Archive annuelle 6 juillet 2016

ParJDA

Petite chronique d’une rencontre : le Code des relations entre le public et l’administration et l’aménagement du territoire

par Mme Michèle BOUBAY-PAGES,
Maître de conférences de droit public, Université Toulouse I Capitole

Art. 88. L’aménagement du territoire est une politique publique rétive à l’encadrement juridique bien que deux lois lui aient été spécialement dédiées, la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire et la loi n° 99-533 du 25 juin 1999 d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire, qui est venue la modifier. En effet, le droit de l’aménagement du territoire est largement redevable à la soft law, à des documents sans portée normative, tels que les schémas, les chartes, ou encore à ces actes que le code qualifie de non décisoires. La politique d’aménagement du territoire est animée par une double ambition : assurer l’égalité des chances sur l’ensemble du territoire en déployant des incitations financières en direction des entreprises et des actions de revitalisation des territoires en difficulté et le renforcement du rayonnement international de la France. L’objectif du code est de rendre accessibles aux usagers les règles régissant les relations entre le public et l’administration en faisant œuvre de simplification et de transparence.

Que ressort-il de la rencontre de ces deux ambitions ? Quel est l’apport du code à la politique d’aménagement du territoire ?

Outre les dispositions concernant l’entrée et la sortie de vigueur (exception faite de l’article L 242-2-2° relatif au retrait des subventions) des actes administratifs unilatéraux qui, de manière générale, s’appliquent à toute matière ayant recours aux actes décisoires, les règles particulières à la saisine et aux échanges par voie électronique (articles L 112–7 à L 122–2), et celles concernant l’association du public aux décisions (Titre 3, articles L 131–1 à R 132–10) intéressent tout particulièrement l’aménagement du territoire. Les dispositions relatives aux actes non décisoires dont ce droit fait grand usage, restent trop embryonnaires, et cela est regrettable, pour le concerner de manière efficiente.

Des rencontres fructueuses

Téléprocédures et politique des services publics

Dans les zones rurales, la mise en œuvre de la politique des services publics fait largement appel aux outils numériques. Les téléprocédures, notamment, permettent d’abolir les distances et de restreindre la nécessité de la présence physique des agents. Sur le fond, le code n’apporte pas de règles nouvelles, il retranscrit en partie l’ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives ainsi que loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique et aux libertés. Cependant le regroupement de ces règles rend la matière plus directement accessible. Il ressort clairement deux principes applicables aux téléservices : l’accessibilité et la sécurité.

La fin du casse-tête de la récupération des aides d’Etat

Le 2° de l’article L242-2 aux termes duquel « Par dérogation à l’article L. 242-1, l’administration peut, sans condition de délai : (…) 2° Retirer une décision attribuant une subvention lorsque les conditions mises à son octroi n’ont pas été respectées » est particulièrement bienvenu. En effet, il résulte de la jurisprudence Ternon (CE, Ass., 26 oct. 2001, M. Ternon n° 197018) qu’un acte créateur de droit entaché d’illégalité ne peut être retiré que dans le délai de quatre mois maximum à compter de la prise de décision. Ce délai était trop bref lorsque l’illégalité d’une aide était due au non-respect des règles de l’Union Européenne concernant les aides d’Etat (article 108 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne). Lorsqu’une aide a été accordée en violation de ces règles, l’Etat doit en récupérer le montant auprès du bénéficiaire en appliquant le droit interne et en veillant à ce qu’il ne fasse pas obstacle à la récupération. Véritable casse-tête, le délai de quatre mois étant largement insuffisant pour remplir ces exigences (cf. Conseil d’Etat, Section, 13 mars 2015, ODEADOM, requête numéro 364612 jugeant que le droit européen ne pouvait être tenu en échec par le droit interne) ! L’œuvre créatrice du codificateur mérite ici d’être saluée.

Des rendez-vous manqués

La concertation

Le Code n’envisage l’association du public qu’en amont de la décision. Or, l’article 1er de la loi précitée du 4 février 1995 dispose, à propos de la politique d’aménagement du territoire, que «Les citoyens sont associés à son élaboration et à sa mise en œuvre ainsi qu’à l’évaluation des projets qui en découlent». Ce n’est donc pas une simple participation en amont mais une véritable adhésion qui est ici recherchée. L’aménagement du territoire génère des documents, plans et chartes, dénués de portée normative, tirant « leur force de la qualité de la concertation dont ils sont issus » (Yves Morvan). Les plans, qu’ils soient nationaux ou locaux, n’ont généralement pas de portée prescriptive, pas davantage que les chartes définissant les orientations des « territoires de projets », ex pays, agglomérations. La concertation avait trouvé son point d’orgue avec l’institution du conseil de développement des pays par la loi du 25 juin 1999. Mais l’ambition de cette loi a fait long feu. Des conseils de développement ont été prévus pour les pôles d’équilibre territoriaux et ruraux qui ont en quelque sorte pris la suite des pays (loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles). Ces conseils sont composés de représentants de la société civile, mais ils ne sont plus sollicités au moment de l’élaboration, mais seulement de la mise en œuvre des orientations du pôle. S’agissant des plans, l’association du public, quand elle est prévue, peut se limiter à l’élaboration du document. C’est le cas du nouveau schéma régional, le SRADDET (schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires) créé par la loi Notre (loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République). La loi prévoit une enquête publique portant sur le projet de schéma, enquête relevant du Code de l’environnement, restant par conséquent en dehors du champ du code (article 134-1). La concertation peut aussi, tout en étant prévue, manquer de consistance comme en témoigne la circulaire du Premier ministre du 15 novembre 2013 relative à l’élaboration de la génération actuelle des contrats de plan Etat-région. Tout en affichant la volonté d’associer « les acteurs de la société civile aux réflexions stratégiques », la circulaire fourmille de bonnes intentions sans toutefois aborder les modalités concrètes de cette concertation. On peut regretter que le code n’ait pas été l’occasion de donner corps à ce type d’association du public.

Quant aux dispositions relatives aux « commissions administratives à caractère consultatif » (articles R133-1 à R133-15), elles intéresseraient l’aménagement du territoire qui prévoit de nombreuses consultations, si du moins les commissions les plus importantes, à l’instar des conférences territoriales de l’action publique instituées dans chaque région par la loi du 27 janvier 2014, n’étaient pas créées par la loi et donc hors champ du code.

Les actes non décisoires

La politique d’aménagement du territoire fait largement appel aux actes non décisoires tels que les circulaires ou directives devenues lignes directrices (le code ne reprend aucune de ces deux dénominations) pour l’attribution des aides aux entreprises. Le code est ici un peu décevant dans la mesure où il envisage seulement la publicité de ces actes quand la codification de la jurisprudence aurait ajouté à la connaissance, à la compréhension et à la stabilisation de leur régime. S’agissant des aides aux entreprises, leur octroi doit en effet s’effectuer dans la transparence. Si la publication des actes non décisoires peut y aider, il en va de même la motivation du refus d’une aide ou d’un agrément. Cela dit, le Code reprend ici les dispositions de la loi du 11 juillet 1979.

L’apport du code à la politique d’aménagement du territoire laisse un goût d’inachevé, mais faut-il le regretter si l’on considère, à la lumière de la pratique, que les procédures de l’aménagement du territoire sont faites pour n’être pas respectées ?

Vous pouvez citer cet article comme suit :

Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 88.

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Le secteur culturel

par Karl-Henri VOIZARD ,
Maître de conférences de droit public, Université de Toulouse, INU J.-F. Champollion,
Membre de l’IDETCOM (EA 785)

Art. 87. Il y aurait tellement à dire que nous limiterons notre propos à deux morceaux choisis. D’une part, en précisant le régime des subventions, le CRPA rejaillit sur un secteur culturel fortement imprégné de cette pratique. D’autre part, le code fait plusieurs fois référence à certaines des banches du patrimoine culturel mais son approche de l’objet apparaît au final ambiguë.

Le régime des subventions : une précision essentielle

C’est l’une de leurs marques de fabrique : les politiques culturelles s’appuient sur un réseau d’acteurs faisant intervenir aussi bien l’Etat et les collectivités territoriales qu’une nébuleuse d’associations et de sociétés commerciales. Dans ce puzzle d’institutions, la cohérence et l’efficacité de l’ensemble tiennent avant tout à l’existence de relations plus ou moins étroites entre les pouvoirs publics et ces structures privées. Pour le dire vite (pour une présentation plus complète, v. notre contribution, L’État culturel et le droit, LGDJ, 2014, n° 292-299), ces rapports entre personnes publiques et privées prennent d’abord la forme de conventions dans lesquelles sont fixées les obligations de chaque partie (le Théâtre national de Toulouse, par exemple, est une société par actions simplifiée sous convention avec l’Etat). Une véritable « mission » de service public est alors confiée à l’opérateur privé. Dans la plupart des autres hypothèses, ces rapports se manifestent à travers l’attribution d’une simple subvention (le Festival Pause Guitare d’Albi et le Théâtre Garonne à Toulouse illustrent ce cas de figure). À première vue, difficile de comprendre comment le second mécanisme parvient aussi bien que le premier à garantir l’unité de l’action culturelle, à la prémunir contre l’éparpillement. Sauf que dans le cas de la subvention culturelle, l’aide financière est bien souvent indispensable à l’activité pour qu’elle perdure, voire pour qu’elle éclose un jour. Voilà comment l’administration se retrouve en situation d’exiger avec force que l’organisme bénéficiaire prenne un certain nombre d’engagements qui vont dans son sens (en termes de tarifs, de programmation, d’action de sensibilisation en direction des publics etc.). Reste qu’une fois la subvention perçue en tout ou partie, les bénéficiaires pourraient être tentés d’en adopter une lecture quelque peu arrangeante – après tout c’est humain ! De considérer que, le contexte ayant évolué, les contraintes n’étant plus les mêmes, il serait absurde de s’enfermer dans un rigorisme en tout point contre-productif – à l’impossible nul n’est tenu !

C’est là que du point de vue du secteur culturel, l’on mesure toute l’importance de l’article L. 242-2, 2° du CRPA suivant lequel l’administration peut sans condition de délai « retirer une décision attribuant une subvention lorsque les conditions mises à son octroi n’ont pas été respectées ». Le législateur s’inspire ici d’une jurisprudence vieille de près d’un demi-siècle sur les décisions conditionnelles (CE Sect., 10 mars 1967, Ministre de l’économie et des finances c. Société Samat, Lebon 112 ; AJDA 1967. 280, concl. Y. Galmot). Concrètement, cette solution donne à la collectivité subventionnaire les moyens de maintenir une pression continue. D’autant que l’absence de condition de délai permet à l’administration de contrôler à tout moment le respect des engagements pris, y compris lorsque le projet culturel requiert plusieurs mois, voire une année entière de préparation (dans le cas d’un festival, ce n’est qu’au dernier moment que des vérifications peuvent être opérées). Si le législateur avait omis de prévoir un régime spécial pour les actes de subvention, il aurait fait courir le risque d’une application de la solution de principe de l’article L. 242-1 : le retrait peut être effectué à l’initiative de l’administration uniquement si la décision est illégale et dans un délai de quatre mois consécutif à sa naissance (v. G. Eveillard, « La codification des règles de retrait et d’abrogation des actes administratifs unilatéraux », AJDA 2015, p. 2474). C’eût été restrictif, assurément.

L’objet patrimonial : une approche ambiguë

L’on aurait pu s’attendre à ce que le législateur perpétue sans équivoque le double souci de conservation et de démocratisation du patrimoine culturel. Or, pour l’un comme pour l’autre, le code apparaît traversé par des mouvements contraires, sinon entaché d’incohérence.

Certes, en premier lieu, le code accorde à au moins deux des composants du patrimoine culturel un regain protecteur. Il est d’abord rappelé que l’usage de la langue française s’impose dans les échanges entre le public et l’administration (art. L. 111-1). Il est ensuite opéré l’intégration des archives publiques dans le champ du régime de l’accès aux documents administratifs. Cette banalisation les fait paradoxalement bénéficier d’une protection supplémentaire (sur les lacunes du statut des archives v. P. Gonod, « La réforme des archives : une occasion manquée », AJDA 2008, p. 1597) : d’une part, l’accès aux archives publiques fait enfin l’objet d’un encadrement (art. L. 311-9) ; d’autre part, il est précisé que pour une demande de communication de documents, le silence gardé par l’administration vaut refus (art. R. 311-12) – et non acceptation comme l’exige le nouveau principe (art. L. 231-1). Qu’il nous soit malgré tout permis sur cette question de faire part au lecteur de notre perplexité. Non pas sur le fond mais sur la méthode d’élaboration du code. Car on ne comprend pas bien ce qui justifie que la procédure d’accès aux documents administratifs soit rendue moins favorable au public tandis qu’un grand nombre de procédures relatives à des biens dont l’intérêt culturel est arrêté – contrairement aux archives dont certaines seulement présentent un tel intérêt ! – sont envoyées en pâture au nouveau principe du silence valant accord (autorisation de travaux sur un immeuble classé au titre des monuments historiques, autorisation de fouille préventive etc.), y compris dans le domaine ici concerné (autorisation de travaux ou de destruction d’archives privées classées comme archives historiques etc.).

Il faut bien reconnaître, en second lieu, que l’œuvre du législateur a pour effet plus ou moins direct d’accroître l’effort de démocratisation du patrimoine. D’abord par l’atténuation du caractère élitiste des choix opérés dans ce domaine. Pour ne donner qu’un seul exemple, l’administration peut décider de remplacer la consultation obligatoire d’une commission par une consultation ouverte sur un site internet (art. L. 132-1). On connaît le nombre et l’importance des commissions consultatives du patrimoine chargées d’émettre des avis avant la prise de décision (commission consultative des trésors nationaux, commission régionale du patrimoine et des sites etc.). Et leur composition demeure à l’heure actuelle très sélective (v. notre contribution, op. cit., n° 261-262). S’il est vrai que le dispositif prévu par le CRPA existait déjà avant son adoption et n’est pas exempt de tout reproche (v. S. Saunier, « L’association du public aux décisions prises par l’administration », AJDA 2015, p. 2426), les potentialités qu’il recèle se feront désormais mieux sentir. Cet effort se manifeste ensuite à travers la confirmation de la compétence de la Commission d’accès aux documents administratifs en matière de communication de la liste générale des meubles classés au titre des monuments historiques (art. L. 342-2, 17°) et d’archives publiques (art. L. 342-1). D’aucuns verront toutefois ce nouveau souffle démocratique contrarié par le droit d’exclusivité pouvant être accordé à un tiers effectuant la numérisation de ressources culturelles – telles que les collections des bibliothèques, des musées et des archives – pour une période pouvant s’étendre jusqu’à quinze années (art. L. 325-3). Ces pratiques posent question du point de vue de l’accessibilité de la culture (v. M. Cornu, « La figure ambivalente de l’usager culturel », in N. Bettio, P.-A. Collot, N. Perlo, K.-H. Voizard (dir.), La valorisation économique des biens culturels locaux en France et en Italie, L’Harmattan, 2016, p. 115). Il n’y a pas si longtemps, le directeur de la BnF créa le scandale en confiant à une société américaine la numérisation de 70 000 livres anciens avec pour contrepartie l’autorisation de commercialiser les copies pour une période de 10 ans. Une fois n’est pas coutume, voilà le scandale consacré !

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 87.

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La disparition des actes administratifs depuis le 1er juin 2016 : la fin de la lutte dans le maquis ?

par M. Florent GAULLIER
ATER à l’Université de Bordeaux, Institut Léon Duguit

Art. 76. La disparition des actes administratifs ne relève pas tout à fait de la magie, pourtant, ceux qui essayent, ou sont obligés, de se pencher sur les mécanismes de ce domaine particulier du droit administratif, sont souvent frappés par les mystères qui l’entourent. Les commentateurs autorisés avouent eux-mêmes l’extrême complexité de la matière en dénonçant notamment « le maquis » (P. Benoit-Cattin, « Dans le maquis du retrait du permis de construire… », Construction-Urbanisme, juin 2005, comm. 145) formé par certaines solutions. C’est qu’ici rien n’est naturellement simple. La sortie de vigueur des actes administratifs met en exergue deux forces qui sont pour le moins difficilement conciliables. D’un côté l’Administration, baignée dans une logique d’unilatéralité et de précarité des situations qu’elle ne fait que concéder tant qu’elle estime que le bien commun ne s’y oppose pas. De l’autre, l’administré, le public pourrait-on dire, qui pense légitimement pouvoir se fier aux décisions de ses gouvernants, qui s’habitue à la posture dont il bénéficie et qui y voit une conquête dont il a évidemment intérêt à sauvegarder. On assiste finalement, selon Maurice Hauriou, à « un épisode de la lutte engagée entre le pouvoir discrétionnaire de l’Administration et le droit conféré par cette même Administration qui entend bien devenir un droit acquis » (M. Hauriou, note sous CE, 3 novembre 1922, Dame Cachet, Sirey, 1925, III, p. 9). Le juge administratif traduisait cette lutte en tentant un équilibre fragile entre le respect de la légalité administrative demandant de purger rapidement et efficacement l’ordre juridique des situations irrégulières, et la stabilité juridique s’opposant à ce que des situations puissent être discutées éternellement. Elle l’a d’abord fait, notamment dans son célèbre arrêt Dame Cachet, en considérant que seule une illégalité pouvait justifier le retrait d’une décision individuelle, et en rattachant dans le temps cette possibilité au délai de contestation juridictionnelle de l’acte. Cette logique, appliquée mécaniquement, conduisait à offrir abusivement à l’administration une possibilité de retrait illimitée quand le délai contentieux ne pouvait courir à l’égard des tiers pour méconnaissance des formalités de publicité de l’acte (CE, 6 mai 1966, Ville de Bagneux, Rec., p. 303). En 2001, le Conseil d’Etat est donc revenu en partie sur la jurisprudence de 1922, en considérant qu’un acte créateur de droits ne pouvait être retiré que pour illégalité et dans un délai de 4 mois après son édiction, rompant salutairement le lien entre délai de retrait et délai de recours (CE, 26 octobre 2001, Ternon, AJDA, 2001, p. 1037). Malheureusement, cette solution ne constituait pas à elle seule le droit commun du régime de la sortie de vigueur des actes administratifs. Elle ne concernait qu’une sorte de disparition, le retrait, et ne visait que les actes créateurs de droits, encore fussent-il irréguliers et explicites ! Même si le régime de l’abrogation, pour les mêmes actes, s’était ensuite vu appliqué les mêmes règles que l’arrêt Ternon (CE, 6 mars 2009, Coulibaly, RFDA, 2009, p. 439), une multitude de solutions jurisprudentielles ou législatives venaient régir la matière en fonction de distinctions et de sous-distinctions subtiles. Pour exemple, les décisions implicites, initialement impossibles à rapporter (CE, 14 novembre 1969, Eve, AJDA, 1969, p. 684), ont été partiellement appréhendées par le législateur dans la loi du 12 avril 2000 au nom déjà évocateur : « relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ». En vertu de cette loi, une décision implicite d’acceptation pouvait être retirée pour illégalité, soit dans les deux mois suivant son édiction en cas de non publication (logique reprise dans Ternon), soit pendant le délai contentieux ou la durée de l’instance en cas de publication (logique de Dame Cachet). L’abrogation des décisions implicites d’acceptation, ainsi que le retrait et l’abrogation des décisions implicites de rejet créant des droits, n’étaient pas concernés par la loi de 2000, ni par les jurisprudences Ternon-Coulibaly, c’était donc toujours la solution Dame Cachet qui était applicable à ces cas particuliers (CE, 26 janvier 2007, Kaefer Wanner, AJDA, 2007, p. 537).

Au regard de cet état du droit, il devenait nécessaire de se pencher entièrement sur la question de la sortie de vigueur des actes administratifs pour donner une cohérence au système et essayer de le simplifier par la même occasion. Si la copie rendue par le codificateur, dans l’ordonnance du 23 octobre 2015 relative aux dispositions législatives du Code des Relations entre le Public et l’Administration (CRPA), est une avancée non négligeable, substantiellement, les règles du retrait et de l’abrogation ne sont toujours pas d’une grande limpidité, mais en la matière cela ne peut en être autrement, elles ont au moins le mérite d’être formellement regroupées, et donc plus accessibles, notamment au public.

Si le CRPA met fin à la distinction précédemment évoquée entre décision explicite et implicite, le nouveau régime législatif de la disparition des actes administratifs repose toujours sur des différences qui s’enchevêtrent : type de disparition, type d’acte en cause, initiative de la disparition, faculté ou obligation pesant sur l’administration. Ainsi, nous exposerons classiquement les nouvelles règles applicables à travers les deux types de disparition possibles, que le CRPA prend soin de définir au préalable : l’abrogation (I) et le retrait (II). Nous, poursuivrons en évoquant les exceptions générales expressément prévues (III), pour finalement mentionner quelques imperfections du CRPA (IV).

Les règles d’abrogation d’un acte administratif applicable au 1er juin 2016

Le CRPA donne pour la première fois une définition textuelle à l’abrogation d’un acte administratif qui est « sa disparition juridique pour l’avenir » (L. 240-1 CRPA). Cette définition n’étonne pas, elle était déjà donnée par l’ensemble de la doctrine (not. G. Lebreton, DAG, 7ème éd., Dalloz, p. 277). Au demeurant, les règles de l’abrogation d’un acte sont essentiellement codifiées à droit constant.

L’abrogation d’un acte créateur de droits est possible uniquement en cas d’illégalité de cet acte et dans un délai de 4 mois après son édiction, ce qui reprend la solution de l’arrêt Coulibaly (L. 242-1 CRPA). L’abrogation devient obligatoire sur demande présentée par le bénéficiaire de l’acte dans ce délai de 4 mois (L. 243-3 CRPA), cela semble être une innovation, la jurisprudence ne l’ayant jamais expressément consacrée.

Au-delà de ce délai de 4 mois, l’abrogation d’un acte créateur de droits, légal ou non, reste possible dans certains cas : si un recours préalable obligatoire le permet (L. 242-5 CRPA), cette solution existait déjà pour le retrait (article 20-1 de la loi du 12 avril 2000), le codificateur l’étend à l’abrogation ; si le bénéficiaire le demande pour une décision encore plus favorable et sous réserve des droits des tiers (L. 242-3 CRPA) ou si une condition qui subordonnait l’acte n’est plus remplie (L. 242-2), ce que permettait déjà l’arrêt Coulibaly.

L’abrogation est possible à tout moment pour les actes administratifs non créateurs de droits légaux, l’administration doit cependant veiller à l’assortir, le cas échéant, de mesures transitoires au nom du principe de sécurité juridique (L. 243-1 CRPA). L’abrogation devient même obligatoire si les actes non créateurs de droits sont illégaux. Cette obligation vaut pour les illégalités qui apparaissent ab initio ou après un changement de circonstances de fait ou de droit pour un acte réglementaire, et seulement à la suite d’un changement de circonstances pour les actes non réglementaires (L. 243-2 CRPA). Cette subtilité, marquée par les jurisprudences Alitalia (CE, 3 février 1989, Rec., p. 44) et Association « Les Verts » (CE, 30 novembre 1990, Rec., p. 339), a été reprise telle quelle par le Code. L’obligation disparait si l’illégalité n’existe plus au moment où l’administration se prononce sur l’abrogation, comme l’évoquait déjà la jurisprudence (CE, 10 octobre 2013, Fédération Française de Gymnastique, Rec., p. 251).

Les règles du retrait d’un acte administratif pris à partir du 1er juin 2016

Le CRPA donne également pour la première fois une définition textuelle au retrait d’un acte administratif qui est « sa disparition juridique pour l’avenir comme pour le passé » (L. 240-1). Ici, il n’y a pas plus de surprise que pour l’abrogation, la doctrine n’entendait pas le retrait autrement (not. P.-L. Frier et J. Petit, DA, 10ème éd., LGDJ, 2015, p. 371). C’est pour cette disparition rétroactive que les innovations du code sont les plus saillantes.

Le retrait d’un acte administratif (créateur ou non de droits ; explicite ou implicite ; réglementaire ou non réglementaire) est possible si l’acte en cause est illégal et uniquement dans un délai de 4 mois après son édiction. Ici, l’innovation majeure se situe dans la perte d’utilité de nombreuses distinctions qui rendaient le régime du retrait difficilement lisible. Désormais l’illégalité de l’acte constitue la pierre angulaire du retrait des actes administratifs, ce qui a pour conséquence d’interdire par principe le retrait des actes réguliers et d’orienter, dans certains cas, l’administration vers l’abrogation plutôt que vers le retrait, l’abrogation étant moins attentatoire à la sécurité juridique. Ajoutons que le retrait est parfois obligatoire si le bénéficiaire de l’acte créateur de droits illégal le demande dans le délai de 4 mois (L. 243-3 CRPA, innovation au même titre que pour l’abrogation).

Néanmoins, la disparition rétroactive d’un acte administratif demeure possible au-delà du délai de 4 mois pour l’acte non créateur de droits qui constitue une sanction (L. 243-4 CRPA). Pour les actes créateurs de droits cela est également possible dans plusieurs cas : si un recours préalable obligatoire le permet (L. 242-5 CRPA, reprenant l’article 20-1 de la loi du 12 avril 2000), si les conditions d’octroi d’une subvention ne sont pas respectées (L. 242-2 CRPA, reprise d’une lecture a contrario de CE, 25 juillet 1986, Société Grandes Distilleries « les fils d’Auguste Peureux », Rec., p. 340), si le bénéficiaire le demande pour une décision encore plus favorable et sous réserve des droits des tiers (L. 242-3 CRPA, reprenant l’arrêt Ternon).

Les exceptions générales aux règles du retrait et de l’abrogation prévues par le CRPA

Le retrait et l’abrogation n’obéissent parfois pas aux règles précédemment décrites. L’article L. 241-1 mentionne deux exceptions générales : un texte spécial peut prévoir expressément des règles particulières de disparition pour certains actes (par ex., Article L. 424-5 du Code de l’urbanisme pour le retrait du permis de construire) ; l’effectivité du droit de l’UE peut aussi exiger le non-respect des règles générales comme l’évoquait déjà le juge administratif (CE, 29 mars 2006, Centre d’exportation du livre français, Rec., p. 173). De plus, si l’acte est obtenu par fraude sa disparition peut intervenir à tout moment (L. 241-2 CRPA), ce qui est une confirmation de la jurisprudence classique, étant précisé que la fraude ne fait pas naitre une obligation de faire disparaitre l’acte pour l’administration, cette dernière dispose dans ce cas d’une simple faculté, libre à elle de l’utiliser ou pas (v. TA Lille, 23 février 2016, Société OB Fermetures, n° 1302958, AJDA, 2016, p. 1294).

Les imperfections du CRPA dans le domaine de la disparition des actes administratifs

Nous ne reviendrons pas sur toutes les imperfections du CRPA en matière de disparition des actes administratifs (v. G. Eveillard, La codification des règles de retrait et d’abrogation des actes administratifs unilatéraux, AJDA, 2015, p. 2474 et B. Seiller, La sortie de vigueur des actes administratifs, RFDA, 2016, p. 58), mais sur trois précisément choisies, qui font partie de celles qui, dans un code destiné au public, pourraient sembler les plus aberrantes pour lui.

D’abord, il n’existe pas dans le CRPA de définition de l’acte créateur de droit alors que l’expression est cruciale dans le régime de disparition des actes administratifs. Certes il n’est pas aisé de vouloir définir cette notion, mais ne pas tenter de le faire entoure, encore une fois, d’incertitudes, le régime de la disparition des actes.

Aussi, un acte créateur de droit peut être abrogé ou retiré, au-delà du délai de 4 mois, sur demande du bénéficiaire sous réserve des droits des tiers et pour obtenir une décision plus favorable. Ici, l’obtention d’une décision plus favorable apparait comme une condition sine qua non à la disparition de l’acte. Mais, si le bénéficiaire demande volontairement (par altruisme par exemple quand l’avantage dont il bénéficie pourrait, s’il le remet en jeu, bénéficier à quelqu’un d’autre), la disparition d’une décision, légale ou non, au profit d’une situation qui lui est moins favorable, pourquoi empêcher l’administration d’avoir la simple possibilité d’étudier la demande et d’y faire éventuellement droit si par exemple l’intérêt du service l’exige ? Si, pour une décision légale, juridiquement la solution n’est pas totalement aberrante, elle l’est en cas d’illégalité. Dans les deux cas, la condition de la décision plus favorable, ne favorise pas les relations entre l’administration et le public, au contraire elle les bloque inutilement sur ce point.

Enfin, une sanction peut être retirée à tout moment et pour tout motif en vertu de l’article L. 243-4 du CRPA. En réalité, cet acte particulier retombe, par exception, dans le régime de retrait de l’acte non créateur de droits applicable avant le CRPA (v. CE, 19 décembre 2014, M. B., n° 376341). Une sanction est par nature défavorable, elle ne constitue pas de droits dans le chef de son destinataire, encore moins pour les tiers. Son retrait illimité dans le temps parait pour le moins logique et même bénéfique pour celui qui aurait dû la subir ou qui l’a déjà subi. Mais, peut-on se réjouir du fait que ce retrait soit totalement à la libre appréciation de l’administration, que la sanction soit légale ou non ? Théoriquement, on peut imaginer qu’une administration sanctionne justement et légalement, elle apparaitrait alors comme exemplaire aux yeux du public. Si, passé l’effet d’annonce elle retire discrètement la sanction, le public est dupé. A l’inverse, une administration qui sanctionnerait illégalement, le destinataire ne l’ayant pas inquiétée au contentieux, pourrait maintenir l’illégalité, quand bien même le sanctionné l’aurait découverte par la suite.

Il convient finalement, au regard de tout ce qui vient d’être présenté, de souligner le travail réalisé par le codificateur pour tenter de clarifier le droit en matière de disparition des actes administratifs, et de constater que l’effort réalisé est majeur, même si des imperfections demeurent.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 76.

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L’entrée en vigueur des actes administratifs dans le Code des relations entre le public et l’administration : ni innovation, ni changement … le temps fait son œuvre.

par Mme Florence CROUZATIER-DURAND
Maitre de conférences en droit public à à l’Université Toulouse 1 Capitole,
Institut Maurice Hauriou

Art. 75. Dans le Code des relations entre le public et l’administration (ordonnance n° 2015-1341 et décret n° 2015-1342 du 23 octobre 2015), c’est le titre II du livre II qui est consacré à l’entrée en vigueur des actes administratifs unilatéraux ainsi qu’à leur application. Conformément aux termes de la loi d’habilitation du 12 novembre 2013, il s’agit d’une codification à droit constant, l’intérêt étant de regrouper des règles existantes, textes législatifs et réglementaires et règles jurisprudentielles. Les innovations qui avaient pour ambition de renforcer les garanties contre les changements de réglementation sont décevantes, peu nombreuses et de faible portée (J. Petit, AJDA 2015, p. 1433).

Un acte administratif unilatéral est une manifestation de volonté visant à produire des effets de droit ; en créant des droits et obligations pour les personnes qu’il concerne il modifie l’ordonnancement juridique. Dans le CRPA, si le livre II s’intitule « Actes unilatéraux pris par l’administration », le titre II fait quant à lui référence aux « actes administratifs ». Par ailleurs, l’article L. 200-1 précise que, pour l’application du livre II, « on entend par actes les actes administratifs unilatéraux décisoires et non décisoires ». Ces précisions sont une incontestable source de complexité pour le lecteur non averti.

L’analyse du Code révèle que tous les actes administratifs unilatéraux sont concernés par cette législation, y compris certains actes non susceptibles de recours (les mesures d’ordre intérieur par exemple). Cela suppose de considérer que parmi les actes décisoires, certains font grief, d’autres pas ; le Code s’appliquant à l’ensemble de la catégorie (Voir F. Melleray, « Les apports du CRPA à la théorie de l’acte administratif unilatéral », AJDA 2015, p. 2491).

Trois aspects nous paraissent devoir être envisagés dans cette étude : le moment de l’entrée en vigueur, les modalités de l’entrée en vigueur et les effets de l’entrée en vigueur.

Le moment de l’entrée en vigueur des actes administratifs :

En droit administratif, l’entrée en vigueur constitue le premier moment de la vie de l’acte, avant cette date il n’est en effet pas considéré comme un acte juridique : il n’existe pas et ne produit donc aucun effet de droit. Un acte administratif ne produit d’effet de droit que lorsque toutes les formalités concernant son édiction et sa publicité ont été accomplies. L’entrée en vigueur suppose donc que l’acte soit porté à la connaissance de ceux qu’il vise. Dès lors, l’entrée en vigueur est le moment où l’acte administratif est applicable, opposable aux administrés et invocable par eux.

 Les modalités de l’entrée en vigueur des actes administratifs :

Les modalités de l’entrée en vigueur des actes administratifs sont différentes selon que la décision a une nature réglementaire ou individuelle.

S’agissant des décisions réglementaires, auxquelles sont jointes les décisions d’espèce (catégorie intermédiaire composée de décisions qui ne sont ni réglementaires, ni individuelles), ce sont les dispositions des articles L. 221-2 et L. 221-3 qui régissent leur entrée en vigueur.

L’article L. 221-2 rappelle que « L’entrée en vigueur d’un acte réglementaire est subordonnée à l’accomplissement de formalités adéquates de publicité, notamment par la voie, selon les cas, d’une publication ou d’un affichage ». La publication comme l’affichage sont les modes de publicité adaptés tant aux actes réglementaires, applicables à une catégorie abstraite de personnes, qu’aux décisions d’espèce, qui ne visent pas d’individus déterminés. L’entrée en vigueur de ces décisions est subordonnée à leur publicité officielle, au Journal officiel s’agissant des décrets et dans les bulletins officiels des ministères intéressés pour les arrêtés. Quant aux décisions des autorités locales, elles sont publiées dans les recueils appropriés ou affichées sur les panneaux disposés à cet effet. Tant que les règlements n’ont pas reçu la publicité requise, ils n’emportent pas plus d’effets à l’égard de l’administration qu’à l’égard des administrés. Mais la publication ou l’affichage ne suffit pas toujours, parfois une autre mesure doit être accomplie : certains règlements des autorités décentralisées doivent être transmis au représentant de l’Etat en vertu du Code général des collectivités territoriales. De la même façon, l’article R. 411-25 du Code de la route prévoit que les règlements de police doivent non seulement être publiés ou affichés, mais également concrétisés sur le terrain par une signalisation adéquate pour être opposables aux usagers de la route.

La publicité constitue une garantie incontestable de sécurité juridique pour les administrés, soumise néanmoins à la condition que l’administration procède à celle-ci. Notons à cet égard qu’en vertu d’un principe général du droit, dont on peut remarquer qu’il n’est pas codifié par le CRPA, l’autorité administrative doit publier tout règlement dans un délai raisonnable, sauf circonstances particulières (Conseil d’Etat, 12 déc. 2003, Syndicat des commissaires et hauts fonctionnaires de la police nationale).

L’article L. 221-2 du Code généralise une solution ancienne, issue de l’article 1er du code civil modifié par l’ordonnance du 20 février 2004, en prescrivant qu’un « acte réglementaire entre en vigueur le lendemain du jour de l’accomplissement des formalités » nécessaires. Précisons pour finir sur ce point que depuis le 22 décembre 2015, le Journal officiel de la République française est dématérialisé, toute publication se fait depuis cette date par voie électronique. Ce n’est pas le cas de la publication des actes des collectivités territoriales, ce qui peut être regretté.

S’agissant des actes administratifs individuels, l’article L. 221-8 prévoit qu’une « décision individuelle expresse est opposable à la personne qui en fait l’objet au moment où elle est notifiée ». Deux remarques peuvent être formulées : d’abord, les dispositions du CRPA ne concernent que les décisions individuelles expresses ; l’entrée en vigueur des décisions implicites n’est pas abordée par le code. Ensuite, le CRPA évoque l’opposabilité et non l’entrée en vigueur ; rappelons que selon la jurisprudence, les décisions favorables à leur destinataire entrent en vigueur dès leur signature alors que celles défavorables à leur destinataire n’entrent en vigueur et ne sont opposables que lorsqu’elles ont été notifiées (CE, sect., 29 déc. 1952, Delle Mattéi, Lebon p. 594). C’est la notification qui fait l’opposabilité, sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires ou instituant d’autres formalités préalables. La notification peut donc n’être pas suffisante, ainsi les décisions individuelles des collectivités territoriales doivent être transmises au représentant de l’État.

L’article L. 221-14 apporte quelques précisions visant à protéger les administrés et garantir le droit à l’oubli en rappelant que « certains actes individuels, notamment relatifs à l’état et la nationalité des personnes, doivent être publiés dans des conditions garantissant qu’ils ne font pas l’objet d’une indexation par des moteurs de recherche ».

Les effets de l’entrée en vigueur : l’application des actes administratifs :

Les dispositions des articles L. 221-6 à L. 221-9 du Code portent sur l’application dans le temps des règlements. Comme le souligne J. Petit (précité), « Ce sont là deux questions liées mais différentes ». Ce sont des situations dans lesquelles le règlement ne s’applique pas au moment même de son entrée en vigueur.

D’abord, en vertu de l’article L. 221-4, un règlement administratif ne s’applique pas aux situations juridiques définitivement constituées avant son entrée en vigueur, conformément au principe de non-rétroactivité ; il ne s’applique pas non plus aux contrats formés avant la date de son entrée en vigueur.

 

Par ailleurs, l’article L. 221-3 prévoit que l’entrée en vigueur peut être reportée à une date ultérieure lorsque l’application immédiate de la nouvelle règlementation s’avère impossible. C’est le cas lorsque des mesures d’application sont nécessaires pour que le texte soit applicable.

Dans le même sens, les articles L. 221-5 et L. 221-6 prévoient la possibilité que l’application d’un acte soit retardée et les conditions dans lesquelles une autorité administrative investie d’un pouvoir réglementaire peut édicter des dispositions transitoires. Il s’agit de dissocier l’entrée en vigueur et l’application de l’acte administratif pour des raisons de sécurité juridique, comme le juge administratif l’avait envisagé dans les arrêts de 2006, KPMG et Mme Lacroix. Cette jurisprudence, reprise dans le Code, fait obligation à l’autorité administrative d’édicter des mesures transitoires lorsque l’application immédiate d’une réglementation entraine, au regard de l’objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause. Elle peut aussi y avoir recours afin d’accompagner un changement de réglementation.

Pour conclure, les articles L. 221-9 à R. 221-16 rappellent un certain nombre de règles préexistantes de publication particulière relatives à des actes qui ne sont pas des décisions administratives (loi, avis, proposition par exemple), également des actes dont la publication n’implique pas l’entrée en vigueur soit parce qu’ils doivent être notifiés soit parce que la simple signature de l’acte suffit à leur entrée en vigueur. On ne peut pas considérer que cette codification soit inutile, mais sur la question de l’entrée en vigueur elle simplifie peu et elle n’innove en rien.

Vous pouvez citer cet article comme suit :

Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 75.

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L’obligation de motivation des actes unilatéraux en droit de l’Union

par M. le pr. Eric CARPANO,
Professeur de droit public à l’Université de Lyon 3 Jean Moulin

Art. 74. Le droit de l’Union impose une obligation générale de motivation des actes unilatéraux adoptés par les institutions de l’Union ou par les autorités nationales en exécution de ceux-ci. Consacrée par l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, elle s’étend à tous les « actes juridiques » en vertu de l’article 296 TFUE. Sous ce double point de vue, elle apparaît comme une obligation constitutionnelle européenne que la Cour de justice module dans une perspective fonctionnelle et finaliste. Encore faut-il en mesurer l’exacte portée  car si l’obligation de motivation est largement consacrée dans son principe (I) elle n’en reste pas moins une obligation relative (II)

Une obligation de motivation généralisée

L’obligation de motivation des actes en droit de l’Union est générale en ce qu’elle concerne tous les « actes juridiques » (article 296 TFUE) qu’ils s’agissent d’actes individuels (CJCE, 30 septembre 1982, Roquette Frères / Conseil, aff. 110/81, Rec.3159) ou généraux. Au regard de la pratique des Etats, cette obligation générale de motivation des actes de portée générale apparaît comme une exception mais s’explique dans le contexte européen dès lors que l’Union n’a qu’une compétence d’attribution : l’obligation de motivation des actes de portée générale a été conçue par les Etats comme un moyen de contrôler et d’encadrer l’action des institutions de l’Union. Cette obligation de motivation s’étend aux actes non obligatoires tels que les avis, les recommandations (article 258§1 TFUE) et les projets de règlement ou de directive ou les amendements parlementaires au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité (article 5, Protocole n°2 du traité de Lisbonne). Mais même en dehors de toute obligation de motivation,  les institutions et en particulier la Commission européenne, se sont astreintes volontairement à une pratique de la motivation d’actes non prévus par les traités qui, avant le traité de Lisbonne, n’étaient pas concernés par l’obligation de motivation prévue à l’article 253 TCE. Il s’agit des actes atypiques comme par exemple les communications de la Commission par lesquelles la Commission arrête sa doctrine administrative. Cette pratique de la motivation est codifiée par des codes de bonne conduite administrative adoptés par le médiateur européen en 2001 et repris ou adapté par d’autres institutions européennes comme la Commission ou le Parlement européen (voir Voir Guide sur les obligations des fonctionnaires et agents du Parlement européen (code de bonne conduite) (JOCE C 97/1, 5 avril 2000). Cette obligation de motivation concerne toutes les institutions normatrices adoptant des actes juridiques au sens de l’article 296 TFUE, y compris la Banque centrale européenne ou les organes et organismes de l’UE agissant sur délégation des institutions. Quant aux autorités nationales, elles sont liées par l’obligation de motivation en vertu d’un principe général du droit conçu comme le corolaire du droit à une protection juridictionnelle effective (CJCE, 15 octobre 1987, Unectef contre Georges Heylens et autres, Aff. 222/86, Rec. 4097) repris par l’article 41 de la Charte qui exige que « les décisions administratives soient motivées » lorsque les Etats mettent en œuvre le droit de l’Union. On observera toutefois que cette obligation européenne de motivation à la charge des Etats se distingue quelque peu de l’obligation imposée aux institutions : d’abord elle ne concerne que les actes individuels et non les actes de portée générale compte tenu de la finalité de la motivation à savoir garantir une protection juridictionnelle effective (CJCE, 17 juin 1997, Sodemare SA, Anni Azzurri Holding SpA et Anni Azzurri Rezzato Srl contre Regione Lombardia, Aff. C-70/95, Recueil I-3395) ; ensuite sur le plan formel, la motivation n’a pas nécessairement à être intégrée dans l’acte lui-même de telle sorte que celle-ci pourra être transmise à l’intéressé à sa demande ce que rejette le juge de européen s’agissant des actes de l’Union (TPI, 3 février 2000, CCRE / Commission, T-46/98 et T-151/98, Recueil II-167, pt. 46)

Cette obligation de motivation est à la fois une obligation fonctionnelle et une obligation formelle qui s’inscrit dans la logique de la construction d’une Union de droit dans laquelle nulle autorité ne saurait échapper au contrôle de la légalité de ses actes avec les normes fondamentales du système juridique (CJUE, 14 juin 2012, CIVAD, aff. C-533/10). Selon la Cour de justice, « En imposant à la Commission l’obligation de motiver ses actes, l’article 190 CE ne répond pas seulement à un souci formel, mais vise à donner aux parties la possibilité de défendre leurs droits, à la Cour d’exercer son contrôle et aux États membres, comme à tout ressortissant intéressé, de connaître les conditions dans lesquelles la Commission a fait application du traité » (CJCE, 4 juillet 1963, Commission c/ Allemagne, Aff. 24-62, Rec. 131). L’obligation de motivation remplit d’abord la fonction d’informer les intéressés afin de permettre aux parties d’exercer leur droit de recours en pleine connaissance de cause. Ensuite elle vise à permettre à la Cour d’exercer pleinement son contrôle de la légalité. Enfin, l’exigence de motivation détaillée serait également de nature à obliger l’administration à expliciter pour elle-même les raisons d’une décision. A cet égard, la motivation remplit une fonction démocratique en permettant l’autolimitation de l’administration et aux citoyens de contrôler l’action de l’administration en révélant au public les mobiles des décisions publiques (CJCE, 4 juillet 1963, Commission c/ Allemagne, Aff. 24-62, Rec. 131). Encore faut-il préciser qu’il s’agit avant tout d’une obligation de forme et non de fond. D’abord, la motivation doit être intégrée dans l’acte lui-même ce qui interdit toute motivation rapportée a posteriori (TPI, 3 février 2000, CCRE / Commission, T-46/98 et T-151/98, Recueil II-167, pt. 4). Ensuite, le juge se limite à contrôler le caractère suffisant de la motivation et ne se prononce pas en principe sur le bienfondé de la motivation qui relève de la légalité au fond de l’acte litigieux. Sous ce point de vue, motifs et motivation sont deux choses différentes. Les motifs sont « les éléments de fait et de droit qui expliquent la décision » alors que la motivation « relève de la légalité externe ». La motivation n’est qu’une règle de forme. Contrôler la motivation, c’est contrôler le caractère suffisant de la motivation ; contrôler les motifs c’est contrôler le bien-fondé de la motivation et ce contrôle relève du fond et non plus de la forme. A cet égard, le juge de l’Union considère que «  la motivation d’une décision consiste à exprimer formellement les motifs sur lesquels repose cette décision. Si ces motifs sont entachés d’erreurs, celles-ci entachent la légalité au fond de la décision, mais non la motivation de celle-ci, qui peut être suffisante tout en exprimant des motifs erronés » (CJCE, 24 novembre 2010, Marcuccio / Commission, T-9/09 P, pt. 52). La Cour de justice impose deux exigences minimales en matière de motivation : premièrement, la motivation doit indiquer dans les visas ou les considérants la disposition précise du traité qui constitue la base juridique de l’acte (CJCE, 28 novembre 2006, Parlement / Conseil, C-413/04, Rec. I-11221) ; deuxièmement, la motivation doit faire apparaître « de façon claire et non équivoque les raisons sur lesquelles l’acte est fondé » (CJCE, 9 juillet 1969, Italie / Commission, aff. 1/69, Rec. 277- ou le « raisonnement de l’institution auteur de l’acte » (CJUE, 14 octobre 2010, Deutsche Telekom / Commission, C-280/08 P, pt. 130-131).

Pour le reste, l’intensité et la sanction de la motivation peuvent varier sensiblement d’un acte à l’autre, d’un contexte à l’autre. Et apparaît ici une limite importante à l’obligation de motivation qui contraste avec la généralité de sa consécration.

Une obligation de motivation relative

Le caractère relatif de l’obligation de motivation se manifeste d’une part quant à l’étendue de la motivation et d’autre part quant à la sanction de l’obligation de motivation.

L’étendue de l’obligation de motiver dépend d’abord de la nature de l’acte en cause (CJCE, 13 mars 1968, W. Beus Gmbh, 5/67, Rec. 143). L’étendue de la motivation des actes législatifs est moindre que pour les actes individuels. L’exigence de motivation dans cette hypothèse relève plus ici de considérations relatives à la démocratie et la transparence que de considération contentieuse comme en matière de décision individuelle. La Cour de justice considère que « s’agissant d’acte de portée générale, la motivation peut se borner à indiquer, d’une part la situation d’ensemble qui a conduit à son adoption, d’autre part les objectifs généraux qu’il se propose d’atteindre. Dès lors, on ne saurait exiger qu’elle spécifie les différents faits, parfois très nombreux et complexes, au vu desquels le règlement a été adopté, ni a fortiori qu’elle en fournisse une appréciation plus ou moins complète » (CJCE, 22 novembre 2001, Pays-Bas c/ Conseil, 110/97, Rec. I-8763). En revanche la Cour exige que les actes individuels soient en principe beaucoup plus motivés. Cela résulte de l’une des fonctions principales de la motivation qui est de permettre au destinataire de l’acte d’évaluer le bien-fondé de l’acte. Sous ce point de vue, l’obligation de motivation est très étroitement liée à au droit au recours juridictionnel en ce qu’il conditionne son exercice effectif. Pour le juge de l’UE, « la motivation d’une décision doit toujours être telle que le juge communautaire soit en mesure d’exercer son contrôle de la légalité » (TPI, 16 juillet 1998, Kia Motors Nederland BV, T-195/97, Rec. II-2921). Ensuite, cette obligation de motivation varie en fonction de l’objet de l’acte. Certains actes sont soumis à une obligation de motivation renforcée comme les actes économiques (CJCE, 18 février 1970, Hauptzollamt Hamburg-Oberelbe contre Firma Paul G. Bollmann, aff. 40/69, Rec. 69) ou les actes dérogatoires (CJCE, 1er juillet 1986, Usinor, Aff. 185/85, Rec. 2079) ; d’autres, comme les actes à caractère discrétionnaire (TPI, 12 décembre 2006, Organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran, T-228/02) ou les décisions infligeant des amendes (CJCE, 18 septembre 2003, Volkswagen / Commission, C-338/00 P, Rec. I-9189) peuvent se contenter d’une motivation plus réduite. Enfin, la Cour considère que le degré de précision de la motivation dépend également du contexte dans lequel l’acte a été adopté. Une motivation détaillée peut être jugée inutile lorsque par exemple le destinataire de la décision a été associé au processus d’élaboration de l’acte (CJCE, 13 décembre 1990, Pays-Bas contre Commission, C-22/89, Rec. I-4799) ; elle peut être exceptionnellement jugée impossible lorsqu’en raison de l’urgence et de la technicité du domaine d’intervention, une telle motivation empêcherait la Commission de statuer dans un bref délai ( CJCE, 1er décembre 1965, Schwarze, 16-65, Rec.1081) compromettrait l’action de la Commission (CJCE, 7 février 1990, Gemeente Amsterdam et VIA / Commission, C-213/87, Rec.I-221). L’institution peut aussi être relevée de son obligation de motivation en raison de considérations impérieuses touchant à la sûreté de l’UE ou de ses Etats membres ou à la conduite de leurs relations internationales (TPI, 12 décembre 2006, Organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran, T-228/02)

La sanction de la motivation est également modulable. En principe, la violation de l’obligation de motivation est un moyen d’ordre public qui est sanctionnée par l’annulation et ou la déclaration d’invalidité de l’acte pour violation des formes substantielles (CJUE, 2 décembre 2009, Commission / Irlande e.a., C-89/08 P, Rec.I-11245). Il peut s’agir d’une absence de motivation (très rare, voir CJCE, 13 mars 1968, W. Beus Gmbh, 5/67, Rec. 143), d’une motivation insuffisante (CJCE, 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma NV, Aff. 41-69, Rec. 661) ou contradictoire (TPI, 24 janvier 1995, Tremblay e.a. / Commission, T-5/93, Rec. II-185) ; TPI, 30 mars 2000, Kish Glass / Commission, T-65/96, Rec.II-1885). Toutefois, le juge de l’UE fait preuve d’une certaine souplesse : ni une motivation imprécise, ni une motivation erronée ne suffit en tant que telle à l’annulation ou l’invalidité de l’acte dès que cela ne constitue pas un caractère déterminant. Ainsi, l’imprécision de la motivation ne suffit pas à lui seul à invalider l’acte dès lors que cette imprécision ne revêt pas un caractère déterminant (CJCE, 25 novembre 1976, Küster / Parlement, 123-75, Rec.1701). D’une manière générale, le juge considère que le moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation est un moyen accessoire soulevé en dernier lieu. Conformément à une approche finaliste de la motivation, la Cour considère que la motivation devant servir principalement à faciliter le contrôle juridictionnel, celle-ci est satisfaite dès lors que les parties ont pu présenter utilement leur argumentation de manière circonstanciée devant la Cour et la Cour d’exercer son contrôle (CJCE, 11 juillet 1985, Remia BV et alii, aff. 42/84, Rec. 2545). Autrement dit, la preuve d’une motivation suffisante est rapportée par l’effectivité du contrôle juridictionnel opérée par le juge. On touche là à l’essence même de l’obligation européenne de motivation qui est étroitement liée au contrôle de légalité. On est là bien loin d’une conception éthique de la motivation défendue par les tenants de la démocratie administrative (J.L. Mashaw, « Reasoned Administration: The European Union, the United States, and the Project of Democratic Governance », 76 Geo. Wash. L. Rev., 2007-2008, p. 99).

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 74.

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Les dispositions préliminaires

par M. le pr. Sébastien SAUNIER,
Professeur de droit public à l’Université Toulouse I Capitole,
membre de l’IDETCOM

Art. 71. Le code des relations entre le public et l’administration débute par l’énoncé de dispositions préliminaires (art. L. 100-1 à L. 100-3) d’une importance cardinale aussi bien pour le citoyen qui le consulte, l’administrateur qui l’applique ou encore les juges (principalement administratifs mais aussi judiciaires), qui lors de l’invocation du texte au cours d’un procès devront vérifier au préalable son applicabilité au litige. Pour faire simple, les dispositions préliminaires répondent aux deux questions suivantes : le CRPA est-il applicable au problème juridique donné ? Quels sont les principes directeurs de la relation entre l’administration et le public ?

Ces articles définissent donc le champ d’application et la philosophie du code, mais d’une façon quelque peu désordonnée, ce qui en rompt la logique.

1. L’article L. 100-1 alinéa 1 rappelle en premier lieu l’objectif visé par les rédacteurs du CRPA, à savoir d’en faire la « lex generalis» des relations entre le public et l’administration. Il s’agit d’un texte « à vocation généraliste » (Rapport au Président de la République). Il « régit les relations entre le public et l’administration en l’absence de dispositions spéciales applicables». Jusqu’ici les règles relatives à ces relations étaient dispersées dans différents textes ainsi que nourries par la jurisprudence principalement administrative. Il rassemble donc les principales règles générales applicables aux relations entre l’administration et les administrés, les citoyens ou les personnes morales de droit privé (associations, entreprises, etc.). Il faut toutefois comprendre ici, afin d’éviter tout malentendu, que le CRPA ne contient pas toutes les dispositions applicables à ces relations. Loin s’en faut, puisque dès lors qu’une disposition spéciale existe, elle y déroge ainsi que le prévoit explicitement l’article L. 100-1. L’on mentionnera notamment à titre d’illustrations les nombreux codes qui contiennent les règles spéciales applicables, selon les matières, à ces relations (code général des collectivités territoriales, code des marchés publics, code général des impôts, livre des procédures fiscales, code de l’éducation, code général de la propriété des personnes publiques, etc.) et qui, par conséquent, entraînent en principe l’inapplication du CRPA. La jurisprudence aura vraisemblablement l’occasion de préciser l’articulation loi spéciale/loi générale de procédure… Le chantier est immense !

L’alinéa 2 précise que « sauf dispositions contraires du présent code, celui-ci est applicable aux relations entre l’administration et ses agents ». Le texte tente à nouveau une synthèse de la jurisprudence et des textes codifiés puisque selon les cas, les relations avec les agents étaient exclues ou, au contraire, soumises aux dispositions concernées (par ex. l’exclusion prévue par l’article 18 de la loi n°2000-321 du 12 avril 2000). L’on ne peut s’empêcher de remarquer cependant que la précision apportée rompt la structuration des dispositions préliminaires : la précision avait davantage sa place dans l’article L. 100-3 du CRPA (v. infra)

2. L’article L. 100-2 constitue en second lieu le résultat d’une longue réflexion sur l’intérêt d’inscrire dans le code les grands principes directeurs de la procédure administrative non juridictionnelle. La récolte est maigre. Il dispose : « L’administration agit dans l’intérêt général et respecte le principe de légalité. Elle est tenue à l’obligation de neutralité et au respect du principe de laïcité. Elle se conforme au principe d’égalité et garantir à chacun un traitement impartial». Il faut bien avouer que la tâche était délicate et avait même fait l’objet d’un colloque réunissant, sous la présidence de Jean-Marc Sauvé, professeurs de droit, conseillers d’État, hauts fonctionnaires et avocats (A la recherche des principes du droit de la procédure administrative, Colloque, Chaire MADP/Conseil d’Etat, 5 décembre 2014) donnant lieu à des propositions très nuancées, aussi bien quant à la liste des principes à codifier que sur la pertinence d’une telle codification. L’on rappellera toutefois que depuis la seconde moitié du XXème siècle, il existe un socle homogène bien que réduits de principes procéduraux : ainsi particulièrement les principes généraux du droit parmi lesquels l’obligation de respecter les droits de la défense (CE, 5 mai 1944, Dame Veuve Trompier-Gravier, Rec. p. 133 ; CE, Ass., 26 octobre 1945, Aramu, Rec., p. 213, S. 1946.III.1 concl. Odent, D. 1946 p. 158 note Morange), le principe de non-rétroactivité des actes administratifs (CE, Ass., 25 juin 1948, Sté Journal L’Aurore, Rec. p. 289), le principe de l’impartialité nécessaire à tout organisme administratif CE, 29 avril 1949, Bourdeaux, Rec. 188), le principe selon lequel tout administré peut demander à l’Administration par la voie d’un recours administratif hiérarchique de revenir sur ses décisions (CE, Sect., 30 juin 1950, Quéralt, Rec. p. 413 ; Dr. soc. 1951, p. 246, concl. Delvolvé ; S. 1951, 3, 85, note Auby). Parallèlement, la doctrine avait proposé les premières synthèses sur le sujet. Jean-Marie Auby a dégagé pour la première fois en 1956 quatre grands principes : la publicité, le caractère contradictoire, le caractère impartial de la procédure et le caractère effectif (« La procédure administrative non contentieuse », D. 1956, chron. VII, p. 27 et s.). Georges Langrod a également proposé à la même époque, à partir d’une approche « empirique », « une sorte de schéma des principes généraux de procédure administrative à caractère fondamental », à la lumière de l’expérience comparative (« Procédure administrative et droit administratif », Revue internationale des sciences administratives 1956, vol. XXII, n°3, p. 6) : le droit à la défense, le principe de la vérité matérielle (à savoir la recherche objective par l’Administration de l’état réel des faits), le principe d’impartialité, le principe de l’action d’office, le principe de la preuve libre, le principe de la simplicité processuelle, le principe de la publicité des affaires, le principe de l’oralité de la procédure, le principe de la procédure directe et le principe du recours hiérarchique. G. Isaac distinguait quant à lui cinq principes généraux relatifs au déroulement de la procédure administrative   (G. Isaac, La procédure administrative non contentieuse, LGDJ, Bibliothèque de droit public, t. 79, 1968) : son caractère inquisitoire, le principe de la publicité de la procédure, le principe du contradictoire, le principe d’impartialité, le caractère effectif de la procédure (à savoir l’obligation pour l’administration de procéder à un examen effectif des affaires, qualifié déjà par l’auteur de principe de « bonne administration ». Op. cit., spéc. p. 438). Depuis, la question a été profondément renouvelée. Le rôle créateur du juge administratif n’a pas décliné. Ainsi, sont venus enrichir la liste des principes généraux du droit, celui selon lequel « l’autorité compétente, saisie d’une demande tendant à l’abrogation d’un règlement illégal, est tenu d’y déférer » (CE, ass., 3 févr. 1989, n° 74052, Cie Alitalia, Rec. CE 1989, p. 44), l’obligation de publier dans un délai raisonnement les règlements (CE, 31 déc. 2003, Synd. Commissaire et hauts fonctionnaires police nat., Rec. p. 506), le principe de sécurité juridique (CE, ass., 24 mars 2006, Sté KPMG et a., Rec. p. 154), le récent bien que très attendu « principe selon lequel, les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements» (CE, Ass., 23 décembre 2011, Danthony et autres, Rec. p. 649). Le principe formulé le même jour selon lequel un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il a été susceptible d’exercer une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie (CE, Ass., 23 décembre 2011, Danthony et autres, préc.). Si l’influence du droit constitutionnel sur les principes de la procédure administrative est plus limitée (v. toutefois, le principe de participation du public à l’élaboration des décisions administratives ayant une incidence sur l’environnement), le renouvellement aurait en revanche pu être tiré du droit comparé (v. les exemples très intéressants du droit américain, anglais et canadien : Conseil d’Etat, Consulter autrement Participer effectivement, Rapport public 2011, p. 47 et s.), du droit international (ainsi du droit à un procès équitable consacré à l’article 6 de la CESDHLF applicable à certaines procédures administratives) et des standards européens dégagés particulièrement par les travaux du réseau ReNUAL (Research Network on EU Administrative Law) qui a mis en évidence des principes communs aux Etats membres de l’Union européenne. Sous cet angle, l’article L. 100-2 a malheureusement, un parfum désuet…

3. L’article L. 100-3 énonce en troisième lieu la définition des termes « Administration » et « Public ». Sont des administrations soumises au code les administrations de l’État, les collectivités territoriales, leurs établissements publics administratifs et les organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale ». Le « Public » est entendu comme « toute personne physique » ou « toute personne morales de droit privé, à l’exception de celles qui sont chargées d’une mission de service public lorsqu’ est en cause l’exercice de cette mission ».

Ce troisième axe des dispositions préliminaires est essentiel. Les définitions énoncées conditionnent directement l’application du code et déterminent son champ d’application. Elles précisent la conception retenue par le législateur de l’ « administrativité » des procédures. En effet, rappelons que l’administration n’est pas systématiquement soumise à une procédure administrative pas plus que le contrat qu’elle signe est nécessairement un contrat administratif ou l’acte unilatéral édicté une acte administratif. Comme le contrat ou l’acte unilatéral, la procédure à suivre par l’administration peut être régie par le droit privé. La question est peu abordée dans la littérature juridique ainsi que cela a été récemment mis en évidence alors qu’elle est cruciale (l’on se permettra de renvoyer à notre étude, « La notion de procédure administrative non contentieuse », in Les procédures administratives, sous la direction de l’Association française pour la recherche en droit administratif, Dalloz, 2015, spéc. p. 63 et s.). Or, l’état du droit laissait apparaître deux critères principaux : un critère organique nécessaire mais insuffisant, complété par un critère matériel. En effet, contrairement à ce qui avait pu correspondre à une certaine époque, l’Administration publique n’est plus systématiquement soumise à des procédures administratives. En outre, certaines personnes morales de droit privé peuvent être soumises à des règles de procédure administrative. La notion de service public constitue une clef de définition du champ d’application de ces règles. Certains auteurs estiment d’ailleurs que tout service public, indépendamment de sa qualité de service public administratif ou industriel et commercial devrait en relever. La notion de puissance publique forme une seconde clef de compréhension de son étendue et particulièrement, sa concrétisation par la décision administrative. Le choix fait par les rédacteurs du code a été une nouvelle fois guidé par le pragmatisme et la volonté de maintenir l’état du droit existant. L’article L. 300-1 répond au champ d’application organique et matériel du droit de la procédure administrative qui correspond à la conception la plus syncrétique possible puisque les grandes lois adoptées depuis 1978 avaient quasiment toutes des champ d’application différents (ibid., p. 63 et s.). A cet égard, le CRPA prévoit de multiples dérogations en plus ou en moins (v. en ce sens, art. D. 113-1, art. L. 113-4, L. 120-1, L. 135-1 et 2, L. 211-1, L. 121-1, L. 222-1 à L. 222-4, L. 240-2). Là encore, le néophyte devra prendre garde à ne pas s’en tenir à la seule lecture de l’article L. 100-3…

L’on regrettera enfin une lacune importante : l’absence de réglementation par le CRPA des relations entre personnes publiques sauf dérogations (art. L. 211-1 ; L.112-14). Ainsi que cela a pu être souligné, le sujet est « quelque peu terra incognita » (M. Vialettes, C. Barrois de Sarrigny, « La fabrique d’un code », RFDA 2016, p. 4 et s.) alors que les relations procédurales entre personnes publiques sont un outil d’amélioration de la relation administrative. Dès lors, la question trouvait particulièrement sa place dans le CRPA d’autant plus que celui-ci a abandonné la rhétorique de la citoyenneté administrative qui avait très largement obscurci l’application de la loi DCRA au profit des personnes publiques, notamment des collectivités territoriales dans leurs relations avec l’Etat, le juge administratif ayant considéré que stricto sensu, une personne publique n’était pas un « citoyen administratif » (v. par ex., à propos de la non application de l’article 4 de la loi DCRA entre personnes publiques, CE, 30 juill. 2010, n°309578, SDIS de la Charente ; de même, concernant la non application des articles 18,19 et 20 de la loi du 12 avril 2000 entre l’Etat et les collectivités territoriales : CE ; 1er juillet 2005, n°258509, Ville de Nice). Précisément, tel était aussi l’intérêt d’une codification à droit non constant : proposer, inventer, rénover. Malheureusement, la démarche prospective prend du temps et sans nul doute l’efficacité a constitué le « mercure » du nouveau « baromètre » de la relation administrative que constitue le CRPA !

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 71.

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L’intitulé du Code et le choix des termes

par M. le pr. Didier TRUCHET,
professeur émérite à l’Université Panthéon Assas

Art. 67. Lors de la longue gestation du code, son intitulé a longtemps été discuté. La loi du 12 novembre 2013 qui habilitait le gouvernement à établir par ordonnance le nouveau code a tranché : ce serait un code des relations entre le public et l’administration (CRPA).

Chaque mot de cet intitulé résulte d’un choix. Il fallait annoncer pédagogiquement l’objet et le périmètre du code qui ont longtemps fait débat, et traduire politiquement l’objectif poursuivi. L’appellation « CRPA » a le mérite d’être compréhensible pour le public auquel le code s’adresse. « Code de procédure administrative non contentieuse » aurait été plus exact techniquement, mais plus obscur. Elle est cependant réductrice et donc un peu trompeuse : le code ne concerne que les relations juridiques (pas les relations de fait et donc pas la responsabilité) et parmi elles, que les relations unilatérales (pas les relations contractuelles). En outre, le lecteur non spécialiste ne percevra peut-être pas que le code ne s’applique pas aux relations qui font l’objet de dispositions spéciales dans d’autres textes , même si le premier article du CRPA l’en avertit.

Un « code » : il réunit dans un ensemble cohérent et aisément accessible les règles de droit en vigueur, auparavant dispersées dans les textes et la jurisprudence. Rien de plus : il ne prétend pas être une charte des droits administratifs, non plus qu’une loi de réforme de l’administration.

« Public » : on ne pouvait pas adopter un terme plus plat, plus anonyme et plus large. Cela rappelle les pancartes « Accès du public » ou « Interdit au public » de nos bâtiments administratifs. « Public » est aussi le mot utilisé de longue date par la législation pour distinguer les services de communication (presse, audiovisuel, spectacles…) des services de correspondance (téléphone, poste, courriels…) qui s’adressent à des personnes identifiées. Un public est un ensemble indéterminé de destinataires, sans considération de leurs caractéristiques personnelles. Les rédacteurs du code ont voulu exposer au plus grand nombre ce que l’on peut légalement demander à l’administration et attendre d’elle. Le droit administratif a toujours eu du mal à nommer l’ensemble des administrés, parce que sa tradition historique les situait dans des contextes particuliers (les contribuables, les assurés sociaux, les élèves et étudiants, les détenus etc.) et les considérait comme des requérants confiant au juge la protection de leurs droits envers les administrations. Les textes codifiés dans le CRPA parlaient déjà de « public » (loi du 11 juillet 1978 portant diverses dispositions d’amélioration des relations entre l’Administration et le public) mais aussi d’ « usagers » (décret –abrogé en 2006- du 28 novembre 1983 concernant entre les relations entre l’administration et les usagers, ordonnance du 8 décembre 2006 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives ) et même de « citoyens » (loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations). «Administré » aurait paru poussiéreux et passif ; guère plus moderne, «usager » aurait en outre été trop étroit car le mot désigne en principe l’utilisateur d’un service public ou d’un bien du domaine public ; « citoyens » aurait été trop large et aurait renvoyé à un thème, la citoyenneté administrative, qui est passé de mode.

Va donc pour « public », terme auquel chacun peut s’identifier. Mais je regrette que le nouveau code n’ait pas employé « personne » dans son titre. Car dans nos relations avec l’administration comme avec tout autre titulaire d’un pouvoir sur nous, nous ne voulons plus être considérés comme les particules élémentaires et anonymes d’un ensemble indifférencié mais respectés comme des personnes avec leur existence, leur dignité et leurs caractéristiques propres. D’ailleurs, l’article L 100-3 du CRPA définit le public comme « a) toute personne physique ; b) toute personne morale de droit privé […] ». Et ses dispositions parlent bien davantage des personnes (« toute personne », « une personne qui … ») que du public. Dommage que ce dernier fasse dans l’intitulé du code, écran entre l’administration et les personnes car ce sont bien elles et non le public, qui sont titulaires de droits et d’obligations.

« Administration » ? Le mot n’a aucune signification juridique précise puisque lorsque l’on dit d’une entité qu’elle est une administration, on ne dit en réalité pas grand-chose de sa nature juridique ou du régime auquel elle est soumise. Le code doit donc énumérer ce que recouvre l’administration, non pas en général, mais dans son champ d’application : « les administrations de l’Etat, les collectivités territoriales, leurs établissements publics administratifs et les organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale ». Claire pour les spécialistes, cette liste ne l’est sans doute pas pour les autres lecteurs, qui auront aussi du mal à déceler que le code ne s’applique pas entre administrations elles-mêmes car elles n’entrent pas dans la définition du public. Mais ses auteurs entendaient user de formules simples, seraient-elles imprécises, incomplètes ou sujettes à interprétation : nul doute que le public auquel il est destiné subodorera aisément ce qu’est une administration.

L’intitulé du CRPA illustre la difficulté de l’intelligibilité du droit, que tant d’administrations (et pas elles seulement) rencontrent lorsqu’elles s’adressent au public : faut-il ne dire que l’essentiel, au risque de délivrer une information incomplète qui peut être trompeuse dans quelques cas particuliers, ou tout dire, au risque de délivrer une information si technique et exhaustive qu’elle en devient incompréhensible ?

Il me semble que le choix des mots et de l’intitulé du code résout bien cette difficulté. Le rapport au président de la République qui précède le code dit que son plan « traduit les différentes étapes du dialogue administratif ». C’est ce qui explique que dans l’intitulé, « public » précède « administration ».

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 67.

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Une histoire courte des relations entre l’administration et le public mise à la portée de tout le monde

par Mme Delphine ESPAGNO-ABADIE,
Maitre de conférences de droit public, Sciences Po Toulouse, LaSSP, EA 4175

Art. 66. La relation entre l’administration et le public est au cœur de l’action administrative. Soumise à des règles spéciales, le plus souvent exorbitantes du droit commun, la relation administrative qu’entretient l’administré avec les services publics est encadrée par des textes dont la lisibilité et la compréhension ne sont pas toujours faciles pour le citoyen.

Depuis la fin des années 1960, le gouvernant et le législateur ont contribué à la mise en place progressive d’un rapprochement entre l’administration et les administrés. L’amélioration des relations entre ces acteurs majeurs de l’action administrative devient, sous la Vème République, une constante des politiques publiques. Nombreux sont d’ailleurs les premiers ministres qui, une fois désignés, en ont fait un des points essentiels de leur discours de politique générale. La particularité de cette volonté politique qui prend forme à la fois dans la volonté de réformer l’administration, choix de politique publique générale, et qui est déclinée dans diverses politiques publiques sectorielles, est qu’elle fait sortir l’administration du silence et de l’anonymat derrière lesquels elle s’est longtemps cachée. Ainsi, devenant véritablement un objet de politique de réforme, l’administration est « l’objet de politiques d’appropriation » (P. Bezès, Réinventer l’État, 2009, PUF, p. 127), appropriation sociale et politique qui conduit les gouvernants à établir, dans le cadre de nouvelles réformes des liens entre l’administration et les administrés.

Objet d’une politique de modernisation de l’État (J. Caillosse, « La modernisation de l’État, AJDA 1991, p.755) d’abord, de l’action administrative ensuite, d’une politique publique sectorielle enfin, la relation entre l’administration et le public est au centre de plusieurs textes législatifs et réglementaires dont la clarté n’est pas toujours réelle. Ce véritable arsenal législatif et règlementaire constitue, sans nul doute, le soubassement juridique de la nécessité, affirmée plus récemment, d’une simplification du droit et d’une facilité d’accès au droit. Le Code des Relations entre le Public et l’Administration, entré en vigueur depuis janvier 2016, est le fruit de ce processus d’amélioration et de modernisation des rapports entre le public et l’administration. Il n’est pas arrivé là aux hasards des calendriers électoraux et des politiques publiques, il est l’aboutissement d’une réflexion entamée depuis plusieurs années sur la nécessité de « codifier » les règles applicables à ces relations.

Le rapprochement entre l’administration et les administrés, une politique publique d’amélioration de l’action administrative

Si l’on retrace rapidement ici l’évolution de ces relations, il faut alors revenir, tout en restant dans le cadre de la Ve République, à une série de lois adoptées dès 1973 (Loi n°73-6 du 3 janvier 1973 instituant un Médiateur de la République) et prolongées par les développements récents, et à un certain nombre de dispositions réglementaires visant à l’amélioration des rapports entre l’administration et les administrés (décret du 28 novembre 1983 concernant les relations entre l’administration et les usagers, circulaire du 23 février 1989 relative au renouveau du service public). Au-delà de l’amélioration, il s’agit de construire un nouveau modèle d’administration, une administration modernisée moins bureaucratique et plus démocratique ( J. Chevallier, « De l’administration démocratique à la démocratie administrative », RFAP 2011/1, p. 217-227).

Comme l’ont expliqué J. Chevallier (« L’administration face au public », Communication administration-administrés, CURAPP, 1983, p.13-60, par exemple) et J. Caillosse (La constitution imaginaire de l’administration, PUF, 2008) dans leurs travaux respectifs, cette politique de modernisation est complexe parce qu’elle place l’administration dans une situation qui l’oblige peu à peu de sortir de la culture du secret et de l’anonymat pour entrer dans une nouvelle posture qui est celle de la transparence administrative. Ainsi, au fil des textes adoptés, l’administration, dans la relation à ses usagers passe d’une logique de démocratisation des procédures et des relations à celle d’une démocratie administrative.

Si traditionnellement, la loi du 17 juillet 1978 (loi n° 78-753 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal) est présentée comme étant le texte fondateur de nouveaux rapports entre les administrations et les administrés, parce qu’elle institue en effet de manière explicite une transparence administrative, elle n’est toutefois que l’un des textes visant à faire sortir ces relations d’une prise de distance entre ceux qui administrent et ceux qui sont administrés. Si la loi de juillet 1978 ouvre l’accès aux documents administratifs, celle de juillet 1979 promeut le principe de la motivation en droit et en fait des actes de l’administration. L’ensemble de ces dispositions législatives à la fin des années 1970, modifié par la suite, constitue le socle d’une nouvelle transparence de l’action administrative. Ces textes placent l’administration dans une nouvelle situation juridique mais également politique et sociale, l’obligeant à sortir de cette logique du secret longtemps admise comme principe de fonctionnement de l’action administrative. Si l’on peut considérer en effet que ces premiers textes ont eu vocation à modifier le modèle des relations entre l’administration et le public, ils contribuent à renforcer l’idée d’une nécessité de réformer davantage le schéma administratif de notre État.

C’est dans cet état d’esprit que de nouveaux textes sont adoptés pour adapter davantage notre modèle administratif aux évolutions économiques, politiques et sociales. Ce réformisme qui, dans un premier temps répond aux critiques formulées à l’égard d’une administration trop rigide et trop peu transparente, devient avec l’adoption, notamment de la circulaire sur le renouveau du service public (1989), un réformisme plus porté vers l’amélioration de la performance et de l’efficacité du modèle administratif.

Une politique publique d’amélioration et de simplification de l’action administrative

 A partir des années 1980, le réformisme administratif prend un nouveau visage. Ainsi, dès 1983, les gouvernements successifs investissent la logique de la modernisation managériale de l’administration et adoptent peu à peu le modèle de la nouvelle gestion publique, tout en réformant le Statut général de la fonction publique, réforme confiée notamment à Anicet Le Pors, ce qui n’est pas anodin.

C’est dans ce contexte politico-administratif que se renouvelle les relations entre l’administration et le public. Le décret du 28 novembre 1983 précité, modifié depuis à plusieurs reprises, témoigne d’une préoccupation de rapprochement des protagonistes principaux de l’action administrative tout en tentant de concilier les prérogatives de l’administration avec les droits et les intérêts des administrés.

En essayant de renverser une solution jurisprudentielle alors en vigueur consistant à laisser le soin à l’administration de déterminer librement si elle doit ou non satisfaire à une demande d’abrogation d’un règlement illégal, ce texte est dans la continuité des lois de 1978 et de 1979. Il vise principalement à définir un nouveau statut pour les usagers du service public leur ouvrant droit à des garanties nouvelles et à assurer davantage de transparence. Cependant, il est également annonciateur des transformations qui s’opèrent en matière de procédure administrative non contentieuse et contentieuse.

C’est toutefois dans la volonté politique d’adapter l’administration au contexte général de l’action publique, dans le prolongement des idées posées dans la circulaire Rocard de février 1989 que les rapports entre l’administration et les usagers vont s’inscrire dans de nouvelles perspectives. Si la circulaire sur le renouveau des services publics introduit les nouvelles dimensions de la gestion publique qui prennent clairement forme, plus tard, en matière de fonction publique avec l’adoption de la gestion prévisionnelle des emplois et des effectifs, l’évaluation des politiques publiques permet l’émergence d’une nouvelle figure de l’usager. Après avoir été considéré comme acteur de l’action administrative, puis comme partenaire, voire client, l’administré devient citoyen. Si on peut considérer que cette nouvelle figure de l’administré-citoyen est déjà présente dans plusieurs textes dès les années 1990, c’est véritablement la loi de 2000 qui, au-delà de son titre, consacre ce nouveau visage de l’administré (J. Chevallier, « La transformation de la relation administrative, mythe ou réalité ? », Recueil Dalloz, 2000, p. 575-592).

Le parcours de cette loi est complexe : déposée au Parlement, elle a fait l’objet de trois lectures avant une adoption définitive que la dissolution de l’Assemblée nationale du 21 avril 1997 va bloquer. Pour autant le projet n’est pas abandonné, d’autant moins qu’il est le fruit d’une volonté politique affichée dès 1995 dans la circulaire Juppé du 26 juillet 1995 sur la réforme de l’État et de services publics. Le gouvernement Jospin reprend en main ce projet qui, après de multiples rebondissements, est adopté définitivement par le Parlement et publié le 12 avril 2000. Texte particulièrement hétérogène, il se découpe en trois titres, les relations entre l’administration et le citoyen est l’objet du deuxième titre. Reconnaissant explicitement la notion de citoyenneté administrative, la loi du 12 avril 2000 rompt avec les usages antérieurs. Alors que traditionnellement, la notion de citoyen est réservée à la sphère politique, le texte admet ici que l’individu dans sa relation avec l’administration n’est plus un simple sujet de droit sur lequel cette dernière est susceptible d’exercer ses prérogatives mais il est un sujet actif à qui la loi accorde un droit à l’information, facilite l’accès au droit, lève l’anonymat des agents qui devenant identifiables sont des interlocuteurs directs de l’administré.

Au-delà de ces garanties, la loi de 2000 confirme la nécessité d’une codification des règles de procédures administratives, ce qui n’est pas un point innovant puisqu’en 1999, une autre disposition législative a explicitement reconnu la possibilité au gouvernement d’adopter par voie d’ordonnance un certain nombre de codes (Loi n° 99-1071 du 16 décembre 1999 portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l’adoption de la partie Législative de certains codes, JORF n°296 du 22 décembre 1999 page 19040). Surtout, d’un point de vue de la science administrative, la loi de 2000 marque véritablement un tournant dans la perception des rapports entre ceux qui administrent et ceux qui sont administrés. C’est à partir de ces dispositions que la relation entre le public et l’administration semble entrer dans une nouvelle ère. Par la volonté législative, largement soutenue par les gouvernements, les relations administration/administrés se transforment peu à peu. Alors que l’administré est longtemps resté celui qui devait, du point de vue de l’administration, rester le plus loin possible de l’action administrative, cantonné dans un rôle passif, subissant, parfois, les desiderata de l’autorité administrative, il est de plus en plus perçu comme un acteur associé à l’administration (voir ce dossier, J. Chevallier, art. 72). Même s’il y a beaucoup à dire sur cette manière de concevoir le rôle participatif donné au public dans les textes mais également dans la pratique, il faut soulever cependant que cette évolution est le fruit d’une longue réflexion sur les rapports entre les acteurs de l’action publique.

Depuis quatre ans, le gouvernement tente d’accélérer le processus de simplification, comme s’y est engagé le Président de la République en évoquant « le choc de simplification ». Parmi les mesures adoptées, certaines vont dans le sens d’une simplification des procédures administratives en faveur des administrés. Il n’est pas certain qu’en pratique ces mesures constituent toutes une simplification des relations entre l’administration et le public. On peut en effet s’interroger sur les effets simplificateurs du renversement du principe selon lequel « le silence gardé par l’administration sur demande vaut rejet » tel qu’il est prévu d’une part par la loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens d’autre part par les différents décrets (près de 50 textes) qui posent des dérogations au principe désormais législatif du « silence gardé par l’administration sur demande vaut acceptation » intégré dans le CRPA à l’article L. 231-1. En revanche, la dématérialisation de certaines procédures peut en effet participer à la simplification de la vie des usagers dans leurs démarches administratives (droit de timbre pour l’obtention d’un passeport, dépôt de plainte en ligne). Près de 170 mesures de simplification de la vie des particuliers ont été annoncées pour améliorer leurs relations avec l’administration, 54% d’entre elles seraient aujourd’hui effectives selon le gouvernement. Il reste à analyser le degré réel de simplification des procédures pour les administrés et mesurer les effets positifs ou négatifs de telles dispositions dont certaines sont intégrées dans le CRPA.

Ainsi, le travail législatif comme réglementaire réalisé sous la Ve République depuis la fin des années 1970 a pu assurer une évolution certaine des ces relations. Ces dispositions textuelles ont donc été le terreau fertile du Code des Relations entre le Public et l’Administration. La Révision générale des politiques publiques comme la Modernisation de l’action publique ont également favorisé les évolutions récentes. Des choix de politiques publiques en matière de modernisation et de réforme de l’État sont nés, peu à peu, les textes. Textes dont l’adoption, comme l’application, n’ont pas nécessairement suffit à rapprocher les citoyens de l’administration mais qui ont ouvert la voie à une « codification ». A propos de ce code, il y a beaucoup à dire, à commenter et à critiquer. Il a toutefois un mérite, celui d’exister.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 66.

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L’association aux processus décisionnels

par M. le pr. Jacques CHEVALLIER,
Professeur émérite de l’Université Panthéon-Assas (Paris 2), CERSA-CNRS

Art. 72. Traitant de « L’association du public aux décisions prises par l’administration », le titre 3 du Code témoigne du mouvement qui, depuis plusieurs décennies, pousse à l’inflexion de la relation administrative : la conception traditionnelle d’une administration tenant les administrés à distance et leur imposant ses vues par voie d’autorité, fait place à un souci nouveau de proximité, de dialogue et d’implication des intéressés dans l’action administrative. Toute une série de réformes, sous-tendues par le thème de la participation, ont ainsi été entreprises à partir des années 1970, semblant alors préfigurer l’avènement d’un modèle administratif nouveau, dégagé des lourdeurs bureaucratiques.

Si cette dynamique a tendu par la suite à s’essouffler, le mouvement a été relancé à travers le développement de formules visant à impliquer les administrés eux-mêmes, et non plus seulement leurs représentants, dans les processus administratifs :  tandis que l’enquête publique s’étend, dans tous les cas où l’action publique a des effets individualisables et des destinataires localisables, et que le référendum s’enracine au niveau local, des procédures de débat public, relevant d’une logique délibérative, sont aménagées, afin de permettre aux publics intéressés de débattre de la réalisation des grands équipements ou des orientations des politiques publiques ; enfin, les possibilités nouvelles de consultation en ligne offertes par l’essor d’Internet sont toujours davantage utilisées. Le Code ne pouvait manquer dès lors de faire référence à ce qui constitue désormais un aspect essentiel des relations entre l’administration et les administrés.

La codification se heurtait cependant en l’espèce à plusieurs types de difficultés.

D’abord, elle ne pouvait prétendre englober l’ensemble des techniques de participation, notamment celles par lesquelles les administrés sont directement impliqués dans l’exercice des responsabilités administratives et dans la marche des services : seule la question de leur intervention dans les processus décisionnels est ici traitée, celle-ci étant conçue comme une forme d’ « association » à la prise des décisions ; la participation n’est évoquée que comme la traduction de cette association en matière de décisions locales (chapitre 5), l’enquête publique étant par ailleurs présentée comme un « instrument d’information et de participation » (art. R 134-2).

L’emploi du vocable « association » de préférence à celui de « participation », généralement utilisé, n’est pas dépourvu de signification. Alors que la participation implique la présence des administrés au cœur même des processus décisionnels, l’association présuppose l’existence d’un élément fondamental d’extériorité : les intéressés ne sont pas réellement partie prenante mais seulement « associés » à la prise de décision, qui reste l’apanage de l’administration. La formule apparaît comme étant en retrait par rapport aux propositions qu’avait formulées le Conseil d’État dans son rapport de 2011 (Consulter autrement, participer effectivement) et encore par rapport à la volonté exprimée dans la loi d’habilitation du 12 novembre 2013 de « renforcer la participation du public à l’élaboration des actes administratifs ». On peut y déceler le souci de mieux délimiter le rôle de chacun, en évitant toute confusion des responsabilités, ainsi que de dissiper certaines équivoques générées par l’idée de participation, qui donne l’illusion d’un partage du pouvoir : le rapprochement avec l’administré ne saurait remettre en cause ce qui constitue le substrat et l’essence de la relation administrative.

Par ailleurs, le Code ne saurait prétendre recouvrir l’ensemble des situations dans lesquelles les administrés sont appelés à intervenir dans les processus décisionnels : de nombreux dispositifs spécifiques, se réclamant au demeurant davantage de l’idée de participation que de celle d’ « association », sont insérés dans d’autres codes, tels celui des collectivités territoriales, ou de l’environnement ; le CRPA établit ainsi un cadre par défaut, applicable en l’absence de dispositions particulières, ce qui limite d’autant sa portée.

La codification des dispositions relatives à l’association du public se traduit par un double apport : rationalisation du dispositif traditionnel de l’administration consultative ; institutionnalisation des dispositifs nouveaux, allant au-delà des mécanismes classiques de représentation des intérêts et donnant aux « personnes concernées » la possibilité de faire valoir leur point de vue.

Concernant la consultation de représentants du milieu social au sein de structures permanentes, les dispositions exclusivement réglementaires du Code (chapitre 3) reprennent pour l’essentiel les dispositions figurant dans le décret du 8 juin 2006 (modifié le 4 juin 2009) : celui-ci avait entendu encadrer le recours à la formule, en subordonnant la création d’une commission à la réalisation d’une étude montrant qu’elle répondait à une nécessité et en fixant une durée maximale d’existence (cinq ans) ; il s’était par ailleurs attaché à simplifier et à homogénéiser leurs règles de fonctionnement. Le dispositif est désormais codifié. Si ce modèle classique de consultation subsiste, les sévères critiques dont il fait l’objet, en raison de son coût, de son formalisme et de son inefficacité, explique qu’il soit désormais relayé par d’autres dispositifs s’adressant directement au public.

Sur ce plan, deux dispositifs spécifiques sont visés par le Code : celui de la consultation ouverte sur Internet ; celui de l’enquête publique, le Code évoquant par ailleurs pour mémoire (chapitre 5) les dispositifs de participation existant au niveau local.

Internet est d’abord conçu comme l’instrument privilégié de l’élargissement du processus de consultation (chapitre 2). D’une part, le Code reprend le dispositif institué par la loi du 17 mai 2011 donnant la possibilité de remplacer les consultations obligatoires prescrites par les textes par des « consultations ouvertes », destinées à recueillir sur un site internet dédié les observations des « personnes concernées », préalablement à l’édiction d’actes : le caractère facultatif de cette possibilité, à la différence de ce qui existe en matière d’environnement, ainsi que le faible encadrement du processus en limitent cependant la portée. D’autre part, des consultations du même type peuvent être prévues, soit en application de dispositions prévoyant la consultation du public préalablement à l’adoption d’un acte réglementaire, soit concernant des projets de loi. Les effets de ce décloisonnement des procédures de consultation sont ambigus : la consultation ouverte entraîne la juxtaposition de points de vue, qu’il est nécessaire de décanter et de traiter ; d’où la nécessité d’un « tiers organisateur », garant de la sincérité du processus et chargé d’effectuer la synthèse des observations. Or, l’existence de ce tiers reste subordonné au bon vouloir de l’administration.

Le Code définit par ailleurs (chapitre 4) un régime-cadre applicable aux enquêtes publiques « innommées » qui ont proliféré en dehors du contexte de l’expropriation pour cause d’utilité publique et de la protection de l’environnement. Les dispositions réglementaires concernant les conditions d’ouverture de l’enquête, la désignation et l’indemnisation du commissaire enquêteur ou de la commission d’enquête, la composition du dossier, la clôture de l’enquête et la communication des conclusion ne présentent pas de réelle originalité par rapport à celles régissant les enquêtes précédentes.

Par-delà ces deux dispositifs, le chapitre 1er du Code fixe un certain nombre de principes généraux, applicables à l’ensemble des hypothèses dans lesquelles l’administration décide, en dehors des cas régis par des dispositions législatives et réglementaires, d’associer le public « à la conception d’une réforme ou à l’élaboration d’un projet ou d’un acte » (art. L 131-1) : le champ d’application est donc vaste et s’étend aux procédures de débat public, organisées hors de l’existence d’un texte. Ce cadre se caractérise par une grande souplesse : l’administration est seulement tenue de « rendre publiques » les modalités de la procédure, de mettre à la disposition des personnes concernées des « informations utiles », de fixer un « délai raisonnable » pour la participation, de publier les résultats et des suites envisagées ; elle dispose ainsi d’une marge importante d’appréciation, tant pour la définition des « personnes concernées » que dans le déroulement du processus et la prise en compte des avis exprimés. On est loin des « principes directeurs » que le Conseil d’État avait souhaité voir inscrits dans une « loi-code ».

Le travail de codification ainsi opéré este donc partiel et ne saurait dans tous les cas épuiser les formes très diverses que revêtent les processus participatifs.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno) ; Art. 72.

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Enquête publique – enquêtes publiques ?

par Mme Line Touzeau-Mouflard
Maître de conférences en droit public,
Université de Reims Champagne-Ardenne – CRDT

Art. 73. « Sa Majesté a pensé qu’il étoit de sa justice de donner à tous ceux qui peuvent y avoir intérêt, un temps suffisant pour se faire entendre ». Cette formulation de l’Arrêt du Conseil du Roi du 20 avril 1783 concernant les formalités à remplir pour la confection des routes (Isambert et alii, Recueil général des anciennes lois françaises, t. 27, p. 274) atteste du caractère ancien de l’enquête publique, procédure visant à informer et recueillir les observations du public en amont de la prise de décision administrative. Ce mode d’association du public à l’action de l’administration a connu un double mouvement. D’abord, un mouvement d’extension et de complexification : à l’origine essentiellement limité au cas de l’expropriation, le procédé est progressivement dupliqué dans des champs toujours plus nombreux, et tout spécialement dans celui de l’environnement (D. no 76-432 du 14 mai 1976, L. no 83-630 du 12 juillet 1983 notamment). Ensuite, intervient une vague de réformes simplificatrices (L. no 2002-276 du 27 février 2002, L. no 2010-788 du 12 juillet 2010, Ord. no 2014-1345 du 6 novembre 2014). Il pouvait sembler logique que ce mouvement se prolonge avec la parution du code des relations entre le public et l’administration, au sein duquel l’enquête publique trouve naturellement sa place (art. L. 134-1 sq). Cette entreprise de codification, qu’il faut saluer, affiche deux ambitions principales qui s’entrecroisent : écrire la lex generalis de la procédure administrative non contentieuse et rendre la règle de droit plus accessible à ses destinataires, ici le public (v. Ch.-A. Dubreuil, « Le champ d’application des dispositions du code », RFDA, 2016 p. 17). Ces objectifs sont-ils atteints pour l’enquête publique ? L’examen de l’articulation entre les codes de l’expropriation pour cause d’utilité publique, de l’environnement et celui des relations entre le public et l’administration impose une réponse nuancée. La simplification attendue n’est que partiellement satisfaite, le processus restant à parachever.

Des enquêtes publiques. Un besoin de simplification partiellement satisfait

Le législateur et le gouvernement (v. le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance no 2015-1341 du 23 octobre 2015, JO du 25 p. 19871) poursuivent, avec la rédaction de ce nouveau code, l’exigence d’accessibilité du droit fixée par le Conseil constitutionnel. L’accessibilité passe par la simplification, or, en matière d’enquête publique, le besoin reste prégnant. La typologie des enquêtes a certes été réduite à trois occurrences : enquêtes préalables à la déclaration d’utilité publique de l’article L. 110-1 du code de l’expropriation, autres enquêtes diverses de l’article L. 110-2 du même code, enquêtes relatives aux décisions ayant une incidence sur l’environnement des articles L. 123-1 et L. 123-2 du code de l’environnement. Il reste que la diversité des dispositions procédurales, la multiplication des renvois intertextuels, invitaient à améliorer la lisibilité et la compréhensibilité du mécanisme. L’occasion d’une clarification s’offrait donc. Il ne s’agissait pas nécessairement de remettre à plat le dispositif – nous ne reviendrons pas ici sur les critiques récurrentes portées à la procédure –, mais il convenait tout au moins d’harmoniser les procédures (cf. art. 60 de la loi no 2004-1343 du 9 décembre 2004 qui autorisait l’adoption d’une ordonnance en ce sens… jamais adoptée), en établissant un « tronc commun » (H. Portelli, Rapport no 742 (2012-2013), 10 juillet 2013), en posant « en plein et non plus seulement en creux le régime juridique (des) enquêtes publiques de droit commun » (M. Vialettes, 
C. Barrois de Sarigny, « La fabrique d’un code », RFDA, 2016 p.4). Autrement dit, il s’agissait d’écrire la lex generalis de l’enquête publique.

Les motifs de satisfaction ne manquent pas. L’article L. 134-2 propose une définition générique de l’enquête publique qui « a pour objet d’assurer l’information et la participation du public ainsi que la prise en compte des intérêts des tiers lors de l’élaboration d’une décision administrative. Les observations et propositions recueillies au cours de l’enquête sont prises en considération par l’administration compétente avant la prise de décision ». Cette définition est clairement tirée de la définition de l’enquête publique environnementale. Les articles suivants déroulent la procédure dite de droit commun, largement inspirée de celle prévue par le code de l’expropriation, avec souvent une complète identité des dispositions (pour une présentation plus détaillée, v. P. Bon, « L’association du public aux décisions prises par l’administration », RFDA, 2016 p. 27). Les enquêtes diverses, un temps réunies, faute de mieux, à l’article L.110-2 du code de l’expropriation, en sortent avec l’abrogation de cet article. Est aussi très favorablement accueillie la présentation combinée des articles législatifs et réglementaires – enfin ! En revanche, les dispositions communes sont maintenues dans chaque texte, alors qu’aurait été souhaitable un toilettage d’ensemble pour que ne subsistent, dans les codes de l’environnement et de l’expropriation, que les dispositions dérogatoires, spéciales. Relevons d’ailleurs que sur le site Légifrance l’article R. 112-25 du code de l’expropriation mentionne toujours l’article L. 110-2. De surcroît, les renvois d’un texte à l’autre sont nombreux (v. Ch.-A. Dubreuil, préc.). Le nouveau code renvoie même régulièrement aux deux précédents, et ce parfois non pour des règles spéciales, mais pour des règles générales : à l’image de l’établissement de la liste d’aptitude des commissaires enquêteurs, déterminé par le code de l’environnement (art. L. 134-17). A tel point, en définitive, que l’enquête environnementale fait davantage figure de lex generalis.

L’enquête publique. Un processus de simplification à parachever

Pourtant, les obstacles à l’établissement de cette lex generalis n’étaient pas insurmontables. D’aucuns invoqueront peut-être les limites de l’habilitation ; toutefois, selon nous les consignes de simplification, d’harmonisation, voire de renforcement de la participation du public (L. no 2013-1005 du 12 novembre 2013, art. 3 III 3o) permettaient d’aller plus loin sans outrepasser l’habilitation. Un autre argument nous paraît devoir être écarté brièvement. Il n’aurait « pas été jugé souhaitable de bouleverser les habitudes des utilisateurs des codes sectoriels existants » (v. Ch.-A. Dubreuil, préc.). Il est bien difficile de souscrire à l’idée selon laquelle certains codes seraient destinés à un public averti, quand d’autres viseraient le citoyen lambda. Dernière difficulté, celle liée à la réalité de la coexistence de plusieurs enquêtes. Il serait possible d’avancer que les trois types d’enquêtes ne sont pas réductibles à un modèle unique. En particulier, les finalités des enquêtes en matière d’expropriation – défense du droit de propriété – et en matière d’environnement – protection de ce dernier – justifieraient la diversité des enquêtes et des corpus juridiques y étant attachés. Or, l’évolution du droit des enquêtes publiques révèle plutôt un glissement vers une troisième finalité, plus large, celle de la participation à l’élaboration de la décision administrative pour toute personne y ayant un intérêt, que cet intérêt soit juridiquement protégé ou pas. Le sort spécifique réservé à l’enquête environnementale soulève même quelques critiques (Y. Jégouzo, « Principe et idéologie de la participation », in Pour un droit commun de l’environnement. Mélanges en l’honneur de Michel Prieur, Dalloz, 2007, p. 577). L’enquête publique se présente désormais comme l’un des ressorts de la démocratie délibérative (Conseil d’État, Consulter autrement. Participer efficacement, Doc. fr. 2011), comme l’une des clés de légitimation de la décision (R. Hostiou, « Enquête publique et aménagement », in J.-C. Hélin, R. Hostiou et a., Les nouvelles procédures d’enquête publique, Economica, 1986, p. 41).

En somme, l’enquête publique mérite sa lex generalis. Elle est même appelée des vœux de nombre de décideurs et d’observateurs. Déjà, le Rapport Sialelli du 13 janvier 1975 envisageait le détachement de l’enquête publique de l’expropriation pour en faire une « procédure de droit commun » et A. de Laubadère (AJDA, 1976 chron. p. 363) de s’interroger : « ne conviendrait-il pas d’envisager et de traiter l’enquête publique, dans notre droit administratif, comme une sorte de procédure de droit commun, uniformisée dans ses principes fondamentaux et devenant une pièce de la procédure administrative non contentieuse (…) ? ». Le code des relations entre le public et l’administration gagnerait à ce que la procédure qu’il prévoit pour l’enquête publique devienne la « procédure-mère » (Y. Jégouzo, « L’enquête publique en débat », Études offertes aux professeur René Hostiou, Litec, 2008, p. 273). Espérons que le caractère « vivant » du code (D. Labetoulle, RFDA, 2016 p. 1) lui permette de devenir rapidement la véritable lex generalis de l’enquête publique.

 

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 73.

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Le droit international et la relation administrative

 par M. le pr. Jean-Marie CROUZATIER,
Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole, droit public,

Art. 70. Les droits reconnus aux usagers dans leurs relations avec l’administration par le Code des relations entre le public et l’administration – accès à l’information, participation du public aux décisions, droit de former un recours et d’être entendu – figurent, sous des formulations diverses, dans les principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’Homme. Ils font l’objet d’une jurisprudence fournie ; seront prises en compte ici les constatations du Comité des droits de l’homme des Nations unies et les décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme.

Accès à l’information.
Sur le plan universel.

La liberté d’opinion et d’expression est énoncée dans l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH). La liberté d’expression est définie dans l’article 19 – 2 du Pacte international sur les droits civils et politiques (PIDCP) comme la faculté de rechercher, recevoir et répandre des informations ; elle englobe donc la liberté d’information. Le Comité des droits de l’Homme (CDH) en fait une interprétation très large car il considère « liberté d’information et liberté d’expression comme les pierres angulaires de toute société libre et démocratique » [Adimo M. Aderayom c/ Togo, 12 juillet 1996]. Il a ainsi constaté des violations de cette liberté dans le refus de l’Etat de donner accès à des informations d’intérêt public [Nurbek Toktakunov c/ Kirghizistan, 28 mars 2011], l’impossibilité pour un groupe de citoyens d’avoir accès aux bulletins de vote des élections présidentielles [Castaneda c/ Mexique, 18 juillet 2013] ou l’absence d’information et de participation du public concerné avant des travaux d’infrastructure [Angela Poma Poma c/ Pérou, 27 mars 2009]. Dans cette dernière affaire, « le comité constate que l’auteure, pas plus que la communauté dont elle fait partie, n’a été à aucun moment consultée par l’État partie au sujet du forage des puits. De surcroît, l’État partie n’a pas exigé qu’un organisme compétent et indépendant réalise les études d’impact nécessaires pour prévoir les conséquences que le forage des puits aurait sur les activités économiques traditionnelles, et aucune mesure n’a été prise pour réduire au minimum ses effets nuisibles et indemniser le préjudice subi… »

La Convention européenne des droits de l’Homme.

L’article 10 – 1 de la CEDH énonce « la liberté de recevoir et de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir d’ingérence d’autorités publiques… ». La Cour européenne des droits de l’homme y voit « l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès » [Handyside c/ Royaume Uni, 7 décembre 1976]. Tout comme dans le PIDCP, une réserve général d’ordre public (art. 10-2) prévoit trois catégories de restrictions : protéger l’intérêt général ; protéger d’autres droits individuels [notamment la protection de la vie privée : Von Hannover c/ Allemagne, 24 juin 2004] ; garantir l’autorité et l’impartialité de l’autorité judiciaire. Mais la Cour est particulièrement exigeante dans l’examen des conditions que ces restrictions doivent remplir [Cf. par exemple, Kalda c/ Estonie, 19 janvier 2015].

A noter que la Cour considère les associations de défense de l’environnement comme chargées de « divulguer des faits de nature à intéresser le public, à lui donner une appréciation et contribuer ainsi à la transparence des activités des autorités publiques » [Vides Aizsardzibas Klubs c/ lettonie, 27 mai 2004].

Participation du public au processus décisionnel.

Le rapprochement opéré dans l’affaire Poma Poma par le Comité des droits de l’Homme entre l’accès à l’information et la participation du public aux décisions peut surprendre ; en effet, la DUDH (art. 21-1) et le PIDCP (art. 25 a) ne mentionnent que le droit de « participer à la direction des affaires publiques ». Mais le Comité a sans doute été influencé par le grand nombre de textes internationaux qui établissent le lien, tout particulièrement en matière de protection de l’environnement : Déclaration de Salzbourg sur la protection du droit à l’information et du droit de participation (1980), Charte mondiale de la nature (1982), Charte européenne sur l’environnement et la santé (1989), recommandations de la conférence de la CSCE sur l’environnement (Sofia 1989), principe 10 de la déclaration de Rio sur l’accès aux informations détenues par les autorités publiques et la participation des citoyens au règlement des questions d’environnement (1992), Convention de Lugano sur la responsabilité civile des dommages résultant d’activités dangereuses pour l’environnement (1993). Point d’orgue : la convention d’Aarhus (1998) sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, oblige les pouvoirs publics à rendre des comptes, à assurer la transparence de l’action publique et à garantir l’aptitude de l’administration à répondre aux besoins des usagers.

Droit de former un recours et d’être entendu.
Le Comité des droits de l’Homme.

La formule de l’article 8 de la DUDH (« droit à un recours effectif devant les juridictions nationales ») est explicitée dans l’article 2-3 du PIDCP : « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent pacte auront été violés disposera d’un recours utile, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles ». Le Comité entend s’assurer que cette garantie est effective, et notamment que le recours est exécutoire lorsqu’une violation est établie [Dissanayake c/ Sri Lanka, 22 juillet 2008] ; il demande à l’Etat de fournir des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations [Alzery c/ Suède, 25 octobre 2006 ; Pimentel c/ Philippines, 19 mars 2007 ; VDA c/ Argentine, 29 mars 2011]

La Cour européenne des droits de l’Homme.

L’article 13 de la CEDH est directement inspiré de l’article 8 de la DUDH. La Cour en donne une interprétation large et accepte de constater une violation de l’article 13 sans qu’il y ait eu violation d’un droit substantiel de la Convention. Le droit de former un recours recoupe le droit à un procès équitable (article 6-1) ; la Cour combine d’ailleurs les deux articles [Kudla c/ Pologne, 26 octobre 2000]. L’article 13 fait peser sur l’État une obligation positive : celle d’offrir à tout individu la possibilité d’être entendu, quel que soit l’auteur de la violation dénoncée. Le recours doit être « effectif » : il ne doit pas être dépendant d’une décision de l’autorité publique ; il doit permettre « un accès effectif du plaignant à la procédure d’enquête » ; si le recours aboutit à un résultat positif devant le juge national, il ne doit pas se heurter au refus de l’administration d’exécuter le jugement [Iatridis c/ Grèce, 25 mars 1999].

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 70.

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Des « relations » en méconnaissance des droits et libertés…

par Mme le pr. Geneviève KOUBI
Professeur de droit public à l’Université Paris 8 – Vincennes Saint-Denis,
Membre du CERSA (Paris II – CNRS)

Art. 80. Comment appréhender un Code des relations entre le public et l’administration qui ne retient, parmi les droits et libertés, que le principe d’égalité (art. L. 100-2 : « L’administration […] se conforme au principe d’égalité et garantit à chacun un traitement impartial. ») ? Comment comprendre que ce Code ne fasse pas référence aux droits et libertés des personnes, des administrés, des usagers des services publics ou des services « au » public, des citoyens, des habitants, des résidents ? Ces questions dépassent alors les modules construits autour de « l’association du public aux décisions prises par l’administration » (Titre II du Livre Ier du Code) en ce qu’ils s’appliquent à « la conception d’une réforme ou à l’élaboration d’un projet ou d’un acte » (art. L. 131-1) et même s’ils font état du fait que « demeurent obligatoires les consultations d’autorités administratives indépendantes prévues par les textes législatifs et réglementaires, les procédures d’avis conforme, celles qui concernent l’exercice d’une liberté publique, constituent la garantie d’une exigence constitutionnelle, traduisent un pouvoir de proposition ou mettent en œuvre le principe de participation » (art. L. 132-1).

Cette absence quant à une prise en considération des droits et des libertés des citoyens intrigue d’autant plus que sont nécessairement impliquées dans le schéma des relations publiques des autorités administratives indépendantes. La Commission d’accès aux documents administratifs dispose d’un titre qui lui est consacré (Titre IV du CRPA) ; la Commission nationale de l’informatique et des libertés est logiquement conviée à participer à une application et à une compréhension raisonnées de certaines dispositions du Code, notamment pour ce qui concerne la protection des données à caractère personnel. Il apparaît donc pour le moins curieux que les fonctions du Défenseur des droits, pourtant liées aux problématiques des relations administratives, ne soient qu’à peine mentionnées dans ce Code. Elles ne le sont, elliptiquement, qu’à l’article L. 424-1 du CRPA, lequel dispose : « Le Défenseur des droits peut être saisi ou se saisir d’office de différends entre le public et l’administration, dans les cas et les conditions prévus par la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits. » Cette formule n’apporte rien de neuf. Elle confirme l’insertion de la protection de ces droits dans des cadrages calibrés par des mises en perspectives juridictionnelles. Car, outre l’appel au Défenseur des droits rigoureusement inclus dans le champ administratif, l’attention portée spécifiquement aux libertés publiques reste confinée dans le schéma constitutionnel des questions prioritaires de constitutionnalité et dans le module des procédures de référé devant le juge administratif au titre de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative. Ce bref renvoi à un dispositif laborieux revient donc à exclure du champ d’un code traitant des relations administratives le respect des droits et libertés des individus même s’il est affirmé que « l’administration […] est tenue à l’obligation de neutralité et au respect du principe de laïcité » (art. L. 100-2).

Dès lors, les dispositions de l’article 71-1 (al. 1 et 2) de la Constitution mériteraient d’être rappelées : « Le Défenseur des droits veille au respect des droits et libertés par les administrations de l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que par tout organisme investi d’une mission de service public, ou à l’égard duquel la loi organique lui attribue des compétences. / Il peut être saisi, dans les conditions prévues par la loi organique, par toute personne s’estimant lésée par le fonctionnement d’un service public ou d’un organisme visé au premier alinéa. Il peut se saisir d’office. » En quelque sorte, ces articulations auraient pu constituer une des bases du Code, étant entendu que, la plupart du temps, les réclamations et les désaccords expédiés à l’administration font état de telles appréciations ou impressions.

La loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits, prévue par cet article 71-1 (al. 3), « définit les attributions et les modalités d’intervention du Défenseur des droits ». Elle précise donc, en son article 4, les champs de compétence du Défenseur des droits. Une corrélation entre certaines des dispositions du Code et la détermination de ces attributions doit ainsi être relevée. Cet article 4 annonce que « le Défenseur des droits est chargé : 1° De défendre les droits et libertés dans le cadre des relations avec les administrations de l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics et les organismes investis d’une mission de service public ; 2° De défendre et de promouvoir l’intérêt supérieur et les droits de l’enfant consacrés par la loi ou par un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France ; 3° De lutter contre les discriminations, directes ou indirectes, prohibées par la loi ou par un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France ainsi que de promouvoir l’égalité ; 4° De veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité sur le territoire de la République. » Mais ce sont surtout les données de l’article 5, 1° de cette loi organique qui retraduit la jonction avec le Code des relations entre le public et l’administration puisque le Défenseur des droits peut être saisi « par toute personne physique ou morale qui s’estime lésée dans ses droits et libertés par le fonctionnement d’une administration de l’État, d’une collectivité territoriale, d’un établissement public ou d’un organisme investi d’une mission de service public ».

L’impasse que fait le Code des relations du public avec l’administration en matière de droits et libertés révélerait la difficulté des pouvoirs publics à en admettre le respect dans le cadre des correspondances, des communications, des relations administratives – sauf, peut-être, en rapport avec l’obligation de motivation des actes administratifs au titre de l’article L. 211-2 (« Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 1° Restreignent l’exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; […] 3° Subordonnent l’octroi d’une autorisation à des conditions restrictives ou imposent des sujétions ; 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ; […] 6° Refusent un avantage dont l’attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l’obtenir ; … »).

Les réflexes d’une administration « directive » sont intacts. En est d’ailleurs un des indices l’article L. 212-9 quant à l’usage obligatoire des téléservices publics : « Lorsqu’elle a mis en place un téléservice réservé à l’accomplissement de certaines démarches administratives, une administration n’est régulièrement saisie par voie électronique que par l’usage de ce téléservice » (al. 3). Or, afin de ne pas accentuer les effets délétères de la fracture numérique, les textes législatifs et réglementaires antérieurs avaient insisté sur le caractère facultatif de leur utilisation. D’ailleurs, sur ce point, une contradiction interne au Code peut être signalée à partir des formulations de l’article L. 112-15 qui dispose : « Lorsqu’une personne doit adresser un document à l’administration par lettre recommandée, cette formalité peut être accomplie par l’utilisation d’un téléservice […] ou d’un procédé électronique, accepté par cette administration, permettant de désigner l’expéditeur et d’établir si le document lui a été remis. / Lorsque l’administration doit notifier un document à une personne par lettre recommandée, cette formalité peut être accomplie par l’utilisation d’un procédé électronique permettant de désigner l’expéditeur, de garantir l’identité du destinataire et d’établir si le document a été remis… ». De fait, la liberté du choix d’un mode de communication avec l’administration ne semble plus être de mise, et les exclus du système rencontreront même quelques difficultés pour en référer au Défenseur des droits.

Quoiqu’il en soit, nombreuses sont les incertitudes – et les inquiétudes – générées à propos du silence sur le respect ou la protection des droits et des libertés dans un Code qui prétend se saisir de « relations » entre un « public » associant « personnes physiques et personnes morales de droit privé » et une « administration » extensive et extensible dans la mesure où elle intègre « les administrations de l’État, les collectivités territoriales, leurs établissements publics administratifs et les organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale » (art. L. 100-3 CRPA).

En effet, les quelques droits qui y sont exposés, clairement établis en rapport avec les sphères d’intervention administratives et avec les espaces de service au public, se trouvent à chaque fois comprimés. Parce qu’il serait soi-disant incontestable que l’administration « agit dans l’intérêt général », alors qu’elle ne fait que respecter une légalité dont elle est le principal concepteur, les droits dont pourraient se prévaloir les personnes physiques ou morales, nationaux ou étrangers, métropolitains ou ultramarins, sont construits, par delà les contestations personnelles ou collectives des activités publiques, autour des « demandes » adressées à l’administration et des « recours » conçus comme des modes de « règlement des différends » hors des prétoires. Il est certes signifié que, lorsqu’elles « sont prises en considération de la personne », les décisions administratives « sont soumises au respect d’une procédure contradictoire préalable » (art. L. 121-1). La protection des données à caractère personnel est actée puisque « certains actes individuels, notamment relatifs à l’état et à la nationalité des personnes, doivent être publiés dans des conditions garantissant qu’ils ne font pas l’objet d’une indexation par des moteurs de recherche » (art. L. 221-14). Est aussi confirmé le droit à communication des documents administratifs non rendus publics, allant jusqu’à concerner « les avis au vu desquels est prise une décision individuelle créatrice de droits » (art. L. 311-2). Est désormais nettement certifié le droit de réutilisation des informations publiques « à d’autres fins que celles de la mission de service public pour les besoins de laquelle les documents ont été produits ou reçus » (art. L. 321-1). Et sans nul doute, est enregistré le « droit au recours » (Livre IV).

Néanmoins, la réduction des relations administratives aux processus décisionnels de l’administration comme aux décisions administratives grèvent singulièrement la compréhension du Code. La polysémie du terme de « relation » laisse ainsi planer un doute sur ses enjeux. S’agirait-il de raconter les étapes d’une amélioration progressive des communications entre les administrations publiques ou les entreprises privées chargées de missions de service public et les administrés ou les usagers de ces services ? S’agit-il de signifier des assujettissements, des emprises, des dépendances, de rendre compte de fréquentations, de relater des correspondances ou de décrire des causalités ? Ou bien, l’objectif est-il d’encadrer les contestations diverses et variées des personnes en butte avec des administrations réticentes à les entendre, à les comprendre ?

Sans devoir faire état de l’existence de rapports, indéniablement inégaux, entre des administrations pourvues de pouvoirs « exorbitants du droit commun » et des administrés soumis à un devoir d’obéissance aux lois, il n’est donc pas inutile de rappeler que ce code s’intéresse essentiellement aux « procédures administratives non contentieuses », lesquelles, même exposées sous le label d’un État de droit, laissent peu de place à la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

 Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 80.

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Le CPRA et la simplification. Quelques remarques

Par Cédric GROULIER
Maître de conférences en droit public
Sciences Po Toulouse, LaSSP EA 4175

Art. 69. Il aura fallu pas moins de trois tentatives pour qu’un code relatif à la procédure administrative voie finalement le jour. La France, éprise de codification depuis la période révolutionnaire, et mère d’un Code civil qui a contribué au prestige juridique hexagonal, s’aligne ainsi, mais finalement assez tard, sur la majorité des pays développés (pour un historique, v. Pascale Gonod, « Codification de la procédure administrative. La fin de l’ « exception française » ? », AJDA 2014, p. 395).

Le CRPA est le fruit des leçons tirées des échecs de 1996 et 2004, et d’un fort volontarisme à l’œuvre dès 2012. Porté au plus haut sommet de l’Etat (Secrétaire général du Gouvernement, vice-président de la Commission supérieure de codification, Conseil d’Etat), le projet de relancer la codification de la procédure administrative trouve un contexte favorable dans la politique de Modernisation de l’action publique (MAP) impulsée par le Gouvernement de Jean-Marc Ayrault : lors du Comité interministériel de modernisation de l’action publique (CIMAP) du 18 décembre 2012, l’élaboration d’un « code centré sur les procédures et les relations entre les citoyens et les administrations » est ainsi décidée. Le « choc de simplification » lancé par le président de la République fin mars 2013 donne le ton : codification doit rimer avec simplification. Le Premier ministre fait alors de l’élaboration d’un « Code des relations entre les administrations et le public » une priorité (circulaire n° 5643/SG du 27 mars 2013 relative au programme de codification de textes législatifs et réglementaires et de refonte de codes) et selon un procédé qui ne surprend plus, celui du recours aux ordonnances de l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement se fait habiliter par le Parlement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens (loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013, adoptée à l’unanimité des deux chambres).

L’originalité – et la modernité – du processus tient en grande partie à son pilotage, par une mission ad hoc de codification, placée sous l’autorité directe du Secrétaire général du Gouvernement. Composée de deux (puis trois) membres de la juridiction administrative, cette structure a pu tirer parti de sa légèreté, d’une étroite association aux acteurs administratifs de la réforme (notamment de la Commission supérieure de codification et du Conseil d’Etat) et de ses échanges avec le « cercle des experts » – composé essentiellement de magistrats, hauts-fonctionnaires, universitaires –, avec lequel s’est instaurée une concertation informelle, dématérialisée, sur une base de volontariat (v. not. Maud Vialettes et Cécile Barrois de Sarigny, « La fabrique d’un code », RFDA 2016, p. 4).

Il en résulte un code nouveau, marqué par une volonté de simplification bien inscrite dans l’air du temps, qui ne va pourtant pas de soi.

Codifier pour simplifier

Si la codification répond à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi (Conseil constitutionnel, décision 99-421 DC du 16 décembre 1999, Loi portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l’adoption de la partie législative de certains codes, cons. 13), c’est en partie en raison de ses vertus simplificatrices. Le CIMAP de décembre 2012 inscrit d’ailleurs le projet de code dans un groupe de décisions visant la simplification de l’action publique, et la loi d’habilitation de novembre 2013 imbrique au fil de ses articles codification et simplification.

Le code simplifie ainsi au sens où la codification rassemble des dispositions juridiques jusqu’alors éparses (loi du 17 juillet 1978 sur l’accès aux documents administratifs, loi du 11 juillet 1979 sur la motivation des actes administratifs, loi du 12 avril 2000 sur les droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, et même dispositions du Code de l’expropriation sur les enquêtes publiques) ; il inclut bien évidemment le nouveau principe, issu de la même loi d’habilitation, selon lequel le silence vaut acceptation. Cependant, ce remaniement formel (selon une codification à droit constant, celle qui « re-forme » selon le mot du président Guy Braibant) n’est pas exclusif d’interventions plus substantielles : l’habilitation législative permet aussi de simplifier en réécrivant certaines règles, et en donnant valeur législative à des solutions jurisprudentielles (procédure contradictoire, obligation de prévoir des mesures transitoires, régimes de l’abrogation et du retrait des actes administratifs). Cette codification ne se borne donc pas à « re-former », elle « réforme » aussi.

Le code se présente donc comme un corpus unique et simplifié de la lex generalis des relations entre le public et l’administration. On notera au passage la simplification affectant la dénomination des parties en présence dans la relation administrative : exit l’usager, l’administré et même le citoyen, on parle désormais de public (toutefois, le code est également applicable aux agents publics, qui ne sont pas compris dans le « public », ainsi que défini à l’art. L.100-1) et l’administration, réduite à une unité, alors que la loi du 12 avril 2000 usait à son endroit du pluriel… Les auteurs du code tentent donc la simplicité, non seulement du titre, mais aussi du périmètre du code : il ne s’agit plus de viser l’exhaustivité comme lors des tentatives précédentes, ou pour d’autres codes, mais de s’en tenir à une approche pragmatique : ce n’est donc pas un « code de l’administration », mais celui de la relation administrative, du moins dans ses grandes lignes. Comme le souligne Mattias Guyomar, « s’agissant de la création de nouveaux codes, il apparaît aujourd’hui que les objectifs d’accessibilité et d’intelligibilité du droit attachés à l’entreprise de codification se trouvent plus facilement atteints par la confection de codes, de dimensions modestes, centrés sur un corpus homogène composé des seuls textes véritablement pertinents au regard de la matière codifiée » (« Les perspectives de la codification contemporaine », AJDA 2014, p. 400).

Cette approche plus étroite – qui explique sans doute aussi pourquoi ce projet a abouti – correspond aussi à un parti pris : le code doit avant tout servir au public, il doit être utile, et effectivement simplifier les démarches des particuliers, des entreprises, de même que permettre aux agents d’œuvrer à une meilleure administration. Cette « orientation-client », assez caractéristique de la MAP, explique la présence de définitions de certains termes (comme celui d’administration : art. L.100-3 ; ou celui d’acte : art. L.200-1…), et surtout l’architecture inédite et innovante du code : dispositions législatives et réglementaires sont réunies par objet, facilitant en principe la connaissance du droit applicable sur une question, et améliorant ainsi « l’expérience des usagers » (Fabien Gélédan, « Spectres du Léviathan : l’État à l’épreuve de la simplification administrative (2006-2015) », RFAP 2016/1 (N° 157), p. 33).

Les limites d’un exercice…

Plus de soixante-dix ! C’est le nombre de codes consultables sur le site Légifrance. Aussi codifié soit-il, le droit français reste à l’évidence un environnement où les non-initiés peuvent légitimement ressentir une impression de complexité. Certes, ces codes rassemblent un nombre bien plus impressionnant de lois, décrets, et autres textes, mais force est d’admettre que la simplification du droit, même via des codes, n’aboutira jamais à la simplicité. Au mieux s’agira-t-il de ce qu’Alain Berthoz qualifie dans un tout autre domaine de « simplexité » : « l’ensemble des solutions trouvées par les organismes vivants pour que, malgré la complexité des processus naturels, le cerveau puisse préparer l’acte et en projeter les conséquences » (La simplexité, Odile Jacob, 2009). Transposée au droit, l’idée n’est pas totalement dénuée de pertinence : permettre au public de saisir tout au moins les grandes lignes de la législation et de la réglementation, pour agir en conséquence et, au besoin, solliciter un conseil. Dans les faits, il s’agit donc essentiellement de faciliter. D’ailleurs, on l’a dit, le CRPA s’en tient à codifier la lex generalis des relations entre le public et l’administration. Des textes spéciaux, plus précis, existent et seront adoptés, sans toujours être intégrés dans le code. La jurisprudence interviendra nécessairement aussi… Irréductible complexité du droit ?

Le principe du silence valant acceptation illustre en tout état de cause fort bien les limites en la matière. Affirmer qu’il a simplifié l’état du droit est une vaste plaisanterie. Concrétisant sans doute un peu vite une proposition du Rapport de la mission de lutte contre l’inflation normative (mars 2013), il est assorti de tant d’exceptions que sa propension à constituer un principe fait question. Le CRPA le réaffirme donc, à son article L.231-1, mais prévoit des dérogations : légales (art. L.231-4) ou instaurées par décrets en Conseil d’Etat « eu égard à l’objet de certaines décisions ou pour des motifs de bonne administration » (art. L.231-5). Simplification ? Dans leur rapport d’information sur le bilan de l’application de la loi du 12 novembre 2013 (n° 629, Sénat, 15 juillet 2015), Hugues Portelli et Jean-Pierre Sueur relevaient que près de deux ans après la promulgation de la loi, le nombre d’exceptions pour l’État s’élevait presque au double du nombre de cas d’application (environ 2400 pour 1200)… Depuis, le décret n° 2016-625 du 19 mai 2016 pose de nouvelles exceptions à la règle pour les collectivités territoriales, pour lesquelles le silence vaut acceptation depuis le 12 novembre 2015. Une liste de dérogations avait en effet été prévue par le décret n° 2015-1461 du 10 novembre 2015 ; ce dernier a été modifié et ne concerne désormais plus que les procédures réglementées par un texte national ! Le décret du 19 mai 2016, lui, traite des demandes présentées dans le cadre de procédures prévues par une délibération de la collectivité ou de l’établissement public…

Au mirage du droit facile à embrasser, s’ajoute celui de la règle de droit stabilisée. La codification a délaissé depuis longtemps le marbre, et le support électronique devient indispensable pour s’assurer de l’état du droit positif à un instant donné. En 2008, Catherine Bergeal soulignait les limites de la codification en indiquant notamment que 10 % des articles d’un code sont modifiés en moyenne chaque année (« Apports et limites de la codification à la clarté de la loi : les enseignements de la pratique française », in La légistique ou l’art de rédiger le droit, numéro spécial, CJFI, juin 2008, p. 35). Elle indiquait aussi combien la codification peut perturber la connaissance que les sujets de droit peuvent avoir de leur environnement juridique : certaines lois sont en effet fort connues, constituent en elles-mêmes des « mini-codes », comme la loi CADA, la loi informatique et libertés, ou dans un autre domaine la fameuse « loi 1901 ». Il y a quelques années, « la Commission de codification a[vait] renoncé à créer un code administratif qui aurait codifié ces lois sous des numéros d’articles plus abstraits que les titres de ces lois » (ibid). On a donc aujourd’hui fait fi de cette réserve et, sur ce point, le CRPA demandera probablement un effort d’adaptation, une appropriation par ce public à qui on promet la simplicité. L’avenir dira si, dans les pratiques, la greffe a pris.

 Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 69.

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La codification des règles régissant les décisions implicites de l’administration : un droit plus accessible et intelligible ?

par Mme Georgina BENARD-VINCENT

Étudiante en master II « Droit public général et contentieux public », Université de Lille2, Attachée principale, Responsable Ressources Humaines dans une collectivité territoriale


Art. 76. Les français attendent à juste titre de leur administration qu’elle réponde le plus efficacement possible à leurs demandes de permis de construire, d’inscription dans un établissement scolaire, d’agrément de leur association sportive, etc. Dans ce contexte, le principe « silence vaut acceptation » a pour ambition d’offrir plus de garanties au public et se pose comme une mesure forte de simplification. La loi n°2013-1005 du 12 novembre 2013 a simultanément énoncé le principe « silence vaut acceptation » et a habilité le gouvernement à codifier la procédure administrative non contentieuse. Ainsi, l’article L.232-1 du nouveau code des relations entre le public et l’administration (CRPA) énonce que « le silence gardé pendant deux mois par l’administration sur une demande vaut décision d’acceptation ». L’effet du silence est donc inversé : une absence de réponse de l’administration équivaut désormais à un accord tacite. À s’en tenir à cette seule disposition, l’état du droit paraît clair et l’auteur d’une demande adressée à l’administration n’a guère de doute. Mais la mise en œuvre de ce principe s’avère tortueuse.

Car, qui dit principe dit exceptions !. Il convient d’abord d’indiquer les cinq exceptions légales, explicitées à l’article L.231-4 (demandes financières, atteintes aux libertés ou à l’ordre public …). Mais, la véritable difficulté réside dans les nombreuses autres exceptions, d’origine réglementaire, justifiées sur un motif de « bonne administration ». À ce jour, le compteur des exceptions se monte à 2 400 sur 3600 procédures concernées. Ce chiffre prouve à lui seul que cette apparente « révolution juridique » demeure symbolique (v. B. Seillier, « Quand les administrations infirment heureusement la règle : le sens du silence de l’administration », RFDA 2014, p.35). En réalité, cette nouvelle donne administrative a pour effet premier de faire disparaître tout principe au profit d’une approche au cas par cas.

Pourtant, l’objectif de valeur constitutionnelle d »accessibilité et de l’intelligibilité de la loi impose au législateur de se « prémunir des complexités inutiles » afin que chacun puisse avoir une connaissance suffisante des règles de droit qui lui est applicable. Dans sa décision du 26 juin 2003 (n° 2003-473 DC, Loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit), le Conseil constitutionnel confirme que la codification répond à cet objectif. Ainsi, dans l’élaboration du CRPA, qu’elles ont été les solutions trouvées par le codificateur pour rendre plus accessible et plus intelligible le régime des décisions implicites de administration ?

La solution d’accessibilité du codificateur : le renvoi à des sources numériques

L’accessibilité du droit, c’est d’abord avoir accès techniquement à l’information juridique. Sans cet accès, l’effectivité du droit est remise en cause. Le CRPA, via son article D.231-3, renvoie à Legifrance, site internet (https://www.legifrance.gouv.fr) dédié à l’accès au droit. Ce renvoi vers une source internet est une première dans un code. Au regard des nombreux décrets et donc d’exceptions, on ne peut pas donner tort au codificateur d’avoir usé de cette méthode. En réalité, le site Legifrance met à disposition des tableaux par type d’administrations (État, collectivités territoriales, organismes de sécurité sociale) établissant la liste des procédures concernées par le principe. En définitive, le nouveau dispositif témoigne, non du passage d’un principe à un autre, mais d’un principe à une liste. Procédure par procédure, les personnes intéressées devront donc s’assurer du régime applicable à leur demande. C’est dans cadre que le site officiel de l’administration publique service-public.fr (https://www.service-public.fr/demarches-silence-vaut-accord) apporte une aide grâce à un moteur de recherche. L’accès à ces informations dans ce domaine est d’autant plus important que l’intéressé peut, en vertu de l’article L. 232-3, solliciter auprès de l’administration concernée une attestation prouvant son accord tacite. Cette attestation permet de contourner l’absence de valeur juridique des listes de procédures et pourra être opposée aux tiers.

On ne peut donc nier l’effort d’accessibilité qui existe en ce domaine, qui permet, tant au public, qu’à l’administration, de disposer de l’information juridique nécessaire. Mais le recours au numérique, s’il constitue aujourd’hui, un moyen privilégié d’accès au droit n’est pas, pour autant sans défaut. Certes, l’arrêt de section Meyet du Conseil d’État (9 novembre 2005, requête n° 271713, AJDA 2005, p. 2210) précise, à propos de la fin du Journal officiel papier, que le passage au numérique ne méconnaît pas le principe d’égalité. Néanmoins, on ne peut pas ignorer les problématiques de fractures sociales (tout le monde n’a pas la compétence et le matériel nécessaire pour accéder au droit par internet) et territoriales liées à cette technologie (zones blanches), créant un risque de discrimination numérique (v. S. Turgis, « L’accès au droit par internet », AJDA 2015, p. 142). Cet enjeu est d’autant plus crucial quand on évoque les relations entre le public et l’administration. Malheureusement, cette dimension n’a pas été prise en compte par le codificateur.

L’amélioration des procédés techniques pour diffuser les règles juridiques est un préalable nécessaire mais pas suffisant, pour que le public puisse appréhender le régime des décisions implicites de l’administration. Encore faut-il qu’il soit plus intelligible, afin de garantir son effectivité et son efficacité.

La solution d’intelligibilité du codificateur : le renvoi aux décrets

L’exigence d’intelligibilité du droit signifie que la règle juridique doit être lisible et compréhensible de tous. En ce qui concerne les décisions implicites de l’administration, le nombre et l’éparpillement des textes rend difficile la mise en œuvre de cette exigence. Bien davantage, la réforme a engendré un enchevêtrement d’innombrables textes, prévoyant chacun diverses exceptions ou modifiant le délai d’instruction. Cela se révèle particulièrement vrai, dans certaines domaines, comme celui de l’urbanisme (MC. Mehl­Schouder, « Le « silence vaut acceptation » en droit de l’urbanisme et  »ses » législations indépendantes », AJ Collectivités Territoriales 2015 p.120) Le risque de confusion est fort. Un mince espoir résidait donc dans la codification pour rendre plus lisible ce régime juridique.

Le codificateur semble avoir voulu avant tout énoncé et mettre en valeur le principe « silence vaut acceptation » dans l’esprit d’une nouvelle avancée en faveur du public. L’intitulé du chapitre 2 « garanties procédurales » est révélateur de cette volonté. Pour les dérogations, le CRPA renvoie directement aux décrets d’application, dans son article L.231-5. Au regard de l’instabilité du droit dans ce domaine, le codificateur a eu raison. La preuve est apportée par le nouveau décret n° 2016-625 du 10 mai 2016, qui concernent les collectivités territoriales. Ce décret ajoute encore d’autres actes à la liste des dérogations au principe « silence vaut acceptation » (v. B. Claverie, « Décisions tacites des collectivités territoriales et leurs établissements : un nouveau décret sur le silence », JCP A, n°21, 30 mai 2016).

Toutefois, la solution du renvoi aux décrets n’empêchait pas le codificateur d’apporter d’importantes clarifications. La Commission supérieure de codification, instance qui fixe les directives générales d’élaboration des codes, indique, pourtant, dans son rapport annuel 2014, qu’ « un code peut abriter des dispositions de nature strictement explicative afin d’éclairer ses usagers ». On peut déplorer que le codificateur n’a pas utilisé cette possibilité pour faciliter la compréhension du régime juridique des décisions implicites. L’accent peut être mis sur deux omissions. La première concerne l’absence de définition de la notion de « silence » . Il aurait été utile d’indiquer que le « silence » signifie une absence de décision formelle de refus ou d’invitation à compléter son dossier émanant de l’administration. Par ailleurs, le CRPA n’évoque pas la distinction entre les décisions implicites valant accord et les décisions implicites valant rejet. Cette omission est d’autant plus regrettable que l’article L. 231-6 renvoie aux décrets pour les dérogations au délai des deux mois pour l’acceptation implicite (le délai de deux mois se trouve pour certaines demandes raccourci ou allongé). Mais, pour le public, cet article n’est pas compréhensible sans définition préalable de la notion de silence et de celle de décision implicite d’acceptation.

En conclusion, ajustons les points de vue. Du côté de l’administration, elle doit s’approprier ce nouveau régime et se départir de ses habitudes silencieuses : le droit à l’erreur n’est plus possible pour elle. Pour le public, désarmé face à cette législation, le dénigrement de la « bureaucratie », a encore de beaux jours devant lui. Le risque est donc grand d’un mauvais dialogue entre le public et l’administration, c’est à dire le contraire de l’ambition affichée par le codificateur. Espérons que le projet de loi, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale, le 10 mai dernier, relatif à l’effectivité et à l’efficacité du principe « silence vaut acceptation », permettra de relancer utilement le débat. Affaire donc à suivre …

 Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 76.

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Un siècle et demi avant le CRPA : que faisait le premier JDA « libéral citoyen » ?

par M. le pr. Mathieu TOUZEIL-DIVINA,
Professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou
Directeur du Journal du Droit Administratif

Un siècle et demi avant Le Code des Relations
entre le Public et l’Administration au premier Jda :
une accessibilité « libérale citoyenne » !
Rappel(s) à partir des articles du
« premier » Journal du droit administratif

Art. 65. Le présent et court texte n’a pas vocation à présenter de manière exhaustive l’état des relations entre administration et administrés sous le Second Empire lorsque le premier JDA fut créé à partir de 1853. Ce « billet » introductif au deuxième dossier du JDA sur « Les relations entre le public & l’administration mises à la portée de tout le monde » n’a en effet que deux objectifs, à la manière du billet (que l’on retrouvera ici) sur l’état d’urgence tel qu’imaginé en 1853 par l’ancêtre du présent Journal du Droit Administratif :

  • d’abord que si l’actualité du Code des Relations entre le Public et l’Administration justifiait que ce thème fît l’objet du deuxième dossier de notre Journal, cette thématique n’est en rien nouvelle et a toujours été l’objet d’actualité(s) et d’intérêt(s) pour tous les administrativistes et ce, – particulièrement – pour les fondateurs du JDA au cœur d’un courant doctrinal que nous avons pu qualifier de « libéral citoyen » (I) ;
  • ensuite, toutefois, on se rendra compte de quelques différences notables dans l’appréhension de ce que l’on nomme aujourd’hui le « Public » (II). On essaiera conséquemment, comme lors du billet précité sur l’état d’urgence vu en 1853, de mettre en avant quelques exemples concrets de ces «relations entre le Public & l’Administration» du Second Empire à travers quelques exemples tirés des premières pages du Journal du droit administratif de 1853 et des premières années suivantes.

Accessibilité « libérale citoyenne » :
l’objectif premier du Jda de 1853 a clairement été le rapprochement vers le « public » des « administrés
 »

Pour qui feuillette les pages du premier Jda, il est évident que ses promoteurs, particulièrement Adolphe Chauveau & Anselme Batbie ont désiré  proposer un média destiné non aux spécialistes du droit administratif glosant entre eux mais bien un outil destiné aux administrés. Autrement dit, la question des relations rapprochées entre Administration & Administrés a même été consubstantielle à la fondation du premier Jda.

On en veut pour preuve ces extraits du premier numéro (article 1 ; tome I ; 1853) du Journal dans lequel il est déclaré que les auteurs avaient trois objectifs : « aider l’administrateur, éclairer l’administrer, vulgariser la législation administrative« . Or, quel est concrètement le résumé ou point commun des deux derniers objectifs : se rapprocher des administrés afin qu’il comprennent davantage l’administration et son Droit. Page onze de cette même livraison on lit explicitement :

Notre " journal (...) intervient dans les rapports de l'administration avec les administrés (...) et, à force d'avertir, obtient des effets assurés".

Telle était bien la mission que le Jda s’était auto-confiée : se rapprocher des administrés pour servir le droit administratif tout entier. Car, ne nous y trompons pas, le Jda en informant administrations et administrés se donnait bien pour objectif de servir le droit administratif (et sa reconnaissance comme branche académique véritable) à l’heure où sa contestation était encore fréquente.

On relèvera et rappellera toutefois, ainsi qu’on l’avait fait dans nos travaux de doctorat (cf. Touzeil-Divina Mathieu, Un père du droit administratif moderne ; le doyen Foucart (1799-1860) ; Paris II; 2007 et en partie issu de ladite thèse : La doctrine publiciste – 1800 – 1880 (éléments de patristique administrative) ; Paris, La Mémoire du Droit ; 2009) qu’il n’a d’abord essentiellement existé que deux façons principales de présenter le droit administratif :

  • soit en ne faisant que le décrire de façon la plus exégétique et objective possible (sans commentaires, sans recherches avec essentiellement la mise en avant des textes et des normes) ….
  • soit en présentant ce même droit mais en se plaçant du côté des administrateurs, du côté du pouvoir et des gouvernants. C’est – en doctrine – croyons-nous cette seconde façon qui a longtemps marqué le droit administratif à l’instar d’un droit « de et pour » l’administration.

Or, précisément, à partir de 1830 et singulièrement sous le Second Empire et notamment avec l’Empire dit libéral, va se développer un courant que nous avions qualifié dans la thèse précitée de « libéral citoyen » et dont le Jda nous semble être une matérialisation parfaite.

(nb : les présentes explications sont issues d’un dictionnaire en cours) :

Du mouvement « libéral citoyen » :

Selon nous, en effet, il a existé différents mouvements doctrinaux avant 1900. Parmi eux, il y eut des praticiens mais aussi des théoriciens dont ceux que nous avons qualifiés de « libéraux citoyens ».

I. Au nom des libertés

Ces derniers ont proposé et décrit une nouvelle organisation du droit administratif qui n’était basée ni sur l’ordre alphabétique, ni sur une présentation romano-civiliste ou progouvernementale des éléments à l’instar de leurs contemporains. Parmi eux, le doyen Foucart (1799-1860) par exemple fut le premier à avoir, selon nos recherches, décidé de présenter le droit administratif du point de vue des administrés présentés en tant que citoyens détenteurs de droits et d’intérêts à protéger et non en fonction de la vision de la seule administration publique, symbole et source du pouvoir. Ce droit administratif se conçoit alors chez Foucart mais aussi chez Firmin Laferrière (1798-1861) ou Théophile, Ducrocq (1829-1913) comme un droit de conciliation entre intérêt général et droits et intérêts privés. Tous ont eu en commun, chronologiquement après Foucart, mais pas forcément sous son influence, d’avoir voulu débarrasser le droit administratif de son acception réductrice de droit de police (comme chez de Gerando (1772-1842)). Les libéraux citoyens sont en effet des auteurs convaincus de la nécessité de défendre les droits et libertés afin qu’ils ne soient étouffés par une administration – symbole du pouvoir et de l’exécutif – potentiellement liberticide. Ils sont avant tout des partisans d’un libéralisme économique et social qui se veut, au nom de l’individualisme, héritier des philosophies bourgeoises de la Révolution française. On pourrait en conséquence croire qu’ils étaient opposés à toute intervention étatique et donc à l’existence même d’un droit administratif développé ; il n’en est pourtant pas ainsi.

II. Libéral & citoyen

Certes, les libéraux citoyens sont encore moins favorables que d’autres à un interventionnisme public fort et, précisément, c’est parce qu’ils veulent contrôler et surveiller cette intervention minimalisée que l’étude du droit public leur paraît capitale. En ce sens, le droit administratif n’est plus seulement à leurs yeux un instrument au service du pouvoir mais il est destiné à contenir son expansion. Pour y parvenir, les libéraux citoyens disposent d’une institution capitale : la juridiction administrative dont ils souhaitent le développement, l’affermissement et surtout l’indépendance. Le juge administratif est alors envisagé et ce, pour la première fois, non comme un juge de l’administration (ce fameux « administrateur-juge »), mais comme un défenseur potentiel des administrés dont les droits et intérêts auraient été bafoués. A sa tête, le Conseil d’Etat leur apparaît désormais comme un véritable arbitre mettant en balance les intérêts privés et public(s). Car s’il est bien une notion fondamentale chez tous ces auteurs que nous nommons libéraux citoyens, c’est celle d’intérêt (public ou) général. En effet, la puissance publique, à leurs yeux, n’est légitime que si elle réalise l’intérêt général : toute autre intervention de sa part est immédiatement rejetée comme néfaste et liberticide.

III. Huit traits caractéristiques de la doctrine libérale citoyenne

Plusieurs traits (huit) sont ainsi caractéristiques de la doctrine des libéraux citoyens. Reprenons-les :

  • d’abord, ils sont tous convaincus de la nécessité d’une Constitution (1), non seulement afin d’organiser l’Etat et de régir ainsi (afin d’éviter tout débordement) les pouvoirs publics mais aussi
  • pour garantir et promouvoir les libertés de chaque administré (2). L’essai sur la Charte du libéral Lanjuinais (1753-1827) est en ce sens particulièrement topique et ne laisse aucun doute sur cette question.
  • Ensuite, c’est précisément cette étude des libertés qui va légitimer et organiser l’exposé des Lois et matières administratives : chacune devenant le prétexte à l’étude d’une restriction à une liberté (3). Ainsi, le droit de police ne cédait-il pas complètement devant l’individualisme mais était-il mis en balance avec lui.
  • En outre, nous l’avons remarqué, un rôle fort (et nouveau) était confié à la juridiction administrative destinée, non à couvrir l’administration, mais bien à protéger les droits des administrés (4).
  • De surcroît, ces libertés défendues par les auteurs de cette doctrine étaient déjà classées et ordonnées autour de manifestations différentes : des libertés individuelles mais aussi des libertés dites sociales (c’est-à-dire publiques au sens où on l’entendait à cette époque) et – surtout – des libertés politiques, afin d’obtenir une participation plus grande des citoyens aux affaires publiques (5).
  • Le droit administratif n’était donc pas l’ennemi des libéraux citoyens bien au contraire : en acceptant, sous un gouvernement représentatif libéral, que soient (enfin) contrôlés le pouvoir et ses émanations, la diffusion du droit administratif devenait une forme d’éducation civique ou citoyenne à l’usage des bourgeois et propriétaires. Il s’agissait de circonscrire au mieux l’interventionnisme public en apprenant ses rouages, son langage, ses techniques et en donnant au juge administratif un nouveau rôle : celui de défendre les libertés. « Le meilleur gouvernement est celui qui apprend aux hommes à se gouverner eux-mêmes » avait dit Goethe (1749-1832) et les libéraux citoyens semblaient en avoir fait leur devise (6).
  • Enfin, la doctrine des libéraux citoyens permettait, pour la première fois dans la jeune histoire du droit administratif, de revendiquer puis de confirmer l’autonomie et la singularité de cette branche juridique, détachée du droit privé. En effet, les systématisations de ces auteurs avaient toutes pour objet d’affirmer l’existence d’un droit distinct du droit commun, ce qui est particulièrement frappant dans les œuvres de Foucart et de Ducrocq plus encore (7).
  • Et, dernière caractéristique, les libéraux citoyens étaient le plus souvent favorables à une forme de décentralisation (bien qu’en fait il se soit agi de déconcentration au sens moderne du terme) afin de lutter contre les abus centralisateurs et pour le développement de l’administration locale (8).

Précisément, Batbie – surtout – rentre dans ce mouvement que nous avons qualifié de libéral citoyen et sa cofondation du Jda comme promoteur d’un droit administratif défendant les droits des administrés et destiné à leur attention en est un acte manifeste.

Un exemple des relations administration(s) / administré(s) :
Le dialogue du Jda avec les administrés (et non le « public »)
dans le but de les rapprocher de l’Administration
& de permettre la contestation  » libérale citoyenne »
de l’action administrative

Il est patent, dès la première livraison du Jda de 1853, que l’objectif de rapprocher administration(s) et administré(s) est important pour les concepteurs et promoteurs du Journal du Droit Administratif. On en veut pour preuve cette série de :

"Lettres à un administré sur quelques matières usuelles de droit administratif"

On n’en donnera pas ici la totalité (cf. 1853 ; Tome I ; Art. 10 ; p. 55 et s.) mais on se contentera de quelques extraits et de brèves observations. D’abord, il est vrai qu’en la matière ce n’est pas l’Administration qui se rapproche de l’administré mais c’est le Jda qui cherche à faire le lien entre les deux. Par suite, le terme moderne de « public » (qui cherche à gommer l’aspect subissant sinon passif de l’administré) n’était évidemment pas employé à la manière de l’actuel CRPA ! Il y était clair que les administrés (notamment sous les Empires et la Monarchie même de Juillet) étaient avant tout des sujets, c’est-à-dire des assujettis. Or, et c’est là où se manifeste le courant libéral citoyen, on cherchait – au Jda notamment – à faire de ces administrés des citoyens actifs et capables – par exemple – de contester ce que l’on aurait auparavant jamais osé faire : l’action administrative.

Ainsi, Batbie écrit-il en 1853 à un administré (dont on donnera plus tard le nom car il va devenir un acteur récurrent du Jda) qui se plaint avec une verve toute toulousaine des malheurs que lui feraient vivre plusieurs administrations (notamment locales). Il est alors particulièrement savoureux de lire la réponse que lui fait publiquement Batbie qui mêle non seulement des arguments juridiques (à l’instar d’une consultation) mais également des éléments très personnels et parfois même caustiques à l’égard de son « lecteur administré » dont il raille abondamment le caractère :

IMG_3532

Dans une prochaine livraison, on donner plus de détails sur l’échange nourri entre Batbie et son « administré ». Pour l’heure on se contentera d’en savourer la première conclusion qui témoigne là encore de cette volonté du Jda de rapprocher administrations & administrés :

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Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno) ; Art. 65.

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ParJDA

Compte-rendu AG du 13 juin 2016

Art. 62

Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Chers élus, Chers Maîtres, Chers collègues, Chers étudiants,

Notre dernière réunion du Journal du Droit Administratif  a eu lieu le 13 juin 2016 en salle dite Maurice Hauriou (Anciennes Facultés de l’Université Toulouse 1 Capitole).

Etaient présentes et représentées sept personnes, toutes intéressées par le Journal du Droit Administratif (Jda) et membres issus de l’Université de Toulouse 1 Capitole & de Sciences Po Toulouse. La réunion s’est organisée autour des points suivants d’annonces et de discussions :

  • Questionnaire(s) / Interview(s) :

Comme prévu lors de nos dernières réunions, des questionnaires (interviews) ont été adressés à des maîtres du droit administratif (français et étranger). Leurs réponses seront publiées au fil des prochains mois.

Il est proposé par l’assemblée générale d’organiser en tant que dossier n°04 (pour décembre par exemple) un numéro qui – précisément – serait constitué à partir de ces questionnaires / interviews non seulement à partir des réponses d’administrativistes français mais encore de collègues étrangers. Il est notamment proposé d’opérer une répartition en trois sous-ensembles de questionnaires :

  • Ceux des membres du JDA (soutiens et / ou auteurs) ;
  • Juristes français ;
  • Juristes étrangers.

Il est notamment proposé de rechercher des pistes en droits étrangers auprès des collègues allemands (piste commencée par Mme le pr. Gaillet), italiens et grecs (piste commencée par le pr. Touzeil-Divina) et québécois (piste suggérée par M. Barrué-Belou).

  • Site Internet

Le pr. Touzeil-Divina informe que la demande d’Issn (International Standard Serial Number) a – enfin – été acceptée. Le Jda peut donc désormais y être référencé sous l’Issn 2494-6281. Chaque article du site Internet a en outre été numéroté depuis la dernière AG et à chaque fin on y lit : « Vous pouvez citer cet article comme suit : Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Art. 01 »  avec une mention supplémentaire pour les chroniques et les dossiers.

  • Deuxième & troisième « dossiers »

Les prochains dossiers du Jda sont en cours.

Le deuxième, programmé pour juillet ou septembre 2016 portera sur « les relations entre administration(s) & administré(s) » selon la proposition qu’en avait faite le professeur Saunier. Le thème a déjà été acté et les directeurs du numéro (le pr. Saunier & mesdames Crouzatier-Durand & Espagno) en ont présenté les avancées.

Le professeur Touzeil-Divina rappelle également l’existence en projet(s) d’un troisième dossier du Jda programmé pour décembre 2016 et portant sur la laïcité ; ce dossier se fera en partenariat avec un nouveau média interdisciplinaire (les Cahiers de la LCD (Lutte Contre les Discriminations)). Un appel à contributions a déjà été proposé en ce sens (cf.précédent compte-rendu). Il s’agira d’organiser de façon mutualisée un dossier sur cette question (dans ses rapports – nous concernant – avec le droit administratif notamment).

  • Jurisprudence(s)

Il est présenté à l’assemblée le premier « triptyque toulousain prétorien » comprenant :

  • Des conclusions d’un rapporteur public
  • Un jugement du Tribunal Administratif de Toulouse
  • Un commentaire court d’un universitaire.

Ce premier triptyque a été conçu à partir d’une affaire en matière de fonctions publiques. Un autre dossier est en cours en matière de marchés publics et / ou d’urbanisme.  L’assemblée propose de multiplier cet exercice en partenariat étroit avec le Tribunal Administratif de Toulouse. Deux ou trois triptyques pourraient en ce sens être en préparation(s) et être mis en ligne courant octobre.

En outre, plusieurs notes de jurisprudence et autres commentaires sont en cours et quelques-unes sont déjà en ligne. Il est proposé en ce sens de préparer pendant la pause estivale – et si possible pour le 15 septembre – cinq décisions de jurisprudence administrative qui ont marqué les débuts de l’année 2016 :

  • CE, 21 mars 2016, deux décisions n° 368082 & n° 390023 (droit souple) ;
  • CE, 11 mai 2016, Communauté urbaine Marseille-Provence-Métropole (n°390118) (bail à construction)
  • CE, 08 juin 2016, A, F, B, G et K (cinq décisions n° 394348, M. A… ; n°394350, M. F… ; n°394352, M. B… ; n°394354, M. G… & n°394356, M. K…) sur les déchéances de nationalité ;
  • CE, 06 avril 2016, B. (n°380570) (Loi organique & traité)
  • TC, 06 juin 2016, Commune d’Aragnouet (n°4051) (clauses exorbitantes)

Il est proposé aux membres du Jda de bien vouloir se manifester en écrivant directement à la rédaction pour se proposer

  1. Soit comme co-auteur d’un commentaire d’une de ces décisions (il serait en effet plus judicieux de faire des commentaires à minimum quatre mains) ;
  2. Soit comme co-auteur d’un autre commentaire de décision.

La liste des décisions retenues et des commentateurs sera fixée lors de notre prochaine A.G..

Il est enfin rappelé qu’une première chronique (en droit des collectivités) est également déjà en ligne grâce au très beau travail de l’équipe d’administrateurs territoriaux sous la direction de M. Pascal Touhari.

  • Rattachement institutionnel

L’assemblée a enfin engagé une conversation quant au rattachement institutionnel éventuel du Journal du Droit Administratif. Est-il opportun de se fixer auprès d’un laboratoire de l’Université Toulouse 1 Capitole ? de plusieurs partageant les recherches en droit administratif ? de l’IFR ? de la Faculté ? … ou encore de rester comme tel sans rattachement ?

Il sera plus tard statué sur cette question.

  • Prochaine séance

Pour la réunion prochaine, il est proposé :

  • de nous donner rendez-vous le mardi 12 juillet 2016 à midi (salle à préciser) non seulement pour procéder – ensemble – à la mise en ligne du dossier numéro 02 (sur « les relations entre administration(s) & administré(s)») mais encore pour valider quelques décisions mais surtout pour célébrer ensemble la fin de l’année (et le lancement réussi du Jda autour d’un pique-nique participatif où chacun apportera ce qu’il peut / veut en fonction de ses envies.

Le présent compte rendu a été dressé et rédigé le 19 juin 2016.

Pr. Mathieu Touzeil-Divina

Le présent compte-rendu
est en ligne au format PDF
en cliquant ICI

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; Art. 62.

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ParJDA

Appel à contribution(s) – Dossier n°02 – Les relations entre le public & l’administration

Art. 61.

2ème appel à contribution(s)
du Journal du Droit Administratif :

« Les relations entre le public & l’administration
mises à la portée de tout le monde »

Numéro sous la direction de Sébastien Saunier,
Florence CrouzatierDurand & Delphine Espagno

Rédaction en chef : Mathieu Touzeil-Divina

Retrouvez le présent appel
au format PDF en cliquant ICI

Depuis le 1er janvier 2016 est entré en vigueur l’essentiel du Code des Relations entre le Public et l’Administration (Crpa) édicté par l’ordonnance n°2015-1341 et le décret n°1342 du 23 octobre 2015. Présenté comme la lex generalis du droit des relations entre le public et les administrés, citoyens et usagers, il codifie une grande partie des textes applicables jusque-là à la relation administrative. Il a pour objectif de rassembler les « règles générales » c’est-à-dire les règles transversales régissant les personnes physiques et morales avec l’administration.

Un code de ce type était attendu depuis une vingtaine d’années après les tentatives inabouties de 1996 et 2004. Sollicité par la doctrine depuis plusieurs décennies, le droit français avait accumulé un retard considérable au regard de la plupart des pays occidentaux déjà dotés parfois depuis plusieurs décennies d’une loi de procédure administrative (EU, Allemagne, Espagne, etc.).

Certes, le législateur avait adopté depuis la fin des années 1970 d’importants textes (la loi du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public, la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public, la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (dite Dcra), l’ordonnance du 08 décembre 2005 relative aux échanges électroniques, la loi du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit organisant les consultations ouvertes sus Internet, la loi du 12 novembre 2013 sur le silence vaut acceptation, etc.).

Cependant, la multiplicité des lois et décrets rendait la matière peu accessible, particulièrement pour les principaux intéressés, les citoyens. En outre, aux textes législatifs et réglementaires, s’ajoutaient la source jurisprudentielle (largement dominante) ainsi que les sources constitutionnelles, internationales et européennes du droit de la procédure applicable aux relations entre l’administration et les citoyens, dans un contexte profondément renouvelé par le numérique, le développement des droits fondamentaux et la prise en compte du droit comparé, ce qui invitait à refondre la matière, par certains aspects, obsolète ainsi qu’à renforcer le dialogue entre l’administration et les citoyens.

Pour son deuxième appel à contributions, le Journal du droit administratif (Jda) a donc décidé de prendre pour objet de réflexion(s) la / les question(s) de la / des relation(s) administrative(s) et de porter un regard complet sur le Code des Relations entre le Public et l’Administration, dans une optique pédagogique. En effet, le Jda (remis à jour en 2016) est conçu comme une rencontre et un dialogue permanent entre tous les acteurs du droit administratif à propos du droit administratif : depuis l’administrateur jusqu’à l’administré citoyen en passant par l’Université et la Magistrature. L’administré, précisément, joue un rôle important au cœur du Jda puisque c’est pour lui qu’est mis en œuvre notre média et c’est avec lui qu’il s’accomplira. Autrefois, du reste, c’est en 1853, déjà, à la Faculté de Droit de Toulouse (Haute-Garonne), que les professeurs Chauveau & Batbie créèrent la première mouture du Journal du droit administratif avec pour sous-titre cette indication « mis à la portée de tout le monde ». Voilà pourquoi après un premier dossier consacré à l’état d’urgence « mis à la portée de tout le monde », le Jda vous propose aujourd’hui et ce, selon quatre axes un dossier intitulé :

« Les relations entre le public & l’administration
mises à la portée de tout le monde »

1. La relation administration – administrés saisie par le Crpa  

Le premier axe du dossier est à dimension générique. Il vise à resituer la contribution et les limites du code des relations entre le public et l’administration au sein des concepts fondamentaux du droit des relations administration-administrés. Les contributions peuvent se décliner, par exemple, autour des interrogations et thèmes suivants :

– Le code des relations entre le public et l’administration dans l’histoire de la relation administrative

– La méthode de codification et de rédaction du code

– Le choix des termes et de l’intitulé du code (public, citoyens, administrés, usagers, etc.)

– L’influence du droit constitutionnel

– L’influence des sources européennes

– Le droit international et la relation administrative

– Le droit comparé comme source du code

– Le plan du code

– Le champ d’application du code

– Le code et le numérique

2. Analyse de la réglementation

Le deuxième axe vise à analyser la réglementation édictée par le code, et ce, selon une optique pédagogique, tout en suivant sa structuration afin d’en faciliter la compréhension par les lecteurs du Jda.

─ Dispositions préliminaires
─ Les échanges avec l’administration

♦ Les demandes du public et leur traitement

♦ Le droit de présenter des observations avant l’intervention de certaines décisions

♦ L’association du public aux décisions prises par l’administration

– Principes généraux

– Consultations ouvertes sur Internet

– Les commissions administratives à caractère consultatif

– Les enquêtes publiques

– Participation du public aux décisions locales
─ Les actes unilatéraux pris par l’administration

♦ Motivation et signature des actes administratifs

♦ L’entrée en vigueur des actes administratifs

♦ Les décisions implicites

♦ La sortie de vigueur des actes administratifs
─ L’accès aux documents administratifs et la réutilisation des informations publiques
─ Le règlement des différends avec l’administration
─ Les lacunes du code

3. Applications

Le troisième axe s’intéresse aux applications des règles générales analysées précédemment dans les différents champs de l’action publique, ainsi par exemple, du :

─ Droit des collectivités territoriales

─ Droit de l’urbanisme

─ Droit de l’environnement

─ Droit de l’éducation

─ Droit de la culture

─ Droit public économique et des affaires

─ Droit de l’aménagement et du territoire

─ Droit fiscal, etc.

Plus généralement, les contributions peuvent s’interroger sur les modalités d’articulation du droit général de la procédure administrative et des droits spéciaux ?

 

4. La relation entre l’administration et les administrés
vu de et par l’étranger

Les apports du droit comparé constituent une source d’enrichissements pour apprécier le cas français et forment le quatrième axe du dossier. Le rapprochement entre les législations comparables et l’expérience française est pédagogiquement intéressante. Elle permet en effet d’analyser les modes de relations entre l’administration et les citoyens, les spécificités de chaque Etat dans l’approche de la relation administrative. Elle peut faire ou ne pas faire émerger des particularités administratives dans le rapport entre administration et administré.

Ces propositions n’excluent ni des propositions supplémentaires spontanées ni des contributions multiples sur le même sujet (ce qui développera les points de vues).

Calendrier retenu & conditions de l’appel à contribution(s) :

Toute personne désirant participer au présent dossier du Jda devra envoyer sa proposition de contribution (un résumé de quelques lignes)
avant le 15 mai 2016
et ce, à l’adresse dédiée : appel@j-d-a.fr.

Les auteur(e)s seront informé(e)s de la recevabilité de leur proposition,
ou des contre-propositions éventuelles au 31 mai 2016 au plus tard.

Les articles retenus devront ensuite être envoyés au 1er juillet 2016
pour une mise en ligne au 15 juillet 2016.

 

Style attendu des propositions :

Les propositions devront comprendre :

─ Une proposition de titre et au moins trois mots-clefs référentiels

─ Une photographie de / des auteur(e)(s)

─ Une présentation de(s) auteur(e)s indiquant ses nom, prénom(s), titres & fonctions.

Normes de rédaction :

Sans perdre de vue l’optique pédagogique du Jda, il est demandé aux contributeurs de bien vouloir respecter les consignes suivantes :

─  Contribution d’une à deux page(s) (format word ou autre / A4) environ)

─ Police unique dans tout le corps du texte (Times New Roman au plus simple – 12)

─  Avec les subdivisions suivantes I. II. III. etc. ; puis A. B. etc. ; puis au besoin §1, § 2. etc.

─ Attention : Les notes de bas de page ne sont pas admises

─ Les références s’écrivent dans le texte au format habituel.

 

Retrouvez le présent appel
au format PDF en cliquant ICI

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ParJDA

AG du 06 avril 2016

Art. 60.
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Chers élus, Chers Maîtres, Chers collègues, Chers étudiants,

Notre dernière réunion du Journal du Droit Administratif  a eu lieu le 06 avril 2016 en salle dite Maurice Hauriou (Anciennes Facultés de l’Université Toulouse 1 Capitole).

Etaient présentes et représentées quinze personnes, toutes intéressées par le Journal du Droit Administratif (Jda) et membres issus de l’Université de Toulouse 1 Capitole, de Sciences Po Toulouse, du Barreau ainsi que du Tribunal Administratif de Toulouse (au moins un représentant de chaque institution ou représenté pour le Barreau). La réunion s’est organisée autour des points suivants d’annonces et de discussions :

  • Questionnaire(s) / Interview(s) :

Comme prévu lors de nos dernières réunions, des questionnaires (interviews) ont été adressés à des maîtres du droit administratif (français et étranger). Leurs réponses seront publiées au fil des prochains mois.

JDA : de 1853 à 2016

  • Site Internet

Le professeur Touzeil-Divina  a présenté aux membres de l’assistance tous les articles, toutes les pages et chroniques du (futur) site Internet du Jda. Plus d’une cinquantaine de contributions ont été préparées et mises en ligne et notre média peut se réjouir de ce que – déjà – plus de soixante contributeurs ont répondu à son appel.

L’assistance se réjouit de ses bonnes nouvelles et découvre avec enthousiasme les différentes pages et articles publiés. Le pr. Kalfleche s’interroge sur la façon de citer les articles et contributions du Jda. Le pr. Touzeil-Divina rappelle tout d’abord qu’une demande d’Issn (International Standard Serial Number) est actuellement en cours d’examen et remercie son collègue pour sa judicieuse remarque. Il propose en conséquence, à la manière du Jda originel (celui de 1853) de numéroter toutes les contributions (de façon chronologique) du Journal et ce, afin, effectivement de pouvoir citer plus aisément les articles actuels et futurs. Il est décidé d’agir en ce sens quitte à proposer par suite une autre modalité matérielle (de citation et / ou d’indexation). Chaque article – pour l’heure – sera numéroté et à sa fin on lira par exemple : « Vous pouvez citer cet article comme suit : Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Art. 01 »  avec une mention supplémentaire pour les chroniques et les dossiers.

  • Mise en ligne !

A 19h00, comme annoncé sur le site Internet et les réseaux sociaux (page facebook et compte twitter), les membres présents du Jda ont officialisé l’ouverture au public du site

http://www.journal-du-droit-administratif.fr/ .

Une vive émotion était palpable dans l’assistance heureuse de participer à la recréation, en 2016, du premier média (toulousain puis national) spécialisé en droit administratif et fondé – à Toulouse déjà – en 1853 par MM. Chauveau & Batbie.Le pr. Touzeil-Divina est heureux de présenter aux membres assemblés le compte twitter dédié du Jda (@JournalduDA) qui a réussi – avant même l’ouverture du site Internet – à faire un peu de « bruit(s) » (pour ne pas dire de buzz) à propos de son arrivée.

  • Deuxième & troisième « dossiers »

Les prochains dossiers du Jda sont en cours.

Le deuxième, programmé pour juillet ou septembre 2016 portera sur « les relations entre administration(s) & administré(s) » selon la proposition qu’en avait faite le professeur Saunier. Le thème a déjà été acté et l’assemblée confirme en confier la direction au professeur Saunier ainsi qu’à mesdames Crouzatier-Durand & Espagno (tous ayant accepté cette mission).

Ils seront matériellement assistés du pr. Touzeil-Divina et de M. Orlandini.Les porteurs du deuxième dossier s’engagent à présenter puis à faire diffuser un appel à contribution(s) d’ici le 15 avril.

Le professeur Touzeil-Divina rappelle également l’existence en projet(s) d’un troisième dossier du Jda programmé pour décembre 2016 et portant sur la laïcité ; ce dossier se fera en partenariat avec un nouveau média interdisciplinaire (les Cahiers de la LCD (Lutte Contre les Discriminations)). Un appel à contributions a déjà été proposé en ce sens (cf.précédent compte-rendu). Il s’agira d’organiser de façon mutualisée un dossier sur cette question (dans ses rapports – nous concernant – avec le droit administratif notamment).

L’assemblée se réjouit de ces projets.

  • Jurisprudence(s)

Il est présenté à l’assemblée le premier « triptyque toulousain prétorien » comprenant :

  • Des conclusions d’un rapporteur public
  • Un jugement du Tribunal Administratif de Toulouse
  • Un commentaire court d’un universitaire.

Ce premier triptyque a été conçu à partir d’une affaire en matière de fonctions publiques. Un autre dossier est en cours en matière d’urbanisme.

L’assemblée propose de multiplier cet exercice en partenariat étroit avec le Tribunal Administratif de Toulouse. Deux ou trois triptyques sont en ce sens en préparation(s).

En outre, plusieurs notes de jurisprudence et autres commentaires sont en cours et quelques-unes sont déjà en ligne.

Il est enfin rappelé qu’une première chronique (en droit des collectivités) est également déjà en ligne grâce au très beau travail de l’équipe d’administrateurs territoriaux sous la direction de M. Pascal Touhari.

  • Prochaine séance

Pour la réunion prochaine, il est proposé :

  • de nous donner rendez-vous le jeudi 12 mai 2016 à 18.30 (salle à préciser) ;
  • que chacun vienne avec une ou des proposition(s) de jurisprudence(s) à retenir comme étant « LA » jurisprudence du début d’année 2016 (Conseil d’Etat, Tribunal des Conflits et Tribunal Administratif de Toulouse) ;

Le présent compte rendu a été dressé et rédigé le 07 avril 2016.

Pr. Mathieu Touzeil-Divina

Le soleil étant encore présent à la fin de la réunion, quelques membres ont accepté de poser autour du buste du doyen Hauriou afin de marquer l’événement et la journée de recréation du Journal du Droit Administratif (Jda). Tous les membres n’y figurent pas (certains s’étant déjà éclipsé).

recréation du JDA - 06 avril 2016

Le présent compte-rendu
est en ligne au format PDF
en cliquant ICI

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; Art. 60.

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Du Ballet !

Art. 61.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; Art. 61.

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ParJDA

TA de Toulouse, conclusions DUBOIS sur la requête n°1203445 (audience du 21 janvier 2016)

Art. 59.

Un commentaire de la présente décision & de ses conclusions se trouve en ligne ici.

N°1203445 – Mme Nanette GLUSHAK

Audience du 21 janvier 2016

Lecture du 18 février 2016

Rapporteur : C. Kanté

Rapporteur public : D. Dubois

fr-tls

CONCLUSIONS

Née aux Etats-Unis en 1951, Mme Nanette Glushak, dont le prénom renvoie inévitablement à l’une des plus belles chansons de la comédie musicale américaine, Tea for two, a appris l’art de la danse à la prestigieuse School of American Ballet, fondée en janvier 1934 à New York par George Balanchine et Lincoln Kirstein. A l’âge de seize ans à peine, elle rejoint la troupe du New York City Ballet sur l’invitation de George Balanchine. En 1970, elle devient membre de l’American Ballet Theatre, autre compagnie new-yorkaise, plus ancienne, et non moins célèbre, où Mme Glushak est promue soliste en 1972. Elle danse les rôles principaux des plus grandes œuvres du répertoire : Le Lac des Cygnes, La Bayadère,[1] La Belle au bois dormant,[2] Don Quichotte[3], La Fille mal gardée,[4] Giselle,[5] Coppélia,[6] La Sylphide.[7]

A partir de 1983, elle co-dirige le Fort Worth Ballet, situé au Texas, et dirige également l’école attachée à cette compagnie, avec son époux, Michel Rahn, danseur issu de l’Opéra de Lyon.

Puis, à partir de 1987, Nanette Glushak remonte le répertoire de Balanchine, qui est décédé quatre ans plus tôt à New York, ainsi que le répertoire classique, et est invitée en tant que professeur dans de nombreuses compagnies étrangères, parmi lesquelles le Royal Ballet d’Angleterre, le Ballet du Deutsche Opera de Berlin, le Ballet de la Scala de Milan mais également des compagnies françaises, telles que le Ballet National de Marseille, le Ballet de l’Opéra de Lyon, et le Ballet du Grand Théâtre de Bordeaux.

En 1989, elle est engagée comme directrice artistique du Scottish Ballet à Glasgow, puis elle est recrutée par la commune de Toulouse comme directrice de la danse et chorégraphe du ballet du Théâtre du Capitole en septembre 1994, par le biais d’un contrat à durée déterminée régi par le décret n°88-145 du 15 février 1988 relatif aux agents non-titulaires de la fonction publique territoriale. Notons au passage que son époux, M. Rahn, est alors également recruté comme maître de ballet.

Vous le savez, le ballet, au même titre que le théâtre et l’orchestre du Capitole sont directement gérés, en régie, par la ville de Toulouse, et leur activité constitue un service public administratif, ainsi que l’a jugé au moins deux fois le Tribunal des Conflits avant qu’il ne simplifie grandement la jurisprudence en la matière par l’arrêt Berkani (cf. à propos de deux danseuses du ballet : TC, 15 janvier 1979, Dames Le Cachey & Guiguère et autres c/ Ville de Toulouse, n°2106, en A sur ce point[8], ccl. Morisot ; TC, 22 novembre 1993, Martinucci c/ Ville de Toulouse, n°2879, en A sur ce point[9]).

Précisons toutefois, en passant, que le contrat par lequel une collectivité publique gérant un service public administratif et agissant en qualité d’entrepreneur de spectacle vivant, engage un artiste du spectacle en vue de sa participation à un tel spectacle, est présumé être un contrat de travail soumis aux dispositions du code du travail (cf. TC, 6 juin 2011, Mme Bussière-Meyer c/ Communauté de l’agglomération belfortaine, n°3792, en A sur ce point[10] ; TC, 17 juin 2013, Mme Olteanu c/ Ville de Saint-Etienne, n°3910[11]).

Le contrat de Mme Glushak répondait quant à lui à un besoin permanent et a été régulièrement renouvelé, de sorte qu’il a été transformé en contrat à durée indéterminée, le 14 décembre 2005, avec effet rétroactif à la date du 27 juillet 2005, conformément à l’article 15-II de la loi n°2005-843 du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique. Pour rappel, ces dispositions imposaient aux employeurs publics la transformation d’un contrat à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée lorsqu’au 1er juin 2004 ou au plus tard au terme du contrat en cours, soit le 31 août 2005 s’agissant de Mme Glushak, l’agent non-titulaire concerné était âgé d’au moins cinquante ans, était en fonction, justifiait d’une durée de services effectifs au moins égale à six ans au cours des huit dernières années, et assuraient, notamment, des fonctions pour lesquelles il n’existe pas de cadres d’emploi de fonctionnaire.

            Toutefois, lors de la séance du conseil municipal du 21 janvier 2011, le maire de Toulouse a annoncé la nomination de M. Kader Belarbi, ancien danseur étoile de l’Opéra de Paris, comme directeur de la danse du Théâtre du Capitole en remplacement de Mme Glushak. Un premier contrat ayant été signé le 12 janvier 2011, M. Belarbi a pris ses fonctions dès le 1er février 2011. Ce n’est qu’un an plus tard que le maire de Toulouse a convoqué Mme Glushak pour un entretien préalable à son licenciement, et l’a ensuite licenciée par décision du 13 février 2012.

Par la présente requête, Mme Glushak vous demande d’annuler cette décision et de condamner la commune de Toulouse à lui verser une indemnité de 180.000 euros en réparation de ses préjudices financiers et moraux.

*****

L’administration peut toujours licencier un agent non-titulaire pour des motifs tirés de l’intérêt du service. C’est là la principale question posée par ce litige, d’autant plus délicate en l’espèce que les activités artistiques telles que celles qui peuvent être confiées à un directeur de la danse, chorégraphe, sont intimement liées, non pas à la personnalité, mais à la personne même, de celui qui occupe ces fonctions. La ville de Toulouse a recruté Mme Glushak, non seulement en raison de ses compétences techniques et pédagogiques dans le domaine de la danse, mais également, du moins peut-on légitimement le penser, en raison de sa notoriété et de son influence dans ce milieu artistique. Pour autant, le contrat de Mme Glushak n’était pas un emploi discrétionnaire, qui aurait permis à son employeur de la révoquer ad nutum, c’est-à-dire, rappelons l’étymologie, sur un signe de tête. La requérante n’était donc pas placée dans une situation comparable à celle des fonctionnaires territoriaux occupant des emplois de cabinet, ou encore des emplois fonctionnels, qui sont strictement et limitativement énumérés par les textes.

C’est pourquoi il nous paraît opportun de rappeler dans quels cas un employeur public peut se séparer d’un agent contractuel de droit commun, conformément à l’intérêt du service.

La première hypothèse qui vient immédiatement à l’esprit, mais qui ne correspond pas au cas qui nous occupe aujourd’hui, est celle de la suppression de l’emploi, notamment pour des raisons budgétaires (cf. par ex. pour la suppression de 15 postes de danseurs de l’opéra de Marseille : CE, 13 octobre 1997, Gardi, n°161957).

Le second motif de licenciement dans l’intérêt du service tient à la réorganisation de celui-ci. A titre d’exemple, le maire de Pantin avait pu licencier un professeur de musique du conservatoire municipal en raison de la réorientation des cours d’esthétique et de théâtre musical assurés par l’intéressé, compte tenu d’une réorganisation qui avait pour objet, d’une part, de permettre l’exécution d’œuvres musicales dans le cours d’esthétique en confiant ce cours à un professeur instrumentiste, et d’autre part, d’assurer la formation de chanteurs comédiens dans le cours de théâtre musical en confiant ce cours à un professionnel du théâtre. Le Conseil d’Etat, qui a noté qu’il ne lui appartenait pas d’apprécier l’opportunité de cette réorganisation, a simplement constaté qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier, que l’agent concerné, qui n’était pas instrumentiste, ait possédé les qualifications désormais demandées par la commune (cf. CE, 17 janvier 1986, Tapie, n°52628).[12]

Troisième possibilité qui a fait l’objet d’un arrêt topique : l’employeur public peut mettre fin à la relation contractuelle en cas d’inadaptation de l’artiste aux besoins du service public culturel, sans que celui-ci n’ait connu de changement particulier d’organisation. Ainsi, à propos d’un danseur soliste à l’opéra de Lyon qui n’était plus choisi par les chorégraphes invités depuis quatre ans (au motif, justement, d’une prétendue incapacité à adopter une forme d’expression contemporaine de la danse)[13], danseur qui n’avait participé depuis trois ans qu’à une seule tournée en qualité de remplaçant au cours de laquelle il n’avait pas dansé et qui n’avait, depuis lors, été sélectionné pour aucune création, le Conseil d’Etat a jugé que ces faits ne caractérisaient pas une insuffisance professionnelle mais une inadaptation aux besoins du théâtre, pouvant le cas échéant justifier le non renouvellement du contrat à durée déterminée qui liait le danseur à l’opéra de Lyon lors de ses échéances (cf. CE, 29 juillet 1994, Ville de Lyon, n°133701, en B sur ce point).

Enfin, les motifs d’éviction peuvent résulter plus classiquement d’une faute disciplinaire ou d’une insuffisance professionnelle imputable à l’agent concerné. Il s’agit là de motifs qui, s’ils ne sont pas directement tirés de l’intérêt du service, ne lui sont pas, bien évidemment, étrangers, selon la formule de la jurisprudence (cf. CE, 13 mars 1968, Commune de Malaussène, n°68999, en A sur cette question[14] ; CE, 12 mars 1975, Ville de Pau, n°91151, en A sur ce point[15]).

*****

            En l’espèce, la décision attaquée du 13 février 2012 est motivée par la circonstance que Mme Glushak n’aurait pas su s’adapter aux nouveaux objectifs fixés par le directeur artistique du théâtre du Capitole dans le cadre du changement de projet culturel de la ville de Toulouse depuis 2008, à savoir l’introduction d’une modernité dans le ballet du Capitole, impliquant une nouvelle direction artistique se traduisant par l’ouverture du répertoire à des chorégraphes contemporains, et par des partenariats avec l’environnement local dans le domaine de la danse, croisements des genres et des styles par le biais de cours publics, de performances, etc.

Puis, le maire de Toulouse a reproché à Mme Glushak de ne pas avoir souhaité engager sa troupe de ballet vers un répertoire autre que néoclassique, de s’être opposée à toutes les ouvertures du ballet sur l’environnement local, d’où une mauvaise implication des danseurs lors des différentes éditions de la manifestation « Osons danser » et de la lecture-démonstration avec l’association de danse hip-hop le CACDU.

Le maire reprochait également à la requérante une perte de notoriété du Ballet du Capitole, qui s’est traduite par une diminution des propositions de tournées nationales et internationales.

Enfin, le maire a estimé que le fait pour Mme Glushak de mener des missions régulières comme maîtresse de ballet auprès d’autres troupes en France et à l’étranger n’était pas compatible avec l’investissement requis par ses fonctions toulousaines.

*****

D’emblée, nous vous proposerons d’écarter ce motif tiré de l’incompatibilité des fonctions de Mme Glushak comme maîtresse de ballet accréditée auprès du Banlanchine Trust avec ses fonctions de directrice de la danse du Théâtre du Capitole. Car s’il est vrai que l’article 25 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires oblige les fonctionnaires et les agents non titulaires de droit public à consacrer l’intégralité de leur activité professionnelle aux tâches qui leur sont confiées et ne peuvent, en principe, exercer à titre professionnel une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit, les mêmes dispositions prévoient que les agents publics peuvent être autorisés à exercer à titre accessoire, une activité, qu’elle soit ou non lucrative, auprès d’une personne ou d’un organisme public ou privé, dès lors que cette activité est compatible avec les fonctions qui leur sont confiées et n’affecte pas leur exercice.

En particulier, le décret n°2007-658 du 2 mai 2007 relatif au cumul d’activités, notamment, des agents non-titulaires de droit public, prévoit, parmi les activités accessoires susceptibles d’être autorisées l’enseignement et la formation, ainsi que les activités à caractère sportif ou culturel.

En l’espèce, le contrat conclu avec Mme Glushak prévoyait expressément que l’intéressée pourrait exercer des activités extérieures à celles du Théâtre du Capitole après autorisation du directeur artistique. Par suite, si les absences régulières de Mme Glushak liées à ses fonctions de répétitrice du Balanchine Trust nuisaient à l’intérêt du service, il suffisait au directeur artistique d’y mettre fin conformément aux termes du contrat, sans qu’il fût pour autant besoin de la licencier. D’ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’antérieurement à l’annonce de la nomination de M. Belarbi, la ville de Toulouse ait fait un quelconque reproche à Mme Glushak sur ce sujet et ait entendu remettre en cause ses activités accessoires.

Le deuxième motif qui nous paraît également fragile est tiré de la perte de notoriété du ballet, ainsi qu’en attesterait la diminution des propositions de tournées nationales et internationales de la part de Mme Glushak.

Tout d’abord, il n’est pas contesté que Mme Glushak a satisfait aux exigences de la nouvelle municipalité de doubler le nombre de représentations du ballet en trois saisons, et de proposer pour chaque saison, six programmes au lieu de quatre. Dans le même temps, Mme Glushak explique très logiquement la diminution des tournées en 2009 et en 2010 par cette augmentation concomitante de l’activité du ballet, mais également par une diminution du budget alloué au Ballet. Toutefois, sans entrer dans le détail de ces explications qui sont contestées par le défendeur, il vous suffira de jeter un œil sur le récapitulatif des tournées du Ballet du Capitole produit par la requérante, pour constater que le nombre des tournées entre 1998 et 2010 a été très variable d’une année sur l’autre. Ainsi, en 1998 comme en 2010, le Ballet ne s’est produit qu’une seule fois, en province, et une seule fois en 2011, à Pampelune, contre 5 fois en 2009, et 24 fois en 2008, notamment à Catane en Sicile. En moyenne, sur la période, le nombre de représentations en tournées est de 9 par an, et le nombre de localités visitées par le Ballet est de sept par an. Par suite, compte tenu à la fois du rythme aléatoire des tournées et du nombre très important de tournées en 2008, avec 15 localités visitées, il ne nous semble pas que le seul nombre de tournées en 2009, 2010 et 2011 fasse la démonstration d’une perte de notoriété du Ballet du Capitole.

Surtout, Mme Glushak était chargée, aux termes de son contrat, du fonctionnement et de la programmation du Ballet du Capitole, « sous l’autorité et avec l’accord du directeur artistique ». Ainsi, il n’est pas allégué par le défendeur que la nouvelle municipalité aurait fixé à Mme Glushak un objectif chiffré de tournées à atteindre, ni même que la direction artistique aurait demandé à l’intéressée de prévoir davantage de tournées pour 2009 et 2010, et que Mme Glushak aurait été incapable de réaliser cet objectif faute pour le Ballet du Capitole et, indirectement, de sa chorégraphe et directrice, d’être suffisamment côtés sur le marché, si vous nous permettez l’expression, mais c’est bien de cela qu’il s’agit.

 Restent alors en débat les deux motifs tirés d’une part, d’une divergence esthétique quant aux choix de programmation, d’autre part, d’un refus de Mme Glushak de faire coopérer le Ballet du Capitole avec des acteurs locaux.

Au soutien de cette décision, vous disposez de deux attestations, non datées, du directeur artistique du théâtre du Capitole, qui indiquent, pour la première, que Mme Glushak n’a pas su s’adapter à la volonté d’élargissement du projet artistique du Ballet du Capitole à d’autres esthétiques que le ballet académique et la danse néoclassique, pour la seconde, que l’intéressée n’a pas souhaité établir des passerelles avec d’autres institutions ou associations toulousaines intervenant dans le domaine de la danse.

Toutefois, dans le premier cas, le défendeur ne produit aucun autre document susceptible d’établir que des directives précises auraient été données à Mme Glushak pour encadrer son pouvoir de proposition sur l’esthétique des spectacles à programmer.

Certes, la commune de Toulouse tente bien de vous convaincre que la nouvelle municipalité issue des urnes en 2008 a souhaité imprimer sa marque dans le domaine culturel en bâtissant un nouveau projet fondé sur quatre objectifs : donner l’envie de culture à tous les Toulousains, miser sur l’avenir et l’innovation culturelle, inscrire la culture au centre du développement urbain durable et imaginer la culture ensemble.

Toutefois, il s’agit d’un document aux termes très généraux, dont il n’est aucunement démontré qu’il a fait l’objet d’une déclinaison concrète au sein du Ballet du Capitole. Rappelons, là encore, que s’il incombait à Mme Glushak d’être force de proposition, le choix définitif de la programmation incombait au directeur artistique. Ainsi, la commune de Toulouse reproche à Mme Glushak, en dépit des demandes en ce sens de M. Chambert, directeur artistique, de ne pas avoir souhaité programmer le ballet Les forains, qui a été créé pour la première fois en 1945 par le chorégraphe Roland Petit, sur une musique du compositeur bordelais Henri Sauguet, ou encore de ne pas avoir souhaité collaborer avec tel ou tel chorégraphe contemporain : Angelin Preljocaj, Jean-Claude Gallotta, Inbal Pinto, Pina Bausch, etc, mais également des chorégraphes toulousains, comme Pierre Rigal, Aurélien Bory ou Heddy Maalem.

Mais de deux choses l’une : soit ces demandes ont fait l’objet de directives précises de la part du directeur artistique, et dans ce cas, Mme Glushak a refusé de s’y conformer, ce qui ne révèle pas une inaptitude de sa part à l’évolution du service culturel, mais un refus d’obéissance passible d’une faute disciplinaire, ce qui n’est aucunement allégué. Soit, et c’est plutôt ce que nous déduisons à la lecture des pièces du dossier, il s’agissait plutôt de recommandations informelles de la part du directeur artistique, et Mme Glushak a purement et simplement continué, pour les années 2008 à 2010, de proposer une programmation avec l’autonomie que lui conféraient, non seulement les termes de son contrat, mais également une ancienneté dans le poste de près de quinze ans, avec la circonstance non-contestée que la programmation proposée par Mme Glushak rencontrait l’adhésion d’un public toulousain important, ainsi que le notait M. Chambert lui-même dans l’une des attestations.

Vous noterez en passant que le défendeur ne produit aucune fiche d’évaluation qui formaliserait des objectifs que l’autorité territoriale aurait assignés à Mme Glushak dans le cadre de son activité professionnelle.

En conséquence, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme Glushak aurait été incapable d’aborder d’autres esthétiques que l’esthétique classique ou néo-classique et de modifier la programmation du Ballet du Capitole en vue de l’ouvrir à la danse dite contemporaine, si une demande formelle de la part de son employeur lui avait été faite en ce sens.

S’agissant du dernier motif, de coloration disciplinaire, tiré de ce que Mme Glushak aurait fait preuve d’une forte résistance à l’égard du second axe d’évolution que la nouvelle municipalité aurait décidé, la requérante ne conteste pas qu’il lui avait été demandé d’associer le ballet du Capitole à des acteurs locaux évoluant notamment dans le hip-hop ou la danse moderne en vue de réaliser des projets communs.

La commune fait ainsi état du désintérêt de la requérante pour la mise en place du projet « Place de la Danse » en juin 2011, événement auquel elle n’aurait pas assisté. Vous noterez toutefois qu’à cette date, M. Belarbi était déjà directeur de la danse « désigné » depuis presque six mois, de sorte que l’absence de Mme Glushak est aisément compréhensible, et ne saurait justifier une sanction telle qu’une exclusion définitive du service.

Le défendeur fait également valoir que Mme Glushak n’a jamais pris l’initiative d’associer le Ballet du Capitole à des actions de sensibilisation conduites par le Théâtre du Capitole dans les quartiers défavorisés, ou d’avoir limité une rencontre artistique organisée le 23 mars 2010 entre les danseurs du Ballet et ceux de la compagnie de hip-hop du centre d’art chorégraphique des danses urbaines à deux présentations successives en lieu et place d’un spectacle commun.

Toutefois, là encore, il ne ressort pas des pièces du dossier que des instructions précises avaient été données à Mme Glushak en ce sens.

Enfin, si le maire de Toulouse reprochait également à Mme Glushak la mauvaise implication des danseurs lors des différentes éditions de la manifestation « Osons danser », la requérante soutient sans être contestée en défense que ce projet avait été mis en place par M. Belarbi dès le début, soit en janvier 2010, et que Mme Glushak n’avait pas même été informée de la participation de certains des danseurs du Ballet à ces actions, de sorte que ceux-ci ont été effectivement indisponibles pour l’une des représentations de ce spectacle.

En conséquence, il ne nous semble pas que la commune de Toulouse établisse que l’éviction de Mme Glushak au profit de M. Belarbi aurait été justifiée par des motifs tirés de l’intérêt du service, et vous annulerez la décision attaquée.

*****

Vous le savez, en vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu’il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l’illégalité commise présente, compte tenu de l’importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l’encontre de l’intéressé, un lien direct de causalité. Pour l’évaluation du montant de l’indemnité due, doit être prise en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l’intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l’exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser les frais, charges ou contraintes liés à l’exercice effectif des fonctions. Enfin, vous devez déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations que l’agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d’éviction (cf. CE, 6 décembre 2013, Commune d’Ajaccio, n°365155, en A sur ce point).

Or en l’espèce, si Mme Glushak vous demande de condamner son ancien employeur à lui verser la somme de 80.000 euros au titre de la diminution de ses revenus, elle n’établit ni le montant des allocations de retour à l’emploi qu’elle aurait perçues, le cas échéant, ni surtout, que son licenciement ne lui a pas permis d’exercer ses activités artistiques, notamment au titre du Balanchine Trust, beaucoup plus librement qu’elle ne pouvait le faire lorsqu’elle était liée au Ballet du Capitole, et donc de manière bien plus lucrative. En bref, la requérante n’établit aucunement la réalité de ce préjudice financier.

En revanche, s’agissant du préjudice moral, que Mme Glushak évalue à 100.000 euros, il est difficilement contestable, eu égard à la durée indéterminée du contrat dont Mme Glushak était bénéficiaire, compte tenu également de son ancienneté lors de son licenciement et de son âge, mais aussi et surtout, compte tenu de la nature de ses fonctions. Ainsi, au regard d’une décision du Conseil d’Etat qui a octroyé, en tant que juge du fond, une indemnité de 300.000 francs, soit plus de 45.000 euros, à raison du préjudice moral et professionnel occasionné à un musicien de l’orchestre philarmonique des Pays-de-Loire, irrégulièrement évincé de son contrat à durée indéterminée après vingt ans de bons et loyaux services, nous vous proposons de limiter l’indemnisation de Mme Glushak, qui n’a invoqué qu’un préjudice moral, à la somme de 20.000 euros (cf. CE 8 novembre 2000, Thévenet, n°200835, en A mais pas sur ce point[16] ; cf. également : CE, 26 juin 1989, Ville d’Aix-en-Provence, n°99763[17] : 1.500 euros pour une directrice de crèche en CDI depuis deux ans).

*****

Par ces motifs, nous concluons :

  • A l’annulation de la décision de licenciement de Mme Glushak en date du 13 février 2012 ;
  • A ce que vous condamniez la commune de Toulouse à verser à Mme Glushak la somme de 20.000 euros en réparation de son préjudice moral ;
  • Au rejet du surplus des conclusions indemnitaires ;
  • Et dans les circonstances de l’espèce, à ce que soit mise à la charge de la commune de Toulouse la somme de 1.200 euros au titre des frais exposés par la requérante et non compris dans les dépens.

 Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; Art. 59.

[1] Ballet chorégraphié par Marius Petipa sur une musique de Léon Minkus, créé en 1877 au Théâtre du Bolchoï de Saint-Pétersbourg.

[2] Ballet chorégraphié par Petipa sur une musique de Tchaïkovski, créé en 1890 au Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg.

[3] Ballet chorégraphié par Petipa sur une musique de Minkus, créé en 1869 au Théâtre du Bolchoï de Saint-Pétersbourg.

[4] Ballet créé en 1789 par Jean Bercher, dit Dauberval, au Grand Théâtre de Bordeaux.

[5] Ballet créé en 1841 à l’Académie royale de musique (actuellement l’Opéra de Paris), chorégraphié par Jean Coralli & Jules Perrot, sur une musique d’Adolphe Adam.

[6] Ballet d’Arthur Saint-Léon, sur une musique de Léo Delibes, créé en 1870 à l’Opéra de Paris.

[7] Ballet créé en 1832 par Filippo Taglioni à l’Opéra de Paris, sur un livret d’Adolphe Nourrit et une musique de Jean Schneitzhoeffer.

[8] « CONSIDERANT QUE MME LE CACHEY ET MME GUIGUERE, QUI AVAIENT ETE ENGAGEES PAR LA VILLE DE TOULOUSE EN QUALITE DE DANSEUSES DU CORPS DE BALLET DU THEATRE MUNICIPAL DU CAPITOLE SUIVANT CONTRATS SUCCESSIVEMENT PASSES POUR CHAQUE SAISON LYRIQUE DE 1972 A 1977, ONT ATTRAIT LADITE VILLE DEVANT LE CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE TOULOUSE EN VUE D’OBTENIR PAIEMENT DE DIVERSES INDEMNITES POUR LICENCIEMENT ET RUPTURE ABUSIVE DE LEURS CONTRATS DE TRAVAIL ; QUE M. FEGELE, ENGAGE PAR LA MEME COLLECTIVITE PUBLIQUE SUIVANT CONTRAT DU 10 JUILLET 1974 EN QUALITE DE MUSICIEN DE L’ORCHESTRE REGIONAL DU CAPITOLE, A SAISI LA MEME JURIDICTION D’UNE DEMANDE EN PAIEMENT D’UN RAPPEL DE SALAIRES ; CONS. QUE LA VILLE DE TOULOUSE QUI, PAR L’ORGANISATION ET LA GESTION DU THEATRE MUNICIPAL ET DE L’ORCHESTRE REGIONAL DU CAPITOLE, ASSUME UNE MISSION DE SERVICE PUBLIC, LA REMPLIT DANS DES CONDITIONS EXCLUSIVES DE TOUT CARACTERE INDUSTRIEL OU COMMERCIAL ; QUE LE PERSONNEL ARTISTIQUE ENGAGE PAR ELLE POUR ASSURER LES ACTIVITES DE CES THEATRES ET ORCHESTRE PARTICIPE DIRECTEMENT A L’EXECUTION DUDIT SERVICE PUBLIC ; QUE, DES LORS, LES LITIGES CONCERNANT L’EXECUTION OU LA RUPTURE DES CONTRATS PASSES ENTRE LA VILLE DE TOULOUSE, MME LE CACHEY ET MME GUIGUERE ET M. FEGELE SONT DE LA COMPETENCE DES TRIBUNAUX ADMINISTRATIFS ; (CONFIRMATION DE L’ARRETE DE CONFLIT). »

[9] « Est administratif le contrat passé entre une ville, qui assure la mission de service public consistant en l’organisation et la gestion du théâtre municipal, et les artistes, quels que soient le nombre de leurs représentations et leur mode de rémunération. »

[10] « 1) Il résulte des dispositions spécifiques des articles L. 620-9 et L. 762-1 du code du travail et 1-1 de l’ordonnance n° 45-2339 du 13 octobre 1945 relative aux spectacles que le contrat par lequel une collectivité publique gérant un service public administratif et agissant en qualité d’entrepreneur de spectacle vivant engage un artiste du spectacle en vue de sa participation à un tel spectacle, est présumé être un contrat de travail soumis aux dispositions du code du travail. / 2) Si, par l’organisation et la gestion d’un festival, la communauté d’agglomération a assumé une mission de service public et l’a remplie dans des conditions exclusives de tout caractère industriel ou commercial, les contrats par lesquels elle s’est assurée, comme entrepreneur de spectacles vivants, de la participation d’un musicien à des concerts, sans que cette participation puisse être regardée comme constituant soit une obligation de service hebdomadaire incombant à celui-ci en application du statut particulier de son cadre d’emplois, soit l’accessoire nécessaire d’une telle obligation, dès lors que ces concerts n’avaient pas pour objet de lui permettre, avec ses élèves, de pratiquer la musique en public pour valoriser l’enseignement dispensé, entrent dans le champ des dispositions précitées. Par suite, le litige relatif au montant des salaires réclamés au titre de l’exécution de ces contrats relève de la compétence du juge judiciaire. »

[11] « Considérant que si, par l’intermédiaire de son orchestre symphonique, la commune de Saint-Etienne assume une mission de service public et la remplit dans des conditions exclusives de tout caractère industriel ou commercial, les contrats par lesquels elle s’est assurée en qualité d’entrepreneur de spectacles vivants la participation de Mme Olteanu à des concerts, en tant que violoniste, entrent dans le champ des dispositions ci-dessus rappelées ; que, dès lors, le litige relatif aux obligations de l’employeur découlant de tels contrats relève de la compétence du juge judiciaire ; »

[12] « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que M. X…, professeur non titulaire au conservatoire municipal de musique de Pantin, a été licencié par décision du 1er juillet 1982 du maire de Pantin en raison de la réorientation des cours d’esthétique et de théâtre musical assurés par l’intéressé ; que cette réorganisation avait pour objet de permettre l’exécution d’oeuvres musicales dans le cours d’esthétique en confiant ce cours à un professeur instrumentiste et d’assurer la formation de chanteurs comédiens dans le cours de théâtre musical en confiant ce cours à un professionnel du théâtre ; qu’il n’appartient pas au juge administratif d’apprécier l’opportunité de cette réorganisation ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier, que M. X…, qui n’est pas instrumentiste, ait possédé les qualifications désormais demandées par la commune, qu’il ait été remplacé pour le cours d’esthétique par un professeur non instrumentiste, ou qu’il ait été licencié en raison de sa participation aux mouvements de grève qui ont précédé la réorganisation du conservatoire pour des motifs étrangers à l’intérêt du service ; que, par suite, M. X… n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du maire de Pantin prononçant son licenciement. »

[13] Cf. CAA Lyon, 28 avril 2000, n°96LY01864, en A.

[14] « Secrétaire de mairie stagiaire, licenciée pour insuffisance professionnelle, soutenant qu’elle a été en réalité licenciée pour des motifs politiques. La requérante qui s’est vu interdire l’accès de son bureau depuis le renouvellement de la municipalité, et dont le mari a été également licencié par le nouveau maire, doit être regardée, en l’absence de contestation de ces faits par la commune, comme ayant été en réalité licenciée pour des motifs étrangers à   l’intérêt du service. Confirmation du jugement ayant annulé l’arrêté de licenciement. »

[15] « Appel formé par une commune contre un jugement annulant le licenciement d’un agent municipal. La commune avait invoqué devant le tribunal administratif un ensemble de griefs précis, sur lesquels l’intéressé avait fourni des justifications circonstanciées et convaincantes. Elle n’a opposé à celles-ci aucun argument, se bornant à affirmer que le licenciement serait intervenu, en vertu du pouvoir discrétionnaire du maire, pour insuffisance professionnelle.   La décision ayant été prise en réalité pour des motifs étrangers à l’intérêt du service, rejet de la requête. »

[16] «   Considérant que la délibération du comité du syndicat mixte prévoyant la  suppression progressive des emplois à temps incomplet au sein de  l’orchestre, en application de laquelle a été prise la décision de  licencier M. THEVENET, a été annulée par le juge administratif pour un  motif tiré du vice de la procédure précédant l’adoption de la délibération  annulée, qui résultait du défaut de consultation du comité technique  paritaire ; que, par ailleurs, M. THEVENET a perçu une indemnité de  licenciement équivalant à un an de traitement qui constitue la réparation  normale de la rupture d’un contrat à durée indéterminée ; que toutefois,  il est en droit de prétendre à la réparation du préjudice financier,  professionnel et moral que lui a causé la faute résultant de  l’irrégularité de la délibération dont procède la décision de le  licencier ; que si M. THEVENET est fondé à invoquer l’existence d’un  préjudice financier, il ne peut pas pour autant prétendre, en l’absence de  service fait, au versement de sa rémunération pendant la période qu’il  invoque ; que l’intéressé, compte tenu des liens existant entre l’exercice  des fonctions de professeur de musique et celles de musicien, est  également fondé à invoquer le préjudice professionnel que lui a causé son  éviction de l’orchestre ; que l’intéressé enfin, compte tenu de sa  réputation de musicien, est fondé à invoquer le préjudice moral que lui a  causé cette même éviction ; / Considérant qu’il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par  M. THEVENET à raison de son licenciement en fixant l’indemnité qui lui est  due, en sus de l’indemnitéde licenciement de 160 722,78 F qu’il a perçue,  à 300 000 F, tous intérêts compris ; que, dans cette mesure, le syndicat  mixte est fondé à demander la réformation du jugement attaqué tandis que  la requête de M. THEVENET doit être rejetée ; »

[17] «   Considérant, enfin que le tribunal administratif n’a pas fait une  évaluation exagérée du préjudice moral que la mesure de licenciement a  causé à Mme Biètry, en condamnant, pour ce chef de préjudice, la VILLE  D’AIX-EN-PROVENCE à verser à l’intéressée une indemnité de 10 000 F ; »

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ParJDA

TA de Toulouse, 18 février 2016, Mme GLUSHAK

Art. 58.

Un commentaire de la présente décision & de ses conclusions se trouve en ligne ici.

Publication réalisée avec l’autorisation & le soutien du TA de Toulouse.
Publication non anonymisée avec l’accord de la partie intéressée et de son conseil.

fr-tls

REPUBLIQUE FRANCAISE – AU NOM du PEUPLE FRANCAIS

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE TOULOUSE

5ème chambre – présidence de Mme CARTHE MAZERES

1203445

Mme Kanté – Rapporteur

M. Dubois – Rapporteur public

Audience du 21 janvier 2016

Lecture du 18 février 2016

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 26 juillet 2012, le 7 septembre 2012, le 18 juillet 2014, le 30 juillet 2014 et le 26 novembre 2015, Mme Nanette Glushak, représentée par Me Thalamas demande au tribunal :

1°) d’annuler la décision en date du 13 février 2012 par laquelle le maire de Toulouse a procédé à son licenciement dans l’intérêt du service ;

2°) de condamner la commune de Toulouse à lui verser la somme de 180 000 euros en indemnisation de ses préjudices financier et moral, assortie des intérêts moratoires ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Toulouse la somme de 5 000 euros en application de l’article L. 761‑1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

– la décision attaquée est entachée d’un vice d’incompétence ;

– elle n’est pas suffisamment motivée ;

– son licenciement dans l’intérêt du service n’est pas justifié ; aucun élément ne vient étayer la référence à une nouvelle politique culturelle, la seule modification tangible relative au Ballet du Capitole étant le doublement en trois saisons du nombre de ses représentations avec invitation lui étant faite de proposer chaque saison six programmes différents au lieu de quatre ;

– la matérialité des faits n’est pas établie ; les arguments selon lesquels elle aurait opposé des réticences à appréhender, d’une part, l’ouverture du répertoire à des chorégraphes contemporains et d’autre part, le développement de partenariats culturels avec l’environnement local ne correspond à aucune réalité ; le Ballet du Capitole a présenté, sous sa direction, en plus du répertoire classique, pas moins de douze chorégraphes contemporains ainsi que de nombreuses reprises de leurs œuvres ; le Ballet du Capitole a participé, sous sa direction, à des projets de partenariat culturels avec les auteurs locaux de la danse, que ce soit les différentes éditions de la manifestation « Osons danser » ou le spectacle commun avec l’association de danse hip-hop CACDU ; toutes ses propositions dans le choix du répertoire, des chorégraphes et des évènements culturels doivent être approuvées et validées par la direction artistique du Théâtre du Capitole, seule autorité décisionnaire ; elle n’a pas été sollicitée au regard de ce qui serait une nouvelle politique culturelle pour ce qui concerne les responsabilités dont elle avait la charge, les attestations produites par le défendeur étant mensongères ; aucun élément objectif ne vient apporter la preuve de sa responsabilité dans la perte de notoriété du Ballet du Capitole qui se traduirait depuis quelques saisons par une diminution des tournées nationales ; cette diminution coïncide avec l’augmentation de l’activité du Ballet qui, sous l’impulsion de la direction artistique, a multiplié par deux le nombre de représentations faites à Toulouse en trois saisons, obligeant le ballet du Capitole à refuser des tournées ; ses activités extérieures en sa qualité de maîtresse de ballet accréditée du George Balanchine Trust qui l’ont conduite à effectuer des missions auprès d’autres troupes, autorisées par son contrat et qui ne sont pas nouvelles, n’ont jamais porté préjudice à l’activité du Ballet demeurée sa priorité ; elle a, à l’instar de M. Belarbi, une culture fondamentale de la danse très proche de celle de ce dernier, faite d’exigences envers le répertoire classique et d’ouvertures à d’autres univers esthétiques ;

– elle est entachée d’erreur manifeste d’appréciation ;

– l’obligation de reclassement a été méconnue.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 27 décembre 2013 et le 24 avril 2015, la commune de Toulouse conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de Mme Glushak de la somme de 2 000 euros en application de l’article L. 761‑1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– la loi n°84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;

– la loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique ;

– le code général des collectivités territoriales ;

– le décret n°88-145 du 15 février 1988 relatif aux agents non titulaires de la fonction publique territoriale ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique du 21 janvier 2016 :

– le rapport de Mme Kanté,

– les conclusions de M. Dubois, rapporteur public,

– et les observations de Me Thalamas, représentant Mme Glushak, et de Me Kaczmarczyk, représentant la commune de Toulouse.

  1. Considérant que Mme Glushak a été recrutée par la ville de Toulouse, en qualité d’agent non titulaire, en contrat à durée déterminée à compter du 1erseptembre 1994, pour occuper l’emploi de directrice de la danse au Théâtre du Capitole et assumer ainsi la charge de la direction de la programmation du ballet au théâtre ; que son contrat, après avoir été renouvelé, à plusieurs reprises, a été reconduit sous la forme d’un contrat à durée indéterminée, par l’effet de la loi n°2005-843 du 26 juillet 2005 à compter du 27 juillet 2005 ; que Mme Glushak occupe parallèlement à ses fonctions celles de maîtresse de ballet certifiée par le Balanchine Trust ; qu’estimant que Mme Glushak n’adhérait pas au projet de modernisation du ballet, que la ville dit avoir initié depuis 2008, et plus largement à la volonté de rendre ladite institution accessible à un public plus varié, la commune de Toulouse a, par courriers des 16 et 27 janvier 2012, convoqué Mme Glushak à un entretien préalable en vue de son licenciement dans l’intérêt du service au motif qu’elle n’avait pas su s’adapter aux nouvelles orientations fixées par la direction artistique du Théâtre du Capitole ; que par décision du 13 février 2012, la commune de Toulouse lui a officiellement notifié son licenciement ; que le 26 mars 2012, Mme Glushak a formé un recours gracieux à l’encontre de cette décision et a sollicité l’indemnisation des préjudices subis du fait de son licenciement ; que par courriers des 4 avril et 11 mai 2012, la commune de Toulouse a demandé à Mme Glushak de préciser ses demandes quant aux préjudices invoqués ; que Mme Glushak a précisé sa demande dans son courrier du 20 juin 2012 ; qu’en l’absence de réponse à sa demande, Mme Glushak demande, par la présente requête, l’annulation de la décision prononçant son licenciement ainsi que l’indemnisation des préjudices qu’elle estime avoir subis du fait de son licenciement illégal ;

Sur les conclusions à fin d’annulation :

  1. Considérant qu’aux termes de l’article 3 de la loi n°84-53 du 26 janvier 1984 susvisée : « Les collectivités et établissements mentionnés à l’article 2 ne peuvent recruter des agents non titulaires pour occuper des emplois permanents que pour assurer le remplacement momentané de fonctionnaires autorisés à exercer leurs fonctions à temps partiel ou indisponibles en raison d’un congé de maladie, d’un congé de maternité, d’un congé parental ou d’un congé de présence parentale, ou de l’accomplissement du service civil ou national, du rappel ou du maintien sous les drapeaux, de leur participation à des activités dans le cadre de l’une des réserves mentionnées à l’article 74, ou pour faire face temporairement et pour une durée maximale d’un an à la vacance d’un emploi qui ne peut être immédiatement pourvu dans les conditions prévues par la présente loi. (…) Par dérogation au principe énoncé à l’article 3 du titre Ier du statut général, des emplois permanents peuvent être occupés par des agents contractuels dans les cas suivants : 1° Lorsqu’il n’existe pas de cadre d’emplois de fonctionnaires susceptibles d’assurer les fonctions correspondantes ; 2° Pour les emplois du niveau de la catégorie A, lorsque la nature des fonctions ou les besoins des services le justifient. » ; qu’aux termes de l’article 40 du décret n°88-145 du 15 février 1988 susvisé : « L’agent non titulaire engagé pour une durée déterminée ne peut être licencié par l’autorité territoriale avant le terme de son engagement qu’après un préavis qui lui est notifié dans les délais prévus à l’article 39. Toutefois, aucun préavis n’est nécessaire en cas de licenciement prononcé soit en matière disciplinaire, soit pour inaptitude physique, soit à la suite d’un congé sans traitement d’une durée égale ou supérieure à un mois, soit au cours ou à l’expiration d’une période d’essai. Les mêmes règles sont applicables à tout licenciement d’agent non titulaire engagé pour une durée indéterminée. »; qu’aux termes de l’article 42 de ce même décret : « Le licenciement ne peut intervenir qu’à l’issue d’un entretien préalable. La décision de licenciement est notifiée à l’intéressé par une lettre recommandée avec demande d’avis de réception. Cette lettre précise le ou les motifs du licenciement et la date à laquelle celui-ci doit intervenir compte tenu des droits à congés annuels restant à courir et de la durée du préavis. » ;
  1. Considérant que pour prononcer le licenciement de Mme Glushak, la commune de Toulouse s’est fondée sur les circonstances que l’intéressée n’avait pas su s’adapter aux nouveaux objectifs fixés par le directeur artistique du Théâtre du Capitole dans le cadre du changement de projet culturel de la ville de Toulouse depuis 2008, à savoir l’introduction d’une modernité dans le Ballet du Capitole, impliquant une nouvelle direction artistique se traduisant par l’ouverture du répertoire à des chorégraphes contemporains, pour des créations basées sur une nouvelle esthétique, mais aussi par des partenariats avec l’environnement local dans le domaine de la danse, croisements des genres et des styles par le biais de cours publics, de performances, qu’elle n’avait pas été à même de prendre en compte ces orientations nouvelles et s’y était montrée réticente, que malgré les nombreux échanges avec le directeur artistique du Théâtre du Capitole, elle n’avait pas souhaité engager sa troupe de ballet vers un répertoire autre que néo-classique et s’est ainsi opposée à toutes les ouvertures du Ballet sur l’environnement local, provoquant dès lors une mauvaise implication des danseurs lors des différentes éditions de la manifestation « Osons danser » et de la lecture-démonstration avec l’association de danse hip‑hop le CACDU et que ces réticences ont été de nature à entraver la mise en œuvre du nouveau projet culturel, à compromettre l’insertion du Ballet du Capitole dans son environnement et à nuire à son rayonnement dans les réseaux de diffusion de la danse, aux plans national et international ; qu’elle s’est également fondée sur la perte de notoriété du Ballet du Capitole se traduisant depuis quelques saisons, par une diminution des propositions de tournées nationales et internationales jusqu’à arriver depuis deux saisons, exception faite d’une représentation à Pampelune en mai 2011, à une absence de spectacles hors de Toulouse et sur la circonstance que sa qualité de maîtresse de ballet accréditée par Balanchine Trust qui la conduit à des missions régulières auprès d’autres troupes de ballet en France et à l’étranger n’est pas compatible avec l’investissement requis à Toulouse pour conduire le projet artistique du Ballet, lequel nécessite une présence effective et constante du directeur de la danse à Toulouse afin d’en incarner le projet et d’en assurer la traduction artistique, notamment par les liens avec les acteurs locaux ;
  1. Considérant que la ville de Toulouse fait valoir qu’elle s’est orientée dans un nouveau projet culturel, à compter de 2008 ; que toutefois, la brochure qu’elle produit intitulée « Projet culturel pour Toulouse 2009/2014 », ainsi que les attestations de M. Chambert, directeur artistique du théâtre du Capitole, lesquelles ne sont pas datées, sont insuffisantes à démontrer la réorientation des projets artistiques du Ballet du Capitole, selon les deux grands axes d’évolution décrits par ces seuls courriers ; qu’il n’est pas davantage établi que Mme Glushak ait été informée de ces nouvelles orientations ; que s’il est fait grief à Mme Glushak de s’être montrée réticente à appréhender des nouveaux univers esthétiques et à nouer des partenariats culturels avec d’autres acteurs locaux de la danse et notamment de ne pas avoir souhaité engager sa troupe de ballet dans un répertoire autre que néoclassique, cette circonstance n’est établie par aucune des pièces du dossier ; que s’il est constant que Mme Glushak a ainsi refusé de programmer le ballet « Les forains » de Roland Petit, elle en justifie par des motifs économiques en période de crise, en 2008, dont la réalité n’est pas contestable ; que, de surcroît, il ressort des pièces du dossier qu’au cours des 18 années à la tête du ballet Capitole, 13 ballets contemporains ont été mises en œuvre sous son autorité, notamment Angelin Prejlocag, inscrit au répertoire dès 1994, nonobstant la circonstance que les chorégraphes auxquels Mme Glushak a fait appel, MM. Nacho Duato et Mauricio Wainrot, chorégraphes contemporains mondialement connus, appartiendraient à la seule et même esthétique néo-classique et auraient déjà eu l’occasion de présenter chacun un de leur ballet au Théâtre du Capitole ; que s’agissant du projet « Hip-Hop », Mme Glushak convient que les danseurs du théâtre n’étant pas entraînés à cette technique de danse en sorte qu’il convenait d’être attentif à la manière de les solliciter ; qu’il est constant cependant que cette action a été mise en œuvre, en collaboration avec M. Djouri, au centre du projet, et menée avec succès ainsi que le soutient la requérante, même s’il n’y a pas eu de spectacle commun, ce qui n’est pas contesté ; que si le cours de danse sur la place du Capitole, n’a pas eu lieu, ce projet n’a fait l’objet d’aucune opposition de principe de la part de l’intéressée, laquelle, en tout état de cause, n’en avait pas été informée ; que la ville de Toulouse reconnaît, par ailleurs, que la diffusion des ballets du Capitole, nationale et internationale, a été satisfaisante jusqu’en 2008 ; qu’il n’est pas établi que la perte de notoriété se traduisant depuis plusieurs saisons, par une diminution des propositions de tournées nationales et internationales jusqu’à arriver depuis deux saison à une absence de spectacles hors de Toulouse, à l’exception d’une représentation de la Symphonie Ecossaise et du Sacre du printemps soit imputable à l’intéressée ; qu’il ressort, en outre, des pièces du dossier et notamment de la liste des représentations extérieures de 1998 à 2000 produite par l’intéressée que plusieurs spectacles ont été organisés pendant cette période en France et à l’étranger, à son initiative ; que la ville de Toulouse n’a pu enfin considérer que la qualité de maîtresse de Ballet accréditée par le Balanchine Trust, de Mme Glushak, laquelle a permis, au demeurant, à la ville d’avoir un accès privilégié au répertoire balanchinien, n’était pas compatible avec sa présence effective et constante en tant que directrice de danse de Toulouse, alors qu’elle était prévue par son contrat de recrutement dès l’origine ; qu’ainsi, les motifs avancés par la commune pour justifier la cessation des fonctions de l’intéressée et tirés notamment de la réorganisation du service et de l’inaptitude de Mme Glushak à s’adapter aux évolutions en cours ne sont pas fondés ; que de tels motifs dont il n’est ainsi pas établi qu’ils aient été pris dans l’intérêt du service et dans un souci de bonne administration n’étaient pas de nature à justifier qu’il soit mis fin aux fonctions de Mme Glushak ; que, par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner ses autre moyens, Mme Glushak est fondée à demander, l’annulation de la décision en date du 13 février 2012 par laquelle le maire de Toulouse a procédé à son licenciement dans l’intérêt du service ;

Sur les conclusions aux fins d’indemnisation :

  1. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, en procédant au licenciement de Mme Glushak dans l’intérêt du service, la ville de Toulouse a commis une illégalité constitutive d’une faute de nature à engager sa responsabilité à l’égard de la requérante ; qu’ainsi la requérante est fondée à demander la réparation des préjudices subis ; que, toutefois, en l’absence de précisions au dossier sur les revenus perçus par Mme Glushak depuis la date de son licenciement irrégulier, son préjudice financier ne peut être regardé comme établi ; qu’en tout état de cause, Mme Glushak ne démontre pas que l’impossibilité de retrouver un poste équivalent à celui qu’elle occupait avant son licenciement, dont elle se prévaut, ait un lien de causalité direct avec la rupture anticipée de son contrat alors que la ville de Toulouse fait valoir, à bon droit, que la difficulté de retrouver un emploi similaire ne résulte pas du licenciement mais de la spécificité de l’emploi en cause ; qu’il suit de là que le préjudice allégué ne revêt pas un caractère certain et que la demande de Mme Glushak ne peut sur ce point qu’être écartée ; qu’il résulte en revanche de l’instruction que celle-ci a subi, du fait de ce licenciement, un préjudice moral, dont il sera fait une juste appréciation, dans les circonstances de l’espèce, et compte tenu des particularités de la fonction de directeur de la danse, en en fixant la réparation à 20 000 euros ;

Sur les intérêts :

  1. Considérant que Mme Glushak a droit aux intérêts au taux légal correspondant à l’indemnité de 20 000 euros à compter du 30 mars 2012, date de réception de sa demande préalable par la commune de Toulouse ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761‑1 du code de justice administrative :

  1. Considérant que les dispositions de l’article L. 761‑1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme Glushak, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la commune de Toulouse demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la commune de Toulouse une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par Mme Glushak et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : La décision en date du 13 février 2012 par laquelle le maire de Toulouse a procédé au licenciement de Mme Glushak dans l’intérêt du service est annulée.

Article 2 : La commune de Toulouse est condamnée à verser à Mme Glushak la somme de 20 000 euros en indemnisation du préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter du 30 mars 2012.

Article 3 : La commune de Toulouse est condamnée à verser la somme de 1 200 euros à Mme Glushak en application de l’article L. 761‑1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à Mme Nanette Glushak et à la commune de Toulouse.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; Art. 58.

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ParJDA

Commentaire : CE, 10 février 2016, Fédération nationale des mines et de l’énergie – CGT

par Cédric GROULIER,
Maître de conférences en droit public
Institut d’études politiques de Toulouse – LaSSP EA 4175

Commentaire de
CE, 10 février 2016, Fédération nationale des mines et de l’énergie – Confédération générale du travail (FNME-CGT),
req. n° 383756

Art. 16. La décision rendue par le Conseil d’Etat le 10 février 2016, sur requête de la Fédération nationale des mines et de l’énergie – Confédération générale du travail (FNME-CGT), vient de donner l’occasion à la Haute juridiction de préciser les implications du principe à valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité du droit dans le champ particulier de la normalisation.

Celle-ci, régie par le décret n° 2009-697 du 16 juin 2009, consiste en l’édiction de normes techniques, définies comme des « documents de référence élaborés de manière consensuelle par toutes les parties intéressées, portant sur des règles, des caractéristiques, des recommandations ou des exemples de bonnes pratiques, relatives à des produits, à des services, à des méthodes, à des processus ou à des organisations » (art. 1er). Incarnant la pratique de la co-réglementation, la normalisation repose sur des dispositifs de droit souple (v. Conseil d’Etat, « Le droit souple », Etude annuelle 2013, Paris, EDCE n° 64, La Documentation française, 2013, pp. 41-42), sauf à ce que certaines normes jusqu’alors d’application volontaire, se voient dotées d’une portée obligatoire sur décision de l’autorité administrative. L’article 17 du décret de 2009 prévoit en effet que  « les normes sont d’application volontaire » mais qu’elles « peuvent être rendues d’application obligatoire par arrêté signé du ministre chargé de l’industrie et du ou des ministres intéressés ». Telle est précisément l’hypothèse qui a amené le Conseil d’Etat à se prononcer, en l’occurrence dans le domaine de la protection des travailleurs contre les risques électriques.

Cette dernière repose en effet sur deux dispositifs normatifs, qu’il faut au préalable rappeler.

D’une part, les opérations effectuées sur des installations électriques ou dans leur voisinage donnent lieu à l’adoption de normes homologuées par l’Association française de normalisation (Afnor), d’application volontaire, dont les références sont publiées au Journal officiel par arrêté conjoint des ministres chargés du travail et de l’agriculture (art. R.4544-3 du Code du travail). Le contenu de ces normes est accessible auprès de l’Afnor, à titre onéreux. C’est sur ce fondement qu’a été adopté l’arrêté du 26 avril 2012, concernant la norme référencée NF C 18-510 homologuée le 21 décembre 2012.

Pour leur part, les opérations réalisées sur les ouvrages de distribution d’énergie électrique sont régis par la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d’énergie, codifiée en 2011 dans le Code de l’énergie. Sur le fondement de cette loi, a été adopté le décret n° 82-167 du 16 février 1982 relatif aux mesures particulières destinées à assurer la sécurité des travailleurs contre les dangers d’origine électrique lors des travaux de construction, d’exploitation et d’entretien des ouvrages de distribution d’énergie électrique. Son article 4 impose aux employeurs de se « conformer aux prescriptions d’un ou de plusieurs recueils d’instructions générales de sécurité d’ordre électrique correspondant aux travaux à effectuer et à leur mode d’exécution », recueils devant être approuvés par arrêté conjoint du ministre chargé de l’énergie électrique et du ministre chargé du travail. Un arrêté du 17 janvier 1989 avait ainsi approuvé la publication du recueil d’instructions générales UTE C 18-510, éditée par l’Union technique de l’électricité (UTE), un organisme de normalisation créé en 1907, dont les activités de normalisation ont été transférées à l’Afnor à partir du 1er janvier 2014. Un nouvel arrêté du 19 juin 2014, modifiant celui de 1989, tire notamment les conséquences de ce transfert, et prévoit que « le recueil d’instructions générales de sécurité cité à l’article 4 du décret [de 1982] est le recueil UTE C 18-510-1 issu de la norme NF C 18-510 ». Pour le dire autrement, l’arrêté de 2014 a pour effet de rendre d’application obligatoire, s’agissant des opérations réalisées sur les ouvrages de distribution d’énergie électrique, la norme NF C-18-510.

C’est contre cet arrêté de 2014 que la Fédération a formé un recours en annulation, soulevant deux moyens à l’appui de sa requête.

Le premier tenait à un vice d’incompétence. Selon la Fédération, l’arrêté, signé par les ministres chargés du travail et de l’énergie conformément au décret de 1982, aurait également dû l’être par le ministre chargé de l’industrie, en application des dispositions du décret de 2009 sur la normalisation. Le Conseil d’Etat écarte ce moyen, en application du principe Lex specialis derogat legi generali : « les dispositions de l’article 4 du décret du 16 février 1982, en prévoyant la compétence conjointe du ministre chargé de l’énergie électrique et du ministre chargé du travail, dérogent, sur ce point, aux dispositions du deuxième alinéa de l’article 17 du décret du 16 juin 2009 qui prévoient, outre la compétence des ministres intéressés, celle du ministre chargé de l’industrie ». La logique dérogatoire trouve à jouer dans la mesure où sont en cause deux décrets en Conseil d’Etat, d’autorité égale ; au contraire, dans deux décisions antérieures, la Haute juridiction avait annulé les dispositions d’arrêtés qui n’avaient pas été signés par le ministre de l’industrie ainsi que l’impose le décret de 2009 (CE, 20 novembre 2013, SARL Tekimmo, n° 354752, concl. F. Aladjidi ; CE, 29 janvier 2014, Fédération des entreprises du recyclage, n° 363299, concl. X. de Lesquen).

Le second moyen soulevé par la fédération requérante a conduit le Conseil d’Etat à annuler l’arrêté de 2014. Il tenait à la méconnaissance de l’alinéa 3 de l’article 17 du décret de 2009, qui dispose que  « les normes rendues d’application obligatoire sont consultables gratuitement sur le site internet de l’Association française de normalisation ». Le Conseil écarte ici toute dérogation : le décret de 1982 ne présente en effet aucune disposition spéciale permettant de s’affranchir des prescriptions générales du décret de 2009. Les autorités administratives ne peuvent donc pas rendre obligatoire une norme sans que son accès soit gratuit. En ce sens, le juge confirme une solution retenue dans sa décision SARL Tekimmo (préc.), mais ajoute, en forme d’incise et à l’invitation du rapporteur public, M. Rémi Decout-Paolini, que c’est « dans le respect de l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité de la règle de droit » que l’alinéa 3 de l’article 17 impose la gratuité de l’accès aux normes rendues obligatoires.

Cette précision, qui fait l’intérêt de la décision commentée, appelle plusieurs remarques, tant sur le fondement et la portée contentieuse de l’obligation de gratuité d’accès ainsi confirmée (1), que sur ses implications au regard du concept de droit souple (2).

1. L’obligation de garantir la consultation gratuite
des normes rendues obligatoires

Un fondement renforcé. La référence faite par le juge administratif à l’objectif à valeur constitutionnelle dégagé par le Conseil constitutionnel en 1999 (décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999, Loi portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l’adoption de la partie législative de certains codes), n’est pas en soi une première. Depuis sa décision d’Assemblée du 24 mars 2006, KPMG (n° 288460 ; RFDA 2006, p. 463, concl. Y. Aguila), le Conseil d’Etat en sanctionne le respect, tant par le législateur que par le pouvoir réglementaire. Cependant, le juge administratif comme le Conseil constitutionnel invoquent plus généralement l’objectif dans sa dimension intelligibilité, qui proscrit comme on le sait les dispositions insuffisamment précises et les formules équivoques. Même l’entreprise de codification, à l’occasion de laquelle le Conseil constitutionnel avait consacré l’objectif en 1999, est du reste souvent rapportée à l’exigence d’intelligibilité de la loi (v. not. Catherine Bergeal, « Apports et limites de la codification à la portée de la loi : les enseignements de la pratique française », in Courrier juridique des finances et de l’industrie, numéro spécial « La légistique ou l’art de rédiger le droit », juin 2008, p. 35 et s.), alors que codifier est aussi, et peut-être avant tout, une question d’accès pratique au droit. L’intérêt de la décision commentée tient en tout état de cause au fait que c’est bien l’accessibilité de la règle de droit qui se trouve sanctionnée, à travers la question de la gratuité de sa consultation – d’ailleurs, la décision du Conseil se réfère à cette seule accessibilité, en tronquant si l’on puit dire l’objectif à valeur constitutionnel.

Le Conseil d’Etat fait ainsi écho à la solution récemment dégagée par le Conseil constitutionnel, à propos de la dématérialisation du Journal officiel. Selon la Haute instance, « dès lors que le Journal officiel de la République française est mis à la disposition du public sous forme électronique de manière permanente et gratuite, le législateur organique pouvait, sans méconnaître ni le principe d’égalité devant la loi, ni l’objectif d’accessibilité de la loi ni aucune autre exigence constitutionnelle, prévoir [une publication] exclusivement par voie électronique » (décision n° 2015-724 DC du 17 décembre 2015, Loi organique portant dématérialisation du Journal officiel de la République française, cons. 5). Laissant dans l’implicite l’exigence de permanence, et ne se référant pas non plus au principe d’égalité devant la loi, le Conseil d’Etat reprend à son compte l’exigence de gratuité en en faisant une conséquence de l’objectif d’accessibilité de la règle de droit.

En l’espèce, la référence à l’objectif à valeur constitutionnelle vient renforcer l’autorité du décret de 2009, car le juge ne fait pas de l’objectif le fondement direct de l’illégalité de l’arrêté attaqué. Le  raisonnement du juge repose en première intention sur l’argument d’une absence de dérogation : les dispositions du décret de 1982, sur la base desquelles a été adopté l’arrêté litigieux, « ne peuvent […] être regardées comme ayant pour objet ou pour effet de déroger aux dispositions du troisième alinéa de cet article qui prévoit, dans le respect de l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité de la règle de droit, que les normes dont l’application est rendue obligatoire doivent être consultables gratuitement ». Le Conseil fait donc primer l’obligation réglementaire, en soulignant seulement – mais nullement sans intérêt – qu’elle respecte l’objectif à valeur constitutionnelle. Il est dès lors permis de penser qu’une disposition réglementaire qui ne respecterait pas ce dernier encourrait la censure, sur un fondement bien plus assuré que l’incertain « principe selon lequel les administrés doivent accéder gratuitement aux textes réglementaires » qui avait pu être évoqué antérieurement dans des circonstances semblables (v. CE, 23 octobre 2013, Association France nature environnement, n° 340550 ; CE, 14 novembre 2014, Société Yprema et a., n° 356205).

Une portée clarifiée. Par ailleurs, la décision du Conseil clarifie la jurisprudence s’agissant des conséquences attachées à l’impossibilité de consulter gratuitement des normes techniques rendues obligatoires. Selon le juge, « en rendant ainsi obligatoire une norme dont l’accessibilité libre et gratuite n’était pas garantie, l’arrêté du 19 juin 2014 a méconnu les dispositions du troisième alinéa de l’article 17 du décret du 16 juin 2009 ». L’acte imposant l’application d’une norme est donc entaché d’illégalité, ce qui vient confirmer la solution retenue par le Conseil d’Etat dans sa décision SARL Tekimmo (préc.). Cette position signifie que s’impose une obligation de gratuité d’accès, et que celle-ci ne saurait être une simple conséquence de la décision de rendre la norme obligatoire : elle en constitue une condition de légalité. Le lien établi entre cette gratuité et l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité du droit commande cette solution qui condamne toute sanction en termes d’inopposabilité de la norme en cause. Dans les deux espèces mentionnées précédemment (France nature environnement et Société Yprema et a.), le Conseil d’Etat avait en effet jugé que le défaut d’accessibilité gratuite à des normes rendues obligatoires était « susceptible de rendre inopposables les normes en cause », mais demeurait « sans incidence sur la légalité de l’arrêté » en imposant l’application. Comme l’indique le rapporteur public, cette solution semblait s’expliquer par « une habilitation législative particulière permettant de déroger à l’ensemble des prescriptions du décret de 2009 » ; désormais, on peut se demander dans quelle mesure les implications nouvelles tirées de l’objectif à valeur constitutionnelle en matière d’accessibilité de la norme pourraient remettre en cause une telle solution…

Sous réserve de ces interrogations, on peut donc considérer que la décision rapportée opère une utile clarification jurisprudentielle. Son intérêt réside sans doute aussi dans le fait qu’elle se trouve à l’articulation du droit dur et du droit souple, et suscite des interrogations quant aux  modalités d’accès à ce dernier.

2. Un accès aux normes de droit souple
particulièrement hétérogène

Une obligation de gratuité limitée au droit dur. Les faits ayant conduit à la décision du Conseil d’Etat mettent en évidence combien droit dur et droit souple s’imbriquent plus qu’ils ne s’opposent. L’idée de « durcissement » de la norme technique rend compte d’une porosité évidente. En l’occurrence, la norme rendue obligatoire – sous la forme du « recueil d’instructions générales » prévu par l’article 4 du décret de 1982 concernant les ouvrages de distribution électrique – n’est autre que la norme NF C 18-510, dont les dispositions spécifiques aux installations électriques continuent d’ailleurs d’être d’application volontaire et de relever du droit souple. Le Conseil l’exprime clairement : les auteurs de l’arrêté de 2014 « ont ainsi imposé le respect par les employeurs de la norme NF C 18-510 […] que les prescriptions du recueil UTE C 18-510-1 d’instructions de sécurité électrique pour les ouvrages […] reprennent purement et simplement ».

Une partie des dispositions de la norme change donc de statut juridique, et c’est précisément du fait de ce nouveau statut qu’est imposée la gratuité de consultation, en application de l’article 17 alinéa 3 du décret de 2009. C’est bien, du reste, en ce sens que le rapporteur public proposait au Conseil d’« indiquer avec la plus grande netteté dans [sa] décision que la transformation du droit souple en droit dur implique nécessairement une exigence de gratuité » [nous soulignons]. La porosité entre droit dur et droit souple trouve donc ses limites. La norme rendue obligatoire a formellement cessé de relever du droit souple et s’appliquent à elle les règles relatives à l’accessibilité du droit dur : les dispositions particulières du décret de 2009, mais aussi les implications de l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité de la règle de droit.

Ce raisonnement binaire présente l’intérêt de poser une solution relativement simple, à laquelle le juge n’aurait pu aboutir en admettant que le décret de 1982 puisse sur ce point déroger à celui de 2009. Le cas échéant, on peut penser que l’objectif à valeur constitutionnelle aurait tout de même pu s’imposer au décret de 1982 et garantir l’unité des modalités d’accès aux normes techniques rendues obligatoires. Simplicité et unité, deux caractéristiques qui contribuent  à la qualité du droit envisagée au prisme de son accessibilité, mais dont, par contraste, on ne peut que déplorer l’absence s’agissant de l’accès au droit souple.

Au-delà du désordre, l’incertitude en matière d’accès au droit souple. Nul objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité n’y impose la gratuité, puisque de tels objectifs constituent des normes constitutionnelles de référence opposables aux seules dispositions du droit dur. C’est ce qu’exprime d’une certaine manière la formule « d’accessibilité et d’intelligibilité de la règle de droit » – le droit souple, lui, n’articule pas des règles… En outre, les fondements de cet objectif (art. 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen) tissent un ensemble d’exigences qui n’ont de sens qu’au regard de ce qui oblige. Comment concevoir la garantie des droits (art. 16), ou les bornes à la liberté (art. 4), à propos de normes dont la portée seulement facultative empêche l’affirmation de prérogatives juridiquement protégées ? De même, affirmer que « Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas » (art. 5) n’a guère de sens lorsque la norme n’a pas pour effet de distinguer le licite de l’illicite. Au contraire, le droit souple semble même pouvoir se soustraire à de telles exigences : si un dispositif d’accès payant au droit dur semble proscrit par l’égalité devant la loi (art. 6), et difficilement admissible au vu de l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité de la règle de droit, il est bien admis en matière de normalisation technique, dont le modèle économique repose précisément sur le caractère onéreux de la consultation des normes homologuées.

Le manque d’unité du droit souple ne favorise pas non plus l’évidence des solutions. En dépit de l’effort de définition fourni par le Conseil d’Etat dans son étude de 2013, le droit souple reste identifié par défaut, en négatif du droit dur. En effet, s’ils cherchent à modifier ou orienter les comportements, s’ils bénéficient d’un certain degré de formalisation et de structuration, les instruments de droit souple ne créent pas par eux-mêmes de droits et d’obligations (Conseil d’Etat, Le droit souple, op. cit., p. 61 et s.). La conséquence en est une évidente hétérogénéité des instruments rattachés au droit souple, et du régime qui leur est associé. Quoi de commun entre des normes techniques – tantôt consultables à titre onéreux, tantôt gratuitement accessibles parce que rendues obligatoires et donc extraites du droit souple – et les instructions et circulaires ministérielles qui, bien que relevant du droit souple, font l’objet d’une publication obligatoire (et gratuite) en vertu du décret n° 2008-1281 du 8 décembre 2008 ? Ce simple exemple montre combien la gratuité d’accès au droit souple n’est ni la règle, ni une simple exception, et qu’elle ne saurait a priori constituer une obligation. Si l’on ajoute à cela les dénominations parfois trompeuses que certains actes reçoivent – recommandations, chartes, codes…, qui ne correspondent pas toujours clairement à leur filiation au droit dur ou au droit souple ni au régime de publicité qui s’en suit, l’incertitude devient la règle.

Et pour finir en clair-obscur, rappelons simplement que le Conseil d’Etat lui-même, dans son étude consacrée au droit souple, attirait l’attention sur les risques inhérents à l’accès payant en matière de normalisation : « il convient de veiller à ce que l’Afnor, dans le cadre de sa mission de service public, pratique des tarifs suffisamment modérés pour que les normes restent accessibles à l’ensemble des acteurs concernés » (« Le droit souple », op. cit., p. 170). Peut-on en déduire, dès lors, que les modalités de la tarification de l’accès aux normes techniques pourraient donner prise à l’invocation d’une rupture d’égalité, voire, d’une méconnaissance de l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité du droit ? Une telle irruption dans le champ du droit souple, fort incertaine d’ailleurs, ne simplifierait rien.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; Art. 16.

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ParJDA

1er avril 2016 : pas de plaisanterie pour le droit de la commande publique (& publication d’actes de colloque)

par Lucie SOURZAT,
ATER en Droit public – Université Toulouse 1 Capitole

Art. 17. La transposition complète en droit français des directives marchés et concessions du 26 février 2014 voit enfin le jour.

En effet après l’adoption l’été dernier de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics suivie de l’ordonnance n°2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux concessions et de son décret d’application n°2016-86 en date du 1er février 2016, le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics vient enfin de paraître au Journal Officiel du 27 mars 2016.

L’objectif de simplification et de rationalisation de la commande publique est cette fois-ci bien en marche.

Le Code des marchés publics et la foule de textes réglementant les différents instruments de la commande publique poussent, quant à eux, leur dernier souffle au profit d’un seul et même Code de la commande publique au sein duquel devraient être unifiées toutes les dispositions allant encadrer la passation et l’exécution non seulement des marchés publics mais encore des contrats de concessions. Avec l’entrée en vigueur de ces nouvelles règles au 1er avril 2016 pour les contrats pour lesquels une consultation est engagée ou un avis d’appel public à la concurrence ou un avis de concession est envoyé à la publication à compter de cette date, la commande publique fait ainsi l’objet d’une rénovation complète, voire même d’une véritable « révolution ». Désormais la satisfaction des besoins de la personne publique ne pourra s’effectuer qu’à l’aide deux instruments alternatifs : le marché public ou le contrat de concession.

Alors que la notion de « convention de délégation de service public », dont la concession de service public constituait l’archétype par excellence, occupait une place centrale en droit interne, cette dernière voit ses contours désormais modifiés au profit de la notion plus large de « contrat de concession » pouvant avoir pour objet aussi bien l’exécution de services, que de travaux ou encore qui pourra « consister à déléguer la gestion d’un service public ».

Par ailleurs alors que le critère du « risque », essentiel à la définition de la concession de service public ou de travaux, ne transparaissait ni dans la loi MURCEF du 11 décembre 2001, ni dans l’ordonnance du 15 juillet 2009 relative aux concessions de travaux, l’article 5 de l’ordonnance du 29 janvier 2016 remédie à cela en prévoyant clairement que « les contrats de concession sont les contrats conclus par écrit, par lesquels une ou plusieurs autorités concédantes (…) confient l’exécution de travaux ou la gestion d’un service à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l’exploitation de l’ouvrage ou du service, en contrepartie soit du droit d’exploiter l’ouvrage ou le service qui fait l’objet du contrat, soit de ce droit assorti d’un prix ». Plus précisément, le concessionnaire devra subir une « une réelle exposition aux aléas du marché ». Autrement dit, lors de la conclusion de la convention, le concessionnaire ne devra pas être en mesure d’avoir la certitude de pouvoir amortir « les investissements ou les coûts qu’il a supportés, liés à l’exploitation de l’ouvrage ou du service ». Reste à savoir comment la réalité de cette exposition aux aléas liés à l’offre, à la demande ou aux deux pourra être sérieusement évaluée. En effet « la subjectivisation » (S. BRACONNIER,  « Nouvelles directives et partenariats public-privé : plaidoyer pour une consolidation », RDI, 2015, pp. 8 s.) du critère portant sur l’aléa lié à l’offre – cette dernière dépendant de la seule volonté des parties à la convention – apparaît comme un facteur d’insécurité juridique source de risques de requalifications des contrats de concession concernés en marchés publics.

En ce qui concerne les marchés publics, l’une des principales nouveautés concerne l’ancien contrat de partenariat devenu, avec la réforme, « marché de partenariat ».

Après avoir fêté ses dix ans en 2014, ce contrat singulier, ayant la particularité de confier une mission globale au partenaire de la personne publique, disparaît en laissant la place à un nouveau type de marché public : le marché de partenariat.

À la suite d’un rapport critique des sénateurs Jean-Pierre SUEUR et Hugues PORTELLI fait au nom de la commission des lois et rendu public le 16 juillet 2014 (J.-P. SUEUR et H. PORTELLI, « Les contrats de partenariat : des bombes à retardement ? », Rapport d’information n° 733, Commission des Lois du Sénat, 16 juill. 2014) un certain nombre de spécialistes praticiens et universitaires, juristes, économistes, financiers et architectes, se sont intéressés à la question de l’avenir de cet outil controversé de la commande publique à l’occasion d’un colloque intitulé « Le contrat de partenariat, dix ans après : quel avenir ? » ayant eu lieu au sein de l’Université Toulouse I Capitole les 25 et 26 septembre 2014. Un an après la publication en février 2015 d’un rapport public annuel de la Cour des comptes dénonçant les risques financiers générés par ce contrat sur les collectivités territoriales (C. comptes, Rapp. public annuel, Les partenariats public-privé des collectivités territoriales : des risques à maîtriser, févr. 2015), les remarques – à charge mais aussi à décharge – des intervenants au colloque précité ont donné lieu à un ouvrage collectif paru en février 2016 aux éditions Bruylant et renommé « Du contrat de partenariat au marché de partenariat » (Colloque IDETCOM, Le contrat de partenariat : dix ans après, quel avenir ? , 25 et 26 sept. 2014, publié aux éditions Bruylant Du contrat de partenariat au marché de partenariat, févr. 2016). Les différentes contributions à cet ouvrage, prenant en considération les modifications issues de la réforme, s’articulent autour de deux grands axes portant non seulement sur la question du financement externalisé des projets menés par le biais de ce type de contrat, mais encore sur le caractère dérogatoire du contrat de partenariat devenu depuis marché de partenariat.

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Reste désormais à analyser attentivement la manière dont cette réforme de la commande publique sera accueillie par les praticiens et si l’objectif de simplification, dont la réalité est déjà remise en cause par une partie de la doctrine, sera effectivement satisfait.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; Art. 17.

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Etat d’urgence & juge administratif

par Mme Mélina ELSHOUD,
Doctorante contractuelle en droit public à l’Université du Maine, Themis-Um

Etat d’urgence & juge administratif

Art. 48. En principe, le rôle joué par le juge administratif sous l’état d’urgence est essentiel.

En principe, le juge administratif est LE juge de l’état d’urgence  (et cela explique sans doute la médiatisation qui a entouré son action depuis novembre dernier) ;

– c’est lui qu’il faut saisir pour contester la déclaration d’entrée ou de sortie, dans l’état d’urgence par le Président de la République ;

– c’est lui qu’il faut saisir pour contester toute mesure de police administrative prise sur le fondement de l’état d’urgence : assignations à résidence, perquisitions administratives, réglementation de la circulation des personnes et des véhicules, fermeture provisoire de lieux publics, etc.

Ainsi, alors qu’en temps normal, le droit commun prévoit qu’un certain nombre des mesures citées ci-dessus, doivent systématiquement être autorisées par le juge judiciaire a priori (donc avant leur mise en œuvre), en situation d’état d’urgence, ces mêmes mesures n’ont pas à faire l’objet de ce premier contrôle, et ne pourront donc être contrôlées pour la 1ère fois qu’a posteriori (après leur mise en œuvre) par le juge administratif.

Le rôle que doit jouer le juge administratif, sous l’état d’urgence, est donc essentiel ; il est un organe de contrôle d’un grand nombre d’actions menées par l’Administration pendant cette période exceptionnelle. Il doit en contrôler la légalité et la conventionnalité (c’est à dire vérifier que l’Etat agit dans le respect de la Loi et des engagements internationaux) ; il doit en favoriser le contrôle de constitutionnalité en renvoyant, si un justiciable le demande, une QPC au Conseil constitutionnel.

Ce rôle, en pratique, a-t-il jusqu’ici vraiment été rempli ?

Si l’on reprend les positions exprimées par les universitaires, les journalistes, les citoyens, les experts européens depuis novembre dernier et jusqu’à aujourd’hui, elles sont très « contrastées ». On a pu lire d’un côté qu’il n’y avait aucune raison de douter de l’efficacité du contrôle du juge administratif (voir par exemple, l’avis de la Commission de Venise sur le projet de loi constitutionnelle français du 10 février 2016 (§74) et d’un autre que « l’état d’urgence montre la vraie nature du juge administratif » (c’est l’intitulé de la tribune d’un universitaire) c’est à dire un juge essentiellement protecteur de l’Administration, qui n’empêche jamais son action et dont les justiciables ne peuvent rien attendre. Alors qu’en est-il ?

Si on analyse l’ensemble des décisions (un peu plus d’une centaine) rendues par les juges administratifs depuis novembre (des tribunaux administratifs au Conseil d’Etat), nous pouvons faire plusieurs constats :

Le 1er constat c’est que le juge administratif a rencontré de vraies difficultés à exercer sa mission. On peut citer plusieurs sources de difficultés.

– 1. La rareté de la situation d’état d’urgence. En effet, le juge administratif français n’est, comme personne, un habitué de cette situation. L’état d’urgence ayant été déclaré cinq fois depuis 1955, rares sont les juridictions qui ont eu à connaître de décisions prises dans ce cadre. Le juge administratif n’est donc pas habitué de ce contrôle juridictionnel.

– 2. La situation d’état d’urgence est une situation délicate et le contrôle de certaines de ses mesures l’est tout autant. D’abord, la décision de déclarer l’état d’urgence, relève, sans doute plus qu’aucune autre, de l’opportunité politique. On demande au juge de se prononcer sur des éléments très difficiles à appréhender : confirmer ou infirmer l’existence d’un « péril imminent » ou d’une « calamité publique » n’a rien d’aisé (les débats parlementaires le démontrent) ; alors, bien que le juge administratif se reconnaisse compétent pour contrôler la légalité de la déclaration de l’état d’urgence (cet acte administratif ne fait donc pas partie de la catégorie des actes de gouvernement non susceptibles de recours), son contrôle sur elle reste indéniablement restreint.

Quant à lui, le contrôle des mesures de police administrative est également compliqué, notamment parce que l’état d’urgence de 2015 et 2016 a une particularité par rapport aux expériences passées : il est en relation avec le terrorisme. Or, la traque terroriste est intimement liée au travail d’investigation des services de renseignement et au secret qui l’entoure. Concrètement, la difficulté posée au juge administratif est la suivante : l’une des rares pièces, faisant preuve de la « menace » d’un individu, et soumise au débat contradictoire, est ce que l’on appelle « la note blanche ». La note blanche c’est une feuille, souvent type A4 et format Word, non datée et non signée, qui fait état de tous les éléments de fait qui « prouvent », selon l’Administration, qu’un individu représente une menace pour la sécurité et l’ordre publics, et justifie ainsi son assignation à résidence. Malgré les critiques et l’interdiction de leur usage par une circulaire de 2004 (dont la valeur juridique est faible), le juge administratif admet qu’elles constituent un moyen de preuve, parce que c’est souvent le seul qu’il a. En l’occurrence, le Conseil d’Etat a confirmé dans ses décisions du 11 décembre 2015, « qu’aucune disposition législative ni aucun principe ne s’oppose à ce que les faits relatés par les ‘notes blanches’ produites par le ministre, qui ont été versées au débat contradictoire et ne sont pas sérieusement contestées par le requérant, soient susceptibles d’être pris en considération par le juge administratif ».

3. Il y a un cadre juridique nouveau. La loi du 20 novembre 2015 a modifié le régime des assignations à résidence tel qu’on le connaissait : pour appréhender des menaces devenues plus diffuses (objectif préventif), l’assignation à résidence peut concerner, non plus toute personne « dont l’activité s’avère dangereuse pour la sécurité et l’ordre publics » mais toute personne pour laquelle « il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ». Le juge administratif a donc dû s’adapter à un nouveau cadre juridique volontairement peu précis. Cela a posé une question d’interprétation : les dispositions modifiées de la loi permettent elles de prononcer une assignation à résidence pour des motifs d’ordre public étrangers à ceux ayant justifié l’état d’urgence ? En clair, pouvait-on utiliser l’état d’urgence déclaré pour les attaques terroristes pour assigner à résidence des militants écologistes et éviter qu’ils ne troublent la COP 21 ?

– 4. La demande de dérogation à la CEDH. Enfin, l’information par le Président de la République au Secrétaire général du Conseil de l’Europe de la susceptibilité par la France de déroger à la Convention européenne des droits de l’Homme a pu susciter le désarroi du juge administratif, qui, depuis 1989, contrôle son respect par les actes administratifs français. Devait-il, le temps de l’état d’urgence, mettre cette source de contrôle de côté ?

Tous ces éléments cumulés ont, selon nous, constitué un contexte complexe qui a favorisé le malaise d’un juge administratif, conscient du rôle qu’il doit jouer dans l’équilibre entre liberté et sécurité, mais plein d’incertitudes sur la façon de remplir ce rôle. Ce malaise on peut en donner trois illustrations :

  1. Ce « malaise » du juge administratif, on le sent dès les premières décisions rendues sur des affaires d’assignation à résidence à propos de militants écologistes susceptibles de troubler la tenue de la COP 21. Comme nous l’avons dit, du fait de la modification de la loi, la question était de savoir si les assignations à résidence devaient avoir un lien direct avec le terrorisme, ou si elles pouvaient être prononcées à l’encontre de personnes dont le comportement constitue une menace à l’ordre public sans pourtant constituer une menace terroriste. La question se posait pour la 1ère fois devant les tribunaux de Rennes, Melun et Cergy-Pontoise, saisis en référé-liberté. Incertains de la réponse à y apporter (le Conseil d’Etat ne s’étant pas prononcé sur l’interprétation à en donner), 2 tribunaux sur 3, pour 6 des 7 affaires, ont préféré rejeter les recours en référé en faisant valoir qu’ils ne remplissaient pas la condition d’urgence ; cette solution leur permettait de « botter en touche », trier l’affaire sans répondre au fond. Sans doute, les juges administratifs ont-t-ils commis ici une vraie faute car en refusant de reconnaître l’urgence de la situation des intéressés, ils retiraient toute son effectivité au référé-liberté. Le 11 décembre, saisi en appel, le Conseil d’Etat affirma son « profond désaccord » avec ce qu’il a considéré comme une « grosse erreur de droit » des tribunaux de 1ère instance (voir les conclusions du rapporteur public Xavier Domino). Ainsi, il semble qu’il y ait réellement eu un temps de paralysie des premiers juges administratifs autour de la question : « Qu’est ce qu’on doit faire ? Qu’est ce qu’on attend de nous ? Et quelle responsabilité aurons-nous à porter si les mesures qu’on annule conduisent à un nouvel attentat ? ».
  1. Ce « malaise », on le sent dans les tribunes anonymes publiées sur Internet par des juges administratifs, de façon individuelle ou collective, peu avant la prorogation de l’état d’urgence de février. On a pu y lire toutes les insatisfactions des juges dont le pouvoir paraissait soit limité (par des mesures telle la dérogation faite à la CEDH) soit pas suffisamment renforcé, notamment par « les sept ordonnances rendues le 11 décembre 2015 par le Conseil d’Etat ». Même si d’habitude, écrivent-ils, « les positions du Conseil d’Etat font jurisprudence », les juges administratifs « de base » ont considéré que cette fois la cour suprême n’avait pas garanti l’effectivité de leur contrôle (notamment en n’encadrant pas davantage l’utilisation des « notes blanches »). « Nous nous retrouvons, juges administratifs, dotés d’une responsabilité accrue sans avoir véritablement les moyens de l’assumer. » (voir la tribune publiée sur Médiapart le 29 décembre 2015) et malheureusement, « la suspicion souvent infondée de complaisance du juge administratif envers l’Etat ne pourra que se voir renforcée» (voir la tribune publiée sur le Blog Droit administratif le 5 janvier 2016).
  1. Ce « malaise », il nous semble enfin être confirmé par une pratique tout à fait exceptionnelle dans les décisions qui ont été rendues sous l’état d’urgence : il s’agit de l’anonymisation des membres de la juridiction. Ainsi, les noms des juges en charge de l’affaire (rapporteur et rapporteur public) n’apparaissent plus (ils sont remplacés par un espace blanc ou des points) et ce, quand bien même, les noms du requérant et de son avocat restent visibles. Cette pratique donne l’impression que le juge administratif n’ose pas porter la responsabilité des conséquences du rejet ou de l’annulation (Cf. en ce sens le témoignage de M. le Magistrat Arnaud Kiecken).

A l’analyse du reste des décisions, le 2nd constat que l’on peut faire, c’est que ces difficultés ont au fil des semaines diminué, le juge administratif ayant réaffirmé sa place et davantage « borné » l’action de l’Administration.

  1. Une reconsidération de l’office du juge. Quoi qu’on puisse en dire par ailleurs, les décisions du 11 décembre 2015 rendues par le Conseil d’Etat, ont eu le mérite d’inviter les juges administratifs en général à reconsidérer leur office. Elles créent d’abord une présomption d’urgence pour les contentieux concernant les assignations à résidence (évitant le rejet des recours sur ce point à l’avenir). En outre, elles ont invité le juge à reconsidérer la portée de son contrôle en REP : jusqu’alors il exerçait seulement un « contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation » (depuis 1985), désormais il doit exercer un contrôle plus approfondi, c’est le cas du contrôle « normal » des mesures (attention, le contrôle est évidemment plus restreint en procédure de référé : cf. la contribution de M. le pr. Stéphane Mouton). Au considérant n°16, est ainsi évoqué «  l’entier contrôle du juge de l’excès de pouvoir », ce qui corrobore les conclusions du rapporteur public : « Il nous semble important que votre décision envoie le signal clair, tant à l’égard de l’administration, des citoyens que des juges, que le contrôle exercé par le juge administratif sur les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence n’aura rien d’un contrôle au rabais, et que l’état de droit ne cède pas face à l’état d’urgence ». Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 22 décembre 2015 confirma « que le juge administratif est chargé de s’assurer que cette mesure est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu’elle poursuit » (considérant 12). Un magistrat administratif l’admet : « On est en quelque sorte passé d’un extrême à l’autre » (Cf. en ce sens le témoignage de M. la magistrat Arnaud Kiecken).
  1. Un contrôle renforcé en pratique. Parmi les jugements rendus les semaines suivantes, on relève les premières suspensions par les TA et le Conseil d’Etat. Bien que la cour suprême n’ait pas davantage encadré le recours aux notes blanches dès décembre, en pratique les juges administratifs en ont affiné le contrôle : suppléments d’instruction, enquêtes à la barre (R. 623-1 CJA), débats lors de l’audience publique sont largement utilisés pour obtenir des preuves supplémentaires à même de valider ou d’invalider le contenu de ces « notes ». Le 15 janvier 2016, le TA de Cergy considère que les « contraintes liées à l’activité des services de renseignement » ne sauraient suffire à exonérer l’Etat d’étayer une note blanche. Le 22 janvier 2016, le Conseil d’Etat suspend pour la 1ère fois en appel une assignation faute « d’élément suffisamment circonstancié ».

S’il semble clair que « les services de renseignement […] ne se lèvent pas le matin pour écrire des fausses notes blanches  » (ce sont les propos tenus par Mme Léglise, sous-directrice du conseil juridique et du contentieux de la place Beauvau), le contrôle juridictionnel a pu mettre en évidence que l’Etat avait commis des erreurs ou confusions : ainsi, une communication téléphonique en haut parleur n’aurait pas due être confondue avec une prise de photographies du domicile d’une personnalité protégée, et le projet professionnel d’être instructeur en boxe thaï n’aurait pas du prouvé que l’intéressé se soit livré à une activité d’entrainement de jeunes convertis dans la pratique des arts martiaux.

Selon les statistiques fournies par le Conseil d’Etat, 106 mesures de police administrative avaient été examinées au 25 février 2016 : dans 16% des cas, il y a eu suspension partielle ou totale (17 mesures), dans 65% des cas, il y a eu rejet (69 mesures) et dans 19% des cas (20) il y a eu abrogation de la mesure par le ministère de l’Intérieur avant que le juge ne statue.

Ce dernier chiffre nous conduit au 3e constat : Que le juge administratif ait amélioré son contrôle ces quatre derniers mois n’est pas suffisant tant qu’un certain nombre de mesures restent hors de son champ d’action.

Parmi les mesures qui restent hors du contrôle juridictionnel :

– il y a ces assignations à résidence que l’Etat prononce, et applique, puis abroge (parfois seulement quelques heures) avant leur examen par le juge administratif, forçant ce dernier à prononcer un non-lieu à statuer : il n’y a plus d’acte donc il n’y a pas de contrôle possible ;

– il y a, de la même manière, les assignations à résidence qui, aux alentours du 26 février, ont disparu du fait de la prolongation de l’état d’urgence. C’est une nouveauté de la loi de 2015 : toute mesure doit être renouvelée explicitement, et ne perdure pas pour le seul motif que l’état d’urgence est prolongé. Cette mesure a l’avantage d’obliger l’Etat à réétudier les situations individuelles, mais elle a l’inconvénient de forcer le juge à prononcer de nouveau des non lieu à statuer quand le recours a été introduit moins de 48 heures avant la prolongation ; plusieurs décisions du Conseil d’Etat rendues aux alentours du 26 février le prouvent ;

– enfin, et c’est là, le plus grand problème : les perquisitions administratives, qui forment la très large majorité des mesures de police administrative prises sous l’état d’urgence ne peuvent de facto  faire l’objet d’un contrôle juridictionnel a posteriori, car compte tenu de leur brièveté, elles ne peuvent pas décemment être contrôlées par le juge administratif.  Il reste à l’intéressé la possibilité d’exercer un recours indemnitaire, long et très incertain. Environ 1% des perquisitions qui ont eu lieu depuis novembre ont fait pour le moment l’objet de ce type de recours. (Sur les perquisitions administratives, cf. la contribution de Maître Benjamin Francos).

Ces éléments nous conduisent à penser que si le juge administratif est conscient des attentes qui s’expriment à son encontre, il ne faut décemment pas tout attendre de lui.

A propos des mesures que le juge administratif ne peut actuellement pas contrôler, il faudrait rétablir un contrôle a priori. Il y a une nécessité de reposer la question de la compétence du juge judiciaire : il a son rôle à jouer dans cette situation exceptionnelle, et il faut déterminer avec précisions dans quelle mesure (cf. la contribution de Mme la députée Marietta Karamanli).

A propos des mesures qu’il contrôle déjà, il faut se rappeler que le juge administratif n’est garant des libertés qu’à la condition que le Législateur les ai protégées avant lui. Autrement dit, son contrôle s’exerce au prisme de la loi et de son esprit. Et lorsque l’esprit de la loi est favorable à la sécurité plutôt qu’aux libertés, jusqu’où peut s’exercer son contrôle ?  Qu’on ait été en accord ou en désaccord avec la position du Conseil d’Etat quand il a confirmé les assignations à résidence des militants écologistes, il faut souligner qu’il a été conforme à l’esprit de la loi de 2015 qui cherchait à embrasser une menace devenue plus diffuse. C’est d’ailleurs ce qui fait dire à certains que, rien ne permet de penser que, s’il avait été compétent, le juge judiciaire aurait abouti à d’autres interprétations et d’autres conclusions.

Nous ne pensons donc pas qu’il n’y ait que les optimistes pour croire que le juge administratif peut garantir les libertés fondamentales. Il le fait depuis de nombreuses années, en France, et partout en Europe, en Méditerranée. En Grèce, il y a bientôt 50 ans, à l’époque de ce qu’on appelle la « Dictature des colonels », le gouvernement a nié, sous couvert d’ « urgence », le Droit, tous ceux qu’il protège et tous ceux qui le protègent. En 1968, il a suspendu la disposition constitutionnelle garantissant l’inamovibilité des juges pour révoquer en trois jours 30 magistrats et c’est le Conseil d’Etat grec, qui a, le 24 juin 1969, courageusement, déclaré cette révocation illégale, et c’est son Président qui a courageusement refusé d’en démissionner malgré les pressions. Cet exemple confirme encore ce que nous venons d’écrire : le juge administratif est un allié de l’Etat de droit, mais il ne peut l’assurer seul.

En France, aujourd’hui, ne reprochons donc au juge administratif que ce qui tient de sa responsabilité. Et souhaitons, comme lui, que face à la menace permanente, on ait recours à des instruments pérennes. L’état d’urgence prolongé maintient pour le moment dans une situation très inconfortable le juge administratif et l’équilibre qu’il défend.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 48.

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ParJDA

Editorial : L’état d’urgence mis à la portée de tout le monde !

Art. 21. Après les attentats terroristes qui ont ensanglanté Paris en faisant cent trente morts et plus de quatre cents blessés, la France vit – pour la sixième fois sous la Vème République – sous le régime – déclaré par le gouvernement – de l’état d’urgence et ce, depuis le 14 novembre 2015. Cet état exceptionnel a même été prolongé jusqu’au 26 mai 2016. Après les attentats qui ont frappé Bruxelles le 22 mars 2016 avec trente-deux morts et plus de trois cents blessés et dont les auteurs sont manifestement liés avec les attentats de Paris, il n’est pas impossible que l’état d’urgence soit même à nouveau prolongé d’autant que la France organise, en juin 2016, l’Euro de football.

Pour protéger la Nation contre la menace terroriste, l’« état de guerre », invoqué par le président Hollande, a permis de mettre en œuvre un dispositif exceptionnel renforçant – notamment – les pouvoirs des autorités administratives. L’état d’urgence donne en effet à l’administration des pouvoirs exceptionnels lui permettant de limiter certains droits et libertés afin de faciliter les actions nécessaires à la résolution de la crise qui frappe le pays. L’attribution de tels pouvoirs à l’administration peut alors rassurer les citoyens mais elle peut aussi inquiéter. Ce double sentiment – contradictoire – s’est exprimé et s’exprime encore aujourd’hui. Faut-il alors se féliciter de la prolongation de l’état d’urgence au nom d’un principe de sécurité ou s’en inquiéter au nom des libertés ?

Pour tenter de permettre à chacun(e) de se faire sa propre opinion, le Journal du Droit Administratif vous propose en ligne – et en accès libre – son premier « dossier mis à la portée de tout le monde » renouant ainsi – au passage – avec une tradition d’explication(s) et d’implication(s) citoyennes (et pour certains de nos contributeurs parfois même militantes) comme l’avait initiée les deux fondateurs de ce premier Journal et média consacré à l’étude et à le mise en avant du droit administratif : les toulousains praticiens et théoriciens du droit public : Adolphe Chauveau & Anselme Batbie.

Périodiquement et au moins à deux reprises par année civile, le Journal du Droit Administratif s’est effectivement donné pour mission et pour ambition de présenter – sur son site Internet dans un premier temps – deux dossiers d’actualité(s) marquant le droit administratif (notamment et pour l’instant principalement français). Le choix d’un premier dossier inaugural sur l’état d’urgence s’est alors imposé aux membres de nos comité de soutien et comité scientifique et de rédaction comme une évidence.

Les textes ici rassemblés par les pr. Andriantsimbazovina & Touzeil-Divina ainsi que par Mme Julia Schmitz & Maître Francos ont tous été sélectionnés après un appel à publication(s). Ils témoignent – par l’ensemble ainsi créé – de la diversité des approches possibles du sujet étudié.

Ainsi, le lecteur trouvera-t-il des explications sur l’état d’urgence vu sous différents angles : juridique, historique, comparé. Il y lira aussi des développements intéressant le fonctionnement même de l’état d’urgence au cœur de l’administration ainsi que des témoignages sur les répercussions de l’état d’urgence sur la vie professionnelle de différents acteurs du droit administratif, de la ou même des magistrature(s), de l’Université ou encore de la société civile.

Notre « dossier spécial » comporte ainsi des points de vue parfois très différents mais c’est ce qui en fait sa richesse. Les auteurs ont tous cherché à être le plus pédagogique possible en quittant parfois les canons académiques habituels pour servir l’objectif du Journal du Droit Administratif : tenter de se mettre « à la portée de tout le monde ».

En outre, fidèle à ses comités et à ses objectifs initiaux de fondation (en 1853) et de refondation (en 2015), notre Journal n’est pas constitué que d’universitaires spécialisés en droit public. Bien au contraire, il rassemble, outre des enseignants-chercheurs en droit public (droit administratif, droit constitutionnel, droits comparés, sociologie du Droit & sciences politiques, etc.), des administrateurs (sous-préfet, directeurs d’administrations publiques à l’instar d’une Université), des magistrats (judiciaire et administratif), des avocats ainsi – ce qui est très rare sur ces questions sensibles – que le point de vue d’une députée, représentante de la Nation.

Concrètement, ce sont ici et ainsi plus de trente contributeurs qui ont répondu à notre appel. Qu’ils en soient tous et toutes très chaleureusement remercié(e)s.

La tâche n’était pourtant pas évidente car la déclaration de l’état d’urgence, et sa prorogation, a provoqué un emballement à la fois normatif (adoption d’une nouvelle loi de lutte contre le terrorisme le 22 mars 2016 ; soumission au Parlement d’un nouveau projet de loi renforçant la lutte contre le terrorisme le 03 février 2016 et d’un projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation visant à inscrire dans la constitution l’état d’urgence et la déchéance de nationalité le 23 décembre 2015, retiré par le gouvernement le 30 mars 2016), mais aussi médiatique (pétitions, réunions, manifestations) et juridictionnel (le juge administratif a été saisi à de multiples reprises par des requêtes visant à contester les mesures prises sous l’état d’urgence).

Cette situation exceptionnelle a également provoqué un débat politique et citoyen de grande ampleur auquel le Journal du Droit Administratif se devait de prendre part en raison, d’une part, de l’impact de l’état d’urgence sur le droit administratif, et d’autre part, des paradoxes qu’il soulève, invitant ainsi à la réflexion collective.

L’état d’urgence est en effet un « régime civil de crise » conférant aux autorités administratives des pouvoirs renforcés. Créé dans le contexte particulier de la guerre d’Algérie par la loi  n° 55-385 du 3 avril 1955, ce régime permet au gouvernement de mettre en œuvre des pouvoirs exceptionnels « en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public ». Il met ainsi en évidence les principaux fondements du droit administratif que sont l’ordre public (et notamment la sécurité publique) ainsi que la puissance publique au détriment – peut-être – de la notion – pourtant cardinale – de service public.

Le régime de l’état d’urgence soulève par ailleurs de nombreux questionnements relatifs aux enjeux et au fonctionnement de notre Etat de droit. L’état d’urgence désigne en effet une situation exceptionnelle par rapport à l’exercice normal des pouvoirs publics (l’exception caractérisant à la fois la situation visée et le pouvoir à mettre en œuvre). A priori, l’état d’urgence est un état d’exception destiné à prendre fin rapidement. Toutefois, ceci soulève une contradiction car si le terme d’état, stare implique la stabilité et la durée, celui d’urgence, urgens, implique l’instabilité et le provisoire. Cela nous invite conséquemment à réfléchir sur la conciliation possible entre l’état d’urgence et l’Etat de droit qui suppose un fonctionnement normal, régulier et durable des pouvoirs.

Cette contradiction est encore aggravée par l’idée d’un état d’urgence qui deviendrait « permanent ». L’état d’urgence déclaré le 14 novembre 2015 a été prorogé par deux lois successives (Loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions; Loi n° 2016-162 du 19 février 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence) jusqu’au 26 mai 2016 et sur l’ensemble du territoire national. C’est la première fois qu’il est déclaré pour une durée si longue et sur un périmètre aussi étendu. Or si l’état d’urgence est en principe une mesure exceptionnelle, un dispositif de crise transitoire, ne peut-on considérer qu’il devient progressivement dans les démocraties modernes, un « paradigme de gouvernement » qui tend à se pérenniser, l’exception devenant la règle? (Georgio Agamben, Homo sacer. L’Etat d’exception, Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 2003, p. 19).

Autre paradoxe, l’état d’urgence, comme tout régime d’exception, est fondé sur l’idée de nécessité. Il suppose la protection de la démocratie et des libertés par une nécessaire atteinte à celles-ci, opposant alors liberté et sécurité.

Face à ces nombreuses questions, ce premier dossier spécial du Journal du Droit Administratif vise à expliquer ce qu’est véritablement l’état d’urgence, en présentant son contexte historique d’élaboration et de mise en œuvre (Rémi Barrué-Belou, Jacques Viguier) et sa spécificité (Florence Crouzatier, Olivier Pluen, Mathieu Touzeil-Divina), en le confrontant également au droit international (Vasiliki Saranti) pour comprendre le point de vue de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (Joël Andriantsimbazovina) et des organisations internationales (Valère Ndior) ainsi que quelques exemples étrangers comparés (Giacomo Roma).

Il y s’agit également de comprendre le régime de l’état d’urgence et ses conséquences sur les pouvoirs décentralisés (Nicolas Kada), sur le pouvoir préfectoral (Benjamin Francos), sur les autorités de police (Loïc Peyen), sur la liberté de manifester (Marie-Pierre Cauchard), sur le fonctionnement des établissements scolaires (Geneviève Koubi), ainsi que de mesurer la finalité psychique d’un tel régime d’exception (Géraldine Aïdan).

Ce dossier est également l’occasion de donner le point de vue des acteurs politiques et des représentants élus de la Nation (Marietta Karamanli, députée de la Sarthe), de la justice (Arnaud Kiecken, Magistrat au tribunal administratif de Cergy-Pontoise ; Marie Leclair, Déléguée Régionale Adjointe, Syndicat de la Magistrature ; Claire Dujardin, Observatoire de l’état d’urgence ; François Fournié, Substitut du procureur de la République, TGI de Charleville-Mézières), de l’administration (Jean-Charles Jobart, Sous-préfet d’Ambert) et de l’Université (Bruno Sire, Président de l’Université Toulouse I Capitole ; Hugues Kenfack, Doyen de la Faculté de droit ; Serge Slama, Université Paris Ouest-Nanterre) qui vivent au quotidien et / ou ont vécu le régime de l’état d’urgence.

Les modalités de contrôle sont ensuite examinés, qu’ils soient de nature parlementaire (Julia Schmitz), juridictionnelle (Stéphane Mouton ; Mélina Elshoud), ou bien exercés par les Autorités Administratives Indépendantes (Xavier Bioy) ou encore par la société civile (Julia Schmitz).

Enfin, ce dossier invite à s’interroger sur les enjeux de l’état d’urgence dans notre Etat de droit, en questionnant la pertinence de sa constitutionnalisation ainsi que son efficacité (Wanda Mastor, Xavier Magnon, Marie-Laure Basilien-Gainche).

Notre premier dossier n’apporte évidemment pas toutes les réponses à l’ensemble des différentes questions que pose l’état d’urgence. Les opinions qui y sont émises peuvent aussi ne pas être partagées de tous nos lecteurs. Toutefois, si par ces contributions, le Journal du Droit Administratif arrive à apporter des éclairages, s’il suscite la discussion et la réflexion, il aura atteint son but.

Pour le Journal du droit administratif

Pr. Joel Andriantsimbazovina
Me Benjamin Francos
Dr. Julia Schmitz
& Pr. Mathieu Touzeil-Divina

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 21.

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