien par le préfet – en l’occurrence l’usine désaffectée de Voussoirs – afin de garantir l’hébergement provisoires d’étrangers désirant se rendre en Grande Bretagne par Calais « répondait aux besoins du pays » au sens de la loi du 11 juillet 1938 et de l’ordonnance  du 6 janvier 1959. V. de même CE, Ass., 12 avril 2013, Fédération Force Ouvrière Energie et mines et autre, loc. cit., dans le cas d’une réquisition de service décidée par les dirigeants de la société EDF et justifiée par les « besoins essentiels du pays ».

[98] CAA Marseille, 12 décembre 2005, Commune de Béziers, loc. cit. Il convient, par ailleurs, d’observer qu’avant sa codification, l’art. 14 de la loi du 11 juillet 1938 ne faisait pas référence aux besoins généraux de la « Nation » mais aux besoins du « pays ». Le Conseil d’Etat se référait donc de manière indistincte aux besoins du pays ou de la population. V. en ce sens G. Bligh, « De la grève comme d’un conflit civil… », loc. cit., p. 958.

[99] R. Capart, « Réquisitions : police générale versus besoins généraux de la Nation », loc. cit., p. 134. Dans le même sens, V. également J-H. Stahl, « Juridiction compétente pour indemniser un médecin réquisitionné par un préfet », loc. cit., p. 1891, P. Cassia, « Le pouvoir de réquisition du préfet à l’épreuve du référé-liberté », RFDA, 2004, p. 311 et P. Planchet, « Réquisitions de biens. Exercice du droit de réquisition », loc. cit., pt. 50, selon lequel « à défaut de base légale mieux adaptée, la jurisprudence  a admis les réquisitions fondées sur la loi de 1938 et l’ordonnance de 1959 de façon plutôt extensive. La multiplication ces dernières décennies de textes accordant aux autorités de police administrative générale et spéciale de nouvelles prérogatives en matière de réquisition devrait avoir pour conséquence de redonner aux dispositions issues de l’ordonnance du 6 janvier 1959 leur vocation initiale : garantir les besoins essentiels de la population en cas de dangers ou de troubles particulièrement graves mettant en péril l’intérêt national ».

[100] R. Capart, « Réquisitions : police générale versus besoins généraux de la Nation », loc. cit., p. 134.

[101] P. Cassia, « Le pouvoir de réquisition du préfet à l’épreuve du référé-liberté », loc. cit., p. 311.

[102] Décret n°2004-1190 du 10 novembre 2004 portant ouverture du droit de réquisition des compagnies aériennes françaises, JORF n°263 du 11 novembre 2004, p. 19105, texte n°28.

[103] V. en ce sens CE, ord., 9 décembre 2003, Mme Aiguillon et autres, loc. cit., CAA Nantes, 21 octobre 2016, Syndicat CFDT Santé-Sociaux Cholet 49, loc. cit., et CAA Bordeaux, 29 mars 2018, M. CB, associations SOS Médecin La Rochelle et SOS Médecin France, loc. cit.

[104] V. en ce sens CE, 27 octobre 2010, Fédération nationale des industries chimiques CGT et autres, loc. cit., et CE, 23 mai 2011, Ministre de l’intérieur, de l’Outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration, loc. cit.

[105] V. en ce sens, TA Rennes, 28 juin 2006, Commune de Vannes, loc. cit., TA Poitiers, 11 octobre 2007, Aéroclub de France, loc. cit., TA de Rennes, 10 mai 2007, Ville de Vannes c/ Préfet du Morbihan, loc. cit., et CE, 17 janvier 2007, Ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire, loc. cit.

[106] TA Montreuil, 5 juin 2014, Commune de Saint Denis, DA, n°8-9, Aout 2014, comm. 52, obs. A. Sayede Hussein.

[107] CE, 4 décembre 2017, Commune de Sainte-Croix-en-Plaine, n°405598, AJDA, 2018, p. 542.

[108] CE, 7 février 1936, Jamart, n°43321, Rec., Leb., p. 172.

[109] CE, Ass., 7 juillet 1950, Dehaene, n°01645, Rec., Leb., p. 426.

[110] B. Schmaltz, « La distinction entre la réquisition de grévistes par une autorité de police et par un chef de service », loc. cit., pt. 6.

[111] Ibidem. Sur ce point, V. également R. Schwartz, « Le pouvoir d’organisation du service », AJDA, 1997, n° spécial, p. 47.

[112] La Cour de cassation refuse en effet la possibilité à l’employeur de procéder à la réquisition de salariés de droit privé pour des motifs d’ordre public ; Cass. Soc., 7 juin 1995, Transports Seroul, Bull. civ. 1995, V, n°180 ; JCP G, 1995, IV, n°1863, p. 236 ; RJS, 1995, p. 564, note J. Deprez ; Dr. soc., 1995, p. 835, obs. J-E. Ray, 1996, p. 37, note C. Radé ; RDSS, 1996, p. 115, obs. J-M. Lhuillier ; RTD civ., 1996, p. 153, obs. J. Mestre ; RJS, 1995, n°933 ; Cass. Soc., 12 mars 1996, Laiterie de l’Abbaye, n°93-41.670, Bull. civ. 1996, V, n°88 ; JCP G, IV, n°1040, p. 139 ; RJS, 1996, n°439 ; Cass. Soc., 17 juillet 1996, n°94-42.964 et 94-44.439 à 94-44.442 ; RJS, 10/96, n°1079 ; Cass. Soc., 15 décembre 2009, Lebahy / Société AGC France, n°08-43.603, Bull. civ. 2009, V, n°283 ; D, 2010, p. 154, obs. B. Ines ;

[113] CE, Ass., 12 avril 2013, Fédération Force Ouvrière Energie et mines et autre, loc. cit. Le Conseil d’Etat a, dans cette affaire, reconnu la compétence des dirigeants d’EDF de requérir certains des agents en grève des centrales nucléaires en leur qualité de responsable du service public de production d’électricité par l’exploitation des réacteurs nucléaires. Il doit, a contrario, être précisé qu’il en aurait été autrement dans le cas de dirigeants d’une entreprise privée uniquement gestionnaire d’une mission de service public. V. en ce sens CE, ord., 9 décembre 2003, Mme Aiguillon et autres, loc. cit.

[114] Sur cette distinction, V. en particulier B. Schmaltz, « La distinction entre la réquisition de grévistes par une autorité de police et par un chef de service », loc. cit.

[115] Ibid., pt. 3. V. dans le même sens, D. Jean-Pierre, « Le droit de grève dans la fonction publique hospitalière », JCP A, n°7, 25 novembre 2002, p. 1207, spéc. pt. 13, pour lequel « la terminologie employée dans ce domaine n’est pas des plus claire. Là où l’on parle habituellement et pratiquement de réquisition, il faut juridiquement comprendre assignation ».

[116] Reconnu principe à valeur constitutionnelle par la Décision n°79-105 DC du 25 juillet 1979 du Conseil constitutionnel, Loi modifiant les dispositions de la loi n°74-696 du 7 aout 1974 relatives à la continuité du service public de la radio et de la télévision en cas de cessation concertée du travail, JORF du 27 juillet 1979, Rec., p. 33, JCP G, 1981, 19457, note L. Favoreu ; D., 1980, p. 101, note C. Leymarie, p. 336, obs. J-C. Béguin ; AJDA, 1980, p. 191, note L. Hamon ; Dr. soc., 1980, p. 7, comm. A. Legrand, p. 441, com. M. Paillet ; Pouvoirs, n°11, 1979, p. 196, note D. Turpin ; RDP, 1979, p. 1705, note P. Avril et J. Gicquel.

[117] CAA Marseille, 12 décembre 2005, Commune de Béziers, loc. cit.

[118] B. Schmaltz, « La distinction entre la réquisition de grévistes par une autorité de police et par un chef de service », loc. cit., pt. 19.

[119] TA de Nouvelle-Calédonie, 2 mars 2000, n°9900345 et 9900346, AFJP, 2000, p. 92, note J. Mekhantar.

[120] B. Schmaltz, « La distinction entre la réquisition de grévistes par une autorité de police et par un chef de service », loc. cit., pt. 21.

[121] Ibidem. V. également en ce sens R. Weclawiak, « Sécurité civile et réquisition », loc. cit., p. 1066 ; Citant l’arrêt CE, 9 juillet 1965, Pouzenc, D. 1966.J.720, note Gilli, dans lequel les magistrats ont reconnu au maire le pouvoir de réquisitionner un agent gréviste en tant que « responsable, en ce qui concerne l’administration communale, du bon fonctionnement des services publics placés sous son autorité », l’auteur relève ainsi qu’en l’espèce, « le Conseil d’Etat (…) n’a pas visé le texte du Code des communes mais a préféré invoquer sa qualité de chef de service ».


[1] R. Ducos-Ader, Le droit de réquisition. Théorie générale et régime juridique, Paris : LGDJ, coll. Bibliothèque de droit public, tome 4, 1957, p. 83.

[2] A. Martinon, F. Leconte et I. Taraud, « Réquisitionner ? », RDT, 2011, p. 9.

[3] R. Ducos-Ader, Le droit de réquisition, op. cit., p. 83.

[4] Ibidem. Sur ce point, V. également P. Levaye, « Les pouvoirs de réquisition », AJDA, 1999, p. 22, et J. Quastana, « Réquisition: état du droit et perspectives », AJDA, 1999, p. 25.

[5] P. Levaye, « Les pouvoirs de réquisition », loc. cit., p. 22. La nature « toute spéciale » du droit de réquisition a également été reconnue par la Cour de cassation, Cass., civ., 6 mars 1917, Ministre de la guerre / Société Erichsen, D.P. 1917-I-33, « les réquisitions militaires sont des actes de puissance publique consistant dans la mainmise de l’Etat, indépendamment de tout consentement ou accord sur le prix et sans indemnité préalable, sur les choses nécessaires aux besoins de l’armée pour suppléer à l’insuffisance des moyens ordinaires d’approvisionnement ; dépendant de la volonté seule de l’Etat agissant pour cause de nécessité publique, elles n’ont le caractère ni d’un achat commercial ou d’u marché de fourniture, ni d’aucun contrat de droit commun ».

[6] R. Weclawiak, « Sécurité civile et réquisition », RDP, no 4, 2003, p. 1026.

[7] A. Martinon, F. Leconte et I. Taraud, « Réquisitionner ? », loc. cit., p. 9.

[8] P. Levaye, « Les pouvoirs de réquisition », loc. cit., p. 22.

[9] J-H. Stahl, « Juridiction compétente pour indemniser un médecin réquisitionné par un préfet », concl. sous T.C., 26 juin 2006, n°3524, AJDA, 2006, p. 1891.

[10] J. Quastana, « Réquisition : état du droit et perspectives », loc. cit., p. 25.

[11] Loi du 3 juillet 1877 relative aux réquisitions militaires, JORF du 6 juillet 1877, p. 5053 et règlement d’administration publique du 2 aout 1877, telle que complétés, plus tard, par l’ordonnance n°59-147 du 7 janvier 1959 portant organisation générale de la défense, JORF du 10 janvier 1959, p. 691.

[12] A. Laubadère, Traité de droit administratif, Tome 2, 7ème ed., Paris : LGDJ, 1983, p. 274.

[13] Ibid., p. 275.

[14] Ordonnance n°2004-1374 du 20 décembre 2004 relative à la partie législative du code de la défense, JORF n°296 du 21 décembre 2004, p. 21675, texte n°30. Les dispositions applicables aux réquisitions militaires sont désormais codifiées aux articles L. 2221-1 à L. 2223-19 du C. défense. Celles applicables aux réquisitions civiles pour les besoins généraux de la nation sont fixées aux articles L. 2211-1 à L. 2213-9 du C.  défense. Enfin, les articles L. 2231-1 à L. 2236-7 du C. défense prévoient les dispositions communes à ces deux types de réquisition.

[15] Par soucis d’exhaustivité peuvent être mentionnées :

D’une part, au titre des réquisitions de biens ; les réquisitions de logements (Ordonnance n°45-2394 du 11 octobre 1945, Crise du logement, JORF du 19 octobre 1945, codifiée aux arts. L. 641-1 à L. 641-14 du C. urb.) et de logements avec attributaire (Loi  n°98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions, JORF n°175 du 31 juillet 1998, p. 11679, codifiée aux arts. L. 642-1 à L. 642-28 du CCH) ; d’immeubles au profit de la police (Ordonnance n°61-108 du 1er février 1961 autorisant l’exercice du droit de réquisition immobilière au profit des forces de police en déplacement pour le maintien de l’ordre, JORF du 2 février 1961, p. 1271, dont l’application est précisée par le décret n°63-529 du 28 mai 1963 pris pour l’application de l’ordonnance n°61-108 du 1er février 1961, JORF du 1er juin 1963, p. 4980) et de logements au profit des douanes (art. 52 du C. douanes) ; de terrains pour le relogement temporaire de personnes occupant un logement insalubre (Ordonnance n°61-106 du 1er février 1961 autorisant la réquisition temporaire des terrains nécessaires à l’installation provisoire de logements destinés aux personnes évacuées de locaux impropres à l’habitation situés dans des agglomérations de français musulmans, JORF du 2 février 1961, p. 1267 et décret n°62-11 du 8 janvier 1962 portant application de l’ordonnance n°62-106 du 1er février 1961, JORF du 12 janvier 1962, p. 364, visées à l’art. L. 614-1 du CCH) ; de locaux utilisés pour l’hébergement collectif (Loi n°76-632 du 13 juillet 1976 complétant la loi n°73-548 du 27 juin 1973 relative à l’hébergement collectif, JORF du 14 juillet 1976, p. 4219, telle que précisée par le décret n°77-868 du 27 juillet 1977 déterminant les mesures d’application des articles 7-1 à 7-6 de la loi n°73-548 du 27 juin 1973 relative à l’hébergement collectif, complétée par la loi n°76-632 du 113 juillet 1976, JORF du 30 juillet 1977) ; et de parcelles ou de terrains pour les besoins des JO d’Albertville (Loi n°87-1132 du 31 décembre 1987 autorisant, en ce qui concerne la prise de possession des immeubles nécessaires à l’organisation ou au déroulement des XVIème jeux Olympiques d’hiver d’Albertville et de la Savoie, l’application de la procédure d’extrême urgence et la réquisition temporaire, JORF du 1er janvier 1988, p. 12, spéc. art. 3 et s.) et de Grenoble (Loi n°67-592 du 4 juillet 1967 autorisant la réquisition temporaire de terrains nécessaires aux aménagements et installations provisoires destinés au déroulement des Xème Jeux olympiques d’hiver de Grenoble, JORF du 6 juillet 1967, p. 6755) ;

D’autre part, au titre des réquisitions de personnes et de services ; les réquisitions applicables aux évènements de sécurité civile (Loi n°87-565 du 22 juillet 1987 relative à l’organisation de la sécurité civile, à la protection de la forêt contre l’incendie et à la prévention des risques majeurs, JORF du 23 juillet 1987, p. 8199, abrogée par la loi n°2004-811 du 13 aout 2004 de modernisation de la sécurité civile, JORF n°190 du 17 aout 2004, p. 14626, texte n°3, codifiées aux art. L. 742-12 à L. 742-15 du C. défense) ; les réquisitions des comptables publics (art. L. 1617-3 du CGCT) ; de médecins (art. L. 3131-8 et L. 4163-7 du CSP) ; de vétérinaires (art. L. 241-15 du C. rur.) ; d’habitants avec armes et chiens (art. L. 2122-21, 9° du CGCT) ; de professionnels de la mer en cas de pollution du milieu marin (Instruction du 11 janvier 2006 portant adaptation de la règlementation relative à la lutte contre la pollution du milieu marin (POLMAR), JORF n°11 du 13 janvier 2006, texte n°3) ; ainsi que celles de l’autorité judiciaire (art. R. 642-1 du C. pén.) ;

[16] P. Planchet, « Réquisitions de biens. Exercice du droit de réquisition », Jcl. Adm., Fasc. 480, 13 mai 2008, pt. 9. Ce pouvoir de réquisition de police administrative trouve son assise juridique aux arts. L. 2212-1 (pour le maire) et L. 2215-1, 4° (pour le préfet) du CGCT ; V. sur ce point, J. Salomon, Les réquisitions de police, Paris : Librairies techniques, 1960, 207 p. Sur le pouvoir de réquisition du préfet, V. notamment R. Capart, « Réquisition : police générale versus besoins généraux de la Nation », AJDA, 2016, p. 134, F. Chauvin, « Les nouveaux pouvoirs du préfet dans la loi pour la sécurité intérieure », AJDA, 2003, p. 667, D. Maillard Desgrées Du loû, « L’encadrement législatif du pouvoir de réquisition des préfets et la police administrative générale », JCP A, n°21, 19 mai 2003, p. 649, J. Travard, « Le pouvoir de réquisition des préfets. Premier bilan de la loi du 18 mars 2003 », JCP A, n°37, 17 septembre 2012, n°2306, ainsi que nos développements infra.

[17] J-H. Stahl, « Juridiction compétente pour indemniser un médecin réquisitionné par un préfet », loc. cit., p. 1891.

[18] C’est-à-dire celles fondées sur la Loi du 11 juillet 1938 sur l’organisation générale de la nation en temps de guerre, loc. cit., et l’Ordonnance n°59-63 du 6 janvier 1959 relative aux réquisitions de biens et de services, loc. cit., désormais codifiées aux arts. L. 2211-1 à L. 2213-9.

[19] C’est-à-dire celles fondées sur les arts. L. 2212-1 et L. 2214-1, 4° du CGCT.

[20] Sur ce point, V. Supra, note 16.

[21] P. Planchet, « Réquisitions de biens. Exercice du droit de réquisition », loc. cit., pt. 9.

[22] Ibidem. Le caractère « inattendu » de cette modernité est d’ailleurs perceptible en doctrine, où les études consacrées au droit de réquisition demeurent anciennes. V. en particulier R. Ducos-Ader, Le droit de réquisition, op. cit., J-P. Dorly, Les réquisitions personnelles, Paris : LGDJ, 1965, 362 p. et J. Salomon, Les réquisitions de police, op. cit.

[23] J-P. Dorly, Les réquisitions personnelles, op. cit., p. 31. V. également en ce sens P. Planchet, « Réquisitions de biens. Exercice du droit de réquisition », loc. cit., pt. 2.

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ParJDA

La réquisition en droit administratif français (II / II)

par Eloïse Beauvironnet
Docteur en droit public, Université Paris 5 Descartes,
ATER en droit public, Université de Cergy Pontoise, UFR Droit UCP,
Membre associé, CERSA-CNRS-Paris II, UMR 7106

Art. 251.

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II. L’encadrement des procédures : l’exécution du droit de réquisition

La protection des personnes requises est indispensable à deux titres. D’une part, en ce que l’acte de réquisition se présente comme un acte de contrainte, dont le non-respect expose le destinataire à des sanctions. D’autre part, et corrélativement, en ce que celui-ci porte atteinte à différents droits et libertés individuels. Toutefois, le statut juridique des requis se révèle être, dans les faits, largement défavorable à ceux-ci (A.). C’est donc au juge administratif qu’il revient, in fine, d’arbitrer entre les nécessités de l’intérêt général et la protection des droits et libertés de ces derniers  (B.).

A. Une protection juridique amoindrie des destinataires

Acte de puissance publique par essence, la réquisition se présente, pour l’autorité publique qui l’exerce, comme un instrument lui permettant de satisfaire à des besoins d’intérêt général. L’Administration doit donc pouvoir trouver dans ce procédé « la certitude de n’être arrêtée par aucun obstacle juridique dès l’instant où une impérieuse nécessité s’impose à elle[1] », ce qui implique que les destinataires se soumettent spontanément à l’ordre de réquisition (1.), en échange de contreparties (2.).

1.Une contrainte affermie

Pour les personnes requises qui en sont destinataires, l’ordre de réquisition s’analyse comme un acte de contrainte. Le caractère contraignant de l’ordre est perceptible au travers de la sanction de son non-respect, dont l’intensité est variable selon qu’il soit fait recours à une assignation (a.) ou une réquisition (b.).

a. L’assignation

L’intensité de la sanction est la plus faible dans le cas de l’assignation. L’ordre de réquisition adopté par un chef de service ne peut en effet en être assorti qu’à la condition que la sanction soit prévue par le règlement intérieur, proportionnée au fait fautif et que la procédure disciplinaire ait été respectée[2]. Ces mesures relèvent, en d’autres termes, du droit disciplinaire, « qui impose aux membres d’une institution le respect des ordres édictés par les supérieurs hiérarchiques[3] ».

b. La réquisition

Les sanctions applicables aux autres formes de réquisition relèvent, en revanche, le plus souvent du droit pénal.

Le refus d’obtempérer en temps de paix à un ordre de réquisition civil pour les « besoins généraux de la Nation » est, d’abord, puni d’un an d’emprisonnement et de 4 500€ d’amende[4], portés à 5 ans d’emprisonnement en temps de guerre[5]. Les réquisitions militaires peuvent, quant à elles, donner lieu à une exécution forcée, la loi prévoyant que le recouvrement des prestations peut être assuré « au besoin, par la force[6] ».

L’obstruction à une réquisition de logement est, ensuite, réprimée d’un an d’emprisonnement et de 15 000€ à 80 000€ d’amende, selon qu’elle soit prononcée avec attributaires ou d’office[7]. Cette dernière procédure peut en outre faire l’objet d’une exécution d’office, sous réserve qu’elle soit fondée sur les dispositions de l’ordonnance n°45-2394 du 11 octobre 1945[8].

La sanction applicable aux réquisitions de police doit, enfin, être distinguée en fonction de l’autorité publique requérante concernée. Alors que le non-respect de l’ordre de réquisition du maire se voit sanctionné des amendes prévues pour les contraventions de première classe[9] – soit 38€[10] -, le refus de se soumettre à une réquisition préfectorale est à l’inverse constitutif d’un délit, puni de six mois d’emprisonnement et de 10 000€ d’amende[11]. En cas d’inexécution volontaire de l’arrêté préfectoral, le président du tribunal administratif dispose, de surcroît, de la faculté de prononcer une astreinte dans les conditions prévues aux articles L. 911-6 à L. 911-8 du code de justice administrative[12].

Le régime du droit de réquisition se révèle, par conséquent, peu favorable aux personnes requises, qui se voient contraintes de déférer à l’ordre de l’autorité requérante sous peine de sanctions. Cet état du droit interroge, dès lors, sur l’étendue des garanties dont elles bénéficient en échange.

2. Des garanties résiduelles

Toutes les réquisitions présentent ceci de commun que leur exercice ouvre droit à des contreparties pour leurs destinataires. Celles-ci concernent le formalisme encadrant l’exécution de cette procédure (a.) et le droit à indemnisation dont bénéficient les personnes requises (b.).

a. Le formalisme

Pour ses destinataires, la première garantie du droit de réquisition concerne le formalisme inhérent à ce procédé exorbitant du droit commun. En effet, « si, en l’espèce, la forme n’est pas « la sœur jumelle de la liberté », selon la célèbre formule de Ihering, du moins limite-t-elle sensiblement les atteintes qui sont portées celle-ci[13] ».

Parce qu’il constitue un acte de contrainte, l’ordre de réquisition doit, premièrement, être connu de son destinataire. Le droit en vigueur impose par conséquent qu’il prenne la forme d’un écrit, signé par l’autorité requérante et qu’il soit notifié de façon individuelle ou collective à la personne requise[14]. Une exigence supplémentaire de motivation s’impose, en outre, au préfet lorsqu’il met ainsi en œuvre sa compétence de police administrative[15]. L’objet de la contrainte doit, deuxièmement, être précisé, afin que son destinataire ait connaissance de ce qui est attendu de lui. Il est, dès lors, exigé que l’ordre de réquisition précise la nature, la quantité et l’objet des prestations requises, notamment s’il s’agit d’une réquisition de propriété, d’usage, ou de service[16].

Néanmoins, il convient d’observer qu’en pratique, ce formalisme peut être amené à céder dans les hypothèses ou l’urgence de l’action, qui est de l’essence même de la réquisition, y fait obstacle[17]. La jurisprudence tient, ainsi, pour valable un ordre émis oralement lorsque les circonstances l’exigent[18]. L’autorité requérante devra, par suite, le confirmer par écrit, sans que cela ne signifie que cet acte confirmatif corresponde à l’ordre de réquisition. Le destinataire devra, par conséquent, obtempérer immédiatement à la contrainte qui lui a été adressée verbalement, sous peine de s’exposer à des sanctions[19]. La protection dont est porteur ce formalisme à l’endroit des personnes requises se révèle donc dans les faits être particulièrement limitée.

b. L’indemnisation

Plus importante apparaît, en revanche, la seconde garantie dont bénéficient les destinataires de l’ordre de réquisition, relative à leur droit à rétribution. Fondée sur le principe d’égalité des citoyens devant les charges publiques[20], cette indemnité est commune à l’ensemble des réquisitions[21].Il s’agira, plus précisément, d’une rémunération due par la personne morale dont relève l’autorité requérante dans le cas d’une assignation et d’une indemnité due par l’Etat dans le cas des autres formes de réquisitions. Toutefois, force est une fois encore de constater que celle-ci se révèle être, dans les faits, peu favorable aux requis.

Cette situation du droit résulte, d’abord, du caractère purement indemnitaire de cette rétribution. L’ensemble des préjudices subis par ces derniers dans le cadre de la procédure ne seront, dès lors, pas couverts. Tel est, notamment, le cas du préjudice moral ou du profit que l’utilisation du bien ou service requis aurait pu produire[22]. Dans le cas d’une réquisition de personne, la procédure n’ouvre ainsi droit « à aucune indemnité autre qu’un traitement ou salaire[23] ». Dans le cas d’une réquisition de bien ou de service, les indemnités dues aux prestataires doivent uniquement compenser « la perte matérielle, directe et certaine que la réquisition lui impose[24] » et « les frais matériels, directs et certains résultant de l’application de l’arrêté de réquisition[25] ». La rétribution versée par l’Etat n’indemnise donc pas ce qui précède, entoure et suit l’application de l’ordre de réquisition[26].

De surcroît, un principe d’interdiction de cumul de rétribution s’applique, enfin, dans le cas des réquisitions préfectorales de police[27], ce qui « laissera sans doute insatisfaite la personne requise dans bien des cas[28] ». En pratique, celui-ci pourrait en effet faire notamment obstacle à ce que cette dernière engage, par exemple, la responsabilité d’un organisateur de rave-partie devant les juridictions civiles, pour la partie du préjudice non-indemnisée que la réquisition lui aurait causé[29]. La seule garantie offerte aux destinataires de ce type de réquisition réside, en définitive, dans la faculté de pouvoir bénéficier de la procédure de référé provision. Ces derniers pourront ainsi obtenir très rapidement, dans la plupart des cas, tout ou partie de l’indemnité à laquelle ils ont droit[30].

Au total, c’est donc pour l’essentiel par la voie d’une contestation juridictionnelle de l’ordre de réquisition litigieux que les destinataires pourront chercher à obtenir la préservation de leurs droits.

B. Un contrôle juridictionnel assoupli

En 1948, certains auteurs relevaient déjà que la protection assurée par le Conseil d’Etat aux requis ne pourrait être « pleinement respectée » que s’il existait un « référé administratif[31] » de nature à permettre au juge de se prononcer sur la légalité de la mesure de réquisition en temps utile, c’est-à-dire au mieux avant, ou au pire pendant qu’elle produit ses effets, mais pas après[32]. A présent que cette procédure existe[33], il convient d’en analyser la portée à l’endroit des personnes requises (1.) afin d’en mesurer les limites (2.).

1.Les apories d’un contrôle originellement ambitieux

Les personnes requises peuvent contester l’ordre de réquisition litigieux en formant un recours pour excès de pouvoir devant les juridictions administratives. La difficulté reste, cependant, que cette voie de droit est dépourvue de caractère suspensif, de sorte que le jugement n’interviendra que longtemps après les faits[34].

Il leur est dès lors loisible de joindre à leur action un référé-suspension qui leur permettra, en cas d’urgence et sous réserve du sérieux de leur moyen, de suspendre l’acte de réquisition dans l’attente d’un jugement au fond. Cette procédure est subordonnée à la démonstration d’une situation d’urgence, d’une part, et d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté, commise par une personne publique ou privée chargée d’une mission de service public, d’autre part. La condition d’urgence ne pose généralement pas de difficulté, en raison de la proximité temporelle de la requête et l’ordre de réquisition contesté. Tout l’enjeu du débat porte par conséquent sur le point de savoir si l’atteinte est grave et manifestement illégale, ce qui conduit le juge à examiner la nécessité (a.) et la proportionnalité (b.) de la mesure[35].

a. L’écueil de l’urgence

Au titre du contrôle de la nécessité de la mesure, les magistrats sont amenés à vérifier que seuls des motifs d’ordre public justifiaient la réquisition et l’inexistence de solutions alternatives. Or sur ce point, la motivation des différentes ordonnances, qui procèdent souvent par voie de généralités, peine à convaincre.

Dans son arrêt du 27 octobre 2010, le Conseil d’Etat indique, par exemple, que la réquisition de certains personnels en grève de l’établissement pétrolier de Gargenville « constituait une solution nécessaire, dans l’urgence, à la prévention du risque de pénurie totale de carburant aérien à l’aéroport, en l’absence d’autres solutions disponibles et plus efficaces ». Il ajoute « qu’en raison de sa situation, cet établissement représentait également une solution nécessaire à l’approvisionnement en urgence de la région Île-de-France en essence et en gazole[36] », sans que d’autres éléments ne viennent étayer cette motivation. Il reste par conséquent impossible de déterminer, à la lecture de cet arrêt, quels pourraient être les motifs de cette « nécessité ». Un autre exemple en est donné à travers l’ordonnance du 25 octobre 2010 du tribunal administratif de Melun, par lequel celui-ci a validé l’ordre de réquisition contesté au motif que la grève compromettait « sérieusement l’approvisionnement en carburants des véhicules d’urgence et de secours aux personnes ». Plus précisément, les magistrats en concluent à la nécessité de la mesure litigieuse à l’aune de deux justifications. D’une part, en ce qu’il ne ressortait pas de l’instruction que « le préfet disposait d’autres moyens en vue d’obtenir le résultat recherché ». D’autre part, en ce que « la circonstance, à la supposer établie, que les points de distribution alimentés permettraient à d’autres véhicules que ceux des services [d’urgence et de secours] de se ravitailler n’[était] pas, à elle seule, de nature à entacher d’illégalité » l’ordre de réquisition litigieux[37]. La référence à ces éléments vagues et généraux tend ainsi à accréditer la thèse selon laquelle le contrôle de la nécessité des mesures de réquisition se révèle, dans les faits, peu exigeant. A l’analyse, il peut en être conclut que seuls les cas d’illégalités manifestes risquent de se trouver censurés[38].

Cette lacune trouve, notamment, à s’expliquer en raison de la condition d’urgence inhérente à cette procédure, qui implique que « l’Administration d’abord et le juge ensuite doivent se prononcer très rapidement et dans des circonstances souvent difficiles[39] ». Dans le cadre d’une procédure de référé, les magistrats doivent ainsi apprécier la légalité des mesures contestées « à l’aune d’éléments souvent parcellaires », alors même « qu’ils ne sont pas sur le terrain[40] ». Comme il leur est, par définition, impossible de réaliser dans ce cadre des mesures d’instructions complémentaires, il est vraisemblable que les motifs invoqués par l’autorité publique requérante seront, dans la plupart des cas, admis par ceux-ci, spécialement lorsque la sécurité publique est menacée. Une illustration en est, à ce titre, donnée par l’ordonnance de référé du Conseil d’Etat du 27 octobre 2010 précitée. L’arrêté de réquisition litigieux incluait en effet des fonctions de « réception de carburants et de réception et livraison de fioul domestique[41] » étrangers aux nécessités d’ordre public invoquées. Ce point aurait, dès lors, dû conduire à l’annulation de cette partie de l’arrêté, voire au prononcé d’une injonction. Pour autant, ces deux options ont été écartées de façon péremptoire par les magistrats au seul motif qu’à l’audience, « l’Administration a indiqué (…) que ces mentions étaient erronées, n’étaient pas appliquées et ne pouvaient pas l’être[42] ». L’urgence risque ainsi d’amener le juge « à statuer sur la base d’une appréciation purement subjective et, pratiquement, à confronter les décisions prises par le Gouvernement au vu des circonstances avec celles qu’ils eut prises lui-même à partir des mêmes données[43] ».

b. L’écueil de la proportionnalité

Le contrôle de la proportionnalité de la mesure apparaît, en revanche, faire l’objet d’une attention plus rigoureuse de la part des juridictions administratives.

Dans le cadre des réquisitions de biens, les magistrats sont ainsi amenés à contrôler la stricte proportionnalité de la mesure à l’objectif qu’elle poursuit et censurent, le cas échéant, celles qui présentent un caractère excessif. Le tribunal administratif de Lille a, par exemple, jugé que la réquisition temporaire d’une usine désaffectée pour y loger des exilés n’apportait pas une atteinte disproportionnée au droit d’usage des propriétaires de celle-ci[44].

Dans le cadre des réquisitions de personnes, le contrôle de proportionnalité conduit les juridictions administratives à vérifier in concreto que le nombre de réquisitionnés est proportionné aux tâches indispensables à accomplir. A ce titre, ont, par exemple, été annulées les mesures adressées à l’ensemble du personnel d’une clinique[45] ou d’une raffinerie[46], en ce qu’elles revenaient à instaurer un service complet et non minimum, caractérisant une atteinte grave et manifestement illégale au droit de grève des salariés. Il en a été de même s’agissant de la réquisition de 650 agents d’un centre hospitalier sur les 958 figurants au plan de travail de la journée concernée par la grève, au motif que l’effectif requis dépassait le nombre de personnels strictement nécessaire pour l’exécution des services indispensables, dont le fonctionnement ne pouvait être interrompu[47]. A contrario, la proportionnalité de la mesure de réquisition est acquise dès lors qu’elle est limitée à une fraction du personnel, encore qu’une réquisition totale puisse être admise, sous réserve que l’effectif requis soit indispensable au fonctionnement des services nécessaire au maintien de l’ordre public[48].

            La difficulté résulte alors de l’interprétation des impératifs de l’ordre public, qui sont entendus de plus en plus largement par les juridictions, voir supplantés par d’autres considérations.

2. Les limites d’un contrôle désormais lacunaire

L’analyse de la jurisprudence laisse transparaître deux incertitudes concernant le contrôle des mesures de réquisition. La première se rapporte au droit à un recours effectif des requis (a.). La seconde concerne l’interprétation extensive de l’intérêt général, qui porte atteinte à leurs droits et libertés individuels (b.).

a. L’atteinte au droit à un recours effectif

Le droit à un recours effectif, garanti par les articles 6§1 et 13 de la CEDH et consacré par le Conseil d’Etat[49] subit deux séries d’atteintes dans le cadre du droit de réquisition.

Les premières résultent de la condition d’urgence inhérente à cette procédure. Elles peuvent, par exemple, apparaître lorsqu’un arrêté préfectoral portant réquisition d’un salarié ne fixe pas les conditions de son indemnisation. Afin d’obtenir son indemnité, celui-ci peut alors saisir les juridictions administratives d’un référé provision[50], sous réserve qu’il agisse dans les 48 heures, étant observé que le juge devra également statuer dans ce même délai. Dans l’hypothèse où plusieurs salariés seraient concernés, l’effectivité d’un tel recours risque, par conséquent, d’être illusoire. Il leur sera, en effet, particulièrement difficile de parvenir à réunir dans un tel délai les éléments nécessaires à leur requête. Et quand bien même ils y parviendraient, il reste possible que les salariés se heurtent à un rejet de leur demande, si leur employeur prend entre temps l’engagement auprès de la préfecture de les rémunérer comme dans le cadre de l’exécution de leur contrat de travail[51]. Leur recours s’en trouverait alors privé d’objet, quand bien même cet engagement resterait en deçà des exigences d’indemnisation requises par les textes en matière de réquisition[52].

Par ailleurs, et plus fondamentalement, une seconde série d’atteintes a pu résulter du comportement même de l’Administration.

En 2006, le préfet du Morbihan a ainsi saisi l’occasion du pourvoi en cassation formé par le Ministre de l’intérieur à l’encontre de l’ordonnance du tribunal administratif de Rennes du 28 juin 2006 suspendant l’exécution de l’une de ses décisions, à savoir la réquisition de l’aérodrome de Vannes pour la tenue d’un Teknival, pour ne pas respecter le caractère exécutoire de cette ordonnance[53]. Le haut fonctionnaire a, par conséquent, violé « consciemment, délibérément et ouvertement (…) une ordonnance d’un juge des référés[54] » en poursuivant les préparatifs inhérents à l’organisation de cette manifestation, alors qu’il ne pouvait ignorer que le pourvoi en cassation n’est pas suspensif, au mépris du respect du droit et des décisions de justice. 

Dans le cadre du conflit d’octobre 2010 sur les retraites, certains préfets ont, de même, eu recourt à des pratiques contestables. Plusieurs préfectures ont, en particulier, multiplié les réquisitions de grévistes dans le secteur pétrolier, l’un des plus mobilisés, en prenant des arrêtés pour des durées très courtes, qu’elles faisaient appliquer quelques jours avant de les abroger juste avant les audiences, c’est-à-dire avant que les juridictions ne se prononcent sur leur légalité, de façon à éviter toute condamnation[55]. De la sorte, le juge ne pouvait prononcer qu’un non-lieu à statuer, puisque l’arrêté litigieux avait cessé de produire ses effets lors de l’instruction de l’affaire[56]. Or immédiatement après ont été repris de nouveaux arrêtés de réquisition. Les salariés concernés subirent ainsi une violation manifeste de leur droit de grève dès lors qu’ils se virent contraints, menacés de poursuites pénales et privés de toute sécurité juridique, de déférer à la réquisition qui leur avait été notifiée. Juridiquement, leur droit à un recours effectif s’en trouvait donc « purement illusoire[57] ».

Bien qu’elle soit restée apparemment limitée, cette utilisation abusive du droit de requérir interpelle, cependant, à l’aune du danger qu’elle comporte à l’égard des droits et libertés individuels.

b. L’atteinte aux droits et libertés individuels

Les utilisations récentes du droit de réquisition, essentiellement mobilisé à l’encontre de personnels grévistes dans le cadre de conflits sociaux, laissent entrevoir les insuffisances du contrôle juridictionnel exercé à son endroit. Il peut, plus exactement, être avancé que les impératifs d’ordre public, qui seuls peuvent justifier en théorie l’ouverture de cette procédure, ont été entendus très largement, voir supplantés par d’autres considérations[58]. S’il a, certes, pu être soutenu que ce « critère (…) est incertain et vague[59] », il convient néanmoins d’observer que les textes en vigueur le définissent avec précision comme « l’atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité et à la sécurité publics[60] ». A l’occasion des débats parlementaires relatifs à la consécration législative du pouvoir de réquisition de préfets, le ministre de l’intérieur soutenait, plus particulièrement, qu’il s’agissait de faire face à des situations « d’urgence, telles que les catastrophes naturelles » et « exceptionnelles – catastrophes industrielles, risques sanitaires, urgences sociales » en faisant appel à des moyens exceptionnels[61]. Or à l’occasion du conflit social de 2010 sur les retraites, les mesures de réquisition des salariés grévistes adoptées par les préfectures avaient pour objectif unique de rétablir l’activité économique. Il s’agissait, plus précisément, de garantir l’approvisionnement normal et régulier en carburant de l’ensemble de la population et des acteurs économiques de la région d’Île-de-France. Les réquisitions ne concernaient donc pas un secteur relevant des « services essentiels » au sens des conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT) et visaient à faire face à des perturbations restreintes à une fraction limitée du territoire[62].

Dans son jugement du 22 octobre 2010, le tribunal administratif de Melun a ainsi conditionné la légalité de l’arrêté préfectoral de réquisition des salariés grévistes de la raffinerie Total de Grandpuits à la nécessité « d’assurer l’approvisionnement en carburants des véhicules des services d’urgence et de secours du département » et de prévenir « les troubles à l’ordre et à la sécurité publics que générerait une pénurie prolongée[63] ». Pourtant, le nouvel ordre de réquisition du préfet de la Seine-et-Marne, adopté après que cette ordonnance ait suspendu l’exécution du premier, s’est vu validé sans même qu’il ne soit plus fait référence à des considérations d’ordre public. Le tribunal administratif a en effet conclu à la légalité de la réquisition litigieuse au motif que la grève compromettait « sérieusement l’approvisionnement en carburants des véhicules d’urgence et de secours aux personnes », que les mesures édictées étaient « exclusivement destinées à assurer cet approvisionnement » et que « seuls quatorze agents sur les cent soixante-dix environ » affectés au site faisaient l’objet de la réquisition[64].

Un raisonnement analogue a été suivi par le Conseil d’Etat qui, dans son ordonnance du 27 octobre 2010, a rappelé que des salariés grévistes – au cas d’espèce ceux de la raffinerie Total de Gargenville – pouvaient être réquisitionnés lorsque l’activité de leur entreprise présente « une importance particulière pour le maintien de l’activité économique, la satisfaction des besoins essentiels de la population ou le fonctionnement des services publics, lorsque les perturbations résultant de la grève créent une menace pour l’ordre public[65] ». La légalité de l’arrêté de réquisition contesté s’est ainsi vue confirmée sur un double fondement. La juridiction a, d’abord, observé que la pénurie de carburant aérien qui menaçait l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle « pouvait conduire au blocage de nombreux passagers (…) et menacer la sécurité aérienne en cas d’erreur de calcul des réserves d’un avion ». Pour autant, force est de constater qu’un tel blocage n’emporte aucun danger pour l’ordre public. Il oblige simplement à prévoir des mesures d’hébergements et des modalités alternatives de transport pour les passagers en transit. A titre de comparaison, lors de l’éruption volcanique de 2010 en Islande qui avait entraîné la fermeture de plusieurs aéroports, l’annulation de nombreux vols et le blocage de milliers de voyageurs en correspondance, les perturbations avaient concerné l’ensemble de l’Europe sans qu’aucun risque d’atteinte à l’ordre public ne soit invoqué[66]. Enfin, les magistrats relèvent que « la pénurie croissante d’essence et de gazole en Île-de-France menaçait le ravitaillement des véhicules de services publics et de services de première nécessité et créait des risques pour la sécurité routière et l’ordre public[67] ». Or ici encore, il est difficile de saisir en quoi une pénurie de carburant est susceptible de menacer la sécurité routière et, ainsi, justifier le recours à une procédure exorbitante du droit commun.

Une nouvelle fois, la référence à l’ordre public ne vient donc qu’« en clôture pour consolider l’analyse[68] », alors que ces différentes motivations n’ont « qu’un rapport parfois lointain avec [sa] protection[69] ». Certes, il peut être aisément admis qu’ « il s’agit d’ordonnances de référé, rendues très rapidement dans un contexte social troublé[70] ». Cependant, « les décisions rendues font finalement peu de cas du droit de grève des salariés en cause[71] ». Celles-ci procèdent, au contraire, d’une conception extrêmement « édulcorée et pacifiée[72] » de ce droit à valeur constitutionnelle et semblent perdre de vue une vérité fondamentale. La « grève authentique », soit « l’acte de force par lequel les salariés tentent de causer, à l’employeur, un dommage assez lourd pour le contraindre à céder[73]» se doit, par définition, de porter atteinte à l’intérêt général, voir aux nécessités de protection de l’ordre public.

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Le lien direct ainsi établi par les décisions précitées entre le maintien de l’activité économique et la notion d’ordre public soulève, dès lors, une interrogation structurelle inhérente au pouvoir de réquisition, identifiée dès 2012 par un auteur ; « dans un contexte de crise économique et de restrictions budgétaires, faut-il admettre que d’autres motifs que le maintien de l’ordre public puissent justifier des réquisitions et donc des limitations au droit de grève[74] » et, plus largement, aux droits et libertés individuels ?

Sans prétendre mettre un terme à ce débat, un argument essentiel nous semble devoir militer à l’encontre d’une telle extension : la philosophie inhérente au droit de réquisition et qui doit présider à son usage. Elle est en effet conçue comme une mesure exceptionnelle destinée à faire face à une situation d’exception, de crise. Partant, s’il devait être procédé à un nouvel élargissement des motifs justifiant son recours, l’exception serait appelée à devenir le principe : banalisation[75]. Il n’y aurait dès lors plus besoin d’une situation d’urgence et d’impuissance publique pour faire usage de ce procédé dérogatoire, déjà incorporé de manière permanente dans le droit commun. C’est donc une nouvelle étape de relativisation entre les périodes normale et celles de crise qui s’en trouverait, de la sorte, franchie[76] et, plus généralement, une nouvelle évolution du droit de réquisition, en un instrument de prévention permanente d’un danger généralisé.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016-2019 ; chronique administrative ; Art. 251.


[1] R. Weclawiak, « Sécurité civile et réquisition », loc. cit., p. 1071.

[2] E. Jeansen, « Validité de la restriction à l’exercice du droit de grève dans le secteur public », JCP S,2013, act. 1283

[3] B. Schmaltz, « La distinction entre la réquisition de grévistes par une autorité de police et par un chef de service », loc. cit., pt. 13.

[4] Pour les réquisitions militaires, V. en ce sens les arts. L. 2236-2, L.2236-3 et L. 2236-5 à L. 2236-6 du C. défense ; Pour les réquisitions civiles pour les « besoins généraux de la Nation », V. en ce sens l’art. L.2236-2, al. 1 en conjonction avec l’art. L. 2211-2 du C. défense.

[5] Art. L. 2236-4 du C. défense.

[6] Art. L.2221-10 du C. défense.

[7] V. en ce sens les arts. L. 651-3 du CCH (procédure du logement d’office) et L. 642-28 du CCH (procédure de réquisition de logement avec attributaire).

[8] T.C., 12 mai 1949, Dumont, Rec. 596 ; RDP 1949, p. 371, note M. Waline ; JCP, 1949.II.4908, note Fréjaville. L’exécution d’office n’est, en d’autres termes, possible que pour la procédure de logement d’office de l’ordonnance n°45-2394 du 11 octobre 1945, Crise du logement, loc. cit., codifiée aux art. L. 641-1 à L. 641-14 du C. urb.

[9] Art. R. 610-5 du C. pén.

[10] Art. 131-13 du C. pén.

[11] Art. L. 2215-1, 4° du CGCT.

[12] Art. 2215-1, 8° du CGCT

[13] G. Lyon-Caen, « La réquisition des salariés en grève selon le Droit positif français », loc. cit., p. 219.

[14] V. en ce sens l’art. L. 2221-5 du C. défense (réquisitions militaires), l’art. L. 2213-4 du C. défense (réquisitions civiles), l’art. L. 2215-1, 4° du CGCT (réquisitions préfectorales de police), l’art. L. 2212-1 du CGCT (réquisitions de police du maire), les arts. L. 641-1 et L. 641-5 (réquisition de logements) et les arts. L. 642-9 à L. 642-13 (réquisition de logements avec attributaires) du CCH.

[15] Art. L. 2215-1, 4° du CGCT.

[16] Art. L. 2213-4 du C. défense, art. L. 2214-1, 4° du CGCT.

[17] R. De Bellescize, « Réquisitions de personnes et de services », Jcl. Adm.,Fasc. 252, 31 aout 2007, pt. 114.

[18] V. par exemple CE, 5 mars 1943, Chavat, Rec., Leb., 1943, p. 62, Gaz. Pal., 1943, n°2, p. 33.

[19] R. Weclawiak, « Sécurité civile et réquisition », loc. cit., p. 1045.

[20] Y. Gaudemet, Droit administratif des biens, op. cit., p. 510.

[21] V. en ce sens l’art. L. 2215-1, 4° du CGCT, al. 4 à 6 et les arts. L. 2234-1 à L.2234-9 du C. défense.

[22] V. en ce sens l’art. L. 2215-1, 4° du CGCT, al. 5 et l’art. L. 2213-1, al. 1 et 2 du C. défense.

[23] Art. L. 2234-7 du C. défense. La même solution est applicable s’agissant des réquisitions de police.

[24] Art. L. 2213-1, al. 1 du C. défense.

[25] Art. L. 2215-1, 4°, al. 5 du CGCT.

[26] D. Maillard Desgrées Du Loû, « L’encadrement législatif du pouvoir de réquisition des préfets…», loc. cit., pt. 16.

[27] L’art. L. 2215-1, 4°, al. 4 dispose en ce sens que « la rétribution par l’Etat de la personne requise ne peut se cumuler avec une rétribution par une autre personne physique ou morale ».

[28] D. Maillard Desgrées Du Loû, « L’encadrement législatif du pouvoir de réquisition des préfets…», loc. cit., pt. 16.

[29] Ibidem.

[30] Art. L. 2215-1, 4°, al. 7.

[31] V. par exemple en ce sens F. Gazier, « L’œuvre jurisprudentielle du Conseil d’Etat en matière de réquisition », EDCE, 1948, pp. 67 à 72.

[32] F. Leconte, « Conflits sociaux et réquisitions : la défense syndicale face aux réquisitions préfectorales », Dr. ouv., n°757, Aout 2011, p. 501.

[33] Art. L. 521-1 à L. 521-3 du code de justice administrative, institués par la loi n°2000-597 du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives, JORF n°151, 1er juillet 20000, p. 9948, texte n°3.

[34] Sur ce point, V. l’analyse de J. Travard, « Le pouvoir de réquisition des préfets… », loc. cit., pt. 12 et s.

[35] Ibid., pt. 12.

[36] CE, 27 octobre 2010, Fédération nationale des industries chimiques CGT et autres, loc. cit.

[37] TA Melun, 25 octobre 2010, FNIC-CGT et a. contre Préfet de la Seine-et-Marne, n°1007348, 1007358.

[38] J. Travard, « Le pouvoir de réquisition des préfets… », loc. cit., pt. 25. V. également en ce sens Combarnous et Galabert, chron. Sous CE, sect., 28 novembre 1958, Lepouse, AJDA, 1959, I., p. 125.

[39] Ibid., pt. 25.

[40] Ibidem.

[41] CE, 27 octobre 2010, Fédération nationale des industries chimiques CGT et autres, loc. cit.

[42] Ibidem.

[43] J. Rivero, « Le droit positif de la grève dans les services publics…», loc. cit., p.595.

[44] TA de Lille, 2 mai 2002, n°01-3573, Société France Manche et société The Channel Tunnel Group, associées de la société en participation Eurotunnel, loc. cit.

[45] CE, ord., 9 décembre 2003, Mme Aiguillon et autres, loc. cit.

[46] TA Melun, 22 octobre 2010, CGT et s. contre Préfet de la Seine-et-Marne, n°1007329.

[47] CE, 7 janvier 1976, Centre hospitalier régional d’Orléans, n°92162, Rec. CE 1976, p. 10.

[48] V. par exemple TA Melun, 25 octobre 2010, loc. cit., réquisition de 14 agents sur les 170 que comptait la raffinerie ; CE, 23 mai 2011, Ministre de l’intérieur, de l’Outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration, loc. cit., réquisition d’une partie des salariés d’une centrale thermique ; CE, Ass., 12 avril 2013, Fédération Force Ouvrière Energie et mines et autre, loc. cit., réquisition limitée aux « salariés dont l’intervention était strictement nécessaire à la bonne exécution » de 6 des huit réacteurs affectés par la grève ; CAA Nantes, 21 octobre 2016, Syndicat CFDT Santé-Sociaux Cholet 49, loc. cit., réquisition limitée à 6 infirmières, 3 aides soignantes et 1 brancardier d’une polyclinique ;

[49] V. notamment CE, 21 décembre 2001, M et Mme Gautier X, n°222862 ; Dans le cadre d’un référé liberté, V. également CE, 13 mars 2006, Bayrou et association de défense des usagers des autoroutes publiques de France, n°291118.

[50] Art. L. 2215-1, 4°, al. 8 du CGCT.

[51] F. Leconte, « Conflits sociaux et réquisitions… », loc. cit., p. 506. V. par exemple, TA Nantes, ord., 12 novembre 2010, n°107847, 107935, 107952 ; n°107769, 107829 ; n°107910, 107938 ; n°1007909 ; n°1007940 ; n°1007841 ; n°107771, 107826 ; n°1007770, 107830, 107844 ; n°107772, 107824, 107937 ; n°107843, 107936, 107951 ; n°107942, 107950.

[52] Peuvent, à titre d’exemple, être mentionnés les frais de trajet domicile-travail, qui ne sont pas systématiquement défrayés par l’employeur alors qu’ils doivent l’être dans le cadre d’une réquisition, puisqu’ils constituent des frais matériels, directs et certains résultant de l’application de l’arrêté de réquisition. Sur ce point, V. F. Leconte, « Conflits sociaux et réquisitions… », loc. cit., p. 506.

[53] CE, 17 janvier 2007, Ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire, loc. cit. Sur ce point, V. en particulier M-C. de Montecler, « Après Vannes, Hélas, Saint-Brieux », loc. cit., p. 1377.

[54] T. Olson, concl. sous CE, 17 janvier 2007, Ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire, loc. cit., p. 484.

[55] F. Leconte, « Conflits sociaux et réquisitions… », loc. cit., p. 502 et J. Travard, « Le pouvoir de réquisition des préfets… », loc. cit., pt. 23. Cette situation a fait l’objet d’une plainte de la CGT le 17 février 2011 devant l’OIT ; OIT, Cas n°2841, France / Confédération Générale du Travail, 17 février 2011. V. en particulier OIT, Rapport n°362 où le comité demande à être informé de l’évolution de la situation, novembre 2011, pt. 969.

[56] V. par exemple TA Nantes, ordonnance du 25 octobre 2010, n°1007827 et 1007828.

[57] J. Travard, « Le pouvoir de réquisition des préfets… », loc. cit., pt. 23.

[58] Ibid., pt. 18 et s.

[59] G. Lyon-Caen, « La réquisition des salariés en grèves selon le droit positif français », loc. cit., p. 218.

[60] Art. L. 2215-1, 4° du CGCT.

[61] AN, 2ème séance du jeudi 16 janvier 2003, Compte rendu intégral, JOAN, 17 janvier 2003, p. 232.

[62] OIT, Rapport n°362 où le comité demande à être informé de l’évolution de la situation, loc. cit., pt. 1043 : au vu des différentes conclusions, le comité recommande au Gouvernement français « de privilégier à l’avenir, devant une situation de paralysie d’un service non essentiel mais qui justifierait l’imposition d’un service minimum de fonctionnement, la participation des organisations de travailleurs et d’employeurs concernés à cet exercice, et de ne pas recourir à l’imposition de la mesure par voie unilatérale ».

[63] TA de Melun, 22 octobre 2010, loc. cit.

[64] TA de Melun, 25 octobre 2010, loc. cit.

[65] CE, 27 octobre 2010, Fédération nationale des industries chimiques CGT et autres, loc. cit.

[66] OIT, Rapport n°362 où le comité demande à être informé de l’évolution de la situation, loc. cit., pt. 979.

[67] CE, 27 octobre 2010, Fédération nationale des industries chimiques CGT et autres, loc. cit.

[68] G. Koubi, G. Guglielmi, « Réquisition « stratégiques » et effectivité du droit de grève », loc. cit., p. 155.

[69] J. Travard, « Le pouvoir de réquisition des préfets… », loc. cit., pt. 21.

[70] Ibidem.

[71] Ibidem.

[72] J. Rivero, « Le droit positif de la grève dans les services publics…», loc. cit., p.595.

[73] Ibidem.

[74] J. Travard, « Le pouvoir de réquisition des préfets… », loc. cit., pt. 27.

[75] Sur ce point, V. en particulier E. Millard, « Permanence de l’ « exception » : vers une troisième forme de démocratie ? », in J-L. Halpérin, S. Hennette-Vauchez et E. Millard (dir.), L’état d’urgence, de l’exception à la banalisation, Nanterre : Presses universitaires de Paris Nanterre, 2017, p. 255.

[76] V. par exemple la loi n°2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, JORF n°255, 31 octobre 2017, texte n°1, AJ pénal, 2017, p. 468, comm. O. Cahn et J. Leblois-Happe.

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Comités & soutiens du JDA

Art. 257.
A compter du 10 septembre 2019, le Journal du Droit Administratif est soutenu au moyen de trois comités dont un principal, de rédaction. Ses activités sont par ailleurs aidées par plusieurs institutions et personnalités ayant rejoint, au printemps 2021, une association dénommée Les Amis du Journal du Droit Administratif.

Le comité de soutien du JDA est formé de personnalités qui accompagnent et encouragent ses travaux :

Mmes & MM. les professeurs
Joël ANDRIANTSIMBAZOVINA (Université Toulouse 1, IRDEIC),
Xavier BIOY (Université Toulouse 1, IMH),
Jean-Marie CROUZATIER (émérite – Toulouse),
Pierre DELVOLVE (Institut de France),
Aurore GAILLET (Université Toulouse 1, IRDEIC),
Hélène HOEPFFNER (Université Toulouse 1, IEJUC),
Christian LAVIALLE (émérite – Toulouse),
Jean-Arnaud MAZERES (émérite – Toulouse),
Philippe RAIMBAULT (IEP de Toulouse)
& Jacques VIGUIER (Université Toulouse 1 Capitole – IDETCOM),
Ainsi que Maître Christophe LEGUEVAQUES (Barreau de Paris)
et Mmes Dr. Florence CROUZATIER-DURAND (Université Toulouse 1, IMH)
& Dr. Nathalie LAVAL-MADER (Université Toulouse 1, IMH)

Le comité scientifique (qui fusionne deux anciens comités dont le comité de lecture) du JDA
constitue un vivier de spécialistes du droit administratif notamment chargé de l’évaluation des travaux soumis au Journal et de sa direction scientifique. Il est composé de représentants des différents partenaires et soutiens institutionnels du Journal ainsi que de personnalités extérieures et qualifiées. Il intègre par ailleurs plusieurs doctorant.e.s de l’Université Toulouse 1 Capitole ainsi que d’autres établissements nationaux.

Deux membres du Tribunal administratif de Toulouse :
Mme la président Isabelle CARTHE-MAZERES
M. le rapporteur public Jean-Charles JOBART

Deux administrateurs en région occitane :
Mme Cécile CHICOYE (Université Toulouse 1 capitole)
M. Victor DENOUVION (Conseil départemental de Haute-Garonne)

Deux avocats du Barreau de Toulouse :
Me Dr. Jonathan BOMSTAIN
& Me Benjamin FRANCOS

Deux membres de l’IEP de Toulouse :
Dr. Delphine ESPAGNO-ABADIE
Dr. Cédric GROULIER

Dix personnalités extérieures à l’Académie de Toulouse :
Dr Clément BENELBAZ (Chambéry)
Dr. Jimmy CHARRUAU (Angers),
Dr. Stéphanie DOUTEAUD (Boulogne-sur-Mer)
Dr. Arnaud DURANTHON (Strasbourg),
Dr. Florent GAULLIER-CAMUS (Bordeaux),
Pr. Geneviève KOUBI (Paris 8)
Dr. Arnaud LAMI (Aix-Marseille)
Pr. Olga MAMOUDY (Hauts de France),
Pr. Aude ROUYERE (Bordeaux)
& Dr. Lucie SOURZAT (Lille).

Trois maîtres de conférences de l’Université Toulouse 1 Capitole :
Dr. Fabrice BIN (Université Toulouse 1, IRDEIC),
Dr. Nicoletta PERLO (Université Toulouse 1, IRDEIC),
Dr. Julia SCHMITZ (Université Toulouse 1, IMH).

Trois professeurs de l’Université Toulouse 1 Capitole :
Pr. Wanda MASTOR ( Université Toulouse 1, IRDEIC),
Pr. Grégory KALFLECHE (Université Toulouse 1, IMH),
& Pr. Jean-Gabriel SORBARA (Université Toulouse 1, IMH).

Quatre doctorant.e.s de l’Université Toulouse 1 Capitole :
Mme Camille CUBAYNES (Université Toulouse 1, IMH),
M. Tanguy ELKIHEL (Université Toulouse 1 Capitole, IDETCOM),
M. Loïc DEMEESTER (Université Toulouse 1, IEJUC),
Mme Anna ZACHAYUS (Université Toulouse 1, IMH).

Trois doctorant.e.s d’Universités hors de l’académie de Toulouse :
M. Raphaël COSTA (Saclay),
M. François ABOUADAOU (Lille),
M. Mathieu TEDESCHI (Aix-Marseille).

Le comité de rédaction du JDA est formé de personnes qui gèrent au quotidien notre publication et sont chargées de sa mise en ligne :

Dr. Mathias AMILHAT (Université Toulouse 1, IEJUC),
M. Adrien PECH (Université Toulouse 1, IRDEIC),
& Pr. Mathieu TOUZEIL-DIVINA (Université Toulouse 1, IMH).

De gauche à droite, le 28 avril 2021, à Toulouse,
MM. Mathieu Touzeil-Divina, Mathias Amilhat & Adrien Pech,
De gauche à droite, le 10 septembre 2019, à Toulouse, MM.
Adrien Pech, Mathias Amilhat, Maxime Boul (qui a quitté le comité en 2020)
& Mathieu Touzeil-Divina

Le directeur de la rédaction,
initiateur du JDA,
est M. Mathieu TOUZEIL-DIVINA.

Les directeurs du Journal du Droit Administratif ont été :

Adolphe CHAUVEAU (1853-1868),
Anselme Polycarpe BATBIE (1853-1854),
Ambroise GODOFFRE (1869-1878),
Henri ROZY (1879-1881),
Camille BAZILLE (1882-1891),
Albert GAUTHIER DE CLAGNY (1882-1889),
Georges POIGNANT (1882-1889),
A. HENNIN (1885-1891),
Albert CHAUDE (1892-1907),
Victor CLAPPIER (1908-1909)
Jules MIHURA (1910-1920)
& Mathieu TOUZEIL-DIVINA (depuis 2015).

Une nouvelle association (2021) pour aider le JDA :
les Amis du Journal du Droit Administratif

En octobre 2015, à l’initiative et à l’invitation du professeur Mathieu Touzeil-Divina, un groupe informel d’une trentaine de juristes (enseignants-chercheurs, magistrats, avocats & étudiants), avec le soutien de la Faculté de Droit de l’Université Toulouse 1 Capitole ainsi que du Tribunal Administratif de Toulouse, a recréé le Journal du Droit Administratif (Jda), un média spécialisé à vocation universitaire et fonctionnant principalement « en ligne » sur le site internet dédié : http://www.journal-du-droit-administratif.fr/ (après avoir été originellement créé à Toulouse en 1853 par les professeurs Chauveau et Batbie). Après une expérience pluriannuelle fructueuse et de premiers retours encourageants, il a été proposé au printemps 2021 aux côtés du Journal du Droit Administratif (Jda), toujours informel et dénué de personnalité morale propre, de créer – pour aider aux financements de ses actions diversifiées – une nouvelle personne morale (dont les statuts sont actuellement en cours de validation) et qui comprennent notamment les dispositions suivantes :

association
les Amis du Journal du Droit Administratif

Celle-ci est instituée et déclarée à Toulouse, en préfecture de Haute-Garonne (France). Ses statuts (extraits) sont les suivants :

Article premier : de la fondation :

  1. Il est fondé entre les adhérents aux présents statuts une association ayant pour titre « Les Amis du Journal du Droit Administratif (…) ». L’association a pour objectif de financer et d’aider ou de participer aux financements des activités scientifiques du média indépendant : Journal du Droit Administratif (Jda) dont le mode de publication repose sur deux supports :
  2. L’association (…) est formée de personnes physiques et morales impliquées dans le Jda et convaincues de la nécessité d’offrir à ce média des moyens matériels suffisants sans que la charge financière ne repose que sur ses fondateurs bénévoles.
  3. L’association (…) « est régie quant à sa validité par les principes généraux du droit applicable » en France « aux contrats et obligations » (article premier, titre premier de la Loi du 01 juillet 1901 relative aux contrats d’association). Elle est sous le régime de la Loi précitée et du décret du 16 août 1901. Sa durée n’est pas limitée.
  4. Au moment de sa création, son siège social est fixé à Toulouse (31… ) (Haute-Garonne) chez (….) .
  5. Son siège pourra être transféré par simple décision du Conseil d’Administration (CA)et ce, sans avoir besoin de modifier les présents statuts.

Article deuxième : des adhérents :

L’association se compose de membres. Son accès est libre à quiconque poursuit les mêmes buts. Les membres peuvent être des personnes physiques et / ou morales.

            § 1. Des adhérents, personnes physiques : les « membres actifs »

  1. Pour être adhérent, personne physique, il faut soutenir les activités de publication(s) et de recherche(s) scientifiques du Jda. L’admission – sans frais – est approuvée (à la majorité absolue des voix) par le CA. La cotisation annuelle obligatoire est de quinze euros (15 €). Elle est valable par année civile. Toutefois, les étudiants (doctorants compris) et les chômeurs (sur présentation de justificatifs) bénéficieront d’une gratuité d’inscription.
  2. Les « membres actifs », personnes physiques, ont droit de vote aux assemblées générales et sont éligibles aux fonctions de direction et d’administration de l’association.
  3. Par ailleurs, si les membres de [l’association] ne sont pas nécessairement les directeurs du comité de rédaction du Journal du Droit Administratif, leur qualité de membre de la présente association emporte, outre les droits précités (de vote et d’éligibilité) :
    • le droit – s’ils en font état – d’intégrer de droit le comité scientifique et / ou de soutien du Jda ;
    • la possibilité de proposer de façon prioritaire un article ou un dossier chaque année au Journal ; étant rappelé que seul le comité de rédaction est souverain en la matière.

            § 2. Des adhérents collectifs ou personnes morales : les « membres institutionnels »

  1. L’association se compose également de groupes informels et collectifs ou de personnes morales (…) qualifiés de « membres institutionnels ». Pour être « membre institutionnel », un organisme (de droit public ou de droit privé, doté ou non de la personnalité morale), doit avoir été approuvé par le CA.
  2. La cotisation annuelle obligatoire (par année civile) est fixée à un montant d’au moins cinq cent euros (500 €). La qualité de « membre institutionnel » donne droit à une voix au sein du Conseil d’administration ainsi qu’aux assemblées générales. Elle offre par ailleurs une publicité en la qualité de « membre institutionnel » sur le site Internet du Journal du Droit Administratif.
  3. Par ailleurs, la qualité de membre institutionnel de la présente association emporte, outre les droits de vote précités :
    • le droit – s’il en est fait état – que le représentant physique du « membre institutionnel » intègre le comité scientifique et / ou de soutien du Jda ;
    • la possibilité de proposer de façon prioritaire un article ou un dossier chaque année au Journal ; étant rappelé que seul le comité de rédaction est souverain en la matière.

(…)

Les membres fondateurs de l’association
les Amis du Journal du Droit Administratif

(…)

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019 ; Art. 257.

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Publier au JDA ?

Art. 256.

Afin de permettre la publication de nouveaux articles, le JDA, depuis mars 2017, dispose d’un comité scientifique (renouvelé en septembre 2019) chargé de relire et d’évaluer à l’aveugle les articles (commentaires, études, notes, etc.) spontanément envoyés pour publication et susceptibles d’être publiés tous les mois dans la chronique administrative.

Notre procédure est la suivante :

  • chaque contributeur doit envoyer un court CV de présentation ainsi que son texte en deux versions : une normale et l’autre anonymisée aux format WORD de préférence et ce, à l’adresse dédiée : contribution@j-d-a.fr,
  • ATTENTION : les textes soumis ne doivent contenir formellement AUCUNE note de bas de page (référentiels indiqués entre parenthèses exclusivement) & tenir compte des précédents articles publiés dans nos colonnes ;
  • il n’y a a priori pas de minimum ou de maximum de caractères. Toutefois un texte proposé supérieur à 30/35 000 signes espaces comprises sera vraisemblablement publié, s’il est retenu, en plusieurs articles successifs.
  • le texte est ensuite relu à l’aveugle par au moins deux membres des comités scientifique et de rédaction.
  • Il sera enfin indiqué au contributeur – sous deux mois – les suites apportées à sa proposition avec d’éventuels commentaires et suggestions. En cas de publication, le contributeur indiquera la mention pertinente de ses prénoms, titres & fonctions ainsi qu’une photographie au format 604/270 px.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019 ; Art. 256.

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Procédures de passation (concession) : Quelques nouveautés textuelles et jurisprudentielles

par Mathias AMILHAT,
Maître de conférences en Droit public – Université de Lille

Art. 239.

Le droit des concessions bénéficie également des évolutions générales concernant le droit de la commande publique et, notamment, de l’arrivée du nouveau code. Pourtant, au-delà de ces évolutions, des changements spécifiques concernent ces contrats. Comme pour les marchés publics il s’agit pour l’essentiel d’évolutions – ou plutôt de précisions – jurisprudentielles mais la loi pour un nouveau pacte ferroviaire permet de considérer que le droit des concessions intègre également des nouveautés textuelles !

Les contrats de service public de transport ferroviaire de voyageurs : nouveaux contrats de concession

La loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire (L. n° 2018-515, 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire : JO 28 juin 2018, texte n° 1 ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 175, note G. Clamour ; RFDA 2018, n°5, dossier pp. 857 et s.) crée une nouvelle catégorie de contrats de concession : les contrats de service public de transport ferroviaire de voyageurs. Ces contrats doivent permettre la mise en œuvre concrète de l’ouverture à la concurrence des services domestiques de transports ferroviaires de voyageurs. Cette ouverture à la concurrence doit être réalisée en deux temps. Dans un premier temps, jusqu’au 24 décembre 2023, la SA SNCF Mobilités continue de disposer d’un monopole de principe sur les services publics de transport ferroviaire mais les autorités organisatrices de transport ferroviaire (AOT) – c’est-à-dire l’Etat et les régions – peuvent, par dérogation, attribuer des contrats de service public par voie de mise en concurrence. Dans un second temps, à partir du 25 décembre 2023, le principe sera inversé : les AOT devront attribuer les contrats de service public de transport ferroviaire de voyageurs à la suite d’une procédure de mise en concurrence, même si des dérogations permettront exceptionnellement de déroger à cette obligation. Ces contrats de service public de voyageurs sont des contrats de concession soumis en principe au respect des dispositions du code de la commande publique. Toutefois, ils constituent une catégorie spécifique parmi les contrats de concession et dérogent à ce titre à un certain nombre de disposition. Ainsi, l’article L. 2121-17 du code des transports prévoit des exceptions à la procédure de mise en concurrence par renvoi aux 2,4,4 ter et 5 de l’article 5 du règlement (CE) n° 1370/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route. Parmi les dérogations, on retrouve notamment l’hypothèse dans laquelle l’autorité décide de fournir le service elle-même, celle du contrat « in house », les contrats inférieurs à un certain montant ou qui porte sur un nombre de kilomètres de services inférieur à un certain seuil, les contrats exclus de la mise en concurrence après avis conforme de l’ARAFER pour des raisons techniques, géographiques ou structurelles afin d’améliorer les services, ainsi que les contrats attribués à l’opérateur qui gère la totalité ou la majeure partie de l’infrastructure ferroviaire sur laquelle les services sont fournis. En-dehors de ces hypothèses d’attribution directe, la passation des contrats de service public de voyageurs devra respecter la quasi-totalité des règles prévues pour l’ensemble des contrats de concession (même si certaines exceptions sont expressément prévues (en ce sens, v. l’analyse de Guylain Clamour, préc.). L’apparition de ces contrats de service public de transport ferroviaire de voyageurs confirme l’extrême diversité des contrats intégrant la catégorie des contrats de concession. Cette diversité a pour avantage de permettre la prise en compte des particularités liées à un certain nombre de contrats de concession mais elle complexifie la lecture d’ensemble à l’heure où l’objectif des réformes semblait pourtant être la simplification.

Des précisions sur les conditions de recours à une concession provisoire

Le Conseil d’Etat a dû se prononcer sur la passation d’une concession de services provisoire par la ville de Paris et qui était relative à l’exploitation de mobiliers urbains d’information (CE, 5 févr. 2018, n° 416581 , Ville de Paris c/ Sté des mobiliers urbains pour la publicité et l’information ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 87 ; AJDA 2018, p. 1338, note M.-C. Vincent-Legoux ; JCP A, 20128, 2124, note J. Martin ; DA 2018, comm. 20, note L. Seurot). Cette affaire lui permet de préciser la jurisprudence Société de manutention portuaire d’Aquitaine (CE, 14 févr. 2017, n° 405157, Sté de manutention portuaire d’Aquitaine ; AJDA 2017, p. 326 ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 99 et 100, obs. G. Eckert ; DA 2017, comm. 16, obs. L. Richer ; JCP A 2017, 2126, obs. J.-B. Vila ; Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique contrats publics 02 ; Art. 193 http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=1873 ) s’agissant des conditions qui permettent aux autorités concédantes de passer des contrats de concession provisoires en cas d’urgence.

Cette concession provisoire a été conclue à la suite de l’annulation par le juge des référés du tribunal administratif de Paris, confirmée par le Conseil d’Etat (CE, 18 sept. 2017, n° 410336, Ville de Paris ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 259, obs. M. Ubaud-Bergeron), de la procédure de passation d’une convention de service relative à l’exploitation des mobiliers urbains d’information à caractère général ou local supportant de la publicité lancée par la ville de Paris en mai 2016. Cette convention devait prendre la suite du marché conclu en 2007 pour l’exploitation de mobiliers urbains d’information et la mise en place des Vélib’. Le Conseil de Paris a en effet décidé d’attribuer sans publicité ni mise en concurrence un contrat à la Somupi, titulaire du précédent marché. Ce contrat est désigné comme un contrat de concession de service provisoire pour une durée courant du 13 décembre 2017 au 13 août 2019.

Les sociétés Clear Channel France et Exterion Media ont saisi le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Paris qui a annulé la procédure de passation par deux ordonnances rendues le 5 décembre 2017. Il considérait en effet que les conditions permettant de conclure un contrat de concession provisoire sans publicité ni mise en concurrence préalables n’étaient pas remplies en l’espèce. Le Conseil d’Etat se prononce donc en cassation sur saisine de la ville de Paris et de la Somupi.

La première question posée de manière indirecte, et largement commentée par les observateurs (v. notamment les analyses de Marie-Caroline Vincent-Legoux à l’AJDA, préc., et de Laurent Seurot dans la revue Droit administratif, préc.), est celle de la qualification des contrats de mobiliers urbains. Le juge administratif a longtemps hésité mais, en l’espèce, la qualification ne semble pas faire de doute. Il s’agit déjà, par anticipation, d’une application de la solution retenue par le Conseil d’Etat dans son arrêt Philippe Védiaud publicité où il considère que le risque d’exploitation assumé par le cocontractant permet de qualifier le contrat en cause de concession de service (CE, 25 mai 2018, Philippe Védiaud Publicité, AJDA 2018, p. 1725, note M. Haulbert). Ces solutions correspondent à la définition des contrats de concession telle qu’elle est désormais formulée par l’article 5 de l’Ordonnance du 29 janvier 2016 (définition reprise par l’article L. 1121-1 du Code de la commande publique).

Surtout, le Conseil d’Etat devait se prononcer sur la légalité du recours à une concession de service provisoire sans publicité ni mise en concurrence préalables. Il confirme la possibilité de passer de tels contrats mais vient circonscrire les conditions imposées pour pouvoir le faire.

Dans sa décision Société de manutention portuaire d’Aquitaine, le Conseil d’Etat avait confirmé la solution déjà rendue à propos des délégations de service public, toujours avec des conclusions de Gilles Pellissier (CE, 4 avr. 2016, n° 396191, Communauté d’agglomération du centre de la Martinique (Cacem) ; AJDA 2016, p. 698 ; BJCP 2016, p. 264, concl. G. Pellissier ; Contrats-Marchés publ. 2016, comm. 161, obs. Eckert). Le Conseil d’Etat confirme cette solution dans la présente affaire en reprenant le considérant de principe de l’arrêt Société de manutention portuaire et en indiquant « qu’en cas d’urgence résultant de l’impossibilité dans laquelle se trouve la personne publique, indépendamment de sa volonté, de continuer à faire assurer le service par son cocontractant ou de l’assurer elle-même, elle peut, lorsque l’exige un motif d’intérêt général tenant à la continuité du service public conclure, à titre provisoire, un nouveau contrat de concession de service sans respecter au préalable les règles de publicité prescrites ; que la durée de ce contrat ne saurait excéder celle requise pour mettre en œuvre une procédure de publicité et de mise en concurrence, si la personne publique entend poursuivre l’exécution de la concession de service ou, au cas contraire, lorsqu’elle a la faculté de le faire, pour organiser les conditions de sa reprise en régie ou pour en redéfinir la consistance ». Ce considérant ne constitue donc pas une nouveauté. En réalité, c’est l’interprétation stricte retenue par le Conseil d’Etat qui mérité l’attention. Plusieurs éléments sont ainsi précisés.

Tout d’abord, le juge examine le motif d’intérêt général avancé pour justifier la passation d’un contrat de concession provisoire. En l’espèce, le motif qui avait été avancé par la ville de Paris était « la nécessité d’éviter une rupture dans la continuité du service public d’information municipale ». Dans l’absolu, la condition selon laquelle la passation du contrat doit être justifiée par un motif d’intérêt général tenant à la continuité du service public pouvait donc sembler remplie. Le Conseil d’Etat apporte toutefois des précisions importantes. D’une part, il confirme la solution retenue par le juge des référés du tribunal administratif en considérant que ce dernier n’a pas commis d’erreur de droit en refusant de prendre en compte les intérêts financiers avancés par la ville de Paris. L’intérêt général tenant à la continuité du service public ne peut donc pas être un intérêt financier. D’autre part, il confirme que cette condition devait uniquement être appréciée au regard des effets que pouvait avoir l’interruption du service d’information sur le mobilier urbain sur la continuité du service public de l’information municipale. Or, comme l’a justement apprécié le juge des référés du tribunal administratif de Paris, ces effets ne sont pas suffisants dans la mesure où la ville dispose d’une « grande diversité des moyens de communication, par voie électronique ou sous la forme d’affichage ou de magazines » pour assurer le service public de l’information municipale. Il n’y avait donc pas de motif d’intérêt général tenant à la continuité du service public qui justifiait la conclusion d’un tel contrat.

Pourtant, le Conseil d’Etat ne s’arrête pas là et circonscrit davantage les conditions de recours aux concessions provisoires en s’attardant sur la notion d’urgence. Il confirme là aussi la solution retenue par le juge des référés du tribunal administratif de Paris considérant que l’urgence de la situation n’était pas indépendante de la volonté de la ville de Paris. Il s’agit d’une appréciation très stricte car, selon les juges, la ville de Paris aurait dû lancer une nouvelle procédure de passation dès l’annulation de la procédure de passation initiale en avril 2017. Ayant attendu le mois de novembre, ils considèrent que le caractère d’urgence de la situation ne peut pas être regardé comme étant indépendant de la volonté de la ville. On peut toutefois relever que le Conseil d’Etat ne s’est prononcé sur les ordonnances rendues en avril 2017 qu’au mois de septembre, ce qui explique le délai pris avant que la ville ne décide de passer une concession provisoire. On en déduit donc que lorsque le juge des référés précontractuels annule une procédure de passation, les autorités concédantes doivent réagir immédiatement et ne pas attendre de savoir quel sera, le cas échéant, la solution retenue par le Conseil d’Etat en cassation.

Cette interprétation stricte des conditions tenant au motif d’intérêt général tenant à la continuité du service public et à la condition d’urgence s’expliquent à n’en pas douter par le fait que la conclusion de tels contrats déroge aux principes fondamentaux de la commande publique sans que cette dérogation ne soit prévue par les textes. D’ailleurs, dans ses conclusions, le rapporteur public Gilles Pellissier considère que la conclusion de ces contrats de concession provisoires ne doit être possible que dans les « cas exceptionnels où un intérêt général supérieur le justifie absolument et dans la seule mesure de cette justification ». Cette même logique se retrouve dans la seconde partie de l’arrêt lorsque le Conseil d’Etat se prononce sur la mise en œuvre de l’article 11 du décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession. Le 1° de cet article prévoit en effet que les autorités concédantes peuvent passer des contrats sans publicité ni mise en concurrence préalables lorsque le contrat « ne peut être confié qu’à un opérateur économique déterminé pour des raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits d’exclusivité ». Le Conseil d’Etat précise ici que c’est à l’autorité concédante d’apporter la preuve de l’impossibilité de confier le contrat à un autre opérateur économique, ce que ne fait pas la ville de Paris. Il rejette donc également l’application de cet article.

En toutes hypothèses, la passation de contrats de concession sans publicité ni mise en concurrence préalables ne saurait être admise trop facilement.

La possibilité de modifier le contrat est conditionnée par ses règles de passation

Les principes fondamentaux de la commande publique trouvent principalement à s’appliquer lors de la passation des marchés publics et des contrats de concession mais ils produisent également des effets importants lors de la « vie » des contrats, notamment lorsque ces derniers doivent être modifiés (v. notamment, « Le régime de la modification des contrats de concession et des marchés publics : La mutabilité des contrats et la logique concurrentielle », Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 05 : « La réforme de la commande publique, un an après : un bilan positif ? » (dir. Hœpffner, Sourzat & Friedrich) ; Art. 220. http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=2095 ). C’est ce que le Conseil d’Etat vient de rappeler à propos de la modification d’une délégation de service public (CE, 9 mars 2018, n° 409972, Cie des parcs et passeurs du Mont-Saint-Michel ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 120, note G. Eckert ; AJDA 2018, p. 1104, note H. Hoepffner ; RTD Com. 2018, p. 623, note F. Lombard ; JCP A 2018, 2195, note J.-B. Vila). Il précise en effet que « pour assurer le respect de ces principes, les parties […] ne peuvent, par simple avenant, apporter des modifications substantielles au contrat en introduisant des conditions qui, si elles avaient figuré dans la procédure de passation initiale, auraient pu conduire à admettre d’autres candidats ou à retenir une autre offre que celle de l’attributaire ; qu’ils ne peuvent notamment ni modifier l’objet de la délégation ni faire évoluer de façon substantielle l’équilibre économique du contrat, tel qu’il résulte de ses éléments essentiels, comme la durée, le volume des investissements ou les tarifs ».  Or, si cette solution a été rendue sous l’empire du droit antérieur, le rapporteur public Gilles Pellissier a précisé qu’elle s’appliquait de la même manière aux contrats de concession. Le juge administratif confirme ici que les concessions de service, y compris lorsqu’elles portent sur un service public, sont avant tout des contrats de la commande publique. Leur objet particulier ne saurait donc les faire échapper aux principes fondamentaux de la commande publique là où, auparavant, le juge faisait « montre d’une certaine souplesse […] dès lors qu’il (s’agissait) là de contrats de longue durée (devant) pouvoir s’adapter à l’évolution des besoins du service public » (G. Eckert, « Modification substantielle des tarifs d’une délégation de service public », note sous l’arrêt, préc.).

En l’espèce, le recours présenté au Conseil d’Etat portait sur la délégation de service public conclue en 2009 par le Syndicat mixte de la baie du Mont-Saint-Michel avec la société Véolia Transport, cette dernière ayant depuis été remplacée par la compagnie des parcs et passeurs du Mont-Saint-Michel. Cette délégation de service public portait sur la construction et la gestion des équipements d’accueil du Mont-Saint-Michel. Or, en 2013, le comité syndical du syndicat mixte a autorisé son président à signer un avenant modifiant cette convention. Parmi ces modifications, l’avenant prévoyait une révision de la grille tarifaire augmentant les tarifs à la charge des usagers. Ce sont alors la commune du Mont-Saint-Michel et un concurrent évincé de la procédure de passation initiale – la société Sodetour – qui ont saisi le tribunal administratif de Caen d’un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de la délibération du conseil syndical autorisant la signature de l’avenant et de la décision de signer l’avenant. Le juge de premier ressort ayant annulé la délibération du conseil syndical et la décision du président, la compagnie des parcs et passeurs du Mont-Saint-Michel a interjeté appel auprès de la cour administrative d’appel de Nantes. Cette dernière ayant rejeté son appel, la compagnie s’est pourvue en cassation devant le Conseil d’Etat. Après avoir précisé quelles sont les règles applicables en cas de modification d’une délégation de service public, le juge administratif suprême s’est donc penché sur le cas d’espèce pour déterminer si les modifications de la grille tarifaire étaient ou non possibles. Sans surprise, il considère que les augmentations prévues « allaient très au-delà de la compensation des augmentations de charges liées aux modifications des obligations du délégataire convenues par ailleurs ». En effet l’avenant prévoyait une augmentation des tarifs allant de 31 à 48% avec une augmentation de plus d’un tiers des recettes ! Le raisonnement retenu est toutefois intéressant car, au-delà de l’ampleur de ces augmentations, le Conseil d’Etat met l’accent sur le fait que celles-ci sont bien supérieures à ce que peuvent exiger les augmentations de charges prévues par l’avenant. C’est donc l’équilibre économique du contrat qui importe et non une approche « purement arithmétique » comme le soulignait la compagnie des parcs et passeurs du Mont-Saint-Michel.

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Chronique (choisie) de jurisprudence concernant les contrats de concession

Recours pour excès de pouvoir irrecevable contre l’avis d’appel public à la concurrence

Le Conseil d’Etat a dû se prononcer sur la possibilité d’intenter un recours pour excès de pouvoir contre un avis d’appel public à la concurrence publié par l’Etat à propos d’une délégation de service public (CE, 4 avril 2018, n° 414263 , Ministre d’État, Ministre de la Transition écologique et solidaire ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 139, note G. Eckert). Le juge administratif était saisi d’un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de la décision de l’État de déléguer l’exploitation et l’entretien de l’aéroport d’Aix-Les-Milles par une association de riverains. La question posée était alors de savoir si un tel recours pouvait être admis. En effet, dans le cadre des procédures lancées par les collectivités territoriales, le juge administratif admet que la délibération par laquelle l’assemblée délibérante se prononce sur le recours à un contrat de concession peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (CE, 24 novembre 2010, n° 318342, Association fédérale d’action régionale pour l’environnement (FARE); BJCP 2011, p. 72 ; Contrats-Marchés publ. 2011, comm. 21, obs. G. Eckert). Or, s’agissant des contrats passés par l’Etat, il n’existe pas d’acte « équivalent » à la délibération. Le Conseil d’Etat devait donc déterminer si l’avis de concession, qui est le premier acte par lequel l’Etat manifeste son intention de conclure un contrat de concession, est susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Pour le juge administratif la solution est claire : l’avis d’appel public à la concurrence « manifeste l’intention de l’État de passer une convention de délégation de service public pour la gestion de cet aérodrome » mais « il ne saurait en soi constituer une décision sur le principe du recours à une telle délégation ». Par conséquent, le recours pour excès de pouvoir contre cet acte ne peut pas être admis et les requérants pourront seulement, et ultérieurement, intenter un recours au fond en contestation de la validité du contrat s’ils remplissent les conditions pour ce type de recours.

Le manque de concurrence justifie de renoncer à la conclusion du contrat

Le Conseil d’Etat est venu rappeler l’un des aspects essentiels de la liberté contractuelle des personnes publiques : la liberté de conclure ou de ne pas conclure un contrat (CE, 17 septembre 2018, n° 407099, Société Le Pagus ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 253, note G. Eckert ; AJContrat 2018, p. 536, F. Lepron ; AJDA 2018, p. 1750 ; JCP A 2018, 2313, note J. Martin). En l’espèce il était question d’une concession pour l’aménagement et l’exploitation de lots de plages pour laquelle la commune de Fréjus a publié un avis d’appel public à la concurrence. Or, s’agissant du lot n°5, seule la société Le Pagus – qui était titulaire de ce lot auparavant – a présenté une offre. Le conseil municipal a alors déclaré la procédure infructueuse en se fondant sur l’insuffisance de concurrence et sur le caractère incomplet de l’offre déposée. A la suite de cette décision, la commune a lancé une nouvelle procédure et le lot en question a été attribué une autre société, la société Madatech. La société Le Pagus a alors demandé la condamnation de la commune de Fréjus : le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande et la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté son appel. Saisi d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat devait donc déterminer si la société avait droit à une indemnisation en raison de son éviction. Il commence par rappeler dans un considérant pédagogique dans quelles conditions une indemnisation est possible. Il précise ainsi que « lorsqu’un candidat à l’attribution d’un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat, il appartient au juge de vérifier d’abord si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat ; que, dans l’affirmative, il n’a droit à aucune indemnité ; que, dans la négative, il a droit en principe au remboursement des frais qu’il a engagés pour présenter son offre ; qu’il convient, d’autre part, de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d’emporter le contrat conclu avec un autre candidat ; que, dans un tel cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu’ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l’offre, lesquels n’ont donc pas à faire l’objet, sauf stipulation contraire du contrat, d’une indemnisation spécifique ; qu’en revanche, le candidat ne peut prétendre à une indemnisation de ce manque à gagner si la personne publique renonce à conclure le contrat pour un motif d’intérêt général » (cons. 2). Or, c’est ce dernier point qui amène notamment le Conseil d’Etat à rejeter le pourvoi présenté par la société et qui constitue l’apport essentiel de l’arrêt rendu. Il considère en effet que « l’insuffisance de la concurrence constitue un motif d’intérêt général susceptible de justifier la renonciation à conclure un contrat de délégation de service public » (cons. 6). Il s’agit d’une précision importante qui rappelle aux opérateurs économiques qu’ils ne bénéficient pas d’un droit à conclure les contrats publics et que les personnes publiques restent maîtresses de leurs décisions lorsqu’il s’agit de choisir ou non de contracter. Une solution contraire reviendrait à admettre que les personnes publiques sont tenues de contracter, y compris avec de mauvais candidats, lorsqu’ils sont les seuls à candidater !

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019 ; chronique contrats publics 04 ; Art. 239.

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ParJDA

Procédures de passation (marchés publics) : le renouvellement des textes n’empêche pas l’activisme jurisprudentiel !

par Mathias AMILHAT,
Maître de conférences en Droit public – Université de Lille

Art. 238.

Au-delà des évolutions textuelles concernant l’ensemble du droit de la commande publique, c’est la jurisprudence qui fait l’actualité du droit des marchés publics stricto sensu de ces derniers mois. Preuve que les textes nécessitent d’être précisés ou sont sujets à interprétation, l’activité jurisprudentielle de ces derniers mois est extrêmement riche. Faute de pouvoir revenir sur toutes les décisions rendues, certaines des plus marquantes ont été retenues soit de manière individuelle, soit au travers de développements plus concis dans le cadre de la chronique de jurisprudence.

Portée et réalité du contrôle sur les délais de réception des candidatures et des offres au-delà des délais minimaux fixés par les textes

La question des délais de réception des candidatures et des offres fait l’objet d’un encadrement variable suivant la procédure de passation utilisée. Ainsi, l’article 43 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics prévoit que les acheteurs fixent « les délais de réception des candidatures et des offres en tenant compte de la complexité du marché public et du temps nécessaire aux opérateurs économiques pour préparer leur candidature et leur offre » (articles R 2143-1 et R 2151-1 du code de la commande publique). Or, lorsque le marché public est passé selon une procédure formalisée, ce même texte introduit une contrainte supplémentaire pour les acheteurs en indiquant qu’ « en procédure formalisée, ces délais ne peuvent être inférieurs aux délais minimaux propres à chaque procédure décrite aux articles 66 à 76 ». Les textes semblent donc distinguer les obligations imposées pour les marchés passés selon une procédure formalisée et ceux passés selon une procédure adaptée : pour les premiers des délais minimaux doivent être respectés, tandis que pour les seconds les acheteurs doivent veiller au caractère « adapté » des délais de réception des candidatures et des offres. Pourtant, cette dichotomie d’apparence simple est en réalité plus complexe et le Conseil d’Etat est venu apporter d’utiles précisions à ce sujet dans son arrêt du 11 juillet 2018 (CE, 11 juillet 2018, n° 418021, Communauté d’agglomération du Nord Grande-Terre ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 218, note S. Hul ; AJContrat 2018, p. 434, note J.-D. Dreyfus ; AJDA 2018, p. 1476). En l’espèce, la communauté d’agglomération du Nord Grande-Terre avait publié le 13 octobre 2017 un avis d’appel public à concurrence en vue de la conclusion d’un marché public de transport scolaire. Le règlement de la consultation du marché prévoyait que 20 points étaient attribués en fonction de l’âge des véhicules proposés. Or, en application de ce critère, les propositions comportant des véhicules neufs ou de moins de deux ans devaient recevoir des notes substantiellement supérieures que celles comportant des véhicules de plus de deux ans. Les candidats avaient donc tout intérêt à présenter des offres comportant des véhicules neufs ou quasiment neufs. C’est la raison pour laquelle le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé la procédure de passation en estimant que le délai de consultation du marché en litige n’était pas suffisant « pour permettre aux candidats de passer une commande de véhicules avec une date de livraison ferme en Guadeloupe après avoir obtenu le financement de ces véhicules, et que cette insuffisance était de nature à empêcher certains candidats d’obtenir la note maximale sur le critère de l’âge des véhicules dont ils disposaient ». Pourtant, la communauté d’agglomération avait respecté les délais minimaux de réception des candidatures fixés par les textes : un délai de trente jours était prévu dans la mesure où les offres pouvaient être transmises par voie électronique. La question posée au Conseil d’Etat était alors de savoir si le respect des délais minimaux fixés par les textes pour la réception des candidatures et des offres dans le cadre des procédures formalisées est suffisant ou si les acheteurs doivent, en toutes hypothèses, vérifier si les délais de réception des candidatures et des offres sont suffisants pour permettre aux opérateurs économiques de préparer leurs candidatures ou leurs offres au regard de la complexité du marché public. Comme le juge des référés du tribunal administratif, le Conseil d’Etat considère que le respect des délais minimaux fixés par les textes pour les marchés n’est pas suffisant et qu’il revient aux acheteurs de vérifier au cas par cas que les délais qu’ils imposent permettent aux opérateurs économiques de présenter leurs candidatures ou leurs offres. Pour autant, le Conseil d’Etat considère que le contrôle exercé par le juge sur les délais de réception des candidatures et des offres ne doit pas le conduire à vérifier, comme l’avait fait le juge des référés du tribunal administratif de Guadeloupe, que les délais impartis ont bien permis aux candidats de présenter la meilleure candidature possible. Le Conseil d’Etat censure ainsi pour erreur de droit le raisonnement retenu et précise que le juge du référé précontractuel doit seulement vérifier que le délai fixé par l’acheteur n’est « pas manifestement inadapté à la présentation d’une offre compte tenu de la complexité du marché public et du temps nécessaire aux opérateurs économiques pour préparer leurs candidatures et leurs offres ». En réalité, le Conseil d’Etat reconnaît la nécessité d’un contrôle du juge sur les délais de réception des candidatures et des offres mais il préserve également – en partie – la marge d’appréciation des acheteurs en limitant le contrôle effectué à ce qui semble être un simple contrôle de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation.

Des précisions sur la notion d’offre anormalement basse

Les textes imposent aux acheteurs de détecter les offres qui paraissent anormalement basses et de demander des justifications aux opérateurs économiques qui les ont présentées (art. 53 de l’ordonnance du 23 juillet 2015, repris par l’art. L. 2152-6 du CCP ; et art. 60 du décret du 25 mars 2016, repris aux art. R. 2152-3 à R. 2152-5 du CCP). Les acheteurs n’ont pas le choix : ils ne peuvent pas accepter les offres anormalement basses mais ils ne peuvent pas non plus rejeter les offres des opérateurs économiques comme étant anormalement basses sans leur avoir au préalable donné la possibilité de donner des justifications permettant de considérer que leurs offres ne sont pas anormalement basses. En revanche, lorsque les acheteurs considèrent que les justifications fournies ne sont pas suffisantes et qu’une offre apparaît effectivement comme étant anormalement basse, ils doivent obligatoirement la rejeter. Ce rejet automatique repose sur la nécessité de respecter les principes fondamentaux de la commande publique. Le Conseil d’Etat considère en effet que « le fait pour un pouvoir adjudicateur de retenir une offre anormalement basse porte atteinte à l’égalité entre les candidats à l’attribution d’un marché public » (CE, 30 mars 2017, n°406224, Région Réunion ; Contrats Marchés publ. 2017, comm. 158, note Ubaud-Bergeron). Pour autant, le contrôle juridictionnel opéré sur l’appréciation qui est portée par les acheteurs sur le caractère anormalement bas des offres et sur les justifications fournies par les opérateurs économiques n’est pas un contrôle normal. Il s’agit seulement d’un contrôle restreint limité à l’erreur manifeste d’appréciation.

C’est ce que rappelle le Conseil d’Etat dans son arrêt du 22 janvier 2018, lequel permet de circonscrire davantage la notion d’offre anormalement basse (CE, 22 janvier 2018, n° 414860, Société Comptoir de négoce d’équipements ; Contrats-Marchés publics 2018, comm. 62, obs. H. Hoepffner ; JCP A 2018, 2155, note J.-R. Mauzy). Il était question, dans cette affaire, d’un marché public de fourniture de matériel d’éclairage public à leds pour la place d’Armes de la commune de Vitry-le-François. La commune avait décidé de passer le marché selon une procédure adaptée. A l’issue de la consultation, elle a adressé deux courriers le 23 août 2017 : l’un à la société Comptoir de négoce d’équipements pour l’informer du rejet de son offre et l’autre à la société CVELUM pour l’informer qu’elle avait été désignée comme attributaire du marché. La société Comptoir de négoce a alors saisi le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne pour contester la procédure de passation du marché public. Ce dernier avait alors annulé la procédure par une ordonnance du 20 septembre 2017 en considérant que la commune aurait dû considérer l’offre de la société attributaire comme irrecevable car elle n’avait produit un certificat attestant de la régularité de sa situation au regard de l’emploi des travailleurs handicapés.

Saisi d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat considère que le tribunal administratif a commis une erreur de droit car la production de ce certificat ne s’impose pas aux sociétés qui ne sont pas concernées par l’obligation d’emploi de travailleurs handicapés parce qu’elles emploient moins de vingt salariés. Il annule donc l’ordonnance rendue et se prononce sur l’affaire. Le Conseil d’Etat commence par rejeter plusieurs arguments avancés par la société Comptoir de négoce d’équipements en considérant que la commune a effectué un examen correct des candidatures, en rappelant que la société attributaire n’était pas soumise à l’obligation d’emploi de travailleurs handicapés et n’était donc pas tenue de produire un certificat attestant du respect de cette obligation, et en considérant que les critères et sous-critères de sélection des offres étaient convenablement définis et ne conféraient pas « une liberté de choix discrétionnaire » à l’acheteur. Il rejette également l’argument selon lequel la notification du rejet de l’offre de la société ne contenait pas d’informations suffisantes.

Surtout, le Conseil d’Etat devait se prononcer sur la question de savoir si la commune n’a pas commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que l’offre présentée par la société CVELUM n’était pas anormalement basse. Cette société avait présenté une offre d’un montant de 79 090 euros HT alors que la société Comptoir de négoce d’équipement avait présenté une offre de 80 331,90 euros HT. En soi, la différence de prix pouvait paraître assez minime mais, on le sait, le caractère anormalement bas d’une offre ne s’apprécie pas par comparaison (CE, 30 mars 2017, n° 406224, GIP Formation continue insertion professionnelle ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 158, note M. Ubaud-Bergeron ; Journal du Droit Administratif (JDA), 2018 ; chronique contrats publics 03 ; Art. 230 ; http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=2287 ). En réalité, l’argument soulevé par la société Comptoir de négoce était différent. Selon elle, l’offre de la société CVELUM devait être considérée comme anormalement basse car le montant de son offre correspond au prix d’achat des matériels et ne lui permet pas de réaliser un bénéfice. Pour le Conseil d’Etat, le problème était alors de savoir si une offre qui ne permet pas de réaliser de bénéfices doit en tant que telle être considérée comme anormalement basse. Ce n’est pas la solution retenue : le juge considère que « cette seule circonstance n’est pas suffisante pour que le prix proposé soit regardé comme manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché ». Le fait qu’elle permette ou non la réalisation de bénéfices est donc sans incidence sur l’appréciation du caractère anormalement bas d’une offre.

En réalité, la solution rendue permet d’affiner la définition de l’offre anormalement basse, telle qu’elle est codifiée par le code de la commande publique. En effet, l’article L. 2152-5 du CCP propose une définition de l’offre anormalement basse et indique qu’il s’agit d’ « une offre dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché public ». Le Conseil d’Etat, dans son arrêt du 22 janvier 2018, confirme que les deux conditions posées par cette définition sont cumulatives : pour qu’une offre soit considérée comme anormalement basse son prix doit être manifestement sous-évalué – ce qui était probablement le cas en l’espèce – et ce prix sous-évalué doit compromettre la bonne exécution du marché – ce qui n’est pas démontré en l’espèce. La solution est toutefois surprenante : elle permet de retenir des offres qui ne sont pas économiquement viables pour les opérateurs économiques. Ces derniers ont probablement des raisons de présenter de telles offres mais, dans l’absolu, ne doit-on pas considérer qu’il s’agit là de pratiques anticoncurrentielles de la part des opérateurs économiques ? Le Conseil d’Etat confirme donc que le respect de la concurrence, si cher au droit de la commande publique, s’impose surtout aux acheteurs et ne doit pas empêcher la meilleure gestion possible des deniers publics !

Respect des principes fondamentaux de la commande publique pour la passation des marchés exclus du champ d’application de l’Ordonnance relative aux marchés publics

Le Conseil d’Etat a rappelé le caractère transversal des principes fondamentaux de la commande publique et leur application au-delà des textes régissant les marchés publics et les contrats de concession à l’occasion de l’affaire concernant les marchés passés par le Centre national d’études spatiales (CNES) pour la maintenance des installations et les moyens de fonctionnement du Centre spatial guyanais (CE, 5 févr. 2018, n° 414846, Centre national d’études spatiales ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 78, note M. Ubaud-Bergeron ; JCP A 2018, 2317, note F. Linditch). Après s’être prononcé sur la nature administrative du contrat et sur la compétence du juge du référé précontractuel (cf. dans cette même chronique), le Conseil d’Etat a dû se prononcer sur la procédure de passation mise en œuvre par le CNES pour ces deux marchés. En effet, ces contrats font partie des marchés expressément exclus de l’ordonnance du 23 juillet 2015 et n’ont donc pas à respecter les règles de passation qu’elle impose, notamment les règles de publicité et de mise en concurrence. Dès lors, une fois le contrat qualifié d’administratif et sa compétence reconnue, le Conseil d’Etat devait déterminer quelles étaient les règles que le CNES devait respecter pour passer lesdits marchés afin de pouvoir vérifier si ces règles avaient été correctement respectées. Or, en l’absence de dispositions textuelles expressément applicables à de tels contrats, leur exclusion du champ d’application de l’ordonnance relative aux marchés publics aurait pu signifier que la passation de tels marchés ne nécessite pas le respect de règles particulières.

Ce n’est pas la solution retenue par le Conseil d’Etat qui considère que le fait que ces marchés « ne relèvent pas de l’ordonnance relative aux marchés publics est sans incidence, ces contrats étant […] régis par la loi française et donc soumis aux principes de liberté d’accès à la commande publique et d’égalité de traitement des candidats et à la règle de transparence des procédures qui en découle ». Le juge affirme donc clairement que les marchés exclus du champ d’application de l’ordonnance relative aux marchés publics – qui étaient envisagés comme des marchés publics soumis à un régime particulier dans le cadre du projet de code de la commande publique et qui deviennent les « autres marchés publics » dans le nouveau code – doivent respecter les principes fondamentaux de la commande publique. Le Conseil d’Etat confirme ainsi la solution récemment retenue à propos d’un contrat de concession de services de transport aérien exclu du champ d’application de l’Ordonnance relative aux contrats de concession (CE, 15 déc. 2017, n° 413193, Synd. Mixte de l’aéroport de Lannion-Côte de Granit ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 46, note P. Devillers ; JCP A 2018, act. 29, obs. C. Friedrich).

Cette solution « renoue avec la jurisprudence « Telaustria » » (H. Hoepffner et F. Llorens, « Dans quoi les contrats exclus des ordonnances marchés publics et concessions sont-ils inclus ? », Contrats-Marchés publ. 2018, repère 4) et s’explique assez facilement : les principes fondamentaux de la commande publique sont des principes généraux – à valeur constitutionnel – qui s’appliquent à tous les contrats de la commande publique, peu importe que ces contrats relèvent ou non des règles législatives spéciales applicables à telle ou telle catégorie de contrats de la commande publique. De plus, ces principes « ont vocation à s’étendre de plus en plus aux contrats de l’offre publique, bien au-delà du Code de la commande publique » (G. Eckert, « Quelle place pour les principes de la commande publique », Contrats-Marchés publ. 2018, repère 10).  On pourrait même pousser le vice et considérer que ces principes s’appliquent à l’ensemble des contrats publics… (v. notre thèse, La notion de contrat administratif. L’influence du droit de l’Union européenne, Bruylant 2014).

Pourtant, une fois cette solution retenue, la question sous-jacente est celle des implications concrètes des principes fondamentaux de la commande publique pour les acheteurs et les autorités concédantes lorsque ces derniers décident de passer des contrats qui ne relèvent pas des textes applicables aux marchés publics et aux contrats de concession mais soumis aux principes fondamentaux. En l’espèce, même si cela n’épuise pas le champ des règles applicables à de tels contrats, le Conseil d’Etat affirme que ces principes impliquent une « information appropriée des candidats sur les critères d’attribution » du contrat « dès l’engagement de la procédure d’attribution ». Ainsi, l’acheteur est tenu d’indiquer les critères d’attribution du contrat « et les conditions de leur mise en œuvre selon les modalités appropriées à l’objet, aux caractéristiques et au montant du marché concerné ». De plus, si l’acheteur choisit d’utiliser également des sous-critères afin de mettre en œuvre les critères de sélection des offres, il doit également informer les candidats sur les conditions de mise en œuvre de ces sous-critères si ceux-ci « sont susceptibles d’exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent en conséquence être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection ». En l’espèce, le CNES n’avait pas mis en place de sous-critères assimilables à des critères distincts et il avait énoncé et pondéré les critères de sélection des offres. Le principe de transparence des procédures était donc respecté, ce qui explique que le Conseil d’Etat rejette les arguments de la société requérante. Les précisions proposées par le Conseil d’Etat sont d’autant plus intéressantes : en l’absence de sous-critères assimilables à des critères, il n’était pas nécessaire de préciser que de tels sous-critères nécessitent d’être portés à la connaissance des candidats. Le juge trahit ici sa volonté d’ériger – progressivement – un régime minimum applicable à l’ensemble des contrats soumis aux principes fondamentaux de la commande publique. Cette volonté est louable mais le problème reste toujours le même : il ne faudrait pas que cela conduise à une extension continue des règles contraignantes applicables aux marchés publics passés selon une procédure formalisée.

Dérogation au droit des marchés publics pour motifs de sécurité : interprétation stricte de la Cour de justice

Les principes fondamentaux de la commande publique bénéficient d’une protection importante mais ils admettent un certain nombre de dérogations, au nombre desquelles figure la possibilité de déroger à l’obligation de publicité et de mise en concurrence pour des motifs de sécurité. La question est alors de déterminer quelle est l’étendue des dérogations admises car il ne faudrait pas que celles-ci conduisent à une remise en cause pure et simple des objectifs poursuivis par les traités. C’est justement en tenant compte de cette articulation entre principe et exception que la Cour de justice de l’Union européenne a dû régler l’affaire qui opposait l’Autriche à la Commission européenne à la suite de l’attribution de marchés de services sans procédure de publicité et de mise en concurrence (CJUE, 20 mars 2018, aff. C-187/16, Comm . c/ Autriche ; AJDA 2018, p. 1650, note P. Bourdon ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 128, note M. Ubaud-Bergeron ; Europe 2018, comm. 190, note E. Daniel). En effet, ces marchés de services portaient sur la production de documents tels que les passeports à puce, les passeports de secours, les titres de séjour, les cartes d’identité, les permis de pyrotechnie, les permis de conduire au format carte de crédit et les certificats d’immatriculation au format carte de crédit et avaient été directement attribués par l’Etat autrichien à Österreichische Staatsdruckerei GmbH. Or, eu égard à leur objet – ce sont des marchés de services – et à leur montant – qui dépasse les seuils communautaires – ces contrats auraient dû être attribués après la mise en œuvre des règles de publicité et de mise en concurrence prévues par les directives européennes. Afin de justifier cette dérogation aux principes fondamentaux de la commande publique, l’Autriche avance la mise en œuvre des dérogations prévues tant par les directives que par le Traité lui-même. En effet, ce dernier prévoit, à l’article 346, paragraphe 1, sous a), TFUE qu’ « aucun État membre n’est tenu de fournir des renseignements dont il estimerait la divulgation contraire aux intérêts essentiels de sa sécurité ». Dans le même sens, l’article 14 de la directive 2004/18 – applicable en l’espèce mais dont le contenu se retrouve à l’article 15 de la directive 2014/24 tout en étant formulé plus strictement – précise que les dispositions de la directive ne s’appliquent pas «aux marchés publics lorsqu’ils sont déclarés secrets ou lorsque leur exécution doit s’accompagner de mesures particulières de sécurité, conformément aux dispositions législatives, réglementaires ou administratives en vigueur dans l’État membre considéré, ou lorsque la protection des intérêts essentiels de cet État membre l’exige ». Les contrats attribués par l’Autriche semblaient pouvoir relever de ces dérogations mais, on le comprend tout de suite, ce n’était pas l’avis de la Commission européenne. La Cour de justice a donc dû préciser quelles sont les conditions de mise en œuvre de ces dérogations en déterminant, notamment, si ces dérogations sont d’application large ou d’interprétation stricte. Or, de manière tout à fait classique, c’est la seconde solution qui est retenue en l’espèce. La Cour commence par expliquer que les marchés d’impression tels que ceux sont en cause en l’espèce font bien partie de ceux susceptibles de relever de l’article 346, paragraphe 1, sous a), TFUE (cons. 72) et admet également que les dérogations prévues par les directives peuvent elles aussi s’appliquer (cons. 73). Elle indique ensuite que, conformément à sa jurisprudence antérieure, les Etats sont seuls compétents pour définir leurs intérêts essentiels de sécurité (cons. 75, la Cour cite CJCE, 8 avr. 2008, aff. C-337/05, Commission c/ Italie : Rec. CJCE 2008, I, p. 2173 ; Europe 2008, comm. 188, note D. Simon). Toutefois, elle rappelle également – et toujours en application de sa jurisprudence antérieure – que les dérogations précitées « doivent faire l’objet d’une interprétation stricte » (cons. 77 ; la Cour cite ici CJCE, 7 juin 2012, aff. C-615/10, Insinööritoimisto InsTiimi Oy; Contrats-Marchés publ. 2012, comm. 273, note W. Zimmer) et qu’un Etat ne peut pas se contenter d’invoquer la protection des intérêts essentiels de sa sécurité pour mettre en œuvre de telles dérogations : il « doit démontrer la nécessité de recourir à celles-ci dans le but de protéger les intérêts essentiels de sa sécurité » (cons 78 ; la Cour cite CJUE, 5e ch., 4 sept. 2014, aff. C-474/12, Schiebel Aircraft ; Europe 2014, comm. 448, note E. Daniel). Or, pour démontrer la nécessité de mettre en œuvre de telles dérogations, l’Etat doit prouver « que le besoin de protéger de tels intérêts n’aurait pas pu être atteint dans le cadre d’une mise en concurrence telle que prévue par les directives » (cons 79 ; la Cour cite à nouveau CJCE, 8 avr. 2008, aff. C-337/05, Commission c/ Italie). Pour ce faire, l’Autriche avance plusieurs arguments qui sont tous rejetés par la Cour de justice : les procédures de mise en concurrence n’empêchent pas que l’exécution des marchés soit confiée à un opérateur unique (cons. 82) ; la nécessité de confier l’impression des passeports et des documents de voyage à un organisme unique ne fait pas obstacle à ce que celui-ci soit choisi après mise en concurrence (cons. 83) ; les contrôles administratifs pourraient tout aussi bien concerner d’autres opérateurs que celui choisi (cons. 84 à 86) ; l’Autriche ne démontre pas que la mise en concurrence mettrait en péril l’approvisionnement (cons. 87) ; les procédures de mise en concurrence n’empêchent pas de choisir des opérateurs économiques fiables et permettent au contraire d’imposer un haut-niveau de confidentialité (cons. 88 à 93). Par conséquent, la Cour de justice considère que l’Autriche aurait dû respecter les procédures de publicité et de mise en concurrence prévues par les directives. En réalité, elle ne fait qu’appliquer à la dérogation prévue par l’article 346, paragraphe 1, sous a), TFUE les règles qu’elle a déjà dégagées s’agissant de la dérogation prévue par l’article 346, paragraphe 1, sous b), TFUE (pour rappel cette dérogation, qui est parfois qualifiée de réserve générale de souveraineté pour les questions de défense, permet à tout État membre de prendre les mesures qu’il estime nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité et qui se rapportent à la production ou au commerce d’armes, de munitions et de matériel de guerre). La Cour confirme surtout qu’il ne faut pas surestimer les dérogations admises par les directives et par le Traité et que celles-ci restent d’interprétation stricte.

Critères de sélection des offres : possibilité de prendre en compte les frais de déplacement de l’acheteur pour se rendre chez l’opérateur économique mais pas la distance les séparant

A l’heure où nombre d’acheteurs se demandent comment mettre en place des circuits courts dans le cadre de leurs marchés publics afin, notamment, de favoriser les entreprises locales, le Conseil d’Etat a rendu un arrêt tout en nuances qui semble offrir certaines perspectives à ces acheteurs (CE, 12 sept. 2018, n° 420585, Société la Préface ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 243, note M. Ubaud-Bergeron ; JCP A 2018, act. 733, veille M. Touzeil-Divina ; AJDA 2018, p. 2375). En l’espèce, le Conseil d’Etat devait se prononcer sur un pourvoi formé contre une ordonnance rendue par le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Toulouse. Par cette ordonnance, le juge des référés avait annulé la procédure de passation du lot n° 1 d’un accord-cadre passé par le département de la Haute-Garonne ayant pour objet l’acquisition de documents pour la médiathèque de la Haute-Garonne. Plus précisément, ce lot concernait l’acquisition de « romans adultes en langue française, imprimés (y compris gros caractères) ou enregistrés sauf science-fiction, fantastique, fantasy, romans policier ». La société La Préface a présenté une offre pour ce lot mais celle-ci a été rejetée par le département. Elle a alors saisi le juge du référé précontractuel sur le fondement de l’article L. 551-1 du code de justice administrative pour qu’il annule la procédure de passation, en relevant notamment le caractère discriminatoire d’un des critères de sélection des offres. Au-delà du critère en cause – qui constitue le principal point d’intérêt – cet arrêt permet de mettre en lumière les difficultés que peuvent rencontrer les acheteurs lorsqu’ils doivent établir des critères de sélection des offres pour acquérir des fournitures dont les prix ne permettent pas de départager les opérateurs économiques. En effet, et pour revenir à l’espèce, on sait bien que le prix du livre est réglementé. C’est sans doute l’une des raisons qui ont conduit le département de la Haute-Garonne à retenir parmi les critères de sélection des offres un critère relatif aux frais de déplacement engendrés par l’exécution du marché. En effet, parmi ses conditions d’exécution, l’accord-cadre imposait au titulaire du marché de permettre aux bibliothécaires de la médiathèque de venir consulter ses fonds d’ouvrages dans ses locaux au moins une fois par mois. Or, pour évaluer ce critère de sélection des offres, le règlement de la consultation prévoyait de prendre en compte la distance séparant la médiathèque et les candidats à l’attribution du lot. La société La Préface estimait que ce critère, fondé sur la localisation géographique des candidats, était discriminatoire. Le juge des référés du Tribunal administratif de Toulouse l’ayant suivie sur ce point, le Conseil d’Etat devait à son tour s’interroger sur la légalité d’un tel critère. Plus précisément, il devait répondre à la question de savoir si un opérateur économique peut intégrer parmi les critères de sélection des offres un critère relatif aux frais de déplacement supportés par l’acheteur pour se rendre dans les locaux de l’attributaire du marché public ou si un tel critère doit être considéré comme discriminatoire. Or, si le Conseil d’Etat valide le raisonnement et la solution retenus par le juge toulousain, l’arrêt rendu est assez surprenant dans la mesure où il ne condamne pas en tant que telle l’utilisation d’un critère de ce type. En effet, le Conseil d’Etat précise qu’ « il était loisible au département de la Haute-Garonne de prévoir une consultation mensuelle, par les agents de la médiathèque, des fonds dans les locaux du titulaire du marché et, par suite, de retenir un critère de sélection des offres prenant en compte le coût de ces déplacements ». En revanche, en retenant la distance comme moyen d’évaluation, le critère retenu en l’espèce « ne permettait pas de valoriser effectivement l’offre représentant le moindre coût de déplacements ». Dès lors, le juge administratif semble faire appel à l’ingéniosité des acheteurs s’ils souhaitent favoriser les entreprises locales : ils ne peuvent pas départager les offres en retenant la distance comme critère de sélection mais ils peuvent – à condition que l’objet du marché public le justifie – imposer des visites des locaux de l’opérateur économique parmi les conditions d’exécution du marché et faire du coût de ces visites un critère de sélection. Il suffit alors de préciser que ce coût ne reposera pas exclusivement sur la distance : on peut notamment imaginer qu’un candidat propose dans son offre de prendre en charge ses frais de déplacements. Dans une telle hypothèse, le juge administratif considèrera que le critère n’est pas discriminatoire même si, en pratique, il est plus que probable que les entreprises proches de l’acheteur d’un point de vue géographique seront favorisées… Reste toutefois à savoir si un tel critère serait validé par le juge européen : rien n’est moins sûr quand on connaît l’importance que la Cour accorde au principe d’égalité et à son pendant négatif, le principe de non-discrimination !

Chronique (choisie) de jurisprudence

Une fois de plus, les décisions rendues ont été regroupées par thèmes afin d’en faciliter la lecture.

Documents exigés pour apprécier la valeur des offres

Le Conseil d’Etat est venu rappeler dans quelles hypothèses les acheteurs peuvent demander des justificatifs pour apprécier la valeur des offres. Saisi dans le cadre d’un pourvoi en cassation à l’encontre d’une ordonnance rendue dans le cadre d’un référé précontractuel, le Conseil d’Etat devait se prononcer sur la procédure de passation d’un accord-cadre ayant pour objet l’exécution de services de transport public de voyageurs à vocation scolaire lancé par la Métropole Nice Côte d’Azur (CE, 5 févr. 2018, n° 414508 , Métropole Nice Côte d’Azur ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 81, obs. H. Hoepffner ; AJDA 2018, p. 474). La société Compagnie d’autocars des Alpes-Maritimes, concurrent évincé lors de l’attribution du lot 8 de cet accord-cadre, a saisi le juge du référé précontractuel de conclusions tendant à l’annulation de la décision par laquelle la commission d’appel d’offres de la métropole Nice Côte d’Azur a retenu comme régulière l’offre de la société Flash Azur Voyages. Le juge des référés du tribunal administratif de Nice a fait droit à sa demande et annulé la procédure de passation du lot en retenant notamment l’argument selon lequel la métropole avait manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en ne demandant pas aux candidats de justificatifs concernant l’âge des véhicules alors que le règlement de consultation faisait de l’âge des véhicules une exigence particulière sanctionnée par le système d’évaluation des offres. C’est l’occasion pour le Conseil d’Etat de rappeler que « lorsque, pour fixer un critère ou un sous-critère d’attribution du marché, le pouvoir adjudicateur prévoit que la valeur des offres sera examinée au regard d’une caractéristique technique déterminée, il lui incombe d’exiger la production de justificatifs lui permettant de vérifier l’exactitude des informations données par les candidats » (CE, 7e et 2e sous-sect., 9 nov. 2015, n° 392785, Sté des autocars de l’Île de Beauté ;  rec. , tables p. 746 ; Contrats-Marchés publ. 2016, comm. 2, note M. Ubaud-Bergeron ; JCP A 2016, act. 965, veille M. Touzeil-Divina ; JCP A 2017, 2006, note F. Linditch). Il considère toutefois qu’une telle exigence ne s’imposait pas en l’espèce. En effet, le Conseil d’Etat censure la décision rendue car, contrairement à ce qui était avancé par le juge des référés, le règlement de la consultation ne faisait pas de l’âge des véhicules une exigence particulière sanctionnée par le système d’évaluation des offres. Il censure donc la décision en considérant que le juge des référés a dénaturé les pièces du dossier. Réglant l’affaire au titre de l’article L. 821-2 du CJA, le Conseil d’Etat écarte également les autres arguments avancés par la société : absence de vérification de l’objet social de l’entreprise attributaire, erreur manifeste d’appréciation concernant les capacités de l’attributaire, offre anormalement basse par comparaison à sa propre offre, manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence en corrigeant une erreur de plume dans le calcul du prix final proposé par l’attributaire, informations insuffisantes lors de la communication des caractéristiques de l’offre retenue.

Marchés portant sur des activités réglementées : appréciation des capacités d’un groupement

Le Conseil d’Etat est venu préciser comment s’articule l’appréciation des capacités des candidats participant à un groupement et l’objet particulier de certains marchés publics qui nécessitent que les cocontractants relèvent d’une profession réglementée (CE, 4 avr. 2018, n° 415946, Sté Altraconsulting ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 130, note M. Ubaud-Bergeron ; JCP A 2018, act. 358, veille L. Erstein). En l’espèce, le Conseil d’Etat devait se prononcer sur une procédure de passation lancée par un office public de l’habitat pour conclure un marché public de services. Or, parmi les missions confiées dans le cadre de ce marché public, certaines relèvent de la loi du 31 décembre 1971 qui réserve l’exercice de certaines activités aux professionnels du droit. Le marché ayant été attribué à un groupement d’opérateurs économiques dont un seul membre est un professionnel du droit, le Conseil d’Etat devait déterminer si un tel montage est possible. Il commence par préciser que les pouvoirs adjudicateurs, lorsqu’ils passent un marché public portant sur des activités dont l’exercice est réglementé, doivent s’assurer que les soumissionnaires remplissent les conditions requises pour les exercer. Il s’agit d’une précision importante car, en-dehors d’une telle hypothèse, le juge du référé précontractuel ne contrôle pas si l’objet social des opérateurs économiques leur permet de candidater à tel ou tel marché public. Pour autant, le Conseil d’Etat ne retient pas une solution trop rigide et admet ce que l’on pourrait qualifier de semi-exception « lorsque les prestations qui font l’objet du marché n’entrent qu’en partie seulement dans le champ d’activités réglementées », ce qui lui permet de valider la procédure de passation telle qu’elle a été menée en l’espèce. Il considère en effet que, dans une telle hypothèse, « l’article 45 du décret du 25 mars 2016 autorise les opérateurs économiques à présenter leur candidature et leur offre sous la forme d’un groupement conjoint, dans le cadre duquel l’un des cotraitants possède les qualifications requises ». Une seule condition est alors posée : l’acheteur doit s’assurer que ce cotraitant sera le seul à exercer les missions relevant d’activités réglementées et il doit donc vérifier « que la répartition des tâches entre les membres du groupement n’implique pas que celui ou ceux d’entre eux qui n’a pas cette qualité soit nécessairement conduit à effectuer des prestations ».

Information des candidats : oui pour les sous-critères, non pour les éléments d’appréciation des sous-critères

La question du niveau d’information des candidats à l’attribution d’un marché public est une question sensible. Les obligations imposées aux acheteurs en termes d’information des candidats reposent en effet directement sur les principes fondamentaux de la commande publique et, notamment, sur les principes d’égalité d’accès et de transparence des procédures. Ainsi ce sont ces principes qui justifient que les acheteurs soient tenus d’indiquer dans les documents de la consultation quels seront les critères d’attribution utilisés ainsi que leurs modalités de mise en œuvre (art. 62, IV du décret du 25 mars 2016 ; art. R. 2152-11 du code de la commande publique). Pour autant, les principes fondamentaux ne sauraient entraîner des contraintes trop importantes. Ainsi, par principe, les acheteurs ne sont pas tenus d’indiquer quels sont les sous-critères. Ce n’est que si les sous-critères peuvent être assimilés à de véritables critères qu’ils devront informer les candidats sur ce point (CE, 18 juin 2010, n° 337377, Commune de Saint-Pal-de-Mons  ; Contrats-Marchés publ. 2010, comm. 271, note Ph. Rees ; CE, 2 août 2011, n° 348711, Syndicat mixte de la Vallée Orge Aval ; Lebon, p. 1006 ; BJCP 2011, p.435, concl. B. Dacosta ; Contrats-Marchés publ. 2011, comm. 286, note W. Zimmer ; RJEP 2012, comm. 8, note F. Brenet). Le Conseil d’Etat est venu confirmer les limites des contraintes imposées par les principes de la commande publique. Ainsi, interrogé sur la question de savoir si les acheteurs doivent informer les candidats sur les éléments qui permettent la notation des sous-critères, le juge administratif confirme que les éléments d’appréciation des sous-critères n’ont pas à être communiqués aux candidats (CE, 4 avril 2018, n° 416577, Société Archimed ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 133, obs. H. Hoepffner ; JCP A 2018, act. 359, veille M. Touzeil-Divina ; dans le même sens CE, 6 avril 2016, n° 388123, Commune de Bohalle ; Contrats-Marchés publ. 2016, comm. 147, note M. Ubaud-Bergeron). En réalité, le Conseil d’Etat semble indiquer que de tels éléments d’appréciation ne peuvent, en toutes hypothèses et à la différence des sous-critères eux-mêmes, être envisagés comme susceptibles de constituer des critères de sélection « déguisés ».

Candidatures d’entreprises liées à un même marché public

Les entreprises liées ne peuvent pas être envisagées comme n’importe quels opérateurs économiques lorsqu’elles candidatent à l’attribution d’un même marché public. C’est ce que vient de rappeler la Cour de justice de l’Union européenne en réponse à une question préjudicielle introduite par la Cour suprême de Lituanie à propos de l’attribution d’un marché public de collecte des déchets et de transport vers leur lieu de traitement (CJUE, 17 mai 2018, aff. C-531/16, Specializuotas transportas ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 154, note M. Ubaud-Bergeron ; AJ Contrat 2018, p. 290, note P. Grimaud et O. Villemagne). Dans cette affaire, la société attributaire est une filiale appartenant au même groupe qu’un autre soumissionnaire. Or, l’un des concurrents évincés en déduit que leurs candidatures ne peuvent pas être envisagées séparément mais doivent être prises en compte comme des variantes, sachant que les variantes sont interdites par l’avis de marché. La Cour de justice devait donc préciser comment les acheteurs doivent apprécier les candidatures présentées pour un même marché public par des entreprises liées. Elle apporte des précisions utiles sur ce point. Tout d’abord et par principe, les entreprises liées ont le droit de candidater à l’attribution d’un même marché public. Ainsi, la Cour rappelle qu’ « il ressort de la jurisprudence que, eu égard à l’intérêt de l’Union que soit assurée la participation la plus large possible de soumissionnaires à un appel d’offres, il serait contraire à une application efficace du droit de l’Union d’exclure systématiquement les entreprises liées entre elles du droit de participer à une même procédure de passation de marchés publics » (cons. 21). Ensuite, la Cour précise que « des soumissionnaires liés, soumettant des offres séparées dans une même procédure, ne sont pas tenus de déclarer, de leur propre initiative, leurs liens au pouvoir adjudicateur » (cons. 26). En revanche, elle rappelle que « qu’un rôle actif est attribué aux pouvoirs adjudicateurs dans l’application des principes de passation des marchés publics » et notamment du principe d’égalité de traitement (cons. 31). Elle en déduit donc, en établissant un parallèle avec sa jurisprudence sur les conflits d’intérêt (cons. 32) qu’ « un pouvoir adjudicateur qui prend connaissance d’éléments objectifs mettant en doute le caractère autonome et indépendant d’une offre, est tenu d’examiner toutes les circonstances pertinentes ayant conduit à la présentation de l’offre concernée afin de prévenir, de détecter les éléments susceptibles d’entacher la procédure d’adjudication et d’y remédier, y compris, le cas échéant, en demandant aux parties de fournir certaines informations et éléments de preuve » (cons. 33). Les entreprises liées n’ont donc pas à démontrer qu’elles sont autonomes et indépendantes, tandis que les acheteurs sont tenus de vérifier cette autonomie. Enfin, la Cour distingue l’existence de liens entre les entreprises et le contrôle exercée sur ces dernières par une même entité (cons. 38). Ainsi, lorsque le pouvoir adjudicateur constate des liens entre les entreprises qui ont une influence sur le contenu de leurs offres il doit les écarter de la procédure de passation en ce qu’elles ne sont pas autonomes et indépendantes. Pour autant, la seule existence d’un rapport de contrôle entre deux entreprises ne suffit pas pour considérer que les liens qui les unissent ont une influence sur le contenu de leurs offres. Le principe reste donc la liberté de candidater pour les entreprises liées mais, par exception, elles peuvent être exclues de la procédure lorsque leurs liens influencent le contenu de leurs offres et risquent de porter atteinte au principe d’égalité de traitement !

Portée du contrôle juridictionnel en matière d’allotissement

Le Conseil d’Etat est venu rappeler sa jurisprudence traditionnelle en matière d’allotissement en l’appliquant à propos d’un marché public passé conformément à l’Ordonnance du 23 juillet 2015 (CE, 25 mai 2018, n° 417428, OPH du département des Hauts-de-Seine ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 156, note M. Ubaud-Bergeron). En l’espèce, l’office public de l’habitat du département des Hauts-de-Seine avait lancé un appel d’offres ouvert en vue de la passation d’un marché public portant sur l’entretien courant « tous corps d’état » et la remise en état des logements de son patrimoine. L’OPH avait décidé de diviser ce marché public en neuf lots correspondant à neuf zones géographiques distinctes. Le groupement de sociétés MPPEA, concurrent évincé, a saisi le juge du référé précontractuel pour faire annuler la procédure de passation. Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a fait droit a sa demande en considérant que l’OPH avait méconnu les obligations imposées par l’article 32 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 en matière d’allotissement (articles L. 2113-10 et L. 2113-11 du code de la commande publique). Le juge du référé précontractuel a en effet estimé que l’OPH a « manqué […] à ses obligations de publicité et de mise en concurrence » en retenant un découpage géographique des lots sans justifier par des « motifs techniques ou économiques […] l’absence d’allotissement par corps d’état ». Le Conseil d’Etat censure l’ordonnance rendue par le tribunal administratif en rappelant sa jurisprudence traditionnelle. Il considère en effet que « saisi d’un moyen tiré de l’irrégularité de la décision de ne pas allotir un marché, il appartient au juge du référé précontractuel de déterminer si l’analyse à laquelle le pouvoir adjudicateur a procédé et les justifications qu’il fournit sont, eu égard à la marge d’appréciation dont il dispose pour décider de ne pas allotir lorsque la dévolution en lots séparés présente l’un des inconvénients que les dispositions précitées mentionnent, entachées d’appréciations erronées ; que, par ailleurs, lorsqu’un marché public a été alloti, le juge ne peut relever un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence du fait de la définition du nombre et de la consistance des lots que si celle-ci est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation, compte tenu de la liberté de choix dont le pouvoir adjudicateur dispose en ce domaine » (cons. 5). Il faut donc distinguer deux contrôles en fonction du choix réaliser par l’acheteur. En premier lieu, lorsque l’acheteur décide de ne pas procéder à l’allotissement et de recourir à un marché global au sens large du terme, le juge exerce un contrôle normal sur cette décision (CE, 29 décembre 2009, Département de l’Eure, rec. p. 832 ; RDI 2010, p. 155, obs. R. Noguellou ; CE, 27 octobre 2011, n° 350935, Département des Bouches-du-Rhône, rec. p. 1009 ; Contrats-Marchés publ. 2011, comm. 343, note G. Eckert ; BJCP 2012, p. 9, concl. N. Boulouis ; CE, 26 juin 2015, n° 389682, Ville de Paris ; Contrats-Marchés publ. 2015, comm. 232, note J.-P. Pietri). Dans une telle hypothèse, le contrôle du juge porte sur les éléments précis qui ont servi à fonder la décision de ne pas allotir pour déterminer si ces éléments justifiaient bien la décision prise. Ce contrôle normal est justifié par les principes fondamentaux de la commande publique : l’obligation d’allotir doit susciter la concurrence la plus large possible. En revanche, et en second lieu, lorsque l’acheteur décide de recourir à l’allotissement, la portée du contrôle juridictionnel sur les modalités de l’allotissement est sensiblement réduite. Le Conseil d’Etat rappelle ainsi que le contrôle du juge sur « la définition du nombre et de la consistance des lots » n’est qu’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation. Il confirme ici aussi sa jurisprudence antérieure (CE, 21 mai 2010, n° 333737, Commune d’Ajaccio ; Contrats-Marchés publ. 2010, comm. 239, note P. Devillers ; DA 2010, comm. 110, note F. Brenet ; JCP A 2010, 2215, note F.Linditch) pour l’appliquer dans le cadre de la nouvelle réglementation. La liberté reconnue aux acheteurs en matière d’allotissement l’emporte donc sur les risques d’atteintes portées à l’obligation de mise en concurrence.

Contrôle de l’indépendance des opérateurs économiques en cas de limitation du nombre maximal de lots attribuables à un même opérateur

Dans l’affaire relative au marché public de transport scolaire passé par la communauté d’agglomération du Nord Grande-Terre (CE, 11 juillet 2018, n° 418021, Communauté d’agglomération du Nord Grande-Terre ; préc), le Conseil d’Etat est également venu préciser de quelle manière devaient être appréciées les candidatures d’opérateurs économiques faisant appel aux mêmes moyens lorsque l’acheteur a décidé de limiter le nombre de lots susceptibles d’être attribués à un même opérateur économique. En effet, l’article 12 du décret du 25 mars 2016 prévoit que « l’acheteur indique dans les documents de la consultation si les opérateurs économiques peuvent soumissionner pour un seul lot, plusieurs lots ou tous les lots ainsi que, le cas échéant, le nombre maximal de lots qui peuvent être attribués à un même soumissionnaire. Dans ce cas, les documents de la consultation précisent les règles applicables lorsque la mise en œuvre des critères d’attribution conduirait à attribuer à un même soumissionnaire un nombre de lots supérieur au nombre maximal » (repris par l’article R 2113-1 du code de la commande publique). Ce dispositif a pour objectif de permettre aux acheteurs de faciliter l’accès des petites et moyennes entreprises à la commande publique tout en suscitant une concurrence la plus large possible. Or, en l’espèce, le règlement de la consultation prévoyait que les opérateurs économiques ne pouvaient présenter de candidatures que pour cinq lots au maximum et qu’ils ne pourraient se voir attribuer que trois lots au maximum. Le hasard faisant bien les choses, le fils de la gérante de la société Transports les 6F, candidate à l’attribution du marché, avait créé une société de transport en juillet 2017 : la société Transka. Or, ces deux sociétés se sont portées candidates à l’attribution du marché public. Jusqu’ici, cette situtation ne pose pas, en apparence, de difficultés : en dépit des liens entre leurs dirigeants et en l’absence d’entente démontrée entre ces derniers, rien ne semble pouvoir interdire que ces deux sociétés candidatent à l’attribution du marché. Le problème posé était cependant de savoir si ces candidatures distinctes ne contreviennent pas à la limitation du nombre de lots susceptibles d’être attribués à un même opérateur économique. En effet, la société Transka n’avait pas de moyens propres et se prévalait uniquement des moyens de la société les 6F : celle-ci s’était « engagée à mettre à sa disposition les véhicules nécessaires à l’exécution des marchés en question » et « la quasi-totalité des moyens matériels de la société Transka étaient ceux de la société Transports les 6F ». Le Conseil d’Etat valide le raisonnement retenu par le juge des référés sur ce point et considère que ces deux sociétés « devaient être regardées comme un seul et même candidat pour l’application des dispositions » relatives à la limitation du nombre de lots susceptibles d’être attribués à un même candidat. En effet, si le hasard fait bien les choses, il ne faudrait pas que les opérateurs économiques se servent de la possibilité de faire appel aux capacités de tiers pour contourner artificiellement les dispositions permettant de favoriser les PME par l’allotissement.

Possibilité d’accepter la régularisation des offres irrégulières : liberté de choix de l’acheteur

La régularisation des offres irrégulières n’a, pendant longtemps, été autorisée que pour les marchés publics passés selon une procédure négociée ou pour rectifier certaines erreurs purement matérielles. Le nouveau droit de la commande publique est plus souple sur ce point. Les textes conservent les possibilités de régularisation antérieures et permettent également aux acheteurs d’« autoriser tous les soumissionnaires concernés à régulariser les offres irrégulières dans un délai approprié, à condition qu’elles ne soient pas anormalement basses » dans le cadre des procédures d’appel d’offres et des procédures adaptées sans négociation (article 59, II du décret du 25 mars 2016 ; article R. 2152-2 du code de la commande publique). Saisi dans le cadre d’un pourvoi contre une ordonnance rendue par le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Marseille, le Conseil d’Etat est venu préciser les conditions de mise en œuvre de ces dispositions (CE, 26 avril 2018, n° 417072, Dpt Bouches-du-Rhône ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 157, note P. Devillers). La procédure de passation contestée concernait des marchés ayant pour objet l’exécution de travaux d’entretien, de rénovation, de réparation et d’amélioration des bâtiments du patrimoine immobilier du département des Bouches-du-Rhône. Lors de cette procédure, une société a vu son offre pour le lot n°10 rejetée comme irrégulière car elle ne comportait pas certaines justifications demandées par l’article 6.2 du règlement de la consultation à propos du personnel nécessaire à l’exécution du marché. Cette société a alors saisi le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Marseille, lequel a considéré que le Département aurait dû inviter la société à régulariser son offre en application de l’article 59, II du décret. Le Conseil d’Etat censure cette solution pour erreur de droit. C’est l’occasion pour lui de préciser « que si, dans les procédures d’appel d’offre, l’acheteur peut autoriser tous les soumissionnaires dont l’offre est irrégulière à la régulariser, dès lors qu’elle n’est pas anormalement basse et que la régularisation n’a pas pour effet d’en modifier des caractéristiques substantielles, il ne s’agit toutefois que d’une simple faculté qui lui est offerte, non d’une obligation ». Le Conseil d’Etat confirme ici la logique des nouvelles règles introduites par le droit de la commande publique : les dispositions en matière de régularisation doivent offrir davantage de « souplesse » aux acheteurs et ne doivent pas devenir de nouvelles sources de contraintes. Elles accroissent donc la liberté des acheteurs sans renforcer les droits reconnus aux opérateurs économiques.

Preuve de l’équivalence des spécifications techniques

La Cour de justice de l’Union européenne a dû se prononcer sur le moment auquel les soumissionnaires à un marché public doivent apporter la preuve de l’équivalence des spécifications techniques proposées dans leur offre par rapport à celles exigées par le marché public (CJUE, 12 juillet 2018, aff. C-14/17, VAR et ATM ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 223, obs. H. Hoepffner ; Europe 2018, comm. 372, note F. Peraldi-Leneuf). En l’espèce, la Cour était saisie par le Conseil d’Etat italien à propos d’un litige naît à la suite d’une procédure d’appel d’offres ouvert lancée par ATM pour la passation d’un marché portant sur la « fourniture de pièces de rechange d’origine et/ou de première monte et/ou équivalentes pour autobus et trolleybus IVECO ». Deux sociétés ont candidaté à l’attribution de ce marché : la société Iveco Orecchia, concessionnaire exclusif du groupe producteur des pièces de rechange d’origine pour le nord-ouest de l’Italie, et la société VAR – cette dernière ne pouvant évidemment pas proposer des pièces d’origine. Pourtant, au terme de la procédure d’appel d’offres, c’est la société VAR qui a été classée première. La société Iveco Orecchia a alors formé un recours devant le tribunal administratif régional de Lombardie qui a annulé la décision d’attribution en considérant que la société VAR n’avait pas apporté la preuve de l’équivalence des pièces de rechange qu’elle proposait par rapport aux pièces d’origine lors de la soumission de son offre, pas plus que lors de la procédure de passation du marché. VAR et ATM ont alors interjeté appel devant le Conseil d’Etat italien. Ce dernier a alors saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle afin de savoir à quel moment les candidats à l’attribution d’un marché public doivent fournir la preuve de l’équivalence entre les produits qu’ils s’engagent à fournir et le produit d’origine auquel le marché fait référence. Plus précisément, il demandait à la Cour si les soumissionnaires doivent apporter cette preuve dans le cadre de leurs offres. La Cour apporte une réponse claire à cette question et considère que « lorsque les spécifications techniques qui figurent dans les documents du marché font référence à une marque, à une origine ou à une production déterminée, l’entité adjudicatrice doit exiger que le soumissionnaire apporte, déjà dans son offre, la preuve de l’équivalence des produits qu’il propose par rapport à ceux définis dans lesdites spécifications techniques ». La vérification du respect des spécifications techniques l’emporte donc – de manière relativement surprenante – sur la nécessité d’ouvrir les marchés publics à la concurrence.

Possibilité d’éliminer des offres en appel d’offres ouvert

La Cour de justice de l’Union européenne est venue préciser la part de liberté dont disposent les acheteurs lorsqu’ils passent des marchés publics en utilisant la procédure classique de l’appel d’offres ouvert (CJUE, 20 sept. 2018, aff. C-546/16, Montte SL c/ Musikene ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 264, note W. Zimmer ; Europe 2018, comm. 422, note S. Cazet). En l’espèce, Musikene, une fondation du secteur public de la Communauté autonome du Pays basque, avait lancé la procédure de passation d’un marché public de fournitures ayant pour objet l’acquisition « de mobilier et de matériel signalétique, de mobilier musical spécifique, d’instruments de musique, d’un équipement électroacoustique, d’un équipement d’enregistrement et d’un équipement audiovisuel, d’un équipement informatique et de reprographie ». La valeur estimée étant supérieure à un million d’euros, le marché a été passé selon une procédure formalisée et Musikene a décidé d’utiliser la procédure de l’appel d’offres ouvert. Rien de particulier jusque-là mais, en réalité, le cahier des charges du marché public prévoyait une évaluation des offres en deux temps. En effet, ce cahier des charges prévoyait deux critères : un critère technique et un critère prix, bénéficiant tous deux d’une pondération à 50%. Toutefois, le critère technique prévu imposait une évaluation des offres en deux temps car il prévoyait des exigences minimales conduisant à éliminer les offres soumises n’atteignant pas un seul de points minimum prédéterminé. Ce n’est que dans un second temps que les offres non éliminées devaient être évaluées au travers des critères techniques et grâce au critère du prix pour déterminer quelle est l’offre économiquement la plus avantageuse. La société Monte a saisi l’organe administratif de la Communauté autonome du Pays basque compétent en matière de recours dans le domaine des marchés publics pour contester ce cahier des charges en estimant que Musikene ne pouvait pas introduire des critères techniques éliminatoires dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres ouvert. Elle considérait en effet, de manière assez logique, que la procédure d’appel d’offres ouvert se distingue en cela des procédures restreintes et qu’elle doit normalement permettre à tous les soumissionnaires qui disposent des capacités suffisantes de voir leurs offres évaluées. N’étant pas certain que cette faculté de prévoir des critères éliminatoires lors de la phase de sélection des offres – autorisée par la législation espagnole – soit conforme au droit de l’Union, l’organe administratif de la Communauté autonome du Pays basque a adressé plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Cette dernière, conformément aux conclusions de son avocat général et aux observations de la Commission européenne, va considérer que la réglementation européenne « ne s’oppose pas à la possibilité, au stade de l’attribution du marché, d’exclure dans un premier temps des offres soumises qui n’atteignent pas un seuil de points minimum prédéterminé quant à l’évaluation technique ». Pour la Cour, « une offre qui n’atteint pas un tel seuil ne correspond, en principe, pas aux besoins du pouvoir adjudicateur et ne doit pas être prise en compte lors de la détermination de l’offre économiquement la plus avantageuse. Le pouvoir adjudicateur n’est donc, dans un tel cas, pas tenu de déterminer si le prix d’une telle offre est inférieur à ceux des offres non éliminées qui atteignent ledit seuil et correspondent donc aux besoins du pouvoir adjudicateur ». Les acheteurs peuvent donc prévoir de tels critères et la législation espagnole prévoyant cette possibilité est conforme au droit de l’Union. Pour autant, et comme l’a souligné Willy Zimmer (note sous l’arrêt, préc.), par cet arrêt la Cour de justice a inventé « la procédure ouverte « restreinte » »

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019 ; chronique contrats publics 04 ; Art. 238.

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ParJDA

La notion de contrat administratif et son régime : quelques évolutions

par Mathias AMILHAT,
Maître de conférences en Droit public – Université de Lille

Art. 237.

Les critères jurisprudentiels de définition de la notion de contrat administratif continuent de susciter des décisions importantes alors même qu’en pratique ces critères ont un champ d’application de plus en plus limité. D’autres décisions méritent toutefois l’attention, qu’il s’agisse de celles relatives au contentieux contractuel ou de celles concernant le pouvoir de résiliation reconnu aux personnes publiques contractantes.

Contrat administratif ou de droit privé : la clause exorbitante n’a pas fini de faire parler d’elle…

Le droit des contrats publics s’organise essentiellement autour de contrats nommés dont le régime juridique règle généralement la question de la nature administrative ou de droit privé des contrats en cause. Les exemples les plus significatifs découlent des Ordonnances relatives aux contrats de la commande publique – dont les dispositions sont reprises par le code – qui précisent que les marchés publics et les contrats de concession passés par des personnes publiques sont des contrats administratifs (articles 3 des deux ordonnances, article L6 du CCP).

Ce n’est donc qu’en-dehors de telles qualifications législatives que la question de la qualification des contrats est susceptible de se poser (pour un rappel récent : TC, 8 octobre 2018, n° 4125, Société Total Marketing France c/ Commune de Saint-Nazaire en Roussillon ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 269, obs. H. Hoepffner). Si tel est le cas, il faut mettre en œuvre les critères jurisprudentiels classiques. Ces critères imposent de combiner le critère organique avec l’un des critères matériels de définition. Pour être qualifié d’administratif, le contrat doit donc être passé par une personne publique et ce critère organique n’admet que des « semi-exceptions ». De plus, le contrat doit répondre à l’un des critères matériels de définition : soit parce que son objet présente un lien suffisamment étroit avec le service public (CE, 6 février 1903, Terrier ; rec. p. 94, concl. Romieu ; S. 1903.3.25, concl., note Hauriou ; CE, 4 mars 2010, Thérond ; rec. p.193, concl. Pichat ; S. 1911.3.17, concl., note Hauriou ; RD publ. 1910.249, note Jèze ; CE, sect., 20 avril 1956, Époux Bertin ; rec. p. 167 ; AJ 1956. II. 272. concl. Long et 221, chr. Fournier et Braibant ; RD publ. 1956.869, concl., note M. Waline ; D. 1956.433, note de Laubadère) ; soit parce qu’il contient une clause exorbitante du droit commun (CE 31 juill. 1912, Société des granits porphyroïdes des Vosges, rec. 909, concl. L. Blum) ; soit parce qu’il est soumis à un régime juridique du droit commun (CE, 19 janvier 1973, Société d’exploitation électrique de la Rivière du Sant, n°82338, CJEG 1973, p. 239, concl. M. Rougevin- Baville ; AJDA 1973, p. 358, chron. D. Léger et M. Boyon ; JCP 1974, 17629, A. Pellet ; Rev. Adm. 1973, p. 633, P. Amselek). La présentation des critères jurisprudentiels de définition des contrats administratif reste relativement stables depuis la reconnaissance de chacun des critères mais, du point de vue de leur contenu, certains de ces critères ont considérablement évolué. C’est notamment le cas du critère de la clause exorbitante du droit commun.

Traditionnellement, la clause exorbitante était définie par opposition aux clauses présentes dans les contrats de droit privé. On la définissait alors comme une clause qui impossible ou illicite dans un contrat de droit privé, mais on pouvait parfois considérer qu’il s’agissait simplement d’une clause inhabituelle ou anormale en droit privé (G. Vedel, « Remarques sur la notion de clause exorbitante » , Mél. A. Mestre, Sirey, 1956, p. 527 ; J. Lamarque, « Le déclin du critère de la clause exorbitante » , Mél. M. Waline, 1974, t. 2, p. 497). Pour pallier cette définition particulièrement absconse, l’habitude avait été prise de citer la formule de l’arrêt Stein définissant la clause exorbitante comme une « clause ayant pour objet de conférer aux parties des droits ou de mettre à leur charge des obligations étrangers par leur nature à ceux qui sont susceptibles d’être librement consentis par quiconque dans le cadre des lois civiles et commerciales » (CE, sect., 20 octobre 1950, Stein, rec. p. 505). La définition de la clause exorbitante n’en restait pas moins difficile à saisir et donnant finalement le sentiment d’être une notion à la libre appréciation du juge, ce dernier étant susceptible de la mobiliser au gré des affaires en fonction de sa volonté de capter ou non le contrat dans son champ de compétences…

C’est la raison pour laquelle le Tribunal des conflits a proposé une définition renouvelée de la clause exorbitante ! Dans son arrêt SA Axa France IARD, le Tribunal des conflits définit la clause exorbitante comme une « clause qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l’exécution du contrat, implique, dans l’intérêt général, qu’il relève du régime exorbitant des contrats administratifs » (TC, 13 octobre 2014, SA Axa France IARD, n°3963 ; BJCP n° 98/ 2015, p. 11, concl. F. Desportes ; AJDA 2014, p. 2180, chron. J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe ; DA 2015, comm. 3, note F. Brenet ; Contrats-Marchés publ. 2014, comm. 322, note G. Eckert ; RFDA 2015, p. 23, note J. Martin). Selon le Rapporteur public Frédéric Desportes cette formule permet de définir la clause exorbitante par rapport « à ce qui fait la spécificité de l’action administrative : l’accomplissement d’une mission d’intérêt général par la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique ». Elle doit également rendre la notion de clause exorbitante plus objective mais, malgré tout, il est difficile d’affirmer que la nouvelle notion de clause exorbitante serait plus précise dans sa définition que celle qui était utilisée auparavant et des questions demeurent. En effet, comment mesurer si une clause confie des prérogatives ou crée des obligations tellement spécifiques qu’elles impliquent la qualification administrative du contrat ? De plus, comment savoir si une clause est justifiée par l’intérêt général alors qu’il est déjà délicat de définir l’intérêt général ? C’est à ces questions que le Conseil d’Etat et le Tribunal des conflits tentent de répondre dans deux arrêts rendus en février 2018 mais, autant le dire tout de suite, ils peinent à convaincre.

C’est le Conseil d’Etat qui a tout d’abord eu à se prononcer sur la notion de clause exorbitante dans son arrêt du 5 février 2018 à propos de deux marchés passés par le Centre national d’études spatiales (CNES) pour la maintenance des installations et les moyens de fonctionnement du Centre spatial guyanais (CE, 5 févr. 2018, n° 414846, Centre national d’études spatiales ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 78, note M. Ubaud-Bergeron ; JCP A 2018, 2317, note F. Linditch). Saisi à propos des procédures de passation de ces deux marchés, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Guyane avait accepté d’en connaître et avait annulé les procédures de passation de deux des lots contenus dans ces marchés par deux ordonnances. Saisi dans le cadre d’un pourvoi contre ces ordonnances, le Conseil d’Etat devait se prononcer sur la compétence du juge du référé précontractuel du tribunal administratif. En effet, il n’était pas certain que les marchés en cause relèvent de la compétence de ce juge. Les marchés avaient été conclus par le CNES en application d’un accord passé entre le Gouvernement de la République française et l’Agence spatiale européenne, relatif au Centre spatial guyanais et aux prestations associées qui a été signé le 18 décembre 2008.

Cet accord international prévoit que le CNES, établissement public industriel et commercial de l’Etat, est l’autorité chargée, au nom du Gouvernement français, de l’exécution de l’accord pour les fonctions techniques et opérationnelles qui relèvent de sa compétence. En application de cet accord, une convention a été conclue entre le CNES et l’Agence spatiale européenne pour préciser les prestations à fournir par le CNES. Or, cette convention prévoit que les actes d’achat relatifs à ces prestations sont passés « en conformité avec les règles de passation des contrats du CNES dans la mesure où ces dispositions ne sont pas contraires aux obligations du CNES au titre du présent contrat ». En apparence, les choses peuvent sembler simples : les contrats passés par le CNES en application de la convention appliquant l’accord international sont passés comme tous les contrats passés par le CNES. Or, le CNES étant un établissement public industriel et commercial de l’Etat, les contrats passés pour répondre à ses besoins en termes de travaux, de fournitures ou de services et pour lesquels le cocontractant n’assume pas un risque d’exploitation sont des marchés publics. Mais, on le sait, les apparences sont souvent trompeuses. En effet, comme le relève le Conseil d’Etat, « les contrats du CNES, passés selon une procédure convenue entre le CNES et l’Agence spatiale européenne et financés majoritairement par celle-ci, relèvent du b) du 13° de l’article 14 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics et ne sont, comme tels, pas soumis à ladite ordonnance ». En effet, cette disposition exclut expressément du champ d’application de l’ordonnance « Les marchés publics qui sont conclus […] Selon la procédure convenue entre une organisation internationale et l’acheteur lorsque le marché public est cofinancé majoritairement par cette organisation internationale ».

Pour résumer, les marchés conclus par le CNES en application de la convention sont passés comme tous les contrats passés par le CNES et devraient donc être des marchés publics relevant de l’ordonnance relative aux marchés publics, mais cette même ordonnance exclut expressément de tels contrats de son champ d’application. Dès lors, pour déterminer si le juge du référé précontractuel était bien compétent pour se prononcer sur la validité de tels contrats, le Conseil d’Etat devait d’abord s’interroger sur leur qualification juridique. En effet, comme le relève le juge, l’exclusion de ces marchés du champ d’application de l’ordonnance signifie que « ces contrats n’ont pas le caractère de contrats administratifs par détermination de la loi ». C’est ce qui explique que le Conseil d’Etat cherche à appliquer les critères jurisprudentiels de définition des contrats administratifs.

En réalité, le juge ne s’embarrasse pas et ne détaille pas les différents critères. D’abord, il ne précise expressément que le critère organique est rempli même si l’arrêt indique clairement que le CNES est un établissement public industriel et commercial de l’Etat, c’est-à-dire une personne publique. Ensuite, et surtout, il n’envisage pas les différents critères matériels utilisables pour qualifier un contrat passé par une personne publique de contrat administratif. Il n’envisage pas une qualification fondée sur l’objet du contrat – alors même que le lien avec une mission de service public aurait pu être recherché même s’il est vrai que celui-ci est rarement suffisant pour le juge – ni une qualification fondée sur la soumission à un régime exorbitant. C’est donc le critère de la clause exorbitante, conformément à la nouvelle définition retenue, que le Conseil d’Etat applique ici. Et il considère que le « renvoi au cahier des clauses administratives générales des marchés de fournitures courantes et de services et l’application du cahier des clauses administratives particulières du CNES doivent être regardés comme introduisant dans ces contrats des clauses impliquant dans l’intérêt général qu’ils relèvent d’un régime exorbitant de droit public ». Cette solution peut paraître surprenante car le renvoi à des cahiers des clauses n’est pas propre aux contrats administratifs : les marchés publics de droit privé renvoient fréquemment à de tels documents. En réalité, c’est donc le contenu du cahier des clauses administratives particulières du CNES qui semble justifier la reconnaissance de clauses exorbitantes car, comme le relève le juge, ce CCAP « confère à l’établissement public des prérogatives particulières à l’égard de ses cocontractants pour assurer, pour le compte de l’État, sa mission régalienne tendant à l’exécution des engagements internationaux liant la France à l’Agence spatiale européenne ». Le juge administratif en déduit donc que le contrat est un contrat administratif, avant de reconnaitre la compétence du juge du référé précontractuel en interprétant largement son office. Il considère en effet que l’exclusion de l’ordonnance relative aux marchés publics n’empêche pas la compétence de ce juge du référé précontractuel dès lors que l’objet du contrat correspond aux « prestations de services dont le juge du référé précontractuel peut connaître en vertu de l’article L. 551-1 du code de justice administrative ».

Pour autant, l’identification d’une clause exorbitante ne nous informe pas réellement sur la définition de cette notion. Le juge ne précise pas quels sont les prérogatives particulières reconnues, tant et si bien que l’on semble comprendre que c’est la relation inégalitaire entre les cocontractants qui justifie l’identification de clauses exorbitantes du droit commun. Si tel est le cas, le problème reste le même que lorsque l’ancienne définition de la clause exorbitante était retenue : il s’agit simplement de clauses inhabituelles dans les contrats de droit privé (et encore !) et c’est donc le juge qui a véritablement le dernier mot pour les identifier comme des clauses exorbitantes ou non.

Un même reproche peut être adressé au Tribunal des conflits. En effet, il a lui aussi dû appliquer la nouvelle définition de la notion de clause exorbitante dans son arrêt du 22 février 2018 (TC, 12 février 2018, n° 4109, SCP Ravisse, mandataire liquidateur judiciaire de la SARL The Congres House c/ Cne Saint-Esprit ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 77, note J.-P. Pietri ; JCP A 2018, act. 176, veille F. Tesson ; AJDA 2018, p. 1721, note J.-M. Pontier). Le litige en cause concernait un contrat conclu le 15 juin 2001 par la commune de Saint-Esprit avec la SARL The Congres House. Ce contrat avait pour objet la mise à disposition de la salle de spectacle communale pour que cette société programme et organise des manifestations culturelles. Ce contrat avait été conclu pour une durée de trois ans avec renouvellement par tacite reconduction d’une durée d’un an. Après plusieurs renouvellements tacites, la commune a décidé de ne pas renouveler le contrat à compter de son échéance le 1er juin 2007. Le mandataire liquidateur judiciaire de la SARL a contesté cette décision de non-renouvellement devant les juridictions judiciaires mais, la cour d’appel de Fort-de-France puis la Cour de cassation, ont décliné leur compétence. Le mandataire a dès lors saisi le tribunal administratif de Basse-Terre qui a rejeté sa demande sur le fond. Il a dès lors interjeté appel et la cour administrative d’appel de Bordeaux a quant à elle estimé que le contrat n’était pas administratif et renvoyé l’affaire au Tribunal des conflits pour qu’il règle la question de compétence. Il devait dès lors se prononcer sur la question de savoir si un contrat passé par une commune avec une société et ayant pour objet la mise à disposition d’une salle pour que cette société organise des manifestations culturelles peut être considéré comme un contrat administratif.

En l’espèce, le critère organique de définition des contrats administratifs est rempli même si cela n’est pas explicitement indiqué. Surtout, le Tribunal des conflits ne s’embarrasse pas à détailler quels sont les critères matériels susceptibles d’être mobilisés pour qualifier le contrat en cause. Il s’interroge en effet directement sur la présence ou non d’une clause exorbitante, sans envisager la possibilité que le contrat présente un lien suffisant avec le service public – ou même qu’il soit soumis à un régime exorbitant du droit commun. Le juge départiteur se contente de relever que le contrat permettait à la commune d’ «  intervenir de façon significative dans l’activité de la société, d’une part, en imposant à celle-ci la communication préalable de ses programmes à la commune et, d’autre part, en lui imposant de laisser la commune organiser douze manifestations pendant l’année ainsi que, avec de très courts préavis, deux manifestations mensuelles à sa convenance ». Il en déduit donc « que compte tenu des prérogatives ainsi reconnues à la personne publique, le contrat litigieux devait être regardé comme comportant des clauses qui impliquaient, dans l’intérêt général, qu’il relève du régime exorbitant des contrats administratifs ».

Ainsi, une clause qui permet une intervention « significative » de la personne publique dans les activités de son cocontractant dans un but d’intérêt général semble devoir être considérée comme une clause exorbitante. L’arrêt rendu a ainsi le mérite d’opérer une distinction incidente entre les clauses prévoyant des interventions « significatives » et celles qui ne prévoiraient que des interventions « non significatives », même si le juge ne les envisage pas ici. Les premières sont, à la différence des secondes, des clauses exorbitantes. Pour autant, la clarté n’est toujours pas de mise et il est possible de demander sur quels fondements le juge peut-il distinguer ce qui est significatif et ce qui ne l’est pas… 

Contrat administratif ou de droit privé : le lien avec le service public ne saurait être apprécié trop largement…

La clause exorbitante n’est pas la seule à faire parler d’elle lorsqu’il est question de la qualification jurisprudentielle de contrats passés par des personnes morales de droit public. Le critère matériel fondé sur l’objet en lien avec le service public est également susceptible d’être invoqué, comme le démontre l’arrêt rendu par le Tribunal des conflits le 12 février 2018 (TC, 12 février 2018, n° 4108, Pierre c/ Crédit municipal de Paris ; AJDA 2018, p. 307, obs. E. Maupin ; Contrats-marchés publ. 2018, comm. 90, note P. Devillers). La question posée au Tribunal des conflits concernait un contrat de vente conclu par un crédit municipal avec une personne privée consécutivement à une vente aux enchères. En l’espèce, Monsieur K. avait placé en dépôt une statue en bronze de Bacchus au crédit municipal de Paris. Il avait obtenu en contrepartie un prêt d’un montant de 1 400 000 euros mais, sans attendre le terme du prêt, il a sollicité la vente du bien remis en gage. Celui-ci a été vendu aux enchères et acquis par Monsieur M. pour un prix de 1 800 000 euros. Toutefois, des expertises ont mis en doute l’authenticité de la statue et l’acquéreur s’est retourné contre la Caisse de crédit municipal de Paris, le groupement d’intérêt économique des commissaires-priseurs appréciateurs de la caisse, l’expert ayant évalué la statue ainsi que leurs assureurs pour obtenir l’annulation de la vente et la réparation de ses préjudices. La caisse de crédit municipal de Paris a alors assigné Monsieur K. en intervention forcée. Le TGI de Paris a annulé la vente pour erreur sur les qualités substantielles de l’œuvre, ce qui a été confirmé en appel. Monsieur K s’est pourvu en cassation – principalement pour obtenir le remboursement de sommes par le crédit municipal – mais la Cour de cassation a renvoyé au Tribunal des conflits la question de la compétence en estimant qu’elle soulevait une difficulté sérieuse. Le Code monétaire et financier (CMF) définit les caisses de crédit municipal comme des « établissements publics communaux de crédit et d’aide sociale ». Les contrats passés par ces personnes publiques sont donc susceptibles d’être qualifiés de contrats administratifs lorsque l’un des critères matériels de définition est rempli. La présence d’une clause exorbitante ou la soumission à un régime exorbitant du droit commun ne sont pas envisagées en l’espèce, à n’en pas douter parce que le contrat conclu à la suite de la vente aux enchères est un contrat tout ce qu’il y a de plus classique au sens du droit privé. En revanche, la question de la présence du critère matériel fondé sur l’objet de service public se posait en l’espèce, ce qui justifie le renvoi opéré par la Cour de cassation. En effet, comme le soulignait Hauriou, les établissements publics sont des services publics personnifiés. Cette définition de l’établissement public n’est plus vraiment admise aujourd’hui mais elle continue de traduire une réalité : en principe, un établissement public gère une mission de service public. C’est le cas des caisses de crédit municipal qui « ont notamment pour mission de combattre l’usure par l’octroi de prêts sur gages corporels dont elles ont le monopole » (art. L. 514-1 du Code monétaire et financier). La question posée était alors assez simple en définitive : est-ce que le contrat conclu à la suite de la vente aux enchères présentait un lien suffisant avec cette mission de service public pour pouvoir qualifier ce contrat de contrat administratif ? Assez simple dans sa formulation, cette question n’appelait pas une réponse évidente si l’on considère le choix de renvoyer effectué par la Cour de cassation. L’hésitation de la Cour s’explique sans doute par le fait que dans d’autres domaines le Tribunal des conflits a reconnu la compétence du juge administratif pour des contrats à propos de contrats passés par les caisses de crédit municipal (TC, 22 sept. 2003, n° 3349 ; Thomas c/ Crédit municipal de Dijon ; JCP G. 2004, 1251). Il s’agissait toutefois de contrats de recrutements d’agents ou des contrats de nomination et de révocation des appréciateurs (CE, 29 novembre 1946, Charles : rec. p. 373). Ces solutions ne trouvent pas de prolongement en l’espèce. Le Tribunal des conflits affirme en effet sans ambages que « la mise en vente aux enchères publiques des biens remis en gage ne participe pas à l’accomplissement de cette mission de service public de prêts sur gages corporels » et conclut donc à la nature privée du contrat ainsi qu’à la compétence de la juridiction judiciaire. Pourtant, si elle se détache des solutions relatives aux agents recrutés et aux appréciateurs nommés par les caisses de crédit municipal, cette décision s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence concernant le critère matériel fondé sur l’objet du contrat en lien avec le service public. Un contrat passé par une personne publique ne sera qualifié d’administratif que si son objet présente un lien suffisamment étroit avec un service public (par exemple : TC, 8 février 2015, Société Senseo, n°3982, Contrats-Marchés publ. 2015, comm. 81, obs. H. Hoepffner), ce qui n’est clairement pas le cas du contrat conclu par une caisse de crédit municipal et un acquéreur à la suite d’une vente aux enchères portant sur un bien mis en gage.

Contrat administratif ou de droit privé : interprétation stricte de la notion de marché public justifiant la mise en œuvre des critères jurisprudentiels pour un contrat portant sur la cession de droits à certificat d’économies d’énergie

Les marchés publics passés par des personnes morales de droit public sont, depuis longtemps, qualifiés de contrats administratifs par détermination de la loi. Actuellement, c’est l’article 3 de l’Ordonnance du 23 juillet 2015 qui prévoit cette qualification pour les marchés publics. Elle sera reprise par l’article L. 6 du code de la commande publique pour l’ensemble des contrats soumis au code passés par des personnes morales de droit public. Dès lors, lorsqu’une personne publique passe un marché public, ce contrat est automatiquement soumis au régime juridique des contrats administratifs et, notamment, au régime contentieux de ces contrats. Pour autant, la notion de marché public est interprétée strictement par le juge administratif afin de ne pas susciter un accroissement trop important du nombre de contrats qualifiables d’administratifs par détermination de la loi. C’est précisément ce qu’est venu rappeler le Conseil d’Etat dans son arrêt du 7 juin 2018 (CE, 7 juin 2018, n° 416664, Sté Géo France ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 180, note M. Ubaud-Bergeron ; AJDA 2018, p. 2278). En l’espèce, il s’agissait d’un contrat passé par le syndicat intercommunal pour le recyclage et l’énergie par les déchets et ordures ménagères (SIREDOM). Le SIREDOM a conclu un marché de conception-réalisation avec la société Eiffage. Ce marché vise à adapter une unité d’incinération gérée par le syndicat pour qu’elle produise de la chaleur et aliment le réseau urbain de la communauté d’agglomération Grand Paris Sud. Le SIREDOM a alors décidé de céder des certificats d’économie d’énergie produits par l’opération. Il a alors publié une consultation publique dans un journal d’annonces légales visant à conclure un accord d’incitation financière CEE et c’est la société Capital Energy qui a été retenue comme cocontractant. La société Géo France Finance, dont l’offre a été rejetée, a saisi ke juge du référé contractuel du tribunal administratif de Versailles qui a rejeté sa demande en considérant que le contrat conclu ne faisait pas partie de ceux susceptibles de justifier sa saisine. Saisi d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat devait donc se prononcer sur la compétence du juge du référé contractuel et, plus largement, sur la qualification administrative du contrat. En effet, l’article L. 551-1 du code de justice administrative – auquel renvoie l’article L. 551-13 – précise que le juge des référés contractuel et précontractuel « peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, la délégation d’un service public ou la sélection d’un actionnaire opérateur économique d’une société d’économie mixte à opération unique ». Dès lors, le Conseil d’Etat précise que, pour savoir s’il est compétent, le juge du référé contractuel doit avant tout vérifier si le contrat en cause est un contrat administratif. Or, pour vérifier cette qualification, le Conseil d’Etat retient un raisonnement en deux temps : il rejette d’abord la qualification législative du contrat, avant de vérifier – pour rejeter cette option également – si les critères jurisprudentiels de définition sont remplis. Il commence en effet par préciser qu’un contrat portant sur la cession de certificats d’économies d’énergie par un syndicat intercommunal chargé du recyclage des déchets n’est pas un marché public. En effet, le juge considère qu’un tel contrat « qui ne comporte ni exécution de travaux, ni livraison de fournitures, ni prestation de services de la part du cocontractant, n’a pas pour objet de satisfaire un besoin du SIREDOM au moyen d’une prestation en échange d’un prix ». On retrouve la définition restrictive du droit français selon laquelle les marchés publics doivent répondre directement aux besoins de l’acheteur en termes de travaux, de fournitures ou de services.  En réalité, ce qui bloque le juge c’est la position de la personne publique qui, en l’espèce, « n’est pas en position de demandeur sur un tel montage contractuel, mais en position d’offreur » (M. Ubaud-Bergeron, note sous l’arrêt, préc.). Le juge en conclut donc que le contrat passé n’est pas un marché public et que, par conséquent, il n’est pas un contrat administratif par détermination de la loi. Il va donc, dans un second temps, et de manière extrêmement laconique, s’intéresser aux critères jurisprudentiels de définition des contrats administratifs. Le SIREDOM étant une personne publique, la question était donc de savoir si les critères matériels de définition étaient remplis. Sur ce point, le Conseil d’Etat se contente de renvoyer à l’analyse menée par le juge du tribunal administratif de Versailles pour relever que le contrat « ne fait pas non plus participer la société cocontractante à l’exécution du service public et ne comporte pas de clauses qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l’exécution du contrat, impliquent, dans l’intérêt général, qu’il relève du régime exorbitant des contrats administratifs ». Le lien avec le service public n’est donc pas suffisant en l’espèce et les clauses du contrat ne sont pas exorbitantes du droit commun : le juge en conclut donc que le contrat est de droit privé et que le juge des référés n’a pas commis d’erreur de droit en rejetant la demande présentée devant lui. Pour autant, ce n’est pas tant l’absence des critères jurisprudentiels qui mérite l’intérêt dans cette affaire mais bien la conception restrictive de la notion de marché public qui est retenue pour rejeter la qualification légale de contrat administratif. Il convient d’ailleurs de souligner que, sur le fond et du point de vue du droit de l’Union européenne, un tel contrat devrait être – au minimum – soumis aux règles et principes fondamentaux qui découlent du TFUE, c’est-à-dire aux principes fondamentaux de la commande publique. En effet, la position d’offreur ou de demandeur n’a pas d’incidence sur la soumission à ces règles lorsque la passation du contrat a des effets vis-à-vis de la concurrence sur le marché. Reste à savoir si, saisi d’un tel contrat, le juge judiciaire mettra en œuvre ces principes.

Recours pour excès de pouvoir des tiers au contrat : redéfinition de la clause réglementaire

Le Conseil d’Etat poursuit son travail de redéfinition du contentieux en matière de contrats publics en le recentrant autour du contentieux contractuel au détriment du recours pour excès de pouvoir (CE, 9 févr. 2018, n° 404982, Communauté d’agglomération Val d’Europe agglomération ; AJDA 2018, p. 1168, note Q. Alliez ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 88, note G. Eckert). Ce travail a démarré avec l’arrêt Tarn-et-Garonne lorsque le juge a permis aux tiers intéressés de saisir le juge du contrat d’un recours au fond en contestation de validité, tout en leur fermant la porte du recours pour excès de pouvoir (CE, ass., 4 avr. 2014, n° 358994, Département de Tarn-et-Garonne ; RFDA 2014, p. 425, concl. B. Dacosta, p. 438, note P. Delvolvé ; DA 2014, comm. 36, note F. Brenet ; JCP A 2014, 2152, note J.-F. Sestier ; JCP A 2014, 2153, note S. Hul ; Contrats-Marchés publ. 2014, repère 5, note F. Llorens et P. Soler-Couteaux, étude 5, Ph. Rees ; JCP G 2014, doctr. 732, étude P. Bourdon ; RDI 2014, p. 344, note S. Braconnier ; RJEP 2014, comm. 31, note J.-F. Lafaix). Ce mouvement a été confirmé par l’abandon de la jurisprudence LIC concernant la possibilité de contester par la voie du recours pour excès de pouvoir le refus de résilier un contrat : là encore le Conseil d’Etat a préféré permettre aux tiers de saisir le juge du contrat en leur fermant l’accès au juge de l’excès de pouvoir contre les actes détachables de l’exécution du contrat (CE, sect., 30 juin 2017, n° 398445, Syndicat mixte de promotion de l’activité transmanche-SMPAT ; AJDA 2017, p. 1359 et p. 1669, chron. G. Odinet et S. Roussel ; AJ contrat 2017, p. 387, obs. J.-D. Dreyfus ; AJCT 2017, p. 455, obs. S. Hul ; RFDA 2017, p. 937, concl. G. Pellissier ; DA 2017, comm. 51, note F. Brenet ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 249, note J.-P. Pietri ; repère 8, F. Llorens et P. Soler-Couteaux ; Journal du Droit Administratif (JDA), 2018 ; chronique contrats publics 03 ; Art. 229 ; http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=2285 ). En l’espèce, le contentieux concernait un contrat passé entre l’Etat et la SANEF (la Société des Autoroutes du Nord et de l’Est de la France). Le président de la communauté d’agglomération Val d’Europe agglomération a demandé au Premier ministre d’abroger les annexes de l’article 47.2 g) du cahier des charges de la convention car ces annexes ne prévoyaient pas la réalisation du barreau de liaison entre l’autoroute A4 et la RN 36 déclarée d’utilité publique par un arrêté préfectoral du 27 juillet 2012. Le Premier ministre n’ayant pas répondu à sa demande, il a saisi le juge d’un recours pour excès de pouvoir visant à faire annuler la décision de refus implicite. Le fond de l’affaire importe peu. Le Conseil d’Etat devait surtout se prononcer sur deux questions : celle de savoir si un tiers peut contester par la voie de l’excès de pouvoir le refus d’abroger des clauses réglementaires illégales, et celle de la définition desdites clauses réglementaires. Sur la première question, le Conseil d’Etat répond clairement et par l’affirmative. Il rappelle d’abord la jurisprudence Cayzeele (CE, 10 juill. 1996, n° 138536, Cayzeele ; rec. p. 274 ; AJDA 1996, p. 807, chron. D. Chauvaux et T.-X. Girardot ; RFDA 1997, p. 89, note P. Delvolvé ; CJEG 1996, p. 381, note Ph. Terneyre) admettant le recours pour excès de pouvoir des tiers contre les clauses réglementaires des contrats administratifs en précisant « qu’indépendamment du recours de pleine juridiction dont disposent les tiers à un contrat administratif pour en contester la validité, un tiers à un contrat est recevable à demander, par la voie du recours pour excès de pouvoir, l’annulation des clauses réglementaires contenues dans un contrat administratif qui portent une atteinte directe et certaine à ses intérêts ». Il admet ensuite que les tiers peuvent également contester par la voie du recours pour excès de pouvoir le refus d’abroger de telles clauses en indiquant que tout tiers est « également recevable à demander, par la même voie, l’annulation du refus d’abroger de telles clauses à raison de leur illégalité ». Comme le souligne Gabriel Eckert, « cette précision est importante car une telle voie de droit n’est pas enfermée dans des délais de procédures aussi rigoureux que ceux du recours pour excès de pouvoir direct ou du recours en contestation de la validité du contrat » (G. Eckert, « Clauses réglementaires : définition et régime contentieux », note sous CE, 9 févr. 2018, n° 404982, Communauté d’agglomération Val d’Europe agglomération, préc.). En l’espèce, cela impliquait donc que le président de la communauté d’agglomération pouvait bien saisir le juge de l’excès de pouvoir…à condition que les clauses contestées soient des clauses réglementaires. Et c’est pour cela que le Conseil d’Etat a dû répondre à la seconde question. Il devait déterminer si les clauses du cahier des charges qui étaient contestées étaient ou non des clauses réglementaires. Cette affaire lui donne l’occasion de donner une nouvelle définition de la clause réglementaire, plus précise, qui restreint l’accès des tiers au juge de l’excès de pouvoir. Le Conseil d’Etat précise en effet que « que revêtent un caractère réglementaire les clauses d’un contrat qui ont, par elles-mêmes, pour objet l’organisation ou le fonctionnement d’un service public ». Or, il définit strictement ce que sont de telles clauses dans le cadre d’une convention de concession autoroutière. Le juge administratif considère en effet que font « notamment » partie « de cette catégorie les clauses qui définissent l’objet de la concession et les règles de desserte, ainsi que celles qui définissent les conditions d’utilisation des ouvrages et fixent les tarifs des péages applicables sur le réseau concédé » mais « qu’en revanche, les stipulations relatives notamment au régime financier de la concession ou à la réalisation des ouvrages, qu’il s’agisse de leurs caractéristiques, de leur tracé, ou des modalités de cette réalisation, sont dépourvues de caractère réglementaire et revêtent un caractère purement contractuel ». Le Conseil d’Etat en déduit donc, en l’espèce, que les clauses contestées « qui portent sur la reconfiguration de l’échangeur autoroutier de Bailly-Romainvilliers et déterminent les conditions de réalisation d’un aménagement complémentaire à cet échangeur, et sont ainsi relatives à la réalisation d’ouvrages, ne présentent pas un caractère réglementaire » et il en déduit que les conclusions présentées sont donc irrecevables. Cette définition de la clause réglementaire ne constitue pas une innovation totale mais elle permet « une systématisation (des clauses réglementaires) autour du fonctionnement et de l’organisation du service » tout en « les distinguant de la réalisation de l’ouvrage qui recouvre les stipulations prévoyant les caractéristiques, le tracé ou encore les modalités de la réalisation » (Q. Alliez, « Une définition de la clause réglementaire ? Oui. Une simplification du contentieux ? Non », note sous CE, 9 févr. 2018, n° 404982, Communauté d’agglomération Val d’Europe agglomération, préc.). Comme cela a été souligné, cette solution confirme surtout la volonté du juge administratif de réduire le champ d’application du recours pour excès de pouvoir en matière contractuelle au bénéfice du recours de plein contentieux devant le juge du contrat. Bénéfique en apparence car il met en avant la volonté de permettre aux tiers de saisir un juge aux pouvoirs étendus, ce mouvement doit toutefois être apprécié avec réalisme : les recours ouverts devant le juge du contrat restent des recours subjectifs alors que le recours pour excès de pouvoir constitue le recours objectif par excellence (en ce sens, v. F. Lafaille, « La jurisprudence Tarn-et-Garonne ou le tiers « sans qualité », AJDA 2018, p. 1201). En développant les premiers au détriment du second, le Conseil d’Etat risque – au moins dans certains cas – d’affaiblir la protection de la légalité objective.

Pas de Béziers II contre le refus de renouveler une convention d’occupation du domaine public

L’installation des équipements de téléphonie mobile est à l’origine d’un nombre important de contentieux. Dans son arrêt du 6 juin 2018, le Conseil d’Etat rappelle que les collectivités sont libres d’autoriser ou non l’installation de ces équipements sur leur domaine et qu’il n’existe pas de droit au maintien des équipements installés pour les opérateurs (CE, 6 juin 2018, n° 411053, Sté Orange ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 202, note G. Eckert ; AJCT 2018, p. 572, note J.-D. Dreyfus ; AJDA 2018, p. 1189). En l’espèce, la commune de Languidic avait signé en 2002 une convention avec la société Orange l’autorisant pour une durée de douze ans à installer des équipements techniques de radiotéléphonie mobile sur le château d’eau de Lanveur et sur une partie du terrain d’assiette de cet ouvrage. Cette convention prévoyait la mise en œuvre de reconductions de plein droit par périodes successives de deux ans, sauf dénonciation par l’une des parties, par lettre recommandée avec accusé de réception, six mois avant la date d’expiration de la période en cours. Or, par un courrier du 28 novembre 2013, le président de la communauté d’agglomération Lorient Agglomération – qui s’était substituée à la commune de Languidic à compter du 1er janvier 2012 – a justement décidé de s’opposer à la reconduction de la convention et a proposé à la société Orange de conclure une nouvelle convention ou de procéder au retrait de ses équipements. La société a alors saisi le tribunal administratif de Rennes pour contester la décision de ne pas renouveler la convention et demander la reprise des relations contractuelles. Elle contestait également la validité de la mise en demeure du 23 juin 2014 de procéder au démontage des équipements de radiotéléphonie. Le tribunal administratif de Rennes et la cour administrative d’appel de Nantes ayant rejeté ses arguments, la société Orange s’est pourvue en cassation devant le Conseil d’Etat. Le Conseil d’Etat devait déterminer si la jurisprudence dite « Béziers II » (CE, sect., 21 mars 2011, n° 304806, Commune de Béziers ; rec. p. 117 ; Contrats-Marchés publ. 2011, comm. 150, obs. J.-P. Pietri ; DA 2011, comm. 46, obs. F. Brenet et F. Melleray ; RFDA 2011, p. 507, concl. E. Cortot-Boucher ; RJEP 2011, comm. 44, obs. Ph. Cossalter) – c’est-à-dire l’action en reprise des relations contractuelles – s’applique au refus de reconduire une convention d’occupation du domaine public. Cette question se posait notamment au regard de l’arrêt Commune de Port-Vendres dans lequel le Conseil d’Etat accepte de contrôler la décision de l’administration qui refuse de faire droit à une demande de renouvellement d’un contrat domanial en vérifiant si cette décision a été prise pour un motif d’intérêt général suffisant (CE 25 janv. 2017, n° 395314, Commune de Port-Vendres ; AJDA 2017, p. 1232, note N. Foulquier ; DA 2017, comm. 21, note F. Brenet). Le Conseil d’Etat rejette, malgré tout, les arguments avancés par la société et la possibilité de demander la reprise des relations contractuelles. Il précise en effet qu’ « eu égard à la portée d’une telle décision, qui n’a ni pour objet, ni pour effet de mettre unilatéralement un terme à une convention en cours, le juge du contrat peut seulement rechercher si elle est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à une indemnité ». Cette solution, si elle peut être regrettée par les requérants, permet malgré tout de protéger les droits dont disposent les personnes publiques propriétaires sur leurs dépendances. Elle leur permet, notamment, de renégocier les conventions conclues de manière régulière afin de valoriser au mieux l’exploitation économique de leur domaine.

Le pouvoir de résiliation pour faute des personnes publiques s’efface devant la loi

Parmi les droits et devoirs spécifiques des cocontractants induits par la théorie générale des contrats administratifs, on retrouve le pouvoir de sanction de l’administration. Elle peut ainsi prononcer des sanctions pécuniaires, des sanctions coercitives, mais également des sanctions résolutoires. Ces dernières permettent à la personne publique de prononcer la résiliation du contrat administratif en cas de faute du cocontractant. Il faut alors distinguer ce pouvoir de résiliation pour faute ou pouvoir de prononcer des sanctions résolutoires, du pouvoir de résiliation unilatérale qui ne nécessite pas l’existence d’une faute. Ce pouvoir de résiliation pour motif d’intérêt général est lui-même encadré, comme le démontre la condamnation récente de l’Etat pour faute à la suite de la résiliation non justifiée des contrats passés avec la société Ecomouv après que l’Etat ait renoncé à l’écotaxe (TA Cergy-Pontoise, 18 juill. 2018, n° 1507487, Sté A ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 247, note M. Ubaud-Bergeron ; AJDA 2018, p. 1523 ; p. 2302, concl. G. Mornet ; AJCT 2018, p. 623, note J.-D. Dreyfus). Le pouvoir de résiliation pour faute repose quant à lui sur une logique différente car il vient sanctionner un comportement fautif du cocontractant. Son existence peut être reconnue au profit de la personne publique par les dispositions du contrat mais, même en l’absence de dispositions contractuelles, les personnes publiques peuvent prononcer des sanctions résolutoires (CE, 30 septembre 1983, SARL Comexp, n°26611, rec. p. 393). Or, dans son arrêt du 27 juin 2018, le Conseil d’Etat a dû rappeler que ce pouvoir de résiliation pour faute n’est pas sans limites et doit notamment céder face à des dispositions législatives expresses contraires (CE, 27 juin 2018, n° 408061, Société GPE ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 222, note M. Ubaud-Bergeron). En l’espèce, il était question d’un marché public passé par l’office public de l’habitat (OPH) Nord Deux-Sèvres avec la société Groupement Perspectives et Entreprises (GPE) Audit et Conseil. L’objet de ce contrat portait sur des missions de commissariat aux comptes pour les six exercices 2010 à 2015 et sur une mission d’audit. Toutefois, un peu plus d’un an après la signature du contrat, l’OPH a décidé de prononcer la résiliation pour faute du contrat conformément au pouvoir de sanction qui lui était reconnu par le cahier des clauses administratives particulières et par le cahier des clauses administratives générales applicables au contrat. La société a contesté cette résiliation pour faute mais le tribunal administratif de Poitiers et la cour administrative d’appel de Bordeaux ont rejeté ses arguments. Saisi en cassation, le Conseil d’Etat retient un raisonnement différent en raison de l’objet spécifique du marché public en cause. En effet, l’exercice des missions de commissariat aux comptes relève de dispositions spécifiques du code de commerce. Or, les articles L. 823-7 et R. 823-5 du code de commerce prévoient que les commissaires aux comptes ne peuvent être relevés de leurs fonctions qu’en application d’une décision du tribunal de commerce. Le Conseil d’Etat en déduit donc que la personne publique ne pouvait pas résilier le contrat sans obtenir au préalable une décision du tribunal de commerce. Cela signifie donc que le contrat ne peut pas déroger à des dispositions législatives expresses mais également que le pouvoir de résiliation pour faute cède le pas face à de telles dispositions !

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019 ; chronique contrats publics 04 ; Art. 237.

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ParJDA

Les évolutions du droit de la commande publique : entre (r)évolutions textuelles et précisions jurisprudentielles

par Mathias AMILHAT,
Maître de conférences en Droit public – Université de Lille

Art. 236.

Le droit de la commande publique a connu des changements importants au cours de l’année 2018. Parmi ces changements, ce sont les évolutions textuelles qui focaliseront l’attention des observateurs lors des prochains mois. Trois changements d’importance inégale sont en effet survenus. Tout d’abord, la loi de programmation militaire est venue modifier les règles applicables aux marchés publics de défense et de sécurité afin de mieux tenir compte de la spécificité de ces contrats et des potentialités offertes par le droit de l’Union à ce sujet. Ensuite, la dématérialisation imposée par les directives de 2014 est entrée en vigueur le 1er octobre 2018 – après une période d’adaptation fixée par les textes de transposition. Il est difficile de déterminer si cette dématérialisation permettra d’atteindre les bénéfices escomptés : facilitera-t-elle notamment l’accès des opérateurs économiques aux procédures de passation en entraînant un accroissement de la concurrence ? Permettra-t-elle vraiment aux acheteurs de réaliser des économies ? Enfin et surtout, le code de la commande publique a été publié le 5 décembre 2018 pour une entrée en vigueur le 1er avril 2019. Cette publication éait attendue depuis l’adoption de la loi Sapin 2 mais la consultation publique organisée au printemps 2018 permettait de s’interroger sur le contenu exact de ce code. Comme pour la dématérialisation, ce sont les mois voire les années à venir qui permettront de saisir véritablement l’impact de la codification opérée. De plus, une analyse plus détaillée du contenu du code devrait être proposée avant son entrée en vigueur. Malgré tout, quelques remarques initiales méritent d’être formulées dès à présent.

Au-delà des révolutions textuelles, la jurisprudence de ces derniers mois mérite elle aussi l’attention des observateurs. Elle permet, notamment, de mieux saisir le contenu des textes adoptés lors de la réforme de la commande publique de 2015 et 2016 et d’anticiper certaines interprétations qui seront données des dispositions du code lorsqu’il entrera en vigueur. Les décisions rendues permettent par ailleurs, comme à leur habitude, de croiser les points de vue des juges français et européen et de mesurer la convergence progressive des solutions retenues.

Première (r)évolution : des modifications substantielles pour les règles applicables aux marchés publics de défense et de sécurité

La loi de programmation militaire est venue modifier – entre autres dispositions – un certain nombre de règles fixées par l’Ordonnance du 23 juillet 2015 (L. n° 2018-607, 13 juill. 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense : JO 14 juill. 2018, texte n° 1 ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 206, note G. Clamour). Les réformes introduites s’agissant des marchés publics de défense et de sécurité poursuivent une double logique : la volonté de remettre en cause les sur-transpositions opérées par l’Ordonnance et la recherche de davantage de souplesse pour les acheteurs qui passent de tels marchés. Parmi les changements introduits, la loi modifie la définition organique des marchés publics de défense ou de sécurité fixée par l’article 6 de l’Ordonnance pour permettre la prise en compte des marchés passés par les établissements publics industriels et commerciaux de l’Etat. Auparavant, les seuls acheteurs susceptibles de passer de tels marchés étaient l’Etat et ses établissements publics administratifs, ce qui signifiait que les établissements publics industriels et commerciaux de l’Etat passaient en principe des marchés publics « ordinaires », y compris lorsque ces marchés portaient sur la défense ou la sécurité. Cette distinction parmi les établissements publics de l’Etat n’étant pas imposées par les directives, la loi corrige la définition sur ce point. De la même manière, la loi modifie l’article 47 de l’Ordonnance. Cet article, qui concerne les dérogations possibles aux interdictions de soumissionner, envisageait de la même manière les marchés publics « ordinaires » et les marchés publics de défense et de sécurité en fixant trois conditions cumulatives. Or, les directives européennes n’imposaient ces trois conditions que pour les marchés publics « ordinaires » : il faut que l’admission de l’opérateur économique normalement exclu soit justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général, que le marché public en cause ne puisse être confié qu’à ce seul opérateur économique et qu’un jugement définitif d’une juridiction d’un Etat membre de l’Union européenne n’exclut pas expressément l’opérateur concerné des marchés publics. A l’inverse, les textes européens n’exigent qu’une seule condition pour les marchés de défense et de sécurité. Cette distinction est désormais reprise et l’article 47 permet aux acheteurs d’admettre des dérogations aux interdictions de soumissionner sans exiger d’autres conditions que des raisons impérieuses d’intérêt général pour les marchés de défense et de sécurité. La sur-transposition est, sur ce point également, gommée par la loi. De plus, la loi est venue introduire de nouvelles exclusions spécifiques pour les marchés publics de défense ou de sécurité à l’article 16 de l’Ordonnance (16, 3° et 16, 4° de l’Ordonnance). Ces exclusions sont prévues par les directives européennes mais elles avaient été « oubliées » lors de la transposition en 2015 et 2016… Enfin, la loi supprime l’obligation de communiquer les données essentielles fixée par l’article 56 de l’Ordonnance s’agissant des marchés publics de défense et de sécurité car les textes européens n’imposaient cette communication, là encore, que pour les marchés publics « ordinaires ». Ces différentes modifications assurent une simplification des règles applicables aux marchés publics de défense et de sécurité mais elles permettent aussi de mesurer à quel point les opérations de transposition peuvent conduire à adopter des règles contraignantes en avançant des exigences européennes, y compris lorsque ces dernières n’existent pas. Espérons donc que le législateur français continuera d’œuvrer en ce sens, les rapports avec le droit de l’Union ne s’en porteront que mieux.

Deuxième (r)évolution : la dématérialisation entre en vigueur !

Longtemps annoncée, la dématérialisation des marchés publics est devenue une réalité depuis le 1er octobre 2018. La direction des affaires juridiques de Bercy propose deux guides complets, l’un à destination des acheteurs (https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/daj/marches_publics/dematerialisation/20180601_Guide-MP-dematerialisation-2018-A.pdf ), l’autre pour les opérateurs économiques ( https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/daj/marches_publics/dematerialisation/20180601_Guide-MP-dematerialisation-2018-OE.pdf ). Pour les acheteurs, l’entrée en vigueur de la dématérialisation implique tout d’abord de se doter d’un « profil d’acheteur ». Ils doivent en effet utiliser cette plateforme pour publier les documents de la consultation de tous leurs marchés publics dont la valeur estimée est égale ou supérieure à 25 000 € HT. Les communications et échanges d’informations doivent également être effectués par voie dématérialisée. Toutes ces obligations n’admettent que des dérogations limitées. Pour les opérateurs économiques, en-dehors là aussi de quelques exceptions, la dématérialisation impose que les candidatures et les offres soient communiquées par voie dématérialisée. Par ailleurs, il faut souligner que la signature électronique n’est – pour l’heure – pas encore imposée. Les guides semblent toutefois indiquer que la signature électronique de l’offre finale s’impose en quelque sorte lorsque la procédure de passation est dématérialisée dans la mesure où toutes les communications et les échanges d’information sont dans ce cas dématérialisés. Les acheteurs et les opérateurs économiques ont donc tout intérêt à suivre ces conseils et ils devront, pour signer électroniquement, utiliser une signature avancée reposant sur un certificat qualité (Arrêté du 12 avril 2018 relatif à la signature électronique dans la commande publique ; JO 20 avril 2018, texte n° 30). Enfin, au-delà des obligations liées à la dématérialisation, les acheteurs sont également tenus depuis le 1er octobre de transmettre par voie électronique les informations concernant leurs marchés de plus de 90 000 € HT à l’Observatoire économique de la commande publique (OECP). Une application dénommée « REAP » (Recensement économique de l’achat public) a été créée pour permettre ces transmissions (https://www.reap.economie.gouv.fr/reap/servlet/authentificationAcheteur.html ).

Troisième – et véritable – (r)évolution : adoption du « nouveau » code de la commande publique !

Le code de la commande publique vient enfin d’être publié (Ordonnance n° 2018-1074 du 26 novembre 2018 portant partie législative du code de la commande publique et Décret n° 2018-1075 du 3 décembre 2018 portant partie réglementaire du code de la commande publique ; JORF du 5 décembre 2018). Il entrera en vigueur le 1er avril 2019 ce qui signifie que, jusqu’à cette date, ce sont les règles des ordonnances de 2015 et de 2016 relatives aux marchés publics et aux contrats de concession, ainsi que leurs décrets d’application, qui continueront de s’appliquer. Parmi les arguments avancés par la Direction des affaires juridiques (L. Bédier, « Une boîte à outils organisée selon la vie du contrat », AJDA 2018, p.2364) pour justifier la codification, le principal est le souci de simplifier une matière dont les effets économiques sont particulièrement importants. En effet, « les marchés publics et les concessions représentent environ 200 Md€ par an, soit 8 % du PIB et un débouché très important pour les PME » (ibidem).  Pour atteindre cet objectif de simplification, la DAJ s’est appuyée sur des experts et sur les praticiens du droit de la commande publique, ainsi que sur la consultation publique organisée au printemps 2018. La question principale reste de savoir si le code atteint ses objectifs : permet-il vraiment une simplification de la matière ? Va-t-il permettre une meilleure concurrence et, notamment, un accès facilité des PME à la commande publique ? Il n’est pas possible, dans l’immédiat, de répondre de manière tranchée à ces questions. L’adoption du code méritera en effet de faire l’objet d’une chronique spéciale ou d’un dossier spécial au sein du Journal du droit administratif. Pour autant, plusieurs remarques peuvent d’ores et déjà être formulées.

Tout d’abord, le code de la commande publique n’introduit pas d’innovations qui bouleversent la matière par rapport aux textes de 2015 et 2016. Ce constat est tout à fait logique dans la mesure où la codification a été effectuée à droit constant : les auteurs du code ne pouvaient donc pas aller au-delà du droit existant.

Par ailleurs, le code adopté a tenu compte des suggestions effectuées lors de la consultation publique ainsi que des modifications suggérées par le Conseil d’Etat. Il ne correspond donc pas exactement au projet de code de la commande publique tel qu’il avait été soumis à la consultation. Parmi les changements principaux, il faut noter la rédaction d’un titre préliminaire qui fait la part belle aux principes fondamentaux de la commande publique, là où le projet de code ne faisait que les intégrer parmi les dispositions spécifiques applicables aux marchés publics et aux contrats de concession. Il en ressort donc que tous les contrats de la commande publique sont soumis à ces principes fondamentaux, y compris lorsqu’il s’agit de « contrats exclus » tels qu’ils sont désignés par le code. Ce champ d’application étendu paraissait évident si l’on tient compte de l’ascendance européenne des principes fondamentaux de la commande publique et de leur application au-delà des contrats intégrant strictement le droit de la commande publique. La Cour de justice avait eu l’occasion de nous le rappeler très clairement dans son arrêt Promoimpresa qui a conduit aux évolutions que l’on connaît en matière de passation des conventions d’occupation du domaine public (CJUE, 14 juill. 2016, aff. C-458/14 et C-67/15 : JurisData n° 2016-015812 ; AJDA 2016, p. 2176, note R. Noguellou ; Contrats-Marchés publ. 2016 comm. 291 et repère 11 par F. Llorens et P. Soler-Couteaux ; sur ce sujet, v. Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique administrative 03 ; Art. 128 http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=1385 ; Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique contrats publics 02 ; Art. 190 http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=1869 ). Malgré tout, l’intégration de ce titre préliminaire constitue une avancée et la question du régime juridique des contrats exclus est d’ores et déjà posée (G. Clamour, « Les marchés exclus », Contrats-Marchés publ. 2015, dossier 3 ; S. de la Rosa, « Les exclusions », RFDA 2016, p. 227 ; H. Hoepffner et F. Llorens, « Dans quoi les contrats exclus des ordonnances marchés publics et concessions sont-ils inclus ? », Contrats-Marchés publ. 2018, repère 4 ; G. Eckert, « Quelle place pour les principes de la commande publique », Contrats-Marchés publ. 2018, repère 10 ; M. Ubaud-Bergeron, « Champ d’application du code de la commande publique », Contrats-Marchés publ. 2019, dossier 5) .

Il faut aussi relever qu’un certain nombre de règles jurisprudentielles ont été intégrées dans le code, tant en matière de marchés publics que pour les contrats de concession. Tout d’abord, en matière de marchés publics, la jurisprudence relative à la notion d’offre anormalement basse a été intégrée à l’article L. 2152-5 du code.  Par ailleurs, s’agissant des contrats de concession, l’article L. 3121-2 codifie la possibilité d’attribuer sans publicité ni mise en concurrence des concessions en cas d’urgence et pour une durée limitée, tandis que les articles L. 3132-4 et L. 3132-5 reprennent la jurisprudence relative au sort des biens de retour ! Enfin, quel que soit le contrat de la commande publique concerné, le code rappelle à l’article L. 6 certains pouvoirs reconnus aux autorités contractantes lorsque leurs contrats sont des contrats administratifs : le pouvoir de contrôle, ainsi que les pouvoirs de modification et de résiliation unilatérale. Ce même article codifie également la théorie de la force majeure en matière de contrats administratifs et précise que « les contrats qui ont pour objet l’exécution d’un service public respectent le principe de continuité du service public ».  

Enfin, il faut d’ores et déjà préciser que l’adoption du code ne signifie pas que nous assisterons, après lui, à une forme de stabilité normative. Preuve en est : la secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’économie et des finances, Delphine Gény-Stephann, a présenté les grands axes de la stratégie du gouvernement en matière de commande publique le 1er octobre 2018. Or, ces grands axes appellent des réformes importantes qui vont, dans le courant de l’année 2019, venir modifier le code de la commande publique ( https://www.economie.gouv.fr/grands-axes-reforme-commande-publique ). Parmi les réformes annoncées, on trouve pêle-mêle : l’abaissement de la durée d’archivage des pièces justificatives des marchés publics ; la possibilité de recourir librement à un avocat lors d’une procédure juridictionnelle sans passer un marché public ; l’amélioration de la trésorerie des PME pour faciliter leur accès à la commande publique (augmentation du taux des avances pour les marchés de l’Etat, diminution du taux de la retenue de garantie, expérimentation de la procédure de gré à gré pour les achats innovants de moins de 100000 euros, recours à l’affacturage inversé) ; obligation d’insérer des clauses de révision des prix dans les marchés de matières premières agricoles et alimentaires ; suppression des ordres de services à zéro euros dans les marchés publics de travaux. Certaines de ces réformes étaient annoncées pour le mois de décembre mais il n’est pas certain qu’elles puissent toutes être intégrées au Code de la commande publique avant son entrée en vigueur… Les commentateurs n’ont donc pas fini de s’intéresser à ce droit qui reste, on le voit bien, extrêmement mouvant !

Contrats de mobilier urbain : des concessions de services ?

La qualification des contrats de mobilier urbain continue de susciter des interrogations qui mériteraient davantage d’attention de la part du législateur. L’arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 25 mai 2018 bouleverse la jurisprudence antérieure et renforce les incertitudes liées à la qualification de tels contrats (CE, 25 mai 2018, n° 416825, Société Philippe Védiaud Publicité  ; AJDA 2018, p. 1725, note M. Haulbert ; JCP A 2018, act. 495 ; JCP A 2018, 2260, note J.-B. Vila ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 165, note G. Eckert). Il y a cependant un élément que le Conseil d’Etat confirme dans cet arrêt : la jurisprudence sur cette question est loin d’être fixée !!! La question de la qualification des contrats de mobilier urbain se pose depuis un certain temps. En 1980, déjà, le Conseil d’Etat rendait un avis dans lequel il qualifiait ces contrats de « marchés publics […] assortis d’une autorisation d’occupation du domaine public » (CE, sect., avis, 14 octobre 1980, n° 327449 ; EDCE 1981, n° 32, p. 196 ; GACE, Dalloz, 3e éd., 2008, 142, comm. L. Richer). A l’époque, il refusait que ces contrats soient qualifiés de délégations de service public en l’absence de redevances perçues sur les usagers. C’est donc en quelque sorte « par défaut » que la qualification de marché public était retenue ! Elle a toutefois été confirmée en 2005, mais avec une argumentation différente (CE, ass., 4 novembre 2005, n° 247298, Société Jean-Claude Decaux ; AJDA 2006, p. 120, étude A. Ménéménis ; RFDA 2005. 1083, concl. D. Casas ; DA 2006, comm. 25, note J.-M. Auby). Pour le Conseil d’Etat, les contrats de mobilier urbain devaient être considérés comme des marchés publics car ils répondent à un besoin de la personne publique et prévoient le versement d’un prix négatif : l’autorisation d’exploiter à titre exclusif une partie du mobilier urbain à des fins publicitaire et l’exonération de redevance pour occupation domaniale. A cette époque, les contrats de mobilier urbain devaient donc respecter les procédures de passation prévues pour les marchés publics, c’est-à-dire les règles de passation les plus contraignantes parmi celles applicables aux différents contrats publics. Or, en 2013, le Conseil d’Etat est en partie revenu sur cette solution dans un arrêt plus que discutable (CE, 15 mai 2013, n° 364593, Ville de ; JCP A 2013, 2180, obs. J.-F. Giacuzzo ; Contrats-Marchés publ. 2013, comm. 199, obs. G. Eckert ; DA 2013, comm. 63, obs. F. Brenet ; RJEP 2013, comm. 39, concl. B. Dacosta ; RDP 2013, p. 1403, note C. Roux ; RDI 2013, p. 367, note S. Braconnier ; LPA, 2 oct. 2013, p. 6) où il considère qu’un contrat de mobilier urbain qui ne prévoit pas le renoncement de la personne publique au versement de la redevance d’occupation et qui ne fait qu’imposer des obligations réglementaires – et non des obligations contractuelles – est une simple convention d’occupation du domaine public. Ainsi, un tel contrat relevait de la jurisprudence Jean Bouin (CE, sect., 3 décembre 2010, n° 338272-338527, Association Paris Jean Bouin ; rec. p. 472, concl. N. Escault ; AJDA 2010, p. 2343 ; AJDA 2011, p. 18, étude S. Nicinski et E. Glaser ; Contrats-Marchés publ. 2011, comm. 25, note G. Eckert ; DA 2011, comm. 17, note F. Brenet et F. Melleray) et échappait aux règles de publicité et de mise en concurrence. Cette solution était toutefois critiquable dans la mesure où le contrat en cause semblait pouvoir être qualifié de concession de service au sens de la réglementation européenne… Or, c’est justement la solution retenue par le Conseil d’Etat dans son arrêt Société Védiaud Publicité. En l’espèce, la commune de Saint-Thibault-des-Vignes avait lancé une procédure de passation d’un contrat de mobilier urbain, à l’issue de laquelle la société Philippe Védiaud Publicité avait été désignée comme attributaire. Un concurrent évincé, la société Girod Médias, a toutefois saisi le juge du référé précontractuel pour demander l’annulation de la procédure de passation. Le tribunal administratif de Melun a fait droit à sa demande, qualifiant le contrat en cause de marché public conformément à la jurisprudence Jean-Claude Decaux de 2005 en considérant « qu’il confiait à titre exclusif l’exploitation des mobiliers à des fins publicitaires à son attributaire ». Ce raisonnement est censuré par le Conseil d’Etat qui considère qu’en procédant ainsi le juge des référés du tribunal administratif de Melun n’a pas suffisamment vérifié si un risque était transféré à l’attributaire du contrat. Or, le transfert d’un risque d’exploitation constitue désormais le critère essentiel pour distinguer les marchés publics et les contrats de concession (CJCE, 13 octobre 2005, aff. C-458/03, Parking Brixen ; JCP A 2005, 1021, p. 141, note D. Szymczak; Contrats-Marchés publ. 2005, comm. 306, obs. G. Eckert ; CE, 7 novembre 2008, n° 291794, Département de la Vendée; Contrats-Marchés publ. 2008, comm. 296 , obs. G. Eckert ; AJDA 2008, p. 2454, note L. Richer ; BJCP 62/2009, p. 55 , concl. M. Boulais ; CJUE, 10 septembre 2009, aff. C-206/08, Eurawasser ; Contrats-Marchés publ. 2010, repère 1 , note F. Llorens et P. Soler-Couteaux ; CJUE, 21 mai 2015, aff. C-269/14, Kansaneläkelaitos ; Contrats-Marchés publ. 2015, comm. 180, note M. Ubaud-Bergeron ; Europe 2015, comm. 264 , obs. A. Bouveresse). Ce critère est désormais expressément repris par les textes, comme le précise le Conseil d’Etat en rappelant la définition des contrats de concession telle qu’elle est posée par l’article 5 de l’ordonnance du 29 janvier 2016 (définition reprise à l’article L. 1121-1 du code de la commande publique). En l’espèce, le juge administratif relève deux éléments qui lui permettent de conclure que le titulaire du contrat allait être soumis à un réel risque d’exploitation. Tout d’abord, il précise que le contrat de mobilier urbain passé « ne comporte aucune stipulation prévoyant le versement d’un prix à son titulaire ». Or, on le sait, le versement d’un prix est l’un des critères d’identification des marchés publics – même si le versement d’un tel prix n’empêche pas systématiquement l’existence d’un risque d’exploitation. Ensuite, et surtout, le Conseil d’Etat précise que le titulaire du contrat « est exposé aux aléas de toute nature qui peuvent affecter le volume et la valeur de la demande d’espaces de mobilier urbain par les annonceurs publicitaires sur le territoire de la commune, sans qu’aucune stipulation du contrat ne prévoie la prise en charge, totale ou partielle, par la commune des pertes qui pourraient en résulter ». Il en déduit donc que l’attributaire du contrat « se voit transférer un risque lié à l’exploitation des ouvrages à installer », ce qui justifie que ce dernier soit qualifié de contrat de concession. La solution retenue par le Conseil d’Etat permet donc de considérer qu’un tel contrat de mobilier urbain doit respecter les procédures de passation prévues pour les contrats de concession, lesquelles sont moins contraignantes que celles applicables aux marchés publics tout en assurant le respect d’un minimum d’obligations de publicité et de mise en concurrence. Elle confirme par ailleurs que la solution rendue en 2013 n’est plus d’actualité dans le cadre de la nouvelle réglementation et que les contrats publics passés dans le secteur concurrentiel n’échappent que rarement à l’application des principes fondamentaux de la commande publique. Pour autant, si  « la dimension concessive de la grande majorité des contrats de mobilier urbain est […] reconnue par le Conseil d’État » (G. Eckert, note sous l’arrêt, préc.), la solution retenue n’est pas totalement satisfaisante. Elle confirme en effet le caractère incertain de la qualification des contrats de mobilier urbain et, partant, des règles de publicité et de mise en concurrence qui doivent être respectées lors de leur passation. L’appréciation du risque d’exploitation mériterait en effet d’être davantage explicitée et certains commentateurs critiquent d’ores et déjà l’analyse retenue par le juge. Il s’agit en effet d’une analyse purement juridique, qui se contente de constater l’absence de stipulations prévoyant la prise en charge des pertes par la commune, sans effectuer une analyse économique du contrat en cause (M. Haulbert, « La qualification des contrats de mobilier urbain ou le mythe de Sisyphe revisité », note sous l’arrêt, préc.). En toutes hypothèses, et même si la notion de concession de service permet de dépasser les limites antérieurement posées par la notion de délégation de service public, la qualification des contrats de mobilier urbain devrait continuer à susciter un nombre important de décisions et de commentaires qui permettront – peut-être – de sécuriser davantage les procédures de passation de ces contrats.

Application des principes européens : le critère reste l’intérêt transfrontalier certain

La Cour de justice (CJUE, 19 avr. 2018, aff. C-65/17, Oftalma Hospital Srl ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 153, note M. Ubaud-Bergeron ; Europe 2018, comm. 229, note F. Peraldi-Leneuf) est venue rappeler et préciser le champ d’application des règles fondamentales et des principes généraux posés par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Ce rappel est particulièrement important car il permet d’éclairer le droit français à ce sujet, notamment s’agissant de la prise en compte des principes fondamentaux de la commande publique. En l’espèce, le juge devait se prononcer sur une question préjudicielle transmise par la Cour de cassation italienne à propos d’un contrat conclu entre la commission des établissements hospitaliers vaudois – qui est un organisme de droit public au sens des directives européennes –, la région Piémont, et la société Oftalma Hospital Srl. L’exécution de ce contrat a fait naître un litige financier devant les juridictions italiennes lesquelles, après avoir identifié le contrat passé comme un marché public de services sanitaires relevant de l’annexe I,B de l’ancienne directive 92/50, se sont interrogées sur le fait de savoir si la passation de ce contrat n’était pas illégale en application du droit de l’Union européenne. C’est en effet la solution retenue par la Cour d’appel de Turin qui a considéré que le marché public de services sanitaires aurait dû être précédé d’une publicité et d’une mise en concurrence. Cette solution interroge la Cour de cassation car la directive de 1992 prévoyait que les marchés relevant de l’annexe I,B – qui sont aujourd’hui des marchés publics passés selon une procédure adaptée en raison de leur objet – n’étaient soumis qu’au respect de certains articles de la directive. Or, parmi ces articles, aucun ne prévoit l’obligation de procéder à publicité et à une mise en concurrence préalables. En réalité, comme le révèle l’arrêt, la Cour d’appel de Turin a retenu cette solution conformément à « la jurisprudence des juridictions administratives italiennes selon laquelle les marchés de prestations de services sanitaires, bien que ne relevant pas directement de la réglementation applicable en matière de marchés publics de services, n’en demeurent pas moins soumis à un appel préalable à la concurrence, même informel, en application des règles générales de droit interne et des principes de droit de l’Union découlant des articles 49, 56 et 106 TFUE » (cons. 26). C’est donc cette jurisprudence des juridictions administratives italiennes qui justifie la question préjudicielle posée à la Cour de justice de l’Union européenne. On retrouve ici la particularité du droit italien des contrats publics dont le contentieux est réparti entre les juridictions administratives – chargées de contrôler la passation – et les juridictions judiciaires, lesquelles demeurent les véritables juges du contrat et donc de son exécution. En réalité, la Cour de cassation se demandait si elle était tenue de consacrer une solution identique à celle retenue par les juges administratifs ou non. Or, pour trancher cette question, il lui fallait déterminer si le respect de règles de publicité et de mise en concurrence est imposé par le droit de l’Union ou par le seul droit national. La Cour de justice devait donc préciser si un pouvoir adjudicateur qui attribue un marché public portant sur des services sanitaires ou sociaux peut se contenter de respecter les seuls articles dont l’application est expressément prévue par les directives ou s’il est « également tenu de se conformer aux règles fondamentales et aux principes généraux du traité FUE, en particulier aux principes d’égalité de traitement et de non‑discrimination en raison de la nationalité ainsi qu’à l’obligation de transparence qui en découle » (cons. 31). En réalité, c’est la question du champ d’application des principes fondamentaux du droit européen des contrats publics qui est posée : est-ce que le TFUE impose leur respect pour tous les contrats passés par des pouvoirs adjudicateurs ou par des entités adjudicatrices ou est-ce qu’ils ne s’appliquent qu’aux seuls contrats soumis aux directives, c’est-à-dire à des réglementations sectorielles. La réponse de la Cour est sans ambigüité et conforme à sa jurisprudence traditionnelle en la matière : les principes qui découlent du TFUE ne s’appliquent pas uniquement au travers des réglementations sectorielles et possèdent un champ d’application beaucoup plus large. En principe, tous les contrats passés par des pouvoirs adjudicateurs ou par des entités adjudicatrices doivent respecter ces principes. Pour autant, ce principe rencontre certaines exceptions dont une exception classique: le droit de l’Union européenne n’impose l’application de ces principes que pour les contrats qui présentent un intérêt transfrontalier certain. Or, comme la Cour le relève, en excluant l’application de la plupart des règles relatives aux marchés publics aux marchés de services sanitaires et sociaux, « le législateur de l’Union a présumé que » ces marchés « ne présentent pas, a priori, eu égard à leur nature spécifique, un intérêt transfrontalier suffisant susceptible de justifier que leur attribution se fasse au terme d’une procédure d’appel d’offres censée permettre à des entreprises d’autres États membres de prendre connaissance de l’avis de marché et de soumissionner » (cons. 35 ; la Cour renvoie également à CJUE, 17 mars 2011, Strong Segurança, C‑95/10). Il ne s’agit toutefois que d’une présomption qui peut être renversée lorsque le marché présente un intérêt transfrontalier certain. Dans une telle hypothèse, un appel d’offres ne s’impose pas mais le principe de transparence « implique de garantir un degré de publicité adéquat permettant, d’une part, une ouverture à la concurrence et, d’autre part, le contrôle de l’impartialité de la procédure d’attribution » (cons. 36). La Cour de justice confirme donc que les principes européens, notamment la transparence et la non-dsicrimination, s’appliquent au-delà des règlementations sectorielles et y compris aux exceptions prévues par de telles réglementations dès lors que le contrat en cause présente un intérêt transfrontalier certain. Cette solution éclaire le droit français de la commande publique car les principes en cause ne sont rien d’autre que ceux qui ont justifié l’identification de principes fondamentaux de la commande publique par le Conseil constitutionnel à la suite de la jurisprudence Telaustria. Elle permet de justifier la solution retenue dans le nouveau code de la commande publique et qui consiste à appliquer ces principes fondamentaux à l’ensemble des marchés publics et contrats de concession, y compris les « autres marchés publics » relevant du livre V de la deuxième partie du code. Elle rejoint également la solution retenue pour les conventions d’occupation du domaine public qui justifie que les principes fondamentaux de la commande publique s’appliquent à des contrats qui ne relèvent pas à proprement parler de la « commande » publique : ces principes sont avant tout des principes européens qui sont indifférent à la notion française de commande publique. Pourtant, la Cour de justice n’ignore pas les droits nationaux et l’affaire en cause l’illustre parfaitement. Elle ne précise pas si le contrat en cause présente un intérêt transfrontalier certain qui imposerait le respect d’obligations de transparence : elle renvoie cette appréciation à la Cour de cassation italienne ce qui signifie que, dans la mise en œuvre des principes, les juges nationaux ont toujours un rôle fondamental à jouer.

Accès des PME aux marchés publics en outre-mer

Le décret du 31 janvier 2018 (D. n° 2018-57 pris pour l’application du troisième alinéa de l’article 73 de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique : JORF du 2 février 2018, texte n° 31 ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 55, note G. Clamour) est venu préciser le dispositif expérimental mis en place par la loi du 28 février 2017 pour favoriser l’accès des « petites et moyennes entreprises locales » aux marchés publics passés par certaines collectivités d’outre-mer. Ce dispositif doit s’appliquer jusqu’au 31 mars 2023 et favoriser la relance de l’économie locale en permettant aux acheteurs de réserver à ces entreprises une partie de leurs marchés publics (la part des marchés réservés peut atteindre au maximum un tiers des marchés passés à condition que le montant total de ces marchés ne dépasse pas 15% du montant annuel moyen des marchés du secteur économique concerné conclus par l’acheteur). Ce dispositif prévoit également que, dans le cadre des procédures de passation des marchés publics dont la valeur estimée est supérieure à 500 000 euros hors taxes, les soumissionnaires doivent produire dans leurs offres un plan de sous-traitance indiquant « le montant et les modalités de participation des petites et moyennes entreprises locales ». Le décret du 31 janvier est cependant décevant au regard des attentes qui pouvaient être placées dans la loi. Outre le fait qu’il donne une définition des petites et moyennes entreprises locales dans son article 3 – en combinant la définition classique des petites et moyennes entreprises avec une définition du caractère local –, le décret précise surtout quel doit être le contenu du plan de sous-traitance. Or, sur ce point, les exigences sont loin des attentes escomptées : le décret ne fixe pas une part minimale à sous-traiter et il permet aux soumissionnaires de ne pas prévoir cette sous-traitance en le justifiant. Ainsi, « au slogan de l’égalité réelle répondent ainsi des mécanismes peinant à embrasser l’étendue des réalités politiques et économiques locales » (G. Clamour, préc.).

Pour la Cour de justice, la procédure de délivrance d’un agrément n’est pas un marché public…même si elle répond à la définition !

Il n’est pas toujours facile de savoir si l’on se trouve ou non face à un marché public. Au-delà de la question de la distinction entre les marchés publics et les contrats de concession – qui repose sur l’existence ou non d’un risque d’exploitation – la Cour de justice de l’Union européenne a dû se prononcer sur la qualification à retenir pour des agréments délivrés par une agence finlandaise (CJUE, 1er mars 2018, aff. C-9/17, Maria Tirkkonen ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 101, note M. Ubaud-Bergeron ; Europe 2018, comm. 191, note S. Cazet). Dans l’absolu, la question de la qualification ne devrait pas se poser : un agrément ne devrait pas pouvoir être qualifié de marché public. Pourtant, les conditions de délivrance de l’agrément posaient de sérieuses difficultés de qualification.

En l’espèce, l’Agence finlandaise pour les affaires rurales a lancé une procédure d’appel d’offres par un avis de marché publié le 16 septembre 2014. Cette procédure a pour objet la conclusion de contrats portant sur des services de conseil, dans le cadre du système de conseil agricole Neuvo 2020, pour la période s’étendant du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2020. Ces contrats s’inscrivent dans le cadre du programme de développement de la zone rurale de la Finlande continentale pour la période 2014-2020, pour lequel l’Agence. Cette procédure prévoit que tous les candidats participant à la procédure d’appel d’offres et démontrant qu’ils sont qualifiés, régulièrement formés et expérimentés en qualité de conseillers dans les domaines dans lesquels ils entendent fournir des conseils seront sélectionnés comme conseillers et pourront prodiguer des conseils aux agriculteurs avec, en contrepartie, le paiement d’une rétribution par l’Agence pour les affaires rurales.

Telle qu’elle est présentée cette procédure semble aboutir à la conclusion de contrats qualifiables de marchés publics. En effet, les marchés publics sont définis par les directives comme « des contrats à titre onéreux conclus par écrit entre un ou plusieurs opérateurs économiques et un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs et ayant pour objet l’exécution de travaux, la fourniture de produits ou la prestation de services » (article 2 de la directive 2014/24). La procédure d’appel d’offres aboutissant à la délivrance des agréments semblait donc répondre à cette définition : la procédure est lancée par un pouvoir adjudicateur, elle doit aboutir à la conclusion de contrats avec des opérateurs économiques. Ces contrats ont pour objet des prestations de services et remplissent la condition d’onérosité dans la mesure où il est prévu que les prestataires conseillers seront rétribués par l’Agence pour les affaires rurales. La Cour de justice retient toutefois une solution différente et refuse de qualifier la procédure de procédure de passation de marchés publics.

Le raisonnement retenu par la Cour repose sur le fait que la procédure d’appel d’offre n’a pas pour objet de procéder à une sélection parmi les offres recevables en classant ces dernières. La procédure doit en effet permettre à l’agence de retenir tous les candidats qui répondent aux exigences posées et de leur délivrer l’agrément nécessaire afin de disposer d’un vivier suffisant de conseillers auprès des agriculteurs. Or, sur ce point, la Cour de justice de l’Union européenne rappelle qu’elle a déjà eu l’occasion de préciser « que le choix d’une offre, et donc d’un adjudicataire, constitue un élément intrinsèquement lié à l’encadrement des marchés publics […] et, par conséquent, à la notion de « marché public » ». Elle renvoie sur ce point à son arrêt Falk Pharma de 2016 (CJUE, 2 juin 2016, aff. C-410/14, Falk Pharma : Europe 2016, comm. 285, obs. A. Bouveresse, point 38). En effet, la Cour considère que « l’absence de désignation d’un opérateur économique auquel l’exclusivité d’un marché serait accordée a pour conséquence qu’il n’existe pas de nécessité » d’appliquer les directives relatives aux marchés publics car il n’y a pas de risque que le pouvoir adjudicateur favorise les opérateurs nationaux. Le juge en déduit donc que le système de conseil agricole mis en place ne constitue pas un marché public…au sens des directives ! Et c’est bien là toute la nuance.

En effet, cela a été relevé, les contrats conclus répondent à la définition de la notion de marché public. Ainsi que le relève Marion Ubaud-Bergeron « il y a une différence significative entre un contrat qui ne relève pas des directives parce qu’il n’est pas un marché public, et un marché public qui ne relève pas des directives parce qu’il est conclu dans des circonstances particulières : un marché public exclu ou dispensé des procédures de passation prévues par les directives n’échappe pas à tout le droit des marchés publics ! » (M. Ubaud-Bergeron, « Précisions sur la distinction entre l’agrément et le marché public : la qualification suit la procédure ? », note sous l’arrêt, préc.). En l’espèce les contrats passés sont donc des marchés publics mais qui ne sont pas soumis aux règles spécifiques prévues par les directives en l’absence de risque d’atteintes au principe de non-discrimination selon la nationalité (car la procédure ne vise pas à effectuer un choix). On retrouve ici toute la limite de la réglementation européenne qui peut se trouver écarter lorsqu’il n’existe pas de risques d’atteintes à la concurrence sur le marché de l’Union. Il s’agit de la même logique que celle mise en œuvre lorsque la Cour cherche à déterminer si un marché public présente ou non un intérêt transfrontalier certain pour savoir si les directives lui sont applicables. Et c’est ce qui lui permet ici de conclure au fait que la procédure d’agrément n’est pas assimilable à la procédure de passation d’un marché public au sens des directives.

Une question reste toutefois en suspens : est-ce que le juge français pourra retenir une solution identique et sur quel fondement ? En effet, la Cour de justice justifie sa solution par le fait ques directives européennes n’ont pas vocation à régir des situations dans lesquelles il n’y a pas de risques de discriminations au détriment des opérateurs provenant d’autres Etats membres de l’Union. Certes, mais du point de vue français, le droit de la commande publique ne s’applique pas uniquement lorsque des discriminations sont susceptibles de se produire vis-à-vis des opérateurs économiques étrangers. Ainsi, si « la CJUE se heurte ici aux mêmes interrogations que le droit français » avec « l’épineuse question des contrats exclus » (M. Ubaud-Bergeron, ibidem), ces interrogations ne se posent pas de la même manière et la question reste ouverte sur le fait de savoir si de telles procédures de délivrance d’agréments ne peuvent pas être assimilées à la passation de marchés publics. En tout cas, le droit de l’Union européenne ne s’opposerait pas à une telle solution !

Clauses Molières : le retour ?

Ce n’est pas le Conseil d’Etat mais la Cour administrative d’appel de Paris (CAA Paris, 13 mars 2018, n° 17PA03641 ; concl. J.-F. Baffray, JCP A 2018, 2132 ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 107, obs. H. Hoepffner) qui a dû se prononcer à propos de ce que l’on qualifie injustement de « clauses Molière » ( sur cette question, v. notamment : Journal du Droit Administratif (JDA), 2018 ; chronique contrats publics 03 ; Art. 228 ; http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=2282 ). En l’espèce, la Cour devait se prononcer à propos d’une procédure d’appel d’offres lancée le 22 juin 2016 par le syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (SIAAP). Cette procédure devait permettre au syndicat de sélectionner l’actionnaire opérateur économique de la société d’économie mixte à opération unique créée par le syndicat pour l’exploitation de l’usine d’épuration de Seine-Amont. C’est la société Véolia Eau – Compagnie générale des eaux qui a été sélectionnée pour un montant de 397 253 586 euros HT sur une période de douze ans. Ce choix a été validé par une délibération du syndicat en date du 6 juillet 2017. A la suite de cette procédure, le président du syndicat a signé l’acte d’engagement du marché d’exploitation de l’usine Seine-Amont le 7 septembre 2017. Le préfet de la région de la région d’Ile-de-France a saisi le Tribunal administratif de Paris d’un déféré tendant à l’annulation de ce contrat.  Il s’agissait ici d’un recours au fond en contestation de la validité du contrat, c’est-à-dire d’un recours Tarn-et-Garonne que le préfet a assorti d’un référé-suspension afin que l’exécution du contrat ne se poursuive pas en attendant l’examen de l’affaire au fond. Mécontent de la solution retenue par le tribunal administratif dans son ordonnance, le Préfet et la société Suez – concurrent évincé dont la demande d’intervention avait été rejetée – ont interjeté appel auprès de la CAA de Paris. La question posée à la Cour, outre celle de savoir s’il fallait admettre l’intervention de la société Suez, portait sur le fait de savoir si le contenu du règlement de la consultation justifiait ou non la suspension de l’exécution du marché. Plus précisément, il s’agissait pour la Cour de se prononcer à propos de l’article 8.5 du règlement de la consultation, intitulé : « Langue et rédaction de propositions et d’exécution des prestations », selon lesquelles : « La langue de travail pour les opérations préalables à l’attribution du marché et pour son exécution est le français exclusivement » afin de déterminer si la contrariété potentielle avec les libertés fondamentales garanties par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne créait un doute sérieux sur la validité du contrat qui était susceptible de justifier une suspension de son exécution dans le cadre de la procédure de référé. Les conclusions du rapporteur public sont, sur ce point, particulièrement éclairantes. Après s’être référé à la jurisprudence du Conseil d’Etat (CE, 4 déc. 2017, n° 413366, Ministre d’État, ministre de l’Intérieur c/ Région Pays de la Loire ; Contrats-Marchés publ. 2018, repère 1, repère F. Llorens, et P. Soler-Couteaux), Jean-François Baffray souligne que « la clause du marché litigieux est extrêmement discriminatoire et contraignante, à la fois à l’égard des opérateurs de l’UE non francophones, mais aussi pour les sociétés françaises qui peuvent légalement recourir à des travailleurs non francophones » (préc.). Il considère également que le vice n’est pas régularisable et qu’il n’existe pas de motifs d’intérêt général justifiant la poursuite de l’exécution du contrat. Sur tous ces points, la Cour administrative d’appel va suivre le rapporteur public et prononcer la suspension de l’exécution du contrat. Surtout, si cet arrêt de Cour administrative d’appel est intéressant, c’est parce que cette dernière semble retenir une approche plus stricte des « clauses Molière »  que le Conseil d’Etat. Espérons que, poussé par les juges du fond, ce dernier fera évoluer sa jurisprudence sur ce point afin de la rendre plus conforme aux exigences du droit de l’Union européenne !

Notion de pouvoir adjudicateur : les comités d’entreprise et les CHSCT des pouvoirs adjudicateurs ne sont pas des pouvoirs adjudicateurs !

Il n’est pas toujours facile de déterminer si certaines entités relèvent ou non de la notion de pouvoir adjudicateur. C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans un arrêt concernant les CHSCT (Cass. soc., 28 mars 2018, n° 16-29.106, FS-P+B ; JCP Social 2018, 1169, note L. Dauxerre) et un avis concernant les comités d’entreprise (Cass. soc., 4 avr. 2018, n° 18-70.002, avis n° 15005, FS-P+B ; Contrats-Marchés publ. 2018, note M. Ubaud-Bergeron). Les questions posées étaient proches dans les deux cas car il ne s’agissait pas de n’importe quels CHSCT ou comités d’entreprises : les structures en question relevaient de pouvoirs adjudicateurs et il fallait donc déterminer si elles pouvaient être elles-mêmes qualifiées de pouvoir adjudicateur au sens de l’article 10, 2° de l’Ordonnance du 23 juillet 2015, c’est-à-dire en tant qu’organismes de droit public (article 2, 4° de la directive 2014/24/UE). Dans le premier cas – l’arrêt rendu le 28 mars 2018 – il était question du recours à un expert par le CHSCT d’un établissement public de santé, le Centre hospitalier de Chartres. Mécontent de la décision du CHSCT de recourir à un expert, le centre hospitalier avait saisi le président du TGI d’un référé afin qu’il annule cette décision au motif que le CHSCT aurait dû respecter les dispositions de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, et notamment les principes fondamentaux de la commande publique. Selon le requérant, le CHSCT d’un établissement public de santé peut être qualifié de pouvoir adjudicateur. Il considère en effet qu’une telle entité fait partie des « personnes morales de droit privé qui ont été créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel et commercial, dont l’activité est financée majoritairement par un pouvoir adjudicateur soumis à la réglementation des marchés publics ». La Cour de cassation ne suit cependant pas le centre hospitalier dans son raisonnement et vient réitérer une solution déjà consacrée avant la réforme du droit de la commande publique (Cass. soc., 14 déc. 2011, n° 10-20.378; JCP Social 2012, 1102, note J.-B. Cottin ; RJS 2012, n° 258). Ainsi elle ne rejette pas l’argument selon lequel le CHSCT d’un acheteur public est bien une personne morale de droit privée dont l’activité est financée majoritairement par un pouvoir adjudicateur qui relève du droit de la commande publique, mais elle justifie le rejet de la qualification d’organisme de droit public au regard de la mission du CHSCT. La Cour de cassation relève en effet que la mission du CHSCT telle qu’elle est définie par le code du travail est « de contribuer à la prévention et à la protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des travailleurs de l’établissement et de ceux mis à disposition par une entreprise extérieure ». Or, une telle mission ne constitue pas – selon elle – une mission d’intérêt général, ce qui implique de considérer que le CHSCT n’est pas un organisme créé « pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial ». Dès lors, les CHSCT ne sont pas des organismes de droit public qualifiables de pouvoirs adjudicateurs et leurs contrats ne peuvent donc pas être considérés comme des marchés publics. Cette solution peut paraître désuète si l’on considère que les CHSCT ont vocation à disparaître mais l’avis rendu le 4 avril permet d’assurer « sa pérennité » (L. Dauxerre, « L’expertise décidée par le CHSCT d’un centre hospitalier public n’est pas soumise à l’obligation d’appel d’offres », note sous l’arrêt du 28 mars, préc.). En effet, un même raisonnement se retrouve dans l’avis rendu le 4 avril de cette année. Dans cette seconde espèce, la Cour de cassation devait se prononcer sur une demande d’avis transmise par le TGI de Nanterre à propos d’une instance opposant un comité d’établissement – le comité d’établissement des Etablissements FCES de Perpignan, de Salle d’Aude et de Gruissan – à la fondation Partage et Vie. La question posée à la Cour de cassation était ainsi formulée : « Un comité d’entreprise d’une personne morale, soumise à l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics en qualité de pouvoir adjudicateur, est-il considéré comme ayant été créé pour satisfaire spécifiquement à des besoins d’intérêt général au sens de l’article 10 de ladite ordonnance ? ». Pour y répondre, la Cour va reprendre le même raisonnement que celui retenu pour refuser de qualifier les CHSCT de pouvoirs adjudicateurs. En effet, elle ne s’intéresse pas à la question de savoir si les comités d’entreprise sont des personnes dont « Soit l’activité est financée majoritairement par un pouvoir adjudicateur ; Soit la gestion est soumise à un contrôle par un pouvoir adjudicateur ; Soit l’organe d’administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par un pouvoir adjudicateur » (article 10, 2° de l’Ordonnance du 23 juillet 2015). Elle se contente de rappeler qu’ « aux termes de l’article L. 2323-1, alinéa 1, du code du travail, alors applicable, le comité d’entreprise a pour objet d’assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l’évolution économique et financière de l’entreprise, à l’organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production » et que, par conséquent, « eu égard à la mission du comité d’entreprise définie par cette disposition, le comité d’entreprise ne relève pas des personnes morales de droit privé créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général au sens de l’article 10 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, quand bien même il exerce sa mission au sein d’une personne morale visée audit article ». L’argumentation retenue apparaît ainsi comme suffisamment claire : les missions des CHSCT et des comités d’entreprise empêchent purement et simplement de les envisager comme des pouvoirs adjudicateurs, y compris lorsqu’ils exercent leurs missions au sein d’une entité qui est elle-même un pouvoir adjudicateur… « Lapidaire » (M. Ubaud-Bergeon, « Les comités d’entreprises sont-ils des pouvoirs adjudicateurs ? », note sous l’avis du 4 avril 2018, préc.), le raisonnement de la Cour de cassation nous semble surtout lacunaire. Comme le rappelle Marion Ubaud-Bergeron (ibidem), la Cour de justice de l’Union européenne retient une définition large de la notion de « besoins d’intérêt général » (v. notamment : CJCE, 10 nov. 1998, aff. C-360/96, BFI Holding : Rec CJCE 1998, I, p. 6846, pt 29 ; BJCP 1999, p. 155 ; CJCE, 10 mai 2001, aff. C-223/99, Agorà et Excelsior : Rec CJCE 2001, I, p. 3626, pt 26. – CJCE, 27 févr. 2003, aff. C-373/00, Adolf Truley, pt 34 : Contrats Marchés publ. 2003, comm. 94, note G. Eckert ; CJCE, 22 mai 2003, aff. C-18/01, Arkkitehtuuritoimisto Riitta Korhonen Oy et autres, point 32 : Contrats Marchés publ. 2003, comm. 168, note G. Eckert). Il est donc possible de considérer que, si la question lui était posée, la Cour de justice de l’Union européenne ne rejetterait pas si fermement toute possibilité de qualifier ces entités de pouvoirs adjudicateurs. Surtout, au-delà de la question de savoir quel serait l’avis de la Cour de justice sur ce point, les solutions retenues interrogent la notion de « besoins d’intérêt général ». En effet, en refusant de qualifier les entités en cause de pouvoirs adjudicateurs, la Cour de cassation affirme en substance que la prévention et la protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des travailleurs ne constituent pas des besoins d’intérêt général, pas plus que la prise en compte des intérêts collectifs des salariés. Or, en procédant ainsi le juge judicaire met l’accent sur la notion de « besoin » en retenant une interprétation restrictive et erronée de la jurisprudence de la Cour de justice. Dans son avis, elle considère en effet, citant la décision Adolf Truley comme justification (préc.), que « constituent des besoins d’intérêt général des besoins que l’État choisit de satisfaire lui-même ou à l’égard desquels il entend conserver une influence déterminante » (Cass. soc., 4 avr. 2018, n° 18-70.002 (avis n° 15005, FS-P+B), préc.). Or, la question de l’influence déterminante est réglée par la seconde partie de l’article 10, 2 de l’Ordonnance et consiste à vérifier si l’organisme est « contrôlé » par un pouvoir adjudicateur soit parce que son activité est financée majoritairement par un pouvoir adjudicateur ; soit parce que sa gestion est soumise à un contrôle de la part d’un pouvoir adjudicateur ; soit parce que l’organe d’administration, de direction ou de surveillance de cet organisme est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par un pouvoir adjudicateur. Pour rappel, la Cour de cassation n’envisage ces questions ni dans l’arrêt ni dans l’avis car elle considère que les entités envisagées n’ont pas été créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général. En réalité, ce qui importe dans la notion de « besoins d’intérêt général » ce n’est pas la notion de besoins mais celle d’intérêt général. Or, sur ce point, il est plus que surprenant de constater que les solutions retenues par la Cour de cassation amènent à considérer que la prévention et la protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des travailleurs ainsi que la prise en compte des intérêts collectifs des salariés ne constituent pas des activités d’intérêt général. Il s’agit d’une interprétation particulière de la notion d’intérêt général qui pourrait laisser à penser que le juge judiciaire envisage de manière extrêmement restrictive (pour ne pas dire rétrograde) les motifs d’intervention des personnes publiques. Fort heureusement il s’agit à n’en pas douter de solutions d’opportunité visant uniquement à éviter que les structures envisagées échappent aux règles contraignantes de la commande publique !

Impartialité : une appréciation concrète s’impose !

Le Conseil d’Etat est venu rappeler le contenu exact du principe d’impartialité, envisagé comme un principe consubstantiel aux principes fondamentaux de la commande publique (CE, 12 septembre 2018, n° 420454, Syndicat intercommunal des ordures ménagères de la vallée de Chevreuse ; JCP A 2018, 2316, note F. Linditch ; AJDA 2018, p. 2246, note S. Agresta et S. Hul ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 241, note M. Ubaud-Bergeron). En l’espèce, le syndicat intercommunal des ordures ménagères de la vallée de Chevreuse avait lancé une procédure d’appel d’offres ouvert pour attribuer un marché public ayant pour objet la collecte des déchets ménagers et assimilés. A l’issue de la procédure, le syndicat a informé la société Otus, titulaire d’un précédent marché ayant le même objet, du rejet de son offre pour le lot n°1 et de l’attribution de ce lot à la société Sepur. La société Otus a alors saisi le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Versailles. Ce dernier a annulé la procédure de passation en estimant que la procédure faisait apparaître des manquements au principe d’impartialité. Pour bien comprendre le raisonnement retenu, il faut préciser certains faits de l’espèce. Le syndicat intercommunal avait en effet fait appel à une société pour l’accompagner dans la rédaction et la passation du marché en cause en lui confiant une mission d’assistance à maîtrise d’ouvrage en avril 2017. Or, le chef de projet qui avait été affecté au projet du syndicat intercommunal a quitté cette société en décembre 2017 pour rejoindre la société Sepur, qui a finalement été retenue comme attributaire du lot n°1. Le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a considéré que ces faits faisaient naître un doute sur l’impartialité de la procédure et justifiaient son annulation. Saisi d’un pourvoi contre l’ordonnance rendue, le Conseil d’Etat retient une solution beaucoup plus nuancée qui le conduit à annuler l’ordonnance du juge du référé précontractuel et rejeter la demande d’annulation de la procédure. Pour cela, le juge commence par rappeler toute l’importance accordée au principe d’impartialité en indiquant « qu’au nombre des principes généraux du droit qui s’imposent au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative figure le principe d’impartialité, dont la méconnaissance est constitutive d’un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence ». Il rappelle en cela sa jurisprudence récente qui semble faire de ce principe l’un des principes cardinaux du droit de la commande publique (CE, 14 octobre 2015, n° 390968, Région Nord-Pas-de-Calais ; BJCP 2016, p. 34, concl. G. Pellissier ; Contrats-Marchés publ. 2015, comm. 279, note G. Eckert). Pour autant, l’application qu’il en fait ensuite démontre que ce principe n’emporte pas des conséquences trop strictes pour les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices. En effet, l’impartialité doit s’apprécier de manière concrète en fonction des faits de chaque espèce. Ainsi, le Conseil d’Etat sanctionne le raisonnement extrêmement strict retenu par le juge des référés en l’espèce alors même que ce dernier avait également relevé que le chef de projet débauché  « n’avait pas participé à la rédaction du dossier de consultation des entreprises, que sa mission était cantonnée à la collecte des informations préalables à l’élaboration de ce dossier, qu’il avait quitté (la) société à la mi-juin 2017 et n’avait rejoint la société Sepur qu’en décembre 2017 ». En réalité, c’est une appréciation concrète qui s’impose aux juges en matière d’impartialité (dans le même sens, à propos de la concession du service de restauration de la Tour Eiffel : TA Paris, ord., 22 août 2018, n° 183709/4, Sté Excelsis ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 252, note G. Eckert). En l’espèce, le Conseil d’Etat rejette l’argument lié au manque d’impartialité en deux temps. Tout d’abord, il précise que l’impartialité de l’acheteur ne pouvait être remise en cause qu’à condition de prouver que la société à laquelle il avait fait appel avait elle-même manqué d’impartialité dans l’établissement des documents de la consultation, ce que le juge des référés n’a pas fait en l’espèce. Ensuite, et surtout, il précise que l’impartialité de l’acheteur public s’apprécie en tant que telle. Dès lors, le fait que l’employé débauché ait pu faire bénéficier son nouvel employeur d’informations avantageuses n’indique pas un manque d’impartialité de l’acheteur public. En somme, pour le Conseil d’Etat, l’acheteur n’y est pour rien et la situation ne doit donc pas pouvoir lui être reprochée ! Le respect objectif de la concurrence ne s’impose donc pas de manière systématique et les acheteurs restent relativement protégés lorsqu’ils mènent de bonne foi leurs procédures de passation.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019 ; chronique contrats publics 04 ; Art. 236.

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