par M. le pr. Mathieu TOUZEIL-DIVINA,
Professeur de droit public, Université Toulouse 1 Capitole,
Institut Maurice Hauriou, Président du Collectif l’Unité du Droit
(re) fondateur – directeur du Journal du Droit Administratif
Art. 253.
Le présent article est issu d’une recherche parue in Guerlain Laëtitia & Hakim Nader (dir.), Littérature populaires du Droit ; Le droit à la portée de tous ; Paris, Lgdj ; 2019 ; p. 177 et s. On en a repris ici les très grandes lignes dans un souci de diffusion(s). Le tout s’organise en trois temps dont voici le premier :
I. Diffuser le droit administratif : l’accès populaire au JDA
II. Vulgariser le droit administratif : la volonté populaire du JDA
III. Démocratiser le droit administratif : le regard citoyen populaire du JDA
OXYMORON ? Après la culture et même les jeunesses éponymes, voici que l’on s’intéresse – enfin – aux littératures « populaires » du Droit. Remercions donc les coordinateurs de cet ouvrage qui nous ont conduit à réfléchir à l’une des éventuelles matérialisations de cette écriture populaire et juridique qui pourrait apparaître comme un élégant oxymore : le Journal du Droit Administratif (JDA). Disons-le d’emblée nous ne serons pas le plus objectif pour en discuter (même si l’on fera tout pour l’être le plus possible). En effet, si le premier JDA a été fondé en 1853 par le professeur Adolphe Chauveau (1802-1868) à Toulouse et a donné lieu à près de soixante-dix années ininterrompues de publications jusqu’en 1920, nous avons eu l’honneur et l’idée – en 2015 – de refonder cet antique média publiciste dont nous sommes aujourd’hui le directeur de la publication (en ligne : http:///www.j-d-a.fr). Il s’agira donc d’exposer ici – et, partant, d’interroger – la façon dont le « premier » et le « second » JDA ont cherché à « populariser » le droit administratif. Naturellement, on sera beaucoup plus disert quant au JDA originel, ayant moins de recul et d’objectivité pour parler du plus récent (dont les résultats ne sont – par ailleurs – encore qu’au stade embryonnaire). Peut-on – cela dit – vraiment parler de littérature « populaire » s’agissant d’un média spécialisé en droit administratif, matière réputée très technique et difficile d’accès ? Précisément : oui car le sous-titre du JDA, hier comme aujourd’hui, est « le droit administratif mis à la portée de tout le monde ». N’est-ce pas là l’essence même d’une littérature populaire que de vouloir rendre accessible à chacun.e et non aux seuls spécialistes (universitaires et / ou praticiens) un certain nombre d’éléments et de données ? C’est la raison pour laquelle nous avons accepté l’invitation du professeur Hakim et de Mme Guerlain de présenter au sein du présent ouvrage le(s) JDA car l’objectif officiel et explicite de leurs fondations a été cette volonté de rendre le droit « populaire » au sens d’accessible. Ce sont d’ailleurs précisément les mots employés par les premiers fondateurs du média : les « matières administratives » « d’une application quotidienne, y seront traitées dans un style simple et accessible à tous » (JDA 1853 ; p. 07).
Pour en traiter, nous nous proposons de suivre trois questionnements successifs et relatifs conjointement aux deux JDA : d’abord, comment le JDA, en 1853 comme en 2015, a-t-il cherché à diffuser le droit administratif autrement en le rendant plus populaire (I) ? Ensuite, en quoi chaque JDA a-t-il essayé de vulgariser une science réputée élitiste en la rendant « populaire » (II) ? Enfin, dans les deux cas, ne peut-on pas identifier une forme de démystification sinon de démocratisation entreprise du droit administratif pour le confronter à un regard citoyen et donc populaire (III) ?
Diffuser le droit administratif : l’accès populaire au JDA
C’est a priori pour des raisons diamétralement opposées (A & B) que les fondateurs et refondateurs du Journal du Droit Administratif de 1853 et de 2015 ont d’abord cherché à instaurer leur média.
A. 1853 : un droit administratif secret à divulguer
Du droit administratif secret. En 1853, nous étions sous le Second Empire qui n’avait pas encore connu sa version libérale. Les fondateurs du JDA étaient deux Toulousains universitaires à la Faculté de Droit (Adolphe Chauveau et Anselme (Polycarpe) Batbie (1) (1827-1887) ; le second ayant assez rapidement abandonné l’aventure, éclipsé par l’omniprésence du premier (et appelé à rejoindre l’Université parisienne comme suppléant puis comme titulaire de la seconde chaire de droit administratif en 1857). À l’époque (2) , ce droit était enseigné dans les – seulement – neuf facultés de l’Empire et ce, depuis une grosse dizaine d’années. L’École libre de Boutmy (1835-1906) n’avait pas encore été fondée et l’École d’administration (3) de la Seconde République avait été enterrée avec son régime politique. Bref, le droit administratif – comme matière académique du moins – n’en était encore qu’à ses débuts et ne comptait conséquemment que très peu de spécialistes reconnus (une dizaine d’enseignants seulement, quelques politiques et les membres de hautes administrations au premier rang desquelles, le Conseil d’État). Il n’y a qu’à Paris (avec une tentative en 1818 puis à partir de 1829 (4) ) et à Poitiers (dès 1832) que la matière avait conquis un peu plus d’ancienneté dans l’Université grâce notamment aux promoteurs que furent De Gerando (1772-1842), Macarel (1790-1851) et Foucart (1799-1860). À Toulouse, (où l’on disputait avec Poitiers le titre de « première Faculté de France des départements » (sous-entendu en province et après Paris)), on avait bien tenté en 1829 d’instaurer une chaire de droit administratif mais celle-ci ne fut pas véritablement matérialisée auprès du public estudiantin puisqu’après sa nomination et pendant qu’il en préparait a priori les leçons et le contenu, son titulaire, Carloman de Bastoulh (1797-1871), fils du doyen Jean-Raymond-Marc de Bastoulh (1751-1838), renonça à demeurer dans l’Université puisque – comme son père – sa fidélité légitimiste l’empêcha de jurer fidélité au nouveau Roi de la branche des Orléans et non des Bourbons.
Ce n’est alors, à Toulouse comme dans la plupart des Facultés françaises, qu’en 1838 (5) que fut nommé directement par le ministre Salvandy (1795-1856) (et non par concours et sans avoir dans un premier temps même le grade de docteur ce qui lui sera du reste reproché (et qu’il ira conquérir à Poitiers dont il était originaire en août 1839) l’avocat Chauveau qui s’était illustré déjà dans la direction et la publication de plusieurs recueils (comme le Journal des arrêts de la Cour royale de Poitiers ou le Journal du droit criminel) et ouvrages (à l’instar d’une Théorie du code pénal co-écrite avec Faustin Hélie (1799-1884) et surtout de Principes de compétence administrative) et était déjà reconnu comme spécialiste des contentieux privé mais aussi public. Comme beaucoup de ses contemporains, cela dit, Chauveau n’accepta la chaire toulousaine de droit administratif que parce qu’on lui promettait – par suite – d’en obtenir une autre (de procédure civile) à Paris ! L’histoire en ayant décidé autrement Chauveau s’installa durablement à Toulouse et y enseigna pendant trente années le droit administratif (1838-1868) en étant secondé par Batbie, nommé suppléant en ce sens, à partir de 1853 après un passage par Dijon (en 1852). Aidé de Batbie – donc – c’est en 1853 justement, qu’à Toulouse, Chauveau et Batbie fondèrent le JDA avec pour objectif affiché et assumé les principes suivants : « aider l’administrateur, éclairer l’administrer, vulgariser la législation administrative : tel est le but que nous nous sommes proposé » (JDA ; 1853 ; p. 05).
À bien y regarder, dans les vingt premières années au moins, la revue se revendiquait presque à l’instar d’un lien familial : le ton y était enjoué et les abonnés n’hésitaient pas à écrire au Journal pour contester, proposer, féliciter, etc. ainsi qu’on en prendra, infra, quelques témoignages. Cette « accessibilité » ou ce caractère « populaire » assumé étaient manifestes. On y trouve même (JDA, 1853 ; art. 56) la reproduction d’un échange étonnant (et que l’on n’imaginerait pas aujourd’hui dans une revue juridique) entre Chauveau et Batbie. Ce dernier n’étant évidemment pas Anselme Polycarpe mais son propre père, Marc-Antoine (Batbie) (dont les dates nous sont inconnues), notaire de son état (dans le Gers). Un média… familial donc !
Un premier média spécialisé. Il n’existait alors – sauf omission – aucun journal spécialisé en droit administratif (et même en droit public de façon générale) ; seuls étaient publiés des médias juridiques généralistes ou privatistes (on pense aux Revues de Foelix (1791-1853) et de Wolowsky (1810-1876), à la Revue générale du Droit (6) , à la Thémis, à la Gazette du Palais, etc.) ainsi que des recueils seulement prétoriens à l’instar du célèbre LEBON que fonda… Macarel. Autrement dit, le JDA de Chauveau fut manifestement le premier – et longtemps seul – média dédié au droit administratif et à ses études. Seul en 1866 l’avocat Bize (dont les dates nous sont inconnues) tenta-t-il sur le même modèle un journal nommé Le contentieux administratif et spécialement destiné aux préfectures et aux mairies. Cependant, ce périodique ne dépassa pas la dizaine d’années de publications. Le droit administratif était alors encore « secret » c’est-à-dire avec un accès restreint à ses seuls maîtres et praticiens les plus expérimentés. Ni l’administration ni ses juges (qu’il s’agisse des conseils d’État et de préfecture qui n’étaient alors que des juridictions de facto et non de jure et ce, jusqu’à la Loi du 24 mai 1872 ou encore des administrateurs-juges ou ministres-juges eux-mêmes) ne communiquaient sur l’existence de nouveaux textes ou encore de décisions. Parfois, même les plus fins spécialistes ne trouvaient pas leurs sources dans l’amas normatif qui se formait depuis des décennies sinon des siècles. Étonnamment, il a pourtant très peu été écrit à propos de ce média. À l’exception de sa présentation critique par notre collègue Rachel Vanneuville (7) (« Le JDA ou le droit administratif mis à la portée de tout le monde (1853-1920) » in Les revues juridiques au XIXe siècle (Paris, La Mémoire du Droit (en cours))), la doctrine contemporaine semble l’avoir ignoré. Peut-être est-ce parce qu’il a été créé à une époque à propos de laquelle les universitaires du « tournant 1900 » comme Hauriou (1856-1929) ont longtemps nié une légitimité doctrinale. Il est en tout cas dommage qu’un tel périodique qui a réussi à durer près de soixante-dix années soit aussi peu connu (mais son absence de numérisation contemporaine et sa difficulté d’accès dans de rares bibliothèques l’expliquent peut-être aussi).
Diffuser un droit administratif secret. La première mission du Journal du Droit administratif de 1853 fut donc d’abord – mais essentiellement – de divulguer ce droit à tous et pour tous en un lieu – unique – dédié. Certes, il ne s’agissait pas d’une esquisse privée de codification administrative (qui fut longtemps espérée des praticiens français) parce que le JDA n’a pas repris et exposé toutes les normes existant avant lui et ce, selon un ordonnancement hiérarchique propre, mais il s’agissait – au moins et déjà – de présenter – en droit positif – toutes les actualités animant – au présent – cette branche juridique. C’est ce que rappelait – alors qu’il était encore fréquentable – Raphaël Alibert (1887-1963) lors du soixantenaire du Journal (JDA 1913 ; p. 119) : « Ce petit recueil mensuel est aujourd’hui comme l’organe d’avant-garde du contentieux administratif. Il est aussi le talisman de tous ceux qui, obligés à un titre quelconque d’appliquer des arrêts, veulent chasser de leurs rêves le spectre de la jurisprudence inconnue ». Désormais – proposait le JDA – on trouverait dans un média dédié de l’actualité en matière administrative (8) , de la doctrine, des comptes rendus prétoriens et / ou normatifs, des propositions, des solutions pratiques, etc. Dans un premier temps, d’ailleurs, le JDA (cf. JDA 1856, art. 158) comprit pour se faire trois parties essentielles : celle relative à l’explication / la présentation des « matières administratives » de l’actualité (à laquelle, dès 1859, on ajoutera une partie spécialement consacrée à la « revue des décisions du Conseil d’État ») (I) ; celle reprenant les « lettres des administrés » ou autres questions posées par ces derniers (lecteurs et abonnés) et qui (on y reviendra infra) « en style familier » traitaient de questions pratiques (II) et celle des « revues » ou comptes rendus (III). À l’aube de la Troisième République (JDA 1871) cette présentation va évoluer pour devenir bien plus descriptive et bien moins critique : Lois (normes administratives) (I), Jurisprudence (du Conseil d’État puis des Conseils de préfecture) (II) et « varia » (III). Après 1893, quarante ans après sa fondation, le JDA comptait essentiellement deux parties : la prétorienne et la normative réglementaire avec très peu de propositions doctrinales.
Valoriser le droit administratif calomnié & dont la juridicité était niée. Par ailleurs, expliquait Chauveau (JDA 1854 ; art. 69), le Journal se donnait aussi pour mission non seulement de divulguer ce droit public trop « secret » mais encore de « dissiper certaines erreurs » ou de « détruire quelques préjugés » qui y étaient relatifs et conséquemment de « projeter un peu de clarté sur cette législation administrative ». En 1859, poursuivait Chauveau (JDA 1859 ; art. 245) même si d’aucuns pensaient que « la science du droit administratif était indigeste, informe, immense, inextricable, obscure, enchevêtrée de liens qui se croisent dans tous les sens, mille fois plus impénétrable qu’une forêt vierge de l’Amérique », il fallait lutter contre ces a priori et continuer – pour affaiblir ces idées reçues – à diffuser – toujours plus et mieux – le Journal du Droit administratif. Rappelons alors que jusqu’à l’âge d’or dudit droit (autour du changement de siècle), le droit public (constitutionnel comme administratif) était peu considéré dans les facultés de Droit : on l’enseigna tard et souvent même on lui dénia le caractère de « véritable » science juridique. C’est aussi pour faire évoluer cet état d’esprit et démontrer la « juridicité » des questions et des règles administratives que les fondateurs du JDA le mirent en place. Lors des propos introductifs du premier numéro, Chauveau & Batbie (JDA 1853 ; p. 07) signalaient ainsi : « Il est inutile de dire que notre Recueil ne sera pas goûté par les juristes qui n’ont de culte que pour les dispositions du droit civil. Nous savons qu’ils sont décidés à mourir en niant l’existence du droit administratif » !
Diffuser le droit administratif. Il s’agissait alors clairement d’un complément aux bulletins et journaux officiels (dont la multiplication et le caractère austère et désordonné rendaient la consultation malaisée) ainsi qu’aux recueils prétoriens. Complément, effectivement, car le JDA n’était pas originellement un Recueil LEBON bis ou un Journal officiel spécialisé en droit administratif (9) : il offrait des consultations, des propositions, des points de vue doctrinaux, des revues bibliographiques et se donnait pour mission une tâche extraordinaire : mettre le droit administratif « à la portée de tout le monde ». Il ne s’agissait donc pas « que » d’éléments sélectionnés de droit administratif (normes, jurisprudences, etc.) mais d’une présentation accompagnée et expliquée du droit public positif. Cette mission qu’on concevrait aujourd’hui comme logique et publique (du fait de l’exigence constitutionnelle de clarté et d’intelligibilité de la norme) n’était alors assumée par personne. Confiné dans quelques bibliothèques essentiellement parisiennes et proches des ministères et du Conseil d’État, le droit administratif était un secret bien gardé et ce n’est que la diffusion et l’application progressive de l’État de Droit qui vont y mettre un terme ce à quoi – affirmons-nous – le JDA a bel et bien participé en diffusant, en divulguant ce qui aurait pu rester confiné et secret.
Cette mission première de divulgation, le JDA de 1853 l’a pleinement et merveilleusement assumée. Ainsi, dès ses premières livraisons, le Journal avait-il présenté (dès ses articles 02 & 11 en 1853) et commenté le décret du 25 mars 1852 dit de décentralisation (mais traitant en fait de la déconcentration du Second Empire). De même, en 1868 avec un dossier reprenant et expliquant (grâce au projet de Loi et aux circulaires et autres commentaires) la nouvelle Loi sur les chemins vicinaux (du 11 juillet 1868).
Le « premier » JDA : 1853-1920. Concrètement, le journal a paru mensuellement de 1853 à 1920 et y ont participé (par des écrits ou des recensions parfois) de très grands noms du droit public comme ceux de Chauveau et Batbie, évidemment, mais encore de Rozy (1829-1882), d’Hauriou, de Ducrocq (1829-1913), de Rolland (1877-1956) ainsi que d’Alibert, de Romieu (1858-1953), de Corneille (1871-1943), d’Aucoc (1850-1932), de Larnaude (1853-1942), de Michoud (1855-1916), de Berthelemy (1857-1943) ou encore de Mazerat (1852-1926), etc.
Toulouse & Paris. Le Journal a longtemps été « toulousain » car fondé par deux universitaires de la Faculté de droit occitane (rapidement rejoints par des avocats, des administrateurs et des Conseillers d’État de toute la France) et même imprimé et diffusé depuis Toulouse (le bureau du JDA se situant dans un premier temps (1853-1855) aux Allées Louis-Napoléon (au 29) (actuellement Allée Jean Jaurès) pour rapidement rejoindre (1846-1882) une des rues partant de la place du Capitole (au 46, rue Saint-Rome au siège de l’ancienne Librairie centrale)). Dès 1856, la revue se vendait officiellement dans une librairie parisienne et Chauveau avait plaisir à indiquer que « sa publication », bien que née provinciale et toulousaine, se vendait « À Paris, place Dauphine (27) » ce qu’il fit écrire en tête des numéros mensuels afin de rivaliser avec les autres publications juridiques parisiennes qu’il rejoignait ainsi d’un point de vue qualitatif selon lui. Dès 1863, le JDA fut même associé à la Revue du notariat et de l’enregistrement (créée seulement en 1861 et dont les bureaux parisiens (rue Marsollier et place Dauphine) assuraient la diffusion pour la capitale à proximité de la Cour de cassation et des principaux cabinets d’avocats).
À partir de 1882-1883 (10) en revanche, le Journal va progressivement quitter la Haute-Garonne (Chauveau étant décédé depuis longtemps) pour établir ses bureaux à Paris (11) après quelques mois d’interim toulousain exercé par le professeur Henri Rozy. C’est alors l’exceptionnel éditeur Guillaume (12) Pédone-Lauriel (dont les dates de vie nous sont personnellement inconnues) qui accueille en premier lieu le JDA en 1883 au tout nouveau (13) (et encore actuel) siège de sa prestigieuse maison d’Éditions juridiques : au 13, de la rue Soufflot. Dès 1886, c’est la Librairie administrative Richer qui va abriter le JDA (au 15, rue du Bouloi puis au 14, de la rue Notre-Dame-de-Lorette) avant de rejoindre les prestigieuses Éditions Arthur Rousseau (qui seront rachetées par Dalloz en 1956) puis, à partir de 1912, les Éditions « Techniques » du JurisClasseur tout justes créées en 1907 (et alors domiciliées au 18 de la rue Séguier et non encore rue de Javel).
Titrage(s). Si le JDA a été connu et diffusé sous ce seul titre de Journal du Droit administratif de 1853 à 1920, le titrage exact du périodique a cependant un peu évolué.
À l’origine toulousaine, le média se nommait Journal du Droit administratif avec pour sous-titre premier « ou Le droit administratif mis à la portée de tout le monde » et ce, avec un second long sous-titre indiquant : « Recueil qui comprend la Législation, la Jurisprudence, la Doctrine et les Faits se rattachant à l’Administration, plus spécialement destiné aux Maires et membres des conseils municipaux, membres des conseils généraux, des fabriques, des établissements publics, et pouvant servir de guide aux instituteurs primaires, aux propriétaires, aux contribuables, aux patentables, etc., etc., ». Ce dernier sous-titre nous en dit long sur la volonté de littérature populaire du Journal. Il s’adresse aux administrateurs principalement (et non aux spécialistes universitaires) et même aux citoyens et futurs citoyens par le biais des instituteurs, des propriétaires, des contribuables et des patentables. En 1857-1859, lorsque le JDA est conjointement et temporairement hébergé et administré à Toulouse et à Paris, la revue perd (sur les frontispices de ses numéros mensuels) son long second sous-titre. En 1860, en revanche, il revient avec (ici soulignées) de légères modifications : « Recueil qui comprend la Législation, la Jurisprudence, la Doctrine et les Faits se rattachant à l’Administration, plus spécialement destiné aux Maires et membres des conseils municipaux, membres des conseils généraux, des fabriques, des administrateurs des établissements publics, et pouvant servir de guide aux instituteurs primaires, aux propriétaires, aux contribuables, etc., etc., » ; l’expression finale de « patentables » ayant disparu. En 1862, cette fois, le JDA se revendique comme : « Recueil qui comprend la Législation, la Jurisprudence, la Doctrine et les Faits se rattachant à l’Administration, plus spécialement destiné aux curés, Maires et membres des conseils municipaux, membres des conseils généraux, des fabriques, et pouvant servir de guide aux instituteurs primaires, aux propriétaires, aux contribuables, aux patentables, etc., etc., » incluant donc désormais explicitement l’administration ecclésiastique et faisant disparaître les établissements publics ! Enfin, de 1863 à 1865 (14) , le Journal se présente comme : « Recueil qui comprend la Législation, la Jurisprudence, la Doctrine et les Faits se rattachant à l’Administration, plus spécialement destiné aux membres des conseils de préfecture, Maires, membres des conseils municipaux, membres des conseils généraux, des fabriques, des administrations des établissements publics, et pouvant servir de guide aux instituteurs primaires, aux propriétaires, aux contribuables, etc., etc., » faisant à nouveau disparaître patentables et curés !
De 1879 à 1882, le JDA – pendant la guerre – joue cette fois la carte de la simplicité et abandonne tous les sous-titres. Il est « le » Journal du Droit administratif. En 1883, en revanche, et jusqu’en 1920, le JDA devenu parisien se nommera « Le droit public » avec pour sous-titre (et non titre premier) : Journal du Droit administratif.
B. 2015 : un droit administratif
hyper diffusé à canaliser
Hypermédiatisation globalisée. En 2015, lorsque nous avons proposé de ressusciter le Journal du Droit administratif, la situation n’était plus du tout la même. Aux antipodes de 1853, le droit administratif contemporain bénéficie d’une forte médiatisation : non seulement parce que l’accès aux normes est bien plus aisé depuis qu’en 2002 le gouvernement français a mis en place un service public de diffusion du droit par l’Internet (http://www.legifrance.gouv.fr) qui permet – à chacun.e – d’avoir un accès aisé à la première source du droit public mais encore parce que les juridictions administratives – au premier rang desquelles le Conseil d’État – communiquent de plus en plus – et de mieux en mieux – sur leurs données et leurs productions juridictionnelles.
Informations brouillées. Par ailleurs, les manuels de droit administratif ne se comptent plus – comme en 1853 – sur les doigts d’une seule main mais sont si nombreux (et de tous niveaux et de toutes qualités) qu’il est parfois difficile de pouvoir et de savoir choisir. En outre, avec la multiplication des revues en ligne (spécialisées ou non en droit public), l’accès au droit administratif (normatif et / ou doctrinal) est aujourd’hui non seulement possible mais encore fait l’objet d’une offre pléthorique.
Précisément, telle a été la première mission du second JDA de 2015 : non plus divulguer un droit administratif méconnu mais canaliser une hyper diffusion de ce droit en proposant une sélection (subjective et jugée pertinente) de dossiers ou d’éléments d’actualité(s) notamment. Autrement dit, le JDA nouveau a désiré offrir à côté de désormais très nombreux médias non pas un média supplémentaire identique mais une présentation complémentaire du droit administratif contemporain et de ses actualités en reprenant le premier sous-titre originel de « droit administratif mis à la portée de tout le monde ». Ainsi, écrivions-nous en 2015 pour la première mise en ligne de janvier 2016 : « Tel est conçu le JDA : comme une rencontre et un dialogue permanent entre tous les acteurs du droit administratif à propos du droit administratif : depuis l’administrateur jusqu’à l’administré citoyen en passant par l’Université et la Magistrature. L’administré, précisément, jouera un rôle important au cœur du JDA puisque c’est pour lui qu’est mis en œuvre notre média et c’est avec lui qu’il s’accomplira ». Le but premier ainsi affiché est clair : renouer avec l’objectif d’une diffusion du droit administratif à destination première (on y reviendra infra) non de ses spécialistes mais des citoyens administrés.
Toulouse un jour, Toulouse toujours ? Par ailleurs, en 2015, le JDA nouveau a également réactivé une naissance toulousaine. En effet, le premier « Journal était porté, puisqu’initié à Toulouse, par plusieurs universitaires, avocats et administrateurs de l’actuelle région Midi-Pyrénées » et le second – en clin d’œil – fit de même en proposant désormais une version non publiée sur papier et par abonnements commerciaux mais en ligne en disposant « d’un site Internet propre » et proposant « comme son ancien média tutélaire, des dossiers, des résumés de jurisprudence, des notes historiques, des chroniques, des informations (etc.) tous relatifs au droit administratif dans toute sa diversité (collectivités, services publics, droit fiscal, droit des biens, fonction publique, actes, jurisprudence, etc.) ». Ce JDA « – nouvelle formule – a été (re)créé à Toulouse, salle Maurice Hauriou (Université Toulouse 1 Capitole) le 15 octobre 2015 » et n’a pas, faute de recul, la même longévité que son prédécesseur de 1853.
2015-2017. Au premier septembre 2017, ainsi, en moins de deux années, le JDA a déjà pu proposer à la lecture gratuite et disponible en tout lieu équipé d’une connexion Internet près de 200 articles [en 2019 nous avons dépassé les 250 items] principalement répartis en différents dossiers ou chroniques. En effet, à la différence du JDA de 1853, le JDA « nouveau » fonctionne moins périodiquement. Même s’il essaie (avec succès pour le moment) de proposer depuis janvier 2017 au moins une chronique (faite d’au moins un ou deux articles) par mois, l’essentiel de sa publication repose sur le choix de dossiers d’actualité « mis à la portée de tout le monde ».
Ont ainsi été publiés au JDA un premier dossier sur « l’État d’urgence mis à la portée de tout le monde » (JDA, 2016, Dossier 01 « État d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 07) ; un deuxième sur « les relations entre le public & l’administration » (JDA, 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 63) ; un troisième en collaboration avec une revue de sociologie et intitulé : « Laï-Cité(s) – Discrimination(s), Laïcité(s) & Religion(s) dans la Cité » (JDA, 2017, Dossier 03 & Cahiers de la LCD, numéro 03 : « Laï-Cités : Discrimination(s), Laïcité(s) & Religion(s) dans la Cité » (dir. Esteve-Bellebeau & Touzeil-Divina) ; Art. 111) ainsi qu’un quatrième portant le presque sulfureux nom de « 50 nuances de « Droit administratif » (JDA, 2017, Dossier 04 : « 50 nuances de Droit Administratif » (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 132). Les dossiers 05 et 06 portent respectivement sur « un an après la réforme de la commande publique » (dir. Hoepffner, Sourzat & Friedrich) ainsi que sur La régularisation en droit public : aspects français & étrangers (dir. Sourzat & Friedrich).
Deux autres dossiers sont par ailleurs lancés : l’un nommé Toulouse par le droit administratif et l’autre : « une décade de réformes territoriales » (dir. Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie). Comme on le constate, les dossiers du JDA essaient toujours de « surfer » (ce qui se tient pour un média en ligne) sur l’actualité du droit administratif : inauguré à l’automne 2015 alors qu’était proclamé l’État d’urgence, le JDA a utilisé cette actualité pour son premier dossier puis a régulièrement proposé des thèmes reprenant un bilan ou une présentation (après quelques mois ou années de mises en œuvre) d’une réforme contemporaine (le Code des Relations entre le Public et l’Administration (CRPA), les réformes de la commande publique ou encore des collectivités territoriales). Parallèlement aux dossiers, des chroniques plus spécialisées (en droit des contrats publics (JDA, 2016-2017 ; chronique contrats publics ; (dir. Amilhat) Art. 103), en droit des services publics (JDA, 2017 ; chronique services publics ; (dir. Touzeil-Divina)), en droit administratif des biens (en cours), etc.) permettent à des spécialistes de présenter des actualités plus ciblées. La régularité de ces chroniques n’est pas assurée (mais l’est de façon assumée) ; seule la chronique des doctorant.e.s et jeunes docteur.e.s du Journal du droit administratif paraît de façon mensuelle et offre un regard sur l’actualité la plus directe (JDA, 2016-2017 ; chronique administrative ; (dir. Touzeil-Divina, Aliez, Djazouli, Orlandini & Sourzat) Art. 102 – Depuis 2019 ladite chronique est régie directement par le comité de rédaction).
Quelques articles – hors chroniques et dossiers – ont par ailleurs été publiés pour mettre en avant une actualité donnée, une parution d’ouvrage ou une jurisprudence du Conseil d’État ou même du Tribunal administratif de Toulouse, ce dernier étant partenaire privilégié et impliqué du JDA. Cela dit, le JDA de 2015 ne s’est pas donné pour vocation de n’être qu’une publication en droit positif et ne mettant en avant que l’actualité normative et prétorienne. Non seulement le Journal propose des comptes rendus et des débats doctrinaux mais aussi quelques articles relatifs à l’histoire du droit administratif avec – pour commencer – une mise en avant des deux premiers porteurs du JDA de 1853 : Messieurs Chauveau & Batbie.
Une vision complémentaire. Partant, le JDA « nouvelle formule » offre donc une autre vision – complémentaire – du Droit administratif en essayant – subjectivement – d’offrir à ses lecteurs un choix de thèmes, d’articles, de brèves et d’actualités qu’ils auraient peut-être eu du mal à trouver ailleurs, noyés sous les multiples sites et informations, médias et ouvrages existant en la matière aujourd’hui.
(1) BATBIE est cofondateur du JDA et co-directeur conséquent de ce dernier mais rapidement (dès 1855) il n’est officiellement que « collaborateur » au même titre que l’avocat GODOFFRE et seul règne CHAUVEAU sur « son » Journal, « sa publication » comme il la qualifie à plusieurs reprises. Dès 1853, du reste, à l’art. 10 du JDA rédigé par BATBIE, CHAUVEAU notait en introduction que la contribution suivante portait « la signature de [son] honorable collaborateur (sic) ».(2) De manière générale, à propos de l’enseignement du droit public et administratif au XIXe siècle, on se permettra de renvoyer à : TOUZEIL-DIVINA Mathieu, Éléments d’histoire de l’enseignement du droit public (…) ; Poitiers, LGDJ ; 2007.
(3) À son égard : THUILLIER Guy, L’ENA avant l’ENA ; Paris, PUF ; 1983 et nos développements in Éléments d’histoire….
(4) À propos de cet enseignement, voyez le numéro spécial de la RHFD (n° 33 ; 2013) consacré à DE GERANDO (avec notamment les contributions des pr. SEILLER, SERRAND & TOUZEIL-DIVINA).
(5) Et ce, outre une parenthèse ouverte par l’avocat ROMIGUIERES (1775-1847) qui enseigna autant que DE BASTOULH c’est-à-dire aucunement. À cet égard cf. in TOUZEIL-DIVINA Mathieu, La doctrine publiciste (1800-1880) ; Paris, La Mémoire du Droit ; 2009.
(6) Sur cette dernière il faut lire l’extraordinaire thèse de : CHERFOUH Fatiha, Le juriste entre science et politique. La Revue générale du Droit, de la législation et de la jurisprudence en France et à l’étranger (1877-1938) ; Paris, LGDJ ; 2017.
(7) Que nous remercions pour la communication de ses notes non encore publiées au colloque Les savoirs de gouvernement à la frontière entre « administration » et « politique » ; France-Allemagne ; XIX-XXe siècles (Berlin, juin 2010) : « Le Journal du droit administratif, ou comment mettre l’administration dans le droit (1853-1868) ».
(8) C’est clairement, dit CHAUVEAU, en 1855 (Art. 124) la raison d’être de « sa publication » et le titre choisi de « Journal » est topique de ce choix de se consacrer de façon récurrente à l’actualité : au quotidien.
(9) À l’article 11 du JDA de 1853, CHAUVEAU explique ainsi qu’il n’a pas « l’intention de donner place (…) aux textes des Lois ou décrets » de manière brute puisque son « projet est de les faire connaître par une exposition et de les expliquer par des rapprochements qui en feront mieux saisir la portée qu’une reproduction textuelle » seule.
(10) Avec (entre 1857 et 1859) une tentative de doubles bureaux à Toulouse et à Paris (11, rue de Monthyon).
(11) Ce qui explique peut-être pourquoi, vexée ( ?), l’Université toulousaine n’a pas conservé l’intégralité des numéros du Journal jusqu’en 1920 c’est-à-dire au-delà de la période toulousaine originelle !
(12) Le frère engagé (qui prôna l’abolition de la peine de mort) des célèbres éditeurs italiens (de Palerme) Giuseppe & Luigi PEDONE-LAURIEL.
(13) Le site Internet de la Maison PEDONE indique que le 13 de la rue Soufflot n’a été habité par les PEDONE-LAURIEL qu’en 1887 lorsque Guillaume déménagea de la place de la Sorbonne pour se spécialiser en Droit international et quitter ainsi les lettres classiques qu’il avait également éditées. Les publications de 1883 à 1887 du Journal du Droit administratif semblent contrarier cette information immobilière.
(14) En 1864, le typographe commet même une coquille dans ce long sous-titre en omettant la première lettre « p » dans l’expression « plus spécialement ».
Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Eléments d’histoire(s) du JDA (1853-2019) I/III [Touzeil-Divina Mathieu] ; Art. 253.
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