Archive annuelle 9 juin 2021

ParJDA

Les coulisses du football business : un terreau propice au développement de troubles psychosociaux (I / II)

Art. 335.

par M. Gauthier Desfontaine, Etudiant en Master II Droit de la Santé, Université Toulouse 1 Capitole, promotion Gisèle Halimi (2020-2021)

Le présent article rédigé par M. Gauthier Desfontaine, Etudiant en Master II Droit de la Santé, Université Toulouse 1 Capitole, promotion Gisèle Halimi (2020-2021), s’inscrit dans le cadre de la 3e chronique en Droit de la santé du Master avec le soutien du Journal du Droit Administratif.

M. Gauthier Desfontaine, Etudiant en Master II Droit de la Santé, Université Toulouse 1 Capitole, promotion Gisèle Halimi (2020-2021) ; footballeur amateur sous contrat de la FFF évoluant en National 3 au Sporting Club Balma

Les coulisses du football business où se mêlent argent, pression, culte de la performance et hypermédiatisation : un terreau propice au développement de troubles psychosociaux 

Dans son roman autobiographique posthume « Le premier homme » Albert Camus écrivain, philosophe et prix Nobel de littérature écrivait « qu’il n’y a pas d’endroit dans le monde où l’homme est plus heureux que dans un stade de football ». Cette phrase laisse subsister le doute quant à la nature et à la fonction de cet homme dans le stade. Albert Camus fait-il référence au simple spectateur ou alors au joueur ? Car si la première option est surement vraie la seconde laisse place à controverse[1].

Le football professionnel est un milieu privilégié. Il peut garantir la notoriété, la gloire ainsi qu’une situation financière parfois (très) confortable. Les jeunes apprentis footballeurs ont tous rêvés de devenir « pro » à l’instar de leurs idoles. Nombre d’entre eux ont été dissuadés par leurs entourages conscients des difficultés de cette profession et de l’impitoyabilité du milieu.

Comme nous le verrons au fil du développement, le secteur du football est profondément imprégné par la logique de marché. C’est un milieu très concurrentiel avec des enjeux économiques considérables. Seul les meilleurs ou parfois les plus chanceux atteignent les sommets et sur la route du succès se mêlent de nombreux obstacles.

Cet environnement est évidemment nocif pour la santé des joueurs qui paradoxalement se doit d’être optimal et afin de répondre aux nombreuses attentes de « l’espace social de la haute performance » pour reprendre l’expression de Bruno Papin dans son ouvrage « Temps sportif, santé du champion et logique de l’urgence »[2].

Plusieurs études et de nombreux témoignages mettent en exergue le constat suivant : la santé mentales et psychologiques des footballeurs professionnelles se dégrade, les cas de dépression et de burn out sont en croissance constante. Ces pathologies font parties des risques psychosociaux définis comme un risque pour la santé physique et mentale des travailleurs. Leurs causes sont à rechercher à la fois dans les conditions d’emploi, les facteurs liés à l’organisation du travail et aux relations de travail[3].

Selon les données de Sporting Chance publiées dans un rapport de la PFA (Professional Footballers’ Association), depuis le début de l’année 2020, près de 10% des 4 000 membres du syndicat de sportifs professionnels le plus ancien au monde ont déjà eu recours à une forme de soutien à ce sujet, dont 42% sont des joueurs actuels et 55% d’anciens joueurs. D’autant plus préoccupant que les chiffres ont quadruplé depuis 2016).

De plus une étude de la Fifpro (Fédération internationale des associations de footballeurs professionnels) a révélé en 2015 que sur un panel de 607 footballeurs professionnels 38% d’entre eux étaient sujets à la dépression. Ce taux est supérieur à celui du reste de la population mondiale dont le taux environne les 15%.

L’intérêt de cette étude apparaît donc à plusieurs égards.

Tout d’abord, celle-ci a pour finalité de sensibiliser aux problématiques sociales et sanitaires que peuvent rencontrer ces hommes et ces femmes exerçant le métier de footballeur professionnel loin de l’image idyllique que les médias et les réseaux sociaux renvois d’une profession en réalité très difficile et très inégalitaire. Ces derniers constateront que malgré les aprioris voir parfois le mépris qu’il suscite, ce sport est un véritable miroir du monde du travail actuel avec ses failles et ses dérives.

L’autre enjeu sera d’étudier les moyens existants et de proposer d’autres solutions institutionnelles et juridiques afin d’endiguer une dégradation de la santé mentale des footballers professionnel qui commence progressivement à interroger tant les acteurs de ce sport que les professionnels de santé.

Partie I.
Etat des lieux d’un secteur professionnel hétérogène dominé par une impitoyable logique de marché

Culte performance, inégalités et industrialisation du football sont étroitement liées. Ces composantes du football professionnel constituent un terreau propice au développement de troubles psychologique et de maladies mentales dont les premiers concernés sont ceux qui sont au cœur de ce système, à savoir les joueurs.

Le terrain de football : terre d’inégalités

A l’instar du personnel hospitalier, le monde du football professionnel se caractérise par l’extrême diversité des membres qui le compose. Il est important de faire la distinction entre les stars du football et le footballeur moyen qui représente la grande majorité de la profession et qui est soumis à des risques de précarités importants.

Si la sphère médiatique fait surtout références à l’activité d’une minorité de joueurs aux salaires mirobolants jouissant de longues carrières, celle-ci passe sous silence le quotidien d’hommes et de femmes qui ne sont que de simples adversaires – voire coéquipiers – de ces stars multimillionnaires, et qui ne partagent avec elles que le titre de footballeur professionnel (pas toujours) car tout ou presque les sépare.

Le maitre mot du marché de l’emploi dans le football professionnel est inégalité.

Ces inégalités sont de nature économique et par conséquent elles peuvent avoir des conséquences sociales désastreuses pour ces individus qui ont tout misé sur le sport et qui disposent d’un capital formation pour la plupart insuffisant afin d’appréhender sereinement une après-carrière.

Richard Duhautois, chercheur du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) spécialiste de l’économie du football professionnel s’est penché en 2018 sur la réalité des rémunérations dans le monde du ballon rond, loin des clichés des joueurs vedettes surpayées[4].

Plusieurs éléments en ressortent :

La grande majorité des footballeurs ont de faibles salaires et une carrière très courte. En effet, une fois cette dernière entamée, le risque qu’elle s’arrête brutalement – pour cause de blessure ou tout simplement parce que le joueur ne trouve pas de club tant la concurrence est rude – est relativement fort. La durée moyenne d’une carrière en première division en Europe est d’environ cinq ans avec de grandes disparités entre les stars et les autres. Les salaires moyens sont plus hétérogènes dans les championnats européens car ils dépendent en grande partie des droits télévisés.

L’hétérogénéité est encore plus grande si on élargit l’analyse au monde. Le chercheur s’est penché sur quelques pays qualifiés à la Coupe du monde 2018 et à une statistique publiée fin 2016 par la Fédération internationale des joueurs professionnels (Fifpro) : la plupart des joueurs rémunérés touche moins de 1000 $ par mois. Dans le monde, 45% des footballeurs professionnels sont dans ce cas, avec un record pour le Ghana (plus de 99%). Ils sont environ 2% pour les grands championnats européens.

Selon le quotidien sportif l’Equipe le salaire brut mensuel touchés en moyenne en Ligue 1 est de 108.422 euros. Toutefois cette somme est faussée par les salaires pharamineux proposé par une minorité de clubs importants. D’après les chiffres donnés par l’UNFP, le syndicat des joueurs professionnels en France, 25% des footballeurs de Ligue 1 toucheraient à eux-seuls 75% du total des revenus bruts distribués.

Autre inégalité qui, à défaut d’être endigué, tend à être de plus en plus médiatisé : le cas du football féminin.

L’article 3 du préambule de la Constitution de 1946 précise que « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme ». Malgré tout, « la joueuse doit sans cesse faire ses preuves et sa place reste encore bien marginale au sein d’un football essentiellement masculin »[5].

Cette inégalité apparait tant au niveau du statut juridique qu’au niveau des salaires même si en France celle-ci la différence ne résulte pas d’une discrimination mais de la taille du « gâteau » (le marché) selon les termes avancés par Luc Arrondel et Richard Duhotois économistes et spécialistes du football[6].

En France, d’un point de vue juridique, aucune joueuse n’est considérée comme professionnelle à proprement parler, contrairement aux hommes qui signent un contrat avec leurs clubs respectifs, et sont liés à la Ligue de football professionnel (LFP). Les filles dépendent de la Fédération française de football (FFF) et sont sous « contrat fédéral », similaire à celui des amateurs. Néanmoins, dans les faits et en dépit de cette notion juridique, elles agissent toutes comme si elles étaient professionnelles. Si les meilleures peuvent toucher plusieurs dizaines de milliers d’euros par mois, en France, le salaire mensuel moyen d’une footballeuse est de 2494 euros bruts, indique à LCI la Fédération française de football (FFF).

Des voix s’élèvent afin de lutter contre ces discriminations salariales notamment aux Etats-Unis où le soccer féminin est très médiatisé. La sélection Américaine est considérée comme l’une des plus fortes nations du football féminin sur le plan mondial comme le prouve son palmarès, qui en nombre de trophées lui permet d’être l’équipe la plus titrée au monde. La star et capitaine de l’équipe Mégane Rapinoe est l’une des figures de proue du mouvement contestataire. Avec elle, l’équipe féminine américaine engage notamment un contentieux retentissant fait à la Fédération américaine de football, en raison des différences de traitement de rémunérations entre joueurs et joueuses de l’équipe nationale.

Selon le Huffington post « 50% des footballeurs se retrouvent ruinés au moins 5 ans après la fin de leur carrière ». Le taux de chômage, dans ce milieu, dépasserait les 15% et, à chaque période estivale, 25% des footballeurs commenceraient la saison sans contrat. Cette donnée est d’autant plus prégnante chez les footballeuses beaucoup moins bien payées que les hommes malgré le développement du professionnalisme du football féminin.

Le terrain de football :
une industrie qui « consomme » de l’être humain

Dans la stricte logique du libéralisme économique, la notion de « capitalisme sauvage » développé par Pierre Bourdieu [7]renvoi à un modèle économique « sauvage » c’est-à-dire « non-policé » et parfois cruel.

L’arrêt Bosman[8] rendu par la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) le  15 décembre 1995 va jouer un rôle considérable dans ce mouvement d’industrialisation du football.

Le tournant à partir duquel la Communauté européenne s’est occupée du sport et de ses incidences sur la jeunesse porte une date bien précise : 29 mai 1985. 

Ce mercredi soir Liverpool et la Juventus de Turin sont opposés en Finale de la Coupe des Champions. Plus de 60 000 personnes doivent assister à la finale dans l’enceinte du stade du Heysel. Les conditions de sécurité et de confort sont mauvaises, et en raison de nombreuses failles dans le système de contrôle, plusieurs milliers de fans sans billets ont réussi à pénétrer une enceinte déjà pleine à craquer (c’est le cas de le dire).

Suite à un but du club bianconero la violence des hooligans anglais se déchaîne : des spectateurs innocents de la tribune Z, des femmes, des enfants, en grande majorité des italiens, tombent les uns sur les autres. Des scènes de terreur : un mur s’écroule sous la pression humaine, 39 personnes succombent dans des conditions horribles, la plupart asphyxiées.

Le match finira tout de même lieu pour des questions de sécurité car son annulation déclencherait la « vendetta » des tifosi. Le lendemain, Madame Thatcher s’excuse officiellement auprès des italiens pour cet acte de barbarie.

En juillet 1985, un mois et demi seulement après ce drame, le Parlement européen approuve un document sur le vandalisme et la violence dans le sport, qui propose des mesures concrètes pour faire face à ces fléaux à l’intérieur comme à l’extérieur des stades de football.

En même temps, le Conseil de l’Europe adopte une convention à ce sujet qui entre en vigueur dès le mois de novembre.

Ces initiatives, outre que réprimer la violence, poursuivent une stratégie préventive grâce au recours aux campagnes intensives d’information au niveau national.

Mais le véritable déclic est accompli grâce au rapport de Mme Jessica Larive (A3-0326/94) du 29.04.1994. Ce document prévoit tous les problèmes qui caractérisent de nos jours le sport au niveau de l’Union. Il commence par souligner que l’activité sportive est devenue le point de référence centrale de la vie de millions d’Européens et doit faire l’objet d’une attention politique au niveau le plus élevé. Il conclut en proposant d’appliquer au sport la normative communautaire et de combattre, par les moyens appropriés, les dangers qui le menacent car en raison de son succès grandissant et des énormes intérêts en jeu, il risque de devenir l’objet de la convoitise de la criminalité internationale organisée.

Dans ce processus, un rôle notable revient à l’arrêt de la Cour de justice du 15 décembre 1995 en matière de transfert de footballeurs et d’élimination de limites de présence dans les équipes des ressortissants d’autres États membres. L’arrêt 415/93 a produit l’effet d’une véritable révolution ; une large partie de l’opinion publique, des milieux intéressés, des chercheurs l’approuve ne fut-ce que sur la base du principe que « l’homme n’est pas une marchandise ».

En effet cette décision s’inscrit dans la logique de libre circulation des travailleurs posé par le traité de Rome du 25 mars 1957. Le principe de la liberté de circulation est, avec la saine concurrence, un des « piliers » de la construction européenne.

La jurisprudence Bosman n’a fait en réalité que confirmer ce que le juge communautaire avait déjà énoncé deux décennies auparavant, avec l’arret Walrave et Koch (1974), puis Donà (1976). « La primauté du droit communautaire, qui s’exerce à l’encontre des législations nationales, ne pouvait que s’appliquer également aux règles sportives d’origine privée, particulièrement lorsqu’il s’agit de garantir l’exercice des libertés fondamentales reconnues par le traité[9] ».

Mais de nombreux spécialistes et parlementaires sont d’avis qu’il entraînera des conséquences désastreuses. Selon cette thèse, l’arrêt Bosmanrisque d’entraver l’indispensable formation des jeunes, environ 50 % des indemnités de transfert financent les fonds destinés à cette fin et de mettre en danger la survie des petits clubs, tout en entraînant la poursuite des fins commerciales dans le sport. On finirait donc « par couper les liens entre le sport et la vie culturelle et par provoquer le résultat opposé à celui escompté »[10].

En octobre 2011, cette jurisprudence est applicable dans tous les pays de l’Union européenne et concerne tous les ressortissants des États membres de l’Espace économique européen, de Suisse (Accords bilatéraux), de Russie (Accord de Corfou UE-Russie) et des 79 pays ACP (Accord de Cotonou).

L’arrêt Bosman change considérablement le paysage du football européen mais aussi mondiale. Les effets économiques et commerciales redoutées ont été confirmé : multiplication des transferts, la hausse des salaires versés, le renforcement des clubs les plus riches au détriment des moins fortunés, ou le pillage des clubs formateurs qui en résulte…

Le football est devenu une activité économique comme une autre, avec ces exigences de rentabilité et ces règles du calcul économique. Il apparaît comme symptomatiquedes transformations économiques des dernières décennies avec l’accent mis sur la spéculation financière, le caractère irréel de la valeur économique [11] ou l’accroissement des écarts entre les revenus des acteurs.

Cette rationalisation économique du football signifie aussi qu’il existe une industrie des joueurs, la matière première du sport, qui constitue, elle aussi, une diversification des ressources : un joueur n’est pas formé par un club pour porter les couleurs de équipe, « pour l’amour des couleurs », mais parce qu’on doit, par souci de rentabilité, former un produit vendable sur le marché ; outre l’incertitude qui pèse sur l’avenir professionnel de jeunes joueurs mis en concurrence, un joueur change de club selon sa valeur et les moyens et non par fidélité[12].

Si les acteurs du secteur hospitaliers s’insurgent à juste titre contre la tarification à l’activité renvoyant à un fonctionnement des institutions fondé sur le modèle de l’entreprise, les fans de football constatent que cette tendance touche également leurs équipes préférées.

Il est à noter que « bon nombre de supporters « ultras » s’inscrivent en opposition avec les dirigeants du club qu’ils soutiennent, accusés de sacrifier à une « marchandisation » du football qu’ils refusent »[13] pour citer l’ouvrage « Droit(s) du football » rédigé par les Professeurs Thouzei-Divina et Maisonneuve à l’occasion de la troisième édition des « 24h du droit ».

Ce mouvement de contestations entre groupes de supporters historique et direction de club est cristallisé notamment par les politiques commerciales de « merchandising » et de développement des sources de recettes des stades qui poussent à la construction de nouveaux stades ; et, avec ces nouveaux stades, les autorités régulatrices du football semblent attendre un nouveau public, « moins contestataire et « turbulent » – plus spectateur et consommateur »[14].

Les clubs sont donc désormais gérés comme des entreprises ayant le statut sociétés anonymes à but lucratif. Des investisseurs sont à la tête de ces clubs permettant de faire rentrer du capital ou de coter le club en bourse. L’objectif est donc de faire des bénéfices et la matière première de ces entreprises sont les joueurs professionnels.

Cette approche capitaliste du football professionnel s’éloigne de l’époque où les clubs étaient fondés en majorité sous la forme juridique de l’association puisque celle-ci exige un but idéal intrinsèque à l’activité sportive.

Il est possible de remettre en cause l’aspect éthique et moral de ses transitions renvoyant à la question de l’aspect patrimonial du joueur. Les lois bioéthiques de 1994 ont inséré dans le code civil des dispositions protectrice du corps humain.

L’article 16-1 alinéa 3 du Code civil dispose que « Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial ».

De même l’article 16-5 du Code civil prévoit que « Les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles ».

Même si affirmer que ces transitions portent atteintes à l’intégrité corporelle du corps humaine est surement exagéré mais l’approche parfois déshumanisée des joueurs que l’on s’échange comme s’ils étaient de simples monnaies d’échanges interroge toutefois.

L’usage systématique du CDD illustre cette vision pragmatique des clubs qui ne souhaitent se fermer aucune porte.   En effet l’existence d’un contrat de travail à durée déterminée en cours constitue la garantie pour le club employeur de pouvoir monnayer, avec les clubs potentiellement intéressés, la rupture anticipée dudit contrat. C’est le principe même du transfert, qui est juridiquement impossible lorsque le contrat arrive à échéance[15].

Les premières victimes de cette industrie « omnivore » sont les jeunes joueurs qui aspire à devenir footballeur professionnel.

Raffaele Poli chercheur à l’observatoire du football point du doigt cette véritable boulimie des clubs professionnels. « Les clubs achètent beaucoup de joueurs sans avoir un plan spécifique pour chaque joueur, c’est de la consommation. Finalement, peu importe, s’ils arrivent ou pas à percer. Pour les clubs anglais aujourd’hui, quelques centaines de milliers d’euros, ça ne leur coûte pas cher. Pour des jeunes, souvent issus de milieux défavorisés, si on leur offre une prime à la signature pour partir à l’étranger, la tentation est grande… » [16].

L’actualité récente a malheureusement permis d’illustrer ses propos. En effet le 26 octobre 2020, Jeremy Wisten, un garçon de 17 ans natif du Malawi, passé par l’académie de Manchester City s’est donné la mort. Selon la presse anglaise, le jeune défenseur serait tombé en dépression quelques semaines avant son geste, en partie parce qu’il n’avait pas été conservé par le centre de formation des citizens[17].

Ce décès a fait l’objet de vive réaction notamment de la part de joueur professionnel qui se sont retrouvé dans le parcours du jeune Anglais.  Le joueur du FC Nantes Kader qui a connu le chômage et les emplois précaire avant de signer professionnel évoque notamment le manque de qualification de ces jeunes ainsi que le sentiment d’abandon de ceux-ci lorsqu’ils échouent à signer professionnel. 

Afin de protéger le développement personnel du footballeur mineur, le règlement de la FIFA est venu encadrer les transferts des mineurs [18].

Le principe est le suivant : « le transfert international d’un joueur n’est autorisé que si le joueur est âgé d’au moins 18 ans. »

Toutefois larticle 19.2 du Règlement du Statut et du Transfert des Joueurs de la FIFA pose 3 exceptions :

-Si les parents du joueur s’installent dans le pays du nouveau club pour des raisons étrangères au football, par exemple pour des raisons professionnelles. Cependant, il ne faut pas que le ou les parents du joueur soient embauchés par le nouveau club ou qu’il se prévalent d’un faux contrat de travail dont l’unique but est de contourner le règlement FIFA.

-Si le transfert a lieu à l’intérieur de l’UE ou au sein de l’Espace Economique Européen pour les joueurs âgés de 16 à 18 ans.

-Si le joueur vit tout au plus à 50 km d’une frontière nationale et si le club auprès duquel le joueur souhaite être enregistré dans l’association voisine se trouve à une distance de 50 km maximum de la frontière. La distance maximale entre le domicile du joueur et le club doit être de 100 km. Dans ce cas, le joueur doit continuer à habiter chez ses parents et les deux associations concernées doivent donner leur accord exprès.

Ce principe souffre donc de trop nombreuses failles dans lesquelles s’engouffre les clubs professionnels peu scrupuleux.

Le 14 janvier 2016, La FIFA a condamné le Réal Madrid et l’Atlético Madrid à une interdiction de recrutement d’un an, soit pendant 2 mercatos (été 2016 et hiver 2017). Les deux clubs ont été accusés d’avoir violé le règlement FIFA sur les transferts des joueurs mineurs.

Lee Seung Woo joueur coréen du FC Barcelone recruté à l’âge de 5ans (Source site officiel du FC Barcelone).

Les Football Leaks (fuite de documents confidentiels) nous apprenaient que plusieurs clubs, dont l’AS Monaco, contourneraient les règles de transfert de jeunes joueurs. Il serait reproché à l’AS Monaco d’avoir proposé des primes anticipées à la signature à un joueur de 12 ans. A ces primes s’ajouteraient des aides au logement et à la scolarité.

Toujours d’après ces documents, l’AS Monaco aurait versé la somme de 15.000 euros aux parents d’un joueur de 14 ans.

Toutefois affirmer que seuls les jeunes joueurs sont sujets à ces troubles mentaux est une grave erreur qui ne fait qu’accentuer le malaise existant.

Les cas de dépressions et de suicide ne touchent pas uniquement les jeunes joueurs. Ces phénomènes affectent également des joueurs confirmées, rodés et connaissant les rouages du football professionnel. A l’image de la métaphore avancée par le psychopathologue, un déséquilibre affectif personnel combiné à la pression du monde professionnel, peut plonger les plus grands champions au bord de l’abime. 

Le culte de la performance sur et en dehors des terrains

Le milieu du monde du football professionnel est un milieu extrêmement concurrentiel. Les offres d’emplois sont relativement faibles eu égard à une demande toujours plus importante.

Le phénomène de mondialisation et l’apport de l’Arrêt Bosman a étendu le champ de la concurrence.

A titre d’illustration, en 2010 l’équipe italienne de l’Inter de Milan comptais un groupe de 30 joueurs. Sur ces 30 joueurs seulement 4 étaient Italiens.

Par conséquent face à cette forte concurrence, les joueurs se doivent d’être de plus en plus performant quitte à dissimuler leurs failles tant physiques que mentales et ceux dès leur plus jeune âge au sein des centres de formation pilotés par des logiques de performance et de rentabilité[19].

En effet si la blessure physique est fréquente dans le football et abordé sans tabou, ce n’est pas toujours le cas des failles mentales et psychologiques.

Alexandre Le Jeune, psychopathologue du sport au centre médical de Clairefontaine évoque ce constat dans une interview donnée pour le magazine So Foot : « C’est assez paradoxal, car on parle beaucoup de communication, de mental solide, mais ça laisse très peu de place au doute et il est compliqué d’en parler. Ce sont de belles machines qui marchent bien quand tout va bien, mais qui manquent de ressources quand un grain de sable vient l’enrayer ».

Il s’agira d’illustrer cette analyse à travers le cas tragique de Robert Enke.

Capitaine de Hanovre, favori pour garder les buts de la sélection Allemande à la Coupe du Monde 2010, celui-ci s’est jeté sous un train le 10 novembre 2009. Il avait 32ans.

Selon plusieurs journaux sportifs, Robert Enke suivait une thérapie psychologique.

Le gardien de but était suivi depuis 2003 par des psychiatres car il souffrait d’une angoisse aiguë de l’échec.

En Allemagne le drame a ouvert un vaste débat sur la question des maux psychologiques qui peuvent affecter les sportifs de haut niveau. Ainsi à la suite du suicide du portier, il a été décidé de la mise en place obligatoire d’un psychologue au sein de chaque club professionnel Allemand. Décision qui n’a pas empêché Andreas Biermann (33ans) de se donner la mort en 2013.

De plus la performance footballistique à un très haut niveau ne concerne pas uniquement le terrain. L’individus doit pouvoir se frayer un chemin au milieu du public, des médias, dans le vestiaire. Il n’y a donc pas que la performance sportive qui va compter et c’est pourquoi certains trés bon joueurs ne s’imposent pas ou ne réussissent pas à devenir professionnels.

Dans son autobiographie, l’ancienne star allemande Sebastian Deisler qui avait sombré en dépression et qui par conséquent avait pris sa retraite à 27 ans illustre parfaitement cette nécessité de performer sûr mais aussi en dehors du terrain : « au Bayern, tu ne réussis que si tu dis que tu es le meilleur, tu te définis par rapport à ton ego et ta fierté. Je n’ai jamais écrasé les autres, on m’aimait bien pour cela, mais cela m’a aussi valu des problèmes ».

Aujourd’hui, les centres de formation commencent à intégrer ces notions auprès des joueurs. Ils les forment entre autres à la communication avec les médias mais aussi à la pression du public composante du football professionnel.

Le football est, comme chacun le sait, un sport très médiatisé qui alimente les passions du grand public. Cette médiatisation poussée parfois à l’extrême conduit évidemment à de nombreuses dérives.

Les dérives psychologiques dues à l’hypermédiatisation

Dans l’esprit du grand public, les footballeurs sont des privilégiés qui, vulgairement, « gagnent bien leur vie en tapant dans un ballon ». Si bien qu’il est inconcevable pour ce grand public d’entendre que des joueurs soient dépressifs. Les joueurs sont évidemment conscients de cette conception quitte à l’intérioriser et à ressentir un sentiment de culpabilité.

La psychologue du sport Delphine Herblin, qui collabore avec plusieurs joueurs et clubs professionnels s’est expriméesur la question. Selon elle « les footballeurs n’osent pas aller voir des psychologues ou des coachs mentaux. Pour eux, c’est comme si ce n’était pas légitime. Il y a une très forte culpabilité à ne pas aller bien alors qu’ils sont censés aller bien parce qu’ils gagnent beaucoup d’argent et que beaucoup de personnes les envient. Le grand public envie la carte postale. Ils envient la partie visible de l’iceberg et n’imaginent pas la souffrance, la douleur, les doutes que les joueurs vivent au quotidien. Se sentir mal est presque inavouable pour les joueurs. À tel point qu’ils ont complètement intériorisé cela ». [20]

La réflexion de la psychologue met donc en exergue une réalité complexe. Toutefois cette réticence à aller consulter un professionnel tend à être légèrement nuancée dans le sens où les coachs mentaux et les cellules psychologiques se développent progressivement dans la sphère du monde professionnel (Voir plus loin dans le développement).

Ce traitement spécial réservés par les médias et par l’opinion public a tendance à affecter l’estime de soi du joueur. Dans une interview, le footballeur allemand Andre Schürrle, champion du Monde en 2014, avouait que « soit tu es un héros, soit tu es zéro. Il n’y a rien entre ça ». Ce dernier a traversé une profonde dépression après 2014 et a pris sa retraite à 29ans.

Le docteur Herblin compare le traitement accordé au footballeur à celui réservé aux gladiateurs qui « déchaînaient de la ferveur et de la passion de la part d’un public qui tombait en transe et prenait du plaisir à huer, à siffler, à haïr, à acclamer et parfois à voir mourir ces gladiateurs dans l’arène. Ces spectateurs allaient au spectacle et oubliaient qu’ils avaient affaire à des êtres humains derrière leurs tenues de combattants. C’est un peu la même chose avec le football, qui est devenu le sport roi du peuple ».

Le footballeur Sergio Ramos couronne sur la tête célébrant la Undecima du Real Madrid. (source Walfoot)

Cette image relayée par les médias et par l’opinion public peut entrainer de véritables troubles de l’identité. En effet, lorsqu’un joueur est pris pour un héros, ce dernier s’approprie la position du héros tant attendu et il va faire de ces attentes et de cette pression une affaire personnel ce qui constitue un poids énorme sur ses épaules d’autant plus que les joueurs sont souvent très jeunes.

Le risque est donc de s’identifier complètement à l’image relayée par l’opinion public, ce qui peut être dangereux pour leur santé mentale notamment en cas d’échec ou lors de la redouté fin de carrière où les joueurs tombent progressivement et inexorablement dans l’oubli.

En effet la retraite est une véritable petite mort pour ces sportifs qui ont consacré toute leur jeunesse à la pratique intensive de ce sport. Le retour à la vie normale est parfois difficile à encaisser : perte de célébrité, l’absence d’objectifs sportifs, une nécessaire réinsertion professionnelle, des soucis financiers à la suite d’une mauvaise gestion patrimoniale…

Un nombre très important de joueurs choisissent de rester dans le milieu du football à la fin de leur carrière.

A cet égard il existe un véritablement mouvement de solidarité corporatiste dans le monde du football professionnel. La priorité est donnée aux anciens professionnels notamment en ce qui concerne l’octroi de diplôme fédérale permettant d’entrainer à haut niveau mais également au sein des instances dirigeantes du football (Fédération Française de Football, Ligue de Football Professionnel).

La médiatisation implique également de signaler l’évolution du rôle du footballeur professionnel. Certaines stars sont devenues de véritables personnalités publiques au même titre que les hommes politique et par conséquent leurs rôle a progressivement évolué quitte à aller au-delà du simple aspect sportif. Véritable égérie de leur sport certains joueurs se sont vu attribuer un rôle d’exemple, de modèle de réussite impliquant un comportement exemplaire.

Par conséquent les médias font les choux gras des faits divers impliquant les footballeurs ou leurs entourages. Les exemples sont légions. Si la couverture médiatique est souvent pertinente à cet égard et permet de mettre en lumière certaines zones d’ombres concernant la vie et l’entourage de certaines stars du football (confère la mise en examen de Karim Benzema dans l’affaire de la « sex tape » de son co-équipier Mathieu Valbuena), parfois celle-ci se limite à inciter au mépris et à la condescendance (confère les articles de  Ouest France, de la Dépêche, du Figaro couvrant la « dégustation » par le footballeur Ribéry d’une entrecôte recouverte de feuille d’or à Dubai).

Enfin l’hypermédiatisation et la folie collective pousse certains joueurs à vivre reclus dans des lotissements ultra sécurisés, coupés du monde. Des légendes tels que Cristiano Ronaldo ou Leo Messi ne peuvent prendre le risque de sortir dans la rue sous peine d’être littéralement engloutit par la foule. Le génie argentin s’est confié sur ce statut de superstar dans une interview accordée à La Sexta. « C’est vrai que je suis privilégié par rapport à tout ce que j’ai vécu. Mais il y a des moments où j’aimerais être anonyme et pouvoir profiter d’aller au marché, au cinéma ou au restaurant », a avoué l’Argentin. « Je suis toujours reconnaissant, cet amour que je reçois à travers le monde est vraiment spectaculaire. Mais il y a des moments, surtout quand je suis avec mes enfants, où oui, j’aimerais passer inaperçu ».

Lionnel Messi suscite l’hystérie des spectateurs du Camp Nou sur mais aussi en dehors de l’arène (source : Le10sport.com).

Cet enfermement forcé peut évidemment avoir des conséquences néfastes sur la santé de certains footballeurs.

Les conséquences de la crise Covid 19

A l’instar de l’ensemble de la population mondiale civile et professionnelle, la sphère du football professionnel a été touché par l’épidémie de Covid 19 et le virus a marqué les corps mais également les esprits. L’esprit c’est surement ce qu’il fait défaut aux dirigeants de l’Union des associations européennes de football (UEFA) et de la Fédération internationale de football association (FIFA) en cette période de crise sanitaire mondiale.

En effet, malgré les appels répétés et les recommandations des épidémiologistes appelant à la prudence et à la prise de conscience, les instances dirigeantes du football professionnel ont tenté de « dribbler » le covid et les conséquences indésirables ne sont pas faites prier.

En effet l’épidémie cristallise à elle seul l’ensemble des maux du football professionnel : les impératifs économiques ont pris le pas sur les considérations sanitaires et humaines.

Les compétitions se sont déroulées coute que coute quitte à proposer un triste spectacle (interdiction de supporters dans les stades) perdant tout son intérêt au vu du contexte tant pour les spectateurs que pour parfois les joueurs.

C’est le cas notamment de Josip Ilicic parti s’exilé depuis mi-juillet en Slovénie, son pays d’origine, alors même que son équipe concourait en Ligue des Champions (première participation de l’histoire du club) contre le Paris Saint Germain.

Selon le média sportif italien Corriere dello Sport le joueur vit actuellement une dépression étroitement liée aux événements survenus à Bergame ces derniers mois durant l’épidémie du Covid-19. Le Slovène a effectivement eu une jeunesse très difficile, marquée par le décès de son père et de la guerre qui l’avait contraint à fuir le pays.

Rappelons que Bergame a été l’épicentre du virus en Europe. Le déplacement de plus de 40.000 supporters de Bergame à Milan pour assister au match entre l’Atalanta et Valence à constituer d’ailleurs une « véritable bombe biologique » selon Fabiano Di Marco, le responsable du département pneumologie de l’hôpital Papa Giovanni XXIII de Bergame pour qui ce match avait été un accélérateur de la propagation du virus dans la ville.

Supporter de l’Atalanta lors de la rencontre à Milan en plein cœur de l’épidémie de Corona Virus (Source : So foot).

L’autre fait marquant est celui relatif à la quarantaine imposée par le régime aux équipes de la Super League Chinoise.[21]

Les équipes ont été confinées pendant 79 jours (du 19 juillet au 29 septembre), dans le cadre de mesures strictes visant à contrecarrer la pandémie de coronavirus.

Les joueurs, les entraîneurs et les membres des staffs, qui n’était pas autorisé à voir leurs familles et n’étaient autorisés à quitter les hôtels que pour jouer des matches et s’entraîner.

L’objectif était clair : il fallait terminer le championnat.

Cette mise en quarantaine forcée a alerté les médecins Chinois qui ont émis des craintes quant à la santé des joueurs actifs en Chine et plus particulièrement sur leurs santé psychique et mentale.

Le confinement drastique imposé par les pouvoirs publics Chinois a généré des effets secondaires peu surprenant : peur d’être contaminé, solitude en quarantaine, anxiété…Les psychologues chinois ont fait face à un afflux croissant de personnes ayant du mal à surmonter les bouleversements entraînés par l’épidémie de Covid-19.

« Plus la quarantaine est longue, plus les répercussions sur la santé mentale sont importantes », résume un professeur de psychiatrie à l’Université de Melbourne.

En effet selon Franceinfo, plus d’un footballeur sur dix affirme présenter les symptômes d’un état dépressif depuis l’arrêt des compétitions du fait de la pandémie de coronavirus, selon les conclusions d’un sondage dévoilées lundi 20 avril par la Fifpro, le syndicat mondial des joueurs professionnels.

Quelque 1 600 athlètes (1 134 hommes et 468 femmes) évoluant en Angleterre, France, Suisse, Afrique du Sud ou encore aux Etats-Unis – autant de pays où des « mesures drastiques » ont été mises en place pour contenir la propagation du Covid-19 – ont été interrogés entre le 22 mars et le 14 avril. Résultat : « 22% des joueuses et 13% des joueurs ont fait état de symptômes compatibles avec le diagnostic d’une dépression ».

Cet état des lieux des facteurs déterminants peut en partie expliquer ce phénomène de sinistrose qui touche depuis quelques années le monde du football.

Afin de lutter contre la dégradation de la santé mentale du footballeur, une prise en charge des troubles psychosociaux est prévue par le législateur dont l’effectivité incombe en partie comme dans le droit du travail commun à l’employeur.

Bibliographie :

– « Le Premier Homme » publiée en 1994 aux éditions Gallimard.

-«Temps sportif, santé du champion et logique d’urgence » Staps 2012/2-3 (n°96-97), pages 9 à 27

– l’article du Monde du 07/04/2021 « Particuliers, investisseurs, banques : pourquoi la fièvre spéculative se propage ».

-Article du Monde « Les différences salariales entre footballeurs et footballeuses dépendent de la taille du marché » du 25 juin 2019.

-Intervention à la Confédération générale des travailleurs grecs, (GSEE) à Athènes, en octobre 1996. 

-Arrêt de la Cour du 15 décembre 1995 : Union royale belge des sociétés de football association ASBL contre Jean-Marc Bosman, Royal club liégeois SA contre Jean-Marc Bosman et autres et Union des associations européennes de football (UEFA) contre Jean-Marc Bosman.

-Jurisport : « Entre dérégulation et recherche de nouvelles règles » – Colin Miège – RJES 2000, n°56, p.81

– « Le sport dans l’Union européenne et l’arrêt Bosman » – Massimo Silvestro – Alessandro Silvestro – RMCUE 1996. 489

-Patrick Mignon « L’argent du Football ».Pouvoirs 2002/2 (n° 101), pages 89 à 104

-V. par ex. F. Buy, « Les transferts de joueurs », in M. Maisonneuve et M. Touzeil-Divina (dir.), Droit(s) du football, L’Épitoge-Lextenso, 2014

-Règlement officiel de la Fifa encadrant les transferts des joueurs.

-Bertrand, J. (2012). La fabrique des footballeurs. La Dispute. coll. « Corps Santé Société »


[1] « Le Premier Homme » publiée en 1994 aux éditions Gallimard.

[2] « Temps sportif, santé du champion et logique d’urgence » Staps 2012/2-3 (n°96-97), pages 9 à 27

[3] Définition du Ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion

[4] Etude publié par Conservatoire Nationale des Arts et Métiers

[5] V. par ex. F. Buy, « Les transferts de joueurs », in M. Maisonneuve et M. Touzeil-Divina (dir.), Droit(s) du football, L’Épitoge-Lextenso, 2014, p. 147

[6] Article du Monde « Les différences salariales entre footballeurs et footballeuses dépendent de la taille du marché » du 25 juin 2019.

[7] Intervention à la Confédération générale des travailleurs grecs, (GSEE) à Athènes, en octobre 1996. 

[8] Arrêt de la Cour du 15 décembre 1995.
Union royale belge des sociétés de football association ASBL contre Jean-Marc Bosman, Royal club liégeois SA contre Jean-Marc Bosman et autres et Union des associations européennes de football (UEFA) contre Jean-Marc Bosman.

[9] Cité par Colin Miège Jurisport : « Entre dérégulation et recherche de nouvelles règles »– RJES 2000, n°56, p.81

[10] Cité par Massimo Silvestro « Le sport dans l’Union européenne et l’arrêt Bosman »– Alessandro Silvestro – RMCUE 1996. 489

[11] Cité par l’économiste Gunther Capelle-Blancard dans l’article du Monde du 07/04/2021 « Particuliers,investisseurs,banques : pourquoi la fièvre spéculative se propage ».

[12] Cité par Patrick Mignon « L’argent du Football ».Pouvoirs 2002/2 (n° 101), pages 89 à 104

[13] V. par ex. F. Buy, « Les transferts de joueurs », in M. Maisonneuve et M. Touzeil-Divina (dir.), Droit(s) du football, L’Épitoge-Lextenso, 2014, p. 147

[14] 2 V. Rapport des membres de la Mission Avenir du Football, « Football et société – Le Livre blanc », 2008, p. 41 ; Livre vert du supportérisme… ; op. cit. ; p. 25 : « En somme, les nouveaux stades doivent proposer différents espaces en fonction des attentes de leurs différents publics. Et il importe de s’assurer qu’aucun type de public ne dissuade d’autres types de publics de fréquenter le stade »

[15]  V. par ex. F. Buy, « Les transferts de joueurs », in M. Maisonneuve et M. Touzeil-Divina (dir.), Droit(s) du football, L’Épitoge-Lextenso, 2014, p. 147.

[16] Les jeunes joueurs africains

Des migrants à “forte valeur ajoutée” dans le système productif international des footballeurs professionnels

Bertrand Piraudeau

« Migrations Société » 2011/1 (N° 133), pages 11 à 30

[17] Paris Match « Manchester City pleure la mort tragique d’un ancien jeune joueur de 17 ans »

 Publié le 26/10/2020

[18] Règlement officiel de la Fifa encadrant les transferts des joueurs.

[19] Bertrand, J. (2012). La fabrique des footballeurs. La Dispute. coll. « Corps Santé Société »

[20] Article Foot Mercato publié le 24/07/2020

[21]Article So Foot « Le football Chinois lui aussi en Quarantaine » rédigé par Nicolas Jucha le mardi 4 février 2020

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ;
Chronique Droit(s) de la Santé ; Art. 335.

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ParJDA

L’accompagnement de la personne en fin de vie & le bénévole

Art. 334.

Le présent article rédigé par Mme Dr. Lucie Sourzat, Maître de conférences en Droit public, Université de Lille, s’inscrit dans le cadre de la 3e chronique en Droit de la santé du Master avec le soutien du Journal du Droit Administratif.

(c) L. Sourzat

Entretien avec Valérie Revol
Présidente de l’Association pour le développement des Soins Palliatifs de Toulouse

Lucie SOURZAT - Maître de conférences en Droit Public - Université de Lille  | LinkedIn

par Lucie Sourzat,
Maître de conférences en Droit public, Université de Lille

La récente célébration des 5 ans de la loi Claeys-Léonetti du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie[1] ainsi que les effets de la crise sanitaire nous ont semblé être l’occasion d’engager une réflexion sur l’état des soins palliatifs en France avec une analyse plus spécifique portée sur l’accompagnement des personnes en fin de vie par le bénévole. 

L’article L.1110-10 du Code de la santé publique mis en place par la loi Kouchner relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé du 4 mars 2002 définit les soins palliatifs comme des « soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile visant à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage ».

Les soins palliatifs apparaissent comme un sujet d’actualité à commencer par l’inégalité d’accès à ces derniers. En effet depuis le début des années 2000, de nombreux rapports et enquêtes ont été rendus à ce propos. On pense notamment au dernier rapport de l’IGAS relatif à l’évaluation du plan national 2015-2018 pour le développement des soins palliatifs et l’accompagnement en fin de vie publié au mois de février 2020 ou encore aux données de l’Atlas 2020 des soins palliatifs du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie.  Or si à la lecture de ces derniers, on note que de nombreux efforts ont été menés pour le développement des soins palliatifs, l’accompagnement de la personne en fin de vie soulève encore de nombreux questionnements. Certains d’entre eux ont été d’autant plus révélés par la crise sanitaire liée à l’épidémie de SARS-CoV-2.

En effet si la personne accède aux soins palliatifs, la question des modalités de sa prise en charge se pose. Hormis celle de la structure qui doit accueillir la personne (unité de soins palliatifs, équipe mobile de soins palliatifs, lit identifié de soins palliatifs, hospitalisation à domicile…), l’article L.1110-11 du Code de la santé publique prévoit aussi un soutien de la personne par des « bénévoles, formés à l’accompagnement de la fin de vie et appartenant à des associations qui les sélectionnent ». Seul bénévolat dont la formation se trouve strictement encadrée par la loi en application de la loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs[2], ces bénévoles « peuvent, avec l’accord de la personne malade ou de ses proches et sans interférer avec la pratique des soins médicaux et paramédicaux, apporter leur concours à l’équipe de soins en participant à l’ultime accompagnement du malade et en confortant l’environnement psychologique et social de la personne malade et de son entourage »[3]. Plusieurs associations, quasiment toutes créées dans les années 1980 et réparties sur l’ensemble du territoire, se trouvent aujourd’hui impliquées dans l’encadrement de ces bénévoles comme, par exemple, l’Association pour le développement des soins palliatifs, mais aussi les Petits frères des pauvres, Alliance, Jalmalv, Albatros ou encore Pierre Clément, poursuivant toutes une mission identique : accompagner la personne en fin de vie.

Afin de mieux comprendre le fonctionnement de ce système, nous sommes allés à la rencontre de l’association pour le développement des soins palliatifs (« ASP ») de Toulouse. Une discussion avec la Présidente de l’association, Madame Valérie Revol, nous a permis de mieux comprendre non seulement comment se traduit concrètement la mise en œuvre de l’article L.1110-1 du Code de la santé publique précité, mais aussi comment les soins palliatifs et plus largement la mort se trouvent désormais perçus.

1. L’association pour le développement des soins palliatifs confrontée au rejet la finitude de l’Homme

L’ampleur des missions poursuivies par l’ASP révèle par ailleurs les difficultés auxquelles cette dernière peut se trouver confrontée en raison de la solitude dans laquelle les personnes peuvent se trouver face au deuil.

Une mission de grande ampleur

L’Association pour le développement des Soins Palliatifs de Toulouse est créée le 5 janvier 1988. Elle est membre de l’Union Nationale des Associations pour le développement des Soins Palliatifs dont le siège social se trouve à Paris (UNASP) et qui fédère 70 ASP assez bien réparties sur le territoire français métropolitain et outre-mer pour un total d’environ 5000 bénévoles dont 95 à Toulouse.

Plusieurs objectifs sont décrits par les statuts de l’ASP Toulouse. La diversité de ces derniers révèle l’ampleur de sa mission allant de l’accompagnement de la personne en fin de vie comme de la personne endeuillée jusqu’à la promotion et à la sensibilisation aux soins palliatifs auprès des citoyens comme des professionnels de santé :

  • Développer et faire connaître les soins palliatifs ;
  • Prodiguer l’accompagnement spécifique afin d’améliorer le soutien de toute personne et son entourage en situation de soin palliatif et/ou de deuil ;
  • Promouvoir la culture palliative et/ou l’approche du deuil auprès des professionnels de santé et du grand public ;
  • Dispenser toute formation utile à cet égard ;
  • Organiser tout séminaire, colloque, journée d’étude et de manière générale, toutes activités pouvant concerner les soins palliatifs et/ou l’approche du deuil.

Une mission délicate et difficile

La mission est lourde car les rituels de la société qui portent le deuil s’amenuisent depuis de nombreuses années. La personne se trouve de plus en plus seule avec sa douleur. Le but de l’ASP réside justement dans le fait de pallier cet écueil et de venir soutenir la personne, l’écouter, ne pas nier l’évènement en lui permettant de faire part de sa détresse, de sa colère, de son angoisse, et ce jusqu’à l’acceptation, sans pour autant se substituer à la famille.

Or qu’il s’agisse de l’accompagnement du deuil ou de la personne en fin de vie, les ASP semblent malheureusement souffrir d’un net déficit de notoriété. En effet le rejet par notre société de l’idée de la finitude de l’être humain et de la souffrance qui en résulte en est sûrement l’une des principales explications. D’ailleurs la crise sanitaire liée à l’épidémie de SARS-CoV-2 a été l’un des révélateurs du dit phénomène. Tel que l’énonce la Présidente de l’ASP Toulouse, tout d’un coup « notre société a eu le sentiment de côtoyer la mort alors que celle-ci est habituellement effacée, voire niée, tout en redécouvrant que l’être humain est vulnérable et mortel ».

2. L’action des bénévoles strictement encadrée par la loi : une singularité motivée par la mission de l’association 

Les bénévoles des associations comme l’ASP voient leur intervention « labélisées » par une formation très strictement encadrée ainsi que par un nécessaire conventionnement avec les établissements de santé.

Une formation strictement encadrée par la loi 

Le Code de la santé publique encadre très strictement le bénévolat lié à l’accompagnement de la personne en fin de vie. Il s’agit là du seul cas français de formation obligatoire du bénévolat. Le rôle de l’ASP réside ainsi dans la sélection et la formation des bénévoles. L’article L.1110-11 du Code de la santé publique prévoit notamment le respect d’une charte définissant les principes que les bénévoles sélectionnés doivent respecter dans leur action. Ces principes comportent notamment le respect des opinions philosophiques et religieuses de la personne accompagnée, le respect de sa dignité et de son intimité, la discrétion, la confidentialité et l’absence d’interférence dans les soins. L’ASP Toulouse a bien évidemment adhéré à la charte des soins palliatifs dont la dernière version élaborée par l’UNASP et l’ASP Fondatrice date de 2010.

La formation du bénévole est plus que rigoureuse. D’abord la sélection à l’aide d’un entretien mené par deux bénévoles spécialement formés. Pendant une heure la personne est interrogée à partir de trois grands axes. D’abord sur ses motivations : les raisons de son choix, sa disponibilité, sa connaissance de l’association, l’expérience du bénévolat et du travail en équipe. Puis c’est sur la question de l’accompagnement en lui-même que le candidat est ensuite interrogé : quelle sera sa représentation et son rôle en tant que bénévole d’accompagnement et quelles sont ses réflexions sur la Charte. Enfin c’est plus spécialement sur sa vision de la mort que l’entretien se clôture : quelles sont ses croyances et sa philosophie, quelle est son expérience avec le deuil ou encore a t’il déjà accompagné quelqu’un en fin de vie.

Une fois l’avis des deux « recruteurs » recueilli et uniquement si ce dernier est favorable, le dossier est transmis à un psychologue menant à son tour un second entretien avec le candidat. En cas d’avis défavorable de la part du psychologue, un entretien entre ce dernier et les premiers recruteurs est requis.

Une fois ces deux premières étapes franchies, le candidat bénévole démarre une formation d’une durée d’environ neuf mois dont le programme est arrêté par la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (« SFAP ») imposant une base minimum. C’est au sein d’une seule et même promotion qu’il doit suivre différents modules théoriques et pratiques autour de la fin de vie, des soins palliatifs, de l’écoute, du deuil, de la personne âgée, des groupes de parole sans oublier la mise en place de nombreux jeux de rôle.

À la fin de la formation, le candidat se voit confiée une liste de coordinateurs à consulter en vue de mesurer et de comprendre le fonctionnement de chaque équipe, occasion aussi d’avoir une expérience plus pratique. Puis on lui demande de faire trois choix c’est-à-dire de choisir trois secteurs dans lesquels il souhaiterait intervenir. On note alors que le bassin de recrutement se trouve assez tourné vers les établissements du centre-ville laissant une fois de plus les secteurs périphériques et principalement la ruralité de côté. Un constat qui, malheureusement, ne cesse de se confirmer dès que la question de la fin de vie est envisagée.

Un entretien post, visant à s’assurer des motivations de la personne, valide la candidature. Bien que cela soit rare, il se peut que la formation d’un candidat soit arrêtée en cours de route si son profil ne convient pas.

Enfin au-delà de la formation imposée des bénévoles, l’ASP organise aussi des formations pour les équipes soignantes par des professionnels médecins, psychologues, assistantes sociales, juristes. Toutefois les contraintes liées au dispositif « développement professionnel continu » (« DPC ») initié par la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires du 21 juillet 2009 ou encore à la certification a malheureusement rendu cette mission marginale. Cet écueil laisse alors la place à la signature de conventions avec des organismes certifiés plus à même de prendre en charge la formation des soignants.

Le nécessaire conventionnement avec les établissements de santé

L’annexe n°5 de la circulaire de la Direction de l’Hospitalisation et de l’Organisation des Soins (DHOS) du 25 mars 2008 relative à l’organisation des soins palliatifs détaille quant à elle les missions et obligations du bénévolat en matière de soins palliatifs et ce quel que soit l’association qui les encadre. Il y est notamment précisé que « les associations d’accompagnements qui organisent l’intervention des bénévoles dans des établissements de santé sont constituées par un ensemble de personnes issues de la société civile et du monde de la santé qui se mobilisent pour améliorer les conditions de vie des personnes en souffrance et de leur environnement, confrontés à la maladie grave, au grand âge, à la mort et au deuil ». Un esprit de partenariat avec les professionnels de santé anime l’action de ces associations.

Afin de respecter au mieux ces obligations, chaque association doit alors signer une convention avec les établissements concernés par leur intervention. La convention type prévue par l’article R.1110-1 du Code de la santé publique renvoyant à l’annexe 11-1 du même code précise que l’association assure la sélection, la formation à l’accompagnement et le soutien continu des bénévoles ainsi que le fonctionnement de l’équipe de bénévoles. Quant à l’établissement d’accueil, ce dernier s’engage à préparer par des actions de sensibilisation son personnel et les intervenants exerçant à titre libéral à l’intervention des bénévoles de l’association.

Si la signature de telles conventions apparait comme la condition sine qua non à l’intervention des bénévoles au sein des établissements de santé, elle se trouve tout autant utile pour ces derniers en vue de remplir le critère pour l’accompagnement en soins palliatifs identifié parmi tous ceux nécessaires à leur certification pour la qualité des soins et nécessaire à l’obtention d’unités de soins palliatifs (« USP ») ou de lits identifiés en soins palliatifs (« LISP »).  Des rencontres entre l’ASP et les inspecteurs, si elles sont rares, sont cependant possibles.

3. Le constat d’un accès encore difficile aux soins palliatifs

L’accès aux soins palliatifs demeure encore difficile et l’une des solutions réside avant tout dans la promotion de la culture palliative.

Des causes multifactorielles

Si la Présidente de l’ASP salue les progrès ayant été faits au niveau des droits des malades ou dans la formation des professionnels à la culture palliative, l’accompagnement de la personne en fin de vie demeure une réalité encore difficile à accepter dans une société prônant le jeunisme et le dynamisme. Les lois Kouchner, Leonetti et Claeyes-Leonetti sont de véritables victoires à ne pas négliger, mais il y a encore beaucoup à faire.

En outre, tel que le souligne l’IGAS dans son dernier rapport publié au mois de février 2020, « en ce qui concerne les 10 000 bénévoles qui seraient regroupés dans 350 associations, plusieurs problèmes se posent. Le personnel des établissements de santé et des établissements médico-sociaux valorise encore insuffisamment l’accompagnement et le bénévolat. Les aides aux associations financées par la CNAM demeurent également d’un niveau modeste : en 2017, 180 associations ont été financées pour un montant de 1 175 485 € qui couvre 50% des dépenses de formation engagées »[4].

Ainsi donc de nombreuses personnes peu entourées demeurent esseulées et n’ont pas accès aux dispositifs que nous venons de présenter. En effet le lien avec les ASP ne s’effectue en général que grâce aux équipes soignantes et aux réseaux comme le réseau de santé Relience. C’est bien souvent l’équipe mobile, ou par le biais des LISP, que le lien est fait et ce principalement entre les services de pneumologie ou de cardiologie et les ASP. Quant aux établissements de santé de très grande envergure comme les CHU, il peut arriver qu’il n’y ait paradoxalement aucun lien entre les associations et les services confrontés à ce type de situation. Finalement cela dépendrait bien souvent de la culture palliative entretenue par le Chef de service préférant développer avant toute chose le curatif au détriment du palliatif.

Des difficultés importantes se trouvent aussi au niveau des EHPAD et de l’accompagnement à domicile. Entre un nombre trop nombreux d’EHPAD et un nombre insuffisant de bénévoles, ces établissements ne bénéficient souvent pas de l’intervention du soutien des ASP. En ce qui concerne l’intervention au domicile de la personne, si cela est théoriquement possible, c’est en réalité délicat et ce en dépit du conventionnement avec le réseau Relience et les HAD. Il faut savoir garder sa distance et être vigilant. Selon les mots de la Présidente « on rentre dans l’intimité mais on n’est pas l’intime de la personne » car seulement des représentants de la société civile. Dans tous les cas, l’intervention d’un binôme est préconisée par l’association.

Enfin l’impact de la crise sanitaire liée à l’épidémie de SARS-CoV-2 a participé à révéler le caractère essentiel de la prise en charge palliative. En effet lors du premier confinement les directeurs d’établissement de santé, parce que dépassés, ont été contraints de fermer les portes aux bénévoles accompagnant habituellement les personnes en fin de vie, accentuant d’autant plus les insuffisances liées à la prise en charge palliative.

Des solutions reposant sur la promotion de la culture palliative

L’ASP continue de poursuivre sa mission de promotion de la culture palliative et des droits des personnes à travers des congrès, des conférences, l’édition de plaquettes mais aussi grâce à sa participation à la Journée mondiale des soins palliatifs. L’organisation de manifestations comme des expositions dans les facultés de médecine, de pharmacie, au sein du pôle de formation des métiers de la santé ou bien en intervenant au sein de DU, de DIU ou encore dans les IFSI et IFRASS sont autant de moyens utiles pour promouvoir l’importance de l’accompagnement de la personne en fin de vie et des soins palliatifs. Le dernier projet en date réside dans l’obtention des fonds pour la mise en place d’un « pallia-truck » avec le soutien de l’Agence Régionale de Santé et de partenaires privés et s’inscrivant dans une opération de communication type hôpital hors les murs.

Finalement si la diffusion de la culture palliative apparait comme indispensable en termes de santé publique, et ce notamment en raison du vieillissement croissant de la population, on constate qu’elle l’est aussi par son apport aux disciplines autres que strictement médicales…


[1] Loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, JORF n°0028 du 3 février 2016.

[2] Loi n° 99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs, JORF n°132 du 10 juin 1999.

[3] Article 10 de la loi n°99-477 du 9 juin 1999 dans sa version initiale. Codification à l’article L.1110-11 du Code de la santé publique par l’article 9 de la loi n°2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, JORF du 5 mars 2002, Texte n° 1.

[4] Rapport IGAS, Évaluation du plan national 2015-2018 pour le développement des soins palliatifs et l’accompagnement en fin de vie, juillet 2019 (publié en février 2020), p.28, n°76.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ;
Chronique Droit(s) de la Santé ; Art. 334.

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ParJDA

Le métier d’agent des services hospitaliers un métier essentiellement sanitaire ? (I / II)

Art. 333.

par Mme Léa Bernard, Doctorante en droit public, Université Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou

Le présent article rédigé par Mme Léa Bernard, Doctorante en droit public, Université Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou, s’inscrit dans le cadre de la 3e chronique en Droit de la santé du Master avec le soutien du Journal du Droit Administratif.

Avant-propos

« Pour faire face à la 3e vague, qui nécessite des ouvertures de lits et donc du personnel, l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris organise des formations rapides de trois jours en réanimation pour des infirmiers de bloc opératoire, de services de médecine, et des étudiants qui vont être appelés à la rescousse[1] ».  Si l’ensemble des acteurs en santé ; des établissements de santé et en particulier ceux publics ou bien dans les structures du secteur médico-social ont été sollicités pendant le confinement, ils le seront encore durant cette année 2021. Le secteur du médico-social comprend différentes structures[2] :  Maisons d’Accueil Spécialisé (MAS) ; Etablissements ou Services d’Aide par le Travail (ESAT) ; Etablissements d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes (EHPAD), qui a été au cœur de l’information médiatique quant aux vaccins et de ces résidents.

Aujourd’hui, le secteur du médico-social, en particulier dans les EHPAD, connait des difficultés dans le recrutement du personnel[3]. Cependant, le pourcentage de personnes âgées dans notre population va s’accroitre. A titre d’exemple, le ministère du travail chiffre que « aujourd’hui, la France compte 1,5 million de personnes de 85 ans et plus. A l’horizon 2050, elles seront 4,8 millions[4]». D’autant que ces personnes arrivent de plus en plus âgées et dépendantes dans les établissements. Ainsi, une augmentation des établissements et du personnel semble nécessaire. Pour exemple, la région Occitanie compte « plus de 58.000 personnes âgées en EHPAD et plus de 36.000 salariés en EHPAD[5] ».  Un grand nombre de ces salariés sont les Agents des Services Hospitaliers (ASH).

Ils exercent aussi bien dans les structures privées que publiques. Il convient de préciser d’emblée que nous parlerons d’ASH pour parler de l’ensemble des agents. En effet, une distinction est à opérer avec les ASH du secteur public qui une fois titularisés, appartiennent au corps des Agents du Service Hospitalier Qualifiés (ou ASHQ). Ce corps a fusionné en 2007 avec le corps des aides-soignants[6]. L’ASH peut être sous contrat de droit privé comme les contrats à durée déterminée ou durée indéterminée, en contrat de mission, plus communément appelé « intérim », mais aussi fonctionnaire titulaire de catégorie C et sous CDD ou CDI de droit public. « Les emplois dans les établissements évoluent et font appel à de nouvelles fonctions, spécifiques aux lieux de vie pour personnes dépendantes[7]». Dans un souci d’attractivité, le gouvernement a fait le choix de créer un nouveau titre professionnel d’Agent de Service Médico-Social (ASMS) [8] afin de répondre au mouvement de labélisation des EHPAD.

Nous constaterons que les ASH sont des agents polyvalents, ils ont pour mission essentielle l’hygiène, mais ils participent également à d’autres missions de « conforts ». La nouvelle certification professionnelle d’ASMS reprend des missions des ASH ce qui permet une première reconnaissance de l’ensemble des missions dans le secteur (I).  Néanmoins les ASH vont parfois jusqu’à exercer les missions des aides-soignants à travers le mécanisme de la Valorisation des Acquis d’Expérience (VAE). Cette VAE permettait difficilement aux ASH d’obtenir auprès des Institut de Formation d’Aide-Soignant (IFAS) le diplôme d’aide-soignant. Cependant face à l’urgence actuelle, le gouvernement a fait le choix de mettre en place des formations dites « accélérées » pour les ASH, ce qui pourrait faciliter à postériori l’admission à l’IFAS (II).

Partie 1 : Une nouvelle formation au métier d’ASH soutenue par la labélisation des EHPAD

Un agent polyvalent du secteur médico-social 

Imaginé par beaucoup comme le « personnel de ménage » l’agent des services hospitaliers a pourtant une mission de désinfection nécessaire dans les lieux de soin ou d’hébergement (A). Une nouvelle formation d’ASMS pourrait à terme créer un nouveau métier et une meilleure reconnaissance professionnelle dans le secteur médico-social (B)

A) Une faible reconnaissance du métier multitâche des ASH dans les établissements du médico-social

Le métier d’ASH peut être accessible par un CAP « propreté hygiène », bien qu’il existe de nombreux recrutements sans que l’agent ne possède ce ou d’autres diplômes. Les ASH sont en majorité des femmes (84.8%)[9] dans la fonction publique.

Nous pouvons constater au regard de la fiche Rome[10], que l’agent peut effectuer le service hôtelier, cela se traduit par la mise en place des salles à manger, distribution des repas, desserte, etc… Également, le brancardage et la stérilisation de matériel médicochirurgical[11] quand bien même il existe deux métiers consacrés à ces missions[12]. Ainsi, et toujours selon la fiche Rome, l’agent peut intervenir dans les morgues. Dans la très grande majorité de son temps l’ASH va réaliser des « décontaminations ». Plus précisément, l’agent, afin d’éviter la propagation d’infections nosocomiales, va effectuer un « bionettoyage ». Il s’agit d’un protocole sanitaire strict afin d’éviter toute contamination envers le personnel et les autres patients. A titre d’exemple, l’ASH va parfois effectuer des protocoles de bionettoyage pour des chambres dites « BMR » (Bactérie Moyennement Résistante) ou « BHR » (Bactérie Hautement Résistante).

Dans ces différents cas il respecte le protocole prévu à cet effet et parfois avec du matériel de protection (surblouse, surchaussure, masque etc…). Il faut bien comprendre que l’ASH intervient pendant le séjour du patient et à sa sortie.

 Ces décontaminions ont lieu, la majeure partie du temps, en même temps que les cycles de travail des aides-soignants et des infirmiers. De ce fait, il est parfois nécessaire d’organiser le bionettoyage afin de ne pas interférer avec les autres personnels.

Il est d’autant plus intéressant que ceux-ci sont sous une hiérarchie de fait. Si pour certains, «la chaine de délégation de taches des médecins vers les infirmières et de celles-ci vers les aides-soignants ne descend pas plus bas. Les aides-soignants n’ont aucune catégorie de personnel sur laquelle s’appuyer pour se professionnaliser. Il y a à l’hôpital des ash mais leur définition de poste les cantonne aux taches de manutention et de ménage éloignée des patients[13] ». Pourtant dans les faits l’ASH, tant dans ces taches que dans la manière de les réaliser, est sous une hiérarchie de fait des Aides-soignants et infirmiers. En effet, les chambres contaminées sont signalées par les infirmiers et aide soignants ce qui de facto conditionne la tache de décontamination de ASH.

Cependant, il faut bien comprendre que l’agent ne doit pas interférer avec les protocoles soignants et doit s’adapter au cycle de soins – repas – test médical. Ainsi, des priorisations doivent être effectuées par les agents afin de ne pas entraver le cycle, mais il n’est pas rare que ces priorisations ne soient pas respectées pour diverses raisons : nouveau patient en chambre, sortie immédiate, patient en soins intensifs, BHR finalement découverte et parfois délégation de tâches comme le service hôtelier et la desserte des repas.

Enfin, il est intéressant de constater que la fonction publique hospitalière permet à un ASHQ qui possède huit années d’expérience de rentrer à l’IFAS. En effet, le décret du 3 aout 2007[14] permet après avis de la commission administrative paritaire 25% de recrutements parmi les ASHQ à la formation d’aide-soignant. Ces évolutions sont très peu présentes dans le privé, d’autant plus que le post ASH ne possède pas de formation certifiée ou diplômante. Alors que le médico-social ne bénéficie pas d’une attractivité très forte, notamment dû à des conditions de travail difficiles et peu gratifiantes. Pourtant les besoins dans le secteur médico-social ne vont que s’accroitre.

L’ASH ne bénéficie que de peu de reconnaissance, mais pour améliorer l’attractivité du secteur, le gouvernement a fait le choix d’une nouvelle certification professionnelle et donc par la même occasion une (petite) reconnaissance du travail dans le secteur médico-social.

B) Une formation de l’agent polyvalent renforçant l’attractivité du secteur

La création du titre professionnel d’agent de service médico-social est publiée au journal officiel le 30 juillet 2020[15]. Il est classé niveau 3 du cadre national des certifications professionnelles, c’est-à-dire ancien niveau V[16] et correspond au niveau CAP[17]. La formation est de 3 mois et 455h[18] et s’oriente autour de 3 blocs de compétences :« 1° Réaliser le nettoyage et le bionettoyage des locaux en s’adaptant à la présence des résidents ;2° Contribuer aux prestations du service hôtelier en respectant les standards de qualité de l’établissement ;3° Accompagner le résident dans les gestes de la vie quotidienne en tenant compte du projet d’accompagnement personnalisé [19]». Les semaines de formations théoriques sont accompagnées de semaines de stage en entreprise.

L’agent pourra être employé dans diverses structures du médico-social (EHPAD, petites unités de vies, résidence autonomies, accueils de jour). « La qualification des agents de service en établissements médicaux sociaux est déterminante pour répondre à l’enjeu sociétal d’accompagnement des personnes dépendantes. En offrant un premier niveau de qualification, le titre ASMS peut contribuer à l’attractivité du secteur[20] ».

Il convient de s’intéresser plus précisément aux modules et par conséquent aux compétences des ASMS. D’abord, comme pour l’ASH, l’ASMS réalisera des bionettoyages afin de préserver la santé des patients-résidents et éviter la propagation de virus, avec des protocoles précis. « Le titre professionnel permet de répondre à des exigences croissantes en termes de normes de qualité, d’hygiène et de sécurité en lien avec les démarches de certification des établissements[21]».

Ensuite l’agent contribue au service hôtelier, c’est-à-dire que l’agent va préparer la salle, dresser les plateaux, aider le patient à prendre une collation et nettoyer la salle après usage. Plus important, l’agent effectue le service hôtelier selon les consignes du responsable soignant et en respectant les standards de l’établissement. Comme nous l’avons déjà souligné ces standards ont pour but de répondre à l’objectif de certification de ces établissements. Ici nous avons un exemple de la hiérarchie expliquée supra.

Il faut bien comprendre que cette certification professionnelle ne créée par un nouveau métier d’agent du service médico-social, mais une formation d’agent qui permet de postuler divers postes tels que celui d’ASH ou d’agent du service hôtelier, mais en ayant en plus une formation certifiée et qui comprend des heures d’études sur l’accompagnement du résident.

D’ailleurs, nous constatons que la fiche Rome des ASH est la fiche de rattachement des ASMS[22]. Ainsi, cette nouvelle certification professionnelle bénéficie d’une reconnaissance de ces tâches et cette reconnaissance accompagne bien évidemment ce mouvement de labélisation des lieux d’hébergement. Bien que déjà fortement reconnue et rappelée, cette nouvelle certification renforce, là aussi, les droits des usagers. Pour illustrer ce renforcement, nous constatons dans le référentiel d’évaluation de la formation que l’ASMS accompagne le résident en tenant compte du projet d’accompagnement personnalisé.

Nous rappelons que depuis la loi du 2 janvier 2002[23], il est imposé dans les établissements, service social et médico-social, la conclusion d’un contrat de séjour ou d’un document individuel.  « Le contrat de séjour ou le document individuel de prise en charge définit les objectifs et la nature de la prise en charge ou de l’accompagnement dans le respect des principes déontologiques et éthiques, des recommandations de bonnes pratiques professionnelles et du projet d’établissement ou de service[24] ». Ils comportent le projet personnalisé d’accompagnement. Ainsi, Les équipes des établissements réalisent leurs missions dans le cadre d’un projet personnalisé d’accompagnement[25] . Ce projet « […]; 2° Comporte une composante thérapeutique, éducative et pédagogique ; 3° Propose des modalités d’accompagnement diversifiées, modulables et évolutives. [..] 4° Détermine les étapes de la prise en charge, la périodicité des bilans et les modalités du suivi mis en place pour garantir une intervention évolutive et adaptable[26] […] ».

Il est donc logique que l’agent ait d’une part une formation qui étudie les droits du patient et le respect de son autonomie puisqu’il sera intégré dans une équipe pluriprofessionnelle et participera aux transmissions. D’autre part, qu’il exerce ses missions en respectant le projet d’accompagnement personnalisé. Par exemple, cette obligation peut s’illustrer par « la communication de l’agent avec le résident permet de recueillir son adhésion L’accompagnement à l’habillage du résident respecte ses habitudes et son autonomie. Les mouvements constitutifs du déplacement naturel du résident sont favorisés[27]».

L’absence de respect du projet d’accompagnement, peut justifier une faute grave du salarié. En l’espèce, bien que la salariée ait eu connaissance de l’existence du projet et des démarches d’accompagnement à l’égard de la résidente, la salariée « en totale contradiction avec le projet d’accompagnement personnalisé de cette Résidente […]  vous ne l’avez pas aidé à se déplacer et lorsqu’elle est tombée, tout en criant sur la Résidente, vous avez usé de votre force physique en la tirant violemment par le bras gauche pour lui faire prendre sa douche de force[28]».

Finalement, la certification de l’ASMS participe à répondre aux futurs besoins dans les services médico-sociaux et particulièrement EHPAD. Ces nouvelles certifications et formations proposées permettent une meilleure reconnaissance du panel de missions que les agents effectuent dans les EHPAD. On le sait pour le moment l’ASMS n’est qu’un titre pouvant permettre l’accès à l’emploi d’ASH, néanmoins nous pouvons nous demander si un futur métier d’agent du service médico-social n’a pas à terme vocation à être créé mais surtout à remplacer les ASH du médico-social ? En effet, comme nous l’avons vu ASH est un agent polyvalent car il effectue diverses missions (hôtelleries, hygiène, « confort » des patients) et l’ASMS reprend justement ce bloc de compétence à travers la formation certifiée. Nous ne pouvons pas, pour le moment, répondre à cette question, d’autant plus qu’avant l’arrêté du 7 janvier 2020 beaucoup d’ASH étaient employés pour exercer les missions des aides-soignants dans le cadre d’une VAE. Ce qui donnait lieu à des situations précaires et une maigre reconnaissance de l’expérience des « faisant fonction de » dans le médico-social.

            Les ASH n’ont en principe pas vocation à effectuer des soins sur les patients-résidents, mais dans le cadre d’une VAE ils y sont autorisés. Celle-ci les placent dans une situation de précarité avec des « vacs » et souvent employés à un salaire moins élevé. Plus encore, bien qu’effectuant certaines missions des aides-soignants ils n’ont pas bénéficié de prime liée à la situation du Covid19. Pourtant, du fait de la situation sanitaire actuelle le gouvernement vient de faire le choix de créer des formations accélérées à l’intention des ASH pour remplir des missions d’aide-soignant.


[1] JULIA. Véronique « Covid : nous avons assisté à une formation accélérée pour renforts en réa à l’APHP » France Inter 24 mars 2021 6h07.

[2] Article L 312-1 Code de l’action sociale et des familles pour une liste d’établissements médico-sociaux.

[3] BAZIN. Mahel, MULLER. Marianne « le personnel et les difficultés de recrutement dans les EHPAD » https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications/etudes-et-resultats/le-personnel-et-les-difficultes-de-recrutement-dans-les-ehpad 14 juin 2018.

[4] REFERENTIEL EMPLOI ACTIVITES COMPETENCES DU TITRE PROFESSIONNEL Agent de service médico-social Niveau 3 Ministère du Travail p4.

[5] SELLIEZ. Tonny « Besoins de recrutements immédiats dans les EHPAD et service d’aide à domicile d’Occitanie » France bleue 16 février 2021 15h42.

[6] Décret n°2007-1188 du 3 août 2007 portant statut particulier du corps des aides-soignants et des agents des services hospitaliers qualifiés de la fonction publique hospitalière.

[7] REFERENTIEL EMPLOI ACTIVITES COMPETENCES DU TITRE PROFESSIONNEL Agent de service médico-social Niveau 3 Ministère du Travail P4.

[8] Arrêté du 10 juillet 2020 portant création du titre professionnel d’agent de service médico-social.

[9] DESCAMPS-CROISNIER. Françoise LA FORCE DE L’ÉGALITÉ Les inégalités de rémunération et de parcours professionnels entre femmes et hommes dans la fonction publique, RAPPORT AU PREMIER MINISTRE  27 décembre 2016.

[10] Répertoire Opérationnel des Métiers et Emplois https://www.pole-emploi.org/.

[11] Fiche Rome J1301 Personnel polyvalent des services hospitaliers.

[12] Respectivement le brancardier fiche Raspail 27 et l’agent de stérilisation fiche Raspail 09.

[13] VASSY.Carine et DERBEZ.Benjamin, Introduction à la sociologie de la santé, Armand Colin, 2019 p104.

[14] Article 6 du Décret n°2007-1188 du 3 août 2007 portant statut particulier du corps des aides-soignants et des agents des services hospitaliers qualifiés de la fonction publique hospitalière.

[15] Arrêté du 10 juillet 2020 portant création du titre professionnel d’agent de service médico-social.

[16] Nomenclature approuvée le 21 mars 1969 par le groupe permanent de la formation professionnelle et de la promotion sociale.

[17]https://travail-emploi.gouv.fr/formation-professionnelle/certification-competences-pro/article/cadre-national-des-certifications-professionnelles.

[18] Plus d’informations disponible sur le site https://www.afpa.fr/formation-qualifiante/agent-de-service-medico-social.

[19]Article 3 de l’Arrêté du 10 juillet 2020nportant création tu titre professionnel d’agent de service médico-social.

[20] REFERENTIEL EMPLOI ACTIVITES COMPETENCES DU TITRE PROFESSIONNEL Agent de service médico-social Niveau 3 Ministère du Travail p4.

[21] Idem

[22] Fiche Rome J301.

[23] Article 8 de la LOI n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale.

[24] Article L 311-4 Code de l’action sociale et des familles.

[25] Article D312-59-2 du code de l’action sociale et des familles.

[26] Article D312-59-5 du code de l’action sociale et des familles.

[27] REFERENTIEL D’EVALUATION DU TITRE PROFESSIONNEL Agent de service médico-social Niveau 3 page 8 http://travail-emploi.gouv.fr/ mise à jour le 23/05/2020.

[28] Cour d’appel de Paris – Pôle 06 ch. 9 décembre 2020 n° 18/09409. 

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ;
Chronique Droit(s) de la Santé ; Art. 333.

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ParJDA

3e Chronique en Droit(s) de la Santé (juin 2021)

Art. 331

Le Journal du Droit Administratif avec le soutien du Tribunal administratif de Toulouse ont décidé de proposer, de façon régulière, une chronique jurisprudentielle en droit(s) de la santé, réunissant , en fonction de l’actualité et/ou de l’intérêt juridique du sujet, une ou deux décisions du Tribunal assorties des conclusions du rapporteur public. Elles pourront être accompagnées d’un commentaire ou de propositions doctrinales et parfois même uniquement de présentations académiques.

Depuis 2021, la chronique est également ouverte aux analyses des étudiant.e.s, notamment ceux du Master Droit de la santé de l’Université Toulouse I Capitole,  sous la responsabilité des Professeurs Isabelle Poirot-Mazères et Mathieu Touzeil-Divina.

La deuxième chronique sous l’impulsion de la promotion Gisèle Halimi du Master II en Droit de la Santé comprend à ce jour les sept articles suivants :

par M. Vincent Vioujas, Directeur d’hôpital, chargé d’enseignement à la Faculté de droit et de sciences politiques d’Aix-en-Provence (AMU), chercheur associé au Centre de droit de la santé (UMR 7268 ADES, AMU/EFS/CNRS)

par Mme Léa Bernard, Doctorante en droit public, Université Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou

par Mme Dr. Lucie Sourzat, Maître de conférences en Droit public, Université de Lille

Par M. Gauthier Desfontaine, Etudiant en Master II Droit de la Santé, Université Toulouse 1 Capitole, promotion Gisèle Halimi (2020-2021)

Par Mme Marianne Fares, Titulaire du Master 2 Juriste européen et du DU DESAPS, Étudiante à l’Institut d’Etudes Judiciaires de Toulouse

par M. Antoine Herson, étudiant en Master 1 Éthique du Soin et de la Recherche, Université Toulouse 1 Capitole

Par Mme Clarisse Varo-Rueda, Etudiante en Master II Droit de la Santé, Université Toulouse 1 Capitole, promotion Gisèle Halimi (2020-2021).

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ;
Chronique Droit(s) de la Santé ; Art. 331.

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ParJDA

Actualités du service public hospitalier

Art. 332.

Le présent article rédigé par M. Vincent Vioujas, Directeur d’hôpital, chargé d’enseignement à la Faculté de droit et de sciences politiques d’Aix-en-Provence (AMU), s’inscrit dans le cadre de la 3e chronique en Droit de la santé du Master avec le soutien du Journal du Droit Administratif.

par M. Vincent Vioujas, Directeur d’hôpital, chargé d’enseignement à la Faculté de droit et de sciences politiques d’Aix-en-Provence (AMU), chercheur associé au Centre de droit de la santé (UMR 7268 ADES, AMU/EFS/CNRS)

Il ne saurait être question, dans le cadre de cette chronique, de revenir en détails sur la « fabuleuse histoire du service public »[1], à laquelle le Journal du Droit Administratif (JDA) a déjà consacré un article approfondi[2]. Tout au plus rappellera-t-on que celle-ci est marquée par une éclipse législative – mais non jurisprudentielle, le Conseil d’État ayant continué d’utiliser l’expression pendant cette période – de quelques années. La loi HPST du 21 juillet 2009 avait, en effet, supprimé toute référence à la notion dans le code de la santé publique, avant que celle-ci n’y fasse un retour triomphal suite à la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

Mais, pour risquer une comparaison avec une pratique très en vogue dans l’univers des séries télévisées, il s’agit davantage d’un reboot, autrement dit d’une nouvelle version, que d’une recréation de l’originale[3]. Alors que la loi Boulin du 31 décembre 1970 privilégiait une approche fonctionnelle du service public hospitalier, celui-ci se définit désormais davantage par un ensemble d’obligations que par une liste de missions spécifiques. En cela, le secteur de la santé n’échappe pas au mouvement fort bien décrit et analysé par Salim Ziani dans sa thèse qui voit progressivement, sous l’influence du droit de l’Union, le service public remplacé par la référence aux obligations de service public[4].

De fait, l’article L.6112-1 du code de la santé publique dispose que le service public hospitalier exerce l’ensemble des missions dévolues aux établissements de santé, auxquelles s’ajoute uniquement l’aide médicale urgente, dans le respect des principes d’égalité d’accès et de prise en charge, de continuité, d’adaptation et de neutralité et conformément aux obligations définies à l’article L.6112-2. Ce dernier comporte ainsi une longue énumération dont émerge nettement la garantie, au bénéfice des personnes prises en charge par les établissements de santé assurant le service public hospitalier, de l’absence de facturation de dépassements des tarifs conventionnels, qui semble en constituer le principal marqueur[5].

Ce bref rappel de la notion étant fait, il est maintenant temps d’examiner, sans prétention à l’exhaustivité, plusieurs éléments d’actualité récente tenant à son régime juridique.

Les accommodements avec les obligations du service public hospitalier

Comme indiqué précédemment, l’approche fonctionnelle privilégiée lors de la refondation du service public hospitalier en 2016 repose sur la définition d’un « bloc d’obligations »[6] considérées comme les sujétions propres à ce dernier. Mais le service public hospitalier ainsi envisagé ne se limite pas aux établissements publics de santé ou aux hôpitaux des armées, qui l’assurent de manière automatique. Il est, en effet, ouvert à tous les établissements privés qui peuvent être habilités, selon des modalités détaillées à l’article L.6112-3 du code de la santé publique, lorsque ces derniers s’engagent à exercer l’ensemble de leur activité dans les conditions prévues à l’article L.6112-2 du même code. Dès lors que celles-ci imposent notamment le respect des tarifs conventionnels, l’habilitation des établissements privés lucratifs est cependant demeurée théorique. Le service public hospitalier n’englobe donc, pour l’essentiel, que les établissements publics de santé et les hôpitaux militaires (par nature) et une grande partie des établissements privés à but non lucratif (par habilitation)[7]. Néanmoins, au sein même de cet ensemble, le bloc d’obligations apparaît moins compact qu’annoncé et comporte deux fissures, récemment confortées, qui constituent autant d’accommodements avec les garanties en principe opposables aux établissements s’agissant de l’absence de dépassements d’honoraires.

La première brèche, et la plus importante, concerne l’activité libérale des praticiens hospitaliers au sein des établissements publics de santé. Sans s’arrêter longuement sur ce dispositif, rappelons simplement qu’il a accompagné la création, en 1958, du temps plein hospitalier dans l’objectif affiché de garantir l’attractivité des carrières. A ce titre, les praticiens hospitaliers, initialement à temps plein[8], sont autorisés à exercer une activité libérale, à la condition de respecter un certain nombre d’exigences, et notamment que la durée de celle-ci n’excède pas 20% de la durée de service hospitalier hebdomadaire à laquelle ils sont astreints[9]. Après une courte période de suppression suite à l’alternance de 1981, l’activité libérale a été réintroduite en 1987[10], sans avoir été remise en cause jusqu’à présent, même si son régime juridique a été modifié à plusieurs reprises afin d’en encadrer davantage la pratique. Bien que concernant un nombre limité de médecins[11], celle-ci est régulièrement critiquée, en particulier au regard de l’ampleur des dépassements d’honoraires appliqués dans ce cadre. Il faut dire que ces derniers peuvent parfois atteindre des niveaux importants, en moyenne plus élevés que dans le secteur privé[12].

Or la décision par laquelle le Conseil constitutionnel a validé les dispositions précitées de l’article L.6112-2 du code de la santé publique à l’occasion de l’examen de la loi du 26 janvier 2016 interrogeait sur la compatibilité du maintien de ces dépassements avec le nouveau cadre du service public hospitalier imposant le respect des tarifs conventionnels. Celui-ci a, en effet, jugé que les dispositions qui prévoient l’absence de facturation de dépassements d’honoraires « s’appliquent identiquement à tous les établissements de santé publics ou privés assurant le service public hospitalier et aux professionnels de santé exerçant en leur sein », écartant de la sorte l’atteinte au principe d’égalité invoquée par les parlementaires à l’origine du recours[13]. Ce faisant, il paraissait s’éloigner de l’argumentaire du gouvernement qui, dans ses observations, estimait que le droit d’exercer une activité libérale constitue « un droit personnel (…), sans rapport avec l’obligation qui s’impose aux établissements publics de santé de proposer à tout patient la possibilité de se faire soigner sans dépassement d’honoraires ».

Une partie de la doctrine en a conclu à l’impossibilité de pratiquer une activité libérale en secteur 2 (« honoraires libres »)[14]. Cette conséquence de la décision du Conseil constitutionnel, en tout point contraire aux intentions du gouvernement qui entendait, tout au plus, mieux réguler son exercice, a rapidement conduit ce dernier à réagir. A l’occasion d’une ordonnance de mise en cohérence, l’article L.6154-2 du code de la santé publique a ainsi été modifié afin de préciser que les dispositions réglementaires fixant les modalités d’exercice de cette activité peuvent, le cas échéant, déroger aux dispositions du 4° du I de l’article L.6112-2 du même code (à savoir le respect des tarifs conventionnels)[15].

Si ces nouvelles dispositions permettent de préserver la situation antérieure de certains praticiens hospitaliers en établissement public de santé, elles aboutissent néanmoins à créer une différence de situation entre ces derniers et les établissements privés qui, pour obtenir une habilitation au service public hospitalier, doivent avoir recours à des médecins conventionnés en secteur 1. Examinées par le Conseil constitutionnel à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) transmise par le Conseil d’État suite au refus d’habilitation opposé par un directeur général d’agence régionale de santé (ARS) à deux cliniques privées, elles ont néanmoins été déclarées conformes à la Constitution au prix d’un raisonnement qui peine à convaincre[16]. Accueillie fraîchement par la doctrine – le professeur Moquet-Anger observant férocement que « présidé par un ancien Premier ministre de François Mitterrand, le Conseil constitutionnel a renforcé le secteur d’activité libérale des praticiens hospitaliers que feux les abolitionnistes de 1982 avaient tant combattu »[17], – la décision du 21 juin 2019 souffre, en effet, de deux biais majeurs.

En premier lieu, afin d’écarter le grief invoqué d’une différence de traitement entre les patients des établissements publics de santé, le Conseil constitutionnel considère que, « lorsqu’ils exercent une activité libérale au sein de leur établissement, les praticiens des établissements publics de santé n’interviennent pas dans le cadre du service public hospitalier » (point 8). Or une telle affirmation s’avère, au mieux, réductrice et, le plus souvent, erronée. Le régime juridique de l’activité libérale à l’hôpital est en réalité bien plus complexe, ce qui n’est d’ailleurs pas sans soulever plusieurs difficultés[18]. Le patient n’est, en effet, placé dans une situation contractuelle de droit privé qu’à l’occasion de ses relations avec le seul médecin, ce qui ne pose pas de problème dans le cas d’une simple consultation externe. En revanche, pour les malades hospitalisés, l’exercice de l’activité libérale suppose une large mobilisation des moyens du service public hospitalier (personnel, prestations logistiques, locaux et matériel…) et son intrication avec ce dernier est donc bien plus étroite que le juge constitutionnel ne semble le penser. De même, dans l’hypothèse, fréquente eu égard à la pratique de l’activité libérale chez les chirurgiens, d’une intervention au bloc opératoire, le médecin anesthésiste, s’il n’exerce pas également dans le cadre d’une activité libérale, agit en tant que personnel hospitalier[19], au même titre que les autres professionnels (infirmiers anesthésistes, infirmiers de bloc opératoire…) qui concourent à la réalisation de l’acte. L’activité libérale ne chasse donc pas systématiquement le service public hospitalier.

En second lieu, le Conseil constitutionnel valide la différence de traitement entre établissements publics de santé et établissements privés habilités au service public hospitalier au prix d’une analyse tout aussi, voire plus, contestable. De manière classique et attendue, il commence, en effet, par rappeler que le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différente de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit. Dans le cas d’espèce, le Conseil constitutionnel identifie bien une différence de situation à l’origine de cette différence de traitement. Sur ce point, il est exact que les praticiens hospitaliers à temps plein ont l’obligation statutaire de consacrer la totalité de leur activité professionnelle à leurs fonctions hospitalières et, le cas échéant, universitaires et que la possibilité d’exercer une activité libérale ne constitue qu’une exception limitée à cette exigence. A l’inverse, comme l’indique la décision, les médecins libéraux employés dans un établissement de santé privé assurant le service public hospitalier « n’ont pas nécessairement vocation à y consacrer l’intégralité de leur carrière » et peuvent donc cumuler celle-ci avec la pratique d’une activité libérale non soumise à interdiction des dépassements d’honoraires, en ville ou dans un autre type d’établissement.

La validation de la différence de traitement ainsi reconnue au regard de l’objet de la loi prête en revanche davantage le flanc à la critique. Après avoir exposé les conditions encadrant la pratique de l’activité libérale à l’hôpital, le Conseil constitutionnel juge, en effet, que celle-ci vise « à offrir, uniquement à titre accessoire, un complément de rémunération et de retraite aux praticiens statutaires à temps plein des établissements publics de santé » et que ce dernier permet « d’améliorer l’attractivité des carrières hospitalières publiques et la qualité des établissements publics de santé » (point 10). Sans s’arrêter sur l’argument d’une qualité des soins qui ne serait pas garantie à l’hôpital sans l’activité libérale, déjà largement déconstruit par d’autres auteurs[20], force est de constater que les juges transforment subrepticement la question posée. Celle-ci ne portait pas, en effet, sur l’existence de l’activité libérale en elle-même, mais seulement sur la pratique des dépassements d’honoraires dans le cadre de celle-ci. En assimilant les deux, le Conseil constitutionnel travestit d’autant plus la réalité que moins de la moitié des praticiens exerçant une activité libérale appartiennent au secteur 2[21]. L’essentiel des développements est donc consacré à défendre le principe même de l’activité libérale, laquelle semble parfaitement à même d’offrir « un complément de rémunération et de retraite » aux médecins dans le respect des tarifs conventionnels, comme c’est le cas pour plus de la moitié de ceux qui y ont recours !

Certes, il paraissait sans doute politiquement compliqué de remettre en cause la pratique des dépassements d’honoraires. En tout cas, le gouvernement ne le souhaitait pas, pas plus qu’il n’entendait revenir sur le principe, érigé en totem, du respect absolu des tarifs conventionnels conditionnant l’habilitation d’un établissement privé au service public hospitalier. De fait, pour citer une fois encore Marie-Laure Moquet-Anger, « le Conseil constitutionnel a adopté une position qui garantit en même temps les deux objectifs ». Bien qu’acrobatique, elle permet donc la pérennité du secteur 2 à l’hôpital, dans le cadre de l’activité libérale. Jusqu’à présent, comme cela a déjà été indiqué, cette dernière ne concerne qu’un nombre limité de praticiens. La situation est cependant amenée à évoluer suite aux nouvelles dispositions issues de l’ordonnance n°2021-292 du 17 mars 2021[22] qui assouplit les conditions d’exercice de l’activité libérale. Celle-ci n’est notamment plus réservée aux praticiens hospitaliers à temps plein. Ces perspectives d’extension rendent d’autant plus problématique la persistance d’un ilot de liberté tarifaire au sein du service public hospitalier.

La seconde brèche correspond au particularisme de six établissements de santé privés d’intérêt collectif (ESPIC) mais mérite néanmoins d’être signalée, ne serait-ce qu’en raison de développements législatifs récents sur le sujet. Dans la très grande majorité des ESPIC, les médecins sont salariés mais l’article L.6161-9 du code de la santé public prévoit la possibilité de recourir à des professionnels libéraux, sur autorisation du directeur général de l’ARS. Ces derniers sont alors rémunérés par l’établissement sur la base des tarifs conventionnels, minorés d’une redevance. Les dépassements d’honoraires sont donc en principe interdits, ce qui est conforme aux obligations sur service public hospitalier que les ESPIC assurent également.

Certains d’entre eux étaient toutefois liés par des contrats autorisant de tels dépassements, le plus souvent repris à leur compte à la suite de la fusion avec d’autres établissements. C’est pourquoi le IV de l’article 99 de la loi du 26 janvier 2016 accordait un délai de trois ans aux ESPIC concernés pour réaliser la mise en conformité de ces contrats avec les dispositions précitées, avec retrait de l’autorisation par le directeur général de l’ARS en cas de refus de la part du praticien. Ce délai n’a toutefois pas paru suffisant puisqu’à la date d’échéance, 6 établissements n’avaient toujours pas régularisé la situation d’environ 350 professionnels libéraux. Aussi, le II de l’article 57 de la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé prévoit un nouveau délai de régularisation de trois ans.

L’une des rares modifications introduites par le Sénat et acceptées par le gouvernement et l’Assemblée nationale lors de l’examen de la proposition de loi d’amélioration du système de santé par la confiance et la simplification donne désormais une base pérenne à cette dérogation, à l’origine transitoire[23]. A l’occasion des débats, le secrétaire d’État Adrien Taquet, qui suppléait le ministre de la santé, a ainsi tenté de concilier le souhait réaffirmé de ne pas encourager cette pratique, afin de garantir l’accès aux soins, et le souci de ne pas mettre en difficulté les structures concernées « qui ont déjà du mal à recruter des médecins »[24]. L’argument de l’attractivité reste donc la principale justification apportée aux aménagements opérés par rapport aux obligations du service public hospitalier.

Néanmoins, cette exception, bien que relativement marginale, peut paraître juridiquement fragile. Dans son avis sur le projet de loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, le Conseil d’État appelait, en effet, l’attention du gouvernement sur la nécessité de maintenir un caractère temporaire à la dérogation[25]. On imagine cependant mal le Conseil constitutionnel avoir laissé passer le chameau de l’activité libérale à l’hôpital pour filtrer ensuite le moustique des dépassements d’honoraires de quelques centaines de médecins en ESPIC[26]

Exercice du service public hospitalier et contrat administratif

Comme l’écrivaient récemment les responsables du centre de recherche et de diffusion juridiques du Conseil d’État dans leur chronique, « que le granite porphyroïde soit, depuis 1912, plus souvent évoqué dans les amphithéâtres des facultés de droit que dans les laboratoires de géologie atteste de la permanence des critères d’identification d’un contrat administratif »[27]. Sans reprendre ici tous les arrêts de principe bien connus, nous nous limiterons à rappeler qu’ils combinent un critère organique, tenant, en principe, à ce qu’une personne publique soit partie au contrat et un critère matériel portant sur le contenu (présence de clauses exorbitantes du droit commun), l’objet (l’exécution de travaux publics ou l’exécution même du service public) ou, parfois, le régime de ce dernier[28].

S’agissant des établissements publics de santé, qui seuls satisfont au critère organique sans avoir à rechercher si l’une des (rares) hypothèses de dérogation est remplie, la question de la qualification du contrat se pose en réalité peu souvent. La plupart des contrats conclus avec des personnes privées sont, en effet, administratifs par détermination de la loi, à l’image des contrats de commande publique (marchés publics ou concession) ou des contrats d’occupation privative du domaine public. S’agissant des contrats de recrutement, même si la mise à contribution des employeurs publics dans le cadre de la politique de lutte contre le chômage par le recours aux contrats aidés laisse subsister des contrats de droit privé[29], ceux-ci restent très minoritaires. De fait, conformément à la célèbre jurisprudence Berkani mettant un terme au critère subtil, voire byzantin, de la participation directe au service public, les personnels non statutaires des personnes morales de droit public travaillant pour le compte d’un service public administratif sont des agents de droit public quel que soit leur emploi[30]. Selon les derniers chiffres de l’INSEE, les contractuels (hors emplois médicaux) représentaient, en 2019, 20,9% des effectifs de la fonction publique hospitalière, soit 248 000 personnes. Leur nombre a augmenté de +3,8% par rapport à 2018, tandis que celui de fonctionnaires continue de diminuer. Quant aux contrats aidés, ils ne concernent que 5 200 personnes, en forte baisse (-25,8%)[31].

Dans ces conditions, les occasions pour le juge administratif de se prononcer sur la nature des contrats passés par les hôpitaux dans le cadre de l’accomplissement du service public hospitalier ne sont pas si fréquentes. Quelques affaires lui ont néanmoins été soumises ces dernières années s’agissant, par exemple, du contrat par lequel un établissement met en relation, via son centre d’appel, un patient avec une société de transport sanitaire privé[32] ou de celui portant sur la mise à disposition de téléviseurs et de moyens de télécommunication aux personnes hospitalisées[33]. Plus récemment, le Conseil d’État a été amené à examiner la nature du contrat de participation à l’exercice des missions de service public (dénomination alors en vigueur) conclu avec un médecin dans le cadre des dispositions de l’article L.6146-2 du code de la santé publique, ce qui constitue, à notre connaissance, une première.

Depuis la loi HPST du 21 juillet 2009, cet article autorise le directeur d’un établissement public de santé à admettre des médecins, sages-femmes et odontologistes exerçant à titre libéral, autres que les praticiens statutaires, à participer à l’exercice des missions de l’établissement. Leurs honoraires, qui doivent respecter les tarifs conventionnels, sont à la charge de ce dernier, minorés, le cas échéant, d’une redevance. Enfin, un contrat, conclu entre le professionnel et l’établissement de santé et soumis à l’approbation du directeur général de l’ARS, fixe les conditions et modalités de leur participation et assure le respect des garanties mentionnées à l’article L. 6112-3 du code de la santé publique, décrites précédemment[34].

En l’espèce, le centre hospitalier de Digne les Bains a conclu un contrat de participation à l’exercice des missions de service public avec un médecin radiologue, pour une durée de cinq ans à compter du 1er octobre 2012. Par décision du 21 janvier 2014, le directeur de l’établissement a résilié ce contrat, décision que l’intéressé demande, sans succès, au tribunal administratif de Marseille, d’annuler. Par un arrêt du 17 avril 2018, la cour administrative d’appel (CAA) déclare n’y avoir pas lieu à statuer sur les conclusions tendant à une reprise des relations contractuelles[35], arrêt contre lequel le praticien se pourvoit en cassation.

Pour rejeter le recours et valider le raisonnement des juges d’appel, le Conseil d’État est donc conduit à se prononcer sur la nature du contrat mentionné à l’article L.6146-2[36]. Celui-ci rappelle que les dispositions en cause permettent la pratique par un professionnel de santé libéral d’une activité de soin au sein d’un établissement public de santé et la rémunération de cette dernière par des honoraires à la charge de l’hôpital, minorés d’une redevance en contrepartie de l’utilisation des moyens du service public hospitalier. La Haute juridiction examine également les exigences réglementaires opposables aux professionnels de santé, qui se limitent à renseigner un état mensuel déclaratif d’activité[37] et à s’engager à respecter un certain nombre de règles ou de documents généraux (recommandations de bonne pratique professionnelle établies par la Haute autorité de santé et les sociétés savantes, projet d’établissement…)[38]. Il en conclut ainsi qu’eu égard « à la nature des liens qu’établit un tel contrat entre l’établissement hospitalier et le professionnel de santé exerçant à titre libéral, sa passation n’a ni pour objet ni pour effet de conférer au praticien en question la qualité d’agent public ». Sans doute faut-il déduire de cette formulation l’absence d’un lien de subordination qui aurait entraîné la reconnaissance d’une telle qualité.

Le contrat visé à l’article L.6146-2 constitue donc bien un contrat administratif, ce qui n’était ni contesté, ni contestable au regard des critères rappelés plus haut, mais ne s’apparente pas à un contrat de recrutement d’un agent public. Cette conclusion semble parfaitement conforme aux intentions des parlementaires et du gouvernement qui, à l’occasion de la loi HPST, entendaient créer un dispositif unique permettant l’intervention de professionnels libéraux au sein des établissements publics de santé, en substitution du mécanisme antérieurement en vigueur dans les hôpitaux locaux et des anciennes « cliniques ouvertes ». Elle ne rompt pas non plus avec la jurisprudence qui s’appliquait à ces dernières. Le Tribunal des conflits avait, en effet, estimé que les examens ou traitements pratiqués par un radiologue dans le service radiologique de l’hôpital au profit d’un malade admis en clinique ouverte le sont en dehors de l’exercice des fonctions médicales hospitalières de ce spécialiste, même si les honoraires y afférents sont soumis par la réglementation à des règles de calcul et de reversement particulières. A ce titre, la juridiction judiciaire était seule compétente pour connaître d’une action en responsabilité formée par un malade admis en clinique ouverte contre le médecin[39].

Mais la qualification retenue, écartant celle de contrat de recrutement d’un agent public, produit surtout des conséquences contentieuses importantes que l’arrêt commenté vient utilement souligner. On sait, en effet, que ces contrats obéissent à un régime spécifique justifié, selon la célèbre formule du président Genevois, par le fait que « derrière le contrat, il y a souvent un statut qui se dessine »[40]. Ainsi, le Conseil d’État admet, de longue date, que ces agents puissent former un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de mesures d’exécution de leur contrat[41]. Il en va de même pour les tiers qui peuvent demander au juge pour l’excès de pouvoir l’annulation du contrat d’engagement d’un agent public depuis l’arrêt Ville de Lisieux[42], solution maintenue après les importantes modifications du contentieux de la légalité des contrats administratifs résultant de la jurisprudence Département de Tarn-et-Garonne[43].

Dans la présente affaire, la CAA de Marseille n’a donc pas commis d’erreur de droit en jugeant que les conclusions du médecin devaient s’analyser non comme un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation de la décision du directeur de résilier le contrat d’un agent public, mais comme tendant à la reprise des relations contractuelles. Le lecteur avisé aura immédiatement retenu la formulation issue de la célèbre jurisprudence Béziers II au terme de laquelle, si, en principe, les parties à un contrat administratif ne peuvent pas demander au juge l’annulation d’une mesure d’exécution de ce contrat, mais seulement une indemnisation du préjudice qu’une telle mesure leur a causé, elles peuvent, eu égard à la portée de celle-ci, former un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles[44]. Saisi de conclusions en ce sens, le juge du contrat doit notamment vérifier que cette reprise a encore un objet et prononcer un non-lieu à statuer lorsqu’il résulte de l’instruction que le terme stipulé du contrat est dépassé. Or, en l’espèce, le terme du contrat conclu pour une durée de cinq ans à compter du 1er octobre 2012 avait expiré le 1er octobre 2017. C’est donc à bon droit que la CAA en a conclu qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur la requête dont elle était saisie.

En définitive, même si les contentieux sur le sujet devraient rester rares compte tenu du faible nombre de contrats conclus sur le fondement de l’article L.6146-2 du code de la santé publique[45], l’arrêt du 29 juin 2020 illustre la diversité des contrats existant entre un établissement public de santé et les personnes physiques auxquelles il fait appel pour l’exécution du service public hospitalier : contrat de recrutement d’agent public (le plus souvent), contrat de droit privé (pour certains contrats aidés), et contrat administratif de prestation de services s’agissant des médecins libéraux qui n’ont pas la qualité d’agent public.

Le financement compensatoire du service public hospitalier

La référence aux obligations du service public, davantage qu’au service public, en matière de financement traduit le triomphe d’une approche compensatoire telle que promue par les textes européens, dans un environnement économique concurrentiel[46]. Les établissements de santé français, y compris publics, constituent, en effet, des entreprises en droit de l’Union et leur financement doit respecter un certain nombre d’exigences.

Sans entrer dans le détail[47], l’article 106-2 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)[48] prévoit que les entreprises chargées de la gestion d’un service d’intérêt économique général (SIEG) sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l’application de celles-ci ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Ainsi, la décision 2012/21/CE du 20 décembre 2011[49] énonce les conditions qu’une aide d’État attribuée sous la forme d’une compensation des obligations de service public pesant sur un SIEG doit remplir pour être considérée comme compatible avec l’article 106-2. Le cas des établissements de santé y est spécifiquement traité[50]. De fait, les aides qui leur sont attribuées sous la forme d’une compensation des obligations de service public disposent d’une présomption de compatibilité avec le traité, quel que soit leur montant, et ne sont donc pas soumises au contrôle a priori que constitue la notification préalable à la Commission. Elles doivent toutefois être accompagnées de la mise en place par chaque État d’un mécanisme de contrôle régulier, au minimum tous les 3 ans, pour s’assurer de l’absence de surcompensation, et respecter les exigences posées aux articles 4 et 5 de la décision. En substance, la gestion du SIEG doit avoir été confiée à l’entreprise concernée au moyen d’un mandat spécifiant notamment la nature et la durée des obligations ou encore les paramètres de calcul de la compensation. De plus, le montant de cette dernière ne saurait dépasser ce qui est nécessaire pour couvrir les coûts nets occasionnés par l’exécution des obligations de service public.

Ce cadre juridique apparaît désormais bien intégré par les pouvoirs publics français, comme l’illustrent les modalités retenues pour la mise en œuvre du nouveau dispositif de « reprise de dette »[51] de certains établissements de santé. La mesure a été initialement annoncée par Édouard Philippe en novembre 2019, avant le début de la crise sanitaire, alors que le gouvernement s’efforçait de canaliser les mouvements sociaux nés, au départ, dans certains services d’urgence et qui menaçaient de prendre de l’ampleur. Elle est reprise dans les conclusions du « Ségur de la santé », en juillet 2020, et incluse dans le plan de relance de 19 milliards d’euros des investissements en santé. Environ les deux-tiers de cette somme (13 milliards) correspond, en effet, à la reprise de dette des établissements participants au service public hospitalier afin, selon le dossier de presse, de « leur redonner les marges financières nécessaires à l’investissement du quotidien et améliorer les conditions de travail (pose de rails d’hôpital, achat de petit matériel…) »[52]. Le montage financier a ensuite été précisé par la loi du 7 août 2020 qui met à la somme en question à la charge de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES)[53]. Sans détailler le circuit, qui ne nous intéresse pas directement ici, ces 13 milliards d’euros ne sont donc pas financés par l’État ou par l’assurance maladie (qui sert uniquement d’intermédiaire), mais immédiatement convertis en dette sociale future. Enfin, l’article 50 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2021 fixe les règles permettant la mise en place opérationnelle de cette reprise de dette, tout en manifestant une certaine ambiguïté sur les finalités du dispositif, sur lesquelles il conviendra de revenir[54].

Dès l’examen du projet de loi relatif à la dette sociale et à l’autonomie, le Conseil d’État avait attiré l’attention du gouvernement sur l’utilité d’informer, au plus tôt, la Commission européenne des dispositions organisant le financement et le versement de cette dotation aux établissements de santé[55]. De fait, les travaux préparatoires démontrent la volonté de respecter le cadre applicable aux aides d’État destinées à compenser les obligations de service public, ce que le mécanisme adopté exprime très nettement.

En premier lieu, contrairement à ce qui avait imaginé à l’automne 2019, le nouveau dispositif n’est pas réservé aux établissements publics de santé. Le I de l’article 50 de la LFSS pour 2021 indique ainsi que ce dernier est destiné à « concourir à la compensation des charges nécessaires à la continuité, la qualité et la sécurité du service public hospitalier et à la transformation de celui-ci ». Bien que le terme d’obligations n’y figure pas, l’idée est bien de mettre en place une forme de compensation des charges pesant spécifiquement sur les établissements assurant le service public hospitalier. Un certain nombre d’établissements privés (notamment ESPIC) y auront donc accès. Il est évident qu’un choix différent, conditionnant le versement de l’aide à la nature juridique des établissements et non aux sujétions particulières qu’ils supportent, aurait été contraire aux règles européennes.

En deuxième lieu, le dispositif se réfère expressément à la notion de mandat, dont la jurisprudence a souligné l’importance[56]. Le versement de la dotation est, en effet, soumis à la conclusion d’un contrat avec l’ARS avant le 31 décembre 2021. Ces contrats, signés pour une durée maximale de dix ans, précisent en particulier « le mandat confié à l’établissement, notamment en matière de désendettement, d’investissement, d’amélioration de la situation financière et de transformation », ainsi que les charges dont le financement est assuré par cette dotation[57].

En troisième lieu, les paramètres de calcul de cette dernière sont partiellement détaillés par le texte. La rédaction définitive, qui a sensiblement varié au cours de l’examen parlementaire, indique qu’il est tenu compte des ratios d’analyse financière et des marges nécessaires à l’investissement, sans que ces critères soient limitatifs[58]. Des compléments doivent encore être apportés par voie réglementaire puisque le décret d’application doit définir « les paramètres servant à déterminer les compensations des obligations de service public » ainsi que « les modalités de détermination du montant des dotations »[59].

Enfin, les contrats doivent comporter des indicateurs de suivi et préciser les modalités d’évaluation et de contrôle et le mécanisme de reprise des financements en cas de surcompensation des charges ou de non-respect des engagements[60]. De plus, une articulation est prévue avec les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) obligatoirement conclus par chaque établissement de santé. Lors du renouvellement de ces derniers, les ARS doivent, en effet, s’assurer qu’ils sont cohérents avec les engagements et les moyens fixés dans le contrat spécifique prévu à l’article 50 de la LFSS pour 2021.

Même si le nouveau dispositif n’est pas encore entièrement finalisé[61], les règles retenues semblent respectueuses des exigences du droit de l’Union qui encadrent aujourd’hui étroitement les conditions de financement du service public hospitalier. Elles ne lèvent toutefois pas une ambiguïté persistante sur les finalités de ce mécanisme, tiraillé en permanence entre objectif de désendettement et financement de nouveaux investissements, comme l’atteste la modification apportée par la LFSS pour 2021 à la loi du 7 août 2020[62]. Au final, le gouvernement paraît avoir choisi…de ne pas choisir. La moitié de la somme de 13 milliards est, en effet, affectée à la relance des investissements tandis que l’autre moitié est destinée « à la restauration des capacités financières des établissements de santé assurant le service public hospitalier »[63].


[1] Selon la formule de S. Boussard, « La fabuleuse histoire du service public hospitalier », RDSS, 2017, p.607.

[2] I. Poirot-Mazères, « Du service public hospitalier en ses contradictions », Journal du Droit Administratif, 2017, chronique Transformation(s) du Service Public,  art. 198.

[3] En matière de séries, les échecs et les déceptions semblent d’ailleurs bien plus fréquents que les réussites. Il faut dire que Magnum sans moustache, ni chemise hawaïenne et Walker Texas Ranger sans Chuck Norris n’ont pas exactement la même saveur. Malgré cela, les chaînes télévisées et les plates-formes de streaming continuent d’annoncer régulièrement de nouveaux projets.

[4] S. Ziani, Du service public à l’obligation de service public, LGDJ, Bibl. de dr. publ., t.285, 2015 : « La notion d’obligation de service public, en se substituant peu à peu au concept de service public, transforme les modes de satisfaction de l’intérêt général en imposant le respect de procédés d’intervention limités, respectueux de l’équilibre du marché » (n°622).

[5] 4° du I de l’article L.6112-2 CSP. Pour davantage de précisions, nous nous permettons de renvoyer à V. Vioujas, « Les obligations du service public hospitalier : quelles spécificités ? », RDSS, 2017, p.644.

[6] La formule est utilisée dans l’étude d’impact du projet de loi et a été régulièrement reprise lors des débats parlementaires.

[7] Est volontairement laissée de côté ici l’hypothèse de l’association au service public hospitalier, prévue à l’article L.6112-5, qui ne concerne pas l’ensemble des activités d’un établissement de santé mais seulement la prise en charge des patients en situation d’urgence ou dans le cadre de la permanence des soins par un établissement privé non habilité (autorisé à exercer une activité de soins prenant en charge des patients en situation d’urgence).

[8] Comme on le verra plus loin, cette limite est appelée à évoluer.

[9] Art. L.6154-2 CSP.

[10] L. n°87-39 du 27 janv. 1987 portant diverses mesures d’ordre social.

[11] Le dernier rapport publié sur le sujet dénombrait seulement 10% des praticiens éligibles, soit 4 581 médecins (dont près d’un quart d’hospitalo-universitaires), D. Laurent, L’activité libérale dans les établissements publics de santé, 2013, p.7.

[12] Ibid, p.12.

[13] Cons. constit., 21 janv. 2016, n°2015-727 DC, Loi de modernisation de notre système de santé.

[14] J.-M. Lemoyne de Forges, « Où va la médecine libérale à l’hôpital public ? », AJDA, 2016, p.281 ; dans le même sens, D. Cristol, « Les habits neufs du service public hospitalier », RDSS, 2016, p.643.

[15] Modification issue de l’article 1er de l’ordonnance n°2017-31 du 12 janvier 2017 de mise en cohérence des textes au regard des dispositions de la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

[16] Cons. constit., 21 juin 2019, n° 2019-792 QPC, Clinique Saint-Cœur et autres.

[17] M.-L. Moquet-Anger, « Sur la conformité à la Constitution du droit à dépassement d’honoraires réservé à l’activité libérale à l’hôpital », RDSS, 2019, p.1043.

[18] J.-M. Auby, « Sur quelques problèmes juridiques posés par l’activité libérale des praticiens hospitaliers à temps plein dans les établissements publics », RGDM, 1999, n°1, p.9.

[19] Trib. confl., 19 févr. 1990, Hervé, n°02594 ; AJDA, 1990, p.556, obs. J. Moreau ; RFDA, 1990, p.457, concl. B. Stirn ; RDSS, 1991, p.242, obs. J.-M. De Forges.

[20] M.-L. Moquet-Anger, op. cit., qui le qualifie de « fallacieux et désobligeant ».

[21] D. Laurent, op. cit., p.12.

[22] Ordonnance n°2021-292 du 17 mars 2021 visant à favoriser l’attractivité des carrières médicales hospitalières.

[23] Article 21 de la loi n°2021-502 du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification. Le texte ajoute que « ces professionnels médicaux libéraux fixent et modulent le montant de leurs honoraires à des niveaux permettant l’accès aux soins des assurés sociaux et de leurs ayants droit », ce qui représente une contrainte relativement lâche…

[24] JO AN, Compte-rendu intégral des débats, 2ème séance du 18 mars 2021, p.2753.

[25] « Les trois années supplémentaires accordées doivent permettre de régler de manière définitive les difficultés rencontrées », avis du 7 févr. 2019, p.11.

[26] Selon la formule bien connue de J. Rivero, « Filtrer le moustique et laisser passer le chameau ? », AJDA, 1981, p.275.

[27] C. Malverti, C. Beaufils, « Contrats administratifs : les petits caractères », AJDA, 2021, p.734.

[28] Pour une présentation détaillée, B. Plessix, Droit administratif général, LexisNexis, 3ème éd., 2020, p.1274 et s.

[29] Ce que le Conseil constitutionnel a admis s’agissant des emplois d’avenir professeur en considérant qu’aucun principe de valeur constitutionnelle ne fait obstacle à ce que le législateur prévoie que des personnes recrutées au titre de ces emplois participant à l’exécution du service public de l’Éducation nationale soient soumises à un régime juridique de droit privé, Cons. constit., 24 oct. 2012, n°2012-656 DC, Loi portant création des emplois d’avenir ; AJDA, 2013, p.119, note F. Melleray.

[30] Trib. confl., 25 mars 1996, Berkani c/CROUS de Lyon, n°3000 ; AJDA, 1996, p. 355, chron. J.-H. Stahl et D. Chauvaux ; Dr. soc., 1996, p.735, obs. X. Prétot ; RFDA, 1996, p.819, concl. Ph. Martin.

[31] « En 2019, l’emploi augmente dans les trois versants de la fonction publique », INSEE première, 2021, n°1842.

[32] CE, 2 mai 2016, CHRU de Montpellier, n°381370 ; JCP A, 2017, 2063, note S. Harada : le contrat n’a pas pour objet de confier au cocontractant de la personne publique l’exécution même d’une mission de service public et ne comporte pas de clause exorbitante du droit commun ; il ne s’agit donc pas d’un contrat administratif.

[33] CE, 7 mars 2014, CHU de Rouen, n°372897 ; AJDA, 2014, p.1497, note J. Hardy ; Dr. adm., 2014, comm. 32, obs. A. Sée : le contrat constitue une délégation de service public, et non pas un marché public.

[34] Le contenu du contrat, les modalités de calcul des honoraires ou encore les règles d’indemnisation de la participation à la permanence des soins sont décrits aux articles R.6146-17 à R.6146-24 du même code.

[35] CAA Marseille, 17 avr. 2018, n°16MA03270.

[36] CE, 29 juin 2020, M.B., n°421609 ; AJDA, 2021, p.1324 ; AJFP, 2021, p.319.

[37] Art. R.6146-21 CSP.

[38] Art. R.6146-18 CSP.

[39] Trib. confl., 19 mars 1979, Babsky, n°2111, Rec. CE, p.653. Sur le régime de responsabilité dans le cadre des anciennes cliniques ouvertes, v. ég. CE, sect., 4 juin 1965, Hôpital de Pont-à-Mousson, n°61367, Rec. CE, p.361.

[40] B. Genevois, conclusions sur CE, sect., 25 mai 1979, Rabut, n°06436 et 06437, Rec. CE, p.231. Plus proche de nous, v. E. Glaser, « La situation des agents publics contractuels – Conclusions sur CE, sect., 31 déc. 2008, M. Cavallo, n°283256 », RFDA, 2009, p.89 : « Ce qui est réellement contractuel dans le contrat d’un agent public est essentiellement interstitiel et, au fur et à mesure que les statuts se développent, cet espace se rétrécit ».

[41] CE, 9 juin 1948, Sieur Cousin, Rec. CE, p.254.

[42] CE, sect., 30 oct. 1998, Ville de Lisieux, n°149662 ; AJDA, 1998, p.969, chron. F. Raynaud et P. Fombeur ; RFDA, 1998, p.128, concl. J.-H. Stahl et p.139, note D. Pouyaud.

[43] CE, 2 févr. 2015, Commune d’Aix-en-Provence, n°373520 ; AJDA, 2015, p.990, note F. Melleray, qui confirme que le recours ouvert aux tiers contre un contrat de recrutement d’agent public est un recours pour excès de pouvoir.

[44] CE, sect., 21 mars 2011, Commune de Béziers, n°304806 ; AJDA, 2011, p.670, chron. A. Lallet ; JCP A, 2011, 2171, note F. Linditch ; RFDA, 2011, p.507, concl. E. Cortot-Boucher et p.518, note D. Pouyaud.

[45] Moins de 2 000 au 31 décembre 2018, v. « Les établissements de santé », Panorama de la DREES, 2020, p.39.

[46] V. à nouveau la thèse de S. Ziani, op. cit., spéc. n°92 et s. et n°622 et s.

[47] Nous avons analysé plus longuement ce dispositif dans V. Vioujas, « Le financement des hôpitaux face au droit européen de la concurrence » in Mélanges Clément, LEH, 2014, p.445.

[48] Anciennement art. 86 TCE.

[49] Décision 2012/21/UE  du 20 déc. 2011 relative à l’application de l’article 106, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux aides d’État sous forme de compensations de service public octroyées à certaines entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général (JOEU L 7, 11 janv. 2012, p.3). Ce texte fait partie du « paquet Almunia », qui se substitue au « paquet Monti-Kroes » adopté en 2005. Comme le fait remarquer S. Hennion, « la terminologie exprime de suite la légèreté de cette réglementation » (S. Hennion, « Service public de santé et droit européen », RDSS, 2013, p.45).

[50] « Les hôpitaux et les entreprises assurant des services sociaux, qui sont chargés de tâches d’intérêt économique général, présentent des spécificités qui doivent être prises en considération » (point 11 de la décision).

[51] Comme on va le voir, cette dénomination d’origine a été amenée à évoluer.

[52] Conclusions du Ségur de la santé, juill. 2020, mesure n°9.

[53] Loi n°2020-992 du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l’autonomie. La disposition figure au C du II du septies de l’article 4 de l’ordonnance n°96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale.

[54] Loi n°2020-1576 du 14 déc. 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021.

[55] Avis n°400188 et 400189 du 26 mai 2020.

[56] TPI, 7 nov. 2012, CBI c. Commission, T-137/10 ; RDSS, 2013, p.431, note D. Guinard.

[57] III de l’article 50 de la LFSS pour 2021 précitée.

[58] II de l’article 50 de la LFSS pour 2021.

[59] 1° et 2° du VI de l’article 50 de la LFSS pour 2021.

[60] 4° du III de l’article 50 de la LFSS pour 2021.

[61] Outre le décret en Conseil d’État annoncé, une instruction doit détailler les montants par établissement (les ARS ne disposant que d’une marge de manœuvre limitée en la matière), les modalités de contractualisation et les engagements attendus.

[62] Dans la loi du 7 août 2020, la dotation de 13 milliards d’euros était destinée à couvrir une partie des « échéances d’emprunts contractés par les établissements de santé relevant du service public hospitalier ». Le VII de l’article 50 de la LFSS pour 2021 corrige le texte sur ce point en affectant désormais celle-ci à « un soutien exceptionnel (…) au titre du désendettement pour favoriser les investissements dans les établissements de santé assurant le service public hospitalier ».

[63] Circulaire n°6250/SG du 10 mars 2021 relative à la relance de l’investissement dans le système de santé dans le cadre du Ségur de la santé et de France relance.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ;
Chronique Droit(s) de la Santé ; Art. 332.

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ParJDA

Une sainte laïque selon le TA de Nîmes : Geneviève & les gendarmes du Gard

art. 330.

Le Journal du Droit Administratif, fondé en 1853 à Toulouse puis refondé en ligne en 2015, propose, en partenariat avec le Laboratoire d’Analyse(s) Indépendant sur les Cultes (LAIC) – Laïcité(s), une nouvelle chronique régulière (à vocation mensuelle) placée sous la direction commune des drs. et enseignants-chercheurs Clément Benelbaz & Mathieu Touzeil-Divina.

Cet article est issu de la 1ère chronique Laïcité(s) du mois de mai 2021.

Observations communes sous
TA de Nîmes, [req. 1900022]
19 février 2021,
Association La libre pensée du Gard ;
[J2021-TA-NIMES-1900022] ;

Sainte Geneviève K., merci(s) !

Si Dieu existe (et on prendra l’hypothèse positive ou négative comme ici non discutée), il aura été singulièrement malicieux en permettant – en hommage à « la » spécialiste des circulaires devenues lignes directrices ainsi qu’aux principes d’Egalité, de neutralité et de laïcité – l’existence du présent contentieux qui mêle non seulement circulaires et principes laïques mais encore le prénom de l’intéressé sanctifié. C’est donc tout naturellement et respectueusement que les présentes observations sont dédiées au professeur Geneviève Koubi qui a su ouvrir tant de portes[1] – parfois fermées ou seulement entrouvertes – sur ces questionnements tant juridiques que républicains.

Sainte laïque Geneviève K., priez donc pour nous en acceptant cette offrande quasi-doctrinale.

Passée la dédicace, venons-en aux faits : comme dans de nombreux corps d’armes et/ou de soldats dits du feu, l’usage (sans que l’on sache toujours à quand il remonte vraiment, ce que l’on ne manquera pas, du reste, de discuter ci-après) a été pris non seulement de choisir un « saint patron » ou en l’occurrence une « sainte patronne » comme l’on choisirait, symboliquement et presque innocemment, une mascotte mais encore de vénérer et de prier ledit personnage sanctifié en y mettant une intention clairement religieuse. Qu’on songe ainsi à la sainte Barbe des sapeurs-pompiers ou, comme en l’espèce, à la sainte Geneviève de plusieurs femmes et hommes d’armes.

Une sainte Geneviève célébrée par des fonctionnaires militaires.

En l’occurrence, c’est la laïque gendarmerie du Gard (dont le siège est à Nîmes, en Occitanie, rue… sainte Geneviève !) qui a décidé d’organiser le 30 novembre 2018 une manifestation placée sous le patronage de « sa » sainte précitée[2] en offrant non seulement un traditionnel moment de convivialité (ce dont on ne saurait la blâmer) mais surtout en le faisant précéder d’un office religieux matérialisé non dans l’enceinte militaire par un aumônier institué mais dans une église, ouverte au public, de Nîmes[3] où un prêtre était chargé du culte et où l’ensemble des agents militaires était convié à participer, sur leur temps de travail et en uniformes.

Y décelant une atteinte aux principes de neutralité et de laïcité mais encore un manquement aux obligations de réserve des fonctionnaires militaires, une association (celle de la Libre pensée du Gard) a cherché – pour l’avenir plus encore que pour le passé[4] – à contester la légalité d’un tel événement dont elle s’était émue (par un recours gracieux daté du 14 novembre 2018). La requérante espérait alors obtenir trois condamnations :

  • qu’il soit rappelé aux agents leur « devoir de réserve » et conséquemment que le rejet qui lui avait été implicitement matérialisé par le chef du groupement départemental de gendarmerie soit annulé ;
  • que l’autorisation, délivrée par ce même chef de service à ces agents, d’assister à l’office religieux soit prohibée ;
  • et que la partie condamnée en supporte les frais (art. L. 761-1 Cja).

Le rejet attendu de la première prétention.

Toutefois, ce fut en vain puisque l’association ne sera suivie sur aucun point par le juge nîmois. Par ailleurs, ainsi que le relèvent très justement les juges du fond dans leurs premiers considérants :

« Par un courrier du 14 novembre 2018 adressé au chef du groupement de gendarmerie du Gard, le président de l’association La Libre Pensée du Gard a contesté la participation des gendarmes à une cérémonie religieuse célébrée en l’honneur de sainte Geneviève et a demandé que soit rappelé aux militaires des compagnies et escadrons du ressort leur devoir de réserve, notamment en matière religieuse ».

Et, même si, « par une lettre du 23 novembre 2018, le chef du groupement de gendarmerie du Gard a » effectivement « rappelé les principes et conditions de la pratique religieuse » selon lui « au sein des forces armées », il n’a pas répondu à l’association requérante mais même si celle-ci a requis « l’annulation du rejet implicite de sa demande ainsi que de l’autorisation donnée par le chef du groupement départemental de gendarmerie du Gard aux gendarmes du Gard d’assister, pendant les heures de service et en uniforme, à la cérémonie religieuse dite de la sainte Geneviève », sur le premier point (seulement), il y avait une difficulté en matière de recevabilité contentieuse.

En effet, « eu égard à son imprécision et à son caractère purement déclaratif », la demande originelle de la requérante en date du 14 novembre 2018 et « tendant à ce que soit rappelé aux militaires des compagnies et escadrons du Gard leur devoir de réserve », n’a pas fait naître de décision implicite de rejet faisant grief. Et d’ajouter par suite qu’à « supposer que l’association requérante ait entendu demander l’annulation du courrier de réponse du 23 novembre 2018 du chef du groupement de gendarmerie du Gard, cette lettre à caractère informatif est pareillement insusceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ».

Sur ce point, il est vrai, on attendait peu du juge qu’il ouvrît grandes les portes de son prétoire pour accueillir une demande aussi peu précise. En revanche, restait à examiner la légalité même de l’autorisation de participation des gendarmes à la cérémonie du 30 novembre 2018 spécialement dans son versant religieux. Discutons-en donc.

Signet à Sainte Geneviève (circa 1940)

De l’obligation de réserve & de la liberté de d’opinion (et de croyance) des agents publics.

Avant même de se jeter sous les fourches caudines des débats entre pro et ultras laïques, il convient de faire état d’une première obligation applicable à tout fonctionnaire civil ou militaire : celle d’être mesuré, réservé dans ses expressions et ce, plus particulièrement encore en service (même si cela peut aussi avoir des répercussions sur la vie personnelle, hors service, de certains agents). Cette obligation de mesure trouve sa source dans de nombreuses normes (et l’on citera ci-après celles spécialement applicables aux gendarmes) et se décline en plusieurs sous catégories d’obligations qui vont s’appliquer (ou non) selon les fonctions.

Ainsi, d’aucuns devront respecter un strict devoir de secret quand d’autre devront « seulement » faire état de discrétion professionnelle. Surtout, quand on envisage le devoir de réserve des agents publics, on met d’abord en avant leur mode d’expression plus encore que le contenu potentiellement exprimé. En effet[5], et tout énoncé normatif ou doctrinal en matière de Laïcité commence invariablement par ce rappel : les agents, même publics, ont des droits parmi lesquels non seulement celui de croire ou de ne pas croire (en ce qu’ils veulent) mais encore d’exprimer et de pratiquer tout culte de leur choix, à titre personnel, hors du service. Exceptionnellement, cela dit, quelques exceptions sont reconnues à la pratique – en service – de certains cultes et ce, en particulier lorsque les agents ou les usagers ne sont pas ou plus libres de leurs mouvements (comme en prison, dans un établissement scolaire, hospitalier ou encore militaire). Cette dérogation est explicite dès l’art. 02 de la Loi dite Briand de séparation des Eglises et de l’Etat :

« Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons ».

Toutefois, il s’agit bien (et par exception) d’une pratique cultuelle en service et dans l’établissement public. Hors cette hypothèse et en conséquence, est prohibée toute discrimination en faveur ou au détriment d’un agent du seul fait de sa croyance religieuse réelle ou présumée et ce, tant lors du recrutement[6] que lors du déroulement de sa carrière[7].

Même militaire, il est heureux que tout agent ait le droit au respect de ses opinions.

En revanche, en service, le prosélytisme religieux est prohibé aux noms des principes de Laïcité et de neutralité du service et des agents publics.

Si l’agent public est donc libre de croire et qu’il ne peut le lui être reproché ou qu’il en subisse des discriminations, en service en revanche – et à plus forte raison encore – en présence d’usagers, l’agent incarnant le service public doit traduire la stricte séparation des Eglises et de l’Etat et conséquemment ne témoigner d’aucune croyance religieuse que ce soit par ses vêtements, ses attitudes ou encore ses écrits et ses mots. Le principe dit constitutionnel[8] de Laïcité implique donc, par ricochet, une absolue neutralité religieuse des services publics ce qui comprend les lieux qui les abritent[9] ainsi que les agents qui les font vivre. Dès lors, les agents publics ne peuvent-ils faire état de leur foi.

Puisqu’ils incarnent la fonction et le service publics, ils doivent faire disparaître, en service, leur identité et leurs croyances religieuses au seul profit de l’action publique et de l’intérêt général neutres et laïques. Tout comportement prosélyte d’agent public en est conséquemment sanctionné ce qui est l’application même de l’art. 25 de la Loi statutaire du 13 juillet 1983 pour les fonctionnaires civils ou encore de l’avis CE, 03 mai 2000, Julie Marteaux [req. 217017] l’ayant inspiré. Est ainsi prohibé le fonctionnaire qui fait publiquement usage de son adresse électronique professionnelle (engageant ainsi et a minima l’image de son employeur public laïque) dans un cadre associatif religieux[10]. Il en est de même de ceux distribuant en service des écrits religieux sur supports matériels[11] ou numériques[12]. S’applique également en la matière le contentieux fourni du port – interdit – des habits sacerdotaux ou religieux par des agents publics en service ce qui est, par exemple, le cas du hidjab et ce, non seulement dans des services publics gérés par des personnes publiques[13] mais encore – même – par des personnes privées[14]. Il n’en est en revanche, heureusement, pas de même s’agissant du seul port de la barbe contrairement à ce que d’aucuns – y compris en jurisprudence – avaient estimé[15].

De l’obligation renforcée de réserve des agents militaires.

Contrairement à ce qu’une actualité récente a cru démontrer (on fait ici référence à la tribune dite des Généraux[16] émise, à l’initiative de M. Fabre-Bernadac aux côtés de nombreux militaires depuis le média Valeurs actuelles), les militaires sont spécialement soumis à une obligation renforcée de réserve. Ce n’est effectivement pas pour rien que l’armée a longtemps été surnommée de « Grande muette » : plus encore que pour les fonctionnaires civils, il est demandé aux militaires, dont les gendarmes selon l’art. L 4145-1 du Code de la Défense, de n’exprimer leurs opinions politiques comme religieuses strictement en dehors du service.

Certes, le militaire jouit au titre de l’art. L 4121-1 du Code préc. « de tous les droits et libertés reconnus aux citoyens » mais « l’exercice de certains d’entre eux est soit interdit, soit restreint ». En l’occurrence, précise l’art. L 4121-2 suivant :

« Les opinions ou croyances, notamment philosophiques, religieuses ou politiques, sont libres. Elles ne peuvent cependant être exprimées qu’en dehors du service et avec la réserve exigée par l’état militaire. Cette règle s’applique à tous les moyens d’expression. Elle ne fait pas obstacle au libre exercice des cultes dans les enceintes militaires et à bord des bâtiments de la flotte ».

Ainsi, est-il clairement spécifié :

  • que les militaires dont les gendarmes se voient certes reconnaître « le droit pour tout individu de croire ce qu’il veut et de se rattacher à la religion qu’il préfère ». Et « le » spécialiste de la fonction publique militaire d’en conclure qu’effectivement[17] :

« tout militaire (…) quel que soit son grade, a droit au respect de ses opinions religieuses ou politiques et nul ne peut être puni (…) en raison de ses idées ».

  • « Cependant la manifestation de ces opinions ne peut avoir lieu qu’en dehors du service, sous la condition de ne pas manquer à la réserve imposée par les fonctions » et l’auteur de citer en ce sens la célèbre décision CE, 03 mai 1950, Institutrice Jamet (req. 98284 ; Rec. 247) qu’il applique également à l’état militaire.
  • Il est donc possible aux militaires de croire et même de pratiquer un culte mais ce, hors du service ou – en service – dans les espaces dédiés des « enceintes militaires » et des « bâtiments de la flotte ».

Hors ces lieux et ces moments, le gendarme – singulièrement en uniforme et en public – n’exprime pas son opinion y compris religieuse. Et si l’art. L 4121-2 que cite portant explicitement le juge nîmois précise que le culte peut être exercé « dans les enceintes militaires » cela signifie bien qu’il ne peut pas l’être collectivement et en uniforme à l’extérieur du cadre militaire : dans une église civile et religieusement consacrée.

Plus spécialement, à propos des seuls gendarmes, énonce explicitement le Code de la défense en son art. R 434-32 : « Les militaires de la gendarmerie ne peuvent exprimer des opinions ou croyances, notamment philosophiques, religieuses ou politiques qu’en dehors du service et avec la réserve exigée par l’état militaire ». Le gendarme est même qualifié à l’art. suivant de « soldat de la loi » et non de soldat de la Religion.

Aussi, en organisant elle-même un office suivi d’un moment convivialité, la gendarmerie matérialise-t-elle une atteinte à l’état militaire même mais encore à l’obligation de réserve ainsi qu’à d’autres principes qu’il s’agit maintenant d’évoquer.

Des obligations de Laïcité & de neutralité.

L’affaire en cause soulève un certain nombre d’interrogations relatives au principe constitutionnel de laïcité et de ce qu’il implique, notamment à l’égard des services publics, à travers les deux premiers articles de la loi de 1905.

Le Tribunal administratif rappelle alors que cette dernière « crée, pour les personnes publiques, des obligations », dont celle de « veiller à la neutralité des agents publics et des services publics à l’égard des cultes, en particulier en n’en reconnaissant ni n’en subventionnant aucun ». Dès lors, les juges admettent que ce sont les personnes publiques elles-mêmes qui sont les gardiennes du respect de la laïcité, et notamment de la neutralité de leurs services, mais aussi de leurs agents. De plus, il est rappelé que la Séparation implique outre le non-financement des cultes, leur non-reconnaissance[18]. Ce dernier principe vise précisément à supprimer le régime concordataire des cultes reconnus, consistant à accorder une place privilégiée et officielle à certains cultes ou à un culte en particulier. En somme, depuis 1905, toutes les convictions quelles qu’elle soient (religieuses, politiques, philosophiques) sont mises sur le même pied. Tous les cultes, passés, présents, futurs, sont considérés également, sans faveur ni défaveur. Un service public, et a fortiori ses agents, ne sauraient par conséquent montrer un attachement particulier à une conviction en particulier : la neutralité en tant qu’équidistance – on dirait même de distanciation – religieuse, serait alors nécessairement violée.

Il a été rappelé que la laïcité n’interdit aucunement à ses agents d’avoir de quelconques convictions. Ce qui leur est prohibé est l’extériorisation de ces convictions, ce qui est totalement différent. Si la croyance est libre et entière, sa manifestation peut nécessairement faire l’objet de restrictions. Ici, pour les agents, c’est l’extériorisation de toute conviction pendant le service, c’est-à-dire pendant le temps de travail, sur le lieu de travail, ou avec la tenue de travail, qui est interdite.

L’obligation de stricte neutralité impose alors que, dans l’exercice de leurs fonctions, les agents ne se livrent à aucune forme de propagande, ainsi qu’il ressort de l’arrêt Dlle Pasteau[19], le but étant évidemment de préserver le service et l’Etat, que les agents représentent et dont ils sont finalement les démembrements. Cette obligation concerne tous les services publics, et aucune dérogation ne saurait être admise, puisque le principe même de laïcité serait affecté et perdrait de sa substance.

C’est donc bien à tout agent public que s’impose ce respect de la neutralité, ainsi qu’il en fut précisé dans l’avis Julie Marteaux[20].

Désormais, les principes de laïcité et de neutralité sont non seulement associés, mais aussi assimilés[21] ; l’accent est alors mis sur une conception de la laïcité entendue comme égalité.

Est ainsi énoncée une règle stricte et claire, il n’y aurait donc aucunement besoin de tenir compte de la nature, du degré du caractère ostentatoire – ou ostensible du reste – du signe arboré, des fonctions occupées, ou des intentions de l’agent : quels que soient le statut de l’agent – titulaire ou non –, son poste, qu’il soit en contact ou non avec les usagers, le signe religieux qu’il porte, sa forme ou sa couleur, il lui est interdit de manifester ses convictions, religieuses, politiques, ou philosophiques.

Carte postale (non voyagée – circa 1900) n° 861 coll. FTN ; Ste Geneviève, patronne de Paris et protectrice de l’enfance (coll. perso. MTD)

Ce ne sont pas les convictions qui sont condamnées, mais bien les actes qui sont censurés :

c’est-à-dire l’extériorisation des convictions, comme le seul fait de porter un signe religieux, d’avoir des comportements prosélytes[22], voire troublant le fonctionnement normal du service (qui compromettraient par exemple la sécurité, la santé des autres agents ou des usagers, ou encore qui consisteraient à jeter le discrédit sur le service) ou, comme en l’espèce, de participer à une cérémonie religieuse[23]. C’est d’ailleurs dans ce sens que semble aller le Tribunal administratif en relevant que

« le principe de laïcité fait obstacle à ce que [les militaires de la gendarmerie] manifestent leurs croyances religieuses dans le service public ».

Pourtant, les mêmes principes, indiquent les juges, ne s’opposent pas à ce que ces mêmes agents

« soient invités et autorisés, durant le service, à assister à un office religieux dans une église, lorsque cette invitation présente un caractère facultatif et s’inscrit dans le cadre d’une manifestation annuelle, traditionnelle et festive participant à la cohésion et à la représentation de l’institution ».

De l’exception prétorienne de la manifestation « traditionnelle et festive participant à la cohésion et à la représentation de l’institution »

En l’occurrence, pour justifier ce caractère traditionnel et festif, la décision relève que la cérémonie de la Sainte Geneviève est organisée par la gendarmerie nationale « depuis de nombreuses années ». Dès lors, le fait pour les agents d’y participer ne peut « à lui seul » être regardé comme la « manifestation de convictions religieuses dans le cadre du service public ni comme relevant de l’exercice d’un culte ».

Plusieurs commentaires s’imposent : tout d’abord, on peut se demander ce qui relève alors de l’exercice d’un culte, si ce n’est de participer notamment à des cérémonies religieuses, dans un lieu de culte. La liberté de religion implique entre autres l’exercice du culte, qui consiste en la participation collective à des rites ; il s’agit pour les croyants d’entrer en communion et d’extérioriser leurs croyances. Ici d’ailleurs, la cérémonie ayant lieu dans une église, il ne faisait aucun doute sur le caractère religieux de la manifestation. Rappelons d’ailleurs que les édifices du culte catholique qui sont la propriété d’une personne publique bénéficient de l’exclusivité de l’affectation cultuelle[24] : tout usage de l’édifice pour un but autre que cultuel est conditionné par l’accord préalable du desservant[25]. En l’occurrence, tel n’était pas le cas, on était bien en présence d’une manifestation religieuse, se tenant dans un édifice religieux. Le Tribunal va cependant dans le sens totalement opposé.

Facultatif ?

Ensuite, quant au caractère facultatif de l’évènement, on ne peut que louer le fait que tel fût le cas. En effet, l’article 31 de la loi de 1905 crée le délit d’atteinte à la liberté de conscience dans l’ordre religieux en punissant ceux qui,« soit par voies de fait, violences ou menaces contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d’exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l’auront déterminé à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte, à faire partie ou à cesser de faire partie d’une association cultuelle, à contribuer ou à s’abstenir de contribuer aux frais d’un culte ».

Par cette disposition, les libertés de cultes et de conscience sont garanties : toute personne pourra exercer le culte qu’elle aura librement choisi, sans subir aucune pression. Si nul ne peut contraindre autrui à croire ou à pratiquer un culte, il est évident qu’un service public ne peut davantage le faire.

Traditionnel & festif ?

Enfin, au sujet du caractère traditionnel et festif reconnu à la célébration, on constate que les juges se sont a priori inspirés de la jurisprudence du Conseil d’Etat relative aux crèches[26]. Assurément, il peut être délicat de dissocier totalement le cultuel du culturel : une certaine répétition de rites, de traditions religieuses, font partie d’une culture, et les renier définitivement pourrait conduire à un certain appauvrissement, voire à une dénaturation de la réalité.

Carte postale (voyagée ; 1906) série La Voie douloureuse (photographie non colorisée) ; n° 09 : « Le Gendarme » (coll. perso. MTD)

Mais toute la difficulté consiste alors à déterminer ce qui fait partie de la tradition : quels en sont les critères, et à partir de quand un évènement le devient[27] ?

La question s’est par exemple posée au sujet de la légalité de délibérations de collectivités territoriales accordant des subventions afin d’organiser des « Ostensions limousines ». Il avait ici été jugé que bien que les manifestations de ces traditions locales, consistant en diverses cérémonies dont la reconnaissance de reliques, associent autorités civiles, militaires, et religieuses, elles n’avaient pas pour autant perdu « leur caractère de cérémonies du culte de la religion catholique ». Dès lors, les subventions étaient contraires à l’article 2 de la loi de 1905[28].

En l’occurrence, le caractère cultuel de la manifestation avait été reconnu, et peu importe alors qu’elle ait acquis, avec le temps, une dimension traditionnelle ou populaire, et qu’elle ait également une portée économique, culturelle et touristique[29]. Le problème s’était posé en des termes identiques au sujet des sonneries de cloches : ainsi dans une affaire en 2004, un maire avait refusé de réduire les sonneries civiles ponctuant les heures ; le Tribunal administratif lui donna tort estimant qu’il n’existait aucun usage dans la commune justifiant leur emploi, même si cette pratique avait été « rétablie voici quelques années ». Il écarta en revanche toute contestation des sonneries à 12 heures et 19 heures, parce qu’elles correspondent à l’Angélus[30]. En revanche, en appel la Cour administrative annula le jugement, en estimant que ces nuisances sonores de cloches ne pouvaient être considérées comme portant atteinte à la tranquillité publique, et donc ne justifiaient aucune intervention du maire[31]. Les juges d’appel finalement furent ici en contradiction avec la jurisprudence du Conseil d’Etat[32], selon laquelle le maire peut décider des sonneries de cloches, justifiées par la tradition, ou les usages locaux (c’est-à-dire antérieurs à 1905). En l’espèce, nul usage local n’était avancé, ou alors un usage effectif, mais pas ancien.

Pour qu’un évènement devienne traditionnel, il ne suffit donc pas, comme le relèvent les juges au sujet de Sainte Geneviève, qu’il soit organisé « depuis de nombreuses années » (et on peut d’ailleurs souligner l’absence totale de précisions à ce sujet). Encore faut-il une continuité temporelle, et même que la pratique existât avant 1905 : ainsi elle deviendra culturelle.

Tel est en effet le sens et l’esprit de la loi de 1905. Ainsi, A. Briand, au sujet de l’article 28, précisait que « les emblèmes religieux déjà élevés ou apposés demeurent et sont régis par la législation actuelle. L’article ne dispose que pour l’avenir[33]».  La loi souhaitait respecter le passé, et l’interdiction ne pouvait valoir que pour la postérité. Aussi le législateur entendait clairement préserver ce qui relevait du culturel, donc ce qui était antérieur à la loi. Incidemment, il l’intégrait dans le patrimoine national, ce qui revient à inclure le cultuel dans le culturel. Mais pour Briand, le cultuel, s’il est bien « une catégorie du culturel » n’en est plus désormais, à compter de la loi de Séparation, qu’un des composants parmi d’autres, car la culture laïque peut s’ouvrir à d’autres catégories.

Dans l’affaire de Sainte Geneviève, non seulement aucune précision n’est donnée sur le nombre d’années depuis lesquelles la cérémonie est organisée par le service public, mais il est, de plus, fort probable que celle-ci n’existe pas de façon continue et interrompue antérieurement à 1905. En effet, c’est par un décret du 18 mai 1962 que le Pape Jean XXIII établit Sainte Geneviève comme patronne « des gendarmes français, gardiens de l’ordre public… ».

Du port réglementé de l’uniforme.

Par ailleurs, qu’il nous soit permis ici de rappeler qu’en insistant sur l’usage et le port de l’uniforme de cérémonie à l’office religieux, la gendarmerie du Gard a clairement manifesté (ce qui n’était plus douteux) que les agents devraient ici être considérés en service et non comme des citoyens privés se rendant à un office tout aussi privé.

En effet, comme le rappelle en son préambule l’instruction[34] n°5000/GEND/DSF du 10 février 2016 relative à l’habillement des personnels militaires servant dans la gendarmerie, le port de l’uniforme est une « prérogative de l’état militaire (…) obligatoire pour l’exécution du service ». Selon l’art. 06-1 de la même norme, 6.1., il est précisé qu’en « règle générale, le personnel revêt :- l’une des tenues de soirée ou de cérémonie lors des manifestations publiques ou privées, les prises d’armes, les cérémonies civiles ou militaires ». Rien n’est évidemment en revanche mentionné à propos des cérémonies religieuses puisqu’elles doivent être privées. Il est même spécifié et rappelé dans de nombreuses notes de service et même actes réglementaires[35] que le port de l’uniforme militaires est proscrit dans toute activité ou manifestation syndicale ou politique.

En conséquence, en invitant non seulement les agents à revêtir leur uniforme mais encore celui dit de cérémonie, la gendarmerie a souligné l’importance de l’événement à ses yeux et l’a considéré non comme une activité privée mais bien comme un temps de service. Cela signifie – très simplement – qu’une administration laïque a invité ses agents à participer, en service et en uniforme, à prier Dieu et sainte Geneviève (mais qu’elle ne voit pas pour autant l’atteinte aux principes préc. de neutralité et de laïcité).

Du caractère collectif des autorisations individuelles non sollicitées d’absence.

Il a récemment été donné à l’un des co-auteurs du présent article[36] de revenir sur les autorisations d’absences de service pour motif religieux et sur leur régime juridique. Il en ressort plusieurs éléments ici importants :

  • d’abord, l’autorisation est une demande nécessairement individuelle et préalable actionnée par l’agent ;
  • ensuite, il s’agit d’une « bienveillance » du chef de service selon les termes employés par plusieurs lignes directrices en la matière.

En conséquence, il est impossible ici d’imaginer un seul instant que l’autorisation et l’invitation collectives de la gendarmerie adressée à ses agents est similaire aux telles autorisations. En effet, une autorisation d’absence pour motif religieux est le fruit d’une démarche individuelle. Or, dans cette affaire, c’est la gendarmerie qui a incité, même si cela est facultatif, ses agents à pratiquer un culte.

De la rupture d’égalité envers les autres cultes.

Ne pourrait-on pas alors arguer par suite de ce que les agents non catholiques (les protestants, juifs, arméniens, musulmans ou encore bouddhistes pour ne citer que les principaux cultes quantitativement pratiqués en France) se trouveraient ici placés dans une situation d’inégalité en ce que personne ne les invite à célébrer leur religion ?

De nouvelles « missions » & significations pour le service public de la Gendarmerie ?

En guise de conclusion, qu’il nous soit permis d’énoncer l’art. L. 4111-1 du Code de la défense. Il rappelle que :

« L’armée de la République est au service de la Nation. Sa mission est de préparer et d’assurer par la force des armes la défense de la patrie et des intérêts supérieurs de la Nation ».

Telle est la seule et unique mission de service public que sert la fonction publique militaire. Elle n’est pas là comme le reconnaît pourtant expressément le juge nîmois en ses considérants 07 et 08 une organisatrice d’événement religieux placé sous son commandement. C’est la Nation que l’armée sert et non la religion quelle qu’elle soit et quelles que soient les traditions historiques des corps d’armes et des fonctions publiques. Sinon, cela impliquerait que demain on puisse demander à l’armée d’organiser la bar-mitsva du petit dernier ou après-demain l’Aïd El Kébir de fin de ramadan. Si ces deux événements paraissent impensables à l’avenir, alors le premier aurait dû être interdit.

En outre, qu’il nous soit aussi autorisé d’énoncer l’étonnement qui est le nôtre à constater la multiplication des doctrines (dites autorisées ou non) qui affirment que les normes laïques ou leurs interprétations juridictionnelles ont admis l’existence d’une pluralité de significations des éléments et des symboles religieux. Ainsi, sous prétexte qu’un élément religieux donné aurait acquis, au fil des années, une autre signification supplémentaire (et non substituée), d’aucuns en tirent la conséquence que la nouvelle signification effacerait l’originelle.

Ainsi, l’argument selon lequel un individu pourrait arborer un foulard ou un turban, sans être de confession musulmane ou sikhe, avait déjà pu être avancé[37]. Or il ne saurait satisfaire, puisque la valeur des signes est connue, et un non musulman n’arborera pas un signe d’appartenance à cette religion[38]. Il serait incongru alors que l’Administration – ou le juge – se permette de demander à l’individu s’il est bien de la confession dont il porte le signe. Cela constituerait évidemment une immixtion dans l’intimité de l’individu ; l’Administration, comme les autres élèves du reste, n’ont pas à connaître la religion ni à demander des précisions, si l’appartenance est réelle ou supposée.

En ce sens également se sont exprimés celles et ceux justifiant les crèches de la nativité dans les espaces publics car les fêtes de noël seraient devenues des fêtes de fin d’année dissimulant la célébration de la naissance du Christ. Non ! Même si Noël a pris un autre sens, cette seconde signification n’a pas effacé la première. Noël est toujours, à titre premier, la célébration du Christ rédempteur et confié aux soins des hommes et des femmes de foi[39]. Oser prétendre que le sens religieux en a disparu est singulièrement et précisément faire acte de mauvaise foi. Sur cette lancée, semble pourtant se diriger un auteur estimé des co-auteurs de cette contribution[40] lorsqu’il sous-entend à mi-mots que pour certains des militaires ici concernés « assister à cet office ne constitue sans doute pas (…) la manifestation d’une conviction religieuse et ne marque pas forcément une préférence religieuse ». Très respectueusement, nous ne pouvons y souscrire car cela pourrait ensuite donner lieu à l’interprétation suivante : la messe ou encore la prière ne sont pas des matérialisations de la religion. Cette justification de la non-sanction d’une atteinte manifeste aux principes de neutralité et de laïcité au prétexte qu’une ou deux personnes seraient là par hasard, pour faire plaisir aux copains ou encore pour boire un verre à l’issue de l’office est d’une mauvaise foi particulière. Que l’on soutienne qu’un agent à titre privé puisse visiter et admirer un lieu saint sans être pratiquant s’entend mais qu’il participe activement à un office, même s’il n’y prie pas, n’ôtera pas à cet office sont éminent et originel caractère religieux.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ;
Chronique Laïcité(s) ; Art. 330.


[1] De l’auteur, on lira avec grand profit sa « somme » sur les circulaires ainsi que ces deux articles déterminants, selon nous, pour la compréhension du phénomène laïque en Droit : Koubi Geneviève, Les circulaires administratives ; Paris, Economica ; 2003 ; « Autorisation d’absence et liberté de conscience des fonctionnaires » in Rev. Adm. ; 1987 ; n° 236 ; p. 133 et s. ; « Le juge administratif et la liberté de religion » in Revue Française de Droit Administratif (Rfda) ; 2003 ; p. 1055 et s.

[2] Il ne s’agit plus ici du pr. Koubi mais de Genovefa dite Geneviève (de Paris) (circa 420 ; circa 500).

[3] Peut-être, comme en 2016, dans l’église de Bethléem située au bout de la rue sainte-Geneviève…

[4] L’événement eu lieu à Nîmes le 30 novembre 2018 et la requête, au fond, fut déposée le 04 janvier 2019.

[5] Qu’il soit ici permis au pr. Touzeil-Divina de reprendre un court paragraphe en cours de parution dans un article consacré aux autorisations d’absence pour motif religieux (in AJCT ; juin 2021).

[6] Est ainsi annulé le concours d’officiers de police au terme duquel le jury avait interrogé un candidat sur ses pratiques confessionnelles familiales : CE, 10 avril 2009 ; M. El Haddioui, n° 311888, Rec. 158.

[7] De jurisprudence constante, est ainsi prohibé tout refus d’évolution de carrière (comme en l’espèce la titularisation d’une institutrice suppléante) du seul fait des croyances religieuses de l’agent : CE, 03 mai 1950, Demoiselle Jamet ; req. 98284 ; Rec. 247. Plus récemment, le juge de cassation a même très étonnamment validé le fait qu’un prêtre devienne même Président d’une Université laïque ce qui n’est pourtant pas une évolution de carrière mais une élection comme administrateur (CE, 27 juin 2018, Syndicat national de l’enseignement supérieur Snesup-Fsu (req. 419595) avec obs. Touzeil-Divina in Jcp G ; 09 juillet 2018 ; n° 27, p. 07 et s.).

[8] Sur sa remise en question(s), on se permettra de renvoyer au chapitre premier de nos Dix mythes du droit public ; Paris, Lgdj ; 2019 ; p. 53 et s.

[9] Il en est ainsi de la neutralité des bâtiments et des espaces publics dans lesquels, malgré une étonnante jurisprudence permissive et créatrice du juge administratif, l’apposition d’emblèmes et de symboles religieux devrait toujours être strictement prohibée. A contrario, CE, Ass., 09 nov. 2016, Commune de Melun ; Fédération de libre pensée de Vendée ; req. 395122 & 395223 ; obs. Touzeil-Divina Mathieu, « Ceci n’est pas une crèche ! » in Jcp A n°45 ; 14 novembre 2016 ; p. 02 et s.

[10] CE, 15 oct. 2003, Odent ; req. 244428 ; Rec. 402.

[11] CE, 19 février 2009, Bouvier ; n° 311633 ; Rec. T. 813.

[12] CAA de Versailles, 30 juin 2016, C. c. Commune de Sceaux ; req. 15VE00140.

[13] En ce sens : CAA de Lyon, 27 nov. 2003, Najet Ben Abdallah ; req. 03LY0192 ou TA de Toulouse, ord., 17 avril 2009, Sabrina T. c. Université Toulouse III Paul Sabatier ; req. 091424. C’est aussi ce qu’a confirmé le juge européen des droits de l’Homme : Cedh, 26 nov. 2015, Christiane Ebrahimian c. France ; req. n°64846/11 et qu’a rappelé le Conseil d’Etat dans sa formation consultative (à la demande et sur saisine du Défenseur des droits) dans son étude datée du 19 déc. 2013 ; spéc. p. 28.

[14] Cass., Soc., 19 mars 2013, Cpam de Seine-Saint-Denis ; req. 12-11.690. La jurisprudence de la même chambre et dite Baby-Loup (du même jour ; req. 11-28.845) a même étendu cette obligation de neutralité à des organes non expressément qualifiés de services publics mais dont le règlement intérieur le permet (ce qu’a repris explicitement l’art. L 1321-2-1 du Code du travail modifié à la suite de la Loi dite El Khomri du 08 août 2016).

[15] En ce sens : CE, 12 févr. 2020, M. B. c. Centre hospitalier de Saint-Denis ; req. 418299 ; avec obs. Touzeil-Divina : « Au nez et à la barbe des juges du fond, le Conseil d’Etat rappelle (enfin) qu’en soi porter la barbe n’est ni illégal ni contraire au principe de Laïcité » in Jcp A ; 24 février 2020 ; n° 08 ; p. 03 et s.

[16] « Pour un retour de l’honneur de nos gouvernants » in Valeurs actuelles ; 21 avril 2021.

[17] Coutant Pierre, La fonction publique militaire ; Paris, Lavauzelle ; 1960 ; p. 92.

[18] Ce principe de non-reconnaissance, issu de l’article 02 de la loi de 1905, ne doit pas s’entendre comme une méconnaissance ou une négation des cultes par l’Etat. Il s’agit plutôt, selon les termes du doyen Hauriou, d’une « fiction d’ignorance légale » (Hauriou Maurice, Précis de droit administratif et de droit public, Sirey, Paris, 6e édition, 1907, p. 846). En somme, il est question de supprimer le régime des cultes reconnus, c’est-à-dire de leur donner un statut officiel.

[19] CE, 8 décembre 1948, Demoiselle Pasteau, Rec. 464 ; S., 1949, 3, p. 41, 2ème espèce, note J. Rivero ; Rdp, 1949, p. 73, note M. Waline.

[20] CE, Avis, 3 mai 2000, préc.

[21] D’ailleurs, le Conseil d’Etat fit référence au « principe de laïcité et à l’obligation de neutralité qui s’impose à tout agent public », CE, 15 octobre 2003, Odent, préc.(nous soulignons).

[22] CE, 19 février 2009, Bouvier ; Ajfp, 2009, p. 253, concl. B. Bourgeois-Machureau : le fait pour un agent public d’utiliser ses fonctions pour remettre aux usagers du service public de La Poste des imprimés à caractère religieux dans le cadre de son activité de guichetier constitue une faute.

[23] Relevons d’ailleurs que cette obligation de neutralité a été consacrée par la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie des fonctionnaires. Le nouvel article 25 de la loi du 13 juillet 1983 dispose désormais : « Dans l’exercice de ses fonctions, [le fonctionnaire] est tenu à l’obligation de neutralité (…), exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité (…) « s’abstient notamment de manifester, dans l’exercice de ses fonctions, ses opinions religieuses ». Il doit par ailleurs traiter de « façon égale toutes les personnes et respecte[r] leur liberté de conscience et leur dignité ». Par conséquent, l’ancrage de la neutralité n’est plus seulement jurisprudentiel, il est également textuel, et a reçu l’onction de la Cour européenne des droits de l’homme.

[24] Loi du 02 janvier 1907 concernant l’exercice public du culte : « A défaut d’associations cultuelles, les édifices affectés à l’exercice du culte, ainsi que les meubles les garnissant, continueront, sauf désaffectation dans les cas prévus par la loi du 9 décembre 1905, à être laissés à la disposition des fidèles et des ministres du culte pour la pratique de leur religion » ; et Loi du 13 avril 1908 modifiant les titres II et III (articles 6, 7, 9, 10, 13 et 14) de la loi du 09 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat.

[25] CE, ord., 25 août 2005, Commune de Massat, Rec. 386.

[26] En effet, depuis 2016, est à la fois reconnue à ces dernières une dimension religieuse et une dimension non religieuse, donc culturelle. Dès lors, la Haute juridiction considère que si la crèche est culturelle, en raison notamment du contexte, elle sera autorisée ; si en revanche elle est accompagnée « d’élément de prosélytisme », ou s’il n’y a pas d’usages locaux, elle sera interdite. De même, le Conseil d’Etat distingue selon les lieux : dans l’enceinte des bâtiments publics, sauf circonstances particulières, le caractère culturel sera difficilement admis. En revanche, dans d’autres emplacements publics, « eu égard au caractère festif », la crèche peut être autorisée.

[27] Voir Benelbaz Clément, « La distinction entre cultuel et culturel » in Mouannès Hiam (dir.), La territorialité de la laïcité, Actes du colloque organisé le 28 mars 2018 à l’Université Toulouse 1 Capitole, Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, coll. Actes de colloque de l’IFR, 2018, p. 83-126.

[28] TA de Limoges, 24 décembre 2009, M. Geirnaert, Ajda 2010, p. 738, concl. J. Charret, et CE, 15 février 2013, Association Grande confrérie de Saint Martial et autres, Ajda 2013, p. 375 ; Rfda, 2013, p. 375, concl. E. Cortot-Boucher, note M. Comte-Perrier ; Ajda  2013, p. 1529, note M. Le Roux ; DA, n°7, juillet 2013, comm. 53, note G. Eveillard.

[29] Voir CE, 03 décembre 1954, Sieur Rastouil, évêque de Limoges, Rec.639 ; D., 1955, J., p. 31, note, dans lequel le Conseil d’Etat admettait que des cérémonies, « consacrées par les habitudes et les traditions locales », ne perdaient pas pour autant leur caractère cultuel.

[30] TA de Lille, 15 janvier 2004, M. et Mme Duavrant, BJCL, n°7/05, p. 452, concl. J. Lepers, obs. B.P. ; Ajda, 2004, p. 778, note N. Wolff.

[31] CAA de Douai, 26 mai 2005, Commune de Férin, Jcp G 2005, II, 10127, note M.‑F. Delhoste ; DA, août-septembre 2005, p. 32, note P. Türk.

[32] CE, 9 mars 1929, abbé Dumas, Rec. 286.

[33] Briand Aristide, La séparation des Eglises et de l’Etat, rapport fait le 4 mars 1905 au nom de la commission relative à la séparation des Eglises et de l’Etat et de la dénonciation du Concordat chargée d’examiner le projet de loi et les diverses propositions de loi concernant la séparation des Eglises et de l’Etat, n°2302, Chambre des députés, annexe au procès-verbal de la deuxième séance du 4 mars 1905, Paris, E. Cornély éd., p. 334.

[34] NOR : INTJ1600160J.

[35] Dont l’arrêté MinDef/Daj du 14 décembre 2007 in Jorf n° 229 du 26 décembre 2007 (texte n° 70).

[36] Voyez supra en note 05.

[37] En ce sens, Dieu Fréderic, « Le Conseil d’Etat et la laïcité négative », Jcp A., 2008, 2070 ; ou encore Garay Alain et Tawil Emmanuel, « Tumulte autour de la laïcité », D., 2004, pp. 225-229.

[38] Sauf s’il a perdu le sens commun qui associe tout signifiant à un signifié.

[39] Selon Charles Sanders Peirce (Ecrits sur le signe, Editions du Seuil, 1978), il est possible de distinguer l’indice, l’icône et le symbole. L’indice tout d’abord est un signe immédiat, il ne représente pas une chose ou un phénomène mais les manifeste (une fumée désigne par exemple un feu). L’icône ensuite est un objet dynamique dont la qualité est reliée à son signe descriptif par une similarité qualitative ou une ressemblance. L’icône est donc pour Peirce le signe dont le signifiant a une relation de similarité avec ce qu’il représente, son référent. Par exemple, un tableau, une statue ou une photographie (pour Le Petit Robert, l’icône est un « signe qui ressemble à ce qu’il désigne, à son référent ». Il confond donc l’objet et sa représentation). Enfin, le symbole distingue l’objet et sa représentation. La relation du symbole avec l’objet qu’il représente est donc arbitraire, c’est-à-dire non causale (comme dans l’indice : par exemple la fumée est l’indice d’un feu, parce que celui-ci en est la cause), elle est aussi arbitraire parce que non analogique (comme dans l’icône) : en fait cette relation est d’ordre culturel.

Ainsi, chez les chrétiens, le symbole du Christ était l’agneau. Ils nomment le Christ comme « l’agneau de Dieu » (parole de saint Jean-Baptiste) et en plus de cela les douze apôtres se symbolisaient par douze agneaux. Mais en 692, un concile s’est réuni à Istanbul et a décidé d’utiliser la croix comme symbole chrétien à la place de l’agneau. Ainsi on voit que les symboles peuvent varier dans la même culture, au gré des choix arbitraires qui s’opèrent.

Dès lors, le crucifix est l’icône de la croix sur laquelle Jésus a été crucifié, une représentation en bois, en métal ou en ivoire etc. de la croix de la crucifixion sur laquelle est de surcroît représentée la victime crucifiée (« croix sur laquelle est figuré Jésus crucifié », selon Le Petit Robert). Quant à la crèche, elle est également un icone quand on considère qu’il s’agit de figurines placées dans un décor servant de « représentation de l’étable de Bethléem et de la Nativité » (Le Petit Robert). Il y a là une relation d’analogie, créée du reste par une intention de ressemblance de la part de leurs auteurs ou de leurs utilisateurs. Mais dans les deux cas, il est possible de parler de symboles, parce qu’arbitrairement, par une intention culturelle, on fait d’un élément particulier de la vie de Jésus le symbole de sa vie entière et de son enseignement. La relation entre le signe devenu symbolique et l’objet représenté qu’est le christianisme est ici un rapport d’inclusion : un fragment de la vie sert à désigner la vie entière (et plus encore, ce qu’elle implique religieusement). C’est ce qu’en rhétorique on appelle une synecdoque. En somme, que l’on considère le crucifix et la crèche comme des icones, ou comme des symboles, il paraît impossible de disjoindre ces deux signes de leur signifié religieux, ou pour le dire autrement de leur référent religieux. La sémiotique de Pierce est ici moins opérante que la définition de Saussure qui fait essentiellement du signe un rapport entre un signifiant et un signifié.

[40] Deliancourt Samuel, « Les gendarmes peuvent assister durant leur service à la messe de sainte Geneviève dans une église » in Jcp A ; 29 mars 2021 ; n° 13 ; p. 29 et s.

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ParJDA

D’une laïcité à l’autre : réflexion sur le principe de laïcité et son évolution

art. 329.

Le Journal du Droit Administratif, fondé en 1853 à Toulouse puis refondé en ligne en 2015, propose, en partenariat avec le Laboratoire d’Analyse(s) Indépendant sur les Cultes (LAIC) – Laïcité(s), une nouvelle chronique régulière (à vocation mensuelle) placée sous la direction commune des drs. et enseignants-chercheurs Clément Benelbaz & Mathieu Touzeil-Divina.

Cet article est issu de la 1ère chronique Laïcité(s) du mois de mai 2021.

par Vincent CRESSIN,
Juriste, attaché principal d’administration

Laïc, du latin laicus qui signifie « commun, ordinaire, qui est du peuple »,
et qui par définition transcende sa condition particulière pour accéder à l’universel.

nb : Les propos tenus dans cet article relèvent de la responsabilité de son auteur et ne sauraient engager l’institution à laquelle il appartient.

Chronique rédigée
avec le concours du JDA & du LAIC

La laïcité, qui n’est pas une idée neuve dans notre République, ne cesse de soulever des débats passionnés, et passionnants, comme en témoigne de manière récurrente l’actualité en la matière. Les controverses parfois bavardes dont elle fait l’objet semblent occulter aussi bien les questions juridiques et politiques qu’elle suscite que les enjeux de société qu’elle renferme. Les positions différentes adoptées tant par la Cour européenne des droits de l’homme que par le Comité des droits de l’homme des Nations Unis sur la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public et qui, loin s’en faut, n’en favorisent pas une certaine unité doctrinale, peuvent à tout le moins être l’occasion d’éclairer à nouveau ses fondement, de rappeler ses caractéristiques et ses limites ainsi que, modestement, les questions qu’elle suscite ou les perspectives d’évolution qu’elle dessine.

1-Par un arrêt en date du 11 décembre 2020, la plus haute juridiction administrative a jugé qu’il n’est ni obligatoire ni interdit pour les collectivités territoriales de proposer aux élèves des repas différenciés leur permettant de ne pas consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses[1]. Si la solution possède le mérite de clore le sujet, les développements contentieux qui ont animé la question n’ont cessé de mettre en relief des conceptions divergentes de la laïcité, qui demeure ainsi investie de significations politiques très différentes[2]. Du reste, si la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Églises et de l’État est restée inchangée dans ses grands principes, il convient de rappeler que cette dernière a connu des réactualisations historique et politiques variées : de la laïcité de fer ou de combat des origines dirigée contre le catholicisme à l’âge de la « neutralité polie » ou de « l’indifférence cordiale », la laïcité se doit aujourd’hui d’accueillir l’expression du pluralisme démocratique et, sous certaines limites, le fait religieux dans l’organisation des services publics, preuve s’il en fallait une de la plasticité de ses dispositions à la racine parfois de la mésinterprétation, voire de l’instrumentalisation dont elle fait preuve[3]. L’évolution pour ne pas dire la mutation de la liberté de conscience en France, interrogée voire nourrie par l’émergence de pratiques religieuses manifestant sinon revendiquant une certaine inscription dans l’espace public, est en réalité puissamment alimentée par la dynamique des droits de l’homme, lesquels font de la subjectivité individuelle le sol et l’horizon indépassables des libertés contemporaines. À la vérité, c’est ce nouveau paradigme culturel, pour paraphraser Alain Touraine, qui contribue à redéfinir les contours de la laïcité, cette dernière se cherchant finalement à n’être qu’un principe à la fois organisateur et régulateur de notre vie démocratique et sociale destiné à concilier l’épanouissement des libertés fondamentales reconnues par la République et les enjeux qu’elles engagent : libertés, citoyenneté, dignité, égalité entre les sexes. Mais en a-t-elle les moyens[4], et ces interrogations légitimes ne débordent-elles pas le champ d’application strict de la laïcité, ou alors peut-on ou doit-on parler de laïcité ou des laïcités[5] ?. C’est d’ailleurs pourquoi elle fait l’objet de tant de controverses à la fois politiques et juridiques. Par ailleurs, que nous dit encore la laïcité qui ne figure pas déjà aux grandes proclamations nationales et internationales, telles qu’interprétées et éclairées par la jurisprudence constructive des juridictions chargées d’en assurer l’effectivité, en particulier de la Cour européenne des droits de l’homme, et à laquelle les juridictions nationales suprêmes se réfèrent de sorte qu’il faut également compter avec l’influence croissante de ce contexte juridique supra-étatique à partir duquel la laïcité se laisse en partie tout du moins saisir et redéfinir. 

Aussi, si le droit de la liberté de religion trouve son fondement dans notre tradition juridique nationale, ses prolongements s’inscrivent dans un cadre juridique autonome bien plus large qui tend à en dessiner les multiples expressions (I), lesquelles peuvent néanmoins connaître des restrictions tirées de la protection d’un ordre public principalement matériel dont la consistance ne laisse pas d’interroger (II).   

Le droit des libertés  

2-Un cadre juridique national et supranational convergent  ….

Promulguée le 9 décembre 1905, la loi de séparation des Églises et de l’État est le fruit d’un long processus de laïcisation et de sécularisation engagé bien avant la Révolution française, mais dont les ferments sont sans doute présents dans la théologie chrétienne[6], même si d’aucuns semblent relativiser cette dette intellectuelle et considérer qu’au lieu que la laïcité plonge ses racines dans la religion, elle procède de part en part d’une démarche d’affranchissement par rapport aux prétentions des Églises à fonder l’ordre social et politique[7], et aux dissensions qu’elles suscitent et exacerbent dans son sillage. En cela, et au soutien incontestable d’une telle justification, les guerres de religion ont indubitablement constitué un fait séminal dans la genèse d’un pouvoir politique transcendant, indépendant et arbitral.

Cette loi de séparation proclame deux principes fondamentaux : celui de la liberté de conscience et du libre exercice des cultes d’une part, et de la neutralité de l’État d’autre part. Sur ce dernier versant, la laïcité rompt avec le régime concordataire qui faisait de la religion catholique « la religion de la majorité des français ». Il n’y a plus de religion légalement consacrée et tous les cultes doivent être traités de manière égale. Comme l’a magistralement expliqué le professeur RIVERO[8], la laïcité renferme un versant négatif car en affirmant que la République ne reconnaît aucun culte, la loi n’a pas entendu dire que la République se refusait à en reconnaître l’existence, mais a fait simplement disparaître la catégorie juridique des cultes reconnus, et un aspect positif dans la mesure où l’État assure la liberté de conscience et son corollaire indissociable qu’est l’exercice des cultes.

La portée de cette dernière proposition n’est pas simplement déclarative mais, et tout au contraire, créatrice d’une véritable obligation à l’encontre des personnes publiques lorsque l’on songe notamment à la présence des services d’aumônerie dans certains services publics.

La laïcité impose de la sorte à l’État une certaine réserve d’intervention et proscrit toute ingérence, tant dans la promotion que dans la restriction des pratiques religieuses dans la sphère publique, aux fins notamment d’assurer dans les meilleurs conditions la conciliation des différentes croyances (religieuses ou non). Si la neutralité de l’État désigne ainsi cette attitude d’abstention absolue et permanente des pouvoirs publics en matière de religion, elle ne signifie nullement comme nous aurons l’occasion d’y revenir que l’espace public soit tenu ou mis à distance des faits religieux.

Composante à part entière de l’identité républicaine figurant au préambule de la Constitution de 1958[9], elle est aujourd’hui constitutionnalisée à son article 1er qui affirme que « la France est une République laïque« . Pour le Conseil d’État, elle entre au rang des droits et libertés que la Constitution garantit et implique notamment le respect de toutes les croyances[10]. La construction européenne n’ignore bien évidemment pas ces principes qui, figurant à l’article 10 de la Charte des droits fondamentaux désormais incorporée suite à l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TUE), constituent une obligation juridiquement contraignante[11] pour ses États membres. La liberté de conscience est par ailleurs assurée au moyen d’engagements internationaux, en particulier par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et auquel le Conseil d’État donne une portée certaine qui déduit l’observation de prescriptions alimentaires de la manifestation directe de croyances et de pratiques religieuses[12].

Pour aller plus loin en la matière, et notamment dans ses constatations du 23 octobre 2018 sur la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public sur lesquelles il n’est pas inintéressant de revenir rapidement, le Comité des droits de l’homme des Nations Unis, qui veille à la mise en œuvre des dispositions incluses au Pacte, a très sévèrement critiqué la loi française qui prévoit en son article premier que “nul ne peut porter, dans l’espace public, des vêtements destinés à dissimuler le visage”. En cause, la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 qui a notamment pour effet d’interdire le port du voile islamique intégrale en public couvrant tout le corps, y compris le visage, et ne laissant qu’une petite ouverture pour les yeux. Le Comité considère en effet que les dispositions de l’article 18 du Pacte[13] qui sanctuarisent, ou plutôt devrait-on sanctifient le droit à la liberté de religion, impliquent la liberté de porter la burqa qui relève comme telle de l’accomplissement d’un rite et de la pratique d’une religion dont la liberté de manifestation est garantie. Ces mêmes principes sont enfin, et surtout, affirmés et mis en œuvre par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, entrée en vigueur en 1953, applicable en France depuis le 4 mai 1974, et qui se donne également pour objectif de garantir un certain nombre de droits et libertés individuels dans les États l’ayant ratifiée. Elle se réfère notamment à la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et pose en son article 9 « le droit pour toute personne à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites ».

3-Par conséquent, ce sont de ces dispositions textuelles convergentes que l’expression contemporaine des religions tire sa forme et sa force, et ce d’autant plus aisément que le protocole n°16 à la Convention, applicable depuis août 2018, prévoit dorénavant la possibilité pour les plus hautes juridictions des États parties d’adresser des demandes d’avis consultatif à la Cour européenne des droits de l’homme sur des questions de principe relatives à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés définis par la Convention ou ses protocoles. Nul doute, si ce n’est déjà le cas, qu’un tel mécanisme de coopération juridictionnelle contribuera tout à la fois à harmoniser les législations nationales et unifier les mœurs et styles de vie dans les États. C’est dire aussi l’arsenal juridique protégeant et garantissant la liberté de religion et qui à bon droit s’inscrit à rebours d’une vision offensive ou laïciste selon laquelle la laïcité serait totalement confondue à la neutralité au point d’oblitérer toute aspérité religieuse dans l’espace public[14]. Si l’État est neutre la société ne saurait l’être et ce en vertu de l’existence et la prééminence même de la liberté de conscience posée à l’article 1 de la loi de 1905. L’État laïque n’engage ni n’implique la laïcisation de la société civile aussi bien que le lieu de sa représentation et de son déploiement : l’espace public.

4-… et propice à l’affirmation de la liberté de conscience.

À l’aune de ces dispositions et de la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme, la liberté de conscience qui est au fondement même des idées et des convictions logées au plus intime de l’individu apparaît, dans son contenu, comme absolue. En effet, sauf à renouer avec des périodes anciennes qui restent très vivaces dans notre mémoire collective et héritées en partie du gallicanisme d’État que nous avons connu où le pouvoir temporel revendiquait un magistère spirituel sur les esprits, les opinions religieuses sont tout autant inassignables qu’indéfinissables. Éclairé ou non, l’individu contemporain est ainsi libre de donner l’adhésion intellectuelle à la religion qu’il souhaite, comme il peut tout autrement demeurer agnostique ou athée. Ne pouvant donner lieu par nature à des atteintes à l’ordre public, la liberté de religion échappe donc à toute restriction qui la rend ainsi absolue[15]. C’est notamment parce que les libertés fondamentales en général, nouvelle religion civile des États laïcs, et la liberté de conscience en particulier demeurent aussi sacralisées que les pouvoirs publics ne sauraient porter quelque jugement de valeur que ce soit sur les doctrines ou les croyances en tant que telles, ni définir ce qu’est une secte, et encore moins en dresser une liste sans méconnaître ce principe. Une telle attitude, dont on ne peut que s’enorgueillir, n’apparaît pas possible dans une société authentiquement libérale et démocratique, même si les morales privées qui en découlent ne peuvent être totalement séparées de la morale publique. Et il n’est pas exagéré d’affirmer que ce refus principiel signe en quelque sorte la fondation des États modernes. Conséquemment, les autorités constituées ne peuvent s’intéresser qu’aux manifestations qui en résultent (manipulation ou déstabilisation mentale, troubles à l’ordre public, atteintes à l’intégrité physique…) et qui, quant à elles, peuvent être saisies par le droit commun, en particulier pénal, pour caractériser notamment une éventuelle dérive sectaire. Plus récemment, le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), dans son plan d’action national et son ambition de développer un contre discours républicain, s’est également trouvé confronté à l’exercice périlleux de devoir toujours préserver cet équilibre nécessaire entre d’un côté la neutralité axiologique de l’État au sens large et de l’autre la liberté de religion. Partant, le radicalisme religieux ne peut qu’être rigoureusement défini et circonscrit, qui comprend indissociablement deux éléments à la fois distinctifs et cumulatifs que sont d’une part une idéologie extrémiste et d’autre part la volonté implacable de la mettre en œuvre par la violence. Aussi, une conception même native et fondamentalisme d’un texte religieux tendant à un retour aux sources de ses fidèles, sans doute anachronique dans la société actuelle, n’est pas punissable en droit pénal. Autrement dit, c’est parce que le radicalisme ajoute la violence à un système de croyance qu’il devient répréhensible.

5-La liberté religieuse qui implique d’adhérer ou non à une religion implique, par extension, celle de la pratiquer et donc de la possibilité d’extérioriser sa foi. Aussi, la libre manifestation des convictions religieuses donnant forme sensible aux croyances s’infère-t-elle tout naturellement de la liberté de religion, sans laquelle cette dernière demeurerait inachevée. Il s’ensuit notamment que le port d’un vêtement, d’un couvre-chef ou d’un insigne exprimant un consentement public à une religion se rattache indissolublement à la liberté de religion. La liberté de religion entretient ainsi des liens étroits avec la liberté vestimentaire qui, bien qu’elle ne constitue pas une liberté fondamentale, affleure en réalité derrière celle-ci et sous laquelle elle doit être en réalité subsumée ou déduite. Une telle ostentation ne saurait au surplus s’apparenter, encore moins se réduire, à un acte de prosélytisme qui réside dans la volonté d’imposer à autrui ses convictions par la violence, la pression ou le harcèlement. Il est donc entendu de manière extrêmement stricte, bien qu’il s’agisse réciproquement de protéger la liberté de conscience d’autrui qui ne saurait également et, tout aussi légitimement, être violée. Dit autrement, et sous ces limites, la liberté religieuse comporte le droit d’essayer de convaincre son prochain, sans lequel la possibilité pour chacun de changer de religion qui en participe resterait lettre morte[16]. Au-delà des codes vestimentaires, la publicisation du religieux peut emprunter des formes autrement plus variées. C’est le cas des prières, individuelles ou collectives, sur la voie publique. Si les premières ne souffrent d’aucune contestation juridique, les secondes en revanche relèvent du régime de la déclaration préalable à l’autorité de police compétence qui peut en interdire la tenue en cas de troubles à l’ordre public[17]

Absolue dans son contenu, la liberté de religion, parce qu’elle engage l’être mais aussi l’agir d’un individu en particulier, s’accompagne inévitablement de l’adoption de pratiques rituelles qui s’accomplissent en public. Ces démonstrations de foi peuvent toutefois connaître des limitations justifiées par les nécessités de l’ordre public qui rendent ses expressions plus relatives. 

Des restrictions limitées à une conception essentiellement matérielle de l’ordre public qui interroge au regard de l’évolution actuelle du fait religieux dans l’espace public

6-Un ordre public principalement matériel.

L’expression plurielle des libertés se situe au confluent de multiples situations juridiques. Par conséquent, elle est susceptible d’être encadrée tant par l’exercice du pouvoir de police administrative, générale ou spéciale[18], que par l’adoption de règles portant organisation des services publics dans ses relations avec les usagers, voire encore par l’édiction de règlements intérieurs régissant l’admission de ces derniers dans les équipements publics, de sorte qu’elle reste toujours sujette à des tempéraments pouvant en limiter ses manifestations[19].

L’ordre public, cher à Maurice HAURIOU, « est l’ordre matériel et extérieur (…) la police n’essaie point d’atteindre les causes profondes du mal social, elle se contente de rétablir l’ordre matériel ».

Le triptyque constitutif de l’ordre public trouve sa formulation canonique, pour rester dans le lexique religieux, à l’article L.2212-2 du Code général des collectivités territoriales qui charge le Maire d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Plus précisément, il s’agit de prévenir les risques de santé publique ainsi que les atteintes aux biens et aux personnes. L’expression des convictions religieuses peut en conséquence connaître des limitations tirées de ces justifications, qui autorisent de la sorte des mesures de police toujours nécessaires et proportionnées au but poursuivi, c’est-à-dire circonscrites dans le temps et l’espace.

Des interdictions générales et absolues sont dès lors proscrites sur lesquelles pèse ce faisant un contrôle maximal de proportionnalité[20]. Suivant l’adage « une mesure de police n’est légale que si elle est nécessaire », l’office du juge est extrêmement poussé qui veille à l’adéquation de la mesure de police à la réalité et la gravité des risques qui la motivent. Toutefois, en pratique, pour valables qu’elles puissent être, les atteintes à la liberté de religion qui en découlent sont rarement reçues par la juridiction administrative, comme en témoignent les arrêtés « anti-burkini » annulés par le Conseil d’État[21], qui considère que faute de risques avérés à l’ordre public ces interdictions ont porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales qu’est notamment la liberté de conscience. La prévention des risques à l’hygiène publique dans les piscines municipales pourrait en revanche constituer un moyen susceptible d’être valablement accueilli pour servir de fondement à une réduction des manifestations religieuses. En effet, ces lieux de baignade fermés et traités au chlore sont soumis en application du code de la santé publique[22] à des normes drastiques qui obligent plusieurs fois par jour à un contrôle régulier du taux de chloramine provoqué par le contact de tout étoffe ou fragment de tissu avec l’eau, lequel s’avérant au-delà d’un certain seuil nocif tant pour la santé des baigneurs que des agents en charge de la surveillance du bassin peut conduire à la fermeture de la piscine.

7-Par où l’on aperçoit que la préservation de l’espace public reste dominée par des impératifs essentiellement matériels et très peu encore pénétrée de considérations morales. Pourtant, la morale publique a très tôt fait irruption dans notre bloc de légalité et tout étudiant en droit a déjà au moins une fois ânonné les principes dégagés dans la décision du Conseil d’État dans l’espèce des films Lutétia[23]. Elle connaîtra un retentissement certain et une vigueur nouvelle avec l’interdiction du tristement célèbre « lancer de nains » qui, au nom de la dignité de la personne humaine, en renouvellera les propositions[24]. La dignité de la personne humaine qui connaîtra aussi en matière de religion un prolongement intéressant et s’enrichira d’une épaisseur nouvelle lors de la tristement célèbre affaire de « la soupe au cochon » au cours de laquelle une association entendait proposer aux sans-abris une soupe populaire cuisinée avec des morceaux de porc. Le juge des référés du Conseil d’État[25], prenant acte du caractère provocateur et surtout discriminatoire du rassemblement qui faisait de la consommation de porc un préalable obligatoire à l’accès aux œuvres dispensées par l’association aux nécessiteux et contrevenant à certaines prescriptions religieuses, interdira la manifestation en censurant l’ordonnance du juge des référés de première instance qui avait annulé l’arrêté préfectoral d’interdiction. Le respect de l’identité religieuse, dont la méconnaissance est ainsi constitutive d’une discrimination, fait désormais partie intégrante de la dignité de la personne humaine. Composante de l’ordre public dont tout trouble doit pouvoir être réprimé, elle peut par suite valablement justifier une restriction à la liberté fondamentale de réunion. Dans le même registre, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise[26] pouvait légalement annuler l’interdiction municipale d’organiser un défilé de prêt-à-porter pour femmes musulmanes voilées et interdit aux hommes. En effet, et selon la commune, la prévention de la discrimination entre les femmes et les hommes, en tant que le rassemblement d’une part visait à banaliser le port du voile islamique et d’autre part était réservé aux femmes, n’est pas une finalité nouvelle de l’ordre public. Mais plus fondamentalement, un tel principe allégué par le Maire de la commune en raison notamment des significations qui pourraient entourer le port du voile et en découler dans la perception de la femme en général n’est pas susceptible de porter atteinte à l’égalité entre les sexes. Sauf à ce que le port du voile soit imposé par la contrainte, peut-on finalement protéger quelqu’un contre lui-même et limiter ainsi sa liberté individuelle au nom de la défense d’une certaine représentation de ce que devrait être la femme dans une société démocratique ? C’est l’interrogation sous-jacente qu’un État libéral pluraliste se refuse légitimement à envisager, renvoyant tout à chacun au tribunal intérieur de sa conscience. L’idée en quelque sorte selon laquelle « chacun est le meilleur juge de ce qui ne regarde que lui-même », au fondement de notre humanisme juridique qui fait du primat de la volonté individuelle le ressort même de notre libéralisme politique. C’est à cette tradition juridique et libérale que fait écho l’avis du Conseil d’État portant sur l’interdiction du voile intégral[27]. Ce dernier souligne en effet que la laïcité ne saurait difficilement fonder une limitation générale à l’expression des convictions religieuses dans l’espace public. Plus spécifiquement, il estime qu’invoquer la sauvegarde de la dignité de la personne humaine comme fondement à une interdiction du port du voile intégral présente certaines fragilités juridiques dans la mesure où la conception de la dignité que l’on se fait recouvre la protection même du libre arbitre en tant qu’élément consubstantiel de la personne humaine et de sa dignité dont tant Pic de la Mirandole, Rousseau ou Kant en fourniront la justification philosophique. Par conséquent, la liberté et la dignité de la personne humaine apparaissent comme étant coextensives.

Pourtant, à y regarder d’un peu plus près, l’interdiction de protéger l’individu contre sa propre volonté connaît certaines dérogations tirées de la reconnaissance d’exigences supérieures au point que le principe perd l’unité doctrinale qu’on voudrait bien lui prêter. L’évolution des lois de bioéthique ou du droit des malades montre par exemple à quel point les consensus d’hier ne sont plus ceux d’aujourd’hui. En réalité, comme l’admet au demeurant le Conseil d’État, le principe de dignité fait l’objet d’acceptions diverses susceptibles sinon de s’opposer du moins de se limiter mutuellement : celle de l’exigence morale collective de la sauvegarde de la dignité, le cas échéant, aux dépens du libre-arbitre de la personne, nous y reviendrons et qui pourrait fonder des tempéraments nécessairement limités et proportionnés à l’extériorisation du fait religieux, et celle de la protection du libre arbitre comme élément consubstantiel de la personne humaine, qui a la faveur dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, y compris en se mettant physiquement ou moralement en danger, dès lors que cette attitude ne porte pas atteinte à autrui. Cette distinction se double en France d’une question métajuridique[28] pour ne pas dire politique particulièrement aigüe qui a au demeurant motivé le projet de loi confortant le respect par tous des principes de la République et de lutte contre les séparatismes et en cours d’examen par la Représentation Nationale. En effet, si les communautés d’appartenance sont naturelles en ce qu’elles répondent à la nature irrépressiblement tout autant qu’irréductiblement sociale de l’homme, si les affinités électives ou les affiliations choisies, à l’inverse des assignations subies ou héritées, sont tout aussi légitimes, le communautarisme qu’une différence de nature et non pas de simples degrés sépare de l’inscription dans une communauté quelle qu’elle soit, et notamment religieuse, s’inscrit en rupture contre les principes d’unité et d’indivisibilité de la République. Cette dernière n’ignore effectivement pas les communautés qui peuvent valablement se poser en instance de médiation des particularismes individuels mais rejette tout autrement le communautarisme par lequel l’individu ne cesse plus de se représenter et de se déterminer à l’aune de ses enracinements religieux qui le conduisent à adopter les normes et pratiques de sa communauté en lieu et place de celles scellant notre pacte laïque et républicain[29]. À vrai dire, c’est autant à un conflit de légitimité ou de loyauté auquel nous sommes potentiellement confrontés et qui se donne manifestement à voir dans l’espace public : la révérence à la Nation ou l’allégeance à sa communauté, l’obéissance scrupuleuse aux lois de la cité ou la soumission résolue aux normes de la communauté, l’idéal d’émancipation républicain ou la chaleur utérine de sa communauté ?

8-L‘élargissement de l’ordre public immatériel, dont les prémices ont été esquissées, supposerait d’en dégager les ressources intellectuelles et juridiques qui le sous-tendent.

Il s’ensuit que si l’on peut comprendre les incompréhensions parfois bruyantes voire les crispations confuses dont la laïcité fait l’objet dans l’espace public à mesure que certains souhaitent étendre peut-être dangereusement les nécessités d’un nouvel ordre public immatériel à l’édification d’un vivre ensemble renouvelé, inséparable selon d’aucuns d’une certaine conception de la citoyenneté républicaine, un tel changement de paradigme mériterait sans aucun doute d’être questionné à nouveaux frais. En d’autres termes, c’est sa justification nomologique qu’il conviendrait aujourd’hui d’élucider en dépit de la difficulté à circonscrire cette notion polysémique « d’espace public[30] », désignant plusieurs réalités tant juridique que sociologique ou tout simplement physique dont la signification prend une acuité particulière pour au moins deux raisons. Comme l’observe à très juste titre Anne-Violaine HARDEL[31], les termes et enjeux du débat de la loi de séparation s’agissant de l’articulation entre l’espace public et l’espace privé étaient d’une autre nature et engageaient davantage la régulation des démonstrations collectives du croire, comme les processions ou les sonneries de cloches[32], que les signes individuels d’appartenance, si l’on excepte le port des soutanes proscrits par arrêtés communaux. Il y a eu en la matière un contentieux abondant qui acheva d’apaiser les tensions. D’ailleurs, le succès de la loi n’aurait-il pas en quelque sorte éclipsé son ambition générale lors même que la laïcité ne se donne pas à voir comme un hapax juridique ou du moins comme une idée ou un concept qui se laisserait enfermer dans une forme achevée et donnée une fois pour toute. La question affleure aujourd’hui de nouveau en même temps que ses conséquences tardives qui se renouvellent pleinement sous l’effet convergent de l’internationalisation du phénomène religieux et de son corollaire, l’importation de certaines pratiques issues d’un terreau culturel différent de notre héritage intellectuel, le tout sur fond d’un régime post-national surplombé par les impératifs conjoints du droit et du marché qui semblent n’offrir que peu d’alternative entre l’uniformisation des modes de vie et sa réaction agonistique prenant les trais et le visage d’une affirmation religieuse radicale quand cette dernière n’est pas instrumentalisée à des fins politiques. À ce titre, on ne peut qu’opiner à l’embarras, croyons-nous, formulé par certains membres du Conseil d’État manifestant les limites d’une publicisation absolue de la liberté de conscience[33] revêtant notamment un témoignage vestimentaire susceptible de questionner nos principes communs. Depuis, l’espace public est devenu une catégorie juridique de notre droit avec la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, lequel est constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public et affectés à un service public[34]. Au sein de cet espace public, l’expression des convictions religieuses a tout naturellement et pleinement vocation à s’épanouir et leurs manifestations ne sauraient être refoulées dans une sphère minimaliste qui se réduirait au domicile ou à la stricte vie intime ou familiale[35]. En définitive, comme Catherine KINTZLER l’a magistralement théorisé[36], il est le lieu de cette topographie tant mentale que juridique vers lequel fait signe la laïcité laquelle ne cesse de s’efforcer de construire un espace a priori qui soit la condition de possibilité d’une coexistence du pluralisme des croyances ou du polythéisme des valeurs.

9-Sauf qu’une telle coexistence ne semble pas ou plus aller de soi et des dissonances sinon des dissidences semblent se cristalliser avec vigueur dans l’espace public où leur harmonie réciproque et présupposée est loin, tant s’en faut, d’être préétablie. Ses conditions théoriques de possibilités ne coïncident pas toujours nécessairement avec ses conditions effectives de réalisation. L’espace public est-il cet espace commun où l’on impose sans réserve à autrui son espace privé ? S’y confond-t-il sans reste ?

L’extension de l’ordre public immatériel pourrait-il mutatis mutandis s’inspirer et s’ordonner notamment au principe de l’égalité entre les sexes, que le Conseil d’État a pu exemplairement convoquer pour s’opposer à l’acquisition de la nationalité française d’une ressortissante étrangère en raison de la pratique radicale d’une religion jugée insoluble dans notre modèle politique et incompatible avec les valeurs essentielles de la communauté française[37]. La solution, rendue au visa de l’article 9 de Convention européenne des droits de l’homme, renferme des prolongements susceptibles de donner lieu à de nouvelles réflexions, et a priori neutres de toute inflexion ou induration en la matière. Dans l’étude précitée du Conseil d’État[38], ce dernier avait au contraire estimé que le principe de l’égalité entre les femmes et les hommes n’est pas opposable à la personne elle-même, c’est-à-dire à l’accomplissement de sa liberté personnelle, laquelle peut la conduire à adopter volontairement un comportement contraire à ce principe.

Pourtant, il serait tout d’abord et pour le moins contradictoire d’attendre des candidats à la naturalisation française des dispositions certaines d’assimilation que l’on cesserait ensuite d’exiger une fois la nationalité obtenue, de sorte que de telles valeurs ne peuvent pas simplement apparaître comme conditionnelles et temporaires. Bien au contraire, de tels engagements ne peuvent qu’être par suite réitérés pour ne pas dire « plébiscités », selon le mot de Renan[39], qui nous invitait ainsi inlassablement à cultiver un héritage indivis, un patrimoine culturel et spirituel qui forme le ciment d’une Nation. La Cour européenne des droits de l’homme, dans son arrêt de Grande Chambre[40], a d’ailleurs jugé à rebours de la position adoptée par le Comité des droits de l’homme des Nations Unies que l’interdiction de porter une tenue destinée à dissimuler son visage dans l’espace public n’est pas constitutive d’une atteinte à la liberté de religion. Elle admet que la préservation des conditions du vivre ensemble est un objectif légitime à la restriction de manifester ses convictions religieuses et, surtout, au regard de la marge d’appréciation dont les États disposent sur une question de politique générale, que l’interdiction ainsi posée par la loi n’est pas contraire à la Convention. Cette solution s’inscrit dans le droit fil des limitations prévues par la Cour qui considère que la liberté de manifester sa religion peut toujours faire l’objet de restrictions qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires à la protection notamment de la morale  publique ou des droits et libertés d’autrui. Certes, la Cour prend soin au passage et non sans contradiction d’évider le mot de la chose puisqu’elle écarte les interdictions qui seraient fondées sur le double respect de l’égalité entre les hommes et les femmes et de la dignité de la personne humaine, et sans lesquels on peine effectivement à imaginer un vivre ensemble tant ce dernier semble priver des principes qui lui sont en réalité consubstantiels. Ou alors faut-il n’y voir qu’une réserve rhétorique ou purement théorique quand on connaît la marge de manœuvre dont disposent les États membres qui peuvent fixer des restrictions à la liberté de religion tirées des motifs ci-avant énumérés au 2ème alinéa de l’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et sous le contrôle conciliant de la Cour européenne des droits de l’homme. Et il n’est pas inutile de rappeler que la loi du 15 mars 2004[41] qui interdit aux élèves de manifester ostensiblement une religion se donnait également pour ambition, suite aux constatations de la commission Stasi[42], de lutter incidemment pour la protection des droits et libertés des mineurs scolarisés en particulier des jeunes femmes musulmanes souvent contraintes de porter le voile. Dit autrement, la visibilité sans frein du religieux dans l’espace public ne risque-t-elle pas de s’accompagner d’une forme de conformisme plus ou moins diffus mais bien réel visant à normer et codifier les relations sociales, une espèce larvée d’enrégimentement du corps social qui ne dit pas son nom et remodèle les rapports hommes-femmes sinon, pour tout dire, un prosélytisme de fait visant à instruire l’imaginaire mental collectif en vue de préparer l’avènement d’une recomposition de la société sur des bases religieuses. C’est en conséquence nous le pensons essentiellement autour de la proportionnalité de l’ingérence d’État dans le champ de la liberté de religion que le contrôle de la Cour européenne des droits de l’homme s’exerce avec toute sa rigueur, l’interventionnisme publique en la matière et pour autant qu’il ne soit pas discriminatoire devant être strictement motivé par des motifs légitimes et limité aux principes qu’il entend promouvoir et faire respecter.

10-En tout état de cause, et quelles que soient les formes qu’elle pourrait revêtir, la limitation de la liberté religieuse assise sur le respect d’un socle minimum de valeurs nécessaire à une société démocratique ne laisse pas d’interroger. L’espace public est effectivement le lieu par excellence de la vie sociale où la personne est amenée à entrer en relation avec d’autres. Or, dans cette interaction, le visage joue un rôle éminent dans la mesure où il constitue la partie du corps où se reconnaît l’humanité de l’individu partagée avec son interlocuteur. On retrouve ici notamment l’éthique lévinassienne, au cœur de la phénoménologie moderne, qui a renouvelé en profondeur la métaphysique du sujet. Le visage, plus largement la corporéité sont la souche identitaire de l’individu et manifestent la présence au monde de l’Autre que moi.  Je n’ai pas un corps mais je suis mon corps disait Merleau-Ponty, ce corps qui, relevant tout autant du registre de l’être que de l’avoir, ne laisse pas d’engager des représentations symboliques et normatives capables de transformer sourdement et en profondeur nos mentalités collectives et contre lesquelles il convient de lutter toutes les fois qu’elles heurtent notre morale commune où l’égalité ontologique entre les hommes et les femmes doit rester un principe fermement acquis. L’orthopraxie rituelle peut ainsi s’avérer grosse d’une sémiologie susceptible de questionner nos principes communs. Si la dignité de la personne humaine possède une valeur, et le vivre ensemble un fondement juridique, sur quoi se fondent-ils sinon sur l’existence d’un ensemble de règles objectives qui, par définition, doivent transcender les aspirations individuelles. Il pourrait ainsi s’agir de retrouver en quelque sorte l’inspiration initiale du Conseil d’État qui l’a conduit à interdire le lancer de « personnes de petite taille ». La laïcité se veut-elle un principe qui nous arrache à nos particularismes identitaires de toute sorte, fussent-ils choisis et non plus subis, creuse-t-elle un lieu vide de toute croyance où l’on éduque encore à l’universel ou se veut-elle comme le cadre axiologiquement neutre d’une manifestation des libertés fondamentales où l’individualisme contemporain ne laisse pas parfois de forger un espace public où les individus n’ont plus finalement que peu de choses en commun. Notre tradition de pensées s’était efforcée de construire un équilibre en la matière et notre filiation intellectuelle en porte la trace qui, de Saint Augustin et de Montaigne pour prendre un croyant et un sceptique, ne cessèrent jamais de parler des autres en parlant d’eux-mêmes. Un tel idéal nous habite encore aujourd’hui et semble étrangement faire écho aux débats qui entourent les évolutions du principe de laïcité. Aussi, toute vérité personnelle ne doit-elle pas revêtir une part d’universalité qui, permettant ma liberté, fonde aussi celle d’autrui[43]. Dans l’espace public, l’hétéronomie qu’entraîne l’adhésion inconditionnelle à une vérité révélée pourrait ainsi céder la place à l’autonomie, comme l’affirmait déjà Rousseau qui considérait que la liberté ne consiste jamais qu’à obéir à la loi commune que l’on s’est prescrite ». C’est le legs de notre héritage légicentriste garant d’un intérêt général qui, dans sa formulation républicaine, ne se réduit pas additionner les volontés individuelles mais, et tout au contraire, à les transfigurer dans un but d’utilité publique. Plus largement, la tolérance, condition du vivre ensemble, est une vertu qui, bien comprise, part aussi de soi. Si elle est cette exigence que l’on assigne à autrui, elle demeure également une obligation que l’on impose à soi-même. Dans l’espace public, j’accepte de m’autolimiter pour que l’autre puisse advenir. « L’enfer ce n’est pas les autres », contrairement à ce que pensait Sartre, mais peut-être bien plutôt l’absence de l’autre qui, se soustrayant à mon regard, abolit également jusqu’à ma présence même. Historiquement, la tolérance est d’ailleurs née d’une pratique multiséculaire de la sociabilité qui a contribué à forger nos mentalités collectives et dessiner un espace commun habitable par tous. Sans radicaliser la séparation entre la sphère publique et la sphère privée, la liberté des anciens et celle des modernes chères à Benjamin Constant suivant l’aphorisme de Rousseau qui, prophétisant qu’il convient d’opter entre l’homme et le citoyen car on ne peut faire les deux, déclamait contre les droits subjectifs de l’individu, il faut au contraire se garder d’oublier que les droits de l’homme sont consacrés en même temps que ceux du citoyen. Les libertés publiques ne cessent ainsi jamais de refléter les équilibres qu’une société démocratique doit assurer entre les aspirations des individus et les exigences minimales de la vie collective. Cette question prend une sensibilité accrue en regard de l’évidente croissance morale qui meut et agite les sociétés contemporaines autour du renforcement ou de l’affirmation de nouveaux droits à mesure, et c’est heureux, que les inégalités en question, notamment de sexe, s’avèrent de moins en moins tolérées. Dans l’espace public, l’individu adopte un comportement commun qui ne sera pas reçu négativement par autrui, seule condition d’une coexistence apaisée[44]. En définitive, une conception de la laïcité que nous ferons nôtre qui s’avère être tout sauf une essence figée et absolue indifférente aux nouveaux enjeux politiques et sociétaux croissants réclamant tout autrement des remaniements sinon des accommodements de son régime[45]. C’est assurément dans ce cadre que s’inscrivent certains amendements parlementaires tendant à proscrire le port de tenue pour les mineurs[46] car il ne faut jamais se déprendre de l’idée sinon de l’exigence que la liberté de conscience suppose la conscience d’être libre.

D’ouverture ou de fermeture, d’intégration ou d’exclusion, de raison ou de conviction, de quoi la laïcité, qui demeure bien une passion française, est-elle aujourd’hui le nom. Poser la question est y répondre, et un chemin de crête reste envisageable pour réaffirmer possiblement un destin collectif autour des principes d’unité et d’indivisibilité de la République dont la laïcité est la condition.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ;
Chronique Laïcité(s) ; Art. 329.


[1] CE, 11 décembre 2020, Ligue de défense judiciaire des musulmans, n°426483

[2] Pour le professeur de droit public  Xavier Bioy, la doctrine peine à dégager une définition univoque du principe de laïcité, Montchrestien, éd. 2013, p. 499

[3] Pour 67% des français la laïcité est dévoyée et mise au service d’intérêts partisans, rapport annuel 2018-2019 du rapport annuel de l’Observatoire de la laïcité, p3

[4] Dans ce même rapport annuel 2018-2019, l’Observatoire de la laïcité souligne qu’il convient de distinguer la laïcité, employée parfois à tort et à travers, du nécessaire respect des exigences minimales de la vie en société

[5] Pour reprendre le titre d’un ouvrage de Jean-Michel DUCOMTE, laïcité, laïcité(s) ?, Privat, 2012

[6] Le message évangélique, pour ne prendre que deux de ses préceptes « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ; mon royaume n’est pas de ce monde » qui tendent à déconstruire toute prétention politique de la religion, la fin par avance du théologico-politique par lequel cette dernière cesse de déterminer l’organisation religieuse des sociétés.

[7] Collectif, sous la direction de Jacques Myard, La Laïcité au cœur de la République, Paris/Budapest/Torino, L’harmattan, 2003, p29

[8] Jean RIVERO Les libertés publiques t II PUF 2003 p 156

[9] Article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi »

[10] CE, 27 juin 2018, SNESUP-FSU, n°419595

[11] L’article 6 du TUE par lequel « L’Union   reconnaît   les   droits,   les   libertés   et   les   principes   énoncés   dans   la   Charte   des   droits   fondamentaux  de  l’Union  européenne  du  7  décembre  2000,  telle qu’adoptée  le  12  décembre  2007  à  Strasbourg,  laquelle  a  la  même  valeur  juridique  que  les  traités », et  son alinéa 3 qui prévoit que « les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne        de  sauvegarde des  droits  de  l’Homme  et  des  libertés  fondamentales et tels qu’ils résultent des traditions  constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux »

[12] CE, 10 février 2016, M. A.B, n° 385929 

[13] Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé, par le culte et l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement

[14] Cité  P. Delvolvé, « Entreprise privée, laïcité, liberté religieuse – l’affaire Baby Loup», RFDA 2014, p. 954

[15] CEDH, 15 février 2001, Dahlab/Suisse, n°42393/98

[16] CEDH, 25 mai 1993, Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88

[17] Article L.211-1 du code de la sécurité intérieure

[18] La police des baignades figurant aux articles L.2213-23 et suivants du CGCT

[19] Nous laissons volontairement de côté les autres questions soulevées par l’application du principe de laïcité, notamment la neutralité des agents du service publics ou des bâtiments publics, qui appellent un traitement à part entière

[20] CE, 1933, Benjamin, 19 mai 1933, n° 17413 et 17520

[21] CE, 26 août 2016, association de défense des droits de l’homme – collectif contre l’islamophobie en France (ADDH-CCIF), n°402742

[22] Article D-1332-3 et suivants du code de la santé publique

[23] CE, 18 décembre 1959, société « Les films Lutétia », n°36385 et 36428

[24] CE, 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge et Ville d’Aix-en-Provence, n°136727 et 143578

[25] Conseil d’État, 5 janvier 2007, association « Solidarité des français » (SDF), n°300311

[26] TA Cergy-Pontoise, 21 juillet 2005, Société Jasmeen, n° 0409171

[27] Étude du Conseil d’État relative aux possibilités juridiques d’interdiction du port du voile intégral, 30 mars 2010, p19

[28] Hans Kelsen, théoricien de la hiérarchie des normes, a toujours reconnu que le droit posé obéisse en dernier ressort à des principes qui étaient quant à eux supposés a priori

[29] La laïcité en question, Gérard Bouchet, l’Harmattan 2018, p 55

[30] Frédéric DIEU, laïcité et espace public, RDP, 1er mai 2013, n°3, p566, qui relève que l’espace public a longtemps été juridiquement inexistant ou inconsistant 

[31] Anne-Violaine HARDEL, signes religieux et ordre public, édition du Cerf Patrimoines, 2018, p119

[32] L’article 27 de la loi de 1905 réglait alors l’intrusion du religieux dans l’espace public

[33] Auditions de la mission d’information de l’Assemblée nationale, 4 décembre 2003, rapport n°1275, tome II, 1ère partie, p 62-63

[34] Sa circulaire interprétative du 2 mars 2011, JO du 3 mars 2011 qui en explicite le contenu : plages, jardins publics, théâtres, cinémas, gares, établissements … et qui rejoint peu ou prou la définition qu’en donnent les juridictions judiciaires comme étant les lieux accessibles à tous, sans autorisation spéciale de quiconque, que l’accès en soit permanent et inconditionnel ou subordonné à certaines conditions.

[35] Catherine KINTZLER ? penser la laïcité, éditions Minerve, 2014, p 90

[36] Catherine KINTZLER, professeur à l’université Lille III, la laïcité, Archive de philosophie du droit, Dalloz, tome 48, 2005, p43

[37] CE, 27 juin 2008, n°286798. Pour une autre espèce sur la difficile conciliation entre le droit français de la nationalité fondé sur l’article 21-4 du Code civil d’une part et la liberté religieuse d’autre part – CE, 11 avril 2018, n° 412462 à propos du refus de serrer la main à un représentant de l’État lors de la cérémonie d’accueil

[38] Étude du Conseil d’État relative aux possibilités juridiques d’interdiction du port du voile intégral, 30 mars 2010, p20

[39] Qu’est-ce qu’une Nation ?, conférence donnée par Ernest Renan à la Sorbonne en 1882, et la réponse souvent lapidairement énoncée « un plébiscite de tous les jours »

[40] S.A.S c. France, requête n°43835/11

[41] LOI n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics

[42] Rapport Stasi de la commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République, 11 décembre 2003, p 102

[43]La liberté de chacun s’arrête là où commence celle d’autrui, comme le recueille l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen

[44] La laïcité en questions (s), Gérard BOUCHET, l’Harmattan, 2018, p 102

[45] Laïcités sans frontières, Jean BAUBEROT, Micheline MILOT, seuil 2011, p 80

[46] On pense à l’amendement qui complète l’article 1er de la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public par deux phrases ainsi rédigées : « le port de signes ou tenues par lesquels des mineurs manifestent ostensiblement une appartenance religieuse y est interdit. Il y est également interdit le port par les mineurs de tout habit ou vêtement qui signifierait l’infériorisation de la femme sur l’homme. »

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ParJDA

Laïcité(s) : 1ère chronique (mai 2021)

art. 328.

par MM. Clément Benelbaz, maître de conférences de droit public, Université de Savoie
& Mathieu Touzeil-Divina, professeur de droit public, Université Toulouse 1 Capitole

Le Journal du Droit Administratif, fondé en 1853 à Toulouse puis refondé en ligne en 2015, propose, en partenariat avec le Laboratoire d’Analyse(s) Indépendant sur les Cultes (LAIC) – Laïcité(s), une nouvelle chronique régulière (à vocation mensuelle) placée sous la direction commune des drs. et enseignants-chercheurs Clément Benelbaz & Mathieu Touzeil-Divina.

Cette chronique proposera a minima et ce, tous les mois ou deux mois :

  • la mise en avant d’une jurisprudence (administrative, constitutionnelle, judiciaire ou internationale ou étrangère) en matière de laïcité ;
    • soit parce qu’elle témoigne d’une actualité récente ;
    • soit parce que l’on en célèbre l’anniversaire.
  • L’objectif est alors de nourrir le catalogue (dit bréviaire prétorien) laïque des décisions réunies sur le sujet tout en offrant quelques éléments de contextualisation / commentaire.
  • En outre, la chronique pourra y ajouter & intégrer :
    • des commentaires et/ou des propositions doctrinaux :
    • des éléments d’actualité(s) ;
    • des iconographies détaillées (toujours avec pour thème la laïcité) ;
    • des comptes-rendus, etc.

Pour la 1ère chronique du 03 mai 2021, le JDA & le LAIC-Laïicté(s) vous proposent, en ouverture du site Internet du LAIC :

On y a ajouté pour l’ouverture du LAIC-Laïcité(s) :

Les éléments doctrinaux de la chronique (commentaires, observations, propositions, compte-rendus, etc. ) sont publiés parallèlement sur les deux sites partenaires.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ;
Chronique Laïcité(s) ; Art. 328.

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ParJDA

Annulation partielle du Fichier Gendnotes : quand le Conseil d’État censure le calepin du gendarme

par Me Dr. Marc Sztulman
Avocat au Barreau de Toulouse
Docteur en droit public, Institut Maurice Hauriou

Art. 327.

Avertissement : L’auteur a eu le plaisir et l’honneur d’aider deux des requérants dans la contestation de la légalité du fichier de gendarmerie GendNotes.
Pour autant, il s’est efforcé d’être le plus objectif possible dans le commentaire ci-après.

« L’information, c’est tout, à la guerre comme pendant la paix,
dans la politique comme dans la finance.
[C’est] uniquement la connaissance des choses qui, gouverne la France. »[1]

Le fichier GendNotes fut conçu comme la réponse pour la gendarmerie au besoin de moderniser le carnet de notes du Gendarme. Cette évolution fut l’occasion pour le ministre de l’Intérieur de proposer de mettre à jour ce dispositif en proposant une série de fonctionnalités présentées comme faites pour faciliter l’activité du militaire.

Dans une France où le nombre de fichiers de police est inconnu, la création de cette application mobile fut l’occasion pour le ministre de l’intérieur, d’essayer une approche plus intégrée des mises en relation et interconnexions des fichiers de police, afin de rendre plus transparente et accessible la consultation de ces bases de données par l’agent habilité.

À cet égard, ce fichier poursuivait comme finalité de faciliter le recueil et la conservation, en vue de leur exploitation dans d’autres traitements de données, notamment par le biais d’un système de prérenseignement, des informations collectées par les militaires de la gendarmerie nationale à l’occasion d’actions de préventions, d’investigations ou d’interventions nécessaires à l’exercice des missions de polices administrative et judiciaire. Ainsi que faciliter la transmission de comptes rendus aux autorités judiciaires.

Malgré les alertes de la CNIL[2] sur la légalité d’un « tel couteau suisse », le ministre de l’Intérieur prit le 20 février 2020 le décret n° 2020-151 portant autorisation d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « application mobile de prise de notes » (GendNotes).

Plusieurs associations dont l’Internet Society France, Homosexualités et socialisme, la Ligue des droits de l’Homme ou le Conseil National des Barreaux contestèrent devant le Conseil d’Etat, la légalité de ce décret.

Par un arrêt en date du 13 avril 2021 le Conseil d’État fit droit à une partie des demandes en censurant notamment l’interconnexion automatique du fichier GendNotes avec d’autres fichiers de Gendarmerie.  Pour autant, la diversité des moyens soulevés par les requérants a été l’occasion pour la haute juridiction administrative de rappeler ou de préciser ses positions jurisprudentielles tant au regard des moyens accueillis que des moyens rejetés.

Ainsi, si l’apport jurisprudentiel majeur de cet arrêt porte sur l’obligation de lister dans l’acte réglementaire les fichiers mis en relation ou interconnectés (I), force est de constater que le juge administratif s’est refusé de s’intéresser au fonctionnement, « dans la pratique » du fichier et aux dérives possibles pour se cantonner à une interprétation textuelle des dispositions contestées (II).

I. De l’obligation pour les fichiers de police de préciser les mises en relations entre traitements

L’apport jurisprudentiel majeur de cet arrêt tient en l’obligation pour le pouvoir réglementaire de préciser et lister les fichiers mis en relation avec le traitement qu’il souhaite créer. Cette précision doit être présente dans le décret de création du fichier et ne peut se déduire des avis de la CNIL ou de tout autre élément.

Pour autant, dans l’étude de la motivation qui a présidé à cet apport, montre un choix tactique du juge de privilégier comme norme de référence la loi informatique et libertés (A) que l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme (B).

A. Une motivation à l’aune de la loi informatique et libertés

Tout d’abord, alors que l’étendue des finalités pouvait laisser planer un doute, le Conseil d’État exclut des normes de référence de son contrôle le RGPD au profit d’une Directive spéciale[3].

Partant de ce constat, il considère,  calque de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme[4], dans la droite ligne  de sa jurisprudence antérieure[5] : «que l’ingérence dans l’exercice du droit de toute personne au respect de sa vie privée que constituent la collecte, la conservation et le traitement, par une autorité publique, de données à caractère personnel, ne peut être légalement autorisée que si elle répond à des finalités légitimes et que le choix, la collecte et le traitement des données sont effectués de manière adéquate et proportionnée au regard de ces finalités ».

C’est ainsi dans les dispositions communes à tous les traitements de la loi informatique et libertés et notamment à son article 4 al. 2 que le Conseil d’État trouve le fondement juridique à l’annulation partielle du décret.

Ce dernier prévoit que les données doivent être « collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes, et ne pas être traitées ultérieurement d’une manière incompatible avec ces finalités ». Or, l’article 1er du décret attaqué en précisant que la finalité consistait en une « exploitation ultérieure dans d’autres traitements » et ne peut être regardée comme déterminée, explicite et légitime, d’autant que cette dernière était quasi-automatique par le recours à un système de préenregistrement.

L’absence de précision quant à la nature, le nombre, ou la dénomination des « autres traitements » entraîne l’indétermination de la finalité. En effet, d’un point de vue théorique, l’interconnexion peut être considérée comme un changement de finalité des données, puisque ces dernières sont alors traitées au regard des finalités du fichier interconnecté et non pour celles qui ont justifié leurs captations.

Les juges du palais royal ont ainsi censuré la mention « en vue de l’exploitation dans d’autres fichiers », à cause de l’imprécision de la formulation retenue.

Ce n’est pas le principe même de la finalité d’interconnexion qui est battu en brèche, mais simplement l’imprécision qui ne permet guère de connaître les fichiers interconnectés. Ainsi, dans une autre espèce, le Conseil d’État avait considéré comme satisfaisant les dispositions de l’article 4 al. 2 de la loi informatique et liberté la finalité d’interconnexion d’un traitement avec sept autres traitements[6]. À la différence que, dans la jurisprudence, ces derniers étaient limitativement énumérés dans le décret attaqué[7]

Ainsi en l’absence de la liste dans le décret des mises en relations du traitement, le Conseil d’État ne cherche pas à déduire cette liste des avis de la CNIL. Dans le silence du décret, elle considère les conditions de licéité du traitement comme manquantes.

B. Une motivation qui fait fi de la Convention européenne des droits de l’Homme

De manière assez surprenante, si tous les requérants ont cité comme norme de référence pour obtenir l’annulation du décret l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, force est de constater que le Conseil ne l’utilise guère dans sa motivation. Et pourtant, l’application de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme au cas d’espèce aurait été une source féconde de réflexion.

Contrairement à ce que prévoyait le décret attaqué, dès lors que le régime juridique des données, notamment au regard des finalités, est conditionné par les interconnexions et les mises en relation de ce fichier, le gouvernement ne pouvait passer outre  “l’impératif de prévisibilité de la loi”. Ce dernier prévu, notamment, aux  articles  8§2 et 9§2 de la Convention et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, rendait nécessaire la mention expresse dans le décret des fichiers avec lesquels l’interconnexion ou la mise en relation était envisagée.

En effet, en droit européen des droits de l’Homme, concernant les atteintes aux droits garantis par la Convention, les impératifs de prééminence du droit et de prévisibilité de la loi impliquaient notamment que la disposition soit suffisamment précise pour permettre raisonnablement au citoyen de prévoir les conséquences pouvant dériver d’un acte déterminé et que la disposition juridique est accessible au citoyen.

Ainsi, de manière classique, comme le relevait dès 1984 la Cour européenne[8] les dispositions  “prévues par la loi”  au sens de l’article 8 al. 2 de la Convention ne se bornent pas à renvoyer au droit interne, mais concernent aussi la qualité de la loi. Cela « implique ainsi (…) que le droit interne doit offrir une certaine protection contre des atteintes arbitraires de la puissance publique aux droits garantis par le paragraphe 1 (art. 8-1) (…). Or le danger d’arbitraire apparaît avec une netteté singulière là où un pouvoir de l’exécutif s’exerce en secret »[9]

Or, en se refusant à préciser dans le texte du décret les interconnexions envisagées, le rédacteur du décret a rendu impossible pour le citoyen de prévoir les conséquences qui peuvent dériver de l’enregistrement de ses informations, violant ainsi l’impératif de prééminence du droit.

D’ailleurs cette argumentation se trouvait renforcée par la question de l’accessibilité de l’information pour le citoyen .

Comme la Cour le précise : « Il faut d’abord que la « loi » soit suffisamment accessible : le citoyen doit pouvoir disposer de renseignements suffisants, dans les circonstances de la cause, sur les normes juridiques applicables à un cas donné »[10].

Dès lors, ce droit à l’information comme condition d’accessibilité de la norme, ne peut guère être regardé comme satisfait dès lors que le citoyen ne dispose pas dans l’acte qui crée le fichier de la liste des interconnexions envisagées. 

Pour autant, si cette motivation alternative conduisait au même dispositif, et à l’annulation des dispositions, force est de constater que le juge a privilégié le droit de l’Union européenne transposé en droit interne, que l’approche par le droit à la vie privée tel que précisé par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme.

II. Le rejet de la « privacy by design »  

Dans cet arrêt le raisonnement du Conseil d’État, défenseur de son office, se refuse à connaître des utilisations ou des risques d’utilisation de Gendnotes et partant à y intégrer des garde-fous dès la conception, ce que les Anglo-saxons ont popularisé sous l’expression « privacy by design ».

Ce refus de s’intéresser au fonctionnement « pratique » de ce fichier a pour conséquence que le juge du Palais Royal se refuse à contrôler les mises en relation en cascade de fichiers (A) et de refuser de considérer la zone de commentaire libre comme justement « libre » (B).

A. Le refus d’encadrer les mises en relation en cascade

Au-delà de la position de principe, la Cour ne se prononce guère sur la question des mises en relation en cascade. En effet, dans le silence du décret, était-il possible de trouver dans l’avis de la CNIL[11], l’indication que le Gouvernement souhaitait interconnecter, dans un premier temps, le fichier attaqué au logiciel de rédaction des procédures de la gendarmerie nationale (LRGPN)[12] et au traitement de données dénommé « messagerie tactique ».

Il est à noter que ce dernier, ne dispose à l’heure actuelle d’aucune base légale.

Or, ces interconnexions ou mises en relations purement indicatives et non contenues dans un acte normatif pour l’administration, entraînaient en cascade d’autres interconnexions. Ainsi, et la liste est non exhaustive, les mises en relation envisagées entraînaient des mises en relation avec les traitements suivants : le système national des permis de conduire, l’application de gestion des ressortissants étrangers en France, le traitement des antécédents judiciaires, ou le fichier des personnes recherchées. Il ne s’agit là que de l’étape 1 de cette mise en abîme des données.

A titre d’illustration ce dernier fichier se trouve aussi interconnecté avec le Système d’information Schengen ou le fichier des passagers aériens. Autant de fichiers dont l’interconnexion n’était ni prévue ni organisée dans le décret attaqué.  Or, la Cour dans son arrêt ni ne mentionne ni ne précise sa jurisprudence relative à cette problématique.

B. le refus de considérer la « zone de commentaire libre » comme libre.

Le dernier alinéa de l’article 2 du décret attaqué autorise le traitement de données sensibles au sens du I de l’article 6 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Sont ainsi considérées les données « relatives à la prétendue origine raciale ou ethnique, aux opinions politiques, philosophiques ou religieuses, à l’appartenance syndicale, à la santé ou à la vie sexuelle ou l’orientation sexuelle ».

Les informations de ce type, aux termes du dernier alinéa de l’article 2 du décret, ne peuvent être enregistrées que dans la zone de commentaire libre. Il est à noter que par l’emploi du pluriel, l’annexe du décret semble prévoir l’existence de plusieurs zones de commentaire libre, alors même que l’article 2 du décret n’encadre qu’une zone relative aux données sensibles. Il pourrait donc y avoir plusieurs zones de commentaires libres, mais une seule régie par l’article 2 du décret et donc susceptible de recevoir des données sensibles. Au-delà de coquetterie orthographique se cachait tout de même un problème de régime juridique important que le Conseil d’État n’a pas souhaité analyser.

Quant au régime juridique attenant à ces données, il est essentiellement constitué, dans ce même article, par un rappel des principes de nécessité et de finalité dans la collecte des données « de nécessité absolue pour les seules fins et dans le strict respect des conditions définies au présent décret, dans les limites des nécessités de la mission au titre de laquelle elles sont collectées ».

Face à cela le Conseil d’État se borne à rappeler que les données sensibles que les militaires pourraient enregistrer, ne peuvent l’être qu’en cas de nécessité absolue. Tout en refusant de considérer dans son contrôle les possibilités de détournement des finalités de ces zones libres. Ainsi, le contrôle du Conseil d’État se limite à une analyse textuelle, laissant à l’agent une grande latitude, présumant de la légalité de l’action du gendarme.

Pour autant, cette position du juge administratif est dans la droite ligne de la jurisprudence antérieure, qui fait fi, des mouvements contemporains de « privacy by design », ou de limitation des possibilités laissées à l’utilisateur pour empêcher le détournement de finalité, au profit d’une analyse plus abstraite et textuelle du décret.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ;
Chronique administrative ; Art. 327.


[1] S, Zweig, Fouché, lgf, p. 42.

[2] CNIL, Délibération n° 2019-123 du 3 octobre 2019 portant avis sur un projet de décret portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « application mobile de prise de notes » (GendNotes) (demande d’avis n° 17021804)

[3] DIRECTIVE (UE) 2016/680 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 27 avril 2016 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales, et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la décision-cadre 2008/977/JAI du Conseil.

[4] Voir notamment pour les décisions les plus récentes : CEDH, Cour (Grande Chambre), 17 oct. 2019, n° 1874/13;8567/13 , CEDH, Cour (Troisième Section), 19 juin 2018, n° 35252/08. CEDH, Cour (Grande Chambre), 27 juin 2017, n° 931/13.

[5] CE, 10e – 9e ch. réunies, 18 oct. 2018, n° 404996. / CE, 10-9  chr, 24 oct. 2019, n° 422583.

[6] CE, 10e – 9e ch. réunies, 11 juill. 2018, n° 414827. 0

[7] Décret n° 2019-1074 du 21 octobre 2019 modifiant le décret n° 2017-1224 du 3 août 2017 portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Automatisation de la consultation centralisée de renseignements et de données » (ACCReD)

[8] CEDH, 2 août 1984, Malone, n° 8691/79

[9] CEDH 24 avr. 1990, Kruslin c/ France, §30

[10] CEDH, Sunday Times c. RU du 26 avril 1979, 6538/74, §40

[11] CNIL, Délibération n° 2019-123 du 3 octobre 2019 portant avis sur un projet de décret portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « application mobile de prise de notes » (GendNotes) (demande d’avis n° 17021804)

[12] Décret n° 2011-111 du 27 janvier 2011 autorisant la mise en œuvre par le ministère de l’Intérieur (direction générale de la gendarmerie nationale) d’un traitement automatisé de données à caractère personnel d’aide à la rédaction des procédures (LRPGN)

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ParJDA

40 ans de décentralisation(s)

art. 326.

40 regards
sur 40 ans de décentralisation(s)

mars 1982- mars 2022

Dossier spécial du Journal du droit administratif

Dir. Prs F. Crouzatier-Durand & M. Touzeil-Divina

On annonce la présente parution :

  • en partie en ligne (par extraits dans un premier temps) sur le présent site Internet mais aussi
  • à l’intérieur d’un ouvrage publié aux Éditions l’Épitoge.

Décentralisation(s). Joyeux anniversaire la décentralisation ou plutôt joyeux anniversaires tant ils sont nombreux les points de vue(s) et les possibilités – tant positives que négatives – tant laudatives que dépréciatives – de considérer les décentralisations assumées, avérées, imaginées, redoutées ou encore fantasmées et parfois même repoussées que la France a connu entre les mois de mars 1982 et 2022.

Tel a bien été l’objectif que nous nous sommes fixé en proposant aux lecteurs et aux citoyens « 40 points de vue(s) », « 40 contributions », « 40 regards » sur 40 ans de décentralisation(s) et non de décentralisation au singulier. Partant, le présent projet s’inscrit dans deux « traditions » que matérialisent au quotidien de leurs travaux le Journal du Droit Administratif (Jda) et le Collectif L’Unité du Droit (Clud), partenaires de la présente publication aux côtés de l’Université Toulouse 1 Capitole et de son laboratoire, l’Institut Maurice Hauriou (Imh).

Le Jda, en effet, a pour vocation, depuis 1853[1] lors de sa première création depuis la Faculté de Droit de Toulouse, d’offrir et de diffuser des points de vue(s) et des publications qui non seulement cherchent à mettre « à la portée de tous » et donc des citoyennes et des citoyens des questions juridiques potentiellement réservées à des juristes spécialistes mais encore à diversifier sciemment et volontairement ces points de vue en confrontant des opinions diverses mais surtout complémentaires afin que chacun, in fine, se forge sa propre opinion née de la confrontation potentielle des avis éclairants d’autres auteurs. C’est aussi pleinement la vocation du Clud et de ses éditions (les Éditions L’Épitoge) qui depuis dix-huit années déjà (autre anniversaire de majorité !) emploient et assument dans leurs contributions l’usage du « s » dit cludien (sic) placé entre parenthèses et évoquant de façon assumée la potentialité des avis et d’éventuelles diffractions doctrinales.

Voici donc bien 40 regards… sur 40 ans de décentralisation(s).

L’ouvrage en est construit autour de quatre thématiques : celle des bilans et perspectives (I), celle des compétences décentralisées au cours des 40 dernières années (services publics, finances publiques avec une focale sur le secteur sanitaire et social) (II), celle de la mise en perspective(s) des territoires (III) ainsi qu’une série conclusive de tribunes et de témoignages (IV).

Ont ainsi participé au 40e anniversaire de la décentralisation française en nous offrant leurs contributions : Célia Alloune, Jean-Bernard Auby, Robert Botteghi, Jordan Chekroun, Pierre-Yves Chicot, Jean-Marie Crouzatier, Florence Crouzatier-Durand, Méghane Cucchi, Carole Delga, Virginie Donier, Maylis Douence, Vincent Dussart, Mélina Elshoud, Delphine EspagnoAbadie, Pierre EsplugasLabatut, Bertrand Faure, André Fazi, Léo Garcia, Nicolas Kada, Marietta Karamanli, Florent Lacarrère, Franck Lamas, Éric Landot, Xavier Latour, Jean-Michel Lattes, Pierre-Paul Leonelli, Alexis Le Quinio, Marine de Magalhaes, Wanda Mastor, Clément Matteo, Jean-Luc Moudenc, Isabelle MullerQuoy, Jean-Marie Pontier, Laurent Quessette, Anne Rainaud, Claude Raynal, Jean-Gabriel Sorbara, Marie-Christine SteckelAssouère, Mathieu Touzeil-Divina, Michel Verpeaux & André Viola.

Table des matières

Extraits en ligne :

Le JDA est par ailleurs heureux en ce jour anniversaire de la Loi du 2 mars 1982 de vous proposer en ligne et en accès libre outre l’introduction dudit dossier, 22 extraits (puisque 2022) des 40 contributions précitées :

Art. 389. 1982-2022 : 40 ans de décentralisation(s) en 40 contributions

Par Florence Crouzatier-Durand & Mathieu Touzeil-Divina

Art. 390. La décentralisation, une volonté politique de François Mitterrand

Par Delphine Espagno-Abadie

Art. 391. Décentralisation : 40 ans de navigation à vue ?

Par Nicolas Kada

Art. 392. Vers un nouvel acte de la décentralisation ?

Par Jean-Luc Moudenc

Art. 393. Les 40 ans de la décentralisation : à la recherche d’un nouveau souffle

Par André Viola

Art. 394. Du mythe de l’abolition de la tutelle de l’État sur les collectivités territoriales.
La décentralisation inaboutie

Par Florent Lacarrère

Art. 395. De l’émergence progressive d’un service public local d’éducation

Par Marine de Magalhaes

Art. 396. Transports publics et décentralisation 

Par Jean-Michel Lattes

Art. 397. 40 ans de décentralisation : quels effets sur la sécurité intérieure ?

Par Xavier Latour

Art. 398. Décentraliser le système de santé : un problème insoluble ?

Par Jean-Marie Crouzatier

Art. 399. La collectivité départementale de 1982 à aujourd’hui :
retour sur quelques vicissitudes du droit de la décentralisation

Par Virginie Donier

Art. 400. 40 ans de finances locales et toujours à la recherche de l’autonomie financière des collectivités territoriales !

Par Vincent Dussart

Art. 401. 40 années d’autonomie financière des collectivités territoriales

Par Claude Raynal

Art. 402. 40 ans de décentralisation à travers la Dgf : un anniversaire en demi-teinte

Par Léo Garcia

Art. 403. De la décentralisation à l’autonomie : l’hypothèse de la Corse

Par Wanda Mastor

Art. 404. 40 ans de décentralisation dans l’outre-mer de droit commun : de la rigueur de l’identité législative à l’émergence d’un droit différencié

Par Pierre-Yves Chicot

Art. 405. L’échec de la décentralisation française : l’État, les élus et les règles

Par Bertrand Faure

Art. 406. 1982-2022, ou 40 nuances de décentralisation

Par Michel Verpeaux

Art. 407. À propos du rôle de l’élu local : les tourments d’un élu en charge de politiques culturelles  

Par Pierre Esplugas-Labatut

Art. 408. La décentralisation 40 ans après : un désastre

Par Jean-Bernard Auby

Art. 409. Plaidoyer pour une autonomie retrouvée des départements

Par Mélina Elshoud

Art. 410. 40 ans de décentralisation

Par Carole Delga

Art. 411. Décentralisation, le jour sans fin ?

Par Marietta Karamanli

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021-2022 ; Dossier 09 – 40 ans de décentralisation(s) ;
dir. F. Crouzatier-Durand & M. Touzeil-Divina ; Art. 326.


[1] Sur le média : Touzeil-Divina M., « Le premier et le second Journal du Droit Administratif : littératures populaires du droit public ? » in Littératures populaires du Droit ; Paris, Lextenso ; 2019 ; p. 177 et s.

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ParJournal du Droit Adminisitratif

Bataille autour de la liberté d’aller et venir en Castilla y León

Adrien Pech
ATER en Droit Public
Université Toulouse 1 Capitole

La gestion constitutionnelle
d’une crise exceptionnelle.
Bataille autour de la liberté
d’aller et venir en Castilla y León

Observations sous Tribunal Suprême espagnol,
16 février 2021, Acuerdo del Presidente de la Junta de Castilla y León, n°12/2021

Art. 325.

L’action du pouvoir exécutif pendant la pandémie de COVID-19 a été scrutée[1] et contestée[2]. Aucun « exécutif » n’est épargné, qu’il soit national[3] ou régional. Le 16 février 2021, le Tribunal Suprême espagnol a prononcé une décision concernant une mesure de couvre-feu régionale.

En l’espèce, le 15 janvier 2021, le Président de la Junta[4] de la communauté autonome de Castilla y León adopte la décision 2/2021 sur le fondement de l’article 5.2 du décret royal 926/2020 du 25 octobre 2020 déclarant l’état d’alarme[5].

La décision prévoit qu’un couvre-feu soit instauré sur l’ensemble du territoire de la communauté autonome à compter de 20 heures[6], jusqu’à 6 heures du matin[7]. Dans cette plage horaire, la circulation des personnes est interdite sauf lorsqu’elle sera en lien avec l’une des activités listées à l’article 5.1 du décret royal 926/2020[8], à savoir, l’acquisition de médicaments, produits sanitaires ou biens de première nécessité[9], pour se rendre dans des centres médicaux[10], dans des établissements vétérinaires en urgence[11], pour respecter une obligation professionnelle, administrative ou répondre à une convocation judiciaire[12], pour rentrer à son lieu de résidence habituel après avoir réalisé l’une des activités citées aux termes de ce paragraphe[13], pour assister une personne dépendante ou vulnérable[14], pour une raison de force majeure ou de nécessité[15], pour toute autre raison analogue à la condition qu’elle soit dument justifiée[16] et pour le ravitaillement nécessaire en carburant  afin de réaliser l’une des activités précitée[17].

La contestation de la décision 2/2021 devant le Tribunal Suprême espagnol met en exergue la difficulté pour le pouvoir exécutif régional de Castilla y León, de gérer une crise exceptionnelle tout en restant dans les limites constitutionnelles.

En l’espèce, la confrontation entre la légalité constitutionnelle et l’exceptionnalité sanitaire (I), est tranchée par le Tribunal Suprême espagnol en faisant primer le premier impératif sur le second (II).

I. La confrontation entre la légalité constitutionnelle et l’exceptionnalité sanitaire 

L’exécutif central espagnol a saisi le Tribunal Suprême d’une demande de suspension de l’application des points 1 et 3 de l’article primero de la décision, à savoir l’horaire de début du couvre-feu et l’interdiction de circulation qui en résulte. En effet, selon le requérant, ces dispositions iraient au-delà de l’article 5.2 du décret royal 926/2020 qui autorise une restriction de la liberté de circulation à partir de 22 heures et non avant cet horaire[18]. Selon le gouvernement espagnol, le Président d’une communauté autonome n’est pas compétent afin d’ajouter ou d’aggraver une restriction prévue à l’article 5 du décret royal précité[19].    

De l’autre côté de la barre, suivant la logique bien connue des « circonstances exceptionnelles »[20], qui permet par exemple à un pouvoir exécutif de fonder un acte réglementaire[21], la communauté autonome soutient que la situation épidémiologique « más que excepcional » dans la communauté, fait courir un « riesgo evidente y real » pour la santé et la vie humaine[22]. C’est pourquoi, la mesure adoptée doit être maintenue sous peine d’une entrave à l’intérêt général[23] et d’une atteinte à l’article 43 de la Constitution reconnaissant le droit à la protection de la santé ainsi qu’à l’article 15 qui protège le droit à la vie et à l’intégrité physique des individus[24]. La communauté autonome demande donc à ce que la protection de la santé, de la vie et de l’intégrité physique des individus prévale sur leur liberté d’aller et de venir en démontrant que la mesure adoptée respecte le principe de proportionnalité[25]. La défenderesse considère par ailleurs qu’elle était fondée à adopter la mesure contestée sur le fondement du décret royal susvisée puisqu’en ses articles 9 et 10, il autorise notamment les communautés autonomes à « moduler » les mesures énoncées par ledit décret. Or, selon elle, ce verbe doit être interprété comme pouvant servir de fondement juridique à une aggravation des mesures[26].

II. La protection de la légalité constitutionnelle malgré l’exceptionnalité sanitaire

La décision du Tribunal Suprême espagnol fait droit à la demande de suspension des dispositions précitées aux termes d’une analyse sur le terrain des droits et libertés fondamentaux que la Constitution espagnole garantit.

En effet, le Tribunal Suprême considère que toute restriction ou limitation d’un droit ou d’une liberté fondamentale, tel que la liberté d’aller et venir, ne peut intervenir que dans le cadre des règles constitutionnelles. La déclaration de l’état d’alarme peut justifier des restrictions aux droits et libertés des individus. Néanmoins, formellement, il convient que de telles mesures soient expressément prévues aux termes du décret portant déclaration de l’état d’alarme.  

Concrètement, le Tribunal Suprême exige que les dispositions régionales imposant une restriction à la liberté d’aller et de venir entrent dans le champ d’application des mesures prévues par le décret portant déclaration de l’état d’alarme. Or, en l’espèce, ledit décret prévoit que les restrictions à la liberté de circulation peuvent intervenir entre 22 heures et 6 heures du matin, sans qu’il ne soit possible d’aggraver ces dispositions. Dès lors, la Communauté autonome n’était pas fondée à soutenir qu’elle pouvait aggraver les dispositions du décret portant déclaration de l’état d’alarme en imposant un couvre-feu à compter de 20 heures[27].

Ce faisant, la défenderesse a dépassé le champ d’application de l’habilitation qui lui est donnée par l’article 5 du décret royal précité. La décision du Président de la Junta de la communauté autonome a été adoptée en méconnaissance des règles de compétence matérielle applicables.  Le Tribunal précise que la protection de la santé et de la sécurité des citoyens est la finalité commune tant de l’exécutif national que de l’exécutif régional. En revanche, il ajoute, d’une manière qui rendrait (presque) le juriste français envieux[28], qu’en tout état de cause, et quelle que soit l’état de la situation sanitaire, les restrictions apportées aux droits et libertés fondamentaux doivent s’inscrire dans la légalité constitutionnelle, tant du point de vue formel que du point de vue des règles de compétence[29]. Par conséquent, le Tribunal Suprême fait droit à la demande de suspension provisoire des dispositions de la décision 2/2021 du Président de la Junta de la communauté autonome de Castilla y León.

Dans ses observations sous la décision du Conseil constitutionnel, Loi organique d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, Michel Verpeaux avait ouvert son propos en affirmant : « A situation exceptionnelle, décision anormale »[30]. A l’inverse, dans cette décision, le Tribunal Suprême espagnol décide d’assortir une décision « normale » à une situation « más que excepcional », en s’inscrivant dans la légalité procédurale. Plus que jamais, à « situation exceptionnelle », les juges doivent rendre des « décisions ordinaires ». 

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ;
Chronique administrative ; Art. 325.


[1] Colloque virtuel. Droit et coronavirus. Le droit face aux circonstances sanitaires exceptionnelles, 30 et 31 mars 2020.

[2] HENNETTE VAUCHEZ S., SLAMA S., « La valse des états d’urgences », AJDA, 2020, p. 1753.

[3] En France, par exemple, l’ordonnance prononcée par le Conseil d’Etat le 22 mars 2020 (Syndicat Jeunes Médecins, n°439674, comm. Pastor, AJDA, 2020, p. 655 ; X. Dupré de Boulois, RDFL, 2020, Chron. n° 12 ; Touzeil Divina, JDA, Actions & reactions au COVID-19, 2020, art. 281), a été la première décision d’une longue série. V. PASTOR J-M., « Des référés-liberté tous azimuts », AJDA, 2020, p. 756 ; DE MONTECLER M-C., « Des référés-liberté tous Les tribunaux administratifs à leur tour sur le front de l’épidémie », AJDA, 2020, p. 757. Sur un état des lieux du contrôle des mesures de police adoptées, V. SYMCHOWICZ N., « Etat d’urgence sanitaire et contrôle juridictionnel des mesures de police. Regard critique sur l’office du juge administratif », AJDA, 2020, p. 2001.

[4] En raison de l’imprécision d’une traduction de ce terme par « gouvernement », il sera conservé en langue espagnole.

[5] Real Decreto 926/2020, de 25 de octubre, por el que se declara el estado de alarma para contener la propagación de infecciones causadas por el SARS-CoV-2, BOE núm. 282, de 25 de octubre de 2020, páginas 91912 a 91919 (8 págs.).

[6] Acuerdo 2/2021 du Président de la Junta de la communauté autonome de Castilla y León, BOJCyL de 16 de enero de 2021, primero, 1.

[7] Ibid., primero, 2.

[8] Ibid., primero, 3.

[9] Real Decreto 926/2020, op. cit., article 5.1, a.

[10] Ibid., article 5.1, b.

[11] Ibid., article 5.1, c.

[12] Ibid., article 5.1, d.

[13] Ibid., article 5.1, e.

[14] Ibid., article 5.1, f.

[15] Ibid., article 5.1, g.

[16] Ibid., article 5.1, h.

[17] Ibid., article 5.1, i.

[18] TS, 16 février 2021, Acuerdo del Presidente de la Junta de Castilla y León, n°12/2021, p. 5.

[19] Ibid., p. 6.

[20] FAURE B., « Théorie et pratique des compétences des collectivités territoriales face à la crise sanitaire », AJDA, 2020, p. 1727.

[21] Décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19, JORF n°0066 du 17 mars 2020.

[22] TS, 16 février 2021, op. cit., p. 8.

[23] Ibid., p. 7.

[24] Ibid., pp. 7 – 8.

[25] Ibid., p. 8.

[26] Ibid., p. 10.

[27] Ibid., p. 14.

[28] Nous faisons notamment référence à la décision du Conseil constitutionnel du 26 mars 2020, Loi organique d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, n° 2020-799 DC, V. not. MAGNON X., « Les principes d’un droit constitutionnel jurisprudentiel d’exception », AJDA, 2020, p. 1257 ; LETTERON R., « Covid-19 : Le Conseil constitutionnel marche sur la Constitution », Blog Liberté, Libertés chéries, 28 mars 2020.

[29] En vertu de l’article 116.2 de la Constitution et de la loi organique 4/1981.

[30] VERPEAUX M., « Loi organique d’urgence sanitaire et question prioritaire de constitutionnalité », AJDA, 2020 p. 839.

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ParJDA

L’animal & le droit administratif

Art. 266.

Le Jda (Journal du droit administratif ; ISSN 2494-6281) est un journal juridique en ligne (cfhttp://www.journal-du-droit-administratif.fr/) qui, depuis 2016, fait revivre le premier média français spécialisé en droit administratif créé à Toulouse en 1853. En novembre 2019, le Jda continue sa progression et vous propose de participer à un huitième dossier « mis à la portée de tout le monde » qui fera l’objet d’une publication en ligne courant 2021.

L’animal et le droit administratif

Le droit en est croassant,
son actualité est rugissante.
L’animal est au cœur du droit administratif.

Voici donc notre prochain dossier portant sur « L’animal et le droit administratif ». Deux principales raisons ont conduit le comité de rédaction -approuvé par l’assemblée générale-, à s’intéresser à cette question.

D’une part, la question de l’animal, sans même la teinter d’un aspect « protection des droits », est au cœur des préoccupations des individus. L’actualité ne saurait le démentir. Or, le Journal de Droit Administratif, rappelons-le, a pour objectif de se départir d’une vision élitiste –qui perdure-, du droit administratif, afin de le placer « à la portée de tout le monde » (V. not. Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Eléments d’histoire(s) du JDA (1853-2019) II / III [Touzeil-Divina Mathieu] ; Art. 254). Dès lors, s’emparer d’une question relevant d’un intérêt citoyen et populaire croissant, correspond à l’accomplissement de ce qui constitue la toute première mission du journal et ce, depuis sa création en  1853.

D’autre part, la question de l’animal fait l’objet d’un intérêt, déjà ancien, de la part de la doctrine privatiste (V. not. MARGUENAUD, J-P., L’Animal en droit privé, Limoges, Publications de la faculté de droit et de sciences économiques de l’Université de Limoges, 1992). Néanmoins, les études relatives au droit public et, particulièrement au droit administratif, sont plus éparses et rares (Sur ce constat, V. PAULIAT, H.,  « Les animaux et le droit administratif », Pouvoirs, 2009/4 (n° 131), p. 57-72). Or, le Journal de Droit Administratif a la volonté de proposer des thèmes de recherches permettant de faire avancer la connaissance dans des domaines encore peu défrichés par la doctrine. Dès lors,  la perspective d’ouvrir une réflexion d’ensemble sur la place de l’animal en droit administratif recèle, à n’en pas douter, d’un intérêt certain. En effet,  la question de l’animal est observable à la fois dans une dimension contentieuse et non contentieuse de sorte que son étude permettra de balayer l’étendue du spectre du droit administratif français, de l’Union européenne, international et étranger.

Sous la direction de :
– Madame le Professeur Isabelle Poirot-Mazères (UT1, IMH),
– Monsieur le Professeur Mathieu Touzeil-Divina (UT1, IMH),
– Monsieur Adrien Pech (UT1, IRDEIC),
le présent appel à contribution(s) est lancé selon le calendrier suivant – sensiblement modifié du fait de la pandémie de Covid-19 – :  

Printemps 2021 : dernier (r)appel à contributions : vous pouvez envoyer vos propositions de contributions (environ 2000 caractères) accompagnées d’un court CV ; ces propositions sont libres dans la thématique de l’animal & du droit administratif étant entendu que les thèmes non exhaustifs suivants sont encore selon nous à explorer :

Les virus & le droit administratif ;
Le « droit à la vie » de l’animal ;
La naissance des animaux & le droit administratif ;
La mort des animaux & le droit administratif ;
Les animaux errants & le droit administratif ;
Le cirque & le droit administratif ;
Le canard & le droit administratif ;
Le loup & le droit administratif ;
L’ours & le droit administratif ;
La religion, l’animal & le droit administratif ;  
L’équarrissage & le droit administratif ;
L’épizootie & le droit administratif ;
La grippe aviaire & le droit administratif ;
Les professions animalières règlementées (vétérinaire, ostéopathe animalier notamment).
Les services d’inspection vétérinaire & le droit administratif ;
Etc.

Juin 2021- Septembre 2021 : écriture des contributions et montage du dossier pour une publication en ligne en septembre 2021.

Sans perdre de vue l’optique pédagogique du JDA,
il est demandé aux contributeurs de concevoir une contribution en respectant les consignes suivantes :

  • contribution de 45.000 caractères espaces comprises au maximum ;
  • police unique dans tout le corps du texte (Times New Roman au plus simple) (12) ;
  • proposition de titre et d’au moins trois mots-clefs référentiels ;
  • emploi des subdivisions suivantes I. II. III. etc. ; puis A. B. etc. ; au besoin 1, 2. etc. ;
  • la proposition sera accompagnée d’un CV, de la mention des noms, prénoms, titres & fonctions à retenir ainsi que d’une photographie au format 604/270 px.

Toute personne souhaitant participer au présent dossier du JDA est ainsi invitée à respecter les consignes ci-dessus et à envoyer les éléments pertinents demandés à l’adresse : contribution@j-d-a.fr

Les auteurs seront informés de la recevabilité de leur proposition ou des contre-propositions éventuelles avant le 15 juin 2021.

Contributions retenues
au 1er avril 2021 (par ordre alphabétique & non scientifique)

L’abattage rituel des animaux
La chasse pendant les confinements pandémiques
La chatte dans le strat’
La construction d’un statut juridique cohérent pour l’animal ?
Le requin & le droit administratif
Le pangolin & le droit administratif
Le pigeon & le droit administratif
Les animaux des grands arrêts du droit administratif
Les insectes & le droit administratif

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019-2021 ; Art. 266.

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ParJDA

La E-santé dans les pays dits du « Sud »

Art. 324.

par M. Corentin Auffret, étudiant en Master II Droit de la Santé, promotion Gisèle Halimi 2020-2021

Le présent article, rédigé par M. Corentin Auffret, étudiant en Master II Droit de la Santé, promotion Gisèle Halimi 2020-2021, s’inscrit dans le cadre de la 2e chronique en Droit de la santé du Master avec le soutien du Journal du Droit Administratif.

Dans le monde, les conditions sanitaires des populations se sont beaucoup améliorées depuis le XIXe siècle. Ces progrès en la matière sont dus aux nombreuses découvertes et innovations dans le domaine de la santé. L’espérance de vie a ainsi beaucoup augmenté : entre 2010 et 2015, l’espérance de vie moyenne à la naissance était de 70,1 ans selon l’Organisation des Nations Unies (ONU), alors qu’elle n’atteignait que 47 ans en 1950. Le taux de mortalité infantile lui était de 42 pour 1000 enfants âgés de moins de 5 ans en 2012 contre 135 pour 1000 en 1950. Néanmoins de nombreuses inégalités demeurent entre les pays du Nord et les pays du Sud notamment dans le domaine de la santé. En effet, concernant la mortalité infantile, les Pays du Sud accusent une proportion de 174 pour 1000 au Sierra Leone, de 176 pour 1000 au Burkina Faso ou de 178 pour 1000 au Mali. Les pays du Nord eux oscillent entre 3 et 8 enfants sur 1000 qui n’atteignent pas l’âge de 5 ans (3/1000 pour la Norvège). Concernant l’espérance de vie, les inégalités sont aussi très marquées : en Afrique subsaharienne elle est de 49,5 ans contre 80,2 ans en Europe du Nord.

Il apparaît important de réaliser les retards dans le domaine de la santé dans les pays (dits) du Sud pour discuter de l’apport du numérique dans les politiques de santé de ces pays et de l’aide que peuvent apporter les pays (dits) du Nord notamment au travers de fondations.

Nota bene : l’appellation « Pays du Sud » est entrée dans le langage courant comme désignant les pays caractérisés par un PIB par habitant faible, souvent moins développés économiquement et majoritairement situés dans la partie du Sud des continents (on pense à l’Afrique comme à l’Asie). Par opposition on appelle « Pays du Nord », les pays plus industrialisés et économiquement plus riches, situés pour la plupart plus au Nord géographique (en Europe, en Amérique (du Nord)). Néanmoins, il est important de rappeler que cette réalité à changé : ainsi, certains pays du Sud géographique (Chili, Émirats Arabes Unis) ont un IDH qui dépasse des pays d’Europe. Inversement des pays dit « émergents » se retrouvent encore dans cette appellation de pays du Sud (Chine, Afrique du Sud, Mexique). Dans cet article l’appellation pays du Sud / pays du Nord fait référence à l’opposition pays développé au niveau de la santé avec ceux qui le sont moins et souffrent d’une espérance de vie moindre.

Constats sanitaires

Dans certaines parties du monde on parle de « blanc sur la carte sanitaire » : en effet de nombreux pays du Sud manquent de praticiens de santé, d’infrastructures de santé, de formations en matière de santé, d’hygiène, d’épidémiologie ou de production de médicaments efficaces. De nombreuses zones sont touchées par une désertification médicale, l’accès au soin n’étant disponible que dans les grosses villes souvent à plusieurs dizaines de kilomètre des populations (l’Afrique concentre 20% des malades du monde pour 3% des soignants). De plus, ces Pays accusent une absence de formation aux professions médicales. L’OMS parle d’une nécessité d’un million de médecins, sages-femmes, et infirmiers en Afrique Subsaharienne. Le coup de grâce est donné par une augmentation toujours croissante du « medical brain drain » ou fuite du personnel médical. Selon l’OMS, la fuite est de 27 % pour l’Afrique du Sud, 22 % pour le Ghana et 14 % pour l’Ouganda.

Ces manques dans le domaine de la santé peuvent s’expliquer par l’absence d’investissement des États. En effet, les pays pauvres, faute d’argent, ne consacrent qu’une infime part de leur PIB aux dépenses de santé. Celles-ci ne représentaient ainsi en 2012 que 2,3 % du PIB du Mali, 1,3 % de celui de l’Érythrée, 1,1 % de celui du Tchad, 0,9 % de celui de l’Afghanistan et 0,6 % de celui de la Guinée.

Donc, dans les Pays les plus pauvres des maladies quasiment éteintes plus au Nord persistent et sont des causes de mortalité : 90 % des cas de paludisme dans le monde sont attribuables à l’Afrique. De même si 11% de la population mondiale est en Afrique, 70% des décès dus au virus y est assignable. La drépanocytose, 1ère maladie génétique au monde, et très méconnue (caractérisé comme maladie de l’ignorance) touche 2% des enfants en Afrique et cause 50% de mortalité avant les 5 premières années de vie en l’absence de soins de qualité.

A contre-courant de la révolution sanitaire, la révolution numérique à bel et bien eu lieu dans les Pays du Sud, avec en Afrique environ 46 % des 1,17 milliards d’Africains qui avaient souscrit à des offres de téléphonie mobile en 2015. Tous les africains ont maintenant un portable ou en partage, à tel point que le numéro de téléphone se substitue à l’adresse postale et aux banques. Le numérique s’impose donc comme une des solutions pour tenter de palier aux inégalités sanitaires et permet d’imaginer une multitude d’application dans l’E-santé.

Apport de la E-santé dans les Pays dits du sud

Le concept de E-santé apparaît il y a 20 ans d’abord dans les pays du Nord, développés. Il connaît une croissance exponentielle allant jusque l’avènement de d’IA de santé capable de déceler un mélanome avec une fiabilité de 95%. Si son champ d’intervention dans les pays occidentaux se concentre sur le bien-être ou les maladies chroniques, dans les pays en développement il a une importance vitale pour répondre à des besoins d’accès aux soins de santés primaires. Le numérique pour améliorer la santé des populations et renforcer les systèmes de santé est un objectif mondial : « Il est essentiel d’exploiter les possibilités offertes par les technologies numériques pour parvenir à la couverture sanitaire universelle », dit le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, Directeur général de l’ Organisation mondiale de la santé (OMS). « Les technologies numériques ne sont pas une fin en soi ; ce sont des outils indispensables qui permettent de promouvoir la santé, de préserver la sécurité mondiale et de servir les populations vulnérables », a-t-il ajouté pour accompagner l’annonce en mars 2019 du lancement d’un département en Santé numérique au sein de l’OMS.

Ainsi un smartphone, un téléphone, un appareil photo et/ou un ordinateur peuvent être des outils permettant un diagnostic accessible aux populations des Pays du Sud. Au Mali, une plateforme développée par des ingénieurs maliens permettent aux populations éloignées des grandes villes, et donc des médecins, d’obtenir un diagnostic en ligne par des médecins bamakois. Ce même modèle se développe au Togo, en Mauritanie et en Centre Afrique. Des algorithmes ou des plateformes de réponses SMS entre des populations locales et des professionnels de santé sont misent en place au Sierra Leone. Néanmoins, l’analphabétisme des populations, surtout dans les parties éloignées de l’accès aux soins, cause des problèmes de compréhensions et des peurs. Dans ces cas comme au Niger, c’est une application d’envoi de messages vocaux qui est mise en place, dans plusieurs dialectes, et qui sont traités par des praticiens qui apportent des réponses dans le même langage.

De plus, des coopérations entre les universités occidentales et celles d’Afrique ou d’Asie permettent la mise en place de formation en ligne pour les praticiens afin de mieux pouvoir appréhender les besoins de la population. Des formations non pas seulement en santé pure mais aussi en numérique : sur la récolte de données et l’utilisation des applications de E-santé.

Pour développer cette digitalisation, les acteurs des systèmes de santé des États du Sud peuvent compter sur le soutien de partenaires institutionnelles et d’acteurs privés. Pour en citer quelques-uns on retrouve des acteurs internationaux comme l’OMS, l’ONUSIDA, UNITAID (financement) ; des organisations non gouvernementales comme l’ONG Santé Sud qui développe le DATASANTÉ Mali ; des acteurs français comme SANOFI France, Orange Healthcare ou encore la Fondation Pierre Fabre.

L’apport des fondations

En France, une fondation est définie comme l’affectation de ressources, de droits ou de biens à l’accomplissement d’une œuvre d’intérêt général et à but non lucratif. Elles sont des personnes morales de droit privé. Si l’État l’autorise (après avis favorable du Conseil d’État), après une analyse exigeante des statuts, la fondation peut être reconnue d’utilité publique. Outre Atlantique, la réglementation est plus souple sur la forme juridique mais la finalité de l’intérêt général est la même. Néanmoins une fondation américaine a le droit de dépenser ses fonds comme bon lui semble dans les limites de la loi. Pour la santé globale, on peut compter sur de grandes fondations familiales philanthropique qui par le volume de leurs contributions, influencent de manière profonde les politiques de santé des pays. En France, de grands groupes pharmaceutiques (Sanofi) ou de grandes entreprises (Total) se tournent aussi vers l’aide dans la santé globale en créant des fondations, parfois reconnues d’utilité publique (Fondation Pierre Fabre).

On peut citer le cas de la fondation de Bill & Melinda Gates (BMGF), à elle seule, elle contribue dans le domaine de la santé autant que toutes les fondations américaines réunies. La fondation est le deuxième (premier si le retrait des États-Unis se concrétise) donateur de l’OMS et les nombreux discours de Bill Gates sur des sujets de santé mondiale (Assemblée mondiale de la santé, 2011) confirme l’importance de cette fondation dans ce paysage. Concernant la E-Santé, la fondation collabore et finance des organisations qui ont pour projet de construire des systèmes de santé plus efficaces grâce à la conception et à la mise en œuvre de solutions basées sur la santé digitale, qui répondent aux besoins locaux et fournissent aux communautés mal desservies les outils nécessaires pour offrir des soins de meilleure qualité. Parmi ces organisations, on peut citer eHealth Africa qui est une organisation à but non lucratif qui œuvre pour « construire de nouvelles normes en matière de prestation de soins de santé et d’intervention d’urgence grâce à l’intégration de l’information, de la technologie et de la logistique ». En effet, l’organisation crée des plateformes de traitement de données de santé (Aether), met en place des systèmes de surveillance épidémiologique (eIDSR) ou encore organise grâce à des applications, la gestion des stocks de matériels médicales et leurs approvisionnements.

La Fondation Bill & Melinda Gates contribue aussi financièrement aux efforts de l’UE visant à renforcer les services de santé de diagnostic en Afrique subsaharienne dans le cadre du plan d’investissement extérieur. Cette contribution sera investie dans l’assistance technique dans le cadre de la plateforme européenne de garantie des soins de santé pour l’Afrique. Ce programme encouragera la recherche et l’innovation dans le domaine de la santé en ligne dans les environnements moins développés et fragiles, ce qui permettra de réduire le coût des services de santé pour les personnes à faibles revenus et de sauver des vies.

En France, on peut citer le cas de la Fondation Pierre Fabre. Historiquement, elle avait vocation à axer son aide sur le besoin des Pays du Sud à être formé et, notamment, la formation des pharmaciens. En effet, dans ces Pays, les médicaments contrefaits sont légions et infectent le marché. Ainsi par soucis d’argent, de facilité ou même de disponibilité, les populations ont recours à des médicaments de mauvaise qualité, non contrôlés et parfois même dangereux pour la santé. Cette aide passe par la construction de facultés de pharmacies, comme à Phnom Penh au Cambodge, à Antananarivo à Madagascar mais aussi par la formation des pharmaciens jusqu’au doctorat pour qu’à leurs tours ils puissent transmettre leurs savoirs dans leurs Pays. La Fondation œuvre aussi à créer des réseaux de coopération avec les facultés et universités françaises, notamment avec la faculté de Toulouse Paul Sabatier avec au total 50 professeurs qui ont contribué à leurs programmes en allant former des formateurs en Asie du Sud-Est, au Togo et à Madagascar. Un moment fort de 2019 est aussi la création d’un diplôme interuniversitaire E-santé en collaboration avec 3 universités (Mali, Sénégal, Cote d’Ivoire).

Les actions de la Fondation concerne aussi une maladie souvent méconnue mais tout autant meurtrière, la drépanocytose. Ainsi en soutenant la télé-expertise, des centres médicaux sont équipés et des infirmiers sont formés pour prendre des photos, constituer un dossier médical et l’envoyer vers une plateforme à un dermatologue à Bamako pour diagnostic. Néanmoins pour agir sur la santé d’un pays il faut en plus d’agir comprendre, analyser, partager et promouvoir les initiatives, les créations des populations locales. Il faut aussi apporter des financements pour que des idées trouvent des applications concrètent auprès des malades. C’est en ce sens que la Fondation Pierre Fabre a créé en 2016 l’Observatoire de la e-santé dans les pays du Sud (ODESS), avec le soutien de l’Agence Française de Développement (AFD) et de l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF). Un travail de veille, d’analyse des projets et d’enquêtes de terrain permet de concentrer sur une base ouverte à tous les initiatives pertinentes (160 initiatives dans plus de 80 pays). Parmi ces initiatives prometteuses, certaines peuvent être lauréates et recevoir un prix et un financement ce qui aide grandement leur développement. C’est le cas notamment de « Integrated E-Diagnostic Approach (IeDA) » au Burkina Faso, qui permet une aide digitalisée afin de guider et faciliter le diagnostic et qui propose un support de formation.

Il est important de souligner que pour permettre la mise en place de la e-santé, il faut des accords avec les États concernés. Ainsi pour une bonne efficacité au regard de l’échelle et des spécificités de chaque pays il faut une « action coordonnée et régulée qui intègre le développement de solutions numériques de santé au sein de la politique nationale de santé, afin d’avoir un alignement entre les priorités et les moyens alloués, dans une vision à long terme » dit Béatrice Garrette (Directrice Générale de la Fondation Pierre Fabre).

Eléments critiques

La E-santé s’impose dans notre ère comme une aubaine qui permet toujours plus de réactivité et de précision dans le traitement des pathologies mais aussi de facilité de traitement des données et de suivis des patients. Néanmoins, la digitalisation dans les Pays développés a déjà fait naitre de grands débats éthiques concernant le traitement des données de santé, l’utilisation des intelligences artificielles et bien d’autres encore. Au Sud aussi la santé numérique doit s’accompagner d’un cadre règlementaire par les États. Le système de santé doit réagir face à la visibilité et à la disponibilité des informations.

La question de la sécurité de l’accès aux données personnelles de santé doit être posée en même temps que les solutions numériques de santé. Comme Bernardo Mariano, Directeur des systèmes d’information de l’OMS le dit, « La santé numérique n’est pas une solution miracle ». La e-santé doit être perçue comme une valeur ajoutée pour des populations dans des situations particulières, comme un éloignement géographique mais ne doit pas se substituer à un examen physique par un praticien qualifié. De ce fait la télémédecine doit être un complément et non remplacer un rendez-vous face à face avec le médecin. La Commission du Haut Débit pour le développement durable en ce point a publié, en 2017, un rapport intitulé « Santé numérique : appel au leadership et à la coopération intergouvernementale entre les TIC et la santé ». Ce rapport insiste sur le rôle primordial des gouvernements dans la mise en place d’un écosystème favorable aux politiques de santé digitale.

Une analyse sur huit pays jugée précurseur dans leur stratégie nationale en santé numérique a révélé que la solution est un travail de coopération, ainsi qu’une gouvernance commune entre les ministères chargés des communications, les agences nationales du numérique, les partenaires institutionnels, les acteurs privés et les ministères de santé.

Enfin, l’aide précieuse des États occidentaux ne doit pas amener à une dépendance dans le domaine de la santé. L’OMS a alerté sur cette dépendance croissante des équipes de chercheurs envers les financements de la BMGF et sur les problèmes d’indépendance des projets de recherches financés par cette fondation. En effet, si la fondation devient le premier « investisseur » de l’OMS, le poids de cette dernière sur le budget de l’organisation pourrait faire pencher certaines décisions en faveur des convictions du philanthrope, ce qui serait aux antipodes de la mission d’une organisation internationale comme l’OMS. Les aides doivent permettre au long terme à favoriser une autonomie des pays du Sud pour pérenniser les avancées et à terme ne plus avoir besoin de soutien d’autres pays. De par la multiplicité des acteurs publics et privés, un « marché de l’assistance des pays pauvres » doit être évité pour ne pas conduire au changement de point de vue faisant passer les populations dans le besoin à des futurs clients de multinationales à la pointe dans de nombreux domaines de la santé (GAFAM).

Eléments de bibliographie :

  1. Bourgain, A., Pieretti, P. & Zou, B. (2010). Migration des professionnels de santé de pays d’Afrique subsaharienne et politique de substitution. Revue économique, 6(6), 1011-1022.
  2. INA, Santé et développement dans les Pays du Sud [en ligne], Antenne 2, 21 Décembre 2001, Reportage (2 :19).
  3. Sciences et Avenir avec AFP, « Une intelligence artificielle capable de reconnaître le mélanome avec 95% d’efficacité », Dermato [en ligne], 2018.
  4. WHO, Recommendations on digital interventions for health system strengthening, ISBN: 978-92-4-155050-5, 2019, 124.
  5. LEEM avec Les délégations des Pays francophones, Les principaux succès de la santé numérique dans l’espace francophone, Genève, 22 mai 2016, 20.
  6. Fondation Pierre Fabre, Observatoire de la e-santé dans les Pays du Sud, 2019, 21.
  7. Annales des Mines, Réalités Industrielles : Quel avenir pour l’économie africaine ?, Août 2019. Alain DUCASS, « La transition numérique de l’Afrique et les emplois induits. Le risque d’une génération Ninja ? », p 58. Béatrice Garrette, « Missions et résultats de l’Observatoire de la e-santé dans les pays du Sud. Les opportunités du numérique dans la transformation des systèmes de santé en Afrique. », p 64, 101.
  8. Gil Bousquet, La Dépêche du Midi, Béatrice Garrette, directrice générale de la fondation Pierre Fabre : « La e-santé est vitale pour les pays du Sud », 20/10/2020, https://www.ladepeche.fr/2020/10/20/la-e-sante-est-vitale-pour-les-pays-du-sud-9151376.php.
  9. Dominique Kerouedan, « Préambule » dans sommaire, Santé internationale : Les enjeux de santé au Sud, Hors collection, Politiques sociales & de santé, Janvier 2011, p13-22.
  10. Marine Buissonnière, « Nouveaux acteurs et questions de gouvernance », in Marine Buissonière, The New Realities of Global Health: Dynamics and ObstaclesInternational Development Policy, Revue internationale de politique de développement [Online], 2012.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ;
Chronique Droit(s) de la Santé ; Art. 324.

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ParJDA

Obs. sous CE, 22 décembre 2020, Escolano & alii (439804 & autres)

Art. 328.

Voici un extrait d’une note à paraître courant février au JCP A.

Le présent article, rédigé par M. Mathieu Touzeil-Divina, professeur de droit public à l’Université Toulouse I Capitole, Co-directeur du Master Droit de la Santé, s’inscrit dans le cadre de la 2e chronique en Droit de la santé du Master avec le soutien du Journal du Droit Administratif.

par Mathieu TOUZEIL-DIVINA

Obs. sous CE, 22 décembre 2020, Escolano & alii (439804 & autres).

L’arrêt ici commenté comporte deux versants : par le premier, il confirme un an (ou presque depuis mars 2020) de mesures sanitaires gouvernementales en réaffirmant la juste proportionnalité des mesures de polices, pourtant potentiellement liberticides, prises pour lutter contre la pandémie de Covid-19. Dans un second temps (inattendu des professionnels du secteur funéraire), il ordonne la mise en bière immédiate d’une pratique installée depuis le printemps dernier : le confinement absolu des cadavres infectés (ou suspectés de l’être ou de l’avoir été) par le coronavirus.

Le présent arrêt, rendu à la suite de dix requêtes parallèles (dont la connexité a été actée), est le fruit d’un réquisitoire tous azimuts contre les mesures gouvernementales destinées à lutter contre la propagation du sars-cov-2 entraînant la covid-19 et ce, lors de la période dite du « premier » des confinements entre mars et mai 2020. Concrètement, dix requérants citoyens ont en effet critiqué, au fond (et outre de parallèles référés[1]), cinq décrets (respectivement les n°2020-260, 264, 293, 371 et 384 en date des 16, 17, 23, 30 mars et 1er avril) ainsi que l’arrêté du 14 mars 2020 portant (comme les précédentes normes) diverses mesures de fermetures d’établissements et de limitations des libertés (de circulation, d’entreprendre, etc.) ; dispositions relatives à la lutte contre la pandémie précitée. Ces requêtes ont alors tout tenté (mais en vain) pour obtenir l’annulation de ces premières mesures gouvernementales jugées insuffisantes par certains citoyens. Il faut dire que, sur ce point, l’arrêt ne surprend que peu le juriste qui aurait été à l’écoute de la jurisprudence administrative, notamment en procédures d’urgence, pendant presque toute l’année 2020. Il n’y a en la matière, aucune nouveauté et la simple application des principes répétés sinon ânonnés par le juge au nom de l’urgence sanitaire (I). En revanche, parmi toutes les contestations tentées, l’une d’elles – celle relative à la dissimulation des corps morts suspectés (ou confirmés) d’avoir été contaminés par la Covid-19 – a pu entraîner l’annulation (inattendue), pour contrariété au « droit à une vie privée et familiale normale » du dernier alinéa de l’article 1er du décret préc. du 1er avril (II).

I. Une tentative vaine
d’annuler la réglementation sanitaire jugée insuffisante

Dans un premier temps, l’arrêt ici commenté après avoir épuisé les arguments de fond et de forme (A) ne fait que traduire une solution prétorienne éculée : le juge confirmant la juste proportionnalité de la plupart des mesures étatiques prises face à la pandémie (B).

  • L’invocation d’arguments tous azimuts

(…)

  • La confirmation de la proportionnalité des mesures sanitaires prises

(…)

II. La dignité respectée des corps morts au nom de la vie privée et familiale (des vivants ?)

Cela acté, les requérants demandaient également la « mise en place dans chaque hôpital ou clinique d’une télé-cérémonie funéraire pour les proches d’un patient décédé du coronavirus et d’une prise en charge des frais funéraires par l’État » ainsi que des « mesures permettant aux proches de personnes décédées de pouvoir les revoir avant la mise en bière ». Il faut rappeler en effet que depuis le décret du 1er avril 2020 (figurant parmi les normes attaquées), le gouvernement (sur demande explicite de nombreux professionnels funéraires craignant pour la santé de leurs opérateurs) a ordonné que toute personne décédée ou suspectée d’être défunte à la suite d’une infection à la Covid-19 soit mise en bière immédiate sans possibilité notamment qu’une toilette mortuaire, des soins de conservation et qu’une présentation du corps aux proches ne soient effectuées. Pour éviter une propagation postmortem du virus et pour protéger les personnels ayant à manipuler les corps défunts, on a donc appliqué de manière générale une mesure connue dans la législation funéraire[4] en présence d’un cadavre ayant rencontré (ou suspecté de l’avoir été) une maladie très infectieuse : l’immédiateté d’un confinement mortuaire au nom de la salubrité publique des vivants (cf. art. R. 2213-2-1 Cgct). Toutefois, cet « autre confinement[5] » qui ne concerne plus les vivants mais les morts ne permettait pas aux premiers de faire « leur deuil » et leurs adieux à leurs proches décédés. Et, si le juge n’a pas retenu la demande d’obligation de prise en charge des télé-cérémonies funéraires, il a bien voulu accueillir, créant la surprise, la demande de cessation de mise en bière immédiate (A) au nom d’une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et familiale et non, comme on aurait pu s’y attendre, du fait de la dignité des personnes humaines (B).

  • Une annulation inattendue et non souhaitée par le secteur funéraire

Disons-le explicitement : l’annulation de la mise en bière immédiate, également demandée par le rapporteur public, Laurent Domingo (dont les conclusions ont été publiées en ligne sur le site de la juridiction), a surpris le secteur funéraire qui y tenait dans l’objectif entendu de protéger et de rassurer les travailleurs de la Mort. Voilà presqu’un an que de mars à fin décembre 2020, les corps des défunts pandémiques ont été immédiatement placés en cercueils sans que les proches n’aient pu y accéder. La mesure n’a effectivement pas été temporaire et a été reprise par toutes les normes postérieures d’urgence sanitaire à l’instar du décret – toujours en vigueur – du 29 octobre 2020 en son article 50 : « Eu égard au risque sanitaire que présente le corps de défunts atteints ou probablement atteints du covid-19 au moment de leur décès : 1° Les soins de conservation définis à l’article L. 2223-19-1 du Cgct sont interdits sur le corps des défunts probablement atteints du covid-19 au moment de leur décès ; 2° Les défunts atteints ou probablement atteints du covid-19 au moment de leur décès font l’objet d’une mise en bière immédiate. La pratique de la toilette mortuaire est interdite pour ces défunts, à l’exclusion des soins réalisés post-mortem par des professionnels de santé ou des thanatopracteurs. Les soins et la toilette qui ne sont pas interdits par le présent article sont pratiqués dans des conditions sanitaires appropriées ». On croyait la mesure pérenne et incontestable puisque, en référé certes mais avec certains mêmes requérants qu’au présent arrêt (cf. CE, ord., 4 avril 2020 préc.), le juge administratif avait considéré que le fait que des cérémonies funéraires – même restreintes – puissent avoir lieu suffisait sans qu’il soit besoin de toucher à l’immédiateté du confinement funéraire ou même sans que cela entraîne « une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, de nature à justifier qu’il soit ordonné à l’État (…) d’organiser à ses frais dans les hôpitaux la retransmission à distance des opérations et cérémonies consécutives au décès ou l’envoi de photographies ».

(…)

  • Une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée des vivants
    sans mention de l’atteinte à la dignité des personnes décédées

(…)

Il s’agit alors à nos yeux d’une double surprise : d’abord, parce que le secteur funéraire ne le réclamait pas et que les référés précédant n’y inclinaient pas après dix mois d’application de mise en bière immédiate et quasi automatique et alors que les contestations sur ce point semblaient avoir cessé comme par résignation. Ensuite, parce que ce n’est pas la notion de dignité de la personne humaine qui a été mise en avant mais – a priori – le droit des vivants et des proches des défunts à pouvoir leur offrir, malgré la pandémie, un dernier au revoir.

(…)

Deux remarques finales : d’abord, on insistera sur le fondement juridique de l’annulation opérée. Le juge la proclame au nom du droit au respect de la vie privée et familiale. Or, souligne le rapporteur public, « pour la Cour Edh, on ne peut exclure que le droit au respect de la vie privée et familiale puisse s’étendre à certaines situations postérieures au décès (13 septembre 2005, W… c. Royaume-Uni, n° 42639/04). La Cour a reconnu que certaines questions concernant le traitement réservé à la dépouille d’un proche décédé, ainsi que la possibilité d’assister aux obsèques d’un proche et de se recueillir sur sa tombe, relèvent du droit au respect de la vie privée ou familiale garanti par l’article 8 (20 septembre 2018, Y… et Z… c. Pologne, n°s 30491/17 et31083/17) ». On ne sait donc pas explicitement si le droit ici reconnu l’est au profit des vivants ou (comme on le croit et le défend) des « personnes » décédées. Enfin, signalons qu’a priori, le décret préc. du 29 octobre 2020, en son art. 50, impose toujours et a priori jusqu’au 16 mars 2021 une « mise en bière immédiate » pour « les défunts atteints ou probablement atteints du covid-19 au moment de leur décès » et n’a semble-t-il pas encore été abrogé pour l’avenir.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ;
Chronique Droit(s) de la Santé ; Art. 328.


[1] Dont l’un émis par l’une des requérantes au présent arrêt : CE, ord., 4 avril 2020, Mme Escolano et autres, req. n° 439816.

[2] Voyez en ce sens, parmi de très nombreuses et uniquement pour décembre dernier : CE, ordo., 23 déc. 2020, A. (req. 447698 & alii) à propos de la demande (refusée) de réouverture de lieux culturels comme les cinémas ; CE, ordo., 11 déc. 2020, Domaines skiables de France & alii (req. 447208) concernant la demande (refusée) de suspension de fermeture des remontées mécaniques ; CE, ordo., 08 déc. 2020, Umih & alii (req. 446715) s’agissant la demande (refusée) de réouverture des bars et restaurants ; etc. Seules de rares décisions comme CE, ordo., 07 nov. 2020, Association Civitas & autres (445825 & alii) (avec nos obs. dans cette revue) ont pu consacrer quelques réajustements ou annulations ordonnés aux gouvernants (ici en matière de liberté religieuse). La plupart du temps, le juge confirmant la position gouvernementale estimée juste et proportionnée.

[3] Comme par l’une des premières ordonnances de référé CE, Ord., 22 mars 2020, Syndicat Jeunes Médecins & alii (req. 439674) avec nos obs. : « Ni oui ni non, ni bravos ni confinements totaux «en l’état» d’urgence sanitaire : l’ordonnance dilatoire du Conseil d’Etat » in Journal du Droit Administratif (Jda) ; 2020 ; Actions & réactions au Covid-19 ; Art. 281 ; ou encore avec la désormais célèbre décision CE, Ord., 17 avril 2020, Commune de Sceaux (n°440057) et nos obs. : « Quand le Conseil d’Etat n’avance plus masqué pour réaffirmer qu’il est, même en juridiction, le Conseil «d’Etat» et non «des collectivités» » in JDA ; 2020 ; Actions & réactions au Covid-19 ; Art. 292.

[4] On se permettra à cet égard de renvoyer à : Touzeil-Divina Mathieu, Brigant Magali & Boudet Jean-François (dir.), Traité des nouveaux droits de la mort ; Le Mans, L’Epitoge ; 2014.

[5] L’« autre confinement », à propos des cadavres, est le titre d’une contribution à paraître (2021, Bruylant) dans le cadre d’un ouvrage collectif confrontant le Droit à la pandémie de coronavirus (dir. Arnaud Lami).

[6] Décrets n° 2020-1262 et 2020-1310 des 16 et 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

[7] On pense par exemple à la décision Cass. Crim., 07 juin 2017, pourvoi n°16-84120 avec nos obs. à la Revue Droit & Santé (n° 79, sept. 2017, p. 732).

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ParJDA

Responsabilité de l’Etat & dispositifs médicaux

Art. 327.

Le présent article, rédigé par Mme Isabelle Poirot-Mazères, professeur de droit public à l’Université Toulouse I Capitole, Co-directeur du Master Droit de la Santé, s’inscrit dans le cadre de la 2e chronique en Droit de la santé du Master avec le soutien du Journal du Droit Administratif.

par Isabelle POIROT-MAZERES

Prothèses PIP
& responsabilité de l’Etat comme autorité de police sanitaire : du principe et des faits
(Obs. sous CE, 16 nov. 2020, n° 431159 ; 16 nov. 2020, n° 437600)

Les contentieux de santé publique se succèdent en France dans une longue litanie où se mêlent incuries, défaillances et parfois collusions en tous genres qui propulsent au cœur d’une actualité qui semble bégayer, non plus les seuls médicaments mais désormais aussi les dispositifs médicaux. Si la mise en cause de ces produits de santé lors de scandales médiatisés n’est pas inédite, l’affaire des prothèses de la société Poly Implant Prothèses (PIP) est exemplaire à divers égards, sorte de précité chimiquement pur tout à la fois des contextes, des solutions jurisprudentielles et des paradoxes qui caractérisent les contentieux relatifs aux dispositifs médicaux, singulièrement implantables. Paradoxe de victimes censées retrouver souffle, mobilité ou simplement image corporelle, obligées de subir en retour explantation ou nouvelles interventions quand elles ne souffrent pas de pathologies ou d’infirmités induites. S’agissant des deux dossiers traités par le Conseil d’Etat le 16 novembre 2020, l’une et l’autre des requérantes avaient, à la suite de la révélation de l’affaire et sur les recommandations des autorités sanitaires, accepté de subir une explantation de leurs prothèses mammaires PIP. On se souvient qu’en 2010, à la suite d’une inspection de l’ANSM, elle-même motivée par de graves suspicions, il est révélé que la société, alors troisième exportateur mondial de prothèses mammaires, a frauduleusement remplacé dans ses produits le gel de silicone par un « gel maison » non homologué, différent de celui qui avait été déclaré dans le dossier de conception et de fabrication de ces implants, avec des risques plus élevé de rupture et des conséquences médicales délétères liées notamment au caractère inflammatoire du gel utilisé. Le ministère de la santé français a alors recommandé à l’ensemble des femmes concernées (30 000 en France sur 400 000 dans le monde) de faire réopérer pour procéder, à titre préventif, à l’explantation de leurs prothèses,  recommandation qui sera suivie par 18 667 d’entre elles entre 2001 et fin mars 2016, dont 13626 préventivement sans signe d’alerte et 7 708 après avoir subi un évènement indésirable[1].

Pour beaucoup alors, l’injustice est totale : à l’épreuve de la maladie et de la mutilation, surmontée par la reconstruction, succède un long combat judiciaire, aux multiples volets. Car le contexte lui-même complique la quête d’une indemnisation : il ne s’agit pas seulement de mettre en cause un produit défectueux pour obtenir réparation comme lors d’autres contentieux relatifs à des prothèses articulaires[2], testiculaires[3] ou cardiaques[4], mais aussi de poursuivre les responsables identifiés. Or les voies disponibles se sont avérées les unes après les autres décevantes. Les poursuites pénales à l’encontre des responsables directs ont débouché sur une impasse indemnitaire en raison de l’insolvabilité de la société PIP, placée en liquidation judiciaire dès mars 2010, comme de celle de ses dirigeants, définitivement condamnés pour escroquerie et tromperie aggravée[5]

Les victimes n’ont eu alors d’autre choix que de se tourner vers les autres acteurs de l’affaire, sans guère plus de résultats:  la mise en cause de l’assureur de la société PIP, la société Allianz, a tourné court, la garantie plafonnée à 3 millions d’euros limitant de facto le montant des indemnisations accordées à chacune des victimes (environ 460 €) ; celle des chirurgiens eux-mêmes, sur la base d’une responsabilité pour faute, singulièrement pour défaut d’information, à être admise, ne permettait pas davantage de couvrir l’intégralité des préjudices ni de compenser la défaillance du principal coupable[6] .

Dans cette recherche de débiteurs enfin solvables et propres à couvrir, par une condamnation à la mesure de leur implication, l’ensemble des préjudices subis, le comportement des contrôleurs de la société PIP et de ses produits va rapidement être interrogé,  qu’il s’agisse de l’organisme notifié, TÜV Rheinland, ou de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (devenue entretemps l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) en charge du suivi des produits et de la matériovigilance. Dans l’un et l’autre cas, c’est l’abstention fautive qui est dénoncée, faillite du certificateur d’abord, dans sa mission de garantie de la conformité et de surveillance du système qualité, carence de l’Etat ensuite, dans sa mission de contrôle et de police sanitaire relative aux dispositifs médicaux telle que prévue par les textes (directive 93/42/CEE et articles L.5212-1 et s. du code de la santé publique). Comme le rappelle Vincent Villette dans ses conclusions[7], sur le plan politique, cette affaire PIP -et dans une moindre mesure celle des prothèse de hanche ASR[8]– a conforté la conviction largement partagée de la nécessité d’une refonte des textes européens, issus d’une « Nouvelle approche » à l’inspiration libérale dépassée,  préparant les esprits à un renforcement des pouvoirs de contrôle porté par les nouveaux règlements de 2017[9].

L’affaire PIP, dans ses divers développements contentieux -au pénal, au civil et donc devant les juridictions administratives- comme dans ses prolongements politiques, a été l’occasion aussi de mettre en lumière, au mieux les limites d’une procédure « longtemps sous-dimensionnée par rapport aux risques inhérents à certains dispositifs médicaux », au pire les graves dysfonctionnements du contrôle des dispositifs médicaux, de leur mise sur le marché à leur utilisation, dans un « mélange surprenant de complexité et de flexibilité »[10] propice à toutes les dérives.

Par ces deux décisions du 16 novembre 2020, le Conseil d’Etat met un terme à une séquence juridictionnelle entamée avec la condamnation de l’Etat par le tribunal administratif de Montreuil en 2019[11] et marqué depuis par des prises de position différentes des tribunaux administratifs sur les demandes d’indemnisation formulées contre l’Etat pour carence fautive[12].

La Haute juridiction y articule l’affirmation de la responsabilité de principe de l’Etat dans sa mission de police sanitaire sur les dispositifs médicaux -alignant ainsi sans surprise le statut contentieux de la matériovigilance sur celui d’autres vigilances précédemment prises en défaut- (I) avec le rejet circonstancié de cette même responsabilité, au regard d’une chronologie des faits rigoureusement décryptée (II). Ces décisions rejoignent ainsi la lignée des arrêts « prétexte » dont la postérité tient non tant à la solution ponctuellement retenue qu’à la règle posée et au considérant de principe…

I. La reconnaissance de principe de la responsabilité de l’Etat dans l’exercice de son pouvoir de police sur les dispositifs médicaux

C’est au terme d’une analyse serrée des compétences de chacun des acteurs de nature à être mis en cause dans leur mission de contrôle des dispositifs médicaux que le Conseil d’Etat consacre sans surprise le principe d’une responsabilité de l’Etat pour faute simple en la matière.

A. Le rappel de la répartition des rôles entre l’organisme certificateur et l’ANSM

1. Les textes

Le cadre juridique des dispositifs médicaux a été tardivement fixé, à la différence de celui des médicaments objets depuis toujours d’une attention particulière[13]: il était jusqu’à peu constitué de trois textes désormais en cours de remplacement, la directive 90/385/CEE du 20 juin 1990, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux dispositifs médicaux implantables actifs (DMIA), la directive 93/42/CEE du 14 juin 1993, relative aux dispositifs médicaux (DM), enfin, la directive 98/ 79/CE du 27 octobre 1998, relative aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro (DMDIV)[14]. Leurs dispositions, notamment celles relatives à la répartition des attributions ante et post commercialisation, ont été transposées en droit interne dans les parties législative et réglementaire du deuxième livre de la cinquième partie du code de la santé publique (C. santé publ., art. L. 5211-1 et R. 5211-1 et s.).

Elles déterminent le rôle respectif des fabricants et des autorités nationales dans le cycle de vie du dispositif médical. La mise sur le marché dépend totalement des premiers qui doivent démontrer la conformité de leur dispositif médical aux exigences essentielles de qualité, de performance et de sécurité énoncées dans les directives afin de pouvoir disposer du marquage CE sur leur produit. Plus précisément, l’entreprise se doit de choisir un organisme notifié qui se charge de certifier que les produits sont conformes et sur la base du certificat délivré par l’organisme notifié, elle peut alors apposer le marquage CE sur ses produits et les vendre librement dans toute l’Union européenne.

De la sorte, tout dispositif médical, préalablement à sa commercialisation, doit avoir été conçu -et avoir été vérifié comme tel-  de façon à ce que son utilisation ne compromette ni l’état clinique des patients, ni la sécurité et la santé des patients et des utilisateurs. La procédure de certification elle-même dépend de la classification du dispositif: hors la classe 1[15], l’apposition du marquage est subordonnée à l’obtention d’un certificat CE délivré par un organisme notifié, habilité par les autorités compétentes. En raison de leur caractère sensible, et par dérogation à l’annexe IX de la directive 93/42/CEE, les implants mammaires, jusqu’alors en classe IIb ont fait l’objet en 2003 d’une reclassification en classe III (directive 2003/32/CE de la Commission du 3 février 2003 concernant la reclassification des implants mammaires), ainsi d’ailleurs que les prothèses totales de hanche, genou, épaule (directive 2005/50/CE). Pour cette classe de dispositifs, l’article 11 de la directive de 1993 offre au fabricant une alternative en prévoyant deux procédures de certification distinctes : la première repose sur l’examen d’un produit type, sur la base d’un échantillon représentatif de la production (dite « examen CE de type » annexe III en liaison avec la procédure relative à la vérification CE visée à l’annexe IV ou avec la procédure relative à la déclaration CE de conformité -assurance de la qualité de la production- visée à l’annexe V) ; la seconde fait porter le contrôle non plus sur le produit lui-même mais sur la documentation relative à sa conception.

C’est cette dernière, dite de « déclaration CE de conformité » (système complet d’assurance de qualité visé à l’annexe II de la directive de 1993, point 4 « Examen de la conception du produit »), qui a été retenue par la société PIP pour la certification de ses prothèses : dans ce cadre, le producteur dépose un dossier, où il explicite les conditions de fabrication, le contrôle qualité et les matériaux de base utilisés, obligations complétées par la réalisation d’un audit du système de qualité. Tout repose ainsi sur l’action du fabricant dès lors qu’il lui incombe de procéder lui-même aux contrôles qualité avant d’en présenter les résultats à l’organisme de certification, qui se contente de les vérifier alors sur papier. L’évaluation ce dernier couvre le process de conception et de production des dispositifs médicaux, l’ensemble du système d’assurance qualité et son application, et intègre, entre autres, un contrôle strict des matières premières utilisées. L’effectivité en reste relative, fortement dépendante de la loyauté des allégations du producteur : le contrôle en effet porte avant tout sur la capacité même de l’entreprise à produire des produits conformes, sans aller jusqu’à en analyser la constitution, un point fortement discuté lors de la mise en cause de TüV Rheinland. Il résulte de ce schéma que « l’organisme notifié ne peut travailler que sur le dossier qui lui est fourni, tant que la documentation est conforme aux exigences de production dudit produit »[16], avec les zones grises et les risques de fraude que cette latitude autorise. Ce positionnement de l’organisme certificateur a été qualifié de « minimaliste » par le rapport parlementaire du 6 mars 2019, qui relève que loin de s’apparenter à un contrôle scientifique, comme en matière d’AMM pour les médicaments, il  se résume à  une « évaluation d’évaluation » ou plus exactement à une « évaluation d’autoévaluation »[17].

2. Des obligations de chacun, interprétées à la lumière des faits

a)

Ce sont en premier lieu les insuffisances et incuries dans le contrôle réalisé par l’organisme notifié TüV Rheinland, qui ont été dénoncées et que les plus hautes juridictions, en dernier lieu la plus haute juridiction allemande (BGH-Bundesgerichthof[18]), après la Cour de cassation, ont condamnées en reconnaissant sa responsabilité singulière de certificateur.

Il lui a en effet été reproché de ne pas avoir procédé à des contrôles inopinés auprès de la société, lesquels auraient permis, en examinant notamment sa politique d’achat de matières premières, de dévoiler les incohérences et la fraude[19]. Pourtant dès l’abord, cette mise en cause ne s’imposait pas à la lecture stricte des textes. D’ailleurs, la cour d’appel d’Aix-en-Provence avait sur ce point exonéré TüV aux motifs que ses responsables avaient « respecté les obligations leur incombant en qualité d’organismes certificateurs » et « n’avaient pas commis de faute engageant leur responsabilité civile délictuelle »[20]. Plus précisément, alors même qu’ils en avaient la faculté, rien ne les obligeait à procéder à des visites inopinées « ni même d’effectuer des prélèvements sur le produit, ni d’effectuer des tests sur les prothèses commercialisées »[21]. C’est de façon plus radicale que la CJUE, sur renvoi préjudiciel de la Cour fédérale d’Allemagne, s’est prononcée sur la portée des obligations du certificateur, redonnant espoir aux victimes quant à la possibilité de trouver un responsable à même d’assumer leurs demandes de réparation[22]. A la requête de la requérante, la Cour a en effet répondu que si un organisme notifié « n’est pas  tenu  de  manière  générale  d’effectuer des inspections  inopinées,  de  contrôler  les dispositifs  et/ou  d’examiner  les  documents  commerciaux  du  fabricant », il se doit toutefois de prendre, « en présence d’indices suggérant qu’un dispositif médical est susceptible d’être non conforme aux exigences découlant de la directive 93/42 (…) toutes les mesures nécessaires afin de s’acquitter de ses obligations au titre de l’article 16, paragraphe 6, de cette directive, qui lui attribue le pouvoir de suspendre, de retirer ou d’assortir de restrictions le certificat délivré, ainsi qu’au titre des points 3.2, 3.3, 4.1 à 4.3 et 5.1 de l’annexe II de la directive, qui lui imposent d’analyser la demande d’examen du dossier de conception des dispositifs médicaux introduite par le fabricant, de déterminer si l’application du système de qualité du fabricant garantit que ces dispositifs satisfont aux dispositions pertinentes de la directive et de s’assurer, en procédant à la surveillance du fabricant, que celui-ci remplit correctement les obligations qui découlent du système de qualité approuvé ». Tirant les conclusions de ce rappel au texte[23], la Cour de cassation[24] en déduit à la charge du certificateur une obligation particulière de vigilance et la responsabilité:  en présence d’indices de non-conformité comme en l’espèce,  il devait procéder,  non pas à des visites annoncées mais réellement impromptues, propres à déjouer toute manœuvre de  dissimulation,  se livrer aussi « au contrôle des documents du fabricant qui recensent les achats de matières premières » comme au contrôle des dispositifs médicaux eux-mêmes.

b)

C’est en regard des attributions de TüV Rheinland et des responsabilités qui étaient les siennes au titre de son rôle de certificateur qu’il convenait d’apprécier celles de l’AFSSAPS en sa qualité d’autorité nationale en charge du suivi des produits et de la matériovilance, telles que précisées par la directive du 14 février 1993 transposée aux articles L.5212-2 et R. R212-14 et s. du code de la santé publique. Le dispositif est articulé sur certains fondamentaux que le nouveau cadre réglementaire, relèvent les analystes, ne bouleverse pas : « vaste latitude du fabricant, centralité des organismes notifiés, renvoi des exigences sanitaires au suivi des incidents »[25].

Le rôle des autorités sanitaires, résiduel en ce qui concerne la mise sur le marché des dispositifs médicaux, a été concentré dans le système de matériovigilance, auquel contribuent tous les acteurs concernés et que pilote l’ANSM, chargée notamment de réaliser une veille des événements inattendus ou indésirables[26]  et de mettre en œuvre un  programme  de  surveillance.  Ces activités font l’objet depuis décembre 2018 d’une accréditation ISO 9001 pour l’action « Gérer le risque »[27].  Il lui appartient ainsi d’une part, « de mettre en œuvre un dispositif de matériovigilance permettant de recenser et d’évaluer, de façon centralisée, les dysfonctionnements et altérations délétères des caractéristiques ou des performances d’un dispositif comme d’en ordonner le rappel et, d’autre part, de prendre, « au vu des informations ainsi recueillies ou dont elles auraient connaissance par d’autres moyens, toute mesure provisoire nécessaire à la protection de la santé ou de la sécurité des patients  ou d’autres personnes ». Elle reçoit ainsi et traite les signalements d’incidents ou risques d’incident grave,  assure une activité propre de surveillance du marché des dispositifs médicaux par le truchement d’inspections annoncées ou inopinées (inspection sur site des fabricants et analyses en laboratoire), dispose de pouvoirs de police sanitaire au nom de l’Etat lui permettant de restreindre ou suspendre l’utilisation d’un dispositif dangereux ou suspect, et d’enjoindre au fabricant, comme elle l’a finalement fait à l’encontre de PIP, de retirer du marché les produits de nature à menacer la santé humaine (article L. 5312-1 du code de la santé publique).

L’analyse des pouvoirs reconnus à l’Agence en matière de surveillance des dispositifs médicaux postcommercialisation permet au Conseil d’Etat de reprendre ici le raisonnement et les formulations qui avaient été les siens lors de l’appréciation de la réaction de l’AFSSAPS dans l’affaire du Médiator au sujet de la pharmacovigilance et telles qu’elles avaient été dégagées il y a presque trente ans s’agissant de l’hémovigilance.

B. La confirmation attendue d’une responsabilité pour faute simple

1. Un principe de solution devenu classique

Déjà retenu par les tribunaux administratifs par transposition d’une jurisprudence désormais bien établie autour des activités de contrôle et de police administrative, le principe d’une responsabilité pour faute simple a été sans surprise consacré par le Conseil d’Etat, au terme d’un raisonnement aux éléments et aux considérants clefs devenus classiques. On y retrouve les nuances argumentatives autour de la qualification juridique des comportements de carence et d’inaction de l’administration, toujours difficiles à appréhender. L’évolution jurisprudentielle est connue qui a vu les solutions adoptées en matière de police administrative[28] investir le domaine de la santé publique, plus précisément les missions de contrôle et de police sanitaire,  pour des raisons politiques similaires et par  une argumentation réitérée. Le juge retient la faute simple au regard de l’importance des intérêts en cause (la santé publique) et des pouvoirs dont disposait le contrôleur, propres à lui assurer une réelle emprise sur le contrôlé et à lui permettre d’éviter les dérives. Initié dans l’affaire du sang contaminé à propos du contrôle de la transfusion sanguine[29], le raisonnement a été transposé dans l’affaire du Médiator au sujet de la police sanitaire relative aux médicaments[30] et repris lors des procès mettant en cause les dommages causés par la Dépakine[31].  

La question de la responsabilité de l’Etat, au travers de l’AFSSAPS puis de l’ANSM, se focalise sur les pouvoirs postcommercialisation dont il disposait et sur les marges d’appréciation qui étaient effectivement les siennes au moment des faits. A cet égard, rappelons que si les attributions de l’autorité sanitaire sont réelles en matière d’autorisations de mise sur le marché, elles sont en revanche limitées s’agissant de la mise sur le marché des dispositifs médicaux, qui ne font pas l’objet, contrairement aux médicaments, d’une évaluation préalable par l’agence de leur bénéfice-risque. Comme vu précédemment, les textes ont en retour conforté les pouvoirs de vigilance des autorités nationales.

2. Une transposition prévisible

Dotée de pouvoirs appréciables, l’ANSM se doit aussi d’en répondre. Ainsi, comme il l’a fait à propos du médicament, le juge confronté à une défaillance supposée lors des contrôles après commercialisation des prothèses PIP, se livre à une analyse textuelle serrée des attributions de l’Agence  -de la directive concernée aux articles du code de la santé publique qui en réalisent la transposition-, pour en déduire un principe de  la responsabilité pour faute simple, à la mesure des pouvoirs reconnus à l’autorité sanitaire et des intérêts visés, à savoir la santé et la sécurité des patients : « eu égard tant à la nature des pouvoirs conférés par les dispositions précitées à l’AFSSAPS, agissant au nom de l’Etat, en matière de police sanitaire relative aux dispositifs médicaux, qu’aux buts en vue desquels ces pouvoirs lui ont été attribués, la responsabilité de l’Etat peut être engagée par toute faute commise dans l’exercice de ces attributions, pour autant qu’il en soit résulté un préjudice direct et certain ». Le Conseil d’Etat d’ailleurs rejette explicitement l’argument opposé la requérante selon lequel le tribunal administratif de Marseille aurait par erreur de droit « subordonné la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat à la caractérisation d’une faute d’une certaine gravité »[32]. Rappelons aussi que les fautes imputables à la société PIP ne pouvaient, pas plus que dans l’affaire du Médiator du fait des manœuvres dolosives des laboratoires Servier, exonérer la puissance publique de sa responsabilité.

Ce faisant, la Haute juridiction facilite les recours contre l’autorité sanitaire en matière de dommages causé par les dispositifs médicaux comme ils l’ont été lors de la mise en cause de médicaments, au risque peut-être de méconnaître la difficulté de l’exercice. Il est en effet dans l’esprit et la lettre de la jurisprudence de subordonner l’appréciation de la faute à la complexité des missions de police. Si une faute simple suffit en principe à engager la responsabilité de l’Etat dans l’exercice de ses pouvoirs de police phytosanitaire[33], il est autorisé à faire valoir qu’en présence d’activités complexes, telles que la lutte contre les maladies contagieuses, seule une faute lourde peut engager sa responsabilité de ses services[34].

On comprend ainsi pourquoi, à en admettre le principe, le juge est particulièrement attentif à en circonscrire la reconnaissance par une analyse fine et séquencée du comportement effectif de l’AFSSAPS au moment des faits.

II. Le rejet circonstancié de la responsabilité de l’Etat pour carence fautive

Dès lors que l’ANSM n’intervient pas dans le processus de mise sur le marché, le principe du marquage CE suppose une surveillance ex post du marché efficace et active, qu’elle intervienne « à froid » dans le cadre d’une évaluation du bénéfice/risque ou « à chaud », à la suite de signalements[35].

Le système suscite des réserves, que reprend la Cour des comptes : « si les médicaments  font  l’objet  d’une  vigilance  ancienne,  restructurée  ces  dernières années, mais encore perfectible, la vigilance des dispositifs médicaux mériterait, quant à elle, d’être clairement renforcée », et ce alors même que le secteur concentre actuellement l’essentiel des mesures de police[36]. Toute défaillance doit donc être mesurée à l’aune des circonstances, des moyens mis en œuvre et des informations pertinentes disponibles au moment des faits. Cette appréciation conduit le juge à réfuter, dans les deux dossiers en cause, toute faute de l’Agence, clôturant par là même ce volet contentieux.

A. Une appréciation de la chronologie des faits au bénéfice de l’ANSM

L’une et l’autre des requérantes, comme bien d’autres devant les différents tribunaux administratifs saisis, demandaient la condamnation de l’Etat à réparer les préjudices subis, invoquant la carence fautive de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé dans l’exercice de sa mission de contrôle et de police sanitaire des activités de la société Poly Implant Prothèse.

1. Temporalité du contrôle et responsabilité de l’AFSSAPS

Deux remarques s’imposent en préalable. La première pour rappeler que la carence peut résider aussi bien dans le défaut d’action des autorités que dans l’insuffisance de leurs interventions, mais non, en principe, dans leur inefficacité, l’obligation d’agir ne relevant que d’une obligation de moyens. La seconde pour souligner la difficulté à démontrer la carence et l’incurie, comportements en négatif, souvent insaisissables, se dérobant à l’examen probatoire et mobilisant comparaisons et confrontations diverses dans une temporalité parfois complexe à stabiliser. Les contentieux de police sanitaire supposent à cet égard du juge, ainsi que le soulignait le rapporteur public, « qu’il définisse lui-même, en creux, ce qu’était une réponse appropriée à l’évènement et ils participent à ce titre de la construction empirique de la police sanitaire ».

Pour juger du comportement de l’Agence dans la surveillance de la société PIP, les juridictions successivement saisies ont décrypté la chronologie des faits et des actions, telle qu’analysée précédemment dans le rapport rédigé à la demande du ministre de la Santé[37].

Les arrêts distinguent ainsi trois temps dans la surveillance opérée par l’AFSSAPS : jusqu’en avril 2009, celui de la « vigilance ordinaire »,  qui, à partir des déclarations et le bilan des incidents relatifs aux implants PIP, ne relève rien d’anormal ; celui des premiers signaux et de la suspicion, en octobre et novembre 2009, débouchant sur la convocation de la société le 18 décembre 2009  et les demandes d’informations complémentaires; celui de l’enquête enfin, en février 2010, de la révélation de la fraude et finalement de la suspension et du retrait en mars 2010.  Il restait au juge à placer le curseur entre l’action attendue et l’inaction coupable, afin de déterminer à quelle date précise le comportement de l’Agence pouvait être qualifié de carence fautive, « datation fine (…) pourtant cruciale s’agissant d’implantations qui sont intervenues en continu pendant près d’une décennie »[38].

Ce faisant, il évite les pièges tout à la fois de l’impression déformante causée a posteriori par la connaissance de faits alors dissimulés aux autorités de contrôle et de la généralisation hâtive par analogie avec des contentieux récents similaires. On peut en revanche questionner l’absolution que l’analyse conduit à délivrer à l’Etat face à un comportement de l’Agence qui, à n’en pas être jugé fautif, laisse songeur quant à sa réactivité.  

2. De l’incidence de l’information sur la responsabilité

L’examen chronologique, dans ce qu’il établit concrètement, va ainsi se révéler décevant pour les victimes en dédouanant l’Agence de toute responsabilité fautive. On sait que l’initiative d’agir est déterminée par l’état des connaissances dont dispose alors l’autorité sanitaire sur les risques-bénéfices du produit, sur sa composition, comme sur la pérennité de ses propriétés et qualités ; il appartient à l’Administration de se tenir informée, de vérifier les informations émanant des laboratoires, de se donner les moyens de susciter l’expertise visant à corroborer ou renforcer l’état des savoirs et d’agir en cas de signalement mettant en cause la sûreté du dispositif médical. Il apparaît en l’espèce que ce n’est que lorsqu’elle a eu connaissance d’informations réellement préoccupantes, précisément en octobre et novembre 2009, que l’Agence a sollicité la société, avant de diligenter, face à l’insuffisance des explications fournies, une inspection en mars 2010 dont les résultats l’ont conduite à suspendre puis à retirer du marché les prothèses PIP le 29 mars. Cette chronologie, drastiquement établie, règle le sort des requêtes des requérantes dont aucune, sans doute, n’arrivera à terme sur ce terrain de responsabilité.

En effet, en 2006, très en avant du scandale, lorsque Mme K… a été opérée, l’AFSSAPS, en sa qualité d’autorité uniquement chargée de la matériovigilance, ne disposait que d’informations normales, sans constat de problèmes autres que ceux habituellement identifiés pour les prothèses de même sorte, et certainement pas de nature à éveiller le soupçon d’un danger ou d’une absence de conformité des implants commercialisés. D’autant que les prothèses étant des dispositifs de série et leur rupture éventuelle un événement « attendu », « elles n’appellent pas une évaluation individuelle mais une surveillance de leur fréquence de survenue »[39], laquelle, s’agissant des implants PIP, ne suscite pas à l’époque d’inquiétude particulière.

En revanche, au moment où Mme I…E… s’est fait poser dans le cadre d’une reconstruction mammaire, des implants PIP, le 30 novembre 2009, l’AFSSAPS est déjà alertée : les données de matériovigilance de l’année 2008, dont l’analyse utile est sortie en avril 2009, font apparaitre une augmentation significative des incidents et notamment des cas de rupture des membranes ; dès octobre 2009, les alarmes se suivent : le 26 octobre, l’agence reçoit successivement un courrier d’alerte, une délation interne à PIP sur les matières utilisées,  et le directeur  lui-même est personnellement saisi début décembre par un  chirurgien sénologue « de sa connaissance »,  ce qui contribuera à accélérer la procédure auprès de la société PIP. Le Tribunal administratif de Besançon va ainsi déceler, dans cette suite de signaux non suivis d’action, un manque de diligence de l’AFSSAPS, constitutif d’une carence fautive de nature à engager la responsabilité de l’Etat. C’est une toute autre analyse que livre le rapporteur public du Conseil d’Etat après un décryptage minutieux des faits : dans l’appréciation des réactions successives de l’Agence, la période critique -à savoir les quelques semaines entre octobre 2009 et le moment de la convocation de la société qui acte publiquement la mise en cause de la société PIP, le 18 décembre 2009-  n’en est pas une pour le juge, ce qui le conduit à exclure, également ici, toute défaillance de l’autorité sanitaire : l’agence a fait preuve d’une diligence normale dans le traitement des informations et des alertes qui lui étaient transmises durant cette période à propos des implants litigieux. Si l’on peut entendre l’argument de la prévalence d’un examen rigoureux des faits sur l’attraction d’une lecture compatissante des requêtes, encore faudrait-il être assuré du premier. Or, à l’instar de la lecture qu’en firent précédemment les premiers juges, et au vu de l’expérience –acquise ( ?)- des précédents scandales sanitaires, le temps de réaction de l’Agence, dès le moment où les premières informations qui lui parviennent,  peut susciter la perplexité.

Quoiqu’il en soit, effet en retour immédiat, le Conseil d’Etat verrouille toute possibilité d’engager la responsabilité de l’Etat sur le fondement d’une éventuelle carence dans sa surveillance des prothèses PIP.

B. La gageure de l’action contentieuse des victimes

Les leçons à tirer de l’analyse chronologique des faits par la haute juridiction sont radicales, interrogeant dans la foulée les solutions qui restent à la disposition des victimes, au terme de ce que l’on a pu qualifier de leur « long chemin de croix »[40].

1. Les leçons à tirer

Ce n’est donc pas par la mise en cause de la matériovigilance que les victimes des implants mammaires PIP pourront obtenir indemnisation de leurs préjudices. Que soit visée l’absence de faute de l’AFSSAPS par le Conseil d’Etat[41] ou l’impossibilité d’établir, comme le notèrent les certaines juridictions administratives, un lien de causalité entre l’invocation d’une carence et les préjudices subis[42], les arrêts rendus sur la responsabilité de l’Etat dans cette affaire ont été, pour reprendre l’image utilisée par Vincent Vioujas, autant de portes entrouvertes débouchant sur des culs-de-sac[43].

Sur le plan juridique, le raisonnement adopté a toutefois permis au Conseil d’Etat de transposer à la matériovigilance le principe d’une responsabilité pour faute simple de l’autorité sanitaire, déjà dégagé pour l’hémo puis la pharmacovilance. Il participe également, dans un contexte réglementaire évolutif, de la clarification des compétences entre les institutions en charge du contrôle des dispositifs médicaux, répartition renforcée par les nouveaux règlements. Tirant les enseignements de la crise qui a suivi l’affaire PIP, le règlement (UE) 2017/745 intègre explicitement les prothèses mammaires dans la classe de risque la plus élevée (5.4. Règle 8 : reprise de la directive 2003/12/CE du 3 février 2003). Et pour répondre aux critiques martelées dans l’enquête Implants files sur les lacunes des procédures de mise sur le marché des dispositifs médicaux présentant un risque pour la santé humaine, singulièrement les implants, le règlement européen, à défaut d’introduire une procédure d’autorisation de mise sur le marché mal adaptée aux caractéristiques de produits et d’« un univers technique où les évolutions sont essentiellement incrémentales »[44], instaure une procédure d’examen approfondi (scrutiny) préalablement à la commercialisation des dispositifs implantables de classe III.

Sur le plan contentieux, la position du Conseil d’Etat pose une solution qui devrait conduire à l’annulation des procès administratifs encore en cours contre l’Etat[45] et renvoie ainsi les victimes à d’autres prétoires. A cet égard, les regards se tournent une fois encore vers  TüV Rheinland, géant mondial de la certification, société prospère et de surcroît bien assurée[46], dont les négligences pourraient enfin permettre aux victimes de trouver un responsable solvable. La CJUE n’en a pas exclu la mise en cause[47], et c’est à la cour d’appel de Paris, appelée à statuer en tant que cour de renvoi[48], de se prononcer désormais sur la responsabilité civile du certificateur.

2. Les suites à attendre

Surtout, le dossier des dispositifs douteux ou défectueux, des lacunes de l’information comme des insuffisances de la matériovigilance ou des errements de la répartition des rôles dans le cycle de vie de ces produits de santé, est loin d’être clos. Les vigilances ont été densifiées autour des implants mammaires[49].

Surtout, de nouveaux contentieux sont d’ores et déjà engagés. Le plus connu d’entre eux est certainement celui des implants de stérilisation définitive Essure que porte une nouvelle action de groupe initiée par l’association RESIST (Réseau d’entraide, soutien et informations sur la stérilisation tubaire) contre la société Bayer afin de démontrer la défectuosité du produit et le défaut d’information qui l’accompagne[50].

Selon le Wall Street, la firme pharmaceutique a d’ores et déjà déboursé, pour éviter le procès aux Etats-Unis, 1,6 milliard de dollars destinés à dédommager 90 % des 39 000 plaignantes américaines. En France, l’ANSM, après avoir mis le dispositif sous surveillance en 2015, a préconisé en 2017 de ne plus l’utiliser « par mesure de précaution » et demandé aux laboratoires de « procéder au rappel des produits en stock »[51]. Plusieurs actions sont donc aujourd’hui en cours, au pénal comme au civil, dont certaines lancées en février dernier contre l’Etat, quatre anciennes porteuses d‘Essure réclamant notamment, au soutien de leur action, une étude indépendante et des indemnisations.

L’échec des victimes PIP ne préjuge en rien de ce que pourra être l’issue des actions contentieuses contre d’autres dispositifs. Il appartiendra aux juridictions saisies, comme elles l’ont fait pour les prothèses PIP, d’apprécier la pertinence des réactions de l’ANSM à l’aune des informations dont elle disposait sur les dangers suspectés des dispositifs en cause et des moyens d’action qu’elle a mobilisés pour les contrer. A suivre donc.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ;
Chronique Droit(s) de la Santé ; Art. 327.


[1]ANSM, « Données PIP Mise à jour des signalements de matériovigilance », Juin 2016.

[2] CE, Sect., 25 juillet 2013, Falempin,  n°339922, D.2013.2438, note M.Bacache, D.2014.47 note Ph.Brun et O. Gout , AJDA 2013.1972, Chron. X. Domino et A.Bretonneau, JCP 2013, note Ch.Paillard. Cass.1re, 26 février 2020, n°18-26.256.

[3] Cass, 1re civ., 12 juillet 2012, Brèque, n°11-17.510, Bull.civ.I, n°165 ; P. Sargos « L’abandon par la Cour de cassation de l’obligation de sécurité de résultat pesant sur les médecins en matière de prothèses défectueuse », JCP 2012.1768 ; JCP 2012, n° 987, note O. Gout et 2066, obs. P. Stoffel-Munc ;  D. 2012. 1610, obs. I. Gallmeister, 1794, note A. Laude; RTD civ. 2012. Chron.737, obs. P. Jourdain ; RGDM 2012, n°45, p.201, note P.Véron ;  Med. et Droit, nov-déc.2013, p.175, note G.Mémeteau ; RDSS 2012, 757, obs. F. Arhab-Girardin .

[4] Cass. 1re civ., 19 déc. 2006, n° 05-15721, D. 2007, p. 2897, obs. P. Brun

[5] Cass crim., 11 septembre 2018, n° 16-84.059. Reste en cours une instruction pour blessures involontaires qui devrait être close dans les mois à venir avec un procès en 2022.

[6] CA Paris, ch. 2, 8 janvier 2016, n° 14/06777, JurisData n° 2016-000126, JCP G 2016, 206, act. J.- Ch. Bonneau, indemnisation de 1000 euros sur ce fondement. A la suite des scandales liés aux implants mammaires PIP et aux prothèses de hanches Ceraver, l’obligation d’information du chirurgien esthétique en cas d’implantation d’un dispositif médical a été renforcée (Décret n° 2015-1171 du 22 septembre 2015 relatif à l’information à délivrer à la personne concernée préalablement à une intervention de chirurgie esthétique et postérieurement à l’implantation d’un dispositif médical ; C. santé publ., art. D. 6322-30-1).

[7] https://www.conseil-etat.fr/arianeweb/#/view-document/?storage=true

[8]Cas des prothèses « métal sur métal », qui alimentent une suspicion plus large réactivée récemment par l’enquête internationale Implant Files.  Recommandation AFSSAPS, Point d’information « Prothèses de hanche ASR du fabricant DePuy, rappelées en juillet 2010 », 1er mars 2012.

[9] Ce règlement renforce les prérequis nécessaires à l’obtention du marquage CE comme les outils de traçabilité et de transparence, en exigeant du fabricant les éléments de démonstration du rapport bénéfice/risque, qui devront satisfaire aux attendus en matière d’évaluation clinique pré et post mise sur le marché, durant tout le cycle de vie du dispositif médical. Cf J.Peigné, « Dispositifs médicaux : le nouvel horizon réglementaire », n° spécial, Bull.306-1,  Santé, bioéthique, biotechnologies, sept.2019 ; SNITEM, « Dispositifs médicaux, nouvelle réglementation », mars 2020.

[10] J. Borowczyk et P. Dharréville, Ass.Nat., Mission d’information relative aux dispositifs médicaux, 6 mars 2019, p.20-22.

[11] TA Montreuil 29 janvier 2019, Mme L., n° 1800068, JurisData n° 2019-001257.

[12]TA Orléans, 9 mai 2019, n° 1703560 ; TA Besançon, 12 novembre 2019, n°1701712 : reconnaissance de la responsabilité ; TA Marseille, 11 mars 2019, n° 1710122 : rejet, au vu de la chronologie des faits, de la demande de la requérante.

[13] A. Leca et A. Lami, Droit pharmaceutique, LEH Editions, 2017.

[14] Ces directives laissent place en 2021 et 2022 au règlement (UE) 2017/745 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2017 relatif aux dispositifs médicaux (modifiant la directive 2001/83/CE, le règlement (CE) n° 178/2002 et le règlement (CE) n° 1223/2009 et abrogeant les directives du Conseil 90/385/CEE et 93/42/CEE) et au règlement (UE) 2017/746 du 5 avril 2017 relatif aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro et abrogeant la directive 98/79/CE et la décision 2010/227/UE de la Commission.

[15] Sur la base du guide « Guidelines for the classification of medical devices », un dispositif médical non stérile de classe I va bénéficier d’une procédure « allégée » d’auto-certification par son  fabricant,  qui doit déclarer  auprès de  l’autorité compétente du  pays où il  a  son  siège social, que  son  produit  est  conforme  aux  exigences essentielles de santé et de sécurité requises, ceci par  écrit  et  sous  son unique  responsabilité. Cf Medical Device Coordination Group Document, « Guidance notes for manufacturers of class I medical devices », déc.2019.

[16] J. Borowczyk et P. Dharréville, Rapport préc. : « c’est en effet à l’entreprise que revient le soin de définir des conditions de fabrication et d’évaluation de son produit, qui sont auditées et certifiées par l’organisme notifié au regard des normes contenues dans le droit européen. », p.23.

[17] Ibid.

[18] Le 27 février 2020, la Cour fédérale de justice a annulé une décision qui avait rejeté la responsabilité du certificateur TÜV Rheinland, en retenant que la garantie de protection individuelle de la santé des patientes porteuses des implants PIP n’incombait pas seulement au fabricant, la société PIP, « mais aussi à l’organisme notifié » certificateur de ces implants. Voir aussi Peter Rott et Carola Glinski. « Le scandale PIP devant les juridictions allemandes », Revue internationale de droit économique, vol. t.XXIX, n°1, 2015, pp. 87-98. https://www.bundesgerichtshof.de/SharedDocs/Termine/DE/Termine/VIIZR151.html.

[19] Selon les plaignantes, aucun achat de gel Nusil, l’un des seuls autorisés pour les prothèses mammaires, n’est intervenu au cours de l’année 2004 alors même que le produit doit être utilisé dans les six mois…L’enquête a révélé que  l’entreprise PIP se servait pour partie d’un autre gel non autorisé, du silicone industriel de la société Brenntag normalement utilisé dans la composition d’équipements électroniques.

[20] CA Aix-en-Provence, 2 juillet 2015, n°13/22482.

[21] L. Bloch, « Prothèses PIP : le long chemin de croix des victimes », Resp.civ. et assur., 2015, alerte 24.

[22] CJUE, 16 février 2017, Elisabeth Schmitt/TÜV Rheinland LGA Products GmbH, aff.C-219/15.

[23] L’intervention de l’organisme notifié dans le cadre de la procédure de déclaration de conformité « vise à protéger les destinataires finaux des dispositifs médicaux ».

[24]Cass. 1re civ., 10 octobre 2018, n° 16-19430, n° 15-26093, n° 15-26388, n° 15-26115, n° 15-28531, n° 17-14401, JCP G, 26 novembre 2018, n° 1235, note M. Bacache, RDSS 2018, p. 1105, obs. J.Peigné. La Cour de Cassation, ne jugeant pas sur le fond et ne pouvant donc directement condamner TUV a renvoyé la procédure devant la Cour d’Appel de Paris, qui sera chargée de juger en tenant compte de ses indications. Le délibéré de cette dernière est attendu le 20 mai 2021.

[25] Rapport préc.p.39

[26] « Vigilance » déclinée en fonction des produits, pharmaco-, hémato,- infectio-, cosméto-, bio-, réactovigilance, … et donc matériovigilance

[27] Cour des comptes, « L’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM) », Communication à la Commission des affaires sociales du Sénat Novembre 2019, p.79 et s.

[28] CE, 28 novembre 2003, Commune de Moissy-Cramayel, n°238349, JCP A 2004, 1053, note J.Moreau, AJDA 2004, p. 989, note C.Deffigier, Dr. adm. 2004, 36 ; RFDA 2004, p. 205 : abstention à prendre une réglementation destinée à lutter contre les nuisances sonores ; CE, 30 mars 1969, Moisan et Cne d’Étables sur-Mer, Rec.143, AJDA 1979, p.29, D.1979, 559, note L.Richer : carence dans le maintien de la sécurité lors d’un tir de feux d’artifice; Sect.13 mai 1983, Mme Lefèvre, Rec.194, AJDA 1983, p.476 concl. M. Boyon : maintien de la sécurité sur les plages ; 12 décembre 1986, Rebora c/ Commune de Bourg Saint Maurice, Rec.281 :  sécurité en montagne ; CE 25 juillet 2015, Baey, Rec. 285 : contrôle des installations classées ; CE, 5e et 6e Ch., 9 novembre 2018, n°411626 : condamnation de la ville de Paris et de l’État pour carence fautive dans l’exercice de leurs missions de protection de la sécurité et de la tranquillité, et de maintien de la salubrité. Récemment, CE 18 décembre 2020, Ministre du Travail / M. A., n°437314 : la responsabilité de l’Etat peut être engagée par une faute de l’inspection du travail dans l’exercice de ses missions de contrôle en matière d’hygiène et de sécurité, en l’espèce, par l’absence de contrôle pendant dix ans du respect des mesures de protection contre l’amiante sur un chantier naval.

[29] CE Ass. 9 avril 1993, D…, G…, B…, Rec.110.

[30] CE 9 novembre 2016, Mme K., n°393108, Mme G, n°393904, Mme Bindjouli et Ministre des affaires sociales, de la santé et des droits de la femme, n° 393902, 393926.

[31] TA Montreuil, 2 juill. 2020, n° 1704275, n° 1704392, n° 1704394

[32] CE, 16 nov. 2020, n° 431159, point 5.

[33] CE, 7 août 2008, n° 278624.

[34] Aussi, le juge relève-t-il qu’ « eu égard aux difficultés particulières que présentent les mesures prises par les services vétérinaires de l’Etat dans le cadre de la police sanitaire et dans l’intérêt de la protection de la santé publique en vue d’assurer l’exécution d’un arrêté portant déclaration d’infection et compte tenu de l’urgente nécessité d’éviter la propagation de l’épizootie, la responsabilité de l’Etat n’est susceptible d’être engagée qu’en cas de faute lourde»,  CAA Lyon, 22 décembre 2009, n° 07LY02147, Jonnet et Centre Technique d’hygiène ; CAA Nancy, 2 décembre 2004, n° 98NC01732

[35] https://www.ansm.sante.fr/L-ANSM/Surveiller/Surveiller/(offset)/

[36] Préc., p.80 : « 88 % des mesures de police concernent des dispositifs médicaux, produits qui ne font pas l’objet, de sa part, d’un contrôle antérieur à leur mise sur le marché ».

[37] « État des lieux des contrôles opérés par les autorités sanitaires sur la société PIP », févr. 2012.

[38] Concl. V. Villette, préc.

[39] Conseil d’État, préc., n° 431159

[40] L.Bloch, préc. Resp.civ. et assur., 2015, alerte 24, p.3..

[41] Cf également CAA Marseille 18 janvier 2018, 15MA04919 ; 22 juillet 2020, 19MA02102.

[42] Tribunaux et cours administratives, en particulier CAA Nantes, 30 juin 2016, 16NT01255 ; CAA Marseille, 18 août 2016, 16MA01419.

[43] « L’affaire PIP de retour devant le juge administratif », SJEG, 18 février 2019, n°7, p. 316.

[44] J. Borowczyk et P. Dharréville, rapport préc. Ass.Nat. 6 mars 2019, p.25.

[45] TA Montreuil, 29 janv. 2019, n° 1800068, TA Orléans, 9 mai 2019, n° 1703560.

[46] L.Bloch, « Prothèses PIP: la Cour de cassation redonne espoir aux victimes », Resp.civ. et assur. 2018, n°11, Alertes, p.3.

[47] CJUE, 16 févr. 2017, aff. C-219/15.

[48] Cass. 1re civ., 10 octobre 2018, n° 16-19.430, n° 15-26.093, n° 17-14.401.

[49] https://www.ansm.sante.fr/Activites/Surveillance-des-dispositifs-medicaux-implantables/Surveillance-des-protheses-mammaires/(offset)/0. En particulier, depuis avril 2019, l’ANSM a retiré du marché la quasi totalité des implants mammaires macrotexturés et des implants mammaires à surface recouverte de polyuréthane et, par mesure de précaution, recommande désormais l’usage de prothèses mammaires lisses.

[50] L’action souligne que le laboratoire BAYER n’a pas informé les utilisatrices de la composition du dispositif ni de ses effets secondaires liés à la présence de métaux lourds. Elle identifie plus de 2 000 victimes et réclame la consignation par Bayer HealthCare de 45 millions d’euros.

[51] Site ANSM « Surveillance des dispositifs médicaux de stérilisation définitive » ;   « Connaissances scientifiques autour de l’implant de stérilisation définitive Essure : état des lieux – Point d’information », 2 octobre 2020 ;  Communiqué DGS « Surveillance des dispositifs médicaux de stérilisation définitive. Comité de suivi des femmes porteuses du dispositif de stérilisation définitive ESSURE-Présentation du plan d’actions », 17 décembre2020. Il s’agit à ce stade « de caractériser les phénomènes à l’origine des effets indésirables présentés par certaines femmes porteuses d’Essure » et de rassembler toutes les informations de nature à apporter des éléments de réponse aux questions qui restent en suspens. Il est ainsi prévu de créer un registre des effets indésirable pour enregistrer les signalements des patientes.

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ParJDA

Obligation d’information du patient & appréciation de la perte de chance

Art. 326.

Le présent article, rédigé par M. Hugo Ricci (doctorant en droit public, UT1 Capitole, IMH) s’inscrit dans le cadre de la 2e chronique en Droit de la santé du Master avec le soutien du Journal du Droit Administratif.

Nouvelle évolution de l’obligation d’information du patient par les praticiens & appréciation de la perte de chance

Conseil d’Etat, Sect., 20 novembre 2020,
req. 422248, Publié au recueil Lebon

Le Conseil d’État a souhaité apporter un certain nombre de précisions quant à la notion de possibilité raisonnable de refuser les soins. Issue de la jurisprudence M. Telle[1] et complété par la jurisprudence Beaupère et Lemaitre[2], cette possibilité de refuser les soins appelle directement au consentement et à l’obligation préalable d’information du patient, non seulement sur les « risques connus de décès ou d’invalidité, (…) la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu’exceptionnellement »[3] ne dispensant pas les médecins de cette obligation. La réparation du non-respect de cette obligation est l’indemnisation pour la perte de chance de refuser l’intervention, mais également le préjudice d’impréparation notamment en prenant certaines dispositions personnelles, ces deux types d’indemnisation étant autonomes[4] ; le défaut d’information étant constitutif d’un préjudice autonome[5] de la perte de chance, Conseil d’État et Cour de Cassation ayant une position commune à ce sujet[6].

Ainsi, il est donc possible pour les magistrats d’écarter la perte de chance, ce qui est le cas lorsque « l’intervention était impérieusement requise, en sorte que le patient ne disposait d’aucune possibilité raisonnable de refus », mais d’indemniser la victime pour le préjudice d’impréparation.

En l’espèce, une patiente chute sur son lieu de travail, qui entraine un déplacement musculaire au niveau du genoux, nécessitant une intervention chirurgicale en vue de refixer le tendon à l’origine de ce déplacement. À l’issue de l’intervention médicale, une paralysie du pied nécessite une nouvelle intervention, qui met en évidence une compression accidentelle d’un nerf, étant survenu au cours de la première intervention. La patiente ayant engagé des poursuites de l’établissement auprès du tribunal administratif de Fort-de-France obtient une réparation du préjudice « de perte de chance ayant résulté pour elle du manquement de cet établissement à son obligation d’information sur les risques inhérents à l’intervention ».

Cette décision sera annulée par la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux, qui estimait que compte tenu de l’absence d’alternative thérapeutique à l’intervention chirurgicale qui lui était proposé, la victime aurait consenti à cette opération même si elle avait été informée des risques d’atteinte au nerf fibulaire, et que de ce fait, le manquement de l’établissement n’avait privé la victime d’aucune chance de se soustraire au risque en renonçant à l’opération chirurgicale. La décision sera cassée en Conseil d’État, puis renvoyé devant la CAA de Bordeaux, qui avait – comme la premier fois – rejetée la demande de la requérante. Dans cette ultime décision du Conseil d’État, les magistrats vont apporter un certain nombre de précisions sur l’obligation d’information, tout en rejetant la demande de la requérante.

Origine, contenu et qualité de l’information délivré au patient

L’origine de l’obligation d’information (A) est lointaine et sa source est évolutive, mais le contenu et sa qualité (B) semble se renforcer au fil des années.

A. Origine de l’obligation d’information

Le fondement de l’obligation d’information du médecin à son patient trouve l’un des premiers points de départ dans les arrêts Mercier[7]de 1936 et Teyssier[8] de 1942, illustrant l’information comme un élément au contrat médical[9] qui se créé entre le patient et médecin. La jurisprudence sera constante en matière d’information préalable du patient, désormais élevé au rang du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine[10], et étroitement lié au droit au respect de l’intégrité corporelle. Ce dernier ne permet aucune atteinte au corps sans le consentement de son titulaire, qui suppose une information préalable, et qui découle du code civil[11] depuis 1994[12]. Les mêmes exigences existent par ailleurs en droit européen[13]. La loi du 4 mars 2002[14] apporte au code de la santé publique l’article L. 1111-2 qui consacre le droit pour toute personne « d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Lorsque, postérieurement à l’exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d’impossibilité de la retrouver »[15].

B. Contenu et qualité de l’information

Le patient doit être informé afin d’être à même de se rendre compte de la gravité potentielle de sa pathologie, c’est-à-dire porter sur son état de santé, sur les gestes entrepris, la nature de l’opération ou de l’intervention, son ampleur et ses conséquences possibles, et les risques et les complications potentielles. En outre, les conséquences prévisibles en cas de refus, les alternatives thérapeutiques doivent également être détaillées.

La différence importante de niveau de connaissance technique entre le professionnel et le patient rend difficile, sinon impossible, la communication de données médicales « en l’état », qui serait une source d’incompréhension très grande[16]. En l’absence de texte, la jurisprudence a qualifié l’information comme devant être « simple, approximative, intelligible et loyale »[17], avant de faire disparaitre l’approximation de l’information[18], le médecin étant aujourd’hui tenu à « une information loyale, claire et appropriée ». Pour autant, les magistrats administratifs ont recherché une précision de la qualité de l’information, qui s’étend également aux résultats des examens, qui compte tenu des conditions dans lesquels ils sont conduit, peuvent « être affecté d’une marge d’erreur inhabituelle »[19].

La terminologie jurisprudentielle sera reprise[20] dans le code de déontologie médicale en son article 35, qui est désormais réglementaire[21] : « Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose ».

Les conséquences du défaut d’information

Deux conséquences juridiques au défaut d’information viennent sanctionner celui-ci par le biais de la responsabilité, à travers le préjudice d’impréparation (A) et la perte de chance (B), ces deux mécanismes étants autonomes.

A. Le préjudice d’impréparation

L’existence du préjudice d’impréparation a été consacrée par la décision du Conseil d’État « Beaupère et Lemaître » [22], et sa définition pourrait être celle d’un « préjudice moral, résultant d’un défaut de préparation psychologique aux risques encourus et du ressentiment éprouvé à l’idée de ne pas avoir consenti à une atteinte à son intégrité corporelle »[23], bien que les hauts magistrats de l’ordre judiciaire, s’inspirant de la solution rendue en 2012, définiront postérieurement ce préjudice de façon plus large, comme « résultant d’un défaut de préparation aux conséquences » d’un risque inhérents à un acte d’investigation, de traitement ou de prévention.

La jurisprudence précitée ouvre le droit à réparation pour le patient, né du manquement des médecins à leur obligation d’informer, pour les troubles qu’il a pu subir du fait qu’il n’a pas pu se préparer à l’éventualité que certains risques se réalisent.

Ces troubles, peuvent prendre la forme de l’impossibilité de prendre certaines dispositions personnelles, comme les impacts professionnels, en matière successorales ou assurantielles, et qui, fondées sur la possible survenance d’un risque, auraient permis au patient, s’il avait été informé, d’en anticiper les conséquences. Ainsi, tous les troubles subis du fait de la survenance du risque qui n’avait été signalé, semblent pouvoir donner lieu à réparation, à condition d’en apporter la preuve devant le juge.

B. La perte de chance de se soustraire au risque qui s’est finalement réalisé

Cour de Cassation[24] et Conseil d’État[25] ont utilisé la théorie de la perte de chance de se soustraire au risque, lorsque celui-ci s’est finalement réalisé, pour indemniser les victimes, en prenant en compte la faction du préjudice directement en lien avec le défaut d’information. Cette technique permet notamment au juge de prendre en compte les risques qui subsistent en cas de renonciation aux soins[26]. C’est en ce sens que dans la décision de l’espèce, les précisions des magistrats sont importantes : le manquement à l’obligation d’information entraine la responsabilité de l’hôpital lorsque ce manquement entraine « un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n’a pas été porté à sa connaissance », la réparation du préjudice résidant dans la « perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l’opération ». Le Conseil d’État[27] insistant sur la nécessité pour le juge administratif de systématiquement se prononcer sur la nature et l’importance des dommages physiques et des troubles dans les conditions d’existence subis par l’intéressé, en prenant en compte cet équilibre entre les risques de l’intervention et les risques encouru en cas de refus de traitement. Encours l’annulation la décision qui n’établirait pas le rapprochement entre ces deux éléments.

Si le patient « ne dispose d’aucune possibilité raisonnable de refus, le défaut d’information ne peut normalement entraîner une perte de chance de se soustraire au risque que cette intervention comporte »[28]. S’il existe des alternatives thérapeutiques moins risquées[29], le juge en déduit que l’intervention n’est pas impérieusement requise, auquel cas le défaut d’information fait perdre au patient une chance d’échapper à l’accident médical survenu[30].

A contrario, si l’état de santé nécessite de manière vitale une intervention, et en l’absence d’alternative thérapeutique moins risquée, le patient ne pourra invoquer la notion de perte de chance, le patient ne pouvant se soustraire à ce risque[31]. Il en va de même lorsque l’intervention est urgente et nécessaire[32]. Aucune indemnisation ne peut donc être versé à ce titre. Ainsi, dans les hypothèses dans lesquelles le patient ne peut se soustraire à l’intervention, le juge considère que le défaut d’information, même fautif[33], n’a pas à être sanctionné[34]. Par ailleurs, selon des mécanismes juridiques qui fondent le principe même de la justice, la proportionnalité ou l’équilibre sera toujours recherché, entre l’information sur les risques, et la nécessité de l’acte médical. Ainsi, nulle perte de chance s’il est « raisonnablement improbable » pour le patient qu’il refuse à consentir à une opération, même averti de tous les risques : le juge se fondant sur l’équilibre entre « l’information [qui] aurait dû mettre en parallèle d’une part, les risques encourus, limités et le bénéfice escompté et d’autre part (…) l’évolution prévisible de son état de santé en cas d’inaction »[35]

Dans la décision qui nous concerne, le juge ne peut que présumer que la patiente, même informé « des risques d’atteinte au nerf fibulaire » que comportait l’opération, et « compte tenu de ce qu’était l’état de santé du patient et son évolution prévisible en l’absence de réalisation de l’acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu’il aurait fait » aurait consenti à l’acte en question. Ainsi, même si effectivement le centre hospitalier régional n’apportait pas la preuve de l’information qui lui incombait, ce manquement n’avait privé la justiciable « d’aucune chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l’opération ».

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ;
Chronique Droit(s) de la Santé ; Art. 326.


[1] Conseil d’État, 5 janvier 2000, n° 181899, publié au recueil Lebon

[2] Conseil d’État, 5èmes et 4èmes sous-sections réunies, 10 octobre 2012, 350426, Publié au recueil Lebon

[3] Conseil d’État, 5 janvier 2000, précité

[4] Conseil d’État, 10 octobre 2012, précité

[5] Cour de Cassation, Chambre civile 1, 23 janvier 2014, 12-22.123, Publié au bulletin

[6] Caroline LANTERO, « Devoir d’information du patient : le Conseil d’Etat rejoint la Cour de cassation », AJDA, nᵒ 40, 2012, p. 2231.

[7] Cour de cassation, Civil., 20 mai 1936, Mercier

[8] Cour de Cassation, Chambre des requêtes, 28 janvier 1942, Teyssier

[9] Cour de Cassation, Chambre civile 1, 3 juin 2010, 09-13.591, Publié au bulletin

[10] Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 9 octobre 2001, 00-14.564, Publié au bulletin ; et plus récemment : Civ. 1re, 12 juin 2012 n° 11-18.327

[11] Code civil, article 13-3. Voir en ce sens Cour de cassation, Chambre civile 1, 28 janvier 2010, 09-10.992, Publié au bulletin

[12] Loi no 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain

[13] CEDH 2 juin 2009, n° 31675/04

[14] Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé

[15][15] Idem

[16] Bien qu’il existe désormais des patients experts.

[17] Cour de cassation, Chambre Civile 1, 21 février 1961 (publication n°115)

[18] Cour de cassation, Chambre Civile 1, 5 mai 1981, Gazette au Palais, 1981, p.352

[19] Conseil d’Etat, Section, du 14 février 1997, 133238, publié au recueil Lebon

[20] Décret n° 95-1000 du 6 septembre 1995 portant code de déontologie médicale

[21] Code de la santé publique, Article R4127-35 (la formulation demeurante inchangée).

[22] Conseil d’Etat, 5èmes et 4èmes sous-sections réunies, 10 octobre 2012, Beaupère c/ CHRU de Rouen, n°350426, Publié au recueil Lebon

[23] Cour de cassation, Chambre civile 1, 12 juillet 2012, 11-17.510, Publié au bulletin

[24] Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 7 février 1990, 88-14.797, Publié au bulletin

[25] Conseil d’État, 5 janvier 2000, précité

[26] Voir en ce sens Conseil d’État, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 02/02/2011, 323970, Inédit au recueil Lebon

[27] Conseil d’État, du 5 janvier 2000, 198530, inédit au recueil Lebon

[28] Conseil d’État, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 06/03/2015, 368010, Inédit au recueil Lebon

[29] En réalisant un équilibre entre le risque effectivement réalité, et un éventuel autre risque probable le cas échéant ; voir en ce sens Cour Administrative d’Appel de Nantes, 3ème chambre, 07/04/2016, 14NT02841, Inédit au recueil Lebon

[30] Solution qui est différente hors des situations urgente. Voir en ce sens Conseil d’État, 5ème / 4ème SSR, 03/07/2015, 372257, Inédit au recueil Lebon, décision dans laquelle la haute juridiction considère que la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en se fondant sur l’absence de l’existence d’autres techniques médicales pour déceler une malformation sur un fœtus, comme ne suffisant pas à caractériser l’absence de toute possibilité raisonnable de refus.

[31] Conseil d’État, 5 / 7 SSR, du 15 janvier 2001, 184386, mentionné aux tables du recueil Lebon. Voir également Conseil d’État, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 10/10/2012, 350426, Publié au recueil Lebon

[32] Cour de Cassation, Chambre civile 1, 3 juin 2010, 09-13.591, Publié au bulletin

[33] Conseil d’Etat, 5 / 7 SSR, du 15 janvier 2001, 184386, mentionné aux tables du recueil Lebon

[34] Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 13 novembre 2002, 01-00.377, Publié au bulletin

[35] Cour d’appel d’Aix-en-Provence, ch. 10, 13 février 2014, n° 2014/00070

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ParJDA

Mesures COVID & Université : le déni de la souffrance estudiantine

Art. 325.

par Mme Mathilde Gobert, étudiante en Master II Droit de la Santé, promotion Gisèle Halimi 2020-2021

Le présent article, rédigé par Mme Mathilde Gobert, étudiante en Master II Droit de la Santé, promotion Gisèle Halimi 2020-2021, s’inscrit dans le cadre de la 2e chronique en Droit de la santé du Master avec le soutien du Journal du Droit Administratif.

Mesures COVID et université :
le déni de la souffrance estudiantine par le juge des référés ;
note sous CE, Ord., 10 décembre 2020 (447015)

Saisi d’un référé-liberté porté par un collectif de 77 enseignants du corps universitaire, le Conseil d’État s’est vu interrogé sur la question de savoir si le décret du 27 novembre 2020, et plus précisément son article 34 maintenant l’interdiction faite aux étudiants de se rendre dans leurs universités, ne constituait pas une atteinte manifestement disproportionnée au droit à l’instruction, droit fondamental.

Dans une ordonnance du 10 décembre 2020 (n°447015), le juge des référés a débouté les requérants de leurs prétentions. Ces derniers demandant d’enjoindre au Premier ministre de modifier ledit décret pour faire revenir les populations estudiantines sur site avec une organisation respectant les impératifs de santé publique.

Le juge s’est fondé sur quatre points pour motiver son rejet.

Premièrement, selon les magistrats de la Haute juridiction, la différence de traitement faite entre les étudiants à l’université et les étudiants de l’enseignement secondaire et des formations professionnelles post-bac qui, eux, ont pu continuer à recevoir des enseignements en « présentiel » n’est pas, en elle-même, une discrimination portant atteinte à la liberté fondamentale du droit à l’instruction.

Deuxièmement, le juge se prononce sur le respect de la vie qu’invoquaient les requérants. Il estime que le fait de limiter très fortement le nombre d’usagers accueillis dans les universités n’est pas une action ou une carence de l’autorité publique qui créerait un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes. Ici, était notamment invoqué l’impact désastreux des mesures sur la santé, psychologique notamment, des étudiants. Le juge ne retient pas l’atteinte au droit la vie.

Ensuite, le juge des référés conclut à l’absence de violation du droit à l’éducation. En effet, le maintien des travaux pratiques, de la possibilité d’accéder aux bibliothèques universitaires et la mise à disposition de matériels informatiques pour les élèves en situation de « précarité numérique » sont des mesures que le juge qualifie de « modalité d’organisation suffisantes ».

Enfin, le juge estime que les mesures prises par le décret sont proportionnées. En effet, les atteintes au droit de réunion qu’il porte ne sont pas excessives. Ces atteintes sont le résultat de la conciliation faite entre le droit de réunion et l’objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé.

Cette ordonnance suscite néanmoins quelques remarques.

D’abord, existe-t-il, véritablement, une différence de situation entre une classe de formation professionnelle post-bac et une promotion de deuxième année de master du même nombre ? Même si l’on peut envisager qu’il y ait des spécificités propres à la voie professionnelle tel que le besoin de recourir à des travaux pratiques, il apparaît difficile de considérer ces deux populations étudiantes comme radicalement différentes. En effet, ce sont des publics qui appartiennent à la même catégorie d’âge notamment, catégorie où le virus circule le plus. Partant, comment ne pas voir ces différences de traitement comme une discrimination ? Et donc, a fortiori, comme une atteinte au droit à l’instruction…

En second lieu, le 12 janvier 2021 une étudiante lyonnaise tentait de se suicider en se défenestrant dans sa résidance étudiante. Cette tentative suit, malheureusement, celle d’un autre étudiant, à Villeurbanne cette fois-ci, qui lui aussi a tenté de se suicider en se défenestrant. Bien entendu, il n’est pas question ici de reprocher au juge son incompétence pour lire l’avenir mais ces actualités traduisent un mal-être profond qui dure depuis le début de la crise sanitaire. Les étudiants crient leur désespoir et leur sentiment d’abandon depuis des mois. Cette décision raisonne donc comme un acte de mépris sur la question de la santé mentale des étudiants. Plus encore, cette ordonnance révèle une déconnexion évidente du juge sur ces questions.

A la lecture de cette décision on ne peut qu’avoir la sensation que le juge ne souhaite pas non plus « mettre des bâtons dans les roues » d’une Administration et d’un exécutif en improvisation totale dans la gestion de la crise sanitaire. Ce sentiment est renforcé lorsque l’on prend connaissance des derniers motifs, ceux-ci sont laconiques, lapidaires et peu étayés en droit.

Il nous tarde donc de lire la décision qui sera rendue au fond. Si le juge concluait à l’illégalité du décret, même s’il serait trop tard pour les étudiants dont l’année universitaire aura été sacrifiée, cela serait tout de même un commencement de reconnaissance de la souffrance éprouvée par ces derniers. 

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ;
Chronique Droit(s) de la Santé ; Art. 325.

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ParJDA

Le Zevent ou comment relier les jeux vidéo & la santé

Art. 323. Source de l’image ci-après : twitter ZEventfr

Le présent article rédigé par M. Nicolas André, étudiant en Master II Droit de la Santé, promotion Gisèle Halimi 2020-2021, s’inscrit dans le cadre de la 2e chronique en Droit de la santé du Master avec le soutien du Journal du Droit Administratif.

« Nous faisons tous des choix. Mais à la fin, ce sont nos choix qui font de nous ce que nous sommes ».

Andrew Ryan, personnage fictif du jeu BioShock.

Nous aimerions vous faire part, dans cet article, de deux sujets qui nous intéressent particulièrement, les jeux vidéo et la santé.

De prime abord, on peut s’interroger sur ce qui les relie et ce qu’ils ont en commun. Quand on cherche un peu, on découvre rapidement que les jeux vidéo peuvent influencer la vie et la santé de leurs utilisateurs. De nombreux articles existent déjà sur l’impact des jeux vidéo, les conséquences qu’ils peuvent avoir sur les jeunes et les risques pour leur santé. Bien que récemment des études tendent à démontrer les apports bénéfiques qu’ils peuvent avoir. Tant sur la santé mentale notamment en période de confinement que sur le développement de certaines zones spécifiques du cerveau ou encore des réflexes.

Néanmoins, on ne parle que très peu du rôle que cette communauté peut avoir, que ce soit socialement par de la prévention et de l’éducation ou financièrement par des dons et des évènements caritatifs.

C’est pourquoi nous avons eu envie d’écrire cet article, pour vous faire découvrir ces acteurs et leurs actions incroyables auprès du public et de certaines associations de santé. Ils ont réussi une prouesse unique, reconnue dans le monde entier et dont nous allons vous narrer l’histoire.

Avant-propos

Nous vivons une période où les maladies, les infections et les situations sociales difficiles augmentent. Partout, dans le monde, des individus ont besoin d’aide, humaine, matérielle ou financière pour subvenir à leurs besoins et ainsi améliorer leurs conditions de vie.

Pour cela, nous pouvons compter sur des associations qu’on définit comme étant un groupement de personnes volontaires, réunies autour d’un projet commun ou partageant des activités, mais sans chercher à réaliser des bénéfices. Elles peuvent avoir des buts très divers (sportif, défense des intérêts des membres, humanitaire, promotion d’idées ou d’œuvres…).[1]

Il existe deux principaux types d’associations.

L’association « simple » non déclarée en préfecture, avec une existence juridique, mais qui ne peut pas posséder de patrimoine ni agir en justice.

L’association « déclarée » qui nous intéresse plus particulièrement. Comme son nom l’indique elle sera déclarée en préfecture et aura la personnalité juridique. Elle peut donc posséder un patrimoine et agir en justice. Certaines d’entre elles disposent du statut particulier d’associations reconnues d’utilité publique par décret en Conseil d’État. Leur objet est jugé d’intérêt général (ex : lutte contre certaines maladies). Cette reconnaissance leur permet de recevoir des dons et des legs, mais elles doivent en contrepartie présenter de sérieuses garanties et sont soumises à un contrôle administratif plus strict, notamment de la part de la Cour des comptes.

Ainsi ces associations sont utiles pour un grand nombre de personnes mais elles manquent souvent de financement car elles sont à but non lucratif et ne font donc pas de bénéfice. C’est pourquoi en dehors des subventions possibles de l’Etat, les dons sont très importants.

Tout le monde peut donner à ces associations en allant dans leurs bureaux ou via leurs sites internet dédiés. Tous les dons sont importants, quelle que soit la somme. Mais il faut souligner que les plus gros dons arrivent principalement lors d’évènements particuliers que ce soit à la télévision ou dans notre cas sur internet.

La naissance d’un projet caritatif sur internet

Nous allons ici vous parler d’une idée grandiose, pensée et réalisée par Adrien Nougaret alias ZeratoR, un animateur, streamer et vidéaste français, en collaboration et coorganisation avec Alexandre Dachary alias Dach.

Ils ont eu l’idée de créer un projet caritatif dont le but est de rassembler plusieurs animateurs spécialisés dans le streaming de jeux vidéo sur internet pour un marathon s’étalant sur tout un week-end. Pendant plus de 50h, les participants diffusent du contenu en direct tous ensemble sur la plateforme Twitch et encouragent les spectateurs à se mobiliser pour soutenir une association caritative.[2]

Twitch, qu’est-ce que c’est ?

Pour les non-initiés, il existe actuellement une plateforme du nom de twitch qui est un service de streaming vidéo en direct et de vidéo à la demande exploitée par Twitch Interactive et lancée en juin 2011.[3] Le site se concentre principalement sur la diffusion en direct de jeux vidéo, y compris les diffusions de compétitions d’Esport. Néanmoins, il se diversifie petit à petit notamment avec du contenu musical, de discussion ou des évènements spéciaux et notamment l’entrée de la politique dans ce monde virtuel et interactif.

Il est important d’évoquer le fait que cette plateforme prend une place de plus en plus importante, elle attire tous les jours 15 millions de visiteurs uniques et 1 million d’entre eux y sont connectés en permanence dans plus de 180 pays.

Ci-dessous, vous pouvez voir quelques chiffres. En rouge le nombre de personnes qui regardent un stream le 19/11/20 à 12:00 ainsi que le nombre de chaînes twitch à ce même moment. En vert le nombre de personnes présentes en moyenne et le nombre record de personnes présentes en même temps.[4]

Source : https://twitchtracker.com/statistics

Cette plateforme est interactive, car en direct et elle permet un échange instantané avec le streamer, le chat permettant de voir ce que les personnes disent et comment elles réagissent. Le streamer ne peut simplement pas les ignorer ou les stopper, mais il peut tout de même les modérer.

C’est un outil et potentiellement un concurrent pour la télévision. C’est une nouvelle utilisation d’un média plus proche des spectateurs qui va au-delà du simple fait de regarder un programme sans pouvoir y réagir. Il touche également une population beaucoup plus jeune et potentiellement moins sensible aux médias traditionnels. C’est pourquoi de nouveaux acteurs s’y sont mis tels que Jean Luc Mélenchon, la chaîne parlementaire Public Sénat ou encore des médias tels que Le figaro ou l’Equipe.

Qui sont ces streamers ?

Pour en revenir aux jeux vidéo, ces joueurs vont donc jouer sur leurs ordinateurs, chez eux ou dans des locaux spécialisés et vont retransmettre ce qu’ils font en direct pour que d’autres personnes puissent les regarder. En fait, c’est la télévision des jeux vidéo. Certains sont des joueurs professionnels ou anciens joueurs et vont se spécialiser dans les jeux vidéo à différents niveaux, que ce soit Fortnite, Call of Duty, Rocket League ou encore League of Legends et bien d’autres. D’autres streamers s’orientent vers de l’animation ou le rôle de commentateur de ces mêmes jeux vidéo.

Chaque streamer a ses particularités, il regroupe autour de lui une communauté qui lui ressemble et partage une même philosophie. Pour n’en citer que certains, nous avons Gotaga, joueur professionnel de jeux de tir, Mistermv qui fait du multi gaming et est aussi compositeur de musique, Jean Massiet qui anime autour de la politique, Kameto, Ponce, Domingo ou encore des structures telles que Solary ou O ’Gaming qui forment des joueurs et streamers et leur fournissent des locaux.

Vous trouverez ci-dessous et sur le site du Zevent tous ceux ayant participé à l’édition de 2020 et aux précédentes.

Source : https://zevent.fr/streamers

La chronologie et les résultats de l’évènement

La première édition de cet évènement créé par ZeratoR et Dach a eu lieu en 2016 sous le nom de « Projet Avengers ». Elle avait eu lieu suite à l’appel du youtubeur Belge Bachir Boumaaza via son programme caritatif « gaming for good » afin de récolter des dons pour l’ONG Save the Children et ainsi aider les Ethiopiens face à la sécheresse et la famine. Cette édition a regroupé 16 streamers pour 34h de live et a récolté 170 770€. [5]

En 2017 a eu lieu la seconde édition sous le nom de « Zevent », au profit de la Croix-Rouge Française afin de soutenir les populations victimes de l’ouragan Irma qui avait frappé les Antilles. A cette occasion 30 streamers se sont réunis et ont permis de récupérer 451 851€ en 52 heures de live.

En 2018, la troisième édition au profit de Médecins sans frontières a récolté 1 094 731€ en 53 heures de live par 38 streamers. Cette somme a notamment servi à la reconstruction intégrale d’un hôpital au Yémen.

Ensuite, en 2019, lors de la quatrième édition, de nombreuses ONG voulaient être représentées, mais c’est finalement l’institut Pasteur qui a été choisi. L’évènement regroupant 55 streamers a récolté 3 509 878€ en 54 heures de live.

Selon Jean-François Chambon, directeur de la communication et du mécénat à l’institut Pasteur, un tiers du budget de l’institut provient des dons et la somme réunie par le Zevent représente environ 10 % de la collecte annuelle opérée auprès du public ; un million d’euros permet de mettre en place un centre de recherche avec une douzaine de chercheurs pendant une année.

Enfin, en 2020, la cinquième édition a eu lieu début octobre, elle a évidemment longtemps été remise en question à cause de l’épidémie du coronavirus, mais elle a finalement eu lieu. Cette année 54 streamers étaient présents que ce soit sur place (après avoir passé un test PCR) ou en distanciel pour récolter 5 724 377€ en 55 heures de live pour l’association Amnesty International France. À titre de comparaison, en 2018 Amnesty International Monde avait récolté 299 millions d’euros, avec plus de 2 millions de personnes qui auraient fait des dons d’une valeur moyenne de 8,75€.[6]

Ci-dessous, vous pouvez observer l’infographie des trois dernières éditions avec par exemple le nombre de viewers en moyenne (personnes regardant le stream), la moyenne des dons et autres informations.

Source : Twitter ZeratoR

Il est difficile de transmettre à l’écrit les émotions et la joie ressentie en regardant cet évènement. Car au-delà d’être un évènement caritatif, c’est aussi un regroupement de personnes qui s’amusent, profitent du moment et le partagent avec ceux qui les regardent tout en leur permettant de se mobiliser pour une association. Le manque d’information, de motivation ou même de moyen peut générer l’absence de telles actions pour certaines personnes.

Quelques chiffres comparatifs sur les donations (en France & dans le monde)

En France en 2018, selon France générosité[7], malgré une augmentation de 6 % du nombre de foyers imposables, le nombre des foyers fiscaux ayant déclaré des dons a baissé de 3,9 %, passant de 5,219 millions en 2017 à 5,016 millions. Avec également une baisse globale des montants de dons de – 4,2% en 2018.

Néanmoins, en 2019, il y a une augmentation de 3,5% des montants de dons, mais une baisse de 15% de nouveaux donateurs à une association ou une fondation entre 2009 et 2019.

De manière générale, la générosité privée des français représente 7,5 milliards d’euros, soit le budget annuel du Ministère de la Justice.

Cette générosité est portée à 61% par les particuliers et 39% par des entreprises. Les libéralités représentent 1 milliard d’euros de don chaque année, soit 23% à 30% des produits de la générosité privée pour les associations et fondations.

Les collectes populaires, comme la Croix-Rouge ou les Pièces Jaunes représentent environ 47,5 millions d’euros de dons. Les collectes en nature sont estimées à 39,5 millions d’euros.

Ci-dessous, le détail de la provenance des dons ainsi que les principaux domaines où ils sont effectués.

Source : https://www.francegenerosites.org/chiffres-cles/

Les Français donnent chaque année 35 millions d’euros pour un million d’habitants, soit moins que le Royaume-Uni (140 millions), la Suisse (90 millions), les Pays-Bas (80 millions) ou l’Allemagne (60 millions), mais plus que l’Espagne (20 millions).[8]

À côté de ça, les dons aux Etats-Unis seraient bien plus importants, à hauteur de 300 milliards de dollars, mais cela est principalement dû aux entreprises et milliardaires qui n’hésitent pas à faire don d’une partie de leur fortune à certaines associations ou fondations.

Les statistiques de l’année 2020 sont difficiles à analyser du fait de la crise du Covid. Cependant, il semble que nos citoyens soient plus sensibilisés aux inégalités et difficultés de certaines populations, mais cette crise sanitaire ayant aussi créée une crise économique, il est bon d’attendre des statistiques officielles pour en tirer des conséquences.

Une communauté parfois décriée

Tout ceci est à mettre en parallèle avec l’image que cette communauté, de joueurs de jeux vidéo, peut donner. Certains peuvent les considérer comme fainéants, sans engagement, n’apportant rien de concret à la société et encore plus en période de crise. Et pourtant, nous le voyons clairement ici, ces personnes exercent un métier parmi tant d’autres. Il existe tout une économie autour d’eux et ce domaine d’activité est extrêmement porteur dans une société de plus en plus dématérialisée.

Ces acteurs créent du contenu, qui est une source de divertissement pour de nombreuses personnes. Ils parviennent à regrouper ces dernières autour d’eux, à créer un lien collectif, à faire passer des messages et ainsi faire bouger tout un groupe. Ces collectifs, qui partagent un intérêt commun dans ce monde du streaming et du jeu vidéo, permettent son développement qui se matérialise par l’augmentation des dons faits aux associations. À cela s’ajoute un apport de connaissances autour des thèmes portés par les associations ainsi que de la prévention et de la motivation concrète à souhaiter être bienveillant et accompagner au mieux son prochain.

Nous nous devons également de nous interroger sur les éventuels effets négatifs ou les risques que cela pourrait avoir sur certaines tranches de la population comme l’addiction aux jeux vidéo, des paroles ou des actes malveillants. Cependant, il faut souligner que la plateforme Twitch est surveillée et contrôlée. En effet, les streamers ne peuvent dire ou faire n’importe quoi. Vous ou vos enfants ne risquez donc quasiment rien à regarder vos joueurs préférés se divertir et vous divertir par la même occasion.

Un bilan critiqué

Toutefois, cette année, une critique a été émise autour de la somme récoltée. Une volonté de pousser toujours plus au don, de demander plus aux donateurs dans le but de faire toujours mieux a été ressentie. La finalité est une cause louable et peut donc parfois pousser des personnes à donner plus que raisonnablement.

De plus, afin de récolter les dons, chaque streamer met en place des « donations goals » une liste de choses qu’il va faire quand il dépassera un seuil d’argent récolté sur sa chaîne. Prenons l’exemple d’un streamer qui a une barbe depuis des années et bien disons qu’à 50 000€ récolté sur sa chaîne, il devra la raser. Cela parait anodin et amusant d’autant plus que chaque streamer choisit ses donations goals, mais certains ne s’attendaient pas à les atteindre jusqu’à ce que d’autres streamers se regroupent pour demander aux spectateurs d’aller sur leurs streams pour justement atteindre ces seuils.

La question qui reste sans réponse est donc de savoir jusqu’où certains streamers sont-ils prêts à aller pour récolter de l’argent ?

Une finalité positive

Il faut tout de même souligner que cela semble fonctionner. Force est de constater que les sommes récoltées sont de plus en plus élevées, on passe de 170 000€ pour la première édition à 5 700 000€ pour la cinquième. Cette augmentation donne de plus en plus d’ampleur à l’évènement.

Ce qui fait que de plus en plus d’associations souhaitent être l’objet de ces dons.

D’ailleurs, depuis quelques années, le président met en lumière cet évènement et félicite ces initiatives. Toutefois, nous pouvons nous interroger : n’y a-t-il pas ici les signes d’une volonté de s’approprier l’évènement et de le politiser ?

Source : Twitter Emmanuel Macron

Néanmoins, cela n’enlève en rien de la beauté de l’évènement. Sur 5 ans, plus de 10 millions d’euros ont été récoltés par une communauté sur laquelle personne n’aurait parié. Les résultats sont là, le monde des jeux vidéo peut influencer bien d’autres secteurs. En l’occurrence celui de la santé, principalement par son financement, mais également par l’éducation et la prévention.

Selon nous, l’important est de mettre en lumière, via ces évènements ce que les gens peuvent faire ensemble quand ils sont motivés par un projet commun, qui a du sens pour eux quels que soient les domaines de la vie. C’est un message très fort pour l’humanité, être persévérant et garder à l’esprit qu’ensemble, nous sommes plus forts.

Par le biais de cet article, notre objectif était de vous faire découvrir ce nouveau secteur en pleine expansion et toutes ces personnes qui se donnent tous les jours pour nous divertir et nous sensibiliser sur des sujets qui sont aujourd’hui plus que jamais primordiaux dans notre société. Nous espérons y être parvenus.

Pour plus de précisions sur cet évènement, vous pouvez vous référer au site internet du Zevent, ou encore vous renseigner sur les différents streamers sur Twitch, internet ou twitter. Les Best-of et making-of de l’évènement sont également disponibles sur Youtube.

Source : Twitter ZeratoR


Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ;
Chronique Droit(s) de la Santé ; Art. 323.

[1] https://www.vie-publique.fr/fiches/24076-quest-ce-quune-association

Article « qu’est-ce qu’une association ? » Du 28 Mai 2019.

[2] https://zevent.fr/ Site internet de l’évènement, comprenant la description, les intervenants ainsi que le projet défendu.

[3] https://www.twitch.tv/p/fr-fr/about/ Site internet de la plateforme Twitch, concernant toutes les informations de l’entreprise et de ses projets.

[4] https://twitchtracker.com/statistics Site internet pour connaitre en temps réel les statistiques de Twitch.

[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Z_Event Le Wikipédia du Zevent, qui détaille et précise chaque édition.

[6] https://www.amnesty.org/en/2018-global-financial-report/ Le rapport financier d’Amnesty international monde de 2018 faisant rapport de son financement et notamment des dons reçus.

[7] https://www.francegenerosites.org/chiffres-cles/ Données statistiques sur la générosité des français avec notamment des chiffres sur les dons.

[8] https://www.planetoscope.com/Etonnant/418-dons-verses-a-des-associations-par-les-francais.html Dons en direct et informations sur les dons des français avec une comparaison entre différents pays.

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ParJDA

Chronique de février 2021 (Droit(s) de la Santé)

Art. 322.
en association avec le Master Droit de la Santé de l’Université Toulouse 1 capitole.

par les professeurs Isabelle Poirot-Mazères
& Mathieu Touzeil-Divina

La crise du Covid-19 en est un témoignage topique s’il en était encore besoin, le droit public se soucie du ou des droit(s) de la santé. Forts de ce constat, les professeurs Isabelle Poirot-Mazères & Mathieu Touzeil-Divina ont décidé d’ouvrir au sein du Journal du Droit Administratif une nouvelle chronique – essentiellement prétorienne – en partenariat étroit avec le Tribunal Administratif de Toulouse.

Présentation de la Chronique

Le Journal du Droit Administratif avec le soutien du Tribunal administratif de Toulouse ont décidé de proposer, de façon régulière, une chronique jurisprudentielle en droit(s) de la santé, réunissant , en fonction de l’actualité et/ou de l’intérêt juridique du sujet, une ou deux décisions du Tribunal assorties des conclusions du rapporteur public. Elles pourront être accompagnées d’un commentaire ou de propositions doctrinales et parfois même uniquement de présentations académiques.

Depuis 2021, la chronique est également ouverte aux analyses des étudiant.e.s, notamment ceux du Master Droit de la santé de l’Université Toulouse I Capitole,  sous la responsabilité des Professeurs Isabelle Poirot-Mazères et Mathieu Touzeil-Divina.

2. Chronique 2 – février 2021

La première chronique sous l’impulsion de la promotion Gisèle Halimi du Master II en Droit de la Santé comprend à ce jour les articles suivants :

par M. Nicolas ANDRE (Master II Droit de la Santé, UT1 Capitole, promotion Gisèle Halimi 2020-2021) ;

par M. Corentin AUFFRET (Master II Droit de la Santé, UT1 Capitole, promotion Gisèle Halimi 2020-2021) ;

par Mme Mathilde GOBERT (Master II Droit de la Santé, UT1 Capitole, promotion Gisèle Halimi 2020-2021) ;

par M. Hugo RICCI (Doctorant en Droit public, UT1 Capitole, Institut Maurice Hauriou) ;

par Mme le pr. Isabelle POIROT-MAZERES (Co-directeur du Master Droit de la Santé, UT1 Capitole, Institut Maurice Hauriou) ;

par M. le pr. Mathieu TOUZEIL-DIVINA (Co-directeur du Master Droit de la Santé, UT1 Capitole, Institut Maurice Hauriou) ;

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ;
Chronique Droit(s) de la Santé ; Art. 322.

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ParJDA

Doda ?

Art. 329.

Mathias Amilhat
Maître de conférences de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole,
Membre du comité de rédaction du Journal du Droit Administratif, Iejuc

A ne pas confondre avec une espèce d’oiseaux disparue, le DODA (car intitulé Des Objets du Droit Administratif) risque bien de constituer la nouvelle référence des étudiants qui envisagent d’aborder le droit administratif !

Des débuts de la justice administrative retenue avec la décision De Beauvau en 1800, à l’arrêt UNEDESEP de 2020 concernant la « gratuité » du service public universitaire, ce sont 220 années de jurisprudence administrative qui sont présentées et expliquées de manière parfaitement claire. Car c’est là tout l’intérêt de cet ouvrage : il s’adresse aux « apprentis » du droit administratif et a donc été avant tout pensé pour les étudiants.

La méthode retenue est remarquable par son originalité : elle s’appuie sur les mémoires visuelle et kinesthésique en présentant les décisions de manière simple et agréable. La première chose qui saute aux yeux lorsque l’on décide d’ouvrir l’ouvrage est donc…une image ! Ce n’est cependant pas n’importe laquelle : chacune d’elles a été choisie pour illustrer la décision qu’elle accompagne et son apport. D’ailleurs, chaque objet est décrit dans un encadré qui repose toujours sous un même format. Il est alors possible de le rattacher à l’anecdote qui figure dans le second encadré qui figure aussi sur la première page. Des informations plus « traditionnelles » sont également présentes avec les références de l’arrêt, ainsi que le renvoi systématique à une référence bibliographique. Sur ce point, certains lecteurs pourraient se sentir frustrés mais ce ne sera certainement pas le cas du plus grand nombre : la référence semble avoir été sélectionnée pour permettre l’ouverture d’une réflexion doctrinale sans submerger le fameux « apprenti ». Il ne faut en effet pas oublier que c’est à lui que s’adressent ces « objets du droit administratif ».

La présentation écrite de chaque décision a aussi été pensée pour le profane. La page de droite (en plus de la seconde moitié de l’objet) est découpée en deux items : le premier consacré aux faits qui ont conduit à la décision, le second à sa portée. Les faits comme la portée sont rédigés de manière concise, en retenant un format quasi-similaire d’une décision à l’autre. Les informations les plus importantes sont surlignées, ce qui permet au lecteur de saisir (de voir en réalité) immédiatement ce qu’il faut retenir.

Il y a même, dans la présentation des décisions, une touche d’originalité qui n’a rien d’anecdotique. La page de gauche comporte, sous les quelques mots qui résument l’apport de la décision, des mots-clés déclinés en hashtags (ou mots-dièse) ! Le lecteur comprendra vite que l’intérêt ne réside pas dans un tweet éventuel mais dans le fait que ce format attire son regard, ici encore vers les informations les plus importantes liées à la décision. Certains d’entre eux ne manqueront pas de faire sourire.

La meilleure façon de s’en convaincre est de le feuilleter, tous ceux qui aiment le droit administratif seront immédiatement séduits !

Références :

Touzeil-Divina Mathieu, Des objets du Droit Administratif (DODA ; Vol. 1) ; Toulouse, L’Epitoge ; 2020.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021, Art. 329.

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